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Comptes-rendus
Sciences sociales

Réjean Morissette, Les Autochtones ne sont pas des pandas : Histoire, autochtonie et citoyenneté québécoise

Montréal, Éditions Hurtubise, 2012
Nicolas Houde
Référence(s) :

Réjean Morissette, Les Autochtones ne sont pas des pandas : Histoire, autochtonie et citoyenneté québécoise, Montréal, Éditions Hurtubise, 2012

Texte intégral

1L’histoire canadienne et québécoise, même récente, des relations entre l’État et les Autochtones voit surgir de temps en temps ces personnes qui, niant l’occupation historique par les Autochtones des territoires canadiens à coups d’argumentaires suspects, tentent de reconstruire une Terra Nuulius justifiant l’existence de l’État canadien en se donnant bonne conscience. Je suis donc toujours un peu inquiet lorsqu’un auteur pose d’entrée de jeu, comme le fait Réjean Morissette dans Les Autochtones ne sont pas des pandas, ce type de questions : « Si nous avions tout faux ? Si les 80 000 Autochtones du Québec n’avaient jamais été chassés de leurs territoires ancestraux par la civilisation européenne ? » En s’interrogeant de la sorte, l’auteur met la table à un volumineux ouvrage qui s’emploie effectivement dans un premier temps à mettre en doute les théories historiques et anthropologiques actuelles concernant l’occupation historique du Québec par les Autochtones (les anthropologues ne sont, selon lui, que des « charlatans »(p.329)) tout en refusant tout point de vue autochtone de l’histoire et dans un deuxième temps à développer un argumentaire soutenant des propositions pouvant, selon l’auteur, permettre au Québec de sortir d’une « impasse constitutionnelle » créée par la loi sur les Indiens et les traités conclus entre l’État et les peuples autochtones.

2Le livre se divise en quatre grandes parties. La première est consacrée à un portrait de l’autochtonie au Québec et des acteurs politiques du monde autochtone (familles, clans, conseils de bande, regroupements politiques régionaux). La deuxième partie de l’ouvrage utilise une approche historique pour expliquer la mise en place des structures ayant mené à la marginalisation des Autochtones au sein de l’ensemble canadien. La troisième partie tente d’expliquer comment le Québec, depuis la Révolution tranquille des années 1960, a tenté de développer ses relations avec les Autochtones à l’intérieur du cadre juridique canadien. Finalement, la dernière partie de l’ouvrage offre un plaidoyer en faveur d’un « statut citoyen unique » (p.372) qui permettrait aux Autochtones, selon l’auteur, de ne plus s’inscrire « à l’extérieur du cheminement de l’humanité » (p.345), une invitation à faire de l’identité autochtone une composante de l’identité québécoise (p.373) en abolissant la loi sur les Indiens, les réserves et des droits autochtones différenciés.

3Ce livre est décevant à plus d’un égard. Trop peu d’ouvrages abordent de front le difficile sujet des relations entre les Autochtones et l’État tout en suscitant une réflexion critique constructive afin de repenser la coexistence entre peuples d’Amérique du Nord. Réjean Morissette, fonctionnaire à la retraite ayant travaillé de nombreuses années pour le gouvernement du Québec, a donc le mérite d’avoir tenté le coup tout en étant politiquement engagé (l’ouvrage relève plus du pamphlet politique que du livre académique). Il est cependant décevant de constater à la lecture du livre à quel point l’auteur, au lieu d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion, cherche plutôt à fermer le plus de portes possible, s’engageant sur la voie du propos inflammatoire et biaisé, occultant complètement les arguments alternatifs qui pourraient s’offrir à ses propres arguments. L’auteur n’appuie pas ses propos sur des sources crédibles (tout au plus quelques articles de journaux), prend des hypothèses pour des théories et des vérités, sans présenter les hypothèses alternatives qui pourraient être tout aussi, sinon plus, valables.

  • 1  Charest, Paul, « La supposée disparition des Atikamekw et des Montagnais », Recherches amérindienn (...)

4Ainsi, selon l’auteur, ce n’est qu’avec la Grande Paix de 1701, qui met fin aux guerres entre Iroquois et Français, que l’établissement d’Autochtones dans les régions au nord du fleuve Saint-Laurent ne devient possible (p.84). Du coup, l’auteur souscrit à l’hypothèse historique que les ancêtres des Atikamekw vivant actuellement en Haute-Mauricie n’y seraient arrivés qu’au XVIIIème siècle et néglige de préciser que cette hypothèse n’a jamais pu être confirmée avec certitude par les historiens ou les anthropologues et que l’hypothèse d’une présence continue dans les haut-mauriciens demeure encore aujourd’hui tout aussi plausible1, cette dernière hypothèse étant d’ailleurs privilégiée par la tradition orale atikamekw. Réjean Morissette déclare que l’hypothèse de la migration semble « de plus en plus correspondre à une réalité probable » (p.115) sans expliquer pourquoi ni appuyer ses dires sur des sources crédibles.

  • 2  Feit, Harvey, « Les territoires de chasse algonquiens avant leur "découverte" ? Études et histoire (...)

5Plus loin, il omet une fois de plus de présenter différentes lectures de l’histoire et transforme encore en théorie l’hypothèse que le système des territoires de trappe ayant cours notamment chez les Cris n’ait « jamais existé comme pratique traditionnelle avant le développement de l’industrie de la fourrure » (p.90), alors que les chercheurs n’ont jamais pu clore le débat2. L’auteur néglige également de s’en référer aux traditions orales, préférant les discréditer en déclarant en page 76 que l’histoire des Autochtones, « factuelle, véritable, n’existe que depuis 500 ans, comme pour tous les Canadiens ». Réjean Morissette amoindri du coup toute chance de réécriture de l’histoire coloniale du Canada, pourtant essentielle à une réelle réconciliation et coexistence. Conséquemment, par ses affirmations gratuites et biaisées, Réjean Morissette crée l’illusion d’un territoire pré-colonial pratiquement vide, peu occupé et seulement par des sociétés peu organisées, contribuant ainsi qu’à renforcer des préjugés, ne démystifiant rien du tout.

  • 3  Voir par exemple Leroux, Jaques et al., Au pays des peaux de chagrin : Occupation et exploitation (...)

6En plus d’une utilisation sélective d’hypothèses historiques, Réjean Morissette use d’une « règle du pouce » (p.163) comme artifice afin de créer l’illusion d’une Terra Nuulius québécoise lui permettant de déclarer que « l’occupation du territoire canadien (par les colons) s’exerça pacifiquement » (p.74) et qu’au XVIème siècle, « le Canada d’aujourd’hui figurait parmi les derniers grands territoires inoccupés du monde ». (p.73). Cette « règle du pouce » veut que si la population francophone du Québec s’est multipliée par 60 depuis 1774, il doit en être de même pour la population autochtone. De cette manière, l’auteur arrive à affirmer qu’il y avait moins de 600 Autochtones en 1774, passant sous silence de nombreux avatars historiques ayant fait en sorte que l’espérance de vie, les taux de natalité et de mortalité des populations non-Autochtones et autochtones ont évolués différemment, celles-ci ayant été atteintes de façon inégale, par exemple, par les épidémies d’influenza, la dilapidation de ressources faunique par les trappeurs non-Autochtones et les feux de forêt consécutifs à l’arrivée de travailleurs forestiers, ces deux derniers phénomènes, pourtant documentés ailleurs3, ayant fragilisé la sécurité alimentaire des populations locales.

7En plus de tenter de discréditer un point vue autochtone ayant recours à la tradition orale et le point de vue des chercheurs académiques, l’auteur tente, dans la section du livre intitulée « Et si on ne leur avait rien fait ? » (p.153), de créer un mythe du bon colon canadien-français en tentant de faire la démonstration que si les Canadiens français, de 1763 à 1960 n’étaient pas maîtres, dans un Canada dominé politiquement par la population anglophone, des décisions politiques prises concernant les Autochtones, les Québécois d’aujourd’hui sont en droit de se laver les mains du passé colonial. Ce faisant, il néglige de préciser que le système des réserves, il est vrai créé par le fédéral, a néanmoins profité grandement aux Québécois et à leur gouvernement provincial jusqu’à aujourd’hui, notamment en donnant libre accès au territoire et à ses ressources forestières et minières.

8Réjean Morisette fait la démonstration, en page 105, de sa complète incompréhension des processus coloniaux ayant permis la construction d’un Québec et d’un Canada tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il y déclare que 1763 (la fin du régime français et le début du régime anglais) marque le « début d’une nouvelle dynamique de cohabitation (alors que pendant) 200 ans, trois sociétés (évolueront) en parallèle, les Canadiens français, les Autochtones et les Canadiens anglais, sans que la gouvernance des uns interfère radicalement avec la gouvernance des autres (je souligne) », occultant ainsi que 1763 marque le début d’une période intense de dépossession territoriale par le biais de traités signés entre les Autochtones et la Couronne, et occultant que la législation coloniale relative aux Autochtones les forcera, à partir du XIXème siècle, à adopter un système de gouvernance inspiré directement du modèle britannique : celui des Conseils de bande.

  • 4  Voir par exemple la critique contenue dans Cardinal, Harold, La tragedie des Indiens du Canada, Mo (...)

9En voulant se laver les mains d’un passé colonial auquel il ne s’associe pas et en tentant de discréditer le point de vue autochtone, Réjean Morrisette tente de définir les prémisses de solutions politiques qui permettraient de « tourner la page et passer à autre chose » (p.291). Les solutions qu’il propose sont tout droit tirées d’un vieux livre de recettes des années 1960 : le livre blanc sur la politique indienne, proposé en 1969 par le gouvernement Trudeau. Ce qui était proposé à l’époque, et que Réjean Morisette reprend à son compte, était l’abolition d’une identité autochtone légale par la création d’un régime de citoyenneté unique niant les droits collectifs issus de traités. Ce qui est proposé dans le livre de Réjean Morissette, c’est un régime basé sur les droits individuels selon lequel, comme le disait Jena Chrétien au moment du dépôt du livre blanc en 1960 « la condition de la préservation de la culture indienne (sic), de sa perpétuation et de son développement, c’est l’intervention de l’Indien lui-même, » sans l’aide d’un régime de droits différenciés permettant aux groupes autochtones minoritaires de définir eux-mêmes les paramètres de leur survie culturelle en tant que collectivités au sein d’un ensemble canadien. La recette avait été proposée dans le Canada des années soixante et Réjean Morisette ne semble pas pris note des critiques virulentes qui avaient été à l’époque adressées à cette approche4, critiques qui proposaient plutôt une approche permettant la défense des droits des peuples à disposer d’eux même en privilégiant le respect des traités historiques et la négociation d’ententes visant à définir la place des collectivités autochtones dans l’ensemble canadien.

10Peut-on cesser d’avoir tout faux, demande Réjean Morissette. Pour y arriver, il serait souhaitable de mettre un terme au type de lecture biaisée qu’il propose de l’histoire, qui, si elle peut attiser quelques flammes, n’apporte rien de constructif au débat sur les relations entre l’État et les peuples autochtones du Québec. « Un traité se veut l’antithèse d’une invitation au dialogue » (p.372) déclare Réjean Morissette, alors que depuis toujours il a été l’outil privilégié des peuples autochtones du Canada pour engager et maintenir le dialogue, le moyen de s’engager dans une relation adulte avec les nouveaux arrivants. Avec toute la mauvaise foi démontrée de la sorte par un ancien fonctionnaire du gouvernement, un fonctionnaire souhaitant que les négociations territoriales entre les Atikamekw et l’État « achoppent » (p.229), il n’est guère étonnant que les terrains d’ententes soient parfois difficiles à identifier.

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Bibliographie

Cardinal, Harold, La tragedie des Indiens du Canada, Montréal : Éditions du Jour, 1970.

Charest, Paul, « La supposée disparition des Atikamekw et des Montagnais », Recherches amérindiennes au Québec, 1996, vol 26, no 2, pp. 84-85.

Feit, Harvey, « Les territoires de chasse algonquiens avant leur "découverte" ? Études et histoires sur la tenure, les incendies de forêts et la sociabilité de la chasse », Recherches amérindiennes au Québec, 2004, vol 34, no 3, pp. 5-21.

Leroux, Jaques et al., Au pays des peaux de chagrin : Occupation et exploitation territoriales à Kitcisakik (Grand-Lac-Victoria) au XXe siècle, Québec : Presses de l’Université Laval, 2004.

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Notes

1  Charest, Paul, « La supposée disparition des Atikamekw et des Montagnais », Recherches amérindiennes au Québec, 1996, vol 26, no 2, pp. 84-85.

2  Feit, Harvey, « Les territoires de chasse algonquiens avant leur "découverte" ? Études et histoires sur la tenure, les incendies de forêts et la sociabilité de la chasse », Recherches amérindiennes au Québec, 2004, vol 34, no 3, pp. 5-21.

3  Voir par exemple Leroux, Jaques et al., Au pays des peaux de chagrin : Occupation et exploitation territoriales à Kitcisakik (Grand-Lac-Victoria) au XXe siècle, Québec : Presses de l’Université Laval, 2004.

4  Voir par exemple la critique contenue dans Cardinal, Harold, La tragedie des Indiens du Canada, Montréal : Éditions du Jour, 1970.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Houde, « Réjean Morissette, Les Autochtones ne sont pas des pandas : Histoire, autochtonie et citoyenneté québécoise »Amerika [En ligne], 7 | 2012, mis en ligne le 11 décembre 2012, consulté le 04 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/3331 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.3331

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Auteur

Nicolas Houde

Département de science politique Université du Québec à Montréal

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

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