Le sport au cinéma raconte les États-Unis
Résumé
Le cinéma et le sport moderne sont nés à peu près en même temps à la toute fin du 19e siècle. Le sport dont les valeurs peuvent parfois se rapprocher du rêve américain, du self-made man, offraient des histoires et des scénarios dont le cinéma hollywoodien s’est rapidement emparé. Au fur et à mesure que le sport construisait son histoire dans un monde en perpétuel mouvement, le cinéma la reprenait à son compte pour raconter l’évolution de la société américaine dans laquelle le sport tient une place prépondérante. Le cinéma fut par moments l’historien des États-Unis, ancrant certains personnages sportifs réels ou fictifs dans l’imaginaire populaire. Tandis que le baseball est le passe-temps fétiche des états-unis, les films de basket-ball se penchent sur l’intégration des Afro-américains, ceux autour du football américain reflètent la violence endémique de ce pays. La boxe est l’expression des laissés pour compte entre un Mohammed Ali, champion noir politiquement engagé et un Rocky Balboa, pauvre immigré italien, devenu figure tutélaire du boxeur planétaire…
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1Le cinéma et le sport moderne sont nés à peu près en même temps à la tute fin du 19e siècle. Les travaux du pré-cinéma qui s’étaient penché sur l’étude des mouvements des sportifs, prédestinaient le cinéma et le sport à nouer des relations plus profondes, ancrées dans leur nature propre mais aussi dans les grands thèmes et mythes qu’ils ont su construire ensemble et chacun de leur côté. Les États-Unis, pays « jeune » et sportif dans son idéologie s’est emparé du cinéma comme du sport pour aider à la construction d’une histoire commune, d’un imaginaire collectif.
2Le sport dont les valeurs peuvent parfois se rapprocher du rêve américain et de son obsession du self-made man, offre des histoires et des scénarios qui correspondaient parfaitement à ce que le États-Unis et le cinéma hollywoodien recherchaient en termes de storytelling pour diffuser l’esprit américain à travers le monde. Le sport est rempli d’histoires de David contre Goliath, du petit contre le grand, du faible contre le fort, et le cinéma s’en est saisi multipliant les métaphores. Faire gagner des équipes qui ne sont pas favorites pour diffuser un message d’égalité ou de croyance en une vie meilleure, déjouer le destin de nos vies auxquelles nos situations sociales nous prédestinent…
3Tandis que le sport construisait sa mémoire dans un monde en perpétuel mouvement, le cinéma la reprenait à son compte avec ses événements célèbres et ses épisodes méconnus, ses personnages sportifs réels et fictifs ancrés dans l’imaginaire populaire, pour raconter l’évolution d’une société américaine prenant conscience de ses forces et de ses faiblesses, de ces moments de gloire et de ses morceaux de honte, de ses certitudes et de ses doutes.
Un écran sportif moraliste et violent
- 1 Homer at the Bat est le 16ème épisode de la saison 3 de la série télévisée d’animation Les Simpson (...)
4Les sports les plus populaires aux États-Unis, par leur enracinement profond dans les mentalités, absorbent les spécificités de la société américaine et à travers le cinéma ancrent leurs représentations dans l’imaginaire collectif. Ainsi, la plupart des films confortent le baseball comme The Great American Pastime soit « le grand passe-temps de l’Amérique ». Une batte, un gant, une balle, et n’importe qui, homme ou femme, jeune, vieux, sportif ou non, peut organiser une partie avec ses copains, dans un stade ou sur un terrain vague. Le baseball est partout et pas seulement sur les chaînes de télévision. Il représente une véritable institution qui mêle les générations, un réel art de vivre, à la fois pastoral et citadin, qui rythme les saisons, une grand-messe dans laquelle on invoque les fantômes des illustres anciens, un spectacle qui, finalement, raconte la société américaine. Hollywood l’a bien compris et s’est souvent attaché à décrire, au travers du baseball, l’atmosphère de ces petites villes de l’Amérique profonde attachées viscéralement à ce sport. On pense alors à Mudville, bourgade imaginaire inventée par Ernest Lawrence Thayer (1863-1940) dans son poème à la fois lyrique et satirique Casey At the Bat paru dans le « San Francisco Examiner » du 3 juin 1888. Étudiée à l’école, récitée et chantée des dizaines de milliers de fois, modifiée au fil du temps en diverses versions, diffusée à la radio, parodiée à la télévision (même par les Simpson1), cette histoire d’un joueur adulé par la ville qui perd par manque d’humilité, véritable leçon de morale, fut aussi adaptée au cinéma, dès 1927 (Casey au bâton de Monte Brice) puis en 1985 par Walt Disney et Shelley Duvall. Ces versions, en soulignant les contradictions du baseball et des hommes, s’éloignaient du simple folklore et posaient un regard métaphorique sur la vie américaine et la fragilité de la réussite et ouvraient une dimension psychologique passionnante dans l’imaginaire américain. Jusqu’au bout du rêve (Field of Dreams, 1989) beau film hollywoodien, adapté du roman Shoeless Joe de William Patrick Kinsella, paru en 1980, par Phil Alden Robinson, explore, lui aussi, cet imaginaire américain à travers la quête spirituelle d’un fermier candide et obstiné, attaché à sa terre et à sa famille. Le baseball est, une fois de plus, au cœur des « vertus américaines », symbole d’un peuple qui croit à la force de l’individu et au dépassement de soi, mais aussi à la puissance du collectif. David S Ward ne l’oublie pas lorsqu’il embarque des hommes au passé difficile mener ensemble une mission qui va les transcender dans Les Indians (Major League, 1989). Une passion commune fait de ces individus, d’origines ethniques et sociales différentes, une collectivité imbattable. Cette ode à la magie du baseball devient un hymne aux valeurs du melting pot si chères à cette nation.
- 2 Après une carrière de Halfback aux Giants de New York entre 1952 et 1964, Frank Gifford a commenté (...)
5Avec le football US c’est un autre enracinement qui se fait jour : La violence endémique qui gangrène le pays depuis les origines. « Le football américain, c’est comme la guerre nucléaire, il n’y a pas de vainqueur, juste des survivants » disait Franck Gifford2 (1930-2015), joueur professionnel des New York Giants dans les années 1950. Cela ne pourrait-il pas s’adapter à la création même des États-Unis dont le territoire s’est formé autour de cette conquête de l’Ouest, réalisée à la grâce des armes à feux, sur fond de génocide indien ? Le cinéma qui puise dans la violence les ingrédients de nombreux succès, va prolonger cette rhétorique de la violence qui sévit dans les stades et développer une ambiguïté quant à ses réels desseins. Dans L’Enfer du dimanche (Any Given Sunday, 1999) d’Oliver Stone, le prêtre qui bénit les joueurs à genoux comme les troupes avant l’attaque et le discours d’Al Pacino avant le match final dans le creuset humide et moite du vestiaire prennent ainsi toute leur force : « Soit nous guérissons maintenant comme équipe, soit nous mourrons comme individus, C’est ça le football les gars ». Les mots sont choisis, directs, puissants, hymne au collectif. Les joueurs se précipitent dans le couloir qui mène au terrain en hurlant et se bousculant comme des soldats qui partent à l’assaut d’une colline, la peur au ventre, l’adrénaline en overdose. Le foot US porte en lui la violence palpable de l’Amérique et rassemble tous les excès du sport business, dans lequel Hollywood n’en finit pas de trouver son inspiration. Plusieurs films montrent la violence des chocs lors des matchs comme Plein la gueule (1974) de Robert Aldrich au titre évocateur, et surtout The Junction Boys (2002) de Mike Robe, relatant dix jours d’un entraînement intensif, inhumain, sous une chaleur accablante. Si le problème des séquelles de ces chocs est évoqué dans L’Enfer du dimanche (1999), un seul film les évoque directement, Seul contre tous (Concussion, 2015) de Peter Landesman qui décrit le long combat du docteur Bennet Omalu enquêtant sur les traumatismes crâniens des joueurs malgré l’hostilité de la NFL. Car pour elle, le Foot US doit rester un combat de gladiateurs des temps modernes, spectaculaire, violent. L’adoucir ne ruinerait-il pas cette gigantesque machine à sous qu’est devenu le Super Bowl, finale du championnat américain ?
6Dans À l’Aube du sixième jour (The 6th Day, 2000) de Roger Spottiswoode, film de science-fiction sur le clonage humain, les quarterbacks reçoivent les choix de tactiques sur l’écran transparent de leur casque. Le manager a alors une phrase sans équivoque dans l’ambulance qui transporte leur joueur star plongée dans le coma après un choc d’une grande violence : « Nous avons un sublime contrat à vie avec un légume. On peut peut-être le refiler à Los Angeles. » Tout aussi cynique, la première séquence de L’Enfer du dimanche, encore lui, est aussi significative de cette emprise financière et médiatique. Un joueur vedette est blessé au dos par un plaquage. Oliver Stone dans la peau du commentateur de télévision fait passer et repasser l’image du choc en boucle en soulignant la belle action des défenseurs. La pub l’interrompt un instant. Des photographes aux objectifs démesurés mitraillent l’homme blessé allongé sur le terrain. Les pompom girls qui se sont, un instant, arrêtées de gesticuler reprennent de plus belle et là-haut dans les loges, la patronne et son manager général discutent de l’avenir financier du club après ce coup dur… Le football américain continuera pendant longtemps à soigner ses blessés graves tout comme le cinéma à réaliser des films magnifiant la violence de ce sport, reflet du paradoxe américain entre valeurs de tolérance familiales et religieuses et vente d’armes à feux en vente libre. Que le foot US soit devenu le sport le plus populaire aux États-Unis, que le Super Bowl soit un des événements télévisés les plus suivis dans le monde et un rendez-vous familial au même titre que le 4 juillet, leur fête nationale, interroge dans une société déjà très violente que Norman Jewison avait déjà imaginé en 1975 avec son film Rollerball. Dans ce long métrage de science-fiction se passant en 2018 (!), les corporations économiques ayant assuré la prospérité de la population, dirigent le monde et les clubs sportif et créent un sport qui permet d’occuper le peuple désœuvré. Les hommes de deux équipes, en rollers, sont tirées par des motos qui tournent sur un anneau de vitesse, en quête d’une boule métallique qu’il faut placer dans un panier aimanté pour marquer. L’absence de règles fait office de règle, et la violence assassine entre les équipes est le maître mot d’un jeu qui emprunte à divers sports (roller-derby, hockey, football US, basket-ball, motocross) et à leurs débordements que tous les spectateurs, vociférant dans l’ombre des tribunes, attendent.
7Le football US n’est pas le seul sport au cinéma à refléter cette violence endémique de la société américaine. En effet, les joueurs de hockey sur glace s’y affrontent à coups de poing sur le terrain, et ces joueurs-boxeurs sont reconnus, encensés et populaires. Le titre du film The Game That Kills (D. R. Lederman, 1937) ne pourrait être plus explicite. La même année, John Wayne devient L’Idole de la foule (Idol of the Crowds, A. Lubin), et se fait accepter dans sa nouvelle équipe de hockey en mettant à terre la moitié des joueurs à coups d’épaule et en menaçant les autres avec ses poings. Le cinéma américain a donc majoritairement choisi cet angle pour évoquer le hockey. En 1945, les studios Disney signent le court métrage d’animation Hockey Homicide (Jack Kinney), mettant en scène Dingo et ses camarades dans un match loufoque qui dégénère en bagarre générale. Le film de George Roy Hill au titre évocateur Slap Shot (1977) et traduit en français par La Castagne (1977) n’oublie jamais le contexte social difficile et la violence économique qui frappe aussi l’Amérique. La dernière usine de la ville vient de fermer ses portes et tous les supporters sont au chômage. Trois joueurs réputés brutaux sont recrutés pour remporter quelques victoires et ramener ainsi quelques investisseurs. À sa sortie, le film a été accusé de faire l’apologie de la violence et de la vulgarité, en faisant dégénérer chaque match en pugilat et laissant exploser à chaque instant un langage ordurier. Il s’agissait pour Hill de pousser l’ensemble jusqu’à ses limites les plus extrêmes sachant que ce regard est symptomatique d’une certaine image – dominante – de ce sport au cinéma.
Solitude et la souffrance du héros américain
8Si la boxe sur les écrans fait aussi la part belle à la violence, elle participe surtout à la construction d’une mythologie autour d’hommes souvent partis de rien, fracassés par la vie, qui vont au bout d’eux-mêmes pour espérer des lendemains meilleurs. N’est-ce pas là une allégorie du rêve américain qui porte déjà en elle une mise en scène qu’Hollywood a investi immédiatement ? La force émotionnelle qui se dégage de ce petit carré planté au milieu de spectateurs surexcités, la brutalité surhumaine et dangereuse qui en jaillit, l’atmosphère surchauffée, le suspense suffocant, l’éclairage brûlant et déjà cinématographique qui l’illumine, ont évidemment poussé des centaines de cinéastes et d’acteurs à se presser avec leurs caméras autour du ring hypnotique, témoin d’une théâtralité brûlante. De Sylvester Stallone à Robert De Niro en passant par Paul Newman, Russell Crowe ou Jake Gyllenhaal, des quartiers pauvres de Los Angeles à ceux de New-York, des immigrés italiens ou irlandais aux afros-américains, tous se sont durement et longtemps entraînés pour pouvoir monter sur un ring, souffrir comme un vrai boxeur, rendre crédible leur prestation pugilistique face à une caméra « amoureuse » de ces personnages aux destins improbables. La solitude poignante de l’entraînement, ces corps furieux qui suent la violence, la rage, l’amertume, les larmes et le sang, dégagent un lyrisme à la fois éclatant et tragique qui devient sombre et trivial dans les vestiaires où l’argent et les magouilles font leur œuvre malsaine. C’est aussi l’envers de l’Amérique avec ses vices que la boxe au cinéma nous présente.
9Les illusions perdues, la figure christique, les tractations sordides derrière la dure réalité des matchs, la trajectoire inévitable du sommet glorieux à l’échec implacable, la grandeur qui le dispute en permanence à la corruption et à la chute, nombre de biopics, souvent traités comme des polars, nous les révèlent. Gentleman Jim (R. Walsh, 1942) montre un James J. Corbett, (1866-1933), jeune effronté puis boxeur orgueilleux imbattable. The Joe Louis Story (R. Gordon, 1953) sur le champion du monde des poids lourds de 1937 à 1949 élude le racisme en faisant de Joe l’égal des Blancs, entraînant ainsi son interdiction dans plusieurs États du sud. De l’ombre à la lumière (Cinderella Man, R. Howard, 2005) décrit un James Braddock qui remonte sur un ring en 1934 après avoir été blessé dans les années 1920 et qui porte alors les rêves des plus démunis. Ces films et quelques autres comme Marqué par la haine (Somebody Up There Likes Me, R. Wise, 1956) sur Rocky Graziano, Raging Bull (M. Scorsese, 1980) sur Jake LaMotta, Hurricane Carter (N. Jewison, 1999) sur Rubin Carter, accusé à tort d’un triple meurtre et condamné à perpétuité en 1967, sont autant d’aventures individuelles qui marquent profondément l’évolution de la société américaine et les différentes populations qui la composent tout en célébrant ce héros américain type, s’élevant seul et gagnant le respect par les poings… une forme d’auto-défense.
10Mais, quand on évoque les légendes cinématographiques de la boxe deux noms s’imposent immédiatement : Mohammed Ali (alias Cassius Clay) et Rocky Balboa. Le premier, champion du monde dans les années 1960 et 1970, est considéré par beaucoup comme le meilleur boxeur du monde. Le second, personnage de cinéma, naît dans l’esprit de l’acteur Sylvester Stallone lorsqu’il assiste en 1975 au match Mohammed Ali contre Chuck Wepner à Cleveland, combat immortalisé par Philippe Falardeau dans le poignant Outsider (The Bleeder) en 2016. Cet obscur boxeur qui résiste jusqu’au quinzième round à Ali, qu’il se permet même d’envoyer au tapis, ce sera Rocky. L’idée se révèle géniale, le boxeur inventé va connaître une réussite planétaire en une saga de six rounds cinématographiques. Le personnage devient même une légende de son sport à tel point qu’on pourrait se demander si Rocky n’a finalement pas véritablement existé. Il détient sa propre statue en bas des marches du musée des Beaux-Arts de Philadelphie et il est certainement le sportif le plus connu au monde. Italo-Américain portant sur ses larges épaules les valeurs du pays qui l’a construit, naïf et intègre, Rocky représente le rêve américain et voit bientôt des millions de personnes, qui espèrent plus de la vie qu’elle ne leur apporte, s’identifier à lui au fil de la saga. Champion blanc, il s’impose dans un sport dominé par les Noirs, puis devient l’ambassadeur du monde libre et enfin le représentant victorieux de l’Amérique triomphante.
11Ali, quant à lui, a généré plus de dix films, fictions et documentaires confondus, sans compter ses nombreuses apparitions au cinéma. Arrogant et provocateur, il est le chantre de l’Amérique contestataire. Champion noir incontesté, il s’oppose à l’american way of life, se convertit à l’Islam, se bat pour les droits civiques, refuse de partir au Vietnam. Il est ainsi le parfait contre-exemple dont l’Amérique a aussi besoin. Lorsque Michael Mann réalise Ali (2001) dont Will Smith est à l’origine, il décide de placer son biopic dans la décennie qui forge entièrement la légende de ce personnage hors du commun, entre la victoire inattendue de Cassius Clay sur Sonny Liston le 25 février 1964 à Miami et le match historique entre Mohammed Ali et George Foreman le 30 octobre 1974 à Kinshasa (Zaïre), qui lui permet de redevenir « The Greatest ». Pour le cinéaste, c’est une période historique hautement dramatique où Ali est un symbole pour les Noirs américains au moment où ils prennent conscience leur pouvoir et leur identité culturelle. Ces deux moments seront également captés par la caméra 16mm de William Klein dans son documentaire Muhammad Ali, the Greatest (1975). Il filme au plus près les corps et les visages afin de sublimer l’énergie bouillonnante du boxeur charismatique et insolent, showman et activiste survolté, « sale gosse » à la dialectique déconcertante, gonflée d’humour. Ali est aussi une vraie figure de cinéma au charisme impressionnant qui dans The Greatest (1977) de Tom Gries et Monte Hellman, n’a laissé à personne d’autres qu’à lui-même le soin de jouer son rôle de la même façon que Stallone s’est battu pour interpréter le rôle de Rocky, choix judicieux qui a relancé sa carrière. Rocky, Ali, sont bien deux visions cinématographiques du héros américain.
12Le rodéo (ou « stampede »), c’est l’enracinement de tout un peuple dans le mythe de l’Ouest, avec son héros mythique, le cow-boy, figure essentielle dans l’imaginaire collectif qui a construit l’histoire du territoire et du pays. Hollywood ne pouvait ignorer cet aspect culturel auquel il a fourni tant de westerns. Dans Le Mors aux dents (The Rounders, 1965) de Burt Kennedy, deux vieux cowboys s’accrochent à des rêves de rodéo dérisoires. Avec Les Indomptables (The Lusty Men, 1952) de Nicholas Ray et Robert Parrish et Les Désaxés (The Misfits, 1961) de John Huston, le rodéo en filigrane révèle les douleurs du passé, les écorchures de la vie de deux trios indissociables, crépusculaires et magnifiques, émouvants et nostalgiques d’un Ouest disparu. Dans les années 1970, plusieurs films continuent de donner au rodéo la couleur automnale d’une époque révolue, la mélancolie d’un espace définitivement fermé : J.W. Coop (1971) de Cliff Robertson avec son «rider» essayant de retrouver sa place dans la société après des années de prison, Quand meurent les légendes (When The Legends Die, 1972) de Stuart Millar qui suit une ancienne star du rodéo, alcoolique et paumée, Junior Bonner (1972) de Sam Peckinpah et son héros totalement anachronique, Le Cavalier électrique (The Electric Horseman, 1979) de Sydney Pollack, qui voit un ancien champion du monde de rodéo obligé, pour survivre, de participer sur son cheval à des spots télévisés et à des inaugurations de supermarchés. Récemmment, deux jeunes réalisatrices se sont réappropriées le rodéo et la figure du cowboy qui représentait jusqu’alors, l’Amérique virile des pionniers blancs pour le revisiter, raconter une autre histoire et porter un nouveau coup fatal au mythe de l’Ouest en transférant cette part de l’histoire des Etats-Unis vers d’autres communautés. En 2017, The Rider de Chloé Zhao retrouve les accents mélancoliques et crépusculaires des grands films du genre, pour suivre un jeune « Indian cowboy » brutalement privé de sa passion et ausculter l’âpre réalité de ces hommes, loin du mythe westernien, accrochés à un rêve américain qui s’est brisé depuis longtemps. Deux ans après, Bull d’Annie Silverstein décrit la rencontre improbable d’un vieux « rider » et d’une jeune délinquante paumée et écorchée vive. L’Ouest ne meurt jamais mais se réinvente...
La jeunesse sportive modifie le territoire
13Au début des années 1960, la jeunesse découvrait avec le surf un esprit de liberté se conjuguant à une manière de vivre loin du consumérisme prôné par la société en reconstruction au sortir de la guerre. Ils avaient les cheveux longs, ils étaient bronzés, ils vivaient d’amour et d’eau fraîche... salée. Cette philosophie et cette image idyllique (et parfois caricaturale) du surfeur perdurent aujourd’hui encore, notamment à travers les représentations cinématographiques. L’histoire du surf au cinéma naît sur les plages américaines avec Gidget (P. Wendkos, 1959), premier « surf movie ». Suivront toute une série de films dans lesquels, pour la plupart, une bande de jeunes vit des aventures sur la plage entre deux vagues. Le principal intérêt est d’y retrouver le kitsch des années 1960 et d’apprécier leur bande-son – la qualité des morceaux musicaux des films de surf jusqu’à aujourd’hui est une constante. « Avant Gidget, la Californie était le pays de Steinbeck », explique Sam George, réalisateur de Riding Giants (2004), beau documentaire sur les figures importantes du surf. « Le soleil, les bikinis et les planches de surf ont posé les fondements de la culture californienne. Des gosses de tout le pays étaient attirés par cette vie de bohème. » Et le cinéma a terminé d’assoir ce mythe à travers des films générationnels devenus cultes. Ainsi, le très célèbre documentaire The Endless Summer (B. Brown) – traduisez « l’Été sans fin» – sorti en 1966, qui montre deux surfeurs voyageant de plage en plage à travers le monde, scelle cette mythologie d’un art de vivre proche de l’individualisme exalté par la société américaine mais si loin de cet esprit de compétition qu’elle défend à tout prix. C’est bien cela que Curtis Hanson et Michael Apted veulent montrer dans Chasing Mavericks (2012). Ils retracent la vie de Jay Moriarity, le plus jeune surfeur (16 ans) du célèbre spot de Mavericks (où l’on trouve l’une des plus grosses vagues du monde), mort à 22 ans seulement. En plus d’être un film d’initiation, Chasing Mavericks montre un surfeur refusant la compétition, vivant uniquement pour les sensations et le lien avec la vague. En 1978, Graffity Party (Big Wednesday) de John Milius vient assombrir cette vision idéale et souligner le paradoxe américain. Il montre une jeunesse dont la vie de bohème est brisée par la guerre du Vietnam et par l’obligation de rentrer dans le rang. Point Break de Kathryn Bigelow (1991) pousse le côté libertaire de ce sport à son paroxysme en mettant en scène des surfeurs hors-la-loi, inquiétants mais fascinants. Les braquages qu’ils réalisent leur permettent de continuer à vivre leur passion du surf, hors de toute contrainte. Plus tard, le skateboard continue d’explorer sur les écrans cette jeunesse américaine en marge d’une société moraliste. Les points de similitudes avec le surf, où le skateboard puise ses origines, sont donc nombreux et Les Seigneurs de Dogtown (Lords of Dogtown, C. Hardwicke, 2004), biopic des Z-Boys sur la naissance du skateboard moderne dans les années 1970 en Californie le montre bien. C’est bien cette image de liberté « made in USA » qui fait rêver les trois skateurs est-allemands dans l’incroyable vrai-faux documentaire Derrière le mur, la Californie (This Ain’t California, 2012) de Marten Persiel. Larry Clark, photographe et cinéaste de la jeunesse désœuvrée américaine, est certainement celui qui a le plus filmé ces communautés de skateurs dans leur intimité et leur mal-être. Du premier Kids (1995) jusqu’au dernier The Smell of Us (2015), en passant par Ken Park (2002) ou Wassup Rockers (2004), ses films sont dérangeants, montrant sans tabou de jeunes adolescents en déconnexion avec la société, s’ébattre et se débattre avec leur sexualité, leur violence et leur skate. La réalisatrice Crystal Moselle avec Skate Kitchen (2017) choisit, elle, d’ausculter un groupe de jeunes skateuses dans un New-York vibrant d’une autre identité, adolescentes tout aussi libres et émancipées que leurs homologues masculins, avec leurs codes vestimentaires, leurs idiomes, leurs territoires, leur vitalité, et leur féminité affirmée.
L’intégration, un credo sportif
14Le territoire américain est considéré comme un véritable eldorado (réel ou fantasmé) pour des milliers de migrants qui cherchent à s’y enraciner. Le sport en est une des solutions les plus efficaces. Le cinéma ne pouvait pas l’ignorer, établissant un lien direct entre l’idéologie du self made man américain et la réalité de la population américaine formée par les vagues successives d’immigration. Ainsi, dans Sugar (2008), Ryan Fleck et Anna Boden suivent un joueur de baseball dominicain remarqué par des recruteurs américains, qui quitte sa famille et son île pour une petite ville de l’Iowa. Les cinéastes racontent cette expérience d’exil volontaire en s’inspirant de nombreux témoignages de joueurs immigrés, donnant ainsi des apparences documentaires à une histoire forte, réaliste, émouvante et juste. Goal ! : naissance d’un prodige (Goal!: the dream begins, 2005) de Danny Cannon évoque aussi cette immigration latino-américaine vers l’eldorado américain à travers un gamin mexicain qui traverse clandestinement la frontière entre les deux pays, ligne hautement symbolique, avec ses parents. Mais contrairement à Sugar, le réalisateur délaisse progressivement le contexte social où se débat sa famille pour développer une « success story », qui fait depuis longtemps les beaux jours d’Hollywood. Alex Ranarivelo choisit un autre élément d’actualité, le conflit Iran-Irak qu’Ali, jeune lutteur iranien fuit à bord d’un camion avant de débarquer aux Etats-Unis. American Wrestler : The Wizard (2016) montre combien être Iranien, même réfugié politique est difficile dans un pays qui a pris fait et cause pour l’Irak. Se retrouver dans l’équipe de lutte du lycée est une première étape importante quand on sait combien de nombreux jeunes, aux États-Unis voient leur avenir s’éclairer à l’Université grâce à leurs résultats sportifs.
- 3 Nicolas Martin-Breteau : Un « sport noir » ? Le basket et la communauté africaine-américaine.
15A côté de ces quelques films qui évoquent l’immigration difficile, les films de basket-ball se penchent plutôt sur l’intégration des Afro-américains et ont généralement dessiné une Amérique urbaine, dans les quartiers où les playgrounds des ghettos sont le lieu de rendez-vous d’une jeunesse généralement noire. Cette population s’est donc appropriée ce sport plus qu’un autre. Selon le journaliste et sociologue Nicolas Martin-Breteau, ce « style noir » dans le basket-ball serait une « idéologie stylistique »3. Cette révolution stylistique, le cinéma l’a suivi et elle ne concerne pas seulement le jeu lui-même, mais également la mode vestimentaire, le langage, et la culture populaire au sens large. La soul que l’on peut entendre sur les ralentis de Cornbread montant au panier (Cornbread, Earl and Me, J. Manduke, 1975) a laissé́ la place au hip-hop mythique de Grandmaster Flash ou Run-DMC dans Heaven Is A Playground (R. Fried, 1991), Above the Rim (J. Pollack, 1994) ou plus lyrique dans He Got Game (S. Lee, 1998). Le basket semble habité par cette culture noire, née dans les ghettos. Un des films les plus emblématiques de ces codes culturels est certainement Above the Rim. Cette histoire d’un jeune basketteur talentueux dans un quartier difficile, tiraillé entre le droit chemin et la violence, doit aussi son succès à sa bande originale regroupant les meilleurs rappeurs US du moment, dont Tupac Shakur, alias 2Pac, qui joue l’un des rôles principaux.
16« Si je suis assez bon, j’irai à l’université ? » demande le petit Michael Jordan au début de Space Jam (J. Pytka, 1996). Une telle question dans cette comédie simpliste et potache permet de saisir l’importance du basket pour cette population. C’est ainsi l’enjeu de plusieurs films à l’image de Cornbread, Earl and Me qui montre comment un quartier noir va se relever après l’assassinat du jeune et brillant Cornbread (Jamaal Wilkes) par deux policiers. Encore une fois, l’actualité récente aux États-Unis montre que peu de choses ont changé depuis. Ce lien entre basket et scolarité des Afro-américains se retrouve dans de très nombreux films : He Got Game (S.Lee, 1998), Coach Carter (T. Carter, 2005), Hurricane Season (T. Story, 2009) ou encore À la rencontre de Forrester (Finding Forrester, G. Van Sant, 2000) qui voit le jeune Wallace, Afro-Américain s’entraînant à New York, reconnu pour son talent sportif et accepté dans une école privée prestigieuse, être suspecté de plagiat quand il rendra un brillant essai de littérature. Si les Blancs ne savent pas sauter, les Noirs ne sauraient pas écrire ? Le film de Gus Van Sant se poserait alors en positif du film de Ron Shelton Les Blancs ne savent pas sauter (1992), interrogeant par la même, la place et la représentation du corps et du physique noir dans la société américaine. Dans Colère noire (Halls of Anger) de Paul Bogart (1970) le « physique noir » prédomine dans un lycée où la très grande majorité des étudiants sont afro-américains. Les quelques Blancs ont du mal à se faire accepter. À l’aisance de lecture d’un étudiant blanc, les étudiants noirs répondent en refusant de l’intégrer dans l’équipe de basket. Les Chemins du triomphe (Glory Road, 2006) de James Gartner raconte l’histoire du premier cinq majeur intégralement constitué de joueurs noirs qui fut aligné par la petite Université de Western Texas en finale de championnat universitaire en 1966 et les débordements de racisme que déclencha cette décision du coach furent extrêmes. Dans le très récent Boogie (Eddie Huang, 2021), le personnage principal est un asiatique qui essaye d’accéder à l’université par le basket et doit affronter le rappeur Pop Smoke dans une sorte de match des minorités ! Le combat est encore long et il n’est donc guère étonnant de voir les histoires de basket au cinéma s’attacher principalement au territoire des lycées, des universités et parfois des playgrounds. Le cinéma cherche des enjeux humains pour nourrir ses personnages, émouvoir les spectateurs et ils se situent, pour le basket aux États-Unis, très majoritairement dans ces enjeux scolaires et sociaux.
Révéler la face sombre de la société
17Dès les années 1940 et 1950, le film de boxe (comme le film hippique dans les années 1930) prend une connotation largement sociale et politique du milieu interlope qui gravite autour de la boxe et des Etats-Unis. Des cinéastes comme Mark Robson (Champion, 1949, Plus dure sera la chute [The Harder They Fall, 1956]), Robert Wise (Nous avons gagné́ ce soir [The Setup, 1949]), Ralph Nelson (Requiem pour un champion [Requiem for a Heavyweight, 1962), John Huston (La Dernière Chance [Fat City, 1972]), décrivent tout cela, refusant d’idéaliser le combat, empruntant au film noir sa forme pour révéler la corruption, la misère sociale, les mafias, l’illusion tragique du « rêve américain ». A côté de cette face sombre qui n’est pas l’apanage des seuls Etats-Unis, le racisme et la ségrégation ont profondément gangréné la société américaine et en particulier celle du Sud. Face à cette injustice insupportable, les jeunes afro-américains considéraient le sport comme un moyen de s’élever socialement, d’avoir un minimum de reconnaissance sociale. Si on associe cela à la capacité des studios à filmer et critiquer son histoire, le cinéma sportif ne pouvait que s’intéresser aux combats pour les droits civiques. C’était aussi et surtout de grandes et belles histoires de résilience, à la fois individuelle mais aussi collective, de quoi toucher et émouvoir le public.
- 4 Dans les années 1960, sous la pression du mouvement des Droits civiques, des lois ségrégationnis (...)
18Aux États-Unis, la ségrégation raciale, officiellement abolie en 19674, a durablement marqué l’histoire sportive. Si des immenses stars comme Jesse Owens, Joe Louis ou Mohammed Ali ont servi par leurs performances sportives le combat pour les droits civiques des Noirs, des sports collectifs comme le baseball et le basket, s’ils ont longtemps participé à cette discrimination, ont aussi progressivement encouragé, envers et contre tout, l’intégration.
- 5 Un simple gentlemen’s agreement, signé en 1887 par les propriétaires des équipes, avait établi (...)
- 6 Le numéro 42 a été retiré de l’équipe des Dodgers à la fin de la carrière de Robinson. Le nu (...)
19Dans les années 1930, la ségrégation raciale divisait depuis longtemps le baseball en équipes blanches et en équipes noires qui s’ignoraient5. La Negro League organisait un championnat entre des équipes composées exclusivement de joueurs noirs à qui la Major League était interdite. Si Bingo (The Bingo Long Travelling All-Stars And Motor Kings, 1976), de John Badham, évoque, sur le mode de la comédie, l’époque de la Negro League, elle s’inspire toutefois librement des Indianapolis Clowns et des Birmingham Black Barons, qui partageaient le Rickwood Field avec les Barons blancs de Birmingham. Ces équipes faisaient aussi la tournée des granges, et se livraient également à des numéros de clowns à la manière des Harlem Globetrotters plus tard. Le personnage de Bingo Long est d’ailleurs basé sur l'ancien Black Baron Leroy "Satchel" Paige (1906-1982) qui aura droit à son biopic juste avant son décès. Don’t Look Back: The Story of Leroy ‘Satchel’ Paige de Richard A. Colla (1981) met en évidence, une fois encore, la ségrégation particulièrement violente qui régnait dans les équipes de baseball. Cependant, l’histoire qui marqua ce sport est certainement celle de Jackie Robinson et il n’est guère étonnant de voir qu’elle a donné lieu à de nombreux beaux films. En 1947, le propriétaire des Brooklyn Dodgers, considérant qu’il est grand temps d’intégrer les joueurs noirs à la Major League, recruta Jackie Robinson. Pour le préparer, il lui indiqua longuement toutes les insultes, menaces et intimidations qui l’attendaient. Il va devenir peu à peu, avec le numéro 426 inscrit dans son dos, une icône de la lutte pour l’égalité́ raciale. Dès 1950, plusieurs films allaient être réalisés sur lui dont The Jackie Robinson Story d’Alfred E. Green, où le joueur joue son propre rôle et surtout l’excellent 42 : L’histoire vraie d’une légende (42 : The True Story of An American Legend, 2013), de Brian Helgeland. Ce beau biopic, à la fois dramatique et bouleversant, ne raconte qu’un moment, mais crucial de la vie de Jackie Robinson. Ce magnifique portrait d’un homme qui doit tous les jours s’imposer dans un monde globalement hostile est remarquablement servi par deux excellents acteurs : Harrison Ford et Chadwick Boseman. C’est d’ailleurs cette période et celle de son service militaire que Larry Peerce choisit de filmer pour son film sobre et efficace The Court Martial of Jackie Robinson (1990). Alors que le jeune joueur, étudiant et vedette de l’équipe de UCLA, effectue son service militaire à l’école des officiers, il refuse de s’asseoir aux places réservées aux gens de couleur dans les bus de la base et obtiendra gain de cause. Cela montre bien que le personnage de Jackie Robinson a toujours été filmé par le prisme des droits civiques.
20Il a fallu attendre longtemps pour voir le cinéma s’intéresser à Jesse Owens, sprinteur américain noir qui remporta quatre médailles d’or au nez et à la moustache d’Adolf Hitler et de ses théories sur la supériorité de la race aryenne, lors des Jeux olympiques de 1936 à Berlin. Après The Jesse Owens Story (1984) de Richard Irving, téléfilm sans surprise, La Couleur de la victoire (Race) de Stephen Hopkins (2016,) porte de grandes ambitions et en possède les moyens. Il propose de passionnantes séquences, notamment la discussion entre Owens et des représentants d’une association d’Afro-Américains venant lui demander de ne pas participer aux Jeux de 1936 pour les États-Unis ségrégationnistes. Le cinéma assoit ainsi les mythes de Robinson et Owens comme la société américaine les brandit en personnages historiques de sa construction. Ce choix n’est pas anodin. Ces deux sportifs n’étaient pas politisés et servaient l’american way of life qu’Hollywood aime à sublimer au contraire d’un Tommie Smith, proche des blacks panthers qui osa lever son poing ganté de cuir noir avec John Carlos sur le podium olympique du 200m à Mexico en 1968. Eux n’ont pas encore eu droit à leur biopic.
- 7 Le Lacrosse est un sport d’origine amérindienne inventé aux alentours du XIe siècle, qui pourrai (...)
21A côté des Noirs américains, les Indiens sont une autre minorité qui doit lutter pour accéder à l’égalité et ne plus souffrir de ségrégation. Mais il faut attendre la lutte pour les droits civiques des Noirs dans les années 1950-1960 pour que la mélopée de leurs revendications soit de nouveau audible. Inspiré de la vie de Billy Mills, champion olympique surprise du 10 000 mètres en 1964, Running Brave (1983) de D.S. Everett et Donald Shebib revient sur l’itinéraire de ce « Native American ». Billy Mills était Amérindien et il ne fut pas facile pour lui de s’intégrer, ni de faire comprendre à sa communauté sa volonté de courir pour les États-Unis, ou encore de vivre dans un pavillon avec sa fiancée « blanche ». Grâce à Running Brave (1983), Mills a pu « parler des problèmes que rencontrent les populations tribales amérindiennes aux États-Unis » et mettre en lumière la difficile reconnaissance des droits des Indiens d’Amérique. En 2003, Chris Eire (d’origine indienne) enfonce le clou avec Edge Of America où un professeur noir envoyé enseigner l’anglais dans une réserve indienne commence à entraîner l’équipe féminine de basket moribonde. Le sport est ici un moyen de reconquérir un honneur et de parler de la discrimination des Indiens au sein de la société́ blanche. La reconquête d’une identité culturelle pour les Indiens d’Amérique pourraient passer par le sport, notamment le Lacrosse7 qui, à l’origine permettait de résoudre parfois des conflits entre les tribus. Cette particularité identitaire est ainsi un élément essentiel des films américains qui traitent de ce sport. En 1999, The Creator’s Game de Bruce Troxell revient sur ses origines avec l’histoire de cet étudiant iroquois qui intègre une université où, à défaut de pouvoir jouer au football, intègre l’équipe de lacrosse et lui transmet la relation particulière de son peuple avec ce sport, lui permettant ainsi de gagner des matchs ! Crooked Arrows (2012) de Steve Rash, suit les aventures d’un Indien métis, qui doit guider l’équipe de sa réserve vers la victoire. Puisant motivation et leadership dans les traditions de ses ancêtres, Joe redonne confiance à ses joueurs qui retrouvent également leur fierté, celle de leur peuple.
22Traversant tous les soubresauts du 20e siècle, le sport a toujours tenu (et aujourd’hui plus que jamais) une place prépondérante dans cette société américaine dont il a souvent épousé les travers et les grandeurs. Les histoires de sport que les studios hollywoodiens racontent, sont aussi bien des aventures collectives que des odyssées individuelles. Entre les grands événements, lumineux ou tragiques, qui les façonnent et les héros heureux ou malheureux qui les habitent, les réalisateurs ont l’embarras du choix mais restent indissolublement liés à l’American Dream, invoqué à toutes les époques depuis la naissance du pays. Et si certains le critiquent, parfois avec véhémence, l’immense majorité du cinéma de sport porte en lui les idéaux de l’homme démocratique américain. Celui-ci, tenus par ses rapports originels avec la Nature et avec Dieu, avec le Bien et le Mal, évolue entre la certitude du bien-fondé du mythe de la Destinée manifeste, de la mission américaine à l’égard du monde, et la hantise du déclin de son système de valeurs fondé sur le travail, l’efficacité et la sobriété, de la décadence de l’American way of life. Ces interrogations fondamentales accompagnent les grandes étapes historiques d’un pays qui s’est construit au travers de sa violence intrinsèque, de ses vagues d’immigrations successives, de ses luttes pour les droits civiques, pour l’égalité des femmes. Le sport, et avec lui le cinéma qui s’en est emparé depuis toujours, s’inscrit totalement dans cette évolution. Le sport au cinéma, c’est toute l’histoire populaire des États-Unis qui défilent devant nos yeux.
Notes
1 Homer at the Bat est le 16ème épisode de la saison 3 de la série télévisée d’animation Les Simpson (première diffusion aux États-Unis le 20 février 1992.
2 Après une carrière de Halfback aux Giants de New York entre 1952 et 1964, Frank Gifford a commenté le Football américain d’abord sur CBS puis sur ABC à partir de 1970. Le 25 janvier 1987, il utilisera cette formule pendant ses commentaires sur le XXIe Superbowl qui se déroule au Rose Bowl de Pasadena (Californie) et qui voit gagner les Giants de New York contre les Broncos de Denver.
3 Nicolas Martin-Breteau : Un « sport noir » ? Le basket et la communauté africaine-américaine.
In Sport et société / Animals and the American Imagination. Revue Transtlantica. 2 / 2011
4 Dans les années 1960, sous la pression du mouvement des Droits civiques, des lois ségrégationnistes (lois Jim Crow) ont été abolies et une nouvelle législation des droits civiques des Noirs a été votée. En 1967, la Cour suprême juge anticonstitutionnelles les lois interdisant les mariages mixtes. En fait, toutes les lois favorisant la ségrégation raciale n’ont pas été abrogées aux États-Unis à cette époque (en Alabama entre autres), mais la Cour Suprême les a rendues inapplicables.
5 Un simple gentlemen’s agreement, signé en 1887 par les propriétaires des équipes, avait établi la règle ségrégationniste empêchant les Noirs de jouer en Major League.
6 Le numéro 42 a été retiré de l’équipe des Dodgers à la fin de la carrière de Robinson. Le numéro 42 a également été retiré de tous les clubs de Major League à partir de 1997. Depuis 2004, le 15 avril (en souvenir du 15 avril 1947, marquant les débuts de Robinson en Major League) est le « Jackie Robinson Day ». Ce jour- là, tous les maillots des joueurs de baseball de Major League aux États-Unis portent le numéro 42.
7 Le Lacrosse est un sport d’origine amérindienne inventé aux alentours du XIe siècle, qui pourrait se situer entre le hockey sur gazon et le hurling. Les crosses utilisées par les joueurs évoluant sur un terrain gazonné sont dotées à leur extrémité d’un petit filet permettant d’attraper la balle (au sol ou en l’air), de se faire des passes et de marquer des buts.
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Référence électronique
Gérard Camy et Julien Camy, « Le sport au cinéma raconte les États-Unis », Amerika [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 06 mars 2023, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/16711 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.16711
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