1En avril 2019, les sénatrices mexicaines Ana Lilia Rivera et Jesusa Rodríguez font une présentation peu orthodoxe à la Chambre Haute d’un projet de Loi fédérale pour le développement et la protection du maïs originel. Tout au long de leur intervention, elles sont accompagnées d’un groupe d’acteurs et d’actrices représentant l’Offrande 4 de la Venta, une des pièces archéologiques les plus impressionnantes de la civilisation olmèque, découverte en 1955 par Eduardo Contreras et exposée, depuis 2012, de manière complète au Musée national d’anthropologie. Fervent soutien d’Andrés Manuel López Obrador et activiste lors de ses trois campagnes présidentielles, Jesusa Rodríguez devient sénatrice à la fin de l’année 2018 et exerce depuis lors un mandat lui permettant de soumettre des initiatives qui sont le reflet de son engagement. Lutte contre la maltraitance animale, défense des droits des femmes, promotion d’une agriculture sans organismes génétiquement modifiés, légalisation et régulation du cannabis, légifération contre les aliments ultra-transformés… Jesusa Rodríguez met sur la table des sujets sensibles mais essentiels et, chose pour le moins novatrice dans ce cénacle de la politique, les défend, lors de conférences remarquées, avec les outils du théâtre. Car cette femme politique de grande envergure, lesbienne, féministe, végane, partisane des courants de pensée antispécistes et décoloniaux, est aussi et avant tout une artiste incontournable de la scène mexicaine contemporaine. C’est, en effet, l’une des figures majeures de ce que l’on appelle au Mexique le cabaret politique, une forme théâtrale farcesque et satirique née dans les années 1970 au sein de la capitale et qui, encore aujourd’hui, jouit d’un succès certain.
2Pour comprendre ce qu’est le cabaret politique, il nous faut revenir au contexte socio-politique et culturel qui l’a vu naître (Alzate, 2015). Plusieurs facteurs sont à l’œuvre dans l’émergence de cette forme théâtrale particulière.
3Tout d’abord, les années 1960 et 1970 sont, à l’échelle mondiale, caractérisées par une série de mouvements sociaux libertaires qui bousculent les rapports de force. Dans un Mexique où le Parti Révolutionnaire Institutionnel monopolise le pouvoir depuis 1930, la contestation ne se fait pas attendre et les tensions se cristallisent au sein du mouvement étudiant qui sera, on s’en souvient, tragiquement marqué par le massacre de Tlatelolco en 1968. Le cabaret politique naît dans cette période de rupture et d’affrontements, et surgit alors comme un espace nécessaire d’émancipation.
4Les années 1970 sont aussi, sur un plan épistémologique et critique, celles des prémices de la postmodernité, où opère notamment une remise en cause des relations traditionnelles de pouvoir-savoir. Cette logique de renversement est propice à l’apparition du cabaret politique, qui réussit à réunir culture populaire et culture bourgeoise en s’inspirant de deux courants – que nous détaillerons plus loin – du début du XXe siècle, le teatro de carpa – une forme de théâtre ambulant typiquement mexicaine – et le théâtre de revue. À la fin des années 1960, ces courants avaient pratiquement disparu du fait des mesures répressives prises par Ernesto P. Uruchurtu, maire de la ville de Mexico entre 1952 et 1966, contre les vendeurs ambulants et les spectacles nocturnes.
5Enfin, les années 1970 puis 1980 sont également marquées par le néolibéralisme et ses temps de récession, comme en 1982, lorsque les restrictions budgétaires sont telles qu’elles bouleversent l’équilibre du théâtre universitaire, un théâtre qui, au Mexique – et contrairement à d’autres pays latino-américains –, est fortement subventionné par l’État. Ce théâtre, dominé par une approche texto-centriste, et entre les mains, pour ainsi dire, des metteurs en scène, entre alors en crise. Les metteurs en scène quittent l’université, le théâtre se réinvente dans d’autres lieux, avec d’autres moyens et selon de nouvelles approches.
6C’est dans ce contexte qu’apparaissent aussi des voix dissidentes, reflets d’une société et d’un public, en partie, en mutation, notamment en termes de libération sexuelle et d’acceptation de toutes les sexualités. En 1973, le coming out de l’écrivaine, metteuse en scène et activiste Nancy Cárdenas à la télévision fait scandale et marque considérablement les esprits. Pionnière du mouvement LGBT, elle met en scène en 1974 Los Chicos de la Banda, véritable phénomène médiatique adapté de la pièce de Mart Crowley, The Boys in the Band, jouée à Broadway en 1968. En 1975, elle publie conjointement avec Carlos Monsiváis et Luis González de Alba le premier manifeste en défense de l’homosexualité, qui reçoit d’ailleurs le soutien de plusieurs artistes et intellectuels comme Elena Poniatowska, Vicente Rojo, Juan Rulfo ou José Emilio Pacheco. En 1980, José Alcaraz et Tito Vasconcelos montent Y sin embargo se mueven, première pièce au Mexique jouée par des acteurs ouvertement gays. Ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres qui montrent à quel point est en cours, dans ces années de transformations, un processus de rupture avec la culture officielle en vigueur, une culture conservatrice, patriarcale et homophobe, façonnée par un pouvoir autoritaire qui, dans les années 1970 et 1980, réalise encore des rafles contre la communauté homosexuelle. Le cabaret politique mexicain s’érige ainsi, dans ce contexte contre-culturel duquel émergent de nouvelles voix, comme un espace privilégié d’expression de la diversité, notamment sexuelle, même si cet aspect est loin d’être le seul à le caractériser.
7Mais comment se manifeste concrètement l’émergence de cette forme théâtrale ? Une série d’évènements en dessinent les premiers contours. Au début des années 1970, le réalisateur et metteur en scène Juan Ibáñez monte un spectacle sur la conquête du Mexique avec des musiciens et des acteurs universitaires, en s’inspirant du théâtre de revue et dans le souci de déterrer ce courant qui, comme nous le disions précédemment, avait presque complètement disparu. Ce spectacle, à l’esthétique hybride et présenté dans une ambiance proche de celle du café-concert, est considéré comme l’une des premières expériences de ce qui, plus tard, sera appelé cabaret politique.
8D’un point de vue plus général, on assiste également, dans cette même période, dans les bars de Mexico, à un véritable métissage des arts, puisque les chansonniers qui s’y produisent agrémentent leur représentation de sketches comiques, où ils mêlent différentes pratiques artistiques, comme la danse, le mime, l’opérette ou le stand-up. Ce mélange des disciplines sera précisément l’un des traits majeurs du cabaret politique, qui apparaît donc vers la fin des années 1970 et le début des années 1980, lorsque les bars de la capitale finissent par devenir des lieux d’avant-garde où se retrouve une jeune génération d’artistes désireuse de s’exprimer sur la situation politique du pays, et où se conforme un nouveau public.
9Même si nous avons esquissé quelques caractéristiques de la forme théâtrale qui nous intéresse, comment définir maintenant plus précisément ce qu’est le cabaret politique mexicain ? Il s’agit avant tout d’un théâtre de farce et d’une forme en constante évolution, transformation, qui se nourrit d’une pluralité d’autres pratiques et genres artistiques. Il se nourrit notamment, nous l’avons déjà évoqué, de traditions plus anciennes, datant du début du XXe siècle : le teatro de carpa, une forme de théâtre ambulant, humoristique et satirique, très populaire dans les milieux modestes, et le théâtre de revue, destiné à une classe sociale plus aisée, mais considéré, à l’instar du teatro de carpa, comme un art mineur. Le cabaret politique est basé sur l’humour et la pratique du jeu de mots. Il croise les différents langages esthétiques, dont la musique, qui occupe une place importante. Il fait part à l’improvisation, à la métathéâtralité, est doté d’une forte dimension performative et aboutit très souvent à des représentations toujours susceptibles d’être déconstruites, à l’écoute des réactions du public et en écho avec les événements les plus récents. La figure du spectateur y est essentielle, puisqu’au-delà du rire, l’un des objectifs du cabaret politique est bien d’offrir une vision critique de la réalité. Cela passe par plusieurs mécanismes comme le travestissement, la carnavalisation, la parodie, l’ironie, ainsi que d’autres ressorts dramatiques qui font de cette forme théâtrale une tentative de dévoilement des rouages idéologiques et représentationnels qui conditionnent notre vie sociale et politique.
10Au début des années 1970, Jesusa Rodríguez étudie au Centre Universitaire Théâtral de l’Université Autonome du Mexique et commence sa carrière en tant que scénographe. Elle monte, à cette époque, au théâtre-bar El Guau, plusieurs spectacles musicaux de dimension critique. Elle ouvre ensuite, en 1980, avec sa compagne Liliana Felipe, le théâtre-bar El Fracaso, où les deux artistes feront leurs armes comme cabareteras. Le cabaret de Jesusa est, en effet, indissociable du travail musical de Liliana. Partenaires à la ville comme à la scène, elles deviennent rapidement un couple de référence du milieu artistique de la capitale. Exilée politique (elle fuit la dictature militaire argentine qui a fait disparaître sa sœur et son beau-frère), Liliana Felipe s’installe définitivement au Mexique en 1978. Artiste aux multiples facettes – chanteuse, pianiste, compositrice, poète –, elle puise son inspiration dans la musique populaire mexicaine et argentine et construit un art engagé.
111980 est aussi l’année où elles fondent le groupe Divas (avec Astrid Hadad, Regina Orozco, Victoria Gutiérrez), une association de dramaturges femmes et d’actrices avec lesquelles elles produiront plusieurs pièces. L’un des plus grands succès du groupe est Donna Giovanni, en 1983, une adaptation libre de l’œuvre de Mozart et Da Ponte qui réinterprète le mythe en termes féministes, avec un casting exclusivement féminin et une mise en scène où l’humour et le travestissement permettent une lecture résolument novatrice du paradigme de la séduction.
12En 1990, Jesusa et Liliana ouvrent le théâtre-bar El Hábito, dans l’ancien théâtre La Capilla, tout un symbole puisque ce dernier avait été inauguré en 1954 par le poète, dramaturge et essayiste Salvador Novo – écrivain homosexuel, membre de la génération des « Contemporáneos », un groupe de jeunes intellectuels avant-gardistes de la première moitié du XXe siècle – et que les plus grands acteurs et actrices de l’époque s’y étaient produits. L’ouverture de ce lieu marque le début d’une étape de consolidation et de reconnaissance qui transforme, pour ainsi dire, la forme qu’est le cabaret politique mexicain, qui était née à la fin des années 1970 et s’était développée tout au long des années 1980 dans une multitude d’espaces contre-culturels, en un véritable genre théâtral. La scène del Hábito devient, en ce sens, tout comme d’autre théâtre-bars par la suite (El Bataclán de la Bodega en 1997 avec Astrid Hadad, El Cabaré-Tito en 1998 avec Tito Vasconcelos, par exemple), un lieu d’expression et d’expérimentation artistiques incontournable de la capitale.
13En 2002, la compagnie de « Las Reinas Chulas » reprend la gestion du lieu, qu’elle rebaptise le théâtre-bar El Vicio, et fait perdurer la tradition du cabaret politique tout en lui apportant une dimension plus vaste, puisqu’elle inaugure un Festival International de Cabaret, toujours en vigueur aujourd’hui. En presque quinze ans, entre 1990 et 2004, Jesusa Rodríguez et Liliana Felipe produisent plus de trois-cents spectacles, offrant au public métropolitain une radiographie vive et mordante de la culture et de la politique mexicaines (Alzate, 2002).
14Leur cabaret est résolument féministe, antipatriarcal, iconoclaste et décolonial. Dans leurs spectacles, elles déconstruisent de nombreux motifs de la culture dominante en les réinterprétant, en dévoilant les travers de leurs fondements, et en renégociant, pour ainsi dire, le sens d’une possible idiosyncrasie mexicaine.
15Leur production Donna Giovanni de 1983 en était déjà la preuve, puisqu’elles s’attelaient, avec cette pièce, à la réécriture d’une œuvre canonique et à la subversion du mythe du séducteur. Dans un Mexique profondément marqué par le machisme, cela ne pouvait que contribuer à faire bouger les lignes.
16Un autre exemple parlant est celui du sketch La Coatlicue, de 1993, que Jesusa Rodríguez construit, comme son nom l’indique, autour de la divinité mexica. Fardée d’un gigantesque déguisement, Rodríguez donne vie sur scène à la sculpture préhispanique du Musée d’Anthropologie, qui souffre du désintérêt qu’on lui porte en comparaison de la ferveur que suscite la visite du Pape Jean-Paul II. Dans ce numéro, l’artiste rend manifeste toute l’importance que revêt la civilisation aztèque dans la culture mexicaine et fait la critique du discours officiel, empreint de colonialisme, qui tend à la négliger. Elle pointe du doigt également, bien entendu, le patriarcat religieux incarné par la figure du Pape :
(…) Pues a pesar de aquel desaire, permanecí imperturbable como una roca, pero ha llegado el momento en que pongamos las cosas en claro porque si ustedes no saben respetar a su madre, yo misma sabré darme mi lugar y ¡óiganme bien, mexicanos, mexiquenses, mejicones, mejidatarios y extranjenses!: Yo soy el origen del origen, y a nadie se le ha ocurrido irme a recibir al aeropuerto. A diferencia de otros ídolos, nunca se me han hecho imprimir 500 000 carteles, jamás se me construyó un mamódromo ni se me proporcionó un humilde mamamóvil, nunca me facilitaron la maquinaria adecuada para poder besar el piso del aeropuerto, nunca he hecho una gira, ya no se diga a Chalco, ni siquiera a Chapultepec, a Tlatelolco, nunca he realizado ese hermoso sueño de realizar una gira mamal con carácter puramente evangelizador, sobre todo ahora que tanta falta les hace una religión ecologista. Pero óiganlo bien hijos desagradecidos, a diferencia de otros yo los sigo queriendo porque una madre nunca olvida, porque aunque le soben la panza al Buda, o se vayan tras el Gurú, o se gasten la quincena en medallitas y rosarios, o anden todo el día de La Ceca a La Meca, seguirán siendo mis hijos. Además yo los traje al mundo y ahí está la diferencia, porque madre sólo hay una y esa ¡ingratos!, soy yo, aquí y en China. (Rodríguez, 1990: 402)
17Dans le sketch La Malinche, autre exemple de numéro du cabaret politique de Jesusa Rodríguez, l’artiste revisite l’histoire controversée de cette femme indigène devenue, entre autres, symbole de trahison dans l’imaginaire collectif mexicain. À partir d’un jeu particulièrement savoureux sur le langage, elle déconstruit avec humour le mythe et sa dimension misogyne, et en profite pour attirer l’attention sur la corruption de la classe politique mexicaine contemporaine et sur ses actes de trahison répétés. La Malinche est l’interprète non plus des conquistadors espagnols mais des marines étatsuniens, qui cherchent à contrôler le narcotrafic et à inonder le marché de leurs produits et de leur technologie. Cette version parodique ne rejette plus la faute sur la figure féminine mais sur Moitezuma (Moctezuma), qui devient le véritable responsable de la chute de la grande Tecnocratlán (Tenochtitlán) en commettant une erreur d’interprétation :
(…) -Pues nosotros querer controlar el narcotráfico porque ya estar hartos de tanta competencia desleal, dice, y nosotros querer firmar acuerdo para introducir todo lo que sea posible.
-¿Perdón? -dice Moitezuma.
-No pensar mal, dice el güero, dice, ya estar bueno de que ustedes vender chichicuilotes, lechugas, jitomates y aguacates, y todos esos ser animales en extinción, nosotros traer twinkis, hershys, sabritones y pop cornes, para hacer en un minuto en su microgüey.
-Eso lo serás tú, le dice.
-Ora pos qué te dijo, le digo.
-No oíste que me dijo güey y además chiquito.
-Ora, le digo pero si no te dijo eso, le digo.
-¿Qué no me dijo?, dice, clarito lo oí, así que dile que yo ya ni le digo nada nomás porque no quiero decirle.
Y que agarra y que se pone a jugar con la nana. Entonces el güero, que se va bien enojado, y que agarra a Cuauhtémoc y ahí lo tenía ira, todo amarrado y quemándole las patas y le dice, le dice: a ver, dinos, ¿por qué te has andado perrodeando de tanta gente?
-Pos no les digo, dice el Cuauhtémoc, y no les dijo.
Y en eso que entra doña Rosario Ibarra y les dice, dice ¡Ahí está! ¿no que en este país se respetan los derechos humanos y la libertad de expresión está plenamente garantiznada en la carta de deberes y deberás más?
-¡Claro! dice el güero, dice, si lo estamos torturando es para que hable, no para censurarlo, y usté callese, o traemos a Muñoz Ledo.
Y Doña Rosario Ibarra, respondió seria, seria, como si fuera de piedra: No por favor, ahí que quede. Total, ya le iban a clavar a Cuauhtémoc el cuchillo de jade cuando entra Muñoz Ledo y Dice, dice: ¡dejade ese Cuchillo! cuente hasta diez. . . Ce, Ome, Yei, Nahui, Macuilli, Chicuaque, Chicome, Chicuei, Chiconahui, Mictlactli. Y entonces sí se agarraron de las greñas, y volaban tepalcates de un lado para otro, ¡hasta la Coyolchauqui se fue a resquebrajar en un rincón! (Rodríguez, 1991: 310-311)
18Jesusa Rodríguez est une artiste engagée, et ne tarde pas à sortir des théâtre-bars pour investir d’autres espaces de représentation. Son cabaret va trouver, à partir de la fin des années 1990, d’autres lieux d’expression et s’intégrer à plusieurs dynamiques de protestation et de transformation sociales et politiques. C’est dans la rue principalement, mais aussi au sein de diverses communautés, qu’elle met à profit la force subversive et critique de son art.
19Elle fonde par exemple en 1997 la compagnie « La Chinga », un projet de théâtre itinérant et de participation populaire qui se produit dans différents espaces publics du secteur de Coyoacán, au sein de la capitale. En 1999, la pièce El Horror económico, spectacle interactif et satirique du groupe, fêtait sa cinquante-cinquième et dernière représentation. Le journal La Jornada écrivait :
Como la primera vez, y como lo hicieron durante las 55 representaciones desde marzo del año pasado, el grupo de actores de la compañía La Chinga compartió, la tarde de ayer, historias sugeridas acerca de un México que no escapa de su «horror económico», ante un público «sencillamente ciudadano» en la plaza Hidalgo, de Coyoacán.
Entre los espectadores se dieron cita la escritora Elena Poniatowska y la nueva delegada política, Laura Itzel Castillo, quienes, como decenas de jóvenes y niños, constataron el dominio de La Chinga de un proyecto artístico surgido con la intención de utilizar personajes propios de los arquetipos populares.
De acuerdo con Jesusa Rodríguez, creadora y directora de este espectáculo, la actuación que presentaron en diversas plazas de esta ciudad alcanzó un nivel de madurez que, en materia de teatro interactivo, recupera el concepto de la sátira política ante un imaginario colectivo que se vio reflejado en esta propuesta de comedia mexicana contemporánea.
A partir del montaje titulado El horror económico y a través de la dinámica sugerida por Jesusa y Clarissa Malheiros, el público se convirtió en el personaje central, a manera de diseñador de soluciones satíricas a los «grandes problemas nacionales». (Autor desconocido, 3/05/1999)
- 1 En 1997, dans le contexte d’affrontements au Chiapas, quarante-cinq membres de la Société Civile (...)
20En 2000, elle présente le projet de théâtre inclusif El Fuego, autre exemple de l’engagement de l’artiste envers les communautés marginalisées, adapté de la pièce du même nom de José Ramón Enríquez, du Prometeo sifilítico de Renato Leduc et du Prométhée enchaîné d’Eschyle. Le spectacle a pour objectif premier de faire participer une population jeune du quartier défavorisé d’Itzapalapa, comme réponse à l’exclusion induite par les politiques culturelles néolibérales, tout en présentant au public une œuvre créée en mémoire du massacre d’Acteal de 19971 :
(…) Fue así como cerca de una cincuentena de participantes en los talleres de actuación, dirección, vestuario, percusiones, construcción de monstruos mitológicos dieron vida al coro Oceánidas, protagonista de la tragedia, que junto a las actuaciones de Isela Vega (la directora, Hefesto y Hermes), Alma Jurado (la actriz y Prometeo), Jesusa Rodríguez (el buitre), Regina Orozco (Io y la Serpiente), participan en la travesía iniciática en búsqueda del espíritu dionisiaco de la tragedia para ofrecer una versión femenina de un Prometeo, esa Eva prometeica, que parte de un ensayo de Isabel Cabrera.
El proyecto fue llevado hasta las últimas consecuencias al incluir una escena final creada a partir de la imaginería e información de estos jóvenes, quienes imaginaron, dirigieron y actuaron inspirados en el Prometeo sifilítico de Renato Leduc. (Vega, 30/06/2000)
21Il est impossible ici de rendre compte des innombrables projets de l’artiste visant à faire du théâtre non seulement un exercice esthétique, mais également politique, qui réinvestit la rue, qui se déploie dans les communautés délaissées, qui incite à la participation populaire et qui fait la critique d’une part non négligeable de la classe dirigeante mexicaine, corrompue et monopolistique. Mais ce qu’il est possible d’affirmer, c’est bien le lien manifeste, où plutôt la continuité patente qu’il existe, chez Jesusa Rodríguez, entre pratique théâtrale et pratique politique. Chez elle, les deux sont indissociables. Preuve en est le soutien qu’elle apporte au mouvement zapatiste, avec des interventions et des actions où elle fait usage des outils que lui fournit le théâtre : en mars 1996, au Chiapas, elle s’adresse à la délégation gouvernementale dans la langue des sourds-muets, donnant ainsi à voir, grâce à un discours pantomimique désopilant, le théâtre du mutisme qu’est devenue la politique du président Zedillo.
22Preuve en est aussi la collaboration qu’elle entreprend avec Andrés Manuel López Obrador, à partir de l’élection présidentielle controversée de 2006, et les innumérables initiatives culturelles qu’elle met en place avec sa compagne Liliana Felipe dans le cadre du Mouvement de Résistance Civile Pacifique, renouvelant ainsi l’exercice de la protestation sociale et donnant naissance à ce qu’elles ont appelé le cabaret de masses (Alzate, 2011). Il ne s’agit plus ici, à proprement parler, de faire du cabaret politique mais d’amener le cabaret politique sur le terrain de l’activisme, d’en appliquer, en quelque sorte, les méthodes, au service de la lutte. Concrètement, cela se traduit par une multitude d’actions, allant de la direction et conduite des différentes rencontres du groupe, en passant par l’élaboration de chansons de résistance, jusqu’à la mise en scène des grands événements de ce mouvement social, faisant un usage privilégié de l’humour, de la musique, et des outils que procure le théâtre.
23Aujourd’hui élue à la Chambre Haute de la République mexicaine, Jesusa Rodríguez affirme agir maintenant au sein du « Théâtre du Sénat ». Elle prolonge ainsi, dans une certaine mesure, la méthodologie spécifique du cabaret politique à l’intérieur même de cette instance de pouvoir. La présentation théâtralisée du projet de Loi fédérale pour le développement et la protection du maïs originel dont nous faisions mention en introduction en est un très bon exemple. Cette présentation a attiré l’attention des médias et de l’opinion publique sur une question environnementale et de santé majeure et a donné ainsi une résonnance toute particulière au projet. Après une année de travail et de discussions, la Loi est adoptée et publiée au journal officiel en avril 2020, et fait du Mexique un précurseur en Amérique latine en matière de politique agricole et environnementale, en bannissant de ses sols le maïs génétiquement modifié.
24De manière plus générale, c’est un véritable sens de la scène, du discours, des mécanismes du jeu politique, pour ainsi dire, doublé évidemment d’une volonté pugnace et d’une grande intelligence concernant les sujets qu’elle décide de mettre sur la table, dont fait preuve Jesusa Rodríguez dans ce cénacle institutionnel et qui lui confère une aura toute singulière. En définitive, le parcours de cette artiste militante nous montre à quel point il faut prendre au sérieux cette faculté qu’a le théâtre, lorsqu’il est pratiqué dans une perspective critique de la réalité, comme c’est le cas du cabaret politique, non seulement de bouleverser nos représentations, mais également d’ouvrir un champ des possibles en termes de transformation sociale. Évidemment, libre à chacun et à chacune d’emprunter ce champ et d’agir concrètement. Il semblerait que, sur ce plan, Jesusa Rodríguez n’ait pas hésité une seconde.