Un été, trois Grâces - Récits de scène et de vie
Louise Portal, Marie-Lou Dion, Christiane Pasquier, Un été, trois Grâces - Récits de scène et de vie, Montréal, Druide, 2020, 191 p.
Texte intégral
1Trois actrices québécoises — Louise Portal, Marie-Lou Dion et Christiane Pasquier — livrent leurs souvenirs à propos de leurs débuts sur les planches et sur leur carrière, à un demi-siècle d’intervalle : le tout débute en 1975, alors que les trois comédiennes vivaient ensemble dans un chalet d’été (d’où le titre du livre) et se racontaient tout de leurs espoirs et des princes charmants qui passaient momentanément dans leurs vies respectives. Fort heureusement, les trois récits successifs réunis dans ce livre sont exempts de nostalgie et évitent judicieusement l’anecdotique. Chacune des trois parties sera commentée individuellement.
2Actrice vedette dès les années 1970 pour ses films produits par l’ONF (Taureau ; Cordélia) et pour sa présence dans les meilleurs longs métrages de Denys Arcand (dont Le Déclin de l'empire américain), Louise Portal expose ici sa sensibilité et sa polyvalence (jeu, écriture, conception). Elle se remémore ses liens avec son père bien-aimé, lui-même poète, et cite plusieurs extraits de leurs échanges épistolaires. Mais c’est en constatant son réel talent de romancière qu’elle réalise les bienfaits insoupçonnés de l’écriture au « Je ». Elle se remémore cet instant privilégié : « Découverte ensorcelante : écrire donne un sens à ma vie » (p. 55). Louise Portal résume bellement son œuvre et ses créations : « J’offre ce qu’il y a de meilleur en moi » (p. 55).
3Bien connue pour avoir interprété Murielle dans le téléroman légendaire La Petite Patrie de Claude Jasmin (télédiffusé à partir de 1974, mais rediffusé sur ARTV), Christiane Pasquier raconte comment elle a tenté de concilier son métier de comédienne avec sa vie privée, qui l’incitait souvent à quitter le Québec et à mettre sa carrière en sourdine. Alors qu’elle vit à Londres pour suivre l’homme qu’elle aime, elle doit retourner à Montréal pour jouer dans un téléroman, Le Signe de feu : « Ça ne refusait pas », explique-t-elle, même si cette décision signifiait de renoncer définitivement à sa vie de couple (p. 98). Plus loin, Christiane Pasquier n’hésite pas à aborder ce qui la fragilise ; elle évoque « le démon du trac » qui la poursuit encore (p. 114).
4Dans la troisième partie, Marie-Lou Dion donne à son tour un double autoportrait personnel et intime, citant à son tour ses journaux intimes et mentionne d’ailleurs une abondance de lectures de chevet, chansons, citations célèbres (mais sans toujours indiquer les références bibliographiques, ce que l’éditeur aurait dû corriger). Elle mentionne des auteurs qui l’ont influencée comme Jan Bauer (p. 184), Jocelyne Saucier (p. 189), Rilke (p. 190) et bien d’autres. Évidemment, plusieurs passages portent sur le téléroman phare Le Temps d’une paix dans lequel Marie-Lou Dion jouait le rôle d’Antoinette ; presque la moitié du Québec regardait religieusement chaque épisode ! (p. 174). À travers « cette descente au cœur de soi » (p. 172), Marie-Lou Dion revoit sa vie avec un prisme généreux, mais ne voudrait pas revivre sa vie. Néanmoins, ses réflexions sont toujours optimistes, même dans les épreuves et les séparations : « Plus on vieillit, plus on est heureux » (p. 189). Et pourtant, Marie-Lou Dion montre éloquemment les hauts et les bas du métier de comédienne, avec ces années d’un agenda surchargé de contrats suivies de celles, tardives, sans engagement et sans offres. Ne craignant pas les défis ni l’inconnu, elle se recyclera vers la mise en scène durant les années 1990 pour se réinventer une carrière, un nouveau réseau et une relation différente avec le milieu artistique qu’elle connaissant pourtant bien, pour ensuite rejoindre l’univers musical (Opéra, OSM) et renouer avec le succès. Les réorientations professionnelles peuvent devenir salutaires ; ce fut le cas pour Marie-Lou Dion.
5Avec Un été, trois Grâces - Récits de scène et de vie, les Éditions Druide nous offrent un livre très réussi qui pourrait assurément être classé dans la catégorie de la littérature de l’intime, dont la tradition est solidement ancrée au Québec. Ouvrage réflexif, il permet à chacune non pas de revivre mais plutôt de réviser et de commenter — avec un certain détachement, mais sans indifférence — le parcours d’une vie. Mais c’est en juxtaposant sur une même page des extraits rédigés en 1975 et des commentaires plus récents (par la même personne) que l’on arrive à innover sur le plan de la narration, sans pour autant dérouter le lecteur. L’écriture est vivante, franche, sensible et souvent enthousiasmante, sans regrets ni morosité. Et toujours, l’amitié loyale traverse ces trois récits, sous forme d’autoportraits intimes, sur le ton de la confidence et en toute confiance.
Table des illustrations
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Pour citer cet article
Référence électronique
Yves Laberge, « Un été, trois Grâces - Récits de scène et de vie », Amerika [En ligne], 23 | 2021, mis en ligne le 25 janvier 2022, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/15354 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.15354
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