Conscience fragmentaire et traumatisme de la mémoire collective dans le roman nicaraguayen contemporain
Résumés
Quand on analyse les 7 récits sur l’amour et la guerre (1986) de Rosario Aguilar et Le rêve de l’ange (1999) de Gloria Elena Espinoza de Tercero une question se pose : de quelle manière la portée de la révolution sandiniste se manifeste dans la structure romanesque et sur le plan des histoires personnelles, à travers une mémoire collective et traumatisée. Les deux romans possèdent une structure fragmentaire, comme si le chaos et les traumatismes de la conscience apparaissaient par le biais d’une temporalité discontinue et qui propose la simultanéité et la fragmentation dans une mosaïque collective. Pour ces raisons, les histoires racontées se développent sur un plan intimiste, comme si les personnages se trouvaient dans l’obligation de se renfermer dans leur conscience. Dans ce cadre, les solutions politiques grandiloquentes sont impossibles et les personnages se contentent de clore, de manière individuelle, leurs expériences. Le dégoût et la déception s’emparent des personnages qui, d’un point de vue post-moderne, voient les pièges de la révolution et des discours politiques dans un Nicaragua troublé à la fin du XXème siècle.
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- 1 Robin, Régine, Le roman mémoriel, Longueuil : Les Éditions du Préambule, 1989, p.47.
- 2 Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Éditions du Seuil, 2000, p.19.
- 3 Id.,p.21.
1Quelles sont les traces que laissent les événements historiques ressentis comme des jalons dans la mémoire collective d’une société ? De quelle façon la littérature, et plus strictement le roman, peuvent-ils en subir les conséquences ? L’approche de la question doit prendre en compte la spécificité des représentations esthétiques et exige en effet que la production du sens considère « le domaine de l’appropriation du passé »1 et la durée, c’est-à-dire, la portée événementielle du vécu.
Dès Aristote la mémoire est considérée comme du passé et entraîne « la distinction entre l’avant et l’après »2, ainsi perçue par la conscience humaine et gravée dans la mémoire qui la façonne en tant qu’inscription et référence.
À cet égard, Aristote utilise tantôt la métaphore de l’empreinte, tantôt celle de l’inscription pour en préciser le fonctionnement, car quelque chose frappe en laissant des empreintes et se donne à voir comme la référence à une autre chose3. Mais, s’agissant de l’action de se souvenir, Aristote distingue le simple souvenir qui survient par un affect et la recherche active du rappel ; ainsi, se rappeler au passé (se souvenir) pose le problème de la distance temporelle :
- 4 Ibid., p.22.
[…] l’acte de se souvenir (mnēmoneuein) se produit lorsque du temps s’est écoulé (prin klronistithēnai). Et c’est cet intervalle de temps, entre l’impression première et son retour, que le rappel parcourt. En ce sens, le temps reste bien l’enjeu commun à la mémoire-passion et au rappel-action. Cet enjeu, il est vrai, est quelque peu perdu de vue dans le détail de l’analyse du rappel.4
2L’importance de cette distinction correspond à la prise de conscience du temps chez le sujet porteur de l’action et au développement que toute la tradition a fourni autour de la méthode et les choix du parcours, en insistant sur les exercices de la mémoire et les opérations de la mémorisation que la rhétorique occidentale a classifiées. En outre, la mémoire permet d’estomper la ligne de séparation entre le passé et le présent, en rendant possible la continuité historique.
- 5 Ibid., p.83.
3Rappelons-nous qu’Aristote mentionne une autre sorte de souvenir que les passions font émerger. Il faudra attendre jusqu’au XXème siècle pour que des théories comme la phénoménologie et la psychanalyse révèlent la signification de l’imaginaire (le caractère fantasmagorique et intuitif des images) et du refoulé (le rapport entre souvenirs et symptômes), pour comprendre la pertinence de la « mémoire-passion », car son fonctionnement relève non pas d’un travail supplétoire, mais plutôt de la blessure et du traumatisme qui en découlent. Ici la durée se situe au court terme et la mémoire n’aboutit pas à prendre la distance nécessaire pour pouvoir déclencher un processus de compréhension entraînant des conséquences sur celui qui prend en charge l’acte de se souvenir. Dans ce cas-là, Paul Ricœur est amené à parler d’abus de mémoire et à poser la question de l’oubli5, tout en étant conscient qu’il franchit le point de vue éthico-thérapeutique des souvenirs traumatiques.
- 6 Ibid., p.85.
- 7 Ibid., p.157.
4Il faut constater que ce traitement de la mémoire oblige à accomplir une démarche dans laquelle altérations et obstacles surgissent. Mais comment appliquer à la mémoire collective des catégories qui sont d’ordre psychique et intersubjectif, se demande à cet égard Paul Ricœur6.
Par le biais du langage et de son système d’attribution multiple désignant à-soi-même et à quiconque, il explique le passage « d’attribution à quelqu’un des phénomènes psychiques en général et des phénomènes mnémoniques en particulier »7. Entendu dans ce sens, le rapprochement entre l’individuel et le social se fait par une sorte de sociologie de la mémoire. Le discours s’avère alors être le lieu dans lequel s’inscrivent l’expérience communautaire et la participation d’une collectivité dont les membres sont capables de s’identifier et d’être représentés à travers ce que le langage met en place. Cela s’opère au moyen de l’attribution ou, en termes psychanalytiques, du transfert. À ce stade de notre exposé, on devrait s’interroger sur le caractère thérapeutique de la mémoire, lorsque le sentiment de dépassement s’impose aux yeux humains. Par exemple, un événement historique de premier ordre, la Révolution sandiniste, a-t-il bouleversé la conscience collective nicaraguayenne pendant le dernier tiers du XXème siècle ?
5En 1986, l’écrivain Rosario Aguilar publie Siete relatos sobre el amor y la guerra. À cette époque-là, la Révolution sandiniste était en marche et se heurtait à divers problèmes dans la construction d’un projet national de gauche, correspondant à l’idéal de la lutte insurrectionnelle contre la dictature de Somoza et à l’arrivée du FSLN au pouvoir. Ainsi le roman d’Aguilar nous offre un bilan, très hâtif du point de vue historique, des résultats d’un procès historique qui n’était pas encore abouti. Autrement dit, la Révolution était si proche aux yeux de la conscience collective qu’elle demandait une distance critique. Cependant, cela ne s’est pas produit dans le cas d’Aguilar, et elle nous propose une analyse visant à révéler une signification de la Révolution sandiniste sur le plan des rapports entre hommes et femmes, de sorte que la transformation politique doit s’étendre au terrain de l’égalité sexuelle et de genre. Mais est-ce une utopie ou une réalité en cours de réalisation ?
- 8 C’est Nydia Palacios la première à souligner ce décalage temporel du roman, dans son étude Voces fe (...)
6Reprenons la structure de Siete relatos sobre el amor y la guerra. On remarque une rupture diégétique entre les deux parties du roman : la seconde partie, « Sobre la guerra » est antérieure à la première partie « Sobre el amor »8. Or, l’histoire n’est pas racontée de façon chronologique, puisque la seconde partie s’amorce au sein de la guérilla et présente le monde de la résistance populaire, la lutte armée contre le régime et la répression somoziste, tandis que la première partie, qui se déroule lorsque la Révolution a vaincu et se met en place, fait émerger les stéréotypes de l’amour sentimental, les rapports de couples et les conflits qui en découlent dans une société encore phallocratique malgré les idées révolutionnaires. La temporalité est ébranlée : le linéaire et le chronologique s’estompent pour se lire autrement. À quoi doit-on ce décalage temporel et ce dérèglement diégétique qui développe d’abord les succès et les obstacles quotidiens dans la vie de deux femmes au service de la révolution ? La première partie, « Sobre el amor », raconte les péripéties de Leticia, jeune enseignante du primaire lancée dans la grande campagne d’alphabétisation du gouvernement sandiniste, qui la conduira sur la côte atlantique de son pays. Elle tombera amoureuse d’un misquito, Cristy, avant de déchanter :
Et son enthousiasme du début s’est maintenant transformé en désespoir…
- 9 « Y su gran entusiasmo del principio se ha convertido ahora en desesperación…
[…]
Repentinamente se s (...)
Soudain elle se sent prisonnière et totalement accablée par cette étrange nature qu’en plein désarroi, elle compare à un piège mortel dans lequel elle est tombée à cause de l’amour. Parce qu’elle l’aimait, elle l’avait suivi.9
- 10 « pero ahora no le quedaba más remedio que continuar el sacrificio empezado para cambiar las cosas (...)
7Cristy devient la synecdoque du projet de nation, Leticia a tout quitté pour aller à l’autre bout du pays par conviction politique et par amour. La phrase finale de la citation : « Por amarle, por seguirle », devient le reflet de son désenchantement, tant au niveau individuel que collectif, car le sentiment d’incommunication et une vie de couple mal menée étouffent Leticia. Mais l’histoire se répète avec Paula, jeune guerrillera et sœur de Leticia, qui, après la révolution, travaille dans un bureau de l’administration publique ; elle est prête à mourir pour la cause révolutionnaire : « mais maintenant il ne lui restait d’autre possibilité que de continuer le sacrifice mené pour changer les choses qui n’allaient pas bien… »10. Malgré les années passées dans la montagne et une vie difficile auprès de ses camarades masculins, bientôt surgit la contradiction, lorsque les idées politiques de la révolution se heurtent à la notion de mariage bourgeois :
- 11 « Pero eso no era lo que Paula anhelaba. Quería, si algún día se encontraba al hombre apropiado, ca (...)
Mais Paula ne désirait pas cela. Elle voulait, si un jour elle rencontrait l’homme qui lui convenait, se marier à l’église, robe blanche, voile, bouquet… se donner seulement par amour, et que les hommes la respectent.11
- 12 « Se sentía como en una carroza, y él era para ella como el príncipe rubio y soñado», Ibid., p.46.
8Pour la deuxième fois, un personnage féminin de Rosario Aguilar voit l’amour en rose ; le choix de Paula est de contribuer à construire son pays et, du point de vue personnel, se marier en robe blanche. Paula va vivre l’idylle amoureuse ; lorsqu’un jeune propriétaire foncier réclame les terres confisquées par le régime, elle voit son prince de conte de fées se matérialiser et la courtiser : «Elle se sentait comme dans un carrosse, et pour elle, il était le prince charmant de ses rêves »12. Comme sa sœur ainée, Paula ressent l’étouffement de sa vie spirituelle et la culpabilité l’empoisonne :
Elle pleura et souffrit un choc émotif, un repentir… ce ne devrait pas être comme ça, c’était comme trahir les héros et les martyrs de la révolution qu’elle admirait tant, avec qui elle avait lutté et souffert.
C’était comme décevoir Leticia.
- 13 « Lloró y sufrió un shock emocional, un arrepentimiento… no debía ser así, era como traicionar a lo (...)
Et dans l’autocritique elle se demanda ce qui, en lui, l’avait autant attirée, séduite… si c’était simplement quelque chose de biologique ou si c’était à cause de sa jeunesse solitaire, chaleureuse et maintenant amoureuse.13
- 14 « Pero de golpe aterrizó en su mundo, en su realidad, en su posición. No soñaría más », Aguilar, op (...)
- 15 « Margarita Madariaga. Maestra rural », Ibid., p.154.
- 16 « Es tan sólo una ilusión… ¿ o es en realidad que aquellos ojos se han posado en ella ? Pero no. S (...)
- 17 « la corriente del cambio lo llevará navegando sobre aguas y lo arrastrará a riberas que jamás lo a (...)
- 18 Voir les paragraphes que José Ángel Vargas consacre à ce sujet dans son livre La novela contemporá (...)
9L’autocritique, comme elle-même l’appelle, l’envahit et, malgré les commentaires et le désaveu de ses collègues de bureau qui à la fin l’abandonnent, elle méprise ses idéaux révolutionnaires. Le dénouement logique dans ce contexte mélodramatique, sera l’accouchement d’un enfant à la santé fragile, car la petite fille est malade des reins. Paula doit revenir à la dure réalité et s’en occuper seule, lorsqu’Edy disparaît : « Mais tout d’un coup elle bascula dans son monde, dans sa réalité, dans sa position. Elle ne rêverait plus »14. Elle ne rêvera plus à une société plus juste ni à la solidarité de couple. L’échec dans le domaine de sa vie personnelle, la désillusion quant à des rapports plus équitables entre femmes et hommes, estompe la possibilité d’une révolution qui n’arrive guère à l’espace intersubjectif. C’est ainsi que doit se comprendre le décalage temporel et la rupture diégétique qui, dans la seconde partie du roman, met en scène des histoires de sacrifice et de lutte contre la dictature, des femmes vaillantes et courageuses comme María José, Lucía, Sonia et Karla.
La dernière histoire, celle de Karla, est à ce propos paradigmatique. À la fin du roman, le narrateur révèle le vrai nom de Karla, la guerrillera, qui vient de récupérer son identité de « Margarita Madariaga. Maîtresse d’école de campagne »15, en expliquant sa détermination à clore ce chapitre de sa biographie personnelle, justement le 20 juin 1979, le jour où le FSLN entre à Managua pour célébrer le triomphe de la révolution.
Dans la caravane, elle aperçoit le père de son fils, ancien dirigeant du mouvement étudiant, mais lui ne la reconnaît pas, quoiqu’il ait fait un léger signe : « Est-ce une illusion…ou ses yeux se sont-ils réellement posés sur elle ? Mais non. Sans montrer d’amour, rien. C’est un regard né des circonstances inouïes de la victoire… mais pour elle, rien d’extraordinaire »16. Margarita réalise que les rapports entre eux étaient éphémères, fragiles, une sorte d’illusion, un phénomène optique, quand la vérité s’impose.
De surcroît, le triomphe de la Révolution et la construction du pays sont considérés comme une démarche vouée à séparer leurs chemins comme s’il s’agissait d’un long fleuve : « le courant du changement le conduira à naviguer sur les eaux et le mènera à des rives qui jamais ne le rapprocheront d’elle… c’était ainsi, c’était ainsi que cela avait été avant »17. Le domaine de l’action sépare l’homme de la femme, car lui se consacrera au gouvernement. L’image finale est frappante : Margarita a lutté aux côtés de ses camarades masculins mais elle ne participe pas au défilé qui annonce l’accès au pouvoir des vainqueurs ; elle n’est, désormais, qu’une simple spectatrice, et les promesses révolutionnaires de changement, n’ont finalement pas abouti à l’égalité hommes-femmes.
L’un des traits fondateurs du roman contemporain de l’Amérique Centrale, selon la critique autorisée, est ce que l’on appelle el desencanto18. L’illusion perdue et l’étouffement des personnages l’emportent et Siete relatos sobre el amor y la guerra ébranle la conscience de la libération impossible et recherchée des rapports humains, prônée par l’utopie socialiste. La mémoire collective traduit le traumatisme de cet échec et ce désabusement s’exprime au niveau des structures narratives ; le décalage temporel et le récit fragmentaire montrent l’impuissance et les traumatismes qui sont refoulés par des personnages rentrés dans leur coquille et enfermés dans l’angoisse de la trahison politique, de la faute morale, de la déception amoureuse, lorsque la réalité les dépasse et que surgissent les contradictions entre la politique et la vie privée. Les événements historiques sont incontournables ; l’expérience d’une révolution inachevée est si perceptible qu’elle se manifeste par le bais d’une simultanéité des récits dans chaque partie du roman, rendant possible une mosaïque narrative qui ne peut guère donner l’idée d’une totalité et se penche sur une conscience fragmentaire de rêves trahis. L’écriture de Rosario Aguilar traduit ce décalage si frappant entre la vie quotidienne et la pratique politique. En effet, lorsque l’on perd le sentiment d’appartenance de l’individu et que le sens de l’historicité d’une société est menacé par l’étourdissement dû aux slogans politico-partisans, lorsque les promesses s’estompent avec un régime qui attaque les libertés acquises, s’impose une écriture narrative qui refoule toute compréhension dynamique et partialisée. La mémoire collective se présente comme un projet politique de nation et de couple ; tous les deux sont voués à l’échec. En 1991, Daisy Zamora, grâce à la distance qu’impose la mémoire dressait, quant à elle, un bilan plus nuancé :
- 19 « La obra no está concluida, pero las mujeres de Nicaragua hemos vislumbrado nuestra humanidad, he (...)
Le travail n’est pas terminé, mais nous les femmes du Nicaragua, nous avons aperçu notre humanité, nous avons regardé notre avenir tout au long de nos chemins accidentés et surprenants. Toutes les femmes ont l’obligation de chercher le leur.19
- 20 Eduardo Becerra, Pensar el lenguaje ; escribir la escritura : Experiencias de la narrativa hispano (...)
- 21 Boris Eichembaum, « La teoría del “método formal” », Antología del Formalismo Ruso y el Grupo de B (...)
- 22 « [t]rataba de entender y dar explicación al fenómeno. Su mujer seguía conversando. Decidió pregunt (...)
10En 2001 est paru El sueño del ángel, écrit par Gloria Elena Espinoza de Tercero. Ce roman se caractérise par sa visée fragmentaire qui ébranle une nouvelle fois les structures narratives et, de ce point de vue, participe des mouvements postérieurs au Boom latino-américain qui problématisent le langage en tant qu’objet d’écriture et se penchent sur sa capacité à signifier20.
La discontinuité narrative s’impose là où la fragmentation oblige le lecteur à faire un vrai exercice de défamiliarisation, dans le sens que cette notion possède chez les formalistes russes, car on met l’accent sur le principe d’une perception artistique qui oblige à ressentir les choses autrement et à prendre en compte leur mode de réalisation, de mise en place dans le texte littéraire21. La logique linéaire et la causalité de la diégèse conduisent à une diffraction optique/narrative qui n’aboutit pas à tisser les trois histoires racontées, car la culpabilité morale et la crise psychologique d’une part, et d’autre part l’incommunication et la faute apparaissent pêle-mêle dans tous les récits. La guerre de libération du FSLN et la révolution sandiniste ont pour rôle de nouer les histoires et déclenchent les souvenirs d’Augusta, ainsi que le retour de José dans son pays, après son exil à Miami.
Dans l’avion qui le conduit vers sa terre si chère, José entend une voix, mais il ne peut pas en préciser l’origine ; il hésite et n’accepte pas les événements préliminaires qui accompagnent sa première expérience visionnaire, car « [il] essayait de comprendre et de donner une explication au phénomène. Sa femme continuait à parler. Il décida de lui demander comme si de rien n’était »22. Il était, selon lui, très excité à cause de son voyage, mais en essayant de se calmer, les souvenirs de sa patrie se mêlaient au marché populaire qui entourait le cimetière de Guadeloupe, les voix continuaient à percer la conscience de José, et les éléments symboliques s’enchaînaientles uns après les autres, comme un livre à page vide qui survole un nuage. Il refuse une nouvelle fois le caractère extraordinaire de la situation, lorsque, soudain, il est transporté hors de l’avion. Commence pour lui une ascension mystique et la vision transcendantale s’impose, lorsque celle-ci lui révèle la signification de l’existence dans une sorte d’aleph borgésien :
- 23 « De un momento a otro sintió impalpable su cuerpo. Salió a través de la ventanilla y entró en la n (...)
Tout d’un coup son corps était impalpable. Il sortit par la fenêtre et entra dans le nuage. Il n’avait pas du tout peur. Une rangée de guerriers surgissait des pages du livre, comme si c’étaient des fourmis zompopos, ils marchaient, tap, tap, tap, ils tiraient, ratatata, ratatata, ils tombaient dans l’espace, perdus, sans bruit, dans le néant. Le livre pleurait comme si c’était une chute d’eau évaporée. Il était épuisé, volatil. Il aperçut le temps et l’histoire.23
- 24 Escher, Maurits Cornelis, The Graphic Works, Köln, Benedikt Taschen, 1992, p.23-35.
11L’image des fourmis qui sortent d’abord du livre et qui sont en train de tomber par terre renvoie, par association métaphorique, à deux tableaux du peintre allemand M.C. Escher, « Reptiles » et « Bande de Moebius II ». Dans le premier tableau, un lézard passe par trois différents espaces : la page rigide du livre fermé, puis la figure à losange du livre ouvert, pour terminer comme un lézard en mouvement. Escher souligne l’idée du cycle de la vie et la continuité de l’espace, comme dans l’autre tableau, où les fourmis ne tombent pas dans le vide dans leur parcours pendulaire. Escher détruit la linéarité de la page et neutralise l’illusion de la dichotomie dedans / dehors24. Cela confère un grand dynamisme aux images visionnaires de José, permettant le déplacement à travers le temps et l’espace. De cette façon, la rangée de fourmis devient la chute d’eau, qui au lieu de couler s’évapore ; il s’agit d’une calamité de mauvais augure. Mais ensuite, quand il essaie de rejoindre sa place, l’expérience prend de l’ampleur avec la sensation extatique que son corps l’abandonne. Comme si c’était un rêve-vision, il est à l’écoute de sa propre histoire qui s’amorce à partir du regard de sa femme ; le souvenir du dépouillement de sa famille à elle se juxtapose au périple d’Énée, le héros du poème épique de Virgile, qui doit quitter à la hâte Troyes brulée par les Grecs, avec son vieux père et ses dieux tutélaires :
- 25 « Vagó entre los sueños de su esposa. La vio en su primer universo, en su casa solariega, desampara (...)
Il flâna entre les rêves de sa femme. Il la vit dans son premier univers, dans sa maison délaissée, elle criait sans que personne ne l’entende, d’abord spoliée de ses biens, de son espace vital, elle rampait à travers les déserts, nageait à contre courant et portait ses lares bien serrés contre sa poitrine. […] Son ancienne maison resta dans une boîte à clefs d’où surgissaient des chants, des gémissements et des lamentations d’un continent hybride qui saignait.25
- 26 Egger, Anne, Le surréalisme : la révolution du regard, Paris : Éditions Scala, 2002, p.75.
12Dans la vision de José, la mise en place de la juxtaposition obéit à une distanciation de plans : la maison familiale et le dépouillement des biens au premier rang, puis l’exil forcé en termes de traversée de déserts et de mers, transcrivent un véritable jeu spéculaire, car par le bais de l’histoire de l’exil de sa femme, José raconte aussi leur histoire. Rejeté, José se trouve confronté aux fantômes de son passé, qui surgissent pendant le retour vers sa patrie. Mais en même temps, le regard surréaliste cherche « à charger le monde extérieur de subjectivité, à le recréer dans sa matérialité »26. La subjectivité foisonne et se met en quête d’une vérité qui se dessine dans cette vision étrange et familière : la maison évoque la boîte de Pandore, les maux de l’humanité planent et le sang coule. Il s’agit de la souffrance et de la déchirure d’un pays où les gagnants obligent les perdants à l’exil. Telles sont les pensées qu’évoque José lors de sa première promenade en ville ; le passé de la guerre de libération est au centre de sa réflexion et se mêle au présent dans une représentation de la misère et la pauvreté actuelles de ces rues qui furent le principal théâtre de l’action de la guérilla sandiniste :
- 27 « Pasó por predios donde asomaban restos de casas bombardeadas por los aviones somocistas y casas i (...)
Il traversa des propriétés où apparaissaient les ruines des maisons bombardées par des avions somozistes et des maisons brûlées par des révolutionnaires pendant la guerre. Des décombres, comme des tombeaux ouverts, pleins de broussailles, de moustiques et toutes sortes de bestioles, étaient utilisés comme cabinets par des indigents et des ivrognes. Fétides vestiges de mort. Le vent frappait les dépouilles dans un cri résigné : avoir tant donné, et recevoir si peu. Il sentit l’histoire sacrifiée de son peuple et son exil forcé.27
13On relèvera d’abord l’état d’impuissance et de mécontentement qui replace l’image du flâneur dans un cadre de fragments et de détritus ; la décomposition de la ville de León, métonymie du Nicaragua, est frappante et entraîne la répulsion de José. Mais cette représentation du corps social en ruines fait aussi voir l’arrachement qui l’a obligé à une rupture, à une expulsion à cause de la guerre. Cependant, la vision qui sous-tendle roman est celle d’une critique à demi voilée de la situation actuelle à travers l’image du vent traversant les décombres et les restes humains : « Le vent frappait les dépouilles dans un cri résigné : avoir autant donné, et recevoir si peu ». À ses yeux, c’était une révolution qui avait déçu tous les Nicaraguayens.
14Ainsi le roman insiste davantage sur les modalités de rupture et le désagrément ; les souvenirs de la lutte armée et de la guerre de libération hantent aussi l’esprit d’Augusta, une ancienne combattante qui, également repliée sur son passé, se heurte à la culpabilité qui la ronge. Dans la Cathédrale de León, où elle est en train de prier, la voix ténébreuse d’une femme renvoie son regard au temps de la révolte ; le spectre chromatique rouge/noir n’est pas innocent, sa mémoire y est tissée afin de souligner les indices textuels du traumatisme de la conscience, liés à un projet politique :
- 28 « La miró salir y de inmediato sus ojos volvieron al sortilegio morboso y macabro de la selva de ve (...)
Elle la vit sortir et tout de suite ses yeux se tournèrent vers le sortilège morbide et macabre de la forêt de cierges où le rouge et le noir reflétaient des ombres, souvenirs du passé qu’à ce moment-là elle se mit à revivre… cette camionnette-là pleine d’hommes vêtus de noir qui avançaient, prudents, dans le quartier. Il faisait nuit et le fracas des balles ne cessait jamais ; les maisons brûlaient d’un côté et de l’autre, et elle, au milieu, qui était attachée chez elle pour qu’elle ne puisse pas aller combattre, voyait l’enfer. Tourmentée, elle écoutait la voix du curé de Guatemala, celui qui l’avait persuadée d’abandonner l’idée d’une vocation religieuse car le royaume de Dieu commençait avec la guerre de libération à laquelle elle devrait participer, c’était là sa véritable mission…28
- 29 « Era entonces una fogosa joven con ideales de justicia social y redención de los pobres »,Ibid.,p. (...)
- 30 Franco, Jean, Lectura sociocrítica de la obra novelística de Agustín Yáñez, Guadalajara, Gobierno (...)
15Le parcours d’Augusta est celle d’une jeune révolutionnaire qui ne peut plus échapper à la situation de guerre que vit son pays et qui prend conscience de son engagement patriotique. De ce point de vue, les images de la guérilla et de l’assaut de la ville sont à nouveau au premier plan, tandis qu’au niveau interne on remarquera l’image d’enfermement d’Augusta. Dans son for intérieur, elle se débat en prenant une décision cruciale, comme dans le cas des personnages féminins de Rosario Aguilar. Mais en ce qui concerne Augusta, la convergence est frappante ; la culpabilité se met en place à condition de provoquer la rupture avec le présent. Les thèses de la Théologie de la Libération sont évoquées et soulignent la dépendance entre l’action politique et la foi chrétienne dans l’Amérique latine des années 60 et 70 : «Elle était alors une jeune fille espiègle avec l’idéalisme de la justice sociale et la rédemption des pauvres »29.
La problématique de l’identité traduit parfaitement cette déchirure qui assomme la conscience d’Augusta, en la mettant dans une situation de malaise où la pensée millénariste se développe pour attirer l’attention sur la morale de l’humanité et l’échec de la modernité technologique. Mais le fonctionnement du millénarisme, dont le changement et le renouvellement obéissent à une dynamique de négation du mal et de la corruption/excès de l’humanité30, emboîte la scène de la chute morale d’Augusta, lorsque ses souvenirs la conduisent sur le toit de la Cathédrale où elle fait l’amour avec Wodan, un jeune coopérant :
Ils arrivèrent jusqu’ aux deux terrasses en ignorant le spectacle d’architecture baroque ; invisible aussi aux gens qui, dans la rue, s’efforçaient de bâtir la patrie libre et aux rares paroissiens qui, dans le temple, priaient, désireux de miracles. […]
- 31 « Llegaron hasta las dos terrazas ignorando el espectáculo de arquitectura barroca ; invisible tamb (...)
Nerveuse, elle se laissait caresser, toucher, serrer avec folie, avec désespoir… « Je t’aime, je t’adore, tu es ma vie, je suis à toi, le meilleur révolutionnaire, le coopérant les plus dévoué et le meilleur du monde, mon Che Guévara, j’en peux plus… Pardon mon Dieu… Tu es parti du royaume que le Seigneur édifie dans mon pays, car tu es si beau que tu ne peux pas être méchant … aime-moi… aime-moi… ».31
- 32 Voir l’article de Luis A. Jiménez, « Fragmentaciones del deseo en El sueño del ángel de Gloria Ele (...)
16Le discours religieux et les convictions politiques contaminent l’érotisme d’Augusta. Le vainqueur provisoire des luttes pour s’emparer de son esprit et de son corps ne semble avoir pour but que d’accomplir les désirs d’intégration et de quête d’amour32. La profanation du lieu sacré, la conscience morale s’estompent et, en définitive, replacent l’acte dans un contexte synecdoctique perçu par rapport à la figure du Che Guévara, son amour de jeunesse, substituée par Wodan, qui reprend la place de l’utopie sandiniste. On assiste donc à une confrontation au niveau psychique, mais lorsqu’Augusta se trouvera face à face avec son passé et ses souvenirs qui la tracassent, elle prendra conscience de sa défaite ; privée de communication, elle continuera à vivre dans sa coquille et ses angoisses. Tout au long du roman, la remontée des souvenirs d’une enfance triste et d’une jeunesse active consacrée au triomphe de la révolution n’est au service que de la défaite et des illusions perdues.
- 33 Espinoza, op. cit., p.134.
- 34 « estaba urgida por expulsar sus viejas y calladas penas », Ibid., p.129.
17En conclusion, Siete relatos sobre el amor y la guerra et El sueño del ángel évoquent les traumatismes de la conscience fragmentaire ; les personnages sont en quête d’une unité sous la forme d’une cause commune, mais malgré cela, les horreurs de la guerre apparaissent. La lutte contre le dictateur Somoza et la révolution en marche leur ont permis de regrouper la collectivité autour d’un projet de reconstruction nationale mais les attentes ont étés détournées et, pour plusieurs, brisées. En 1986, Rosario Aguilar a dressé un bilan peu satisfaisant de l’égalité de sexes dans l’utopie socialiste, où les femmes éprouvaient des difficultés à concilier espace politique et projets individuels. Gloria Elena Espinoza de Tercero, quant à elle, s’attache à suivre les parcours brisés de personnages ayant surmonté la guerre et le régime sandiniste, et qui ont vécu péniblement leurs conséquences. Les troubles psychiques de José et la culpabilité malsaine d’Augusta aboutissent à la preuve d’un manque ontologique. Il s’agit de personnages en quête d’une nécessité vitale qui puisse leur permettre de s’opposer aux menaces des fantasmes du passé. Ce sera possible lorsqu’ils comprendront que l’intégration commence par la prise en compte de soi-même et l’exercice de pardon collectif qui s’ensuit. C’est le cas pour José qui va regagner son pays d’accueil en attendant la naissance de son premier petit- fils33.
C’est aussi celui d’Augusta qui, à travers l’acte symbolique de récupération de son passé, lorsqu’elle reçoit son amie d’enfance Victoria, exprime son angoisse et se libère dans un cadre naturel extraordinaire qui rappelle le réalisme magique pictural (des plumes tombent du ciel), car Augusta « se hâtait d’expulser ses vieux chagrins silencieux »34. La catharsis thérapeutique structure en profondeur un récit à la fois fragmentaire et lacunaire. Augusta cherche à dévoiler la vérité de son périple au sein de la guérilla, les mésaventures et la tragédie de la perte de son enfant, qu’elle raconte implicitement en parlant de Sofía, une camarade à elle :
- 35 « —El niño nació pero al poco rato murió en mis brazos… Sólo pensé que otras Augustas y Sofías esta (...)
—L’enfant naquit mais aussitôt mourut dans mes bras… Je pensai seulement que d’autres Augustas et Sophies étaient dans la montagne en train d’accoucher de ce qui n’arrive…35
18Le traumatisme de la guerre laisse des traces dans les vies ébranlées d’anciens combattants. Augusta, quant à elle, ne se résigne plus et parle davantage pour guérir son esprit malade et angoissé.
- 36 « qui réfléchit sur les bases épistemologiques de la connaissance historique », Valeria Grinberg Pl (...)
- 37 « entender el pasado para aprender de él y así comprender los procesos que contribuyeron a formar l (...)
19On constate alors que cette mise en question de la Révolution sandiniste n’est pas le produit d’une écriture historiographique, celle qui a dominé la production romanesque de l’Amérique Centrale depuis le Pacte d’Esquipulas des années 80. Si le silence historique et l’exclusion socio-idéologique s’expriment à travers un genre qui pose autrement les origines fondatrices de l’Amérique et son processus de constitution, Valeria Grinberg-Pla a raison, lorsqu’elle analyse la manière dont le nouveau roman historique nourrit un débat « qui réfléchit sur les bases épistémologiques de la connaissance historique »36.
Cela entraîne une conscience langagière et l’utilisation de stratégies à l’heure de décrire/raconter (le genre), puisque l’écriture de l’Histoire suppose la tentative de « comprendre le passé pour apprendre de lui et ainsi appréhender les processus qui contribuèrent à façonner les sociétés actuelles »37. Mais dans les cas de Rosario Aguilar et de Gloria Elena Espinoza de Tercero la narration historiographique n’est pas pertinente en tant que métadiscours et référence aux événements historiques. Il s’agit d’une autre tentative de solder les comptes, avec ceux qui ont été délaissés et oubliés par l’histoire officielle de la Révolution sandiniste, en essayant, d’une manière alternative, de construire la mémoire.
Notes
1 Robin, Régine, Le roman mémoriel, Longueuil : Les Éditions du Préambule, 1989, p.47.
2 Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Éditions du Seuil, 2000, p.19.
3 Id.,p.21.
4 Ibid., p.22.
5 Ibid., p.83.
6 Ibid., p.85.
7 Ibid., p.157.
8 C’est Nydia Palacios la première à souligner ce décalage temporel du roman, dans son étude Voces femeninas en la narrativa de Rosario Aguilar, Managua : Editorial Ciencias Sociales, 1998, p.188.
9 « Y su gran entusiasmo del principio se ha convertido ahora en desesperación…
[…]
Repentinamente se siente prisionera y totalmente aplastada por aquella exuberante naturaleza que, en medio de su desesperación, se le asemeja a una trampa mortal en la que por amar ha caído. Por amarle, por seguirle ». Aguilar, Rosario, Siete relatos sobre el amor y la guerra, San José : EDUCA, 1986, p.17.
Toutes les citations correspondent à cette édition.
10 « pero ahora no le quedaba más remedio que continuar el sacrificio empezado para cambiar las cosas que andaban mal… », Ibid., p.23.
11 « Pero eso no era lo que Paula anhelaba. Quería, si algún día se encontraba al hombre apropiado, casarse en ceremonia religiosa, con vestido blanco, velo, azahares… entregarse únicamente por amor, y que los hombres la respetaran», Ibid., p.23-24.
12 « Se sentía como en una carroza, y él era para ella como el príncipe rubio y soñado», Ibid., p.46.
13 « Lloró y sufrió un shock emocional, un arrepentimiento… no debía ser así, era como traicionar a los héroes y mártires de la revolución que tanto admiraba, con quienes luchó y sufrió.
Era como defraudar a Leticia.
Y en la autocrítica se preguntaba qué, en él, la había atraído tanto, seducido… si era algo simplemente biológico o si era a causa de su juventud solitaria, ardiente y ahora enamorada », Ibid., p.47.
14 « Pero de golpe aterrizó en su mundo, en su realidad, en su posición. No soñaría más », Aguilar, op. cit., p.103.
15 « Margarita Madariaga. Maestra rural », Ibid., p.154.
16 « Es tan sólo una ilusión… ¿ o es en realidad que aquellos ojos se han posado en ella ? Pero no. Sin demostrar amor, ni nada. Una mirada producto de las circunstancias increíbles de la victoria… pero para ella, nada en especial », Ibid., p.153.
17 « la corriente del cambio lo llevará navegando sobre aguas y lo arrastrará a riberas que jamás lo acercarán a ella… así, así había sido antes », Ibid., p.153.
18 Voir les paragraphes que José Ángel Vargas consacre à ce sujet dans son livre La novela contemporánea centroamericana : la obra de Sergio Ramírez Mercado, San José : Ediciones Perro Azul, 2006, p.62-71.
19 « La obra no está concluida, pero las mujeres de Nicaragua hemos vislumbrado nuestra humanidad, hemos vislumbrado nuestro futuro a través de propios y accidentados y sorprendentes caminos. Todas las mujeres tienen que buscar los suyos propios », Daisy Zamora, « La mujer nicaragüense en la poesía », Revista Iberoamericana n°157, 1991, p.958.
20 Eduardo Becerra, Pensar el lenguaje ; escribir la escritura : Experiencias de la narrativa hispanoamericana contemporánea, Madrid :Publicaciones de la Universidad Autónoma, 1996, p.48-49.
21 Boris Eichembaum, « La teoría del “método formal” », Antología del Formalismo Ruso y el Grupo de Bajtín, Emil VOLEK (Ed.), Madrid : Editorial Fundamentos, volume I, 1992, p.82-83.
22 « [t]rataba de entender y dar explicación al fenómeno. Su mujer seguía conversando. Decidió preguntarle como si nada ocurriera », Gloria Elena Espinoza de Tercero, El sueño del ángel, Managua : Ediciones Distribuidora Cultural, 2001, p.12. Toutes les citations correspondent à cette édition.
23 « De un momento a otro sintió impalpable su cuerpo. Salió a través de la ventanilla y entró en la nube. Lo importante es que no sentía miedo. Una fila de guerreros brotaba de la juntura de las hojas del libro como si fueran zompopos, marchaban, ras ras raaás, disparaban… taratatataáaaaa… caían al espacio, perdidos, sin ruido, a la nada. El libro lloraba como una catarata evaporada… Estaba débil, volátil. Miró el tiempo y la historia » , Ibid., p.19.
24 Escher, Maurits Cornelis, The Graphic Works, Köln, Benedikt Taschen, 1992, p.23-35.
25 « Vagó entre los sueños de su esposa. La vio en su primer universo, en su casa solariega, desamparada, gritaba sin que la escucharan, despojada de los bienes primero, de su espacio vital, reptaba por los desiertos, nadaba contra corrientes y llevaba a sus dioses lares apretados contra su pecho. […] Su antigua casa quedó en una caja bajo llave desde donde brotaban cantos, quejidos y lamentos de un continente híbrido que sangraba », Espinoza, op. cit., p.19.
26 Egger, Anne, Le surréalisme : la révolution du regard, Paris : Éditions Scala, 2002, p.75.
27 « Pasó por predios donde asomaban restos de casas bombardeadas por los aviones somocistas y casas incendiadas por los revolucionarios durante la guerra. Escombros, como tumbas abiertas, llenos de matorrales, zancudos y toda clase de bichos eran usados como excusados por indigentes y borrachos. Hediondos vestigios de muerte. El viento golpeaba los despojos en un grito inconforme de haber dado tanto y de recibir tan poco. Sintió la historia sacrificada de su pueblo y de su exilio forzado », Espinoza, op. cit., p.28.
28 « La miró salir y de inmediato sus ojos volvieron al sortilegio morboso y macabro de la selva de velas donde negro y rojo reflejaban sombras, vivencias del pasado que en ese momento volvió a vivir… aquella camioneta llena de hombres vestidos de oscuro que avanzaban cautelosos por el barrio. Era de noche y el fragor de las balas nunca terminaba ; las casas ardían a un lado y a otro, y ella en medio, amarrada dentro de su casa para que no fuera a la lucha, veía el infierno. Atormentada, escuchaba la voz del cura de Guatemala, el que la persuadió [a que] abandonara la idea de una vocación religiosa porque el reino de Dios comenzaría con la guerra de liberación en la que debería participar, allí estaba su misión… », Ibid.,p.24.
29 « Era entonces una fogosa joven con ideales de justicia social y redención de los pobres »,Ibid.,p.42. Néanmoins, à la fin des années 80, la situation du Nicaragua continue à être interprétée en termes d’époque propice à une église vouée aux pauvres, à la révolution sandiniste et aux defis de la contre-insurrection ; voir le volume El kairós en Centroamérica, Virgil, José María (Coord.), Managua : Ediciones Nicarao, 1990.
30 Franco, Jean, Lectura sociocrítica de la obra novelística de Agustín Yáñez, Guadalajara, Gobierno del Estado de Jalisco, 1988, p.331.
31 « Llegaron hasta las dos terrazas ignorando el espectáculo de arquitectura barroca ; invisible también a la gente que, en la calle, afanaba la patria libre y de los escasos que, dentro del templo, oraban anhelantes de milagros. […]
Nerviosa, dejaba que la acariciara, la tocara, la estrujara con locura, con desesperación… " Te quiero… te amo… te idolatro… sos mi vida… soy tuya… el mejor revolucionario, el internacionalista más desinteresado y bueno del mundo, mi Ché Guevara, no puedo sentir más… Perdón Dios… Vos formás parte del reino que Dios edifica en mi país, porque sos demasiado bello para que seás malo… amame…amame… " », Espinoza, op. cit. p.44.
32 Voir l’article de Luis A. Jiménez, « Fragmentaciones del deseo en El sueño del ángel de Gloria Elena Espinoza de Tercero », De casas, ángeles y lobos : la novelística inicial de Gloria Elena Espinoza de Tercero, Jorge Chen Sham (Ed.), León : Editorial Universitaria UNAN-León, 2007, p.135-136.
33 Espinoza, op. cit., p.134.
34 « estaba urgida por expulsar sus viejas y calladas penas », Ibid., p.129.
35 « —El niño nació pero al poco rato murió en mis brazos… Sólo pensé que otras Augustas y Sofías estaban en la montaña haciendo labor que no… »,Ibid., p.131.
36 « qui réfléchit sur les bases épistemologiques de la connaissance historique », Valeria Grinberg Pla, « La novela histórica de las últimas décadas y las nuevas corrientes historiográficas », Historia y ficción en la novela centroamericana contemporánea, Mackenbach,Werner, Sierra Fonseca, Rolando et Zavala, Magda (eds), Tegucigalpa : Ediciones Subriana, 2008, p.19.
37 « entender el pasado para aprender de él y así comprender los procesos que contribuyeron a formar las sociedades actuales », Ibid., p. 35.
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Référence électronique
Jorge Chen Sham, « Conscience fragmentaire et traumatisme de la mémoire collective dans le roman nicaraguayen contemporain », Amerika [En ligne], 3 | 2010, mis en ligne le 18 décembre 2011, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/1632 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.1632
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