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Comptes-rendus
Cinéma

Helvecio Marins Jr, Clarissa Campolina, Girimunho (Swirl)

Fiction, couleur, 35mm, 90', Brésil, 2011
Jerôme Baron
Référence(s) :

Helvecio Marins Jr, Clarissa Campolina, Girimunho (Swirl),  Fiction, couleur, 35mm, 90', Brésil, 2011

Texte intégral

Girimunho (Swirl)Afficher l’image
Crédits : Urban Distribution

12011 aura à l’évidence été une année en demi-teinte pour les cinémas d’Amérique latine. L’Argentine a semblé une nouvelle fois manquer de souffle cependant qu’Abrir puertas y ventanas le premier long-métrage de Milagros Mumenthaler remportait à Locarno le Léopard d’or. Autour d’un appréciable trio de jeunes actrices, le film paraît pourtant se laisser trop glisser dans le sillon de Lucrecia Martel pour nous donner le sentiment d’emprunter une voie pour s’en frayer une autre.  Recettes appliquées ? Il n’est pas simple de discerner entre les tendances du moment du cinéma d’auteurs et les reprises qu’elles impliquent, entre ce qui, ici ou là aura fait signe, d’inspirations plus profondes qui permettraient de circonscrire l’intérêt des jeunes cinémas latino-américains. On notera tout de même qu’avec de nombreuses fictions qui poursuivent d’afficher une empreinte documentaire marquée et de nombreux documentaires qui tutoient certaines modalités des arts plastiques, le réel est bien disputé par des cinéastes que les ressources numériques encouragent à prendre le pouls du monde qui va comme à interroger la place qu’ils y tiennent avec opiniâtreté. Mais qu’est-ce qui fondamentalement fait dans ces propositions gestes ou œuvres cinématographiques ? On voit très souvent l’idée, belle et/ou intéressante, s’avancer frontalement mais les intentions l’emporter sur l’avènement d’un véritable film. C’est le cas de nombreux objets vus cette année parmi lesquelles En el futuro de Mauro Andrizzi, Las Piedras de Roman Cardenas, Sipo’Hi – El lugar del Manduré de Sebastian Lingiardi, comme pour Las Marimbas del Infierno, le second film du réalisateur guatémaltèque Julio Hernandez Cordon, celui du chilien Sebastian Lelio El ano del tigre ou encore de Porfirio du colombien Alejandro Landes. De son côté, après Acné, l’Urugayen Federico Veiroj propose de ce point de vue un film symptôme avec La Vida útil. Deux figures emblématiques de la Cinémathèque de Montevideo, Manuel Martinez Carril et Jorge Jellinek, deviennent malgré eux les héros d’une fable en noir et blanc adossant une cinéphilie existentielle à la vie réelle qui les rattrape à la fermeture de l’institution. Comment quitter la maison-cinéma pour laisser advenir dans la vraie vie un personnage de film ? La question de La Rose pourpre du Caire semble ici comme retournée jusqu’à provoquer sous le jour d’une étrangeté un flottement entre documentaire et fiction. Sur les dérèglements hors de proportion du réel, pointons aussi notre regard vers le très adroit Miss Bala du Mexicain Gerardo Naranjo qui donne d’abord le sentiment d’exploiter sur le mode spectaculaire du film d’action l’âpre réalité des affrontements entre narco-traficants, militaires et policiers au Nord-Ouest du Mexique. Mais Laura Guerreiro (ainsi s’appelle le personnage principal) n’est pas un nom de guerre, juste celui d’un jeune femme des classes populaires de Baja California qui caresse timidement le rêve d’être élue Miss de cet état.  À une lettre près donc, il deviendra réalité. Mais cette petite différence recouvre des proportions énormes. Entre la première et la formidable dernière scène du film, le scénario n’épargne aucune péripétie à un personnage qui en est l’otage avant d’en devenir, malgré elle, l’héroïne. Naranjo se soucie ici moins du vraisemblable que du déchaînement à la limite de la lisibilité d’un réel insensé où tout est continuelle désorientation.  Dans une scène où Laura, perdue dans une nuit trop profonde pour elle, est rendue à la liberté par son ravisseur/protecteur, Lino le chef de gang, elle se ravise en faisant demi-tour pour s’offrir à lui. Si ce chaos où plus rien ne distingue le bien du mal, le jour de la nuit, les policiers des narcos, ne ménage plus aucun refuge à ceux qui le traverse, le film parvient lui à nous le faire penser plutôt qu’à le subir. Une manière de bien s’en sortir que Laura devenue Miss Bala ne pourra que saluer.

Urban Distribution

2Parmi les vraies surprises et réussites de films travaillant  au cœur de ces interférences entre fiction et documentaire, nous pouvons distinguer le premier long-métrage co-réalisé par les Brésiliens Clarissa Campolina et Helvécio Marins Jr. : Girimunho. Les deux réalisateurs rassemblent d’ailleurs autour d’eux quelques-uns des animateurs les plus singuliers du cinéma brésilien actuel : Felipe Bragança pour le scénario (réalisateur de Alegria présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2010, et Ivo Lopes Araùjo qui avait déjà signé la photographie de O Grão (2007) de Petrus Cariry  et de Avenida Brasilia Formosa de Gabriel Mascaro (2010).

Urban Distribution

3Situé dans le nord du Minas Gerais, le village de Sao Romão. Autour de  Bastu, une octogénaire dont le mari décède dans une des premières scènes du film sans qu’elle ne verse la moindre larme, le film porte une attention quasi-ethnographique sur la réalité villageoise mais y adosse avec justesse un récit magique (João Guimaraes Rosa et Gabriel Garcia Marques rôdent alentour) pour mieux saisir le quotidien de cette terre aride et isolée. Là encore, la fiction qui s’installe scène après scène depuis la sublime veillée nocturne qui ouvre le film autour du chant porté par Maria, l’amie de Bastu, convoque des acteurs non-professionnels pour leur faire interpréter des rôles qui intègre leur environnement et leur vécu. Mais ici, la réussite du film tient à la neutralisation qu’il opère de tout excès naturaliste. Pas d’apitoiement sur des conditions d’existence difficiles, sur le constat d’une émigration pourtant réelle des plus jeunes vers les villes, juste les traces assemblées de ce qui du fond du Brésil parle au-delà de toute frontière et contexte en prenant appui sur un quotidien émaillé de rites et de musique lui très local. Comme Miguel Torga le postule, « le local, c’est l’universel moins les murs ». Ici, vibre le mouvement d’une existence qui vient de passer ou presque (la photographie nourrit cette impression), Bastu et Maria deviennent progressivement comme les spectatrices de leur vie connectée avec celles des morts, elles sont comme les dépositaires d’un monde, d’une vie qu’on prolonge et dont on se souvient sans nostalgie juste parce qu’elle a été vraiment vécue. Bastu le dit : « Je suis allé partout, je n’ai plus peur de rien ». Il en va logiquement dès lors, du réflexe de Branca, le petite-fille de Bastu, qui rêve d’une vie ailleurs et d’études mais décide sans se sentir aucunement contrainte que sa place est auprès de sa grand-mère lorsque la mort vient chercher son mari déjà âgé. Bastu pour toujours, partira bientôt, Branca a encore la vie devant elle. C’est une géographie humaine et topographique sensible que le film parvient à révéler. Les réalisateurs ont travaillé pendant six années à la préparation et au tournage Girimunho. Comme si la temporalité même des lieux et des êtres avait imposé jusqu’à l’affecter son rythme la fabrication du film. Comme l’écrit Charlotte Garson à propos du film : « le rythme inexorable mais joyeux de la vie comme elle va, de la mort comme elle vient ». Oui, le monde tourne, calmement, comme s’écoulent dans un mouvement permanent et indicible, depuis des siècles les eaux du fleuve de Sao Romão et résonne la rumeur d’un chant nocturne et beau. Girimunho prouve aussi, avec discrétion et poésie, que le cinéma brésilien contemporain pourrait bien se régénérer à cette source-là. Un signe de plus d’une vitalité sur le retour à la suite du Viajo porque preciso, volto porque te amo (2009) de Karim Aïnouz et Marcelo Gomes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jerôme Baron, « Helvecio Marins Jr, Clarissa Campolina, Girimunho (Swirl) »Amerika [En ligne], 6 | 2012, mis en ligne le 27 décembre 2012, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/3010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.3010

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