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Comptes rendus de lecture

Corinne Bonnet, Nicole Belayche, Marlène Albert Llorca, Alexis Avdeeff, Francesco Massa, Iwo Slobodzianek (dir.), Puissances divines à l’épreuve du comparatisme. Constructions, variations et réseaux relationnels

Geneviève Hoffmann
p. 228-230
Référence(s) :

Corinne Bonnet, Nicole Belayche, Marlène Albert Llorca, Alexis Avdeeff, Francesco Massa, Iwo Slobodzianek (dir.), Puissances divines à l’épreuve du comparatisme. Constructions, variations et réseaux relationnels, Brepols, Turnhout, Bibliothèque de l’École Pratique des Hautes Études en sciences religieuses (BEHE, 175), 2017, 496 p., 70  / ISBN 9782503569444.

Texte intégral

1Ce livre présente les contributions des deux colloques organisés, en mars et novembre 2014, par les universités de Toulouse, d’Aix-Marseille, et l’École Pra­tique des Hautes Études (section des Sciences religieuses). Comme le précise l’introduction générale (p. 5-25), il a pour objet de commenter l’affirmation de J.-P. Vernant : « Les dieux helléniques sont des Puissances, non des personnes », au regard de la recherche actuelle et dans une approche comparatiste. Les 21 contributions sont réparties en cinq sections, présentées chacune par une introduction qui souligne l’apport des auteurs à la thématique choisie. Les notions d’altérité, de structure, d’aspect, de qualité et de captation de la puissance divine sont étudiées successivement.

2La première partie, intitulée « Des outils pour (dé)construire la puissance divine », s’ouvre sur l’invitation d’A. Avdeeff (p. 29-31) à situer la notion de puissance divine, dans le contexte historiographique et ethnographique des années 1960. Les deux contributions qui suivent, soulignent la nécessité de rompre avec les modes de pensée hérités du christianisme et du « miracle grec ». Afin d’éclairer la démarche intellectuelle de J.-P. Vernant, V. Pirenne-Delforge et J. Scheid (p. 33-52) rappellent l’impact sur l’histoire des religions de la psychologie historique (Ignace Meyerson) et l’apport de l’école de sociologie, transmis par Louis Gernet du côté grec. G. Schlemmer cherche à tester la pertinence du panthéon grec, défini par J.-P. Vernant comme un système organisé, dans la société tribale des Kulung du Népal, sans discours sur la nature des esprits. Les notions grecques de système et de classification des dieux ne sont donc pas opératoires dans un tel milieu (p. 53-66).

3La seconde section porte sur la structuration et la plasticité des panthéons. Dans son introduction (p. 69-71), I. Slobodzianek souligne que pour J.-P. Vernant, le panthéon grec est un système organisé où chaque dieu prend sens dans un ensemble général. Les auteurs démontrent que les panthéons répondent toujours à certaines normes en dépit de leur plasticité. Après avoir souligné que la Mésopotamie est « une terre encombrée de divinités », J.-J. Glassner retient trois figures de souveraineté divine en relation avec les villes : Enlil, dieu de Sumer, Marduk, dieu poliade de Babylone et Assur, dieu de la ville et du pays homonymes (p. 73-87). Ces grands dieux territoriaux, bien qu’en concurrence, sont tous inspirés de la cosmogonie babylonienne. Dans l’étude qui suit, G. Pironti interroge le polythéisme (p. 89-105) au regard d’une pluralité numérique, qualitative et dynamique. Dieux en famille, dieux en société, ne dessinent pas un ordre définitif mais plutôt des configurations recomposées en fonction du contexte ou du type de discours choisi. A. Avdeeff examine la pertinence de la notion de panthéon dans l’État du Tamil Nadu, en Inde du Sud, où l’astrologie et la divination jouent un rôle essentiel pour rendre les divinités locales plus accessibles (p. 107-124). V. Zachari étudie la puissance divine au figuré en prenant pour exemple la représentation d’Apollon à l’autel sur les vases attiques (p. 125-143).

4La troisième section traite des aspects personnels et relationnels de la puissance divine. A. Avdeeff précise en préambule (p. 147-149), que les dieux grecs sont des figures singulières, dotées d’attributs significatifs de leur puissance. Par une étude linguistique (p. 151-167), M. Bettini invite le lecteur à une réflexion sur la question du genre des puissances divines à Rome et du pluriel de leurs noms. À la lueur du travail de J.-P. Vernant, P. Pérez propose un essai sur la nature des Katsinam Hopi à travers les mythes et les rituels de la société amérindienne qui les a créés (p. 169-184). R. Naiweld choisit d’éclairer le dieu biblique par la médiation du culte judaïque des premiers siècles de notre ère (p. 185-199). La contribution de C. Guillaume-Pey nous entraîne dans le centre-est de l’Inde, chez les Sora (p. 201-217), où les puissances topiques sont traitées comme des personnes dans « un mouvement perpétuel de condensation-dilatation ». La dernière contribution de cette partie porte sur l’empereur Valens et sa relation à la puissance divine sous le christianisme (p. 219-233). C. Nicolas centre son étude sur la célébration de l’épiphanie à Césarée de Cappadoce.

5La quatrième section, présentée par F. Massa, cherche à définir la qualité intrinsèque de la puissance divine. Partant du constat que J.-P. Vernant ne prend pas en compte les catégories d’omniscience et d’omnipotence, H. S. Versnel, auteur d’un ouvrage Coping with the Gods (2011), relève que certaines sources littéraires grecques des époques archaïque et classique, à savoir la littérature gnomique et le genre hymnique, font bien référence à ces notions. Pour I. Slobodzianek, la puissance divine est remise en cause dans les mythes relatifs à Aphrodite et Inanna. Ces déesses se voient, en effet, humiliées et réduites à l’impuissance. Toutefois, leur déshonneur ne remet pas en cause leur statut divin (p. 263-278). Le vocabulaire des émotions, étudié par C. Bertau-Courbières, trace une limite entre le monde des mortels et celui des dieux (p. 279-290). S. d’Intino pose la question de la nature des dieux dans les hymnes védiques (p. 291-108). Les dieux n’ont pas de personnalité, ils sont labiles. « Cachés au fond du langage », ils sont au centre d’un système de relations entre plusieurs réalités : cosmique, rituelle et psychologique. R. Parker retient comme sujet d’étude les dédicaces adressées à une combinaison de dieux. Dans le monde gréco-romain au sens large, des noms de dieux sont en effet juxtaposés comme Zeus Dionysos ou Zeus Ammon. Quand un dieu a Zeus ajouté comme préfixe à son nom, ce que l’auteur appelle « Zeus plus », sa dignité en est accrue (p. 309-320). À la fin de cette partie, les papyrus magiques de l’Égypte gréco-romaine du début de notre ère sont questionnés par T. Galoppin pour démontrer comment la magie égyptienne « fait de la puissance » par la médiation du prêtre, maître de cérémonie (p. 321-332).

6La dernière section porte sur la captation des puissances divines et leurs liens avec les paysages religieux. Pour F. Massa qui présente cette thématique (p. 335-337), les contributions regroupées dans cette partie abordent la question de la délimitation de l’espace sacré et des rapports de force produits en ce lieu. O. Journet-Diallo, spécialiste des Jóola, une société africaine qui habite entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, relève que ses membres croient en un dieu créateur, mais qu’ils invoquent plus souvent des puissances intermédiaires, à savoir les âmes du riz et des défunts (p. 339-353). Pour étudier le vocabulaire de l’architecture sacrée dans l’ancien Israël et le contexte levantin, F. Porzia confronte les données de l’épigraphie et celles de la Bible (p. 355-378). A.-C. Rendu Loisiel s’intéresse aux temples de la Mésopotamie ancienne qui, en dépit de leur monumentalité, ne sont pas indispensables à l’accomplissement des rituels (p. 379-390). M. Carrin cherche à définir la puissance divine des figures gémellaires en pays Tulu (Inde du sud) (p. 391-406). Les bhuta sont des démons inférieurs qui forment un panthéon de 300 puissances et n’ont besoin ni d’un sanctuaire ni d’un objet. Y. Volokhine qui clôt cette section, étudie la figuration frontale des visages et des yeux sur les bols et les miroirs égyptiens (p. 407-421). Cette dernière contribution est bien venue car elle pose les questions sous-jacentes à l’ensemble du volume sur l’altérité et la signification des convergences entre civilisations.

7Un cahier de photographies en couleur (p. 425-438) complète la publication des actes. Des indices, rédigés par T. Galoppin, permettent de circuler dans ce livre d’une lecture agréable par sa structure et la clarté de son propos. Le comparatisme étendu à différentes cultures offre la possibilité de penser la fabrique du divin à la fois dans le polythéisme et le monothéisme. La distinction du corps et de l’âme n’est pas universelle ; les dieux résident ou non dans leurs temples ; leur toute puissance est parfois éphémère ; les configurations et les réseaux divins diffèrent d’une société à l’autre.

8Cet ouvrage, conçu comme un hommage à la pensée de Jean-Pierre Vernant, « maître libérateur », explore son héritage, l’interroge, l’infléchit, le critique et le relativise. Il illustre l’impulsion donnée, dans la seconde moitié du xxe siècle, par toute l’équipe de chercheurs qui, avec Marcel Detienne et François Lissarrague, a fait sortir les dieux et les déesses des dictionnaires et des études littéraires où ils étaient confinés, pour leur donner vie sous le signe du pluriel et du relationnel.

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Pour citer cet article

Référence papier

Geneviève Hoffmann, « Corinne Bonnet, Nicole Belayche, Marlène Albert Llorca, Alexis Avdeeff, Francesco Massa, Iwo Slobodzianek (dir.), Puissances divines à l’épreuve du comparatisme. Constructions, variations et réseaux relationnels »Anabases, 30 | 2019, 228-230.

Référence électronique

Geneviève Hoffmann, « Corinne Bonnet, Nicole Belayche, Marlène Albert Llorca, Alexis Avdeeff, Francesco Massa, Iwo Slobodzianek (dir.), Puissances divines à l’épreuve du comparatisme. Constructions, variations et réseaux relationnels »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10132 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10132

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