Navigation – Plan du site

AccueilNuméros7Résonances dans la presse, de la ...

Résumés

La presse commerciale mexicaine a contribué à la construction de nouvelles identités sexuelles et de genre en donnant la parole à des militantes féministes, intellectuelles, au sein de leurs rédactions où elles interviennent avec une grande liberté d'écriture. Le rôle de ces collaboratrices consiste précisément à diffuser de nouvelles idées sur les femmes, les rapports entre les sexes, à la lumière du discours politique, en matière d'éducation sexuelle et de planification familiale.  À partir d'une sélection d' articles issus des plus grands quotidiens mexicains des années 1970 (Novedades, El Universal, Unomásuno), l'analyse de contenu dégagera les stratégies mises en place par deux intellectuelles et militantes féministes, Elena Urrutia et Marta Lamas, d'une part pour décrypter les insuffisances du discours officiel en matière de politique sexuelle, sous les présidences de Luis Echeverría Álvarez et José López Portillo, et d'autre part pour proposer une analyse féministe en matière de sexualité au regard des pratiques culturelles.

Haut de page

Entrées d’index

Géographique :

Mexique
Haut de page

Texte intégral

1La presse commerciale mexicaine a contribué à la construction de nouvelles identités sexuelles et de genre en donnant la parole à des militantes féministes, intellectuelles, au sein de leurs rédactions où elles interviennent avec une grande liberté d'écriture. Le rôle de ces collaboratrices consiste précisément à diffuser de nouvelles idées sur les femmes, les rapports entre les sexes, à la lumière du discours politique, en matière d'éducation sexuelle et de planification familiale. Elles tentent de proposer de nouvelles représentations sociales du masculin et du féminin à une société imprégnée d’une culture hégémonique essentiellement misogyne. La presse devient alors un « espace public », selon la terminologie de J. Habermas (1978), à la fois lieu d'échanges d'idées en lien avec un territoire géographique.

2La présidence de Luis Echeverría Álvarez (1970-1976), au service d'une « ouverture démocratique », permet l'émergence d'un nouveau discours sur les femmes, dans le sillage de l'Année internationale de la femme (1975). Le néo-féminisme qui émerge alors place le corps des femmes au cœur de ses préoccupations. Cependant, les politiques sexuelles mises en œuvre par l'État, dirigé tour à tour par L. Echeverría et J. López Portillo, à partir de 1976, n'y répondent qu'en partie. Ces deux axes, féministe et politique, construisent un discours de presse propre à mesurer les désaccords entre les voix officielles et les voix alternatives.

3À partir d'une sélection d'articles issus des plus grands quotidiens mexicains de l'époque (Novedades, El Universal, Unomásuno), l'analyse de contenu dégagera les stratégies mises en place par deux intellectuelles et militantes féministes, Elena Urrutia et Marta Lamas, d'une part pour décrypter les insuffisances du discours politique et d'autre part pour proposer une analyse féministe en matière de sexualité au regard des pratiques culturelles.

Les années d' « ouverture » : les faux semblants

Le contexte politique national et international

  • 1  Le point culminant en est le massacre de la Place des Trois Cultures, le 2 octobre 1968.

4La présidence de L. Echeverría (1970-1976) est associée à l’ « ouverture démocratique » qui a suivi la répression du mouvement estudiantin sous le gouvernement de Gustavo Díaz Ordaz1, tandis que la présidence de J. López Portillo, à partir de 1976, marque le retour au conservatisme. Avec l’arrivée de L. Echeverría au pouvoir, en 1970, les attentes démocratiques sont intactes. Ministre de l’Intérieur sous le gouvernement antérieur, le nouveau président se veut l’homme de l’ « ouverture démocratique », des réformes sociales et politiques accompagnées d’une plus grande liberté d'expression dans la presse.

5Le pays s’ouvre alors aux débats qui secouent le monde autour de l’émancipation des femmes, en accueillant, dans la capitale, du 19 juin au 2 juillet 1975, la première conférence sur la situation des femmes dans le monde, organisée par les Nations Unies. L’effervescence règne au sein des groupes féministes récemment organisés qui accueillent l’événement de façon ambivalente, en y participant activement ou en le boycottant. Dans les organes de presse, le thème de la situation de la femme est à l’honneur, plus par opportunisme que par conviction.

6Dans ce contexte politique, national et international, le programme de planification familiale, qui fait partie de la politique démographique du Gouvernement (« Ley General de Población »), est présenté et discuté par le secrétaire d’Etat, Mario Moya Palencia, le 16 octobre 1973, à la Chambre des Députés, et approuvé le 26 novembre. Il répond plus à des motivations politiques et idéologiques qu’à une volonté de favoriser l’autonomie des femmes. Il se plie en effet aux exigences des accords internationaux onusiens approuvés pour la Décennie de la Femme (1975-1985) (Barbieri, 1986 : 23).

7La préparation de l’Année internationale de la femme (1975) et de la Conférence internationale sur la femme qui doit donc se dérouler dans la capitale mexicaine montre que ces manifestations servent d'alibi à un Gouvernement à la recherche d'une reconnaissance internationale. Laura Castellanos décrit un « président [qui] s’obstine à vouloir se présenter comme le meilleur candidat au prix Nobel de la paix » (Castellanos, 2009 : 283).

8Afin d’accueillir la première conférence internationale sur la femme, le gouvernement mexicain comme les 140 autres pays invités s’est engagé à modifier sa Constitution pour promouvoir l’égalité juridique et sociale entre les sexes. L’article 4 affirme désormais le principe selon lequel :

El varón y la mujer son iguales ante la ley. Esta protegerá la organización y el desarrollo de la familia. Toda persona tiene derecho a decidir de manera libre y responsable e informada sobre el número y el espaciamiento de sus hijos.

(Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos, Art 4, 1991 : 9)

9La modification de l’article 4 sur la planification familiale, en 1972, ouvre un espace de discussion sur l’avortement tout en le justifiant. Le débat sur la dépénalisation progresse sous le Gouvernement de L. Echeverría mais il se fige à nouveau avec l’arrivée de J. López Portillo (1976). C’est en effet le gouvernement de L. Echeverría qui a permis la première discussion publique sur l’avortement, qui devient alors un problème politique de santé publique, par la mise en place du Groupe interdisciplinaire sur l’Avortement (Grupo Interdisciplinario del Aborto, GIA), issu du Conseil National Démographique (CONAPO, Consejo Nacional de Población).

10Créé en 1974, le CONAPO est chargé de l’aménagement du territoire et de la politique de peuplement en accord avec les modifications de l’article 4 de la Constitution. En juin 1976, il met en place un « Groupe interdisciplinaire pour l’Étude de l’Avortement au Mexique », dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour la femme (1976-1985), avec la participation de spécialistes de différentes disciplines, médecins, juristes, psychologues, démographes, économistes, philosophes et anthropologues (Lamas, 2001 : 121). Ce groupe de 80 personnes réunit démographes, économistes, psychologues, médecins, avocats, anthropologues, philosophes et des représentants des religions du Livre pour étudier les implications de l’avortement (Lamas, 1992 : 12). Le sujet n’est plus tabou, la presse s’en empare en donnant la parole aux voix féministes qui s’organisent (Tarrés, 1991).

Les idées féministes dans la presse commerciale

11Les années 1970 voient émerger un néo-féminisme qui prend en compte toutes les facettes de la personne comme sujet démocratique et économique en s’attachant en particulier à défendre le droit à disposer de son corps. Cette revendication fait l’unanimité au sein de tous les mouvements féministes des années 1970 (Hirata, 2000 : 1). Cette deuxième vague du féminisme prolonge le féminisme qui, en tant que mouvement collectif de luttes de femmes, se manifeste comme tel dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle et qui est marqué par les luttes pour l’accès à l’éducation, réel moteur de l’émancipation, et l’obtention du droit de vote, premier pas vers l’égalité juridique (Hirata, 2000 : 126).

12L'action collective des féministes mexicaines porte précisément sur la dépénalisation de l'avortement, la grande absente de la planification familiale mise en place par le gouvernement de L. Echeverría. Les groupes féministes de la capitale, indépendamment de leur appartenance politique, s’unissent donc autour de cette même demande : la dépénalisation de l’avortement. En 1976, naît la Coalition des Femmes féministes (Coalición de Mujeres Feministas, CMF) qui regroupe les six organisations féministes de la capitale (Movimiento Nacional de Mujeres (MNM), Movimiento Feminista Mexicano, Colectivo de Mujeres, Colectivo La Revuelta, Movimiento de Liberación de la Mujer, Grupo Lucha Feminista) autour d’un seul slogan : « pour un avortement libre et gratuit » (M. Lamas, El Universal, 20/12/77). Cette demande de modification de la loi en matière d'avortement s'accompagne d'une demande d'éducation sexuelle, qui ne trouve pas non plus sa place dans le discours officiel.

  • 2  Ruiz Castañeda, 1974 : 287.
  • 3  Ross, 1965 : 377.
  • 4  Flores Quintero, 2008 : 9.

13La presse constitue alors une tribune où s'épanouit l'analyse féministe. La diffusion du féminisme au Mexique a pris corps dans les quotidiens nationaux les plus importants, élaborés dans la capitale, dans les plus anciens et plutôt conservateurs, comme El Universal (1916)2, et Novedades (1937)3,ou les plus récents et plus progressistes, comme unomásuno (1977)4, où collaborent deux figures de proue du féminisme mexicain : M. Lamas et E. Urrutia. M. Lamas (n. 1955), alors jeune militante féministe, commence avec ces mots son premier article dans El Universal : « A partir de hoy EL UNIVERSAL me ofrece la posibilidad de expresar mis opiniones desde una perspectiva feminista. Esto me pone en la difícil situación de tratar de explicar en unas cuantas cuartillas qué es el feminismo » (El Universal, 29 /11/1977). Elle donnera ses analyses dans la publication hebdomadaire d'un commentaire entre 1977 et 1982 en faisant preuve d’un militantisme exigeant et intransigeant, surtout pour demander la dépénalisation de l’avortement, son cheval de bataille.

14Quant à E. Urrutia (n.1932), c'est est une femme de lettres, féministe, et elle est responsable de la rubrique « Libros » dans le supplément culturel dominical La Onda du quotidien Novedades, entre 1974 et 1980. Elle collabore aussi au tout jeune journal de gauche unomasuno, entre 1978 et 1980. Toutes deux sont donc invitées par les rédactions, ce sont des femmes cultivées, des intellectuelles, sans formation journalistique qui font de la presse un lieu d’expression des revendications des femmes rassemblées sous la bannière du féminisme.

15Un dialogue s'instaure dans la presse, entre le discours officiel et l'analyse féministe, sur la politique de planification familiale qui, selon les féministes, ne peut pas faire l'impasse sur une dépénalisation de l'avortement et de façon plus large sur une éducation sexuelle. Cette perspective révèle les limites du discours officiel, fondé sur des considérations politiques set économiques, pour le président L. Echeverría, et d'éthique, pour le président J. López Portillo.

Un dialogue de sourds

16M. Lamas et E. Urrutia dénoncent un « féminisme gouvernemental » dont les mesures ne donnent pas les clefs pour repenser les rapports sociaux de sexe comme source d'inégalité entre les hommes et les femmes.

Planification familiale et contrôle de la natalité

17En matière de planification familiale, la politique du gouvernement, à l'écoute des sirènes internationales et dans l'ombre des médias de masse, selon E. Urrutia, prend des allures d'un contrôle coercitif de la natalité, que dénonce M. Lamas.

18L'article d'E.Urrutia, intitulé « Píldoras sin contenido »(Unomasuno, 19/08/1978), dénonce dans cette une accroche, une forme d'escroquerie. Elle analyse un feuilleton télévisé Manuel y María, un amor sin secretos, comme outil didactique auprès des couples en matière de planification familiale en mesurant les limites de l'entreprise. Le produit actif, la pilule, permet de réguler la procréation du couple. Cependant, il lui manque un contenu, une éducation sexuelle (« instruir sobre la sexualidad y la reproducción ») et une remise en cause des rôles dans le couple. La planification familiale y est défendue de façon très maladroite, selon E. Urrutia, par des « entreprises, des institutions », « les médias de masse », qui résument l’affaire à une décision unilatérale, celle du mari, détenteur de l'autorité sur le sujet : « (‘Manuel dice’ ; ‘Manuel manda’ ; ‘Manuel decide’ ; ‘Manuel da permiso’, etcétera) ». La compagne de Manuel, María, se rend au Centre de santé seulement parce que « Manuel quiere ». Orienter le lecteur vers un Centre de Santé « est excellent », affirme E. Urrutia, mais « les grandes déficiences » du feuilleton « illustrent clairement les procédés paternalistes et manipulateurs des concepteurs ». Elle vérifie les lois du genre de la « telenovela », support de « modèles et valeurs aliénantes ».

  • 5  FNUP : Fonds des nations unies pour la population. FAO : Food and Agriculture Organization.

19Par ailleurs, elle rend compte des difficultés rencontrées pour identifier les sources, malgré ses recherches réalisées avec le plus grand soin (« cuidadosamente ») : « Ignoro qué institución concibió, publicó y distribuyó la fotonovela Manuel y María, un amor sin secretos ». Elle s'interroge :« ¿ Serán la FAO o la FNUP5 las responsables ? » Elle laisse le lecteur tirer les conclusions en suggérant les intérêts de ces organismes internationaux, qui cherchent à limiter les naissances dans les pays du Tiers monde. L'intérêt de ces instances est de diminuer le poids de ces pays sur la scène internationale sans réelle préoccupation pour l’égalité entre les hommes et les femmes et pour l’émancipation de celles-ci. E. Urrutia reconnaît que l’intention des auteurs du feuilleton est louable mais le résultat n’est pas à la hauteur. Désirer avoir moins d’enfants implique une perspective nouvelle et progressiste quant au rôle de chacun dans le couple.

20Le contrôle de la natalité semble servir les desseins de ces organismes internationaux, comme le démontre M. Lamas dans un article intitulé «Campesinas «controlables » Planificación Genocida » (El Universal, 17/10/1978) qui met à mal le Gouvernement de L. Portillo. Ce dernier, dans une approche quantitative, affiche des objectifs chiffrés qui laissent planer un doute dans les esprits quant à la prise en considération de l’intégrité physique et morale des femmes. C’est ce que dénonce M. Lamas dans son article. Le titre comporte une grave accusation puisqu’il suggère que le contrôle des naissances se réaliserait de façon forcée et violente, dans l'irrespect des droits humains, dont sont victimes les paysannes, faciles à leurrer et avec l’objectif de diminuer la population paysanne qui dans sa grande majorité est indienne. Le commentaire de M. Lamas part d’une annonce gouvernementale, aux objectifs chiffrés, publiée dans le quotidien El Universal :

El 4 de octubre pasado este periódico publicó la noticia de que la Secretaria de la Reforma Agraria incorporará a 3.073,000 campesinas al Programa de Planificación Familiar Rural, ‘lo que permitirá alcanzar las metas nacionales de reducción del índice de natalidad del 3.2% anual en la actualidad al 2.5%.

(M. Lamas, El Universal, 17/10/1978)

  • 6  Publiée aux Ed. SPAUNAM, México, 1977, 108 pages. Les auteurs sont connus pour leurs travaux sur l (...)

21Son analyse est fondée sur une étude, « excellente et exhaustive », de Mario Rivera et Carlota Guzmán6, intitulée « los despobladores ».Il s’agit d’une « critique des programmes de planification familiale », applicable aux campagnes au Mexique :

Sus conclusiones son aterradoras. Además de conclusiones generales ya conocidas, como que este tipo de programas son parte fundamental de la estrategia general del imperialismo norteamericano para perpetuar el coloniaje económico y político en América Latina, Rivera y Guzmán señalan cuestiones particulares de estos programas. Ellos señalan que se ha comprobado en la práctica internacional que tales programas, aplicados bajo el principio de la libertad individual, constituyen un fracaso rotundo y que, para alcanzar los objetivos […] se tiene forzosamente que llegar a los métodos compulsivos y al genocidio, en cualquiera de sus variantes.

(M. Lamas, El Universal, 17/10/1978)

22Ces programmes chiffrés, aux résultats quantitatifs escomptés, omettent de prendre en compte les composantes culturelles propres aux populations visées, que M. Lamas énumère dans ces questions chargées de mauvais présages :

¿Cómo se va a ‘convencer’ a las mujeres de que no tengan más hijos, si se sabe que, sobre todo en el campo, éstos significan ayuda económica y seguridad para la vejez? […] Y a mujeres que han sido educadas dentro del convencimiento de que tener hijos es su misión en la vida, ¿qué otras alternativas, otras opciones de participación se les van a ofrecer? […].

(M. Lamas, El Universal, 17/10/1978)

23Ces questions auxquelles le Gouvernement n’apporte pas de réponse, révèlent les limites et les contraintes de ces programmes, que met en avant M. Lamas : « Las pautas culturales son las más difíciles de cambiar, y sólo se logra esto por una expresa voluntad de cambio y no por imposiciones autoritarias ». (El Universal, 17/10/1978).

24Les programmes de planification familiale, des deux Gouvernements successifs, de L. Echeverría et de J. López Portillo, font l’impasse sur les mesures éducatives et économiques en faveur des femmes qui leur permettraient d’en tirer tous les bénéfices, de façon libre et réfléchie et non sous la contrainte qui peut prendre la forme de « la stérilisation sans assentiment », conclut M. Lamas. Cette dernière prend la défense de ces femmes, « les plus exploitées et opprimées », en réitérant ses craintes, qui sont celles des féministes, face à ces programmes : « Las feministas tememos que estos programas se realicen de manera coercitiva, impositiva, como de hecho ha estado ocurriendo ya en algunas zonas urbanas » (El Universal, 17/10/1978). Cette opposition aux mesures gouvernementales ne se fige pas dans un refus stérile, M. Lamas expose de façon opportune la proposition des féministes qui se fonde sur la défense du libre arbitre des femmes, la seule et unique priorité, soulignée dans le texte :

Las feministas no nos oponemos a la opción de que las mujeres controlen su fertilidad, siempre y cuando sea de manera voluntaria […]. No planteamos que una maternidad irrestricta sea lo óptimo para todas las mujeres, sino que luchamos por una maternidad voluntaria.

(M. Lamas, El Universal, 17/10/1978)

25La question finale, adressée au lecteur, clôt le commentaire de façon circulaire en reprenant les objectifs chiffrés du gouvernement exposés au début de l'article, la réponse non formulée, clairement sous-entendue, vient légitimer l’argumentation de M. Lamas : « ¿Cómo abatir el 3.2% a 2.5% sin genocidio? ¿Alguien puede contestar? » L’information du Gouvernement cherche à impressionner tout en suggérant son efficacité. Cette appréhension du réel donne une hégémonie au quantitatif au détriment d’une compréhension des réalités culturelles et socio-économiques du pays. La « bonne » nouvelle omet l’essentiel : le qualitatif.

26Une planification familiale complète ne peut faire abstraction de la question de la dépénalisation de l'avortement.

La dépénalisation de l'avortement : une question de santé publique

27La planification familiale du « féminisme gouvernemental », dans une perspective féministe, a pour nom « la maternité volontaire », qui inclut la dépénalisation de l'avortement. Mais la légitimité des propositions féministes doit affronter des modèles sociaux et des mentalités profondément enracinés dans des représentations figées des rôles sexués, relayées par une solide culture religieuse, catholique, conservatrice et contraire à une ouverture des esprits.

  • 7  Marie Claire Acosta, Flora Botton-Burlá, Lilia Domínguez, Isabel Molina, Adriana Novelo et Kira Nú (...)

28Précisons que l'Année internationale de la femme a été l'occasion de faire un bilan sur la situation des femmes et en particulier des pratiques abortives au Mexique. Les chiffres sont accablants, la situation effroyable. E. Urrutia communique les résultats d’une étude sur le sujet, intitulée El aborto en México, de Marieclaire Acosta, Flora Botton-Burlá, Lilia Domínguez, Isabel Molina, Adriana Novelo et Kira Núñez, qui fait l'objet d'un livre7, « objetivo y seriamente documentado » (Novedades, 15/08/1976). Malgré la difficulté d’obtenir des informations, à cause « des restrictions légales et morales » et de la clandestinité de l’acte, cela concernerait, pour 1968, 600 à 700 000 femmes :

 […] las autoras hacen una caracterización general de la mujer mexicana que más comúnmente recurre al aborto, según datos de 1968 : 65% de casadas o que viven en unión libre ; 86% católicas, 70% madres de numerosos hijos ; 53% de 26 a 40 años; 68% de bajo nivel educacional; 76% de ingresos familiares insuficientes o precarios; 49% amas de casa; 19% dedicadas a los servicios o a la industria.

(E. Urrutia, Novedades, 15/08/1976)

29Les raisons évoquées sont diverses, personnelles ou économiques :

[…] número excesivo de hijos, 52%; mala situación económica, 27%; desavenencia conyugal, 12%; problemas profilácticos o terapéuticos, 3%; y, señalan las autoras, ‘los abortos permitidos por la ley dan apenas el 3,5% de inducidos, lo cual arroja un abrumador 96,5% de abortos ilegales’.

(E. Urrutia, Novedades, 15/08/1976)

30Dix ans plus tard, M. Lamas signale qu’au Mexique : « […] se realiza cerca de dos millones al año y entre cincuenta y ochenta mil mujeres mueren por abortos mal practicados » (El Universal, 23/05/1978). Une étude sur la femme au Mexique, publiée en 1975, révèle plus précisément, que dans la ville de Mexico, la mortalité maternelle due à l'avortement est de 20% (Rascón, 1975 : 82). Une autre enquête, de l’OMS, de 1978, corrobore ces données :

En 1978, se calculaba, aunque no hay manera de saberlo a ciencia cierta, que se llevaban a cabo dos millones de abortos al año y, de acuerdo con la Organización Mundial de la Salud (OMS) entre el 7 y el 14% de las mujeres que abortan fallecen, por lo que se calcula que quizá morían en México unas 140 mil al año a consecuencia de abortos mal practicados.

  • 8  Ana María Portugal (ed.) Mujeres e iglesia. Sexualidad y aborto en América latina, Catholics for a (...)

(Portugal, 1989 : 4)8

31Ces statistiques et ces études sociologiques montrent que la loi de 1931 sur l'avortement, dont l'origine remonte au Code Pénal de 1871 et qui permet l’avortement de façon très restrictive, seulement en cas de viol, s’avère inadaptée. L'interdiction et la menace de la sanction, très rarement appliquée, n'apportent pas de solution. Les enquêtes rapportées et publiées dans la presse tendent à enlever au débat sur l'avortement toute charge morale et passionnelle pour en faire une question de santé publique.

32E. Urrutia, à l'occasion de la publication de l'étude sur l'avortement, invite un spécialiste, le docteur Víctor Urquidi (« Aborto, ¿sí o no? », Novedades,15/08/1976). L’approche du sujet privilégie une approche sociale qui exclut tout argument économique et démographique. Le titre de l’article, une courte question averbale, propre aux sondages, suppose des positions extrémistes, sans nuance possible. La question est reprise dans le chapeau avec une volonté d’éclaircissement : « En otras palabras, ¿asesinato o control natal? Responde una investigación objetiva que recoge opiniones encontradas, argumentos reales para llegar a una conclusión razonable y socialmente necesaria ».

33À nouveau, la question à double entrée fixe des positions catégoriques qui suggèrent un jugement moral ou des mesures techniques inadaptées, qui sous-entendent que jamais l'avortement ne peut être considéré comme un moyen de contrôle des naissances. La phrase affirmative fait retomber la tension, elle concentre un appel à la raison, au jugement, à l'impartialité, face à une question sociale, coupant net toute velléité de fanatisme. Cette perspective est corroborée par les déclarations de Víctor Urquidi, convoqué à nouveau, par E. Urrutia :

[…] las condiciones en que se realiza el aborto en México constituyen un crimen social ya que la mujer que quiere hacerse un aborto no puede contar con los beneficios que le daría la legalidad y tiene que ponerse en manos no muy calificadas que pueden hacer peligrar su vida.

(E. Urrutia, Novedades, 15/08/1976)

34Par un procédé d’inversion, le spécialiste avance que ce sont les institutions qui sont responsables d’une situation tragique, voire criminelle, à l’endroit des femmes. Un autre médecin se situe dans cette perspective qui déplace complètement la question de l’avortement vers le domaine de la santé publique :

El doctor Manuel Mateos Cándano en la clara y valiente opinión que da a las autoras señala que la legislación sobre el aborto debería desaparecer del Código Penal, y reglamentarse el aborto en el Código sanitario como un problema de salud pública y no como un delito.

(E. Urrutia, Novedades,15/08/1976)

35E. Urrutia souligne ici le courage du médecin à formuler précisément ce genre de proposition.

  • 9  Ce groupe représente le courant fondamentaliste de l’Eglise catholique et s’inspire du groupe amér (...)

36De son côté, M. Lamas se fait l'écho d'une parole apaisante et compréhensive d'une partie de l'Eglise, face à l'avortement. Elle s'adresse alors en particulier au lecteur catholique, tout en sachant que « 86% des femmes qui avortent, sont catholiques » (E. Urrutia, Novedades, 15/08/1976).M. Lamas, détourne un slogan des groupes ultra-conservateurs anti-avortement en réclamant, dans le titre d’un article, « le droit à la vie » : « Legislación italiana / Aborto Legal : Derecho a la Vida » (El Universal, 23/05/1978). Au risque de heurter, elle associe les termes « avortement » et « vie », en écho au mouvement anti-avortement Pro-Vida9 qui vient de se constituer au Mexique. Le dernier paragraphe de l’article comprend de larges citations d’un texte écrit par un jésuite, « lucide et courageux », Enrique Maza, intitulé « El aborto, ¿moral o legal? », et publié antérieurement dans la revue politique Proceso (n°77, 24/04/1978). Enrique Maza enlève le vernis doctrinal à une situation de détresse sociale et humaine dont la résolution n’incombe pas à l’Eglise ».« A la Iglesia le toca legislar para las conciencias. Al Estado le toca legislar para el bien de la sociedad », affirme-t-il. M. Lamas reprend son développement, une sorte d’exhortation qui fait appel à la bienveillance :

Para él y para quienes coincidimos con su posición : « las causas del aborto no son fallas personales a la moralidad individual, sino consecuencias de males sociales más profundos ». Este lúcido y valiente jesuita termina su artículo con un párrafo conmovedor donde hace un llamado : « Estamos en otra dimensión, ante un mal social muy grave, no en la capillita de nuestras conciencias individuales, ajenas a las repercusiones sociales de nuestras posturas autosatisfechas con la defensa abstracta de la moralidad. Lo que va de por medio son seres humanos en situaciones aflictivas, no principios descarnados de moral sin historia y sin concreción. La moral real no se defiende con afirmaciones de principio, sino con la ayuda efectiva a los seres humanos en pecado y en conflicto. Otra cosa es hipocresía pura ».

(M. Lamas, El Universal, 23/05/1978)

37Légiférer est certes indispensable en matière de droits sexuels et reproductifs mais cette étape politique reste insuffisante si elle n'est pas accompagnée d'une éducation sexuelle.

Education sexuelle et double morale

38L'analyse féministe révèle les limites des programmes institutionnels d'éducation sexuelle et décrypte la double morale en matière de sexualité.

39Disposer de son corps est au fondement de la liberté individuelle et la clef de voûte des revendications des féministes. L’accès à l’autonomie, au statut de personne à part entière, libre de décider de sa vie et de son corps repose sur la contraception et une sexualité libérée de préjugés. Ce statut naturel à l’homme reste hors de portée pour la femme. E. Urrutia affirme que la femme, comme l’homme, a des désirs sexuels, en fait comme tout être humain, et ne se résume pas à un être de services, auprès du mari et des enfants : « Las mujeres también son seres humanos », annonce-t-elle dans le titre de l’article (Novedades, 22/12/1974). Elle rapporte la relation extra-conjugale entre une femme et un homme plus jeune, au centre du livre de Doris Lessing, El último verano de Mrs. Brown, qui ne peut-être, selon un schéma conventionnel des relations amoureuses, que « désespérée et romantique » :

La aventura (habrá que llamarlo de algún modo) de Mrs Brown resulta ser con un hombre más joven que ella. Pero existen convencionalismos amorosos y uno es que esta subespecie particular, mujer mayor-hombre joven, ha de ser desesperada y romántica.

40La double morale sexuelle accepte avec complaisance un homme et sa jeune maîtresse, mais stigmatise une femme avec un jeune amant. Malgré tout, Mrs Brown « [s]e entrega con entusiasmo a su nueva vida como alguien que ha mantenido en reserva un potencial que jamás podría crecer adecuadamente, y que sólo ahora puede aflorar ». E. Urrutia remet en cause les comportements sexuels et entre autres la légitimité de la pulsion masculine. Dans un article intitulé : « ¿Existe igualdad sexual? » (Novedades, 21/08/1977), elle conteste cette idée selon laquelle la femme est moins attirée par le sexe que l'homme en affirmant que «es cultural aquello que se tomaba por biológico. Tal es el caso de la idea de que en las mujeres la mayor intensidad del impulso sexual se da a edad más tardía que en los hombres ». En fait, explique-t-elle, il s'agissait de protéger les jeunes filles d'un risque de grossesse, « [al] enseñarles que ellas no tenían sensaciones sexuales y darles todos los preceptos morales necesarios para que recordaran con seguridad la lección ». Par contre, la société encourageait les garçons à « exprimer leurs sentiments sexuels ».

41M. Lamas ajoute à l’idée d’une animalité chez les garçons (« tienen deseos 'animales' ») pour caractériser leur sexualité, celle de la fierté qu’ils éprouvent de leur activité sexuelle tandis que les filles, elles, « ne sentent rien » et ne pensent même pas à « ça ». « Craignant pour leur ‘réputation’ », elles ne cèdent pas aux pressions de leur fiancé. Leur connaissance sexuelle, à savoir « conserver » sa virginité est leur unique valeur ( El Universal, 14/11/1978).

  • 10  En gras dans le texte.

42Cette double morale sexuelle qui régit les comportements sexuels, a bien une origine culturelle et non biologique. À son origine se trouve une éducation différente, contraignante pour la femme. M. Lamas, dans un article intitulé « CONAPO y Sexismo / El Primer Congreso de Educación Sexual » (El Universal, 6/12/977), annonce, de façon sobre et concise, un événement exceptionnel : le premier débat public, ouvert à tous, « autant aux hommes qu’aux femmes », sur le sexisme et la sexualité, traités de façon nouvelle, sans tabou, comme un « thème sérieux et scientifique ». Ce « Premier Congrès National d’Education Sexuelle et de Sexologie » est organisé par un organisme privé, la Asociación Mexicana de Educación Sexual (AMES), avec le soutien de l’État représenté par le Conseil National Démographique (CONAPO). Dans un souci d’éclairer et d’instruire le lecteur, M. Lamas, à partir de cet événement, explique ce qu’est le sexisme, qui peut être vaincu non seulement par l’éducation mais aussi par « une réelle information scientifique et par la critique féministe » (El Universal, 5/12/1977). L’objectif annoncé de l’AMES est : « […] estimular un cambio en los roles sexuales y los patrones de relaciones entre los sexos hacia formas igualitarias y no sexistas ».. Bien que l’intention soit louable, l’auteure démontre que la démarche de l’AMES est erronée. En parlant de « complémentarité » des sexes à renforcer, les positions de l'AMES et du CONAPO se rejoignent : « […] el Conapo habla de fortalecimiento de los roles sexuales complementarios10, o en otras palabras, del fortalecimiento del sexismo, de la discriminación y de la represión, tanto para hombres como para mujeres ». Cette complémentarité n’est autre qu’un préjugé pour apprécier la différence des sexes car elle signifie un ordre, une hiérarchie, qui automatiquement aboutit à un composant fort et à un autre faible, auxquels sont attachées des qualités immuables pour définir la féminité, passive, et la masculinité active : « Los roles complementarios implican que cada sexo tiene características que el otro carece; de esta manera tenemos cualidades propias a cada uno tales como : dulzura en la mujer, fortaleza en el hombre ».

43En exposant ses arguments, elle annule ceux des organisateurs du Congrès. Elle donne les précisions suivantes sur le sexisme et ses origines :

El sexismo es la discriminación que se hace en base del sexo de una persona, y se apoya en la creencia de la superioridad de un sexo sobre otro.[…] para estas personas [de l’AMES] las diferencias psicológicas, intelectuales, etc., entre los seres humanos simplemente reflejan las diferencias biológicas existentes y no son el resultado del largo proceso de condicionamiento que es la educación.

44Au déterminisme biologique, elle oppose une construction culturelle, de façon redondante. Dans leur analyse de la double morale sexuelle, M. Lamas et E. Urrutia élaborent une perspective de genre avant l'heure en suggérant un nouvel «arrangement des sexes » (Goffman, 1977).

Un pas en avant et deux pas en arrière

45La politique sexuelle et de planification familiale annoncée par le gouvernement de L. Echeverría amorce un débat public qui cependant ne portera pas les fruits escomptés sous la présidence de J. López Portillo.

46M. Lamas, dans les pages de El Universal, et E. Urrutia, dans les pages de Novedades, expriment leurs critiques envers le pouvoir politique, en se plaçant dans une sorte de veille informationnelle, de vigilance qui servent à éclairer le lecteur. Elles accusent le gouvernement de J. López Portillo de rétention d’information, en lui reprochant de ne pas avoir rendu public un rapport sur l’avortement établi lors du précédent sexennat, sous la présidence de L. Echeverría. « nunca, que yo sepa, se publicó o se dio a conocer al pueblo », le rapport sur l’avortement au Mexique commandité par le Conseil National Démographique (CONAPO), s’indigne M. Lamas (El Universal, 13/12/1977) : par contre, celui-ci a été communiqué par le Mouvement National des Femmes (Movimiento Nacional de Mujeres) et publié dans le revue féministe Fem, (n°2,janv-mars1977). Ce rapport a été rendu le 14 septembre 1976 à Pedro Ojeda Paullada, Coordinateur du CONAPO. Par cette voie, l'Exécutif a été bel et bien informé (E. Urrutia, Novedades, 6/03/1977).

47Le rapport final des communications met en avant la nécessité d’un changement de législation en faveur de la dépénalisation de l’avortement, face à quoi le gouvernement de J. López Portillo fait la sourde oreille. Tour à tour donc, E. Urrutia et M. Lamas informent de ce rapport dans leurs colonnes respectives tout en dénonçant le silence de l’Exécutif, dans deux articles, » Nacer o no nacer »,(E. Urrutia, Novedades, 6/03/ 1977) et « Informe Oculto / Las Mujeres y el Aborto (I) », (M. Lamas, El Universal, 13/12/1977).

48Toutes deux exposent les cinq points du rapport final présenté par le CONAPO et avalisé par la Coalition :

[…] el Estado mexicano, a través de su organismo oficial – Consejo Nacional de Población - y a través del poder Ejecutivo quedó informado de puntos concretos : 1°. Que el aborto es un problema grave de salud física y salud mental. 2°. Que no puede ser sustituido por los programas de planificación familiar. 3°. Que debe ser considerado como una medida extrema y complementaria de estos programas. 4°. Que el marco jurídico represivo es el que genera el grado de problema de salud pública y la clandestinidad, y 5°. Que es un derecho individual y que las modificaciones deben ser inherentes al Código Penal, a la Constitución y al Código Sanitario en su aspecto de ampliación y liberalización del problema.

49M. Lamas précise les conditions du débat en insistant sur les différentes origines des membres du GIA : « El grupo filosófico, que elaboró el capítulo de Ética y Aborto, estuvo constituido por un sacerdote católico, un rabino, un ministro protestante y una filósofa » (El Universal, 13/12/1977). Elle donne son opinion sur la teneur des échanges et des arguments « sérieux et judicieux » qui en majorité se rejoignent pour considérer l’avortement comme « un problème de santé publique », « un problème de droits humains ». L’intervention d’un juriste suggère l’impatience des promoteurs de ce projet de dépénalisation de l’avortement : « No se trata de que si sí o si no, ya es sí, sólo que ahora debe ser sí en más renglones ». (El Universal, 13/12/1977). Les résultats de cette mobilisation publique, politique et médiatique sont maigres. Le rapport du GIA n’a pas été divulgué et le gouvernement de J. López Portillo n’en n’a pas tenu compte. E. Urrutia, amère, ironise sur les capacités décisionnelles de l’État en reprenant la réaction de M. Lamas : « Marta Lamas se extraña de que dicho informe no haya sido dado a conocer. ¿Habrá quedado sepultado al lado de otros tantos estudios cuyas características particulares desbordan la capacidad de resolución del Estado? »(E. Urrutia, Novedades, 6/03/1977).

50 D’un point de vue politique, la discussion publique sur la dépénalisation de l’avortement, qui avait commencé à la fin du mandat de L. Echeverría, a abouti à un projet de loi que la Coalition avait proposé à la Chambre des Députés sous la présidence de J. López Portillo. Ce texte de loi sur la dépénalisation de l'avortement était présenté par les parlementaires du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) puisque la gauche n'avait pas alors de représentants. Les représentantes de la Coalition ont été reçues le premier décembre 1977, par le député González Guevara à la Chambre (M. Lamas, El Universal, 20/12/1977). Le projet n’a suscité aucun commentaire officiel et a été classé. Malgré cet échec cuisant, les féministes ont continué à manifester pour légaliser l’avortement (Lamas, 1992 : 12). Chaque gouvernement efface ce qu’a fait le précédent, rendant toute avancée impossible, selon M. Lamas, qui se lance dans un réquisitoire contre le gouvernement de J. López Portillo (El Universal, 13/12/1977). Deux ans après son investiture, le gouvernement n’a répondu que par l’indifférence aux demandes des féministes et des femmes en général.

51M. Lamas exprime son insatisfaction et son irritation en adressant des reproches au gouvernement. La lenteur de sa gestion cache une indifférence face à la nécessité de légiférer sur une maternité libre dont M. Lamas utilise le champ lexical. Le représentant de la Chambre des députés, González Guevara, n'a pas donné d'avis sur le rapport qui lui a été remis sur le problème de l'avortement, le 2 décembre 1977 : « Han pasado nueve meses y suponemos que « dará a luz » próximamente su respuesta ». Elle accuse de lâcheté ce Gouvernement qui reste à l'écoute de l'Eglise : « Indigna ver que nuestro « laico » Gobierno no se atreve a tomar una decisión desde todos puntos de vista inaplazable ». (El Universal, 5/09/1978).

52Le bilan négatif porte sur l’absence d’une nouvelle législation sur l'avortement, et ceci malgré l'activisme des féministes (El Universal, 5/09/1978). M. Lamas analyse et critique avec férocité le second discours annuel présidentiel de J. López Portillo, qui a mentionné quatre fois les femmes, prétendant ainsi les honorer :

  • 11  Le président L. Portillo fait allusion ici aux mères des disparus lors du massacre de Tlatelolco, (...)

Al principio una mención histórica (refiriéndose al voto ganado en 1953) ; en seguida la afirmación de « que las mujeres son tomadas en cuenta y participan en el quehacer nacional »; más adelante una referencia al ama de casa que « padece la angustia del encarecimiento de la vida » y por último, al hablar de la esperada Ley de Amnistía, señaló cómo el ver « a las madres que entran en huelga de hambre buscando a sus hijos, y a otras enlutadas »11, ratificó su decisión de « estrenar tiempos vírgenes ».

( M. Lamas, El Universal, 5/09/1978) 

53 À partir de cette considération, M. Lamas n’a de cesse d’accabler le président. Les mêmes « lois machistes » répondent aux « problèmes ancestraux […] qui touchent la moitié de la population ». Leur maintien exprime à la fois le mépris de la classe politique au pouvoir pour plus de quatre ans de lutte en faveur de la dépénalisation de l’avortement, menée par la Coalition des Femmes féministes et la lâcheté d’un gouvernement qui ne veut pas affronter les positions de l’Eglise.

Conclusion

  • 12  Signalons toutefois, avec Jacqueline Covo-Maurice, que la natalité avait diminué grâce aux campagn (...)

54Sur le plan politique, malgré l’attitude conciliante du gouvernement de L. Echeverría et un contexte favorable issu de l'Année internationale de la femme, les revendications des féministes n'aboutissent pas, à savoir la dépénalisation de l'avortement et l'accès libre aux moyens de contraception. Ces demandes fondamentales ont été ensuite ignorées durant la présidence de J. López Portillo (1976-1982), qui avait déclaré : « Yo no voy a legalizar el aborto »12

55Sur le plan des idées, la presse, dans son analyse critique des politiques gouvernementales, a permis de donner aux lecteurs un éclairage nouveau sur les relations entre les sexes, ceci dans les limites propres à la société mexicaine, soit le faible taux de lecture de la presse quotidienne, un féminisme défendu par une minorité, une élite intellectuelle, engagée plus par conviction que par nécessité et qui reste éloignée des préoccupations de la majorité des Mexicaines.

56Sur le plan théorique, l'analyse féministe a permis d'épurer le corps de tout discours moralisateur et passionnel qui entache le discours officiel sur la politique sexuelle. Dans ce sens, M. Lamas et E. Urrutia ont entrepris, avant l’heure, ce travail de déconstruction des modèles et des catégories, propre à la théorie du genre, qui sera développée a posteriori par Joan Scott (1988), et, pour le Mexique et l’Amérique latine, M. Lamas (1986) justement et Teresita de Barbieri (1986).

Haut de page

Bibliographie

Annexe

Corpus d'articles analysés, par ordre chronologique de :

- Elena Urrutia

« Las mujeres también son seres humanos », Novedades, La Onda, 22/12/1974.

« Aborto, ¿sí o no? », Novedades, La Onda, 15/08/1976.

« ¿Y después del Año de la Mujer, qué?, Novedades, La Onda, 26/09/1976

«Las feministas embarazadas », 9/01/1977.

« Nacer o no nacer », Novedades, La Onda, 6/03/1977

« Mujer, hombre, lenguaje », unomasuno, 7/07/1978

« Píldoras sin contenido », unomasuno, 19/08/1978.

« ¿Existe igualdad sexual? », Novedades, La Onda,  21/08/1977.

- Marta Lamas,

« CONAPO y Sexismo El Primer Congreso de Educación Sexual », 6/12/977

« Informe Oculto Las Mujeres y el Aborto (I) », 13/12/1977.

« Si los hombres embarazaran Las Mujeres y el Aborto (II) », El Universal, 20/12/1977.

« Aborto Legal : Derecho a la Vida. Legislación italiana,23/05/ 1978.

« Las olvidadas Las mujeres y el II informe », 5/09/1978.

« Campesinas «controlables » Planificación Genocida », El Universal, 17/10/1978.

« La Prostitución (2), Represión y Machismo », 14/11/1978

Bibliographie

Barbieri,Teresita de, « Nuevos sujetos sociales : la presencia política de las mujeres en América Latina », Nueva Antropología, Revista de Ciencias Sociales, «Estudios sobre la mujer : problemas teóricos », Vol. VIII, n°30, nov., México, 1986, p.5-29;

http ://www.juridicas.unam.mx/publica/librev/rev/nuant/cont/30/cnt/cnt2.pdf

Bartra, Eli, « Mujeres y Política en México : aborto, violación y mujeres golpeadas », Política y Cultura, otoño, número 001, Universidad Autónoma Metropolitana – Xochimilco, Distrito Federal, México, 1992, p.23-33;

http ://redalyc.uaemex.mx/redalyc/pdf/267/26700103.pdf

Castellanos, laura, Le Mexique en armes. Guérilla et contre-insurrection 1943-1981, trad. par Tessa Brisac, Lux Editeur, Montréal, Canada, 463 p. Titre original : México armado : 1943-1981, México, Ed. ERA [2007], 2009.

Covo-Maurice, Jacqueline, « Publicité, roman-photo et planification des naissances au Mexique », Les Langues Néo-Latines, n°252, 1985, p.117-128.

Flores Quintero, genoveva, Unomásuno : 1977-1987. Historias personales, México, DF, Thèse de doctorat, Universidad Iberoamericana, 2008.

Goffman, erving, L’arrangement des sexes, (The Arrangement between Sexes), trad de l’anglais (Etats-Unis) par Hervé Maury, préface de Claude Zaidman, Paris, Ed. La Dispute, 1977.

Habermas, Jürgen, L'Espace public, Paris, Payot, 1978.

Hirata, Helena et al., Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2000.

Lamas, Marta,

– Política y reproducción, aborto : la frontera del derecho a decidir, México, DF, Plaza Janés.

– « El feminismo mexicano y la lucha por legalizar el aborto », Política y Cultura, otoño n° 001, Universidad Autónoma Metropolitana-Xochimilco, DF, México, 1992, p.9-22;

http ://redalyc.uaemex.mx/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=26700102

 – « La antropología feminista y la categoría de «género », Nueva Antropología, Revista de Ciencias Sociales, «Estudios sobre la mujer : problemas teóricos », Vol. VIII, n°30, nov., México, 1986, p. 173-198.

http ://redalyc.uaemex.mx/redalyc/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=15903009

Rascón, María Antonieta (Coord.), Situación de la mujer en México, México, DF, « Programa de México para el Año Internacional de la Mujer », 1975.

Ross, Stanley Robert, « El historiador y el periodismo mexicano », Historia mexicana, vol. XIV, núm.3, enero-marzo, p. 347-382.

Ruiz Castañeda, María del Carmen, El Periodismo en México : 450 años de historia, México, Universidad Nacional Autónoma de México, Escuela Nacional de Estudios Profesionales Acatlán, 1974.

Scott, Joan, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique. Le genre de l’histoire », in Les cahiers du CRIF, 37-38, 1988, p. 125-153 ;

http ://graduateinstitute.ch/webdav/site/genre/shared/Genre_docs/2341_CahiersGenreEtD%C3%A9veloppement/CGD1_Scott.pdf

tarrés,María Luisa, Hita,Gabriela, Lozano,Alicia, « Actitudes y Estrategias de los diversos agentes sociales y políticos que participan en el debate sobre el aborto en la prensa mexicana », 1976-1989, México, DF, Mimeo, nov. 1991.

Haut de page

Notes

1  Le point culminant en est le massacre de la Place des Trois Cultures, le 2 octobre 1968.

2  Ruiz Castañeda, 1974 : 287.

3  Ross, 1965 : 377.

4  Flores Quintero, 2008 : 9.

5  FNUP : Fonds des nations unies pour la population. FAO : Food and Agriculture Organization.

6  Publiée aux Ed. SPAUNAM, México, 1977, 108 pages. Les auteurs sont connus pour leurs travaux sur le contrôle natal au Guatemala dans les années 1970, notamment parmi les femmes mayas.

7  Marie Claire Acosta, Flora Botton-Burlá, Lilia Domínguez, Isabel Molina, Adriana Novelo et Kira Núñez, El aborto en México, No 57, México, FCE, Fondo de Cultura Económica, 1976.

8  Ana María Portugal (ed.) Mujeres e iglesia. Sexualidad y aborto en América latina, Catholics for a Free Choice & Distribuciones Fontamara, Estados Unidos, 1989, p.4 / 146 p., cit in Bartra, 1992 : 26.

9  Ce groupe représente le courant fondamentaliste de l’Eglise catholique et s’inspire du groupe américain Prolife.

10  En gras dans le texte.

11  Le président L. Portillo fait allusion ici aux mères des disparus lors du massacre de Tlatelolco, en 1968, comme Rosario Ibarra Piedra, qui fut à l'origine du Comité de Défense des Prisonniers, Persécutés, Disparus et Exilés Politiques (Comité Nacional pro Defensa de Presos, Perseguidos, Desparecidos y Exiliados Políticos).

12  Signalons toutefois, avec Jacqueline Covo-Maurice, que la natalité avait diminué grâce aux campagnes pour la planification familiale mises en place à partir de 1978. (Covo-Maurice, 1985 : 117)

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Nathalie Ludec, « Résonances dans la presse, de la politique sexuelle au Mexique »Amerika [En ligne], 7 | 2012, mis en ligne le 21 décembre 2012, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/3573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.3573

Haut de page

Auteur

Nathalie Ludec

Maître de conférences, Université de Paris 8, nludec@univ-paris8.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search