1Dans l’objectif de résister au régime de la mondialisation, qui se place sous le signe de la standardisation occidentale, et dans l’intention de protéger la culture de sa communauté insulaire contre la modélisation aliénante, l’écriture pamphlétaire de Patrick Chamoiseau opte, dans Écrire en pays dominé (1997), pour la « couleur collective » (Chamoiseau, 1997 : 203) de son aire archipélique. C’est là une stratégie de défense contre la systématisation impérialiste. Écoutons dans ce cadre l’analyse raisonnée du philosophe et de l’autobiographe martiniquais qui considère son projet artistique et esthétique comme un projet épistémologique, en ceci que la connaissance des vérités historiques ainsi que des rouages de la domination dans son aire archipélique constitue la première ligne de défense contre les puissances dominatrices :
La grande littérature d’une nation, d’un pays, d’un peuple, les préparait à vivre ce qui allait advenir, ou qui était en eux, et qui restait inaperçu ou encore impensable. L’artiste cheminait avec une appartenance, depuis une appartenance, mais, sans rien trahir ou déserter des nécessités de son lieu, il cheminait loin en avant, ou résolument sur une voie de traverse : une voie de connaissance (Chamoiseau, 2014 : 93).
2 Pour ce faire, l’art pamphlétaire chamoisien cherche à discréditer la culture monolithique et à remettre en question tout égocentrisme civilisationnel, lesquels ne sont à même de générer que de la réduction ou de l’exclusion des autres cultures et imaginaires. C’est dans cette mesure que l’esthétique, selon Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, ne peut nullement résulter de la colonisation d’autrui, c’est-à-dire au détriment de sa souffrance, de sa chosification, voire de sa marginalisation :
Il n’y a pas de beauté dans les mémoires solitaires, les fondamentalismes, les Histoires nationales sans partage, les épurations ethniques, la négation de l’autre, les expulsions d’émigrés, la certitude close. Pas plus de beauté dans l’essence raciale ou identitaire. Pas de beauté dans le capitalisme de production, dans les hystéries de la finance, les folies du marché et de l’hyperconsommation (Glissant ; Chamoiseau, 2009 : 28-9).
3 Chamoiseau s’emploie en effet à remettre en cause la division dichotomique du monde postcolonial ou postmoderne en deux régions. D’une part, il y a le Centre qui bénéficie de tous les privilèges, notamment économiques. D’autre part, on a affaire au Tiers-monde ou aux périphéries, qui fléchissent sous le faix de la mise sous-tutelle et où sévissent la misère, la pauvreté et les maladies. Notre auteur ne s’en prend pas uniquement aux impérialistes, mais il s’attaque, en premier lieu, à ceux qui sont enclins à l’exploitation et à l’esclavage : « Le Centre lointain ne fut jamais perçu comme une quelconque base colonialiste, mais en mère lointaine, bienveillante, ignorant les turpitudes locales des méchants békés et administrateurs » (Chamoiseau, 1997 : 245).
- 1 « L’apostrophe rhétorique […] consiste à s’adresser à des interlocuteurs qui ne peuvent avoir ce st (...)
4Dans ce passage, la négation se lie de manière organique aux phrases interrogatives, à l’ironie « Aidez-nous à être comme vous, exigeaient-ils, assistez-nous dans notre marche vers vous ! » et à l’apostrophe rhétorique1 « Ô Fanon, frère ho, je suis content que tu n’aies pas vu cela », pour descendre en flammes toutes forces hégémoniques, mettre à distance toutes formes de soumission et se désolidariser de toutes sortes de servilité. Il s’agit ainsi de porter un regard critique sur tout ce qui maintient et fait perpétuer la relation : Centre/périphéries, c’est-à-dire Dominants/dominés. C’est là où se joue l’un des enjeux importants du pamphlet, de la philosophie et de la pensée géoculturelle de Chamoiseau :
Le vieux guerrier me laisse entendre :… moi aussi, j’aurais pu me poser cette question quand je vis les Centres aspirer les compétences et les cerveaux des pays dominés … (il soupire)… Au service de l’expansion d’un Centre, l’on trouve carrière, gratifications, louanges internationales… Rares étaient nos savants qui s’offraient a leur pays natal …Les peuples sous influences étaient ainsi lobotomisés […] Parlant du colonisé, Fanon me disait : il est dominé mais non domestiqué. Il est infériorisé mais non convaincu de son infériorité. Je pouvais dire maintenant du dominé : il est domestiqué par autodépréciation, infériorisé par auto-infériorisation. Baigné dans des valeurs dont la force suggestive est quasi indolore, il entre en mésestime de soi, ne se pense plus, ne se cherche plus d’atouts ou d’outils intérieurs. Et les ministres du Centre, embarrassés par ces peuples dont nul n’avait prévu l’anesthésie, leur demandaient : Que voulez-vous donc ? Quels sont vos projets ?... Aidez-nous à être comme vous, exigeaient-ils, assistez-nous dans notre marche vers vous !... Ô Fanon, frère ho, je suis content que tu n’aies pas vu cela… – Inventaire d’une mélancolie (Chamoiseau, 1997 : 161-2).
5Comment donc Chamoiseau fait-il face aux puissances hégémoniques en ayant recours aux armes de l’art et de l’esthétique ? Dans quelle mesure l’esthétique autobiographique chamoisienne devient-elle à même de récuser « la mise-sous-relation » (Chamoiseau, 1997 : 338) impérialiste et de remettre en question les organes du néocolonialisme ? Quelles en seraient les retombées culturelles et géopolitiques, que ce soit sur les Antillais ou sur le monde entier ?
6Dans notre optique qui laisse envisager la portée considérable que revêt la lutte culturelle et artistique pour l’écrivain martiniquais, Il n’est pas inutile pour nous de rappeler que chamoisien récuse la violence comme instrument d’émancipation des jougs imposés par les forces dominatrices, cultivant la mise sous tutelle des opprimés et la mainmise sur leurs sort et richesses. Il s’évertue toujours à inspirer confiance aux lecteurs et à les mettre en garde aussi bien contre les conséquences dommageables de l’hégémonie que contre le dérapage de violence dans lequel leur révolte peut basculer. Ce passage évoque notamment le caractère pacifique de l’insoumission à laquelle l’auteur incite son auditoire antillais :
[…] les dominateurs même ont besoin de notre résistance pour leur ré-humanisation. Car tu l’auras compris : il ne s’agit pas de vaincre ou de prendre la place dominatrice de qui que ce soit, il nous faut résister au nom des humanités, et pour les humanités, afin d’augmenter l’humanisation du Monde-Relié, et faire de cette transformation du monde un élan parfait vers l’humanisation. Imaginer la beauté de cet élan, s’y inscrire comme en cérémonie, ciseler en artiste ses courbes et ses lignes de forces. C’est cela, ma guerre, et c’est en cela… (il rit, bon cœur)… que je suis le plus virginal des Guerriers… (il rit, sa voix disparaît puis irradie, chaude comme vapeur d’asphalte)… (Chamoiseau, 1997 : 338).
- 2 « C’est ce que j’appelle : mettre leurs graines au soleil ! », Patrick Chamoiseau, Écrire en pays d (...)
7Fortement convaincu que « [la] gifle d’un livre est toujours redoutable » (Chamoiseau, 1997 : 99) et totalement persuadé que l’« Écrire peut ainsi désagréger une domination, aiguillonner de l’énergie courante dans un sursaut » (Chamoiseau, 1997 : 300), l’auteur s’emploie à dévoiler, puis à dénoncer les systèmes de l’oppression que les dominateurs mettent en place pour esclavagiser et exploiter les colonisés2. Du coup, il remet en question le mutisme dans lequel la majorité des communautés assujetties sont emprisonnées : « […] parfois, je rencontrais des peuples plongés dans une nappe de silence. Sans un cri. Sans une larme. Sans une nuque qui proteste. Ils n’avaient autour d’eux ni barbelés, ni muraille interdite. La domination silencieuse ne contrariait aucun de leurs soucis linguistique, ethnique, identitaire, folklorique, culturel…» (148), lira-t-on à ce propos dans Écrire en pays dominé (1997).
- 3 « Cela fondait un jeu d’alliance entre mon écrire et ma résistance. », ibid., p. 300.
8Face aux terreurs que sèment les colonialistes, Chamoiseau propose une réaction plutôt poétique, voire esthétique, voulant ainsi munir les Caribéens, non d’armes, mais d’une conscience aiguë, à même de mettre fin aux ravages issus de la domination. C’est sous cet angle qu’on peut appréhender les dispositifs et l’arsenal de la « résistance »3 culturelle, à laquelle il cherche adhésion auprès de ses concitoyens, résistance qui se mesure, encore une fois, à l’aune des valeurs éthiques et intellectuelles, dont la tolérance est l’une des pièces maîtresses, que les dominés doivent embrasser pour pouvoir s’affranchir des carcans esclavagistes :
[…] les dominations silencieuses ou furtives se font en apparente liberté. La résistance doit elle aussi se parer de mille libertés, de toutes ouvertures, tous accueils tolérants. Elle doit briser les portes, desceller les ferrements, dégonder les fenêtres, moissonner les cloisons. Toute politique culturelle maniant la résistance ouverte donnera à voir la diversité chatoyante des cultures et des visions du monde, valorisera l’assise de son propre « Lieu-naissant » (c’est ainsi que tu dis ?) en montrant ses échos dans les autres. […] Dans un monde relié par l’esprit colonial, modelé par l’idée impérialiste, la mise-sous-relations n’active que la mémoire reptilienne des origines (agressions, conquêtes, dominations…). On la retrouve intacte dans le rhizome qui lui offre un beau système nerveux. Mais les peuples qui s’y dérobent entrent en douce asphyxie. Ceux qui s’y abandonnent s’aliènent aux valeurs dominantes. Reste à imposer (en belle conscience divinatrice), une mise-en-relations où l’échange vrai s’opère (Chamoiseau, 1997 : 298).
9L’auteur déploie ainsi une stratégie non seulement défensive, mais aussi offensive pour combattre les pouvoirs microphysiques et imperceptibles pour l’immense majorité des dominés, laquelle stratégie consiste à exhorter ces derniers à développer le sens de solidarité mutuelle, à resserrer les rangs autour de leurs propres valeurs et à réagir de concert pour affronter le phénomène de leur ostracisme et relever le double défi de libération et de développement, auxquels ils se trouvent confrontés. Dans l’objectif de réussir cette stratégie anticolonialiste, l’autobiographe et philosophe réinvestit la « diversité-monde » (Chamoiseau, 1997 : 282) et la « créolisation » (Chamoiseau, 1997 : 237), encourageant ceux qui souffrent d’une quelconque hégémonie à sortir de leur silence et contribuer activement au réseau de lutte contre « l’oppression coloniale » (Chamoiseau, 1997 : 220), comme il le souligne en ces termes : « Ce roulis de corps et d’âmes qui relient ces terres d’un tapis de douleurs et de connivences qu’aucune carte coloniale n’établira jamais » (Chamoiseau, 1997 : 135).
10C’est dans cette perspective que nous pouvons saisir la résistance collective qui constitue la pierre d’angle du combat que l’écrivain mène contre les puissances impérialistes, comme il le recommande dans Écrire en pays dominé (1997) :
Notre résistance par l’imaginaire sera une puissance d’impulsions diverses, dans tous les domaines. Ces impulsions relèveront d’un imaginaire qui élira en nous-mêmes le chaos des langues, des cultures, des spiritualités, des visions du monde, tous relativisés par leurs propres concerts. Par cet imaginaire de combat on échappe au concentré de valeurs dominantes, aux fanatismes nationalistes ou religieux, aux identités sectaires, aux aliénations invisibles […] Il faut nommer et cultiver l’imaginaire dont j’ai parlé comme on cultive l’herbe-à-tous-maux » (Chamoiseau, 1997 : 325-6).
11Il n’est pas inutile pour nous de remarquer ici que Patrick Chamoiseau critique de façon acerbe l’Universel standardisant que préconise Saint-John Perse, parce que cet Universel est mis en jeu par l’un des « Maître-béké » (Chamoiseau, 1997 : 171), « le béké Perse » (Chamoiseau, 1997 : 262), pour généraliser la culture atavique occidentale sur tout le globe terrestre. Autrement dit, il vise à modéliser les différentes cultures selon le modèle occidental ; ce qui profite, d’ores et déjà, aux dominants et à leur expansion territoriale, au détriment bien sûr des opprimés et des pays colonisés. Ce fragment revient tout particulièrement sur la diatribe virulente que l’auteur lance contre Perse, considéré ici comme Conquistador :
C’est pourquoi, face à la mer chantée de manière continuelle, Perse aura vision, non du mur d’isolement de l’imagerie occidentale, mais d’une vaste perspective vers une conquête du monde, ou plutôt : d’une aire frémissante vers l’universalité altière qui commande à son souffle. […] Appelé par la mer, Saint-John Perse utilisera l’île natale comme marchepied d’envol. Dans l’île, il n’est pas dans le monde : c’est de là qu’il s’élance. Ainsi, son insularité natale inaugure son œuvre (Images à Crusoé, Éloges) avant d’en disparaître. Il se met, comme il l’adit lui-même, à habiter son nom, pour mieux quêter son universalité désincarnée […] (Chamoiseau, 1997 : 262-3).
12Chamoiseau rejoint alors le camp d’Édouard Glissant qui trouve dans sa poétique l’expression de l’insularité ainsi que la manifestation de l’antillanité, sans basculer ni dans le mimétisme, ni dans l’exclusivisme, ni encore dans la généralisation assimilationniste et dépersonnalisante. Et Chamoiseau, qui doit une fière chandelle à Glissant et lui voue une profonde reconnaissance et une grande admiration en ces termes : « Glissant m’habitait et, d’année en année, prenait des amplitudes. Ses cohérences insoupçonnées révélaient leurs vertus, "ses visions prophétiques du passé" abreuvaient mes errances […] » (1997 : 301) , exalte, dans cet extrait d’Écrire en pays dominé (1997), son lieu insulaire et magnifie sa culture antillaise, et ce, loin de toutes formes de « mise-sous-relations » (Chamoiseau, 1997 : 301), c’est-à-dire en épousant « l’imaginaire de la Diversalité » (Chamoiseau, 1997 : 331) et « les brassages de la Pierre-Monde » (Chamoiseau, 1997 : 330) et en exhortant ses lecteurs à embrasser la poétique « du Monde-relié » (Chamoiseau, 1997 : 315) :
Le Lieu est ouvert et vit de cet ouvert ; le Territoire dresse frontières. Le Lieu évolue dans la conscience des mises-sous-relations ; le Territoire perdure dans la projection de ses légitimités. Le Lieu vit sa parole dans toutes les langues possibles, et tend à l’organisation de leur écosystème ; le Territoire n’autorise qu’une langue et quand les résistances lui en imposent plusieurs, il les répartit selon des dispositifs monolingues. Le Lieu s’émeut, reconnaît et active ses sources multiples en étendue ; le territoire impassible s’arc-boute sur une racine unique. Le Lieu est diversité ; le Territoire s’arme de l’Unicité. Le Lieu participe d’une Diversalité ; le Territoire impose l’Universalité. Le Lieu ne se perçoit qu’en mille histoires enchevêtrées ; le Territoire se conforte d’une Histoire. Le Lieu palpite en mémoires transversales ; le Territoire se maintient sur le tranchant d’une mémoire exclusive. Il y a dans le Lieu des échos, des ombres, des images, de la parole, de l’écriture ; le Territoire sous la lumière d’un État vise la transparence, à l’unique et au décret des écritures. Le Lieu se répercute en réseaux dans l’ensemble du monde, au gré de la mise-en-relations ; le Territoire pose un Centre et des périphéries. Le Lieu partage et évolue dans les hasards de ce partage ; le Territoire conquiert…(Chamoiseau, 1997 : 227)
13Rappelons ici que l’art pamphlétaire chamoisien cherche à discréditer la culture monolithique et à remettre en question tout égocentrisme civilisationnel, lesquels ne sont à même de générer que de la réduction ou de l’exclusion des autres cultures et imaginaires. C’est dans cette mesure que l’esthétique, selon Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, ne peut nullement résulter de la colonisation d’autrui, c’est-à-dire au détriment de sa souffrance, de sa chosification, voire de sa marginalisation :
Il n’y a pas de beauté dans les mémoires solitaires, les fondamentalismes, les Histoires nationales sans partage, les épurations ethniques, la négation de l’autre, les expulsions d’émigrés, la certitude close. Pas plus de beauté dans l’essence raciale ou identitaire. Pas de beauté dans le capitalisme de production, dans les hystéries de la finance, les folies du marché et de l’hyperconsommation (Glissant ; Chamoiseau, 2009 : 28-9).
14C’est ainsi que cet extrait, puisé dans Écrire en pays dominé (1997), revient particulièrement sur la loi de la Départementalisation dont les retombées ne sont que la dépersonnalisation des Martiniquais et le raturage de leurs identité et différence. Le consumérisme et l’agression coloniale y sont également renvoyés dos à dos :
En 1946, alors que les peuples du monde, dressés contre les colonisateurs, leur opposait d’ancestrales différences, l’assimilation de la colonie-Martinique à la France semblera être l’unique voie d’échappée aux plantations concentrationnaires. Cet assimilationnisme (ce désir d’être l’Autre et de s’y fondre) provenait de loin. J’avais vécu la départementalisation durant ma période poético-négriste. Le pays s’était modernisé en abondances à consommer. Nos coutumes avaient muté au rythme de délicieuses importations, tandis que nos poèmes dénonçaient des violences coloniales devenues obsolètes. Cette transformation n’avait soulevé aucun obstacle, aucun barrage primaire, même irrationnel(Chamoiseau, 1997 : 239).
15Dans la stratégie argumentative de P. Chamoiseau, la meilleure défense, c’est l’attaque. C’est dire que, dans le but de plaider la cause antillaise, de magnifier l’identité insulaire et rendre compte du paysage archipélique, l’écrivain procède selon une démarche subversive et lance un pamphlet contre tout ce qui menace cette identité et ce paysage. En d’autres termes, il s’emploie à remettre en cause la domination occidentale ; son œuvre philosophique et littéraire constitue une révolte intellectuelle et scripturale, dans le sens où elle se place sous le signe de la résistance aux usurpateurs. C’est ce que Chamoiseau développe en particulier dans ce passage : « Hanter les meetings politiques ; lancer des pierres contre les CRS lors de manifestations à Fort-de-France ; pleurer des larmes lacrymogènes : je plongeais mes poèmes d’un brin de guérilla […] le monde s’emballait en décolonisations […] » (Chamoiseau, 1997 : 75).
16Contestataire aux systèmes colonialistes, Chamoiseau met à contribution la dimension pamphlétaire pour dévoiler les leurres des impérialistes et déjouer leurs stratagèmes chosificateurs. En effet, il combat autant les mensonges que l’aliénation auxquels ses compatriotes sont confrontés dans l’aire des Caraïbes. C’est dans cette optique que l’écriture pamphlétaire chamoisienne trouve une résonnance toute particulière, puisqu’elle fait partie intégrante d’une remise en quarantaine des allégations erronées sur lesquelles repose l’esclavage. À cet égard, la formule de Marc Angenot revêt une portée considérable, en cela que le pamphlet chamoisien s’inscrit en faux aussi bien contre le faux que contre l’injustice : « Tout pamphlet s’articule sur la dichotomie vérité/imposture » (Agenot, 1995 : 85).
17C’est en ce sens que, dans Écrire en pays dominé (1997), Chamoiseau s’assigne pour mission fondamentale de lutter contre le consumérisme, la folklorisation et l’assimilation auxquels la communauté antillaise est en proie. Pour ce faire, l’écrivain revient dans cet extrait sur l’aliénation de ses compatriotes en en pointant du doigt, via une modalité interrogative, les véritables causes :
Pourquoi cette disparition quasi totale des productions réelles ? Pourquoi cette courbe exponentielle d’importations massives ? Pourquoi cet affairement des producteurs sur les seules subventions ? Pourquoi ces aliénations extrêmes de l’école et des médias ? Pourquoi cette usure des valeurs créoles, cette consommation mimétique des normes occidentales, cet assistanat hyperbolique ? D’où provenait cette stupéfaction animée du seul désir d’obtenir les avantages d’un citoyen du Centre ? Le combat pour la langue et la culture créoles, perdant toute acuité, se folklorisait. Ce que nous opposions aux anciens colonialistes flottait désormais dans un formol de valeurs séduisantes qui nous anesthésiaient. Plus d’ennemis apparents. Seule une autodécomposition. Je ne comprenais pas ce qui nous arrivait (Chamoiseau, 1997 : 76-7).
18À partir de ce point de vue qui établit une liaison dialectique entre le pamphlet en tant que discours satirique à l’encontre des dominateurs, d’une part, et l’intentionnalité judiciaire, en ce qu’elle dresse un réquisitoire complet contre la poussée colonialiste, d’autre part, Chamoiseau se révèle être le « porte parole d’une vérité opprimé » (Agenot, 1995 : 351), en quête d’un monde régie par la justice et l’égalité entre les différentes races et les diverses communautés. Aussi le pamphlet s’érige-t-il en « un acte théâtral, […] spectacle de la destruction des fausses idoles » (Agenot, 1995 : 342), lesquelles idoles constituent, en l’occurrence, les organes de la systématisation impérialiste dont sont victimes les peuples dominés.
19Quels sont donc les procédés stylistiques mis enjeu par l’auteur, dans Écrire en pays dominé (1997), non seulement pour interroger la situation coloniale aux Antilles, mais aussi pour procéder à l’éveil de ses lecteurs insulaires ?
20Par le truchement de son écriture pamphlétaire, Chamoiseau ne cherche pas uniquement à battre en brèche les stéréotypes colonialistes et remettre en cause le comportement des esclvagistes, mais également à sortir les Antillais de leur passivité et de leur laisser-aller. Par conséquent, le discours critique chamoisien constitue une dynamique qui s’articule sur une tendance double : il s’agit, d’un côté, d’un vecteur centripète, orienté vers les subalternes. C’est en attirant l’attention de ceux-ci sur leurs tares ainsi que sur les pièges auxquels ils sont pris, qu’il entend les rendre maîtres de leur Histoire, de leur présent et de leur avenir. De l’autre, il s’agit d’un vecteur centrifuge, tourné vers les colonisateurs, obnubilés par leur égocentrisme et aveuglés par leurs ambitions impérialistes.
21C’est ainsi que Chamoiseau s’applique à descendre en flammes cette dialectique du Maître-esclave dont les retombées sont désastreuses sur les opprimés dans l’aire des Caraïbes. En somme, le pamphlet philosophique et romanesque chamoisien n’épargne ni l’oppresseur, ni l’opprimé. Autrement dit, l’écrivain intente un procès contre celui-ci et celui-là. C’est cette double accusation à laquelle l’auteur fait allusion, sur un ton amer, à travers cet extrait repéré dans Écrire en pays dominé (1997) :
Ces touches terminales de la mise-sous-relations la Terre entière restent chargées d’un possible infini auquel je pense mélancolique : elles pourraient accueillir l’ampleur divinatoire de la littérature […] je savais tout de l’affaissement du colonisé face au colonisateur : Ces brisures du mental, ces masques d’humanité à l’image du vainqueur, cette obnubilation de l’esprit dominé violemment […] Mais, sortis des frappes brutales, je voyais mes frères chanter leur peau, leur identité, leur pays, leur liberté, leur fierté d’être … et, de jour en jour, s’abandonner à des valeurs qui inclinaient tout cela. Tous s’aliénaient au mitan même des chants de liberté. Il n’y avait plus les chocs des temps conquistadores. Mais des circuits commerciaux, des crédits bancaires, des dettes, des téléphones, des avions, des câbles, des magasins, des pièces détachées, des politiques d’aide, de coopération technique et d’assistance, des spectacles humanitaires … un vertige des touchers qui précipitait des transparences au plus intime des peuples […] Quand le mode-d’être, le mode-de-penser, le mode-de-se-penser, le mode-de-penser-sa-pensée, le mode-de-consommer, le mode-de-se-distraire, le mode-de-se-soigner, le mode-de-s’émouvoir […] se voyaient comme cela importés, il n’y avait d’envisageable nul éclat créateur […] (1997 : 121-2).
22C’est ici le lieu de préciser que les procédés morphosyntaxiques, sémantiques et stylistiques ne sont plus des ornements superflus. Au contraire, ils se dotent d’une fonction argumentative et pragmatique, fonction qui s’inscrit dans la droite ligne de la critique acerbe que l’écrivain porte tour à tour sur la domination, les dominants et les dominés.
23Comment donc l’auteur investit-il le caractère perlocutoire, propre à sa parole pamphlétaire dans son essai autobiographique ? Et quelle en est la portée ?
24Conscient du pouvoir du Verbe, de l’art du discours et de la littérature, l’écrivain, pour qui « L’Écrire devient […] acte » (Chamoiseau, 1997 : 328), met en œuvre tout un arsenal de procédés pour stimuler ses lecteurs antillais à la véritable libération, c’est-à-dire à l’autodétermination, aussi bien sur le plan ontologique que culturel et politique. Et c’est tout d’abord ce gouffre d’hébétement, d’exil et d’oubli dans lequel sombrent les opprimés qu’il met à l’index dans Écrire en pays dominé (1997) : « Nous sommes devenus spectateurs des mêmes images et des mêmes informations, et de la même hiérarchie qui leur est infligée. Ce n’est plus le monologue d’un centre vers une périphérie c’est la tirade grandiose, urbi et orbi, d’un Centre diffus qui décervelle le Monde-Relié » (Chamoiseau, 1997 : 363-4).
25C’est dans cette optique que la polémique inhérente au pamphlet chamoisien prend une toute autre ampleur, comme l’a bien montré Marc Angenot : « La polémique doit non seulement augmenter l’adhésion de l’auditoire mais aussi le faire sortir de son apathie, l’inciter à agir. Cette exigence est encore bien plus forte pour le pamphlétaire qui prétend secouer l’ataraxie d’un système établi » (Agenot, 1995 : 42).
26L’on essayera, à ce niveau d’analyse, de mettre en lumière la portée perlocutoire des procédés de l’adresse à l’autre (l’apostrophe, le vocatif, et l’impératif), en ce qui concerne le discours pamphlétaire chamoisien. Au fait, l’apostrophe qui représente la figure principale de l’adresse à l’autre, les vocatifs (Ho, hoo) qui ont pour fonction de renforcer l’apostrophe et l’impératif. Celui-ci participe du même élan à l’autre, qui est ici essentiellement l’auditoire antillais. Somme toute, ces procédés ont pour mission, d’une part, d’ouvrir les yeux des Antillais sur l’ostracisme et l’indépendance auxquels ils sont confrontés. D’autre part, ils incitent l’auditoire antillais afin qu’il adopte la conscience et la volonté requises qui lui permettront de recouvrer son identité culturelle, de récupérer sa mémoire collective et, par conséquent, de se saisir de son propre destin.
27Sous cet angle le vocatif typiquement chamoisien « hoo » se lie étroitement en même temps à l’apostrophe et à la modalité interrogative pour interpeller l’auditoire antillais et le réveiller de son insouciance. L’écrivain revient dans ce volet romanesque sur le calvaire du transbord autant que sur la terreur de l’exploitation que subissaient les esclaves, ceux qui ont été transbordés depuis l’Afrique vers le Nouveau Monde, celui des plantations. Il s’adresse notamment aux poètes, parmi les siens, en ces termes :
Poètes hoo, qui vous proclamiez libres, n’entendiez-vous pas monter de ces sites enchanteurs le grondement des Caraïbes exterminés à l’orée de cette colonisation ? Votre écriture ne recevait-elle pas de l’entour adorable la commotion des génocides ? Vos doucelettes muses pouvaient-elles ne pas entendre l’étrave mortuaire des navires négriers déchirer la beauté océane ? Laquelle des rumeurs de nos champs de cannes ne vous divulguait pas les violences esclavagistes ? […] Poètes hoo, vous étiez dominés (Chamoiseau, 1997 : 51-2).
28L’auteur recourt, dans ce passage, au tutoiement, au vocatif « ho » et à la figure de la prétérition dans l’objectif de dénoncer l’ethnocentrisme, de jeter de la lumière sur les ravages de l’expansion coloniale qui en résulte. Il adresse la parole à lui-même, en tant qu’écrivain, et par-delà, à tout antillais pour se rappeler, et rappeler ce dernier, de la nécessité et de l’importance de la liberté, autant sur le plan personnel que collectif :
Ho, tu n’affrontes pas d’ethnies élues, pas de murs, pas d’armée qui damne tes trottoirs, pas de haine purificatrice… tu n’es pas de ceux qui peuvent dresser des cartes de goulags, ou mener discours sur les génocides, les massacres, les dictateurs féroces. Tu ne peux pas décrire des errances de pouvoir dans des palais stupéfiés, ni tenir mémoire des horreurs d’une solution finale. Autour de ta plume, aucun spectre de censure ni de fil barbelé (Chamoiseau, 1997 : 17).
29C’est à partir de cette perspective perlocutoire que l’impératif s’allie organiquement au vocatif « Oh » et rejoint sa force la plus opératoire, dans la mesure où, par l’acte performatif qu’il recèle, il permet à l’auteur de pousser l’Antillais à se rendre compte de la situation d’aliénation dans laquelle il se trouve, aliénation due à la dépendance économique et au consumérisme passif et négatif. C’est là où résident les raisons de la manipulation et de la mise sous-tutelle des opprimés, de la part des oppresseurs :
Pense à ces fortunes colossales, donc à ces pouvoirs, qui se fondent sur la seule consommation médicamenteuse. Nos maladies et nos angoisses s’uniformisent, nos médecines aussi … Un puissant laboratoire au départ, un circuit de diffusion et de promotion ensuite, des coopératives pharmaceutiques de réception qui achèvent le travail … Et le cyberespace qui accélère cette boucle […] Oh, petit Cham, pour être franc, dans mes sommeils brisés, je pleure souvent sur ces enfants du monde qui frissonnent tous, de la même manière, devant un McDonald standard […] Écoute cette précision : je dis « réseaux », mais sans accorder à ce pauvre mot une quelconque importance. Parce que je devine possibles des complexions reliés entre elles, auto-adaptables, bougeantes, épandues sur la terre entière selon des tissages qui nous échappent encore (Chamoiseau, 1997 : 278).
30 Enfin, l’auteur met en jeu les phrases interrogatives en ayant recours au pronom personnel de la première personne du pluriel « nous » pour deux raisons divergentes mais complémentaires. D’une part, il rattache, de manière non moins péremptoire, tous les Antillais, y compris lui-même, à un sort unique. D’autre part, il s’attache à placer ceux-ci devant leurs responsabilités sociétales. Il les invite à faire preuve de solidarité les uns envers les autres. C’est ainsi qu’il leur propose l’une des modalités de lutte contre les puissances hégémoniques. Cet extrait revient, en particulier, sur la valeur citoyenne de la solidarité, en remettant en cause, et l’égoïsme des Antillais, et la systématisation colonialiste :
Le vieux guerrier me laisse entendre : … sous cette domination, dans mon pays, rien ne nous relie, toute nécessité solidaire est défaite par la dépendance et par l’assassinat. Le pêcheur, l’agriculteur, le fonctionnaire, l’écrivain, le politique, l’entrepreneur … chacun est confronté aux mécanismes délicieux mis en place pour lui ; et dansa cette existence, on est seul ; pas de « Nous », rien à faire ensemble. C’est d’ailleurs pourquoi nous ne sommes « ensemble » qu’avec le Centre. […] En positif ou négatif, notre « ensemble » s’élabore en dehors de nous-mêmes […] Alors comment enchouker une résistance ou même en deviner l’urgence ? […] Partout, dans les ravines les plus lointaines, je vois, au nom du « Développement », l’assistanat navrer l’initiative, rogner la frustration d’où naissent les élans. L’assistanat ne développe que notre assistanat (Chamoiseau, 1997 : 220-1).
31En quel sens les procédés de l’ironie et de la mise à l’index sont-ils mis à contribution pour combattre l’aliénation et faire face à l’assimilation occidentale ?
32Sans doute la conjoncture postcoloniale a-t-elle favorisé, chez Chamoiseau, l’éclosion d’une écriture polémique ainsi que le développement d’un style pamphlétaire, lequel se sert essentiellement de l’ironie, en tant qu’elle s’agrémente d’un caractère pragmatique, ordonné autour de la raillerie et de la critique virulente. La définition que présente Catherine Kerbrat-Orecchioni se révèle, à cet égard, très intéressante : « L’ironie est un trope ayant une valeur illocutoire bien caractérisée (encore qu’elle comporte de nombreuses variantes, et différents degrés de "force") : ironiser, c’est toujours d’une certaine manière railler, disqualifier, tourner en dérision, se moquer de quelqu’un ou de quelque chose » (Kerbrat-Orecchioni ; Herschberg Pierrot, 1993 : 153).
33Toutefois, il convient de souligner, à la suite de Michèle Aquien et Georges Molinié, que l’ironie ne peut se limiter à un aspect microstructural d’une expression ou d’un petit nombre de mots. Tout à l’inverse, elle peut se profiler dans plusieurs phrases :
L’ironie est une figure de type macrostructural, qui joue sur la caractérisation intensive de l’énoncé : comme chacun sait, on dit le contraire de ce que l’on veut faire entendre. Il importe de bien voir le caractère macrostructural de l’ironie : un discours ironique se développe parfois sur un ensemble de phrases parmi lesquelles il est difficile d’isoler formellement des termes spécifiques porteurs de l’ironie […] ; d’autre part, c’est tout l’entourage du passage qui concourt à le faire interpréter ironiquement, l’ironie pouvant toujours n’être point perçue (Aquien ; Molinié, 1996 : 210).
34Qu’en est-il donc de l’ironie dont se nourrit le discours satirique chamoisien dans Écrire en pays dominé (1997) ?
35Dans l’objectif de récuser les prêts-à-penser colonialistes et réduire en dérision l’absurde qui plane sur les dominés dans les îles antillaises, l’auteur fait l’usage du paradoxe. Ce passage revient à la fois sur le sadisme des dominateurs et sur la désolation des insulaires. Le narcissisme des premiers, qui ne trouvent dans l’île que des plaisirs exotiques, les empêchent de se rendre compte des malheurs des seconds, qui succombent sous la domination impérialiste : « En pleine misères post-esclavagistes et coloniales, violences diverses et négations humaines, ils avaient décrit les éclats du pays, l’infinie douceur de ses rives, son goût de bonheur vanillé. Sonnets de papillons et de ciel bleu. Rimes d’alizés, de soleil et de fleurs odorantes » (Chamoiseau, 1997 : 50).
36En faisant le portrait du quimboiseur dans cet extrait, l’auteur utilise l’antiphrase pour ridiculiser les valeurs religieuses, celles qui sont instrumentalisées par les colonisateurs en vue d’asservir et d’exploiter les esclaves dans l’univers des plantations. C’est sur un ton ironique qu’il met ses lecteurs en garde contre tout ce qui conduit à leur aliénation :
Celui qui manie le poison et qui sait l’antidote détient mystère sacré. Reconstruit par les gestes, il lève auprès des souffrances du corps. Il est d’abord là pour guérir quand les maladies rôdent, quand les nègres tombent sous le venin de la Bête-longue. De celui-ci, les Maîtres et Commandeurs ne voient qu’un dos courbé, mais les esclaves – ses frères – décèlent l’aura qui l’enveloppe : c’est le Quimboiseur. Ce sorcier se forge comme une concrétion. Minerai de strates psychiques précieuses, il détient des mots, des chants, des bouts d’invocation, des modules d’un savoir qu’il va recombiner. Avec un songe d’Afrique, un vieux geste sur trois feuilles, l’imitation d’une pratique caraïbe. Des dieux flués de la mémoire du corps, lui réhabilitent les mains, les hanches, l’éclat de la pupille. Il noue des analogies entre végétaux d’ici et ceux du Territoire perdu, entre les dieux d’ici et les dieux de là-bas. Il superpose les paysages. Il comble ses silences de mémoire avec le chant de l’alentour, il densifie ses anciens bruits avec des bruits d’ici. Il puise aux liturgies de l’Abbé christianiseur ou du Chaman amérindien. Il […] se forge un sacré qui tente de singer le Sacré primordial (Chamoiseau, 1997 : 174-5).
37C’est également à travers cette dynamique antiphrastique que Chamoiseau se saisit du terme « anabase », qui signifie « expédition militaire »4 et constitue le titre d’un recueil de poèmes de Saint-John Perse5, pour interroger la poussé esclavagiste et procéder, par là même, à une lutte d’émancipation anticoloniale, mais scripturale, artistique, et non armée. Il s’agit ici d’une reconquête littéraire et rhétorique de sa terre usurpée, c’est-à-dire à la pointe de la parole ou de l’écriture :
Dans mon anabase rêveuse au pays, j’ai admiré les vieux conteurs. J’ai admiré les contes, des titimes, des proverbes, des filages de merveilles. Secrètement, lors des joutes, et surtout dans l’émoi des injures, en belle jubilation, j’ai admiré la langue créole. J’ai admiré des paysages, des quartiers invisibles, des arbres-temps, des endroits à moitié effacés, des gestes sans mémoire. J’ai admiré des yoles éberluées et des gommiers hors souvenirs. Par ce sentiment, l’Écrire acquiert ses charges fécondes. Une connaissance intuitive en émane, qui enveloppe l’esprit. Une happée globale, non raisonnée, se diffuse là-même dans l’ensemble de l’Être. Pièce approche volontaire, carnet de notes ou appareil, ne saurait remplacer le sentiment d’admiration. Comment s’est-il déclenché malgré la dépréciation inconsciente qui pèse sur notre entour ? Je me suis découvert admirant en me laissant-aller à m’accepter. Une sorte de brusque trappe qui s’ouvre, et débonde mon esprit. Le surgissement (comme renaissance) d’une vision intérieure des étants dénigrés. L’innocence réapprise, intime et souveraine, du rêveur me submergeant soudain. Cette ivresse admirante, sous domination, m’est chose rare et précieuse (Chamoiseau, 1997 : 108-9).
38Les antiphrases « ce bel oxygène » et « la Lumière du monde » s’allient intimement, à l’hyperbole, à la comparaison, à la métaphore filée, à la personnification, à la périphrase, à l’ellipse et aux termes dépréciatifs qui se rassemblent tous dans cet extrait, repéré dans Écrire en pays dominé (1997), pour permettre à l’auteur non seulement de prendre à partie la systématisation impérialiste méthodique que les oppresseurs imposent aux opprimés, mais également de se moquer de ceux, parmi ses compatriotes, qui se laissent prendre à leurs pièges :
Le vieux guerrier me laisse entendre : … ah, je te vois ! … (il rit, bouillon muscade, puis sa voix tombe, sable de savane) … La domination est comme l’hydre à mille têtes. Chaque tête qui tombe fait germer un serpent. Nous nous battions, mais tout n’était pas simple. Ainsi, sous la botte coloniale, beaucoup de pesanteurs propres aux cultures colonisées furent allégées : des femmes trouvèrent à s’émanciper, des carcans religieux furent levés, des blocages sociaux ethniques ou autres furent invalidés, des interdits ancestraux furent dénoués, des Sacrés contraignants furent relativisés … (il soupire) … Ceux qui bénéficièrent ainsi de ce bel oxygène considérèrent la culture de nos colons comme la Lumière du monde … – Inventaire d’une mélancolie (Chamoiseau, 1997 : 66).
39Comment donc l’esthétique autobiographique chamoisienne devient-elle à même de récuser « la mise-sous-relation »(Chamoiseau, 1997 : 338) impérialiste et de remettre en question les organes du néocolonialisme ?
40À ce stade de l’analyse des mœurs dont l’ethos chamoisien fait montre dans le logos autobiographique, c’est-à-dire des moralités éminentes et des valeurs esthétiques autour desquelles il essaie de fédérer les insulaires, il convient de préciser que l’auteur se détourne définitivement de la rancœur lorsqu’il met à l’index l’hégémonie, ses mécanismes et ses manifestations. C’est ce qu’il confirme dans ce passage, puisé dans Écrire en pays dominé (1997) : « Il ne s’agit pas de s’opposer à l’Occident mais aux dominations qui naissent de la mise-sous-relations. L’Occident est en nous, mais pas le dessein de ses États ou de ses Territoires ; nous sommes désormais dans l’Occident, reliés aux épaisseurs humaines de ses pays, à leurs éclats et à leurs ombres » (338-9). En d’autres termes, l’auteur réagit artistiquement par amour de liberté plutôt que par haine d’autrui. C’est pourquoi il tente de faire face à cette « mise-sous-relations » en invitant ses lecteurs antillais comme son auditoire occidental à cultiver la « mise-en-relations », laquelle s’éloigne de toute modélisation chosificatrice et de toute forme de domination pour s’inscrire sous le signe du dialogue et de l’échange culturels. L’auteur ne fait ainsi que récuser tout essentialisme au profit des liaisons rhizomiques qui doivent s’établir entre les différentes cultures et les différents imaginaires dans le monde. Une telle lecture est bien mesurée dans Écrire en pays dominé (1997) :
Il est vital pour tout pays du monde de bâtir sa liberté dans-et-par son inscription dans le rhizome, d’organiser dans son espace des connexions inouïes, intérieures-extérieures, et de s’épanouir dans ce cyberespace en expansion. Mais là, je vois une chance et un danger. Le danger, c’est que mis-sous-relations (sous cartes, codes et sites) on reçoive de plein fouet la concentration de valeurs dominantes à laquelle nul ne peut résister sans l’intelligence d’une mise-en-relations. La chance, c’est que le rhizome démultiplie les potentialités de chacun et en offre de nouvelles à tous. Transmuer toute mise-sous-relations en une mise-en-relations (300-1).
41D’ailleurs, l’auteur s’en prend beaucoup plus à l’attitude servile des opprimés, qui sont enclins à l’asservissement et à la dépendance, qu’aux oppresseurs qui s’appliquent à les mettre sous tutelle, comme il le signale en ces termes : « […] je traversais des peuples devenus spectateurs des dominants du monde » (Chamoiseau, 1997 : 196). Somme toute, l’auteur s’emploie à inspirer la confiance à ses compatriotes, en leur donnant conscience des causes de leur misère et leur marginalisation. Il leur montre comment ils sont en partie responsables de leur dépendance et comment ils surestiment les valeurs aliénantes des dominateurs au détriment de leurs propres valeurs. Ce fragment revient particulièrement sur la mésestime de soi ainsi que sur le pouvoir des forces assimilationnistes dont les Caribéens sont doublement victimes :
Revenu à ma terre des Antilles, je découvris un phénomène semblable. Les hommes étaient contraints mais sur eux ne pesait plus une once de violence. Ils subissent la suggestion qu’ils n’étaient rien au monde (île minuscule, mentalité nègre, pesanteurs historiques, atavismes d’incompétences, anormalité, retards de « Développement »…). Ils étaient persuadés que leur liberté ne serait qu’une annexe de l’enfer. Je les voyais charmés par l’État-dominant dont la vie quotidienne emplissait les médias et servait d’oxygène au cachot insulaire. Ils se pensaient derrière-le-dos-de-Dieu, dans un Outre-de-la-mer, ultrapériphériques, hors centre, hors coup : débranchés.ils menaient dans les reflets du Centre une vie de théâtre. De leur ombre, ils aspiraient à sa force solaire. À chaque étape, la suggestion se renforçait : leurs valeurs hautes se voyaient estompées par celles du Dominant. Les ministres du Centre interrogeaient parfois ces ombres dotomisés qui s’étaient mises à leur peser : Mais quels sont vos projets, que désirez-vous ? Et eux ne pouvaient que répondre comme je l’avais si souvent entendu au cours de mes errances : Subventions, allocations, égalité… pour mieux vous ressembler !... Et ces ministres réprimandaient : Allons, ayez de l’audace, un peu de cœur et d’imaginations !... – Inventaire d’une mélancolie (Chamoiseau, 1997 : 215-6).
42Toutefois, l’auteur ne peut pas s’empêcher de remettre en cause le système économique impérialiste de la mondialisation, système qui profite aux oppresseurs et aux capitalistes aux dépens des opprimés. Les seconds sont tombés dans les pièges qui leur tendent les esclavagistes et les néocolonialistes, sombrent dans la soumission et cèdent, en toute passivité et en toute insouciance, au consumérisme et à la vie par procuration ; ils voient le monde, le leur, à travers la perspective des oppresseurs et se voient dans le miroir des dominateurs. Il s’agit, à en croire Patrick Chamoiseau, d’un nouveau système de vassalité, selon lequel les serfs [ou les vassaux] sont toujours au service de leurs suzerains :
Tout comme pour les serfs dans le système féodal, ou pour les ouvriers dans les grandes forges industrielles des siècles récents, notre existence contemporaine se déploie dans une calamité qui nous est indéchiffrable, rythmée par les augures du CAC 40, et qui nous instille un imaginaire de soumission, voire de fatalité, en face des appétits du capital et des absurdités de la finance. Des peuples entiers sont plongés dans des misères infâmes. Des pays sont voués ou bien à la famine ou bien à la consommation compulsive, aux centres commerciaux, aux calamités du tourisme, ou à je ne sais quoi d’autre. Dans le temple diffus du marché, les États sont réduits à leur plus simple expression, et se consacrent à de prétendues modernisations qui ne servent qu’à fluidifier les horlogeries du temple. […] La science elle-même dégénère en techno-science commerciale, qui ne vise qu’à augmenter la productivité tout en abaissant le coût de revient des produits. Cette baisse rend le travail de chacun moins rentable ce qui oblige la force productive ouvrière à travailler plus, non pour gagner plus, mais juste afin de maintenir un niveau de bénéfice acceptable pour les tenants du capital (Chamoiseau, 1997 : 94).
- 6 « La culture vivante, et la Créolité encore plus, est une excitation permanente de désir convivial. (...)
- 7 É. Glissant, Poétique de la Relation (Poétique III), Paris, Gallimard, 1990.
43Il va sa dire que Chamoiseau se désolidarise, dans Écrire en pays dominé (1997), de l’universalisation occidentale, basée sur les prétextes erronés de civiliser le monde, pour magnifier la créolité, sans basculer pour autant dans un quelconque égocentrisme culturel, ni s’enfermer dans une sorte d’exclusivisme6. Qui plus est, l’écrivain s’inscrit aussi, sur ce point, dans le sillage de l’auteur de Poétique de la Relation7 pour privilégier l’entrecroisement des cultures et favoriser le télescopage des imaginaires poétiques. Écoutons Chamoiseau qui se prononce sur la question, en nous faisant part de sa propre conception de la poétique de la Relation :
- 8 P. Chamoiseau, « La relation et le rhizome : du parler au déparler », Avec le concours de C. Britto (...)
[…] je pense que dans l’espace de la Relation, nous entrons dans des modalités linguistiques qui sont absolument nouvelles ; bien sûr, toutes les vieilles identités ataviques qui ont apporté tant de merveilles culturelles, aujourd’hui rentrent dans des processus d’interactions, d’« inter-rétroaction » absolument faramineux, imprévisibles et étonnants. Même si dans ce mouvement de mise en relation et d’« inter-rétroaction » des cultures et des langues, il y a des processus d’uniformisation, de domination, des champs et des rapports de force qui sont différents, qui ne sont pas égaux, il faut comprendre qu’il y a la poétique de la Relation qui est la Relation elle-même. La Relation elle-même, c’est quoi ? C’est une mise en conjonction, en « inter- rétroaction » de toutes les cultures, de tout ce que l’Homo sapiens a produit, et tous ces absolus identitaires, toutes ces merveilles linguistiques, ces merveilles spirituelles qui ont été produites comme ça dans tous les coins de la terre, rentrent dans un processus de mise en contact avec tout ce que nous connaissons8.
44D’ailleurs, c’est pour cette raison que Chamoiseau livre un combat sans merci de tous les lieux et de tous les instants, non seulement contre le colonialisme dans toutes ses manifestations, latentes et patentes, mais aussi contre l’oubli, le silence et l’insouciance qui constituent une menace sérieuse pour les cultures et les communautés mises sous tutelle par les puissances hégémoniques, comme l’a bien montré l’auteur dans Écrire en pays dominé (1997). L’auteur ne peut s’empêcher d’y encourager ses lecteurs à l’insurrection civique, en tant qu’action citoyenne d’émancipation :
Le vieux guerrier me laisse entendre : … parfois, je rencontrais des peuples plongés dans une nappe de silence. Sans un cri. Sans une larme. Sans une nuque qui proteste. Ils n’avaient autour d’eux ni barbelés, ni muraille interdite. La domination silencieuse ne contrariait aucun de leurs soucis linguistique, ethnique, identitaire, folklorique, culturel… Rien ne semblait l’offusquer… (il soupire, eau hagarde)… on n’effeuille plus l’arbre que l’on veut dominer, ne lui taille plus les branches majeures, on le travaille à sa racine, dans les sédiments mêmes de sa sève – pour nous l’imaginaire. Je vis ainsi, sous la botte de l’Empire soviétique, les enfants apprendre en estonien, letton ou lituanien à être de bons sujets de l’Union et à louanger ce qui provenait du Centre. J’étais effaré de voir ces libertés offertes dans la célébration des vieilles identités et des anciennes armures. Il y avait là une belle pente d’illusions pour ceux qui dans une telle enveloppe se croyaient libres !... Ils se désertaient eux-mêmes, leur expression n’atteignait pièce de leur vérité propre, ils « s’universalisaient » ou « s’enracinaient » jusqu’à l’insignifiance… – Inventaire d’une mélancolie (Chamoiseau, 1997 : 148).
- 9 « La Créolisation et ses créolités sont l’énergie de la Pierre-Monde. Cette énergie nourrira d’éton (...)
45C’est de cette manière-là que Chamoiseau exhorte les opprimés à prendre conscience de la situation dans laquelle ils stagnent ; il les incite à lever le défi de l’indépendance, c’est-à-dire à voir le monde, le chaos-monde, à travers leurs propres yeux et non à travers ceux de leurs oppresseurs. C’est assurément ainsi qu’ils peuvent interagir avec le monde, via leurs propres culture, imaginaire et inventivité. Pour ce qui est de la modalité de leur interaction avec les autres, dans « la Pierre-Monde »9, elle n’est autre que la dynamique de la créolisation. Cet extrait, puisé dans Écrire en pays dominé (1997), revient notamment sur cette dynamique, en mettant en lumière l’importance capitale que revêt l’esthétique du Divers et en invitant ses auditeurs antillais à s’autovaloriser, c’est-à-dire à considérer leur Histoire et leur terre archipélique comme levier de créativité, laquelle les autorise à résister aux marées montantes de la domination et l’extinction culturelles :
La Créolisation répercute l’élection du Divers jusqu’au plus extrême des sources originelles, elle mêle et relativise les mythes fondateurs des peuples qu’elle rassemble, elle mêle-et-maille les Paroles des origines et les relativise, elle déroute dans le non-absolu les conceptions unicitaires, et fragmente, et libère des carcans uniformisants. Je ne pouvais plus que penser l’existant à l’aune de ce Divers. Quand on a élu en soi l’idée de la Créolisation, on ne commence pas à « être » on se met soudain à « exister », à exister à la manière totale d’un vent qui souffle, et qui mêle terre, mer, arbre, ciel, senteurs, et toutes qualités (Chamoiseau, 1997 : 224-5).
46En conclusion, il n’est pas inintéressant pour nous de noter que « l’Écrit » (Chamoiseau, 1997 : 294) philosophique et autobiographique romanesque de Patrick Chamoiseau se veut préalablement une « hérésie joyeuse » (Chamoiseau, 1997 : 323) pour maintes raisons, différentes mais convergentes. En premier lieu, il s’agit d’une philosophie et d’une poétique insulaires relevant « des audaces esthétiques » (Chamoiseau, 1997 : 290), à même d’échapper aux stéréotypes et aux moulages culturels des oppresseurs, sans pour autant basculer dans la voie de la haine et de la violence. En outre, celles-ci mettent autant le mimétisme que les « écrivains-doudous » (Chamoiseau, 1997 : 61) à la vindicte lectorale, car ils renforcent la « mésestime globale de nous-mêmes » (Chamoiseau, 1997 : 61), les « autodépréciations » et « le seul dégoût de nous-mêmes que la domination néocoloniale alimente sans fin » (Chamoiseau, 1997 : 61). Plus encore, l’hérésie artistique chamoisienne est placée sous le double signe de la beauté et de l’enrichissement culturel, bien loin de toute instrumentalisation et de toute standardisation, c’est-à-dire à l’abri de « la fascination pour les valeurs du Centre » (Chamoiseau, 1997 : 61). C’est ce que confirme l’auteur en mettant en exergue non seulement le caractère hérétique, mais aussi la teneur pamphlétaire que revêt son essai autobiographique : « Débordant de l’Écrire, elle retrouvera l’hérésie des langages, se vêtira d’un lexique d’orage, et ira le Tout-possible destin où les langues se connaissent, s’effectuent et vivent un beau danger » (Chamoiseau, 1997 : 290).
47C’est également à partir de ce point de vue que nous avons pointé le caractère insurgé dont se distingue l’ethos dans Écrire en pays dominé (1997). Toutefois, il est question d’une révolte scripturale, artistique et culturelle qui se propose de faire face à la domination, à l’esclavage et à toutes formes de « mise-sous-relations » (Chamoiseau, 1997 : 64).
48 Ainsi l’essayiste antillais considère-t-il son projet philosophique et littéraire comme une entreprise épistémologique, dans le sens où la connaissance des vérités historiques ainsi que la mise à l’index des organes hégémoniques, radicalisant le clivage entre le Centre et les periphéries, dans son aire archipélique constituent la première ligne de défense contre la mondialisation et le néocolonialisme.
49C’est ici le lieu de rappeler que Chamoiseau inscrit son « Écrire » (Chamoiseau, 1997 : 331) philosophique et autobiographique dans une dynamique de résistance culturelle, faisant face aux puissances dominatrices par un biais artistique et non en ayant recours aux armes et à la violence. Dans cette perspective, Chamoiseau coécrit avec Glissant dans L’intraitable beauté du monde : « Le déficit en beauté est le signe d’une atteinte au vivant, un appel à résistance. Auprès de la beauté, la résistance, l’existence, le politique se chargent à fond de l’énergie du vivant » (Glissant ; Chamoiseau, 2009 : 29).
- 10 « Ne pas tenter la rupture – étant continuité. Oser l’alternative. Envisager l’autre mode, ni en ru (...)
50 Enfin, nous avons essayé de montrer comment l’écriture pamphlétaire de Chamoiseau dans Écrire en pays dominé (1997), cultivant « l’imaginaire de Diversalité » (Chamoiseau, 1997 : 331) et le vivre ensemble, loin de toutes formes de domination, constitue une alternative10, porteuse d’espoir et placé sous le sceau de la créativité culturelle et esthétique. D’ailleurs, c’est notamment de cette manière non moins péremptoire que Patrick Chamoiseau entend révolutionner la littérature et la poétique, à partir de l’île et de l’archipel, comme il le note dans ce passage fort éloquent :
L’Écrire ouvert, en n’importe quelle langue, c’est l’Écrire-langages, mener en sa langue l’émoi des autres langues et de leurs possibles-impossibles contacts, supputer ces adhérences qui distinguent, ces rejets qui fécondent, ces gemmations inattendues d’où le chant peut s’élever, la merveille des significations qui convergent, s’étagent, dans des mots inconnus, ce chaos dont l’alphabet submerge notre entendement mais connive en belle aise avec l’imaginaire. Mander cette poésie dans ma tête. Étonnants paysages à lâcher aux ivresses. Face aux langues conquérantes, provoque, ô Marqueur, l’intempérie omniphone – jouvence même de la poésie neuve (Chamoiseau, 1997 : 330).