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Dossier : Périphérie(s) dans les imaginaires et les récits latino-américains contemporains
Territoires

Mexico-Tenochtitlan de la cité à la ville

Evolution des représentations des espaces publics de l’ancien centre cérémoniel des Aztèques et de ses quartiers périphériques à travers le temps (XVIe-XXIe siècles)
Béatrice Maroudaye 

Résumés

L’article que nous présentons cherche à montrer par le biais de l’image comment la cité de Mexico-Tenochtitlán à été reconstruite et a développé à l’origine de la volonté espagnole son espace en créant des zones urbaines spécifiques fréquentées par les populations indiennes espagnoles, noires et métisses. Même si les lois hispaniques étaient strictes, cette réalité n’a pas été respectée pour les besoins du commerce et le mécanisme spatial dont ont hérité les populations locales. Au fil des siècles les représentations témoignent de la conservation des axes principaux de l’ancienne Mexico-Tenochtitlán et corroborent les dires des chroniqueurs et voyageurs ayant visité la ville. L’évolution des représentations laisse percevoir la disparition des lacs au profit de l’urbanisation inévitable réglée par des lois des différents gouvernements qui ont utilisé les symboles autoritaires du pouvoir sur le centre de Mexico.. Pourtant, les représentations récentes laissent entrevoir parallèlement le sentiment de gloire impérissable de l’ancienne Mexico-Tenochtitlán prédit par les chroniqueurs métis il y a 500 ans où est venu se greffer l’ancien souvenir de la ville associé à la projection d’une ville fictive. L’image permet de réhabiliter le souvenir de la société des anciens Mexicains dans une perspective moderne. 

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Texte intégral

  • 1 Cette zone qui n’a cessé d’être le cœur des activités constitue un bien inscrit sur la liste du pat (...)

1Du XIVe au XIXe siècle, Mexico-Tenochtitlan, puis Mexico, ont exercé une influence décisive sur le développement de l’architecture, des arts monumentaux et de l’utilisation de l’espace, tout d’abord sous l’empire aztèque, puis en Nouvelle-Espagne. L’ensemble monumental du Templo Mayor (Temple principal) témoigne de manière exceptionnelle des cultes d’une civilisation disparue, tandis que la cathédrale est un exemple d’architecture coloniale. La capitale de la Nouvelle-Espagne, caractérisée par son plan en damier, l’espacement régulier de ses places et de ses rues et la splendeur de son architecture, constitue un exemple fondamental d’établissements hispaniques du Nouveau Monde. Les monuments, groupes d’édifices ou sites actuellement  au cœur de l’immense agglomération illustrent les origines et la croissance de cette ville qui a dominé la région pendant plusieurs siècles.1

2Même si nous avons la connaissance de l’existence de ces représentations cet article vise à montrer tant l’évolution urbaine de la ville que les liens qui existent entre la fonction des monuments et l’importance qu’ils occupent dans l’espace et le territoire. Créant un perpétuel écho au passé de la ville des anciens mexicas, l’analyse des images permet de comprendre la fonction de l’espace et ses pratiques pour chaque siècle. Grâce aux images, nous pouvons corroborer les informations délivrées par les chroniqueurs et voyageurs européens qui avaient décrit Mexico en leurs temps lors de leur passage en ville. Nous nous rendons compte des témoignages et des ressentis prémonitoires faits par les chroniqueurs métis il y a plusieurs siècles. Ainsi, les représentations de Mexico en général et de son centre historique en particulier sont un objet d’études opérant puisque leurs significations vont au-delà d’une simple appréciation illustrative que l’on donne au caractère purement informatif de l’image. Les représentations sont riches en informations de toute nature sur les processus de développement urbain du centre de la ville mais aussi sur le fonctionnement, les mécanismes et le caractère symbolique qui s’est conservé à travers le temps et qui est encore exploité aujourd’hui à des fins nationales et politiques. Il convient ainsi de souligner l’importance du centre de Mexico étant donné que toute la ville moderne actuelle est née à partir de ce même centre névralgique qui était au départ l’ancien centre cérémoniel des anciens Mexicains décrit par Hernan Cortés en 1519 dans la quatrième lettre qu’il adresse à Charles Quint. Toute la ville de Mexico a été construite autour de ce centre et est longtemps restée un espace entouré de champs jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle.

3Après la destruction rapide et violente de Mexico-Tenochtitlan, le conquistador Hernan Cortés avait décidé d’ériger les premières constructions coloniales sur les débris. Les ruines que l’on peut apprécier encore aujourd’hui sur l’une des extrémités de la place de la Constitution, à proximité de la Cathédrale métropolitaine de Mexico rappellent encore l’existence du passé lointain des Aztèques.

4L’étude des images riches en informations sur les espaces qui se sont formés et délimités autour du centre et qui ont favorisé des mœurs, des comportements sociaux reproduits à l’intérieur de ce même centre permettent de soulever des problématiques liées à des schémas systématiques qui s’appuient sur des pratiques sociales, symboliques, politiques et identitaires. Elles se sont formées au tout début de l’époque coloniale et sur ces lieux, se sont succédé les constructions coloniales qui ont conservé une importance politique autoritaire égalant le pouvoir politico-religieux des temps préhispaniques. Les images permettent de montrer comment la ville a évolué sur le plan urbain et architectural au fil de sa reconstruction et de comprendre ce que la place peut évoquer dans l’imaginaire mexicain et comment elle se répercute encore aujourd’hui puisque plus de cinq cents ans après sa chute, c’est l’image de Mexico-Tenochtitlan qui semble avoir été conservée malgré sa disparition totale, pour être associée à l’image d’une ville moderne américaine.

  • 2 Représentation directe du pouvoir juridique espagnol dans les Amériques
  • 3 Fonctionnaire royal de l’empire espagnol exerçant son pouvoir tant dans les provinces que dans la m (...)
  • 4 Fonctionnaire principal délégué par la Couronne d’Espagne chargé de l’administration de la ville et (...)

5Mexico-Tenochtitlan avait contribué à définir le rôle autoritaire du centre en raison du lieu cérémoniel qui détermine la fonctionnalité de la cité et qui a conservé un symbole sacré fort lié à la croyance et à l'autorité du peuple aztèque considéré par ses tribus voisines comme le peuple élu. Depuis l'époque préhispanique, le centre commande et relie tout par son seul noyau : les activités commerciales, festives, politiques et religieuses. Au XVIe siècle, cette place a occupé après Séville la deuxième place la plus fréquentée pour ses marchés et ses produits qui circulaient en raison des échanges commerciaux nécessaires à la vie économique. Les produits venant d’Asie passaient par Mexico. Durant la période coloniale, le centre devenu "La Plaza Mayor" à l'espagnole a continué de rassembler dans cette même zone les symboles de justice et de pouvoir, les lieux de commerce tout en laissant la place ouverte au passage de toutes les catégories sociales confondues regroupant marchands, voyageurs, métis, Indiens, noirs et autres fonctionnaires de la haute bourgeoisie. À Mexico, régnait le siège de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne et de l’Audiencia2. On y trouvait un corregidor3 et un cabildo4 municipal espagnol qui exerçait son autorité dans la ville de Mexico et ses alentours, dans un paramètre assez réduit. En dehors de cette zone, et à la périphérie, il y avait les ejidos où les intrusions des Espagnols et des Indiens étaient fréquentes.

  • 5 La traza est un tracé, une ligne déterminée par les premiers conquistadors (Hernan Cortés et Garcia (...)

6A l’époque coloniale, les quartiers de San Juan Tenochtitlan et Santiago Tlatelolco étaient considérés comme des zones faisant partie de la ville. Mais chacune de ces deux parcelles était administrée par un gouverneur. Les quatre quartiers les plus importants de Tenochtitlan étaient gérés par des maires indigènes et les plus petites zones avaient un genre de délégués connus sous le nom de tepixque. Finalement, au tout début de la période coloniale, les autorités ecclésiastiques n’ont pas changé véritablement l’organisation administrative des Indiens et ils se sont même servis de la répartition des caciques et se sont organisés en fonction de leurs divisions administratives. C’est à la fin du XVIe siècle que la ville a été divisée en trois paroisses pour les Espagnols, et en sept pour les Indiens. Mais cette fragmentation a échoué et la volonté de séparation des dirigeants a davantage favorisé un regroupement des populations. Malgré les interdits et les divisions sociales, les Indiens vivant en périphérie de la traza5 ont rejoint les Espagnols au centre, sur le périmètre de la traza, et de nouvelles constructions improvisées ont fleuri. En 1690, une loi interdisait les Indiens de vivre au centre mais ce sont justement les interdictions qui ont permis de multiplier les mouvements de population indienne vers le centre urbain où étaient regroupés la vie, le travail et le commerce espagnol. La Plaza Mayor était alors le principal marché d’approvisionnement de la ville. La place est comble, elle grouille d’activités et de vendeurs ambulants.

7L’administration de la plaza est tenue par le Cabildo. Cette structure délègue des fonctionnaires qui sont les maîtres de la plaza. Ils prennent toutes les décisions en autorisant des licences pour la construction des arcades et en donnant des permis pour les actes de vente et la location des stands pour les marchés. Cette organisation administrative joue le rôle d’un État constamment à la recherche de fonds et de ressources en imposant des impôts avec les actas de posesión para otorgar el dominio a los indigenas sobre los sitios para puestos levadizos.

8Il convient de s’interroger sur l’importance de cette place aujourd’hui convertie en place de la Constitution. Il est pertinent d’analyser ses mêmes espaces qui appartiennent au Centre Historique de Mexico inscrit avec Xochimilco au Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1985 et d’en retracer l’évolution pour comprendre comment les édifices se sont succédé au fil du temps sur les mêmes lieux de pouvoir.  

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Plan de la ville de Tenochtitlán attribué au conquistador Hernan Cortés en 1524 (23,8 cm x 23,8 cm). Gravure sur bois de lAllemand Martin Plinuis.

10Source: Sonia Lombardo de Ruiz, Atlas de la ciudad de México, p. 153

11Ce plan, publié pour la première fois à Nuremberg en 1524 dans une édition des lettres de Cortés écrites à Charles Quint, est en réalité une gravure sur bois réalisée par l’Allemand Martin Plinuis. Elle aurait été faite d’après un dessin exécuté par un soldat de Cortés, probablement García Bravo. Le nord géographique se trouve au bas de l’image. Les lacs et chaussées nous permettent de reconnaître au cœur du dessin et à l’intérieur du tracé, le centre de la cité mexica de Tenochtitlán. L’espace cérémoniel est au centre, entouré de maisons en terre cuite et de temples en pierre. On voit également à l’intérieur du centre cérémoniel, le Templo mayor (templum ubi sacrificant, « temple où ils sacrifient », le tzompantli (capita sacrificatorum, « têtes des sacrifiés) ainsi que le jardin zoologique de Moctezuma (domus animalium) « maison des animaux».

12Sur la gauche de l’image, on reconnaît très facilement la digue construite par Nezahualcóyotl qui servait de protection à la ville et qui empêchait que les eaux de la partie nord du lac ne se mêlent à celles de la partie centrale, saumâtres mais utilisables pour l’agriculture. Sur la droite, on voit l’aqueduc de Chapultepec, le plus important pour l’approvisionnement en eau potable que Cortés avait fait détruire pendant la conquête pour isoler les populations indiennes. Il l’avait ensuite fait reconstruire dès le tout début de la reconstruction de la ville.

13L’image est fidèle aux descriptions que le conquistador anonyme et H. Cortés avaient faites de la cité.

14Les Aztèques ont construit ce qui devait devenir la capitale de leur empire sur une petite île du lac Texcoco, dans la vallée de Mexico.

15Cette image correspond également à l´imaginaire des premiers Européens partis pour le Nouveau Monde. Concernant la technique du dessin, il est difficile de percevoir le caractère indien de l’image. On peut surtout voir l’influence européenne dans le dessin. Les maisons mexicaines ont un style médiéval. Cette image fait également penser aux nombreuses représentations de Jérusalem réalisées au XIIIe siècle ou encore aux premières images des villes européennes qui ont circulé avant la période coloniale et dont le centre ont inspiré les premières représentations de Mexico.

16Cette gravure a un aspect énigmatique, même si elle comporte des détails qui n’ont pu être vus que par un témoin oculaire. Elle était la seule que les Espagnols avaient de la cité de Tenochtitlán, et il est donc normal qu’elle ait donné naissance à d’autres représentations ou qu’elle ait été modifiée en fonction des besoins de l’artiste. Elle aura de toute façon influencé l’iconographie postérieure à la conquête. Elle a également fait l’objet d’une recherche historique dans laquelle l’auteur scrute le plan pour y retrouver l’influence et les imaginaires des Espagnols ayant modifié la représentation.

Description. Plan à main levée de la ville de Mexico, 1628. Juan Gómez de Trasmonte. Plan en couleurs (62 cm x 55 cm). Chromolithographie


Document 2

 Source : Musée d’Histoire naturelle, ville de Mexico, D.F.

17La capitale de la Nouvelle-Espagne est caractérisée en général dans les représentations par ses plans en damier et l’espacement régulier de ses places et de ses rues. La splendeur des espaces, des montagnes de la vallée de Mexico est une caractéristique systématiquement mentionnée par les voyageurs tel Gemelli Careri et Thomas Gage qui étaient passé par Mexico. Ce plan correspond à la vision de la ville de l’architecte Juan Gómez de Trasmonte qui avait participé en tant qu’architecte au projet de désengorgement de la ville. Selon lui, il fallait ouvrir et agrandir la ville. Déjà, on assiste à une volonté de progrès et d’hygiène dans le fonctionnement de la ville et nous ne sommes qu’au XVIIe siècle. Le plan représente une perspective de la ville de Mexico, d’est en ouest. Dessiné avec un luxe de détails, l’ensemble urbain est saisi en perspective. La ligne de fuite suivant l’axe d’une grande voie, aboutit au lac, lui-même limité par un relief arboré. Le plan sans échelle permet une reconstruction presque parfaite de la cité comprise dans sa structure d’ensemble et dans les particularités de son architecture à la veille de son inondation catastrophique de 1629. Il intègre en un seul coup d’œil le noyau urbain, les clochers des églises s’élèvent bien au-dessus de la masse des habitations et les coupoles des édifices religieux sont encore presque inexistants.

18On voit l’albarradón qui protège le nord-est de Mexico juste derrière Tlatelolco. On aperçoit la nouvelle cathédrale, Santiago de Tlatelolco, le rempart de San Lázaro, et un peu plus à l’écart, le « Peñon de los baños» de Tepetzingo. On voit aussi les montagnes du Nevada et de Catarina. Au sud, on distingue San Pablo, la chaussée de San Antonio Abad et l’aqueduc de Chapultepec. À l’ouest enfin, se trouvent Chapultepec et l’aqueduc de Santa Fe. En haut du plan, à côté du titre, on peut lire des numéros qui correspondent à l’emplacement des édifices publics, civils et religieux, comme la cathédrale, le Palais du vice-roi, l’Université, le parc de l’Alameda, les couvents et les hôpitaux. Cette image témoigne pleinement de l’essor de la ville de Mexico qui avait dès le tout début de la période coloniale tous les atouts d’une grande ville d’Europe. Elle témoigne aussi des circonstances et désagréments de l’époque, car on voit clairement que les acequias et certaines zones de la ville sont inondées à cause des fortes pluies.

Nova Mexico”, 1671. John Ogilby. Plan en couleurs (53 cm x 29 cm). Gravure, Source : Palais d’Iturbide. Mexico, D.F. 

19C’est ici une interprétation qui dérive du plan de Gómez de Trasmonte. En revanche, la perspective de la ville est différente, puisque la ville est vue depuis le côté occidental. Le nord est à gauche. Il y a dans cette représentation assez complète, une foule de détails : au premier plan, des gens et des voitures qui transportent toutes sortes de marchandises. On remarque que les produits circulent et que le centre de la ville doit se prêter aux transactions commerciales internes de grande importance, comme le troc. On voit Chapultepec, de nouvelles constructions que l’on ne distinguait pas dans le plan de Gómez de Trasmonte. Il y a l’aqueduc qui passait par la chaussée de la Verónica et le Pont d’Alvarado, où les Espagnols avaient perdu tout l’or volé aux Mexicas lors de la Nuit Triste. On retrouve la fidèle représentation du Palais royal, de la cathédrale et des couvents. La fontaine au centre de l’image est sans doute la fontaine du Salto del Agua sur la Place des Vizcaínas. Tout au fond, il semblerait que l’on aperçoive le lac de Texcoco.

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Plan du comte de Moctezuma, aussi intitulé “La muy noble y leal ciudad de México”, 1692, en couleurs sur un superbe paravent de 10 panneaux (582cm x 200 cm), attribué à Diego Correa. Peinture à l’huile.  Source: Musée D’Histoire Nationale, ville de Mexico, D.F.

21Ce plan est une vue en perspective du ponant au levant. C’est une vision idéalisée de Mexico. Comme dans beaucoup de représentations, l’échelle est disproportionnée par rapport au réel et fait abstraction de la véritable distance. Cette approximation permet de mettre en évidence les éléments les plus caractéristiques de Mexico en 1692, par exemple, les constructions coloniales les plus importantes. On retrouve d’ailleurs les principaux édifices de la ville de Mexico ainsi que les chaussées, les canaux et les aqueducs. Par la présence de ses édifices, la ville a aussi bien l’allure d’une forteresse que d’une ville typiquement coloniale. Celle-ci est caractérisée par ses tracés perpendiculaires, ses rues parallèles, ses maisons et leurs terrasses. Au centre de la plaza Mayor, on aperçoit la cathédrale et le Palais. Dans le haut de l’image, on localise le lac de Texcoco, la montagne du Nevada, le lac de Chalco, et un peu plus loin, vers l’est, les volcans Iztaccíhuatl et Popocatépetl. Au sud-est, se trouve le «Cerro de la Estrella» et le village de Culhuacán. Au premier plan, l’aqueduc est la construction la plus visible, car il a été restauré par les Espagnols, pour qu’ils puissent faire venir l’eau potable depuis Chapultepec. Il avait été détruit par H. Cortés et ses soldats. En 1521, ces derniers prennent le contrôle de Tenochtitlán et emprisonnent les populations indiennes. L’aqueduc part en direction de l’ouest. Il longe Chapultepec, passe par l’église San Miguel, le couvent San Diego, l’Alameda, les temples de Saint-Jean de Dieu et de la Santa Veracruz pour déboucher sur la chaussée de Tacuba, près de la fontaine de Tlaxpana.

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Mexico en Amérique. Planche 99. Gravure 1700, C. Montier, Pierre, Source : México Ilustrado, 1994, p, 359. Sonia Lombardo de Ruiz, Atlas de la ciudad de México,

Plan en couleurs de 25 X 19 cm, sans échelle et sans orientation.

23Cette interprétation colorée en perspective est particulièrement intéressante. Au premier plan, on y voit un Indien aux traits iroquois plus que mésoaméricains et vêtu de ses parures qui montre à un autre Indien ou métis vêtu à la mode européenne, la ville de Mexico-Tenochtitlan. Ces Indiens sont externes au cadre de la ville de Mexico, fidèle dans sa représentation avec les montagnes et la végétation qui contournent le centre urbain. Le métis s’adresse à l’Indien qui semble lui indiquer le chemin vers la ville. Ce dernier à l’allure idyllique porte les symboles des allégories de l’Amérique qui sont en général des couronnes de plumes, un carquois et des flèches. A l’intérieur de l’image, les Espagnols ont délimité leur espace géographique qui se trouve contourné par des lieux qui ont été urbanisés et privés d’une grande partie d’espaces naturels.

Détail de la plaza Mayor avec la Cathédrale et le Palais, 1692, Source: Historia de la vida cotidiana en México, La ciudad barroca. Tome II p.21.

24Les Espagnols construisent la capitale de la Nouvelle-Espagne, Mexico, la « ville des palais », sur les ruines de la cité préhispanique, selon un modèle européen légèrement modifié par l’intervention d’artisans et d’ouvriers autochtones. Les axes délimités par les anciens canaux et les rivières asséchées qui avaient structuré la ville préhispanique ont influencé les mécanismes de circulation qui ont survécu à l’époque coloniale.

25Sur la droite de l’image, on peut voir le Palais du vice-roi avec son balcon et ses jalousies en bois. Le palais est entier et n’est pas encore détérioré par l’incendie qui sera provoqué la même année par les émeutes populaires contre le vice-roi de l’époque, Diego Carrillo de Mendoza, Marquis de Gelves. On peut également entrevoir quelques maisons coloniales avec le principe du patio central à deux ordres superposés, des arcades au rez-de-chaussée et des balcons à l’étage. La conception d’ensemble, place à portiques, palais et couvents tirent parti du site élevé et du panorama de la Plaza mayor qui marque durablement le schéma de l’urbanisme espagnol. A cette époque, «Todo México es ciudad, es decir que no tiene arravales y toda es bella y famosa» Francisco Cervantes de Salazar, México, 1554.

Peinture de Cristobal Villalpando. La Plaza mayor de México, 1695, Source : Collection Methuen. Exposition (2003) sur la ville du Mexique dans le Palais d´Iturbide, Mexico, DF  

26On voit, au premier plan, des femmes à l’allure espagnole, des metis et des enfants. Des nobles se promenant en carrosses ou à pied sont vêtus de leurs beaux habits et parés de leurs bijoux. Ils discutent. Dans le fond de l’image, on peut apercevoir le Palais du vice-roi. Sa partie gauche est pratiquement détruite suite au soulèvement populaire de 1692 qui avait réussi par un coup d’Etat à destituer le vice-roi. Sur les côtés, on reconnaît les principaux édifices qui forment le premier carré colonial de Mexico : la cathédrale, le Palais du vice-roi et le Cabildo. Au centre, la fontaine et le marché des voladores rassemblent les populations. Sur la droite de l’image, apparaissent les embarcadères où les barques sont aménagées comme de vraies îles flottantes. La place rassemble les gens du commun et les fonctionnaires du Cabildo et de la vie municipale. C’est aussi la ville marchande puisque Mexico sert de lien commercial entre Séville et Manille. On y trouve de la porcelaine, de la soie, des chinoiseries et d’autres produits de luxe. C’est la capitale marchande du Nouveau-Monde. Au loin dans la vallée de Mexico, les volcans Ixtacihuatl et Popocatepel sont distinguées par deux petites tâches blanches.

«  La principale place de Mexico est le marché. Il n’est pas si grand maintenant qu’il ne l’était du temps de Montezuma : le long d’un de ses côtés règne un portique ou rangée d’arcades, où l’on peut se mettre à couvert quand il pleut, au-dessus, il y a des boutiques où l’on vend toutes sortes d’étoffes et d’ouvrages, des femmes qui vendent des fruits et des herbes. En face de cette rangée d’arcades est le palais du vice-roi qui tient avec ses jardins. Au bout de ce palais est la prison, très forte et bâtie de pierres : toute proche est la belle rue des Orfèvres riche en or, pierres et diamants ». Histoire de l’Empire mexicain représentée par figures. » 

Plan en couleurs (266 x 211 cm). Peinture à l’huile sans titre, mais connue sous le nom de

« La plaza Mayor de México ».  1769. J. Antonio Prado, Source: Musée National d’Histoire. Château de Chapultepec

27La représentation est une vue d’ouest en est de la plaza Mayor. Elle a été prise depuis les toits du Palais du vice-roi. Au nord, (à droite du plan) on peut apercevoir la cathédrale ; à l’ouest, se trouve le parapet du palais du vice-roi ; au sud, les embarcations, le canal royal où circulent les barques. Dans le marché, se trouve la haute-société qui tente de faire des affaires commerciales. Il y a beaucoup de détails dans la peinture et c’est une scène populaire. Toutes les classes sociales de la ville coloniale sont ici représentées : le vice-roi, le peuple, les commerçants, la haute société, les gens courtois. Au sud de l’image, on peut apercevoir les arcades du Cabildo où se trouvent des religieux. Au centre, on voit le marché du Parían où l’on pouvait trouver toutes sortes de marchandises comme des fleurs, des vêtements ou encore des produits de luxe venus de la Nef de Chine. Un peu en dehors de ce marché, les commerçants ambulants vendent toutes sortes de pacotilles aux clients. Devant le portail de la cathédrale, des gardes sont alignés et surveillent de loin le passage du vice-roi, monsieur le Marquis de Croix qui est accueilli par le peuple. La sortie du vice-roi permettait à la haute bourgeoisie coloniale de se montrer vêtue de ses tenues vestimentaires luxueuses pour parader devant le peuple. La ville de Mexico accueillait volontiers une société de cour pour égaler les villes d’Europe comme Paris, sans doute son meilleur modèle. En effet, devant le portail de la cathédrale, des gardes sont alignés et surveillent de loin le passage du vice-roi, monsieur le Marquis de Croix qui, de son carrosse luxueux, est accueilli par la foule. Il faut rappeler que la sortie du vice-roi était un rite peu ordinaire. Les descriptions des chroniqueurs de l’époque insistent au contraire sur la saleté, la fumée, le vacarme et la promiscuité miséreuse qui règnent sur la place.

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Vue de la Plaza Mayor de Mexico restaurée et embellie sur les ordres de Monsieur le Vice-Roi, comte de Revillagigedo, en 1793. Anonyme. Dessin.  Plan en couleurs (67 cm x 45 cm), Source: Collection du Fond Banamex, exposée au Palais Iturbide de Mexico, 1998

29Le Mexique du XIXe siècle a maintenu son centre de pouvoir au même endroit et a ajouté ses influences stylistiques. Ce siècle a également hérité des volontés d’urbanistes, d’architectes comme Ignacio de Castera et d’hygiénistes qui avaient dès la fin du XVIIIe siècle décidé de « nettoyer le centre » en proposant des plans structurés basés sur des perspectives d’hygiène urbaine qui caractérisent les préoccupations des dirigeants de la fin du XVIIIe siècle. Il y a une volonté de vider le centre de ses populations et de ses passages de marchandises systématiques. Ce plan est une vue en perspective du sud au nord de la plaza Mayor de Mexico. On retrouve, toujours autour de la place, les édifices représentatifs des pouvoirs civils et religieux qui ont toujours défini et délimité le centre et le premier carré de Mexico. Au fond, se trouve la cathédrale, à droite, le Palais du vice-roi et à gauche, l’édifice du Parián qui abritait le marché à l’époque coloniale. Au premier plan, des carrosses circulent. Le Palais et le Parián sont les seuls vestiges du passé. On ne retrouve, en effet, ni les gens, ni la foule, ni les vendeurs ambulants, ni les marchés d’autrefois. Ils ont cédé la place à la représentation du pouvoir qui se montre et s’exerce lors du défilé de la Garde Royale ou par le vide. On ne voit pas non plus la potence, ni la fontaine du centre. Quatre fontaines situées aux extrémités de la place leur ont été substituées. Finalement, la ville est le produit d’une idéologie typiquement bourbonienne, où l’ordre s’installe pour faire place à la représentation du monarque. Ce sont les débuts de la ville moderne. Dès le XVIIIe siècle, le govierno virreinal de la ville de Mexico avait privilégié un commerce ouvert au marché extérieur. Il avait en revanche délaissé les artisans et supprimé les lois en faveur des commerces situés sur les places publiques, ce qui a favorisé la suppression de certains d’entre eux. Les marchés regroupaient toutes les classes sociales et étaient des lieux communs pour les rencontres, le commerce et la sociabilité. Ils ont été détruits en 1843 pour dégager la Plaza mayor, car la ville devait représenter l’ordre des Bourbons.

La rue de Roldán et son embarcadère. Lithographie de C. Castro et J. Campillo. Sans date.

(Fin XVIIIe?)

30Source: Arqueología mexicana, Lagos del valle de México p. 37

31On voit ici une partie de la Acequia real, le canal qui allait de la rue de la Corregidora jusqu’aux rues de la Alhóndiga et de Roldán. La rue de Roldán existe toujours à Mexico. Elle est située juste un peu avant le Couvent de la Merced, dans le centre historique et derrière le Palais National. On voit sur la lithographie l’embarcadère et le canal où de nombreux commerçants vendent fruits et marchandises aux passants. Il faut noter que des recherches archéologiques ont été faites dans les années 80 dans cette partie de la ville, sur l’ancienne acequia real, notamment dans la zone qui va de la rue de la Corregidora jusqu’à la rue Roldán. La rue de la Corregidora coupe les rues 20 de Noviembre, Pino Suárez et du Correo Mayor qui sont ses perpendiculaires. Il a été question d’une « reconstitution » des ponts et des canaux qui étaient en usage dans la ville de Mexico à l’époque coloniale. Pendant ces fouilles effectuées principalement sur l’axe du canal, l’existence du premier tracé de Mexico a été confirmée grâce à la découverte de nombreux objets mexicas trouvés dans la partie sud du fond du canal, mais aussi sous la partie du trottoir où s’érige l’actuel édifice de la Cour de Justice. Par ailleurs, les conquistadores avaient écrit qu’une acequia real divisait l’espace où se trouvaient les maisons. En relisant le texte de Francisco Cervantes de Salazar, on peut penser que l’avant-dernier empereur des mexicas, Moctezuma, avait son propre embarcadère. Il utilisait aussi son propre canal pour circuler sur la lagune de Mexico, afin de rejoindre ses appartements ou les maisons de ses maîtresses. Le chroniqueur Artemio de Valle-Arizpe dit que, sur la plaza Mayor, à l’emplacement du Palais national, se trouvaient les nouveaux Palais de Moctezuma. De nombreux objets lui appartenant ont aussi été recensés pendant les fouilles réalisées par l’archéologue Eduardo Noguera en 1936. Cela confirme les hypothèses concernant l’emplacement de certains édifices préhispaniques dont les ruines sont enfouies sous l’actuel centre.

Embarcadère du Paseo de la Viga 1855-1856.
Lithographie de Casimiro Castro, de la Serie “México y sus alrededores”, Source : Paseo  de la Viga, frontera idίlica y social, escrito por Andrés Resendiz Rodea,

Instituto Nacional de Bellas Artes y Literatura .Centro Nacional de Investigación Documentaciόn e información de Artes Plásticas (Cenidiap).Estampa Artes Gráficas. S. A de C.V.  Edición 2013, México, DF

32Le Canal de la Viga a été au fil des siècles un lieu de divertissements et d’échanges commerciaux pour les habitants de la ville de Mexico. Il s’étendait sur 1560 mètres de longueur et 30 mètres de largeur. L’espace, connu pour sa “belleza natural” a inspiré les écrivains comme Guillermo Prieto, Madame la Marquise Calderón de la Barca et Luis Castillo Ledón. C’est lors des fêtes du Carême et des festivités du Viernes de Dolores et de la Fiesta de las flores que les habitants se rendaient dans les rues de Roldan, aux embarcadères pour se promener, discuter, vendre et déguster les mets mexicains servis dans de petits chaussons de farine de maïs.

La superposition des époques :

La projection du Templo Mayor sur l’actuel centre de Mexico

Source : Dominique Gresle-Pouligny, Un plan pour Mexico-Tenochtitlan, p. 23

33Sur l’image, nous pouvons apercevoir la projection du Grand Temple (Templo mayor) à proximité de la cathédrale métropolitaine sur la zone actuelle du zocalo de Mexico dans le Centre historique. On reconnaît les deux parties ou petites tours carrées du temple dédiées à Hutitzilopochtili qui font face à l’ambitieuse construction coloniale des Espagnols; la cathédrale métropolitaine. De cette façon, il est plus évident de juxtaposer les passés et d’avoir une idée précise de l’emplacement du Grand Temple dont nous ne pouvons percevoir aujourd’hui que les ruines attestant de la présence de l’empire aztèque sur le lieu.

34Le grand temple de l’ancien centre cérémoniel aztèque est projeté sur les actuelles rues de Mexico de la Place de la Constitution. A l’époque des Aztèques, le centre était occupé par l’ensemble cérémoniel des Aztèques, le Coatepantli sur lequel les pyramides de Huitzilopochtli et de Tlaloc étaient regroupées. L’ensemble cérémoniel contenait environ 80 temples, maisons de prêtres, monastères, écoles, jeux de pelote, des jardins, des bâtiments et des administrations pour faire valoir la justice, en face de la cathédrale et au niveau de la rue de Moneda jusqu’à Correo mayor en direction du nord. Sur la place de la Constitution, s’élevaient les palais et les maisons des seigneurs.

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Montage de Tomas Filsinger

De la fiction au “syndrome” de Tenochtitlan

La projection de la ville moderne sur les anciens lacs de Mexico-Tenochtitlan

36Source; Filsinger Tomas, Gonzalez, Cuesta Antonio, Mapas y vistas del Anahuac. Espacio y tiempo de la cuenca y en la ciudad de México. 1323-2000. Unam, 2002

37Les groupes d’édifices imaginés au cœur de l’agglomération illustrent les origines et la croissance de Mexico-Tenochtitlan qui a dominé la région pendant plusieurs siècles.  En proposant un urbanisme moderne “à la new-yorkaise”, cette représentation des édifices modernes sur les anciens lacs de Mexico-Tenochtitlan associe l’univers des Aztèques représentée par le centre sacré, les montagnes et ses volcans avec lesquels sont associées des constructions modernes américaines. Des témoignages de l’époque de l’arrivée des conquérants espagnols à Tenochtitlan, capitale de l’empire aztèque, évoquent l’existence du grand lac couvert d’une multitude de pirogues et la ville insulaire avec ses nombreux oratoires en forme de tours et de forteresses éblouissantes de blancheur. Les conquérants espagnols détruisirent la ville insulaire de Tenochtitlan et commencèrent à assécher le lac qui l’entoure .Cette représentation est originale dans le sens où elle fait revivre les lacs.

  • 6 CHIMALPAHIN CUAUHTLEHUANITZIN,; Domingo, Francisco de San Antón Munón, Memorial breve acerca de ace (...)

38A première vue, en jouant sur le visuel, la perspective fait rejaillir un passé mexicain inoubliable où la cité est entourée de ses éléments naturels. L’image construit une vision moderne de la cité des Aztèques. Elle perpétue dans le même temps, les images des dires du chroniqueur Chimalpahin Cuautlehaunaitzin et révèle les symptômes d’un retour vers le passé où l’histoire frôle la fiction. Par cette représentation métafictionnelle et bien d’autres qui la suivront, Mexico-Tenochtitlan a aussi sa place dans la cour des grandes villes. Mais cette image brouille un peu les pistes. Elle fait à la fois écho au passé glorieux idéalisé et à la ville complexe qui se traduit par une projection liée aux impératifs modernes du jour. Mexico en quête de son propre passé fait pourtant coexister les imaginaires collectifs du rêve américain associé à la gloire du passé prestigieux des anciens mexicains. Soucieux de conserver l’identité indienne du passé glorieux de leurs ancêtres, les chroniqueurs avaient projeté sur la ville de Mexico -Tenochtitlan les espoirs et les attributs liés à la grandeur d’un passé inoubliable et atemporel. Cette image projette une attente prédite par le chroniqueur métis Chimalpahin Cuahtehuanitzin6 qui des siècles plus tôt, avait parlé de l’éternelle survivance de l’empire aztèque à travers le temps. En contemplant tant ce type de représentations que les ruines de Tenochtitlan et l’importance qu’on leur donne aujourd’hui dans la valorisation du patrimoine, son souhait se fait réalité et confirme ses dires : « En tanto permanezca el mundo, no terminara ni la fama ni la gloria de Mexico-Tenochtitlan » ! La nécessité de la survivance du passé vient rompre avec l’idée persistante du destin brisé de l’empire aztèque qui avait circulé depuis la chute de l’empire aztèque. .

Conclusion 

39L’analyse des images de Mexico-Tenochtitlan à travers le temps nous a permis de dresser un état des lieux de la société mexicaine et d’analyser ses espaces de vie publique déterminés par des fonctionnements hiérarchiques. Tous les gens du commun pouvaient néanmoins circuler à l’intérieur de cette délimitation tant physique que symbolique malgré les interdictions. Cela a permis de conserver le mécanisme spatial pratiqué par les anciens Mexicains. Les représentations nées en général de la description des chroniqueurs ont influencé l'iconographie du centre de la ville de Mexico dont toutes les premières images postérieures à celles de la conquête ont en grande partie participé à définir la ville de Mexico comme un centre de pouvoir. Les images choisies pour la composition de l'analyse iconographique du centre de la ville de Mexico que nous avons présentées dans cette sélection et qui ne prétend pas être exhaustive - mais dont le choix se base- sur la vie dans l’espace public, les activités politiques et commerciales et le transfert des moments clé dans les images - constituent la fonction de la zone représentative de la ville de Mexico symbolisée par son centre dans tout le territoire depuis les temps de son origine. Elles permettent aussi à elles seules de fournir une information sur le fonctionnement des espaces du centre à travers les époques. La cathédrale, le Palais National, les marchés et le Cabildo sont les quatre grands points cardinaux de la ville et délimitent son centre comme pour montrer que la ville a été érigée depuis un centre et en a hérité toutes les valeurs potentielles de symbolisme de pouvoir. Même si l'espace est représenté comme une zone accueillant toutes les catégories sociales confondues, la société de l’époque coloniale est limitée par les monuments du pouvoir ainsi que par le quadrillage des rues déterminant des espaces d'ordre hiérarchisé, fidèles aux pratiques réelles du monde hispanique colonial importé en Nouvelle-Espagne. Si le centre s’est vidé de ses activités commerciales et de ses marchés au fil des siècles, pour y laisser une délimitation vide au centre mais plus autoritaire et représentative du pouvoir, les monuments symbolisant les pratiques directives de la ville se sont maintenus dans le même périmètre qu’à l’époque préhispanique, à la croisée de l’architecture et des rues principales du centre.

40Parallèlement représentée par des projections de pouvoir puisant ses forces dans les empreintes du vécu sacré des Aztèques, le centre autoritaire des Aztèques puis "civilisateur" de l'Amérique coloniale est devenu au fil des siècles le cœur de l'actuelle capitale de Mexico.

41Du XIVe au XIXe siècle, Mexico a hérité des espaces de pouvoir de l’ancienne Mexico-Tenochtitlan. Le fait que le même espace ait toujours été utilisé et nourri par l’impact fonctionnel de la mise en place d’un pouvoir autoritaire a donné naissance à une rhétorique de pouvoir basé sur l’espace. Le centre de Mexico a hérité de la survivance des symboles autoritaires tant préhispaniques qu’hispaniques puisque les axes ont conservé les mêmes emplacements consacrés aux bâtiments représentatifs du pouvoir de l’époque, ce qui est lisible dans les images. Sur chaque construction aztèque significative avait été placé un lieu de pouvoir espagnol. Puis, ces mêmes espaces choisis ont donné naissance à des représentations plus idéalisées héritant tant des images du passé des vaincus que des modèles modernes récents sur lesquels se sont greffés de nouvelles valeurs purement imaginaires. Ces valeurs font écho à l’origine de la cité des Aztèques et elles font surtout revivre à la fois l’espace d’un temps révolu et l’espace d’un temps futur fictionnel où le destin de la ville est désormais projeté comme un souvenir se fixant dans un présent perpétuel.

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Notes

1 Cette zone qui n’a cessé d’être le cœur des activités constitue un bien inscrit sur la liste du patrimoine mondial. (Centre historique de Mexico et de Xochimilco (1987)

2 Représentation directe du pouvoir juridique espagnol dans les Amériques

3 Fonctionnaire royal de l’empire espagnol exerçant son pouvoir tant dans les provinces que dans la municipalité et établissant un lien entre les pouvoirs territoriaux et le monarque.

4 Fonctionnaire principal délégué par la Couronne d’Espagne chargé de l’administration de la ville et représentant des élites locales

5 La traza est un tracé, une ligne déterminée par les premiers conquistadors (Hernan Cortés et Garcia Bravo) sur l’ancien centre des Aztèques réalisé juste après la chute de Tenochtitlan. Lors de la première construction de la ville en 1524, la ligne a été créée pour que les quartiers espagnols soient délimités et que l’accès aux populations indigènes soit nié. Dans la réalité, et pour reprendre les dires de Serge Gruzinski, cette séparation a été impossible. Elle n’a jamais été respectée en raison du va-et-vient constant des populations indigènes revenant sur les anciens lieux de culte et pour les besoins du commerce.

6 CHIMALPAHIN CUAUHTLEHUANITZIN,; Domingo, Francisco de San Antón Munón, Memorial breve acerca de acerca de la fundación de la ciudad de Culhuacán, notas estudio, índice analítico, paleografía y traducción de Victor M. Castillo Farreras, México, Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Historicas, 1991, 218 p., mapa Cultura Nahuatl Fuentes 9, www.historicas.unam.mx/publicaciones/publicadigital/libros/memorial/culhuacan.html 

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Légende Description. Plan à main levée de la ville de Mexico, 1628. Juan Gómez de Trasmonte. Plan en couleurs (62 cm x 55 cm). Chromolithographie
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Pour citer cet article

Référence électronique

Béatrice Maroudaye , « Mexico-Tenochtitlan de la cité à la ville »Amerika [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 20 juin 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/19467 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12226

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Auteur

Béatrice Maroudaye 

Sorbonne Université/Crimic

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