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Comptes rendus de lecture

Jérémy Guedj et Barbara Meazzi (dir.), La culture fasciste entre latinité et méditerranéité (1880-1940)

Andrea Avalli
p. 239-241
Référence(s) :

Jérémy Guedj et Barbara Meazzi (dir.), La culture fasciste entre latinité et méditerranéité (1880-1940), in Cahiers de la Méditerranée 95, 2017, 20 € / ISSN 03959317 ; disponible en ligne : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdlm/8781

Texte intégral

1En 2017, les Cahiers de la Méditerranée ont publié sous forme de dossier les actes d’un colloque international tenu à l’Université Nice Sophia Antipolis les 26 et 27 novembre 2015. Ce dossier, maintenant en libre accès en ligne, recueille des recherches qui étudient le fascisme d’un point de vue transnational, à travers les idées de latinité et méditerranéité. En utilisant un imaginaire historique et géographique lié à l’Antiquité, ces deux notions expriment une « communauté imaginée » (Anderson), une « tradition inventée » (Hobsbawm-Ranger), une identité culturelle très discutée en France et en Italie entre xixe et xxe siècles. La publication de ces recherches s’inscrit ainsi dans une série de travaux qui, ces dernières années, ont étudié la dimension transnationale du fascisme et ses enjeux culturels franco-italiens (voir les œuvres publiées ou coordonnées, entre autres, par C. Poupault, S. Rey, J. Guedj, A. Giladi).

2Les études sur la latinité présentées dans ce numéro des Cahiers peuvent être réparties entre celles qui se focalisent sur la culture française et celles qui analysent la culture italienne. D’abord, comme Olivier Forlin explique dans sa contribution (p. 209-222), il est à noter que l’espace géopolitique où ces débats idéologiques se déroulent est la Méditerranée, la mer où l’Italie place ses ambitions impériales, en concurrence avec la France et la Grande Bretagne.

3Du côté français, l’identité latine est utilisée à partir des débats de la fin du xixe siècle sur la décadence des nations latines face aux nations septentrionales. Sarah Al-Matary (p. 15-29) a recherché l’idée latine dans la littérature française de la iiie République, en analysant les œuvres des écrivains nationalistes qui parlent de « race latine » ou « méditerranéenne ». Les majeurs promoteurs de cette latinité en France sont les membres du Félibrige comme Charles Maurras. Sarah Al-Matary, Christophe Poupault (p. 31-45) et Olivier Dard (p. 59-70) ont analysé l’utilisation nationaliste, catholique, antidémocratique et antiallemande de la latinité de la part du dirigeant de l’Action française. La Première guerre mondiale, avec l’intervention italienne aux côtés de l’Entente, marque la phase la plus évidente de la rhétorique des « sœurs latines » contraposées aux Allemands. Ensuite, comme l’a souligné Ralph Schor (p. 47-55), durant l’entre-deux-guerres les intellectuels français conservateurs et antidémocratiques soutiennent encore l’identité latine pour proposer le rapprochement franco-italien et pour défendre le régime fasciste italien. Entre eux, le cas de George Valois a été étudié par Emmanuel Mattiato (p. 151-171). À partir de son engagement dans l’Action française, et ensuite par son activité de fondateur du « Faisceau », cet admirateur du fascisme italien promeut un « bloc latin » franco-italien contre la « barbarie » de l’Amérique, l’Allemagne et l’Union Soviétique. Jérémy Guedj (p. 173-189) a montré comment l’identité latine fut partagée même par les juifs français conservateurs, qui voient en l’Italie fasciste un modèle d’intégration nationale des juifs et une société sans antisémitisme. Cette illusion disparaît après les lois antijuives fascistes de 1938, alors que les antisémites italiens et français instrumentalisent l’identité latine pour en exclure les juifs, comme l’explique Nina Valbousquet (p. 191-208) dans sa contribution à propos de Paolo Orano et Camille Mallarmé.

4Du côté italien, la latinité est le mythe au cœur du nationalisme et de l’idéologie fasciste. Simona Storchi (p. 71-83) s’est focalisée sur l’histoire de l’art, en montrant que l’idée de latinité a influencé le retour à l’ordre et ensuite l’adhésion des artistes au régime fasciste. Ce ne sont pas seulement les artistes qui critiquent les avant-gardes à revendiquer l’identité latine, mais aussi les architectes rationalistes et même certains futuristes, comme l’a montré Jean-Philippe Bareil (p. 97-105). Manuela Bertone (p. 109-118) a souligné que Mussolini exprime une utilisation politique de la latinité déjà pendant la Première guerre mondiale, en revendiquant l’identité ethnique (« stirpe », « razza ») italique, latine et romaine des Italiens contre les « barbares » septentrionaux. Antonella Mauri (p. 119-137) a étudié comment les fascistes au pouvoir ont repris ce mythe nationaliste dans leur projet pédagogique totalitaire. Alessandra Tarquini (p. 139-150) explique que l’idéologie fasciste reprend systématiquement des symboles romains, et que le régime trans­forme l’urbanisme de la ville de Rome pour souligner son antiquité et se légitimer. Même les historiens contribuent à ce mythe de la romanité pour défendre le régime et son impérialisme. Dans le même temps, le régime utilise la latinité comme instrument de diplomatie culturelle à l’étranger : c’est le cas, étudié par Amotz Giladi (p. 85-95), du rôle de la Società Dante Alighieri en France.

5Le point culminant du rapprochement franco-italien, et donc du succès de la rhétorique de la latinité, est représenté par l’accord Laval-Mussolini de janvier 1935. Dans la même année, le début du rapprochement italo-allemand marque par contre le déclin de l’identité latine, qui s’efface définitivement avec l’agression italienne à la France en juin 1940. Johann Chapoutot (p. 225-231) explique que même l’Allemagne nazie utilise la latinité, dans la mesure où le mythe de la race aryenne théorise une origine nordique commune aux Grecs, Romains et Germains. L’alliance avec l’Allemagne pousse Mussolini, et ensuite les collaborationnistes français, à préférer le mythe aryen au mythe latin comme discours identitaire hégémonique.

6Les recherches de ce dossier des Cahiers de la Méditerranée ont le mérite de reconstruire les différents enjeux culturels transnationaux de cette période, et de nous rappeler que l’histoire ancienne met en jeu les identités contemporaines et peut ainsi devenir un facteur idéologique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Andrea Avalli, « Jérémy Guedj et Barbara Meazzi (dir.), La culture fasciste entre latinité et méditerranéité (1880-1940) »Anabases, 30 | 2019, 239-241.

Référence électronique

Andrea Avalli, « Jérémy Guedj et Barbara Meazzi (dir.), La culture fasciste entre latinité et méditerranéité (1880-1940) »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10178 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10178

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Auteur

Andrea Avalli

Università degli Studi di Genova – Université de Picardie Jules Verne
xba@hotmail.it

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