Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité
Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité, Paris, Éditions Kimé, 2016, 196 p., 20 € / ISBN 9782841747399.
Texte intégral
1Foucault, la sexualité, l’Antiquité, édité par Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini, se propose d’offrir une mise à jour de la pensée foucaldienne en matière de sexualité, autrement dit de son dernier « grand chantier », resté inachevé, à savoir la publication de L’Histoire de la sexualité (ensuite HS). Nous pouvons le dire d’emblée, le livre est une réussite, à la fois au niveau de la qualité des contributions individuelles, de la clarté de leur discours mais aussi de leur complémentarité. Une œuvre qui se révèle, sinon exhaustive – entreprise qui serait aussi naïve qu’impossible à entreprendre –, en tout cas très riche et condensée.
2Le livre commence par une belle introduction, en deux volets, par Sandra Boehringer, Daniele Lorenzini et Frédéric Gros. Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini retracent le sort de HS sur une trentaine d’années, depuis la parution du premier tome jusqu’à aujourd’hui. Ils illustrent la grande richesse de l’œuvre ainsi que son ouverture disciplinaire, menant à ce que Foucault qualifiait de « dé-disciplinarisation », fait rare pour l’époque, voire, dans certains contextes, encore aujourd’hui. Une introduction, suivie d’une belle bibliographie qui replace HS dans le contexte de la pensée philosophique et historique de Foucault et montre aussi de façon percutante la réception de cette œuvre non seulement dans les études scientifiques, mais aussi plus largement dans la société. Le fait que Foucault n’ait pas ou presque pas pu répondre aux critiques et commentaires soulevés par la publication de HS, alors qu’il en avait l’habitude, justifie d’autant plus l’existence même de ce volume. Cela est d’autant plus évident pour la deuxième partie de l’introduction, dans laquelle Frédéric Gros, entre autres sur base de matériaux d’archives, analyse la genèse intellectuelle de l’ouvrage.
3Le premier article (Sandra Boehringer) de la première partie, intitulée Avant la sexualité, analyse le contexte socio-historique dans lequel Foucault développa sa pensée. Enrichi d’une très belle bibliographie, cet article sert à la fois à historiciser la publication de HS et à montrer que sa pertinence perdure aujourd’hui encore, notamment en France – l’exemple le plus éloquent étant la soi-disant Manif pour tous. Sandra Boehringer montre aussi comment Foucault en est arrivé à inclure l’Antiquité dans son œuvre, à savoir par la sociologie contemporaine, et non pas sous l’influence de la recherche historique ou encore philologique de son époque. Finalement, l’importance du travail de Kenneth Dover, qui reviendra dans plusieurs autres contributions, est démontrée. Après une étude de la main de Kirk Ormand, qui analyse dans la pensée de Sénèque une forme de subjectivité en lien avec la sexualité, la deuxième partie, titrée C’est à quel sujet ?, consiste en deux articles. La brève étude de Jean Allouch montre avant tout la valeur pour ainsi dire universelle de l’Antiquité pour la pensée de Foucault en matière de sexualité, une pensée qui rapprochait passé et présent. Car en effet, « l’exactitude du savoir lui importait beaucoup. Cependant, c’était non pas seulement le savoir, mais un souci de vérité, et d’une vérité qui faisait appel au courage, donc une vérité d’opposition, qui l’incitait à publier. Ses livres étaient autant d’interventions dans le présent » (p. 90). Claude Calame poursuit avec l’une des rares études qui analysent le rôle des femmes dans la pensée foucaldienne. Il conclut sur ce qu’il appelle le « foin du dualisme philosophique » (p. 113), en illustrant notamment la non-applicabilité, voire l’incompatibilité, des catégories « traditionnelles » – homosexualité vs. hétérosexualité – dans le contexte des pratiques érotiques et poétiques de l’ancienne Grèce. Dans la troisième partie, Question(s) de désir, Olivier Renaut s’attaque alors à l’analyse de la pratique de la pédérastie, nœud central du travail aussi bien de Dover que de Foucault. En relevant plusieurs paradoxes, et tout en ajoutant une note de relativisation finale (p. 131), ce chercheur démontre que « l’érotique induite dans la pédérastie nous renvoie à un principe d’activité lié au désir d’un savoir, et ne saurait cependant évacuer complètement [...] la relation sexuelle. » (p. 130) Suit un article de Daniele Lorenzini, qui parle d’un sujet qui reste, ailleurs dans ce livre comme dans le travail de Foucault, relativement sous-traité, à savoir la notion de désir. S’il est vrai que cette notion n’est pas au centre de la pensée foucaldienne, elle n’en reste pas moins un élément indispensable, tout comme la notion et l’institution du mariage, sujet du premier article, de la main d’Arianna Sforzini, de la dernière partie intitulée Repenser les corps et les normes. Dans son étude, Arianna Sforzini montre que dans le premier christianisme la notion de pudeur n’en était qu’à ses débuts, tout aussi hésitants que peu manifestes, et qu’à cette époque, « loin d’être “sexophobe”, le christianisme donnait une place centrale à la sexualité dans la subjectivité occidentale » (p. 162). Cet ouvrage, qui a le mérite d’être vendu à un prix tout à fait modique, est conclu par un article plutôt technique de la main de Thamy Ayouch, qui prend pour objet et méthode la psychanalyse. Une étude qui illustre une fois de plus le grand potentiel pluridisciplinaire du travail de Foucault et des études foucaldiennes, devenues désormais une discipline à part.
Pour citer cet article
Référence papier
Jan Nelis, « Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité », Anabases, 30 | 2019, 226-228.
Référence électronique
Jan Nelis, « Sandra Boehringer et Daniele Lorenzini (dir.), Foucault, la sexualité, l’Antiquité », Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10121 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10121
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