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Actualités et débats

2019 : l’année pop des musées d’archéologie. Retour sur l’exposition romaine Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci

Tiphaine Annabelle Besnard
p. 171-176

Texte intégral

1Les recherches portant sur la réception de l’Antiquité n’ont jamais été aussi nombreuses. Si le champ littéraire est particulièrement concerné par le phénomène, un autre domaine fait depuis peu l’objet d’analyses : celui des arts visuels. En effet, l’Antiquité classique est redevenue à la mode et tous s’en emparent, des maisons de haute couture (Versace, Chanel, Balmain…) aux artistes de la musique pop (Rihanna, Katy Perry). Le monde singulier de l’art contemporain n’y déroge pas non plus (pensons à l’Américain Jeff Koons, au britannique Damien Hirst ou au chinois Xu Zhen), tant et si bien que les institutions muséales n’hésitent plus à produire des expositions temporaires d’un nouveau genre, en associant volontiers l’antique au contemporain, dans le but de valoriser leurs collections. En 2016, les sculptures d’Alexey Morosov et d’Igor Mitoraj ont été présentées respectivement au Musée national archéologique de Naples (Pontifex Maximus) et dans le site de Pompéi (Igor Mitoraj a Pompei). En 2017, les dessins de Cy Twombly ont été exposés au Musée d’art cycladique d’Athènes (Divine Dialogue. Cy Twombly & Greek Antiquity), tandis que l’an passé, les marbres ornementés de tatouages de l’artiste Fabio Viale ont été montrés à la Glyptothèque de Munich (In Stein gemeißelt). L’année 2019 confirme cette tendance puisque deux expositions majeures ont été programmées à Rome (Palazzo Massimo et Crypta Balbi) et à Toulouse (Musée Saint Raymond) : Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci pour la première, Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop, pour la seconde.

2Ces exemples permettent d’ores et déjà d’établir un premier constat : ce sont majoritairement les musées possédant des « antiques » qui les conçoivent ou les reçoivent. L’intérêt pour ces institutions est double. D’une part ces expositions permettent de présenter les collections (qui parfois sont en réserve) sous un jour nouveau. D’autre part, elles favorisent l’accueil d’un public élargi. Et dans tous les cas, elles font découvrir aux visiteurs, non sans surprises, des créations contemporaines dans des musées d’archéologie. Ainsi le Palazzo Massimo et la Crypta Balbi accueillent, du 14 décembre 2018 au 7 avril 2019, une exposition originale intitulée Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci (Quand le classique devient pop. Fouilles, copies et autres pastiches). Elle vise à montrer comment l’Antiquité, une fois redécouverte, a été copiée et imitée, du néoclassicisme à nos jours.

3Si le titre est accrocheur, l’affiche l’est également. Elle met en scène, dans un photomontage assumé, une figure anthropomorphe. D’une gravure de Piranèse représentant un vase en porphyre conservé à la Villa Lante (1778), surgit un athlète en porcelaine (datée de la fin du xviiie-début du xixe siècle) à tête de minotaure (gravée par le sculpteur Bartolomeo Cavaceppi, 1769-1772), tenant de sa main droite un disque (Discobole Lancelotti). Ce mélange des genres se retrouve indéniablement dans le choix des œuvres exposées par les commissaires (Mirella Serlorenzi, Marcello Barbanera et Antonio Pinelli), puisque sont associés dans une muséographie novatrice des sculptures tant antiques que contemporaines, des peintures, des photographies et des objets d’art décoratif.

4Pour ce faire, deux espaces sont investis. La Crypta Balbi met à l’honneur Giovanni Volpato (graveur, céramiste, marchand d’antiquités et à l’origine d’une manufacture de porcelaines). En ce sens, le grand centre de table en biscuit Le triomphe de Bacchus et d’Ariane, composé de 115 figurines, permet d’emblée de faire (re)découvrir aux visiteurs son travail. Son rôle prédominant dans le développement des « souvenirs » initiés au xviiie siècle lors du Grand Tour est également souligné. De la sorte, de nombreuses autres céramiques sont exposées, permettant de rappeler l’avènement des productions en série à visées commerciales. Ces objets trouvent un prolongement dans les créations du designer italien Piero Fornasetti, dont certaines assiettes murales sont aussi présentées.

5Le deuxième temps de l’exposition temporaire prend place au rez-de-chaussée du Palazzo Massimo. Les deux salles sont certainement les plus intéressantes de l’exposition et portent sur la notion d’imitation. Rien de surprenant donc à voir projetée sur un des murs la célèbre phrase de Johann Joachim Winckelmann, issue de ses Réflexions (1755) : « L’unique moyen pour nous de devenir grands et, si possible, inimitables, c’est d’imiter les Anciens ». Plongées dans la pénombre, les œuvres exposées se dévoilent progressivement dans un jeu de lumière saisissant (fig.1). La première salle fait la place belle au peintre et sculpteur néoclassique, élève de Giovanni Volpato, Antonio Canova. Sa Ninfa dormiente (plâtre, 1820-1822) est présentée à côté de l’antique Hermaphrodite endormi (marbre, iie s. ap. J.-C., Palazzo Massimo). Les courbes de ces deux corps féminins font volontairement écho à la Venere con Fauno d’Antonio Canova, ainsi qu’au diptyque de l’artiste contemporain Francesco Vezzoli, tous deux présentés dans le cadre de l’exposition. Ce dernier consiste en deux photographies noir et blanc présentant la Vénus Borghèse (dite Vénus Victrix) et, en symétrie, non plus Pauline, mais l’actrice américaine Eva Mendes prenant la même pose. La Vénus d’Urbino du Titien, l’Odalisque d’Ingres, la Vénus à son miroir de Velázquez et l’Olympia de Manet sont, quant à elles, projetées dans ce spectacle de son et lumière afin de démontrer la permanence de ces formes à travers l’histoire de l’art occidental. L’Apollon du Belvédère n’est pas oublié pour autant. Cette sculpture, élevée au rang de chef-d’œuvre au fil des siècles, n’a cessé d’inspirer et de fasciner les artistes, comme le prouve l’autoportrait de Vezzoli cherchant à embrasser la statue. La deuxième salle est consacrée à une autre production majeure de l’Antiquité : le discobole. Ainsi une déclinaison du modèle en ronde bosse, tant en marbre qu’en bronze, est installée, en association avec une photographie de Robert Mapplethorpe.

  • 1 M. Serlorenzi, M. Barbanera, A. Pinelli (dir.), Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pa (...)

6Si les aspects novateurs d’une telle exposition ont été rappelés plus haut, il convient, nous semble-t-il, de revenir sur d’autres, davantage sujets à critiques. Le terme « pop » n’est pas expliqué, ni dans l’exposition ni dans les 310 pages du catalogue édité1. Ainsi une justification du terme aurait été bienvenue (tout comme celle de « pastiche »), sans quoi son usage dans le titre de l’exposition paraît indéterminé. « Pop », contraction de « populaire », peut renvoyer à la démocratisation d’une Antiquité aujourd’hui diffusée à toutes et tous, de Volpato à Vezzoli. Mais elle peut aussi faire référence, outre au Pop art, aux couleurs vives de l’univers psychédélique influencées par l’Op Art, mis en lumière dans une installation aux motifs animés et acidulés dans lequel sont présentés des moulages des Tyrannoctones de Critios et Nèsiotès (fig. 2). Les effets visuels qui produisent des démultiplications sont certes surprenants, mais apportent peu au discours. De plus, la trentaine d’articles qui compose l’ouvrage interroge également, puisque des sujets totalement absents de l’exposition temporaire y sont abordés. Tel est le cas de celui portant sur la restitution polychrome du Pugiliste, rédigé par Ulrike et Vinzenz Brinckmann. En revanche, aucune étude portant sur les modalités de reprises de l’Antiquité dans les créations contemporaines n’a été réalisée. Autre remarque, et non des moindres, la présentation des discoboles rappelle en tout point la scénographie de la double exposition à Milan et Venise de la Fondation Prada en 2015 : Serial/Portable Classic. The greek canon and its mutations (fig.3). En outre, la série des douze muses (assiettes) de Piero Fornasetti avait déjà été exposée l’an passé dans le cadre de l’exposition Citazioni Pratiche. Fornasetti a Palazzo Altemps. Ces redites apparaissent dommageables d’autant plus que peu d’œuvres sont, in fine, présentées.

  • 2 T. A. Besnard et M. Scapin (dir.), Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop : catalogue (...)

7Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop, présentée au Musée Saint Raymond-Musée d’archéologie de Toulouse du 22 février au 22 septembre 2019, aborde l’Antiquité classique plus spécifiquement sous l’angle de sa globalisation. Pour ce faire, les arts visuels (cinéma, bande dessinée, manga, jeu vidéo et art contemporain) produits après 2000 et issus d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie extrême-orientale, sont analysés. Les créations contemporaines côtoient les antiques qui leur servent de modèle. Pour ne citer que deux exemples, les super héros Wonder Woman, Captain America et Superman de Léo Caillard fréquentent pour l’exposition un buste de l’illustre empereur Marc Aurèle, tandis qu’une sculpture de l’artiste chinois Xu Zhen côtoie une Vénus en marbre. Le catalogue d’exposition, édité pour l’occasion, tente de revenir précisément sur la notion de réception grâce à des contributions d’universitaires français et étrangers, mais aussi d’artistes tels que Pierre et Gilles et Léo Caillard2. En ce sens, nous espérons que les interrogations qui se sont posées à Rome trouvent des éléments de réponses à Toulouse. C’est, en tout cas, le travail que nous avons mené avec Mathieu Scapin, assistant de conservation au Musée Saint Raymond, et co-commissaire de l’exposition.

Fig. 1-1bis. L’œuvre d’Antonio Canova se dévoile progressivement au visiteur grâce au spectacle de sons et lumières.

© T.-A. Besnard, janvier 2019.

Fig. 2. Mise en scène des Tyrannoctones au Palazzo Massimo.

© T.-A. Besnard, janvier 2019

Fig. 3-3bis. Le Discobole et ses déclinaisons, présentées à Rome / L’Hercule Farnèse et ses déclinaisons présentées à Venise.

© T.-A. Besnard, 2019 / © T.-A. Besnard, 2015

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Notes

1 M. Serlorenzi, M. Barbanera, A. Pinelli (dir.), Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci : catalogue de l’exposition présentée au Palazzo Massimo et à la Crypta Balbi de Rome, du 13 décembre 2018 au 7 avril 2019, Milan, 2018.

2 T. A. Besnard et M. Scapin (dir.), Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop : catalogue de l’exposition présentée au musée Saint-Raymond, musée d’archéologie de Toulouse, du 22 février au 22 septembre 2019, Toulouse, 2019.

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Pour citer cet article

Référence papier

Tiphaine Annabelle Besnard, « 2019 : l’année pop des musées d’archéologie. Retour sur l’exposition romaine Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci »Anabases, 30 | 2019, 171-176.

Référence électronique

Tiphaine Annabelle Besnard, « 2019 : l’année pop des musées d’archéologie. Retour sur l’exposition romaine Il classico si fa pop. Di scavi, copie e altri pasticci »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2021, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10037 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10037

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