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Comptes-rendus
Littérature

Roxana Pinto, Ida y vuelta

San José, Uruk Editores, 2016
Sergio Coto-Rivel
Référence(s) :

Roxana Pinto, Ida y vuelta, San José, Uruk Editores, 2016.

Texte intégral

1Pour moi, rentrer dans la lecture du roman de Roxana Pinto veut dire inexorablement rentrer dans Paris, la parcourir, la sentir, la déguster, mais aussi se laisser guider par la main afin de la découvrir et la redécouvrir. C’est aussi rester assis sur une terrasse et regarder les passants attentivement dans leur splendeur quotidienne, le mouvement des rues, les bruits des voitures et des enfants. Et c’est justement cette quotidienneté qui s’impose d’une manière récurrente et douce tout au long du récit. Ce n’est pas le Paris monumental qui nous interpelle avec ses lignes droites et homogènes et ses places royales, mais son versant chaleureux et vivant qui se dessine dans les descriptions évocatrices de la protagoniste.

2Grâce à cette présence forte de l’espace urbain on pourrait dire que la ville se présente aussi comme un personnage important dans le récit et non pas comme un simple décor qui situe l’action, elle interagit avec les personnages, se montre et se fait sentir. De ce fait, nous ne pouvons pas, à mon avis, comprendre la ville en tant qu’un simple contexte narratif, puisque celle-ci prend également de l’ampleur dans l’espace imaginaire ou rêvé, mais aussi vécu et évoqué. Et c’est justement dans ce sens que l’idée de « Ida y vuelta » d’aller-retour devrait être comprise au pluriel, « des aller-retours ». Ce sont des départs et des retours récurrents qui se suivent. Pour cela, le déplacement entre San José et Paris —déjà implicite dans le titre du roman— n’est pas le seul aller-retour d’Anadí —protagoniste du récit. Le titre implique le déplacement entre les deux villes effectué aussi par d’autres moyens tels que l’évocation et le souvenir. Paris est rêvée et imaginée avant d’y poser les pieds, elle fait partie de la vie familiale de la protagoniste et de son imaginaire. Je vais vous lire un extrait où l’on trouve cette identification de l’imaginaire :

  • 1 Pinto, Roxana, Ida y vuelta, San José, Uruk Editores, 2016, p. 36.

« Hace ya trece meses que asistimos a clases, cuando al mirar hacia la ventana y ver por primera vez nevar, me levanto del asiento gritando : —Neige !, Neige !—. Geneviève me mira extrañada y con un aire de desaprobación. Nunca llegó a saber que en ese momento cobraba vida aquella tarjeta postal en blanco y negro con que mi padre acostumbraba a marcar la página del libro que leía1 »

3Ainsi on pourrait dire que l’arrivée dans un endroit largement évoqué et imaginé n’est autre chose que le fait de le reconnaître, une sorte de constatation qui sert à compléter les détails du tableau, mais qui peut aussi mener le sujet vers la déception face à des réalités forcement moins idylliques. La narratrice invite le lecteur à la suivre dans une série d’aller-retours, comme une sorte de visite constante au San José de sa jeunesse aux rues imprégnées de souvenirs et de personnages familiers. De cette manière le récit parcourt constamment ces espaces : Paris dans le souvenir, le Paris contemporain, le San José d’autrefois, le San José du retour. Mais non seulement, parce que ces derniers semblent aussi se mélanger par moments. On retrouve alors, d’après la narratrice, des touches de Paris à San José qu’elle identifie aisément, des touches la renvoyant à nouveau en France, maintenant dans le souvenir. Ce sont donc des aller-retours continuels entre le souvenir, la mémoire, l’évocation et le rêve.

4Et c’est notamment cette idée de l’évocation de Paris qui a structuré un imaginaire considérable idéalisant la ville lumière, très présent en Amérique latine et perpétué par ses écrivains. C’est l’éblouissement parisien qui a inspiré tant de latino-américains.

5Si l’on parcourt rapidement la littérature latino-américaine du xxe siècle on doit faire référence à la présence aussi bien imaginaire que mythique et réelle de la ville de Paris et son influence sur la vie et l’œuvre de nombreux écrivains de la région. L’étape parisienne chez Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Brice Echenique, Julio Ramón Ribeyro constitue une expérience incontournable. Que peut-on dire de Julio Cortázar qui a fait de Paris sa résidence définitive ? Et lorsqu’on regarde encore plus loin dans le temps le exemples sont aussi abondants : Alejo Carpentier, Miguel Ángel Asturias, César Vallejo, Vicente Huidobro, José Asunción Silva, Enrique Gómez Carrillo. Egalement pour les femmes, malheureusement peu citées dans ces listes : María Luisa Bombal, Victoria Ocampo, Teresa de la Parra, Elena Garro.

6Paris comme capitale littéraire du continent américain a été construite grâce non seulement à l’histoire particulière de la ville elle-même qui tout au long du xixe siècle se place comme le phare annonçant la modernité, mais aussi grâce à la liste importante d’artistes et d’écrivains cherchant en elle ce lieu idéal de rencontre entre les arts, les opportunités et l’amour. Même si cette conjonction se réalise rarement. Anadí représente bien cette influence, son amour de Paris vient de loin et c’est pour cela que je ne peux pas m’empêcher de parler ici d’une partie de cette histoire de rapports étroits entre la France et l’Amérique latine qui engendre tant de discours littéraires. Par exemple les nouveautés arrivant de Paris ont su nourrir les rêves d’intellectuels et des bourgeois de l’autre côté de l’Atlantique, mais non seulement les nouveautés littéraires, les vers d’Hugo et de Baudelaire, mais aussi les produits représentatifs de la modernité : la mode parisienne s’impose et la visite de la ville lumière se fait incontournable.

7Tous ces écrivains du xxe siècle sont héritiers en quelque sorte de l’esthétique et l’imaginaire moderniste véhiculé dans une littérature accordant une place importante à l’espace cosmopolite, mélangé et exubérant de Paris pour le transformer en impressions ou sensation qui rendent compte de cet espace urbain. Et le père de ce mouvement est aussi un centre-américain à Paris : le Nicaraguayen Rubén Darío, référence incontournable de la littérature hispanique entre deux siècles. Le Paris raconté par Darío est celui de l’Exposition universelle, de l’avance technologique et l’insouciance de ceux qui n’ont pas connu la guerre. En ce sens, nous pouvons lire une partie de la production moderniste comme une volonté de faire sortir la littérature latino-américaine d’un provincialisme ancien et la placer dans un cadre universel. La voix poétique et le regard de Darío se posent sur l’espace parisien pour l’observer et l’analyser en détail. D’ailleurs, dans ses chroniques nous pouvons trouver le même processus de construction de la ville à partir du rêve et de l’imaginaire littéraire comme le fait Anadí dans Ida y vuelta. Darío dit ceci à propos de sa première visite à Paris :

  • 2 Darío, Rubén, La vida de Rubén Darío escrita por él mismo, Barcelona, Casa Editorial Maucci, 1916, (...)

« Yo soñaba con París desde niño, a punto de que cuando hacía mis oraciones rogaba a Dios que no me dejase morir sin conocer París. París era para mí como un paraíso en donde se respirase la esencia de la felicidad sobre la tierra. Era la Ciudad del Arte, de la Belleza y de la Gloria ; y, sobre todo, era la capital del Amor, el reino del Ensueño. E iba yo a conocer París, a realizar la mayor ansia de mi vida. Y cuando en la estación de Saint Lazare, pisé tierra parisiense, creí hallar suelo sagrado2 »

8Cette référence de comment on imagine la ville avant de la voir pour la première fois mêlant les idées à la fantaisie et au désir peuvent être retrouvés chez de nombreux écrivains qui se sont aventurés dans l’expérience parisienne. Et pour moi c’est aussi le cas de Roxana Pinto et le roman que nous pouvons lire aujourd’hui, mettant en scène une protagoniste qui réalise ses études en France et tombe amoureuse d’un mode de vie, d’une tradition littéraire et des rêves que la ville lui ont inspirés depuis longtemps, ce qui la fait rester plus que prévu.

9Anadí représente pour moi une grande force et une volonté nécessaire pour faire face à l’exile et à la différence culturelle, sa propre différence rayonne, comme une particularité presque prédestinée sur son prénom complètement à l’envers. C’est justement ce personnage féminin, plein d’espoir et d’envie de travailler, d’écrire, de peindre et d’aimer qui mène le récit et son lecteur dans les rues de la capitale. Cependant, le regard ne reste pas figé sur ce paysage gris et souvent froid, il fait traverser l’Atlantique toute une palette de couleurs tropicales : d’abord dans le l’évocation de l’enfance et les souvenirs du père absent et ensuite dans un projet de fresque qui imprime la jungle sur la rue du Commerce.

  • 3 Pinto, Roxana, Ida y vuelta, pp. 45-46.

10Je voudrais pour finir reprendre une nouvelle fois cette idée d’aller-retour, plus que comme un déplacement, comme un entre-deux, c’est-à-dire une situation impliquant les deux espaces à la fois, mais aussi aucun. Il s’agit là d’une situation constamment évoquée par ceux qui ont quitté leur pays et ont adopté une nouvelle patrie : les deux amours dont parlait Joséphine Baker. Être à deux endroits en même temps, c’est être toujours ailleurs. Cela nous renvoie inévitablement à la question de l’identité et de l’appartenance, où se trouve la patrie ? Anadí se pose la même question dans le récit. Avoir deux patries peut parfois vouloir dire n’en avoir aucune : doublement citoyen, mais doublement étranger : « no me ha quedado más remedio que aceptar vivir dividida entre dos países, dos idiomas, dos culturas y no ser ni de aquí ni de allá3 ».

11Effectivement les aller-retours n’en finissent pas dans le récit, ils sont constants et laissent des traces sur les amis rencontrés et sur la famille que l’on quitte. Comme disait Edmont Haraucourt : « Partir c’est mourir un peu/ c’est mourir à ceux qu’on aime » et l’entre deux du départ et du retour laisse inévitablement des absences douloureuses.

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Notes

1 Pinto, Roxana, Ida y vuelta, San José, Uruk Editores, 2016, p. 36.

2 Darío, Rubén, La vida de Rubén Darío escrita por él mismo, Barcelona, Casa Editorial Maucci, 1916, XXXII.

3 Pinto, Roxana, Ida y vuelta, pp. 45-46.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sergio Coto-Rivel, « Roxana Pinto, Ida y vuelta »Amerika [En ligne], 15 | 2016, mis en ligne le 12 décembre 2016, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/7543 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.7543

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