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Comptes-rendus
Littérature

Léo Masliah, Télécomédie, Fantaisie théâtrale en 60 scènes

Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2012
Cécile Chantraine Braillon
Referência(s):

Léo Masliah, Télécomédie, Fantaisie théâtrale en 60 scènes, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2012.

Texto integral

1Avec Télécomédie (2000), l’auteur uruguayen Leo Masliah réalise un coup de maître et propose une critique sociale avisée au travers d’une pièce de théâtre truculente qui mêle, avec brio, comique de situation et de langage.

2Les 60 scènes de Télécomédie parodient sans détour les telenovelas latino-américaines ou les séries télévisées étasuniennes telles que Les Feux de l’amour, diffusées en France depuis la fin des années quatre-vingt. Ces feuilletons sentimentaux, dont l’intrigue se déroule dans des univers bourgeois ou au sein de la classe moyenne supérieure, mettent en scène des histoires d’amour et des conflits familiaux que les conventions sociales et la morale compliquent à l’excès.

3L’un des procédés classiques du genre est le recours au suspens distillé avec lente parcimonie sur un nombre incommensurable d’épisodes : le téléspectateur, tel un complice, attend ainsi la révélation d’un fait supposément scandaleux dont il a été tenu informé dès le départ. Le procédé est repris dans Télécomédie mais désamorcé de façon parodique puisque la divulgation des secrets n’obtient jamais l’effet escompté sur les principaux intéressés. Par exemple, lorsque l’un des personnages José Roberto Lagos, avoue à sa fille Virginie, son attirance pour Martin, celle-ci n’est guère troublée par les penchants homosexuels de son père, comme on aurait pu s’y attendre dans un feuilleton télévisé sentimental : elle prétend au contraire avoir, comme lui, des sentiments amoureux pour le jeune homme. Dans Télécomédie, le mécanisme de la dissimulation/découverte ne débouche donc pas sur le scandale attendu mais sur le rire : c’est l’expectative de chutes comiques inopinées ridiculisant certains codes sociaux qui compose le ressort de l’action dramatique.

4L’humour constitue d’ailleurs l’une des constantes de l’œuvre abondante et éclectique de Léo Masliah, écrivain, compositeur et chanteur, né en 1954 à Montevideo. En tant que musicien, il se fait connaître auprès du public uruguayen par le biais de la chanson populaire, « canto popular », dont il devient l’un des principaux représentants au même titre que Daniel Viglietti et Alfredo Zitarrosa. Ce mouvement musical a incarné, dans la seconde moitié des années soixante-dix, une forme de résistance à la dictature : par le jeu des sous-entendus et de la connotation, ces artistes réussissaient à dénoncer l’oppression subie par la population uruguayenne sous le régime militaire, le manque de liberté et la violation des Droits de l’Homme.

5A cette époque, le ton de Léo Masliah se caractérise déjà par son empreinte humoristique tant au niveau de ses textes que de la musique. Environ à la même période, il se lance dans le théâtre au sein des activités liées au courant du « Teatro Barrial » (Théâtre des Quartiers) et travaille à la fois en tant que dramaturge, metteur en scène et acteur. La forme dramatique qu’il privilégie alors est le sketch ou l’intermède, comme dans Certificaciones médicas : la brièveté et l’humour lui permettent en effet de toucher un public urbain assez varié tout en instillant un certain nombre de critiques sur le système politique au pouvoir et notamment sur son orientation économique néo-libérale. Aujourd’hui, Leo Masliah demeure l’un des artistes uruguayens les plus complets et prolifiques de sa génération : compositeur de musique à la fois populaire et classique, poète, romancier et dramaturge, il est également l’auteur de nombreuses notes humoristiques dans la presse argentine et de son pays. Son œuvre toute entière est enfin marquée par une même volonté de proposer, au travers de l’humour, une représentation caustique de la société actuelle, à partir de motifs récurrents tels que les medias, le monde du travail, la bourgeoisie et la famille.

6Ce sont précisément ces deux dernières thématiques qui se trouvent au cœur de la pièce Télécomédie puisqu’elle met en scène deux familles de la classe moyenne supérieure, voire bourgeoisie, latino-américaine dont les histoires s’entrecroisent. Il y a d’une part la famille Felizardo, composée du père médecin, de la mère prénommée Mathilde, des deux enfants du couple, Sabrina et Martin, complétée par la domestique Paméla et l’assistante médicale Cynthia ; et d’autre part, la famille Lagos constituée du père José Roberto, de ses deux enfants, Virginie et Julien et de la domestique Judith.

7Le lien entre les deux foyers est au départ établi par l’amitié entre Sabrina et Virginie qui révisent leur cours de grammaire ensemble. Puis leur relation va progressivement donner lieu à d’autres connexions entre les deux maisons, comme par exemple, le défi que se lancent l’un à l’autre le frère et la sœur Felizardo d’être le premier à séduire Virginie pour Martin et Julien pour Sabrina. Leur compétition devient l’enjeu principal de l’intrigue, donne ainsi lieu à de nouveaux rebondissements comiques pour déboucher sur un dénouement certes inattendu mais dans la continuité de l’esprit de la pièce : celui du démontage des valeurs bourgeoises.

8Il faut également souligner que la transposition au théâtre d’un produit typiquement télévisuel a un effet parodique particulièrement opérant. Dans Télécomédie, la succession rapide de scénettes, au nombre de soixante, dont l’action est systématiquement coupée à l’impromptu, a pour objectif de railler le suspens interminable, propre à la telenovela, qui tient le téléspectateur en haleine grâce à la brièveté des épisodes et à l’usage abusif de la répétition.

9Passer de la télévision au théâtre, c’est aussi l’occasion de fustiger un media, utilisé comme un instrument de manipulation et de domination, en jouant sur le mode carnavalesque et l’inversion des rôles. L’incompréhension de Mathilde et de Sabrina vis-à-vis du goût pour la lecture nourri par leur domestique, Paméla, dénonce ainsi l’inculture des milieux bourgeois ainsi que leur futilité. La mascarade sociale est également mise en abyme au travers du langage lui-même puisque la manie de Sabrina et de Virginie de faire respecter un bon usage de la langue prétend renvoyer à l’obsession des classes dominantes pour le maintien de l’ordre.

10Avec justesse et habileté dramatique, Télécomédie de l’écrivain uruguayen Léo Masliah réussit donc à allier à la fois une dimension de divertissement qui ravit le lecteur (ou le public) et une approche didactique pointant du doigt l’emprise de la télévision sur la structure sociale et les aspirations bourgeoises de l’individu. Le texte de Léo Masliah est par ailleurs remarquablement servi par la traduction de M. Pierre-Jean Lombard, qui réussit à transposer certains aspects culturels latino-américains à la société française, ainsi que par les textes introductifs de Raúl Caplán et Eric Fisbach.

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Cécile Chantraine Braillon, «Léo Masliah, Télécomédie, Fantaisie théâtrale en 60 scènes »Amerika [Online], 7 | 2012, posto online no dia 12 dezembro 2012, consultado o 13 dezembro 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/3402; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.3402

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Autor

Cécile Chantraine Braillon

Université de Valenciennes

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