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Comptes-rendus
Cinéma

Gerd Gemünden, Continental Strangers : German Exile Cinema, 1933-1951

New York, Columbia University Press, 2014
Yves Laberge
Référence(s) :

Gerd Gemünden, Continental Strangers : German Exile Cinema, 1933-1951, New York, Columbia University Press, 2014.

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Mots-clés :

cinéma, Hollywood

Géographique :

États-Unis
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Texte intégral

1Plus Germaniste et professeur au Collège Dartmouth au New Hampshire, Gerd Gemünden s’est intéressé aux artistes européens exilés à Hollywood avant et pendant la Deuxième guerre mondiale. La liste de ces cinéastes, acteurs et actrices serait trop longue à reproduire ; retenons que ces créateurs allemands, autrichiens et polonais étudiés dans ce livre ont contribué à façonner l’esthétique du Film Noir américain des années 1940 tout en appauvrissant considérablement le cinéma européen de cette même période. La présence de Fritz Lang, Billy Wilder, Marlene Dietrich, Peter Lorre (sur la couverture), ou encore le grand Conrad Veidt (qui interprétait le terrifiant personnage du somnambule dans le film allemand Le Cabinet du Docteur Caligari). Des réalisateurs spécialisés dans le suspense comme Fritz Lang, William Dieterle, Robert Siodmak pouvaient rivaliser avec Alfred Hitchcock, lui-même venu d’Angleterre ; Detlef Sierck était déjà le maître du mélodrame avant d’arriver à Hollywood pour donner ses lettres de noblesse à un genre souvent décrié, désormais sous le nom américanisé de Douglas Sirk.

2Dans son premier livre, Gerd Gemünden ne se contente pas de faire une simple histoire des films de cette période, ce qui en soi serait néanmoins intéressant ; il considère l’ensemble de ce corpus considérable mais cohérent pour l’examiner dans son ensemble avec ses discours inhérents sur le nazisme, le patriotisme et les valeurs démocratiques déjà prônées par les films américains (p. 116). Le nombre considérable de films antinazis produits aux États-Unis avant même leur entrée en guerre permet d’élaborer une analyse thématique sur les personnages, les situations, et les idéologies sous-jacentes de ces innombrables longs métrages. Qui de mieux que ces exilés et réfugiés ayant été expulsés de leur patrie pour inventer des intrigues documentées sur l’Europe occupée et ses occupants ? Et qui de mieux que d’authentiques acteurs à la physionomie germanique pour jouer les « méchants Allemands » sur les écrans de Hollywood ? Parmi une foule de collaborations internationales, on voit donc Bertolt Brecht rédiger un scénario d’un film antinazi qui sera réalisé par Fritz Lang dans les studios hollywoodiens : Hangmen Also Die ! (Les bourreaux meurent aussi, 1943) (p. 110). D’autres partenariats improbables verront le jour durant les années 1930 et 1940. Ainsi le réalisateur William Dieterle réinventera quelque peu l’Affaire Dreyfus dans un film biographique très hollywoodien intitulé The Life of Émile Zola (1937) (p. 57). Ici, les images représentant les autodafés où les livres de Zola étaient brûlés sur la place publique en 1897 prenaient alors dans la reconstitution réalisée par Dieterle une résonnance très actuelle pour le spectateur de 1937 qui venait de voir sur les actualités filmées des autodafés similaires pratiqués au même moment par les nazis envers les œuvres d’auteurs juifs-allemands (p. 63).

3Rigoureusement, Continental Strangers : German Exile Cinema, 1933-1951 met en évidence les apports de ces cinéastes formés à l’européenne, souvent avec une préoccupation esthétique héritée de l’Âge d’or du cinéma allemand. Sur le plan idéologique, certains de ces opposants au fascisme ont par la suite été classés comme des contestataires proches du communisme, d’où les inquiétudes de certains de ces créateurs durant la « chasse aux sorcières » qui débute dès 1947 envers les pseudo-communistes. Beaucoup ont hésité entre deux options : rentrer au pays ou rentrer dans le rang en restant en sol américain. Or, ces émigrés allemands ayant tenté de rentrer au pays après la dénazification, c’est-à-dire pour la plupart en RFA, ont souvent connu l’échec et ce pour deux raisons principales (p. 188). D’abord, l’Allemagne en ruines était soumise à une forme d’acculturation afin de la débarrasser de toute référence au nationalisme ou à l’esprit patriotique, deus sentiments trop longtemps mobilisés par l’idéologie nazie. La place de la culture américaine était alors envahissante et considérée comme un rempart contre le retour des anciens démons. Par ailleurs, l’expérience peu concluante du retour des anciennes gloires d’avant l’avènement du nazisme se faisait quinze ans après leur gloire d’autrefois, ce qui est très long dans le domaine artistique. Mais qui plus est, c’est toute la structure des studios, des salles de cinéma et des réseaux de distribution qui était à refaire ou à réaménager, et à ce moment crucial, les dés se mettaient en place pour avantager la circulation des produits culturels du nouvel occupant dominant l’Allemagne de l’Ouest, au détriment des productions ouest-allemandes.

4On lira Continental Strangers : German Exile Cinema, 1933-1951 pour sa présentation exhaustive du cinéma hollywoodien d’une période déterminante, que la France a vu déferler de manière abondante seulement après la Libération. Les sources, les archives et les témoignages auxquels se réfère Gerd Gemünden impressionnent par leur richesse et leur diversité. Plus qu’un livre sur le cinéma allemand et/ou le cinéma américain, Continental Strangers est une étude interdisciplinaire mobilisant les théories sociales des transferts culturels et de l’interculturel entre l’Europe et l’Amérique. Pour cette raison, ce livre n’a aucun équivalent en français et sera d’intérêt autant pour les germanistes que pour les américanistes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Yves Laberge, « Gerd Gemünden, Continental Strangers : German Exile Cinema, 1933-1951  »Amerika [En ligne], 12 | 2015, mis en ligne le 29 mai 2015, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/6097 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.6097

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Auteur

Yves Laberge

Université d’Ottawa

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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