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Dossier thématique: Ecritures scéniques et dramatiques d’Amérique latine : quelles émancipations ?
Poétiques des marges : perspectives minoritaires

S’affranchir de l’androcentrisme dans le théâtre colombien : de la « crise de la masculinité » aux masculinités critiques

Gabriella Serban

Resumos

Cet article étudie les mutations observables dans la représentation des masculinités, à partir des années 1990, dans le théâtre colombien. En s’appuyant sur des textes notamment de Fabio Rubiano et Ana María Vallejo, il s’agit de répondre à la question suivante : comment rendre à sa particularité une question marquée par sa propension à l’hypertrophie et la neutralisation ? Ce corpus permet ainsi d’interroger les enjeux et écueils des différentes stratégies esthétiques qui œuvrent à penser les masculinités. Cela aboutit à la proposition d’outils conceptuels pour discerner ce qui relève d’une simple mutation de l’androcentrisme ou de son profond ébranlement. Dans le premier cas, celui de la « crise de la masculinité », la question est abordée sous un angle ontologique et tend à reconduire la figure universelle du héros tragique, vêtu d’atours désormais postmodernes. Dans le deuxième, celui des « masculinités critiques », une profonde remise en question de cette vue totalisatrice s’opère, en procédant notamment à un reclassement du masculin dans l’économie de l’écriture. Cela nous permettra de conclure sur le constat d’un type de théâtre original, constituant une alternative possible aux propositions postdramatiques, que nous appelons ici « interstitiel ».

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  • 1 «Éste fue un decenio especial para las mujeres de teatro, que ya no sólo se destacaron como actr (...)
  • 2 La chercheuse souligne d’ailleurs combien cette féminisation est peu féministe : le théâtre « fé (...)

1À partir des années 1980 et 1990, le théâtre colombien connaît une inflexion qui le rend particulièrement propice à une analyse par le prisme du genre. Ce changement répond à une réalité sociologique puisque de plus en plus de femmes accèdent à des métiers jusque-là réservés aux hommes – elles ne sont désormais plus seulement actrices mais également autrices et metteuse en scène1, mais il correspond aussi à un projet esthétique. Les auteurs de cette période ont en effet le souci de s’éloigner du théâtre militant d’inspiration brechtienne qui faisait la notoriété de leurs prédécesseurs et d’explorer d’autres problématiques. C’est ainsi paradoxalement en s’inscrivant à rebours de ce qui a été appelé le Teatro político que la question du genre peut émerger. Le nombre de personnages féminins, jusqu’alors sous-représentés, augmente considérablement. La troisième raison de cette évolution est l’influence du théâtre postdramatique qui peut, comme le souligne Muriel Plana, sur le plan symbolique, être considéré comme une féminisation (Plana, 2012 :257)2. Au tournant du siècle, on cherche la part fragile dans l’écriture, on se plaît à éprouver les limites de la cérébralité pour redonner toute sa place au corps, à l’instinct, soit à tout ce qui, dans cet imaginaire, renvoie au féminin. À l’inverse, le champ sémiotique du masculin (le texte, le logos, la maîtrise, la rationalité…) se voit relégué au second plan (Plana, 2012 :266). Dans ce contexte, où le féminin n’est désormais plus cantonné au subalterne ou au particulier, on pourrait penser que, mécaniquement, le masculin cesserait d’être le « genre non marqué » (Wittig, 2013), le genre par défaut, et se verrait sommé de se définir. On constate en effet que, dans un certain nombre de pièces de théâtre contemporaines en Colombie, on commence à penser les masculinités dans leur particularité, et non plus en tant que mesure de l’humain. Pourtant, il n’est pas chose aisée d’interroger le masculin sans l’universaliser et les tendances actuelles témoignent tout autant de tentatives de subversions de l’androcentrisme que de la saisissante résilience de ce dernier. Or, loin de n’être qu’une thématique, on constate que les modalités de représentations de l’homme entrent en corrélation directe et profonde avec toute la structure dramatique. L’enjeu de cet article est ainsi d’arpenter quelques textes de théâtre colombien et d’interroger leurs manières de penser les masculinités afin de dresser un état des lieux non-exhaustif des différentes pistes et écueils caractéristiques de cette problématique esthétique et politique. Cette réflexion permettra à la fois d’éclairer d’un nouvel angle des auteurs reconnus de la scène colombienne et d’esquisser les contours d’un large spectre de représentations marqué par deux tendances opposées : celle de la « crise de la masculinité » et celle des « masculinités critiques ».

La « crise de la masculinité »

Fabio Rubiano : l’homme à l’ontologie fracturée

  • 3 Il est lauréat de quatre Prix Nationaux de Dramaturgie et de plusieurs bourses de création. Ses (...)
  • 4 Un cynisme qui n’est pas sans rappeler l’univers de Rodrigo Garcia.
  • 5 Également pour le sabotage de la progression dramatique dans ses premières pièces qui n’« évolue (...)

2Le premier de ces auteurs est Fabio Rubiano, l’une des figures les plus reconnues de la scène colombienne contemporaine3. Son travail est influencé par la méthode de la création collective qui était la marque de fabrique de ses prédécesseurs : comme eux, il met l’action et le mouvement au cœur du processus. Tout en traitant de sujets d’actualité brûlante, volontiers dérangeants, son théâtre prend ses distances avec le militantisme en adoptant un ton décalé, souvent grotesque, empreint d’humour noir, et brouillant les pistes de sens. Son esthétique est travaillée par les motifs de l’animal et du pulsionnel. On trouve conjointement dans ses œuvres une peinture critique de la férocité humaine et, en même temps, l’ode à une forme de brutalité nonchalante, à une sincérité qui viendrait du ventre4. Il est également considéré comme l’un des représentants des premières manifestations du théâtre postdramatique en Colombie, notamment pour sa tendance à faire « éclater » le personnage en plusieurs entités (Viviescas, 2006 : 508)5, et cette tendance prend une inflexion particulière concernant ses personnages masculins.

  • 6 J’analyse la subversion de l’éternel féminin dans cette pièce dans un article en ligne (Serban, (...)
  • 7 Comme cette réplique de la mère parlant de son fils : «MADRE: Esa noche sale por las calles, ase (...)

3Dans ses pièces les plus anciennes, « l’éclatement » prend la forme d’une duplication du personnage comme dans María es-Tres6 ou dans Amores simultáneos. Dans cette dernière pièce datant de 1993, qui prend la forme d’un jeu de thème et variation autour des thématiques de l’amour et du viol, de nombreux indices suggèrent que les différentes entités masculines et féminines pourraient bien respectivement n’être que la version diffractée d’un même personnage. Or, le versant masculin est fracturé en seulement deux entités (contre quatre pour la polarité féminine) : « Señor » et « Joven ». Alors que « Joven » est fleur bleue, timide et peu entreprenant, « Señor » est un violeur et un assassin. De nombreux indices disséminés suggèrent qu’en réalité, ils ne font qu’un7, et l’un des points culminants de la pièce est le monologue final, où les deux entités masculines confessent à l’unisson leur culpabilité dans un texte disloqué, fragmenté.

SEÑOR y JOVEN:

Salir, buscar un camino, respirar, llorar, yo tampoco quise, asesinar jovencitas y mujeres adultas, no quiero, solo vivir, recorrer las calles, caminar tranquilo, dormir como todos, no gritar, sentarme frente al televisor como si nada hubiera pasado, solo vivir, otras fantasías, sin hospitales, con luz en los callejones, ella, mía, perdón, perdóname […] (Rubiano, 1993, partie V).

  • 8 On la retrouve par exemple dans Mosca (2002) ou dans Pinocho y Frankenstein le tienen miedo a Ha (...)
  • 9 J’utilise ici du vocabulaire médical de manière purement métaphorique, dans une acception très é (...)

4Dans ses pièces suivantes, l’esthétique du personnage éclaté évolue et prend logiquement la forme, opposée et complémentaire, d’entités rapiécées, faites de fragments disparates. Cette fusion entre le jeune homme et l’homme, entre l’innocent et le criminel, se stabilise alors en une figure désormais récurrente dans les textes de Rubiano8 : celle du despote bipolaire9. On retrouve en effet régulièrement cette figure fracturée qui contient à la fois le coupable et l’innocent, par exemple dans le personnage de Judas, dans La Penúltima escena, incarnation de cette figure salie en quête de rédemption.

JUDAS : Soy un traidor.

MARÍA : Eres un apóstol (Rubiano, 1999 :18)

5Tout se passe comme si le tyran avait avalé le héros romantique et était hanté par cette innocence perdue.

  • 10 Type de représentation ayant recours au farcesque, au grotesque, associé au dramaturge espagnol (...)
  • 11 L’effet politique et esthétique de cet élan contrarié vers l’homosexualité ou le féminin est idé (...)

6Si cette fusion entre le héros et le prédateur est, certes, éminemment classique – elle est, par exemple, au principe de l’Œdipe de Sophocle (Lanza, : 44) – le renouveau de Fabio Rubiano consiste à lier étroitement sa version esperpéntica10 du héros tragique à l’exercice de sa masculinité. C’est en effet la lecture à laquelle nous invite la distribution des personnages puisque ceux qui s’érigent contre la tyrannie ou qui en sont victimes sont presque toujours des femmes. C’est également ce que suggère l’apparition, à partir des années 2000, d’un nouveau motif récurrent : celui d’une homosexualité refoulée ou d’une secrète aspiration à la féminité de la part du tyran. En effet, l’assassin de Soy asesino y padre de familia est homosexuel, de même que Demetrio dans Mosca ; le père tyrannique de El Natalicio de Schuman se travestit en cachette, tandis que le terrible savant fou de Pinocho y Frankenstein rêve secrètement d’être maman11.

  • 12 On l’aura compris : il m’est difficile de décrire cette hyperbole sans ironie.

7La dualité monstrueuse du tyran, chez Rubiano est ainsi, à partir des années 2000, associée à une masculinité fracturée, rendue psychotique par l’interdiction du féminin. C’est ce que j’ai appelé le paradigme de l’impossible « gynago », néologisme proposé comme pendant contemporain et masculin de la « virago ». Ce lieu commun consiste à exacerber la transgression que constituerait le fait pour un personnage masculin d’adopter des attributs féminins et de mettre en exergue l’impasse tragique qui en résulte12.

Les limites du modèle

  • 13 Notamment celles de Patricia Ariza, de Natalia Restrepo, ou encore du groupe Pasarela de la Univ (...)

8On peut affirmer qu’il y a, chez Rubiano, un projet d’exhiber les craquelures d’une masculinité trop monolithique. Il y a néanmoins plusieurs limites politiques à présenter la question des masculinités sous le signe d’une ontologie fracturée et en quête de rédemption. D’une part, lier cette question à l’être est en porte à faux avec les études contemporaines sur les masculinités qui les lient davantage au faire. Aborder la question sous un angle ontologique tend en cela à perpétuer les considérations essentialistes au détriment des performatives – il est d’ailleurs à ce titre révélateur de constater la très nette visibilité des questions de genre au sein de la performance en Colombie13 qui tend à confirmer une certaine obsolescence de la perspective ontologique pour son traitement esthétique.

  • 14 Songeons par exemple, toujours sur la pédophilie et l’inceste, au passage de Festen (1998) à La (...)

9La deuxième est qu’en s’inscrivant dans le long héritage du héros tragique, elle a systématiquement tendance à faire glisser la figure du statut de bourreau à celle de victime. Cette tendance a été identifiée au cinéma14 (Powrie et al, 2004 ; Franco, 2008), et, ici, le théâtre de Fabio Rubiano n’y échappe pas, d’autant que l’auteur cultive l’ambigüité morale. Ce glissement est très visible par exemple dans Labio de Liebre, où un ancien paramilitaire rongé par le remord et en quête de rédemption se voit refuser le pardon par d’anciennes victimes qui prennent ainsi le rôle de tortionnaires.

  • 15 Pour reprendre les mots de Flaubert dans la lettre à Louise Collet du 9 décembre 1852 : « L’aute (...)

10La troisième limite de cette modalité de représentation est qu’en proposant simplement de perpétuer le paradigme du héros tragique, elle ne permet pas de déjouer l’androcentrisme. On touche là à la difficulté particulière que pose un traitement critique des masculinités dans l’art exposée en introduction : leur tendance à l’hypertrophie et à la neutralisation. En effet, comment appréhender une question « présente partout, visible nulle part »15 ? Ma conclusion partielle est qu’il n’est pas possible de penser les masculinités, au sens de les appréhender comme une catégorie particulière, sans mettre en place des stratégies de décentrement. Aborder cette thématique tout en la décentrant, tel est le fertile paradoxe auquel doit faire face toute tentative de traitement critique des masculinités : les questionner tout en ébranlant leurs prérogatives esthétiques.

  • 16 Sa quête d’un sujet « autre » est manifeste : ses pièces adoptent par exemple des perspectives d (...)
  • 17 « […] hacer de la brutalidad un estilo de vida », formule empruntée à Gilberto Bello dans F. Orj (...)

11Chez Rubiano, malgré une tentative de changer la perspective16, la masculinité fracturée du tyran occupe une place prépondérante et centrale dans la plupart de ses œuvres aux niveaux diégétique, sentimental et en termes de registre. Il a tout d’abord une centralité diégétique puisqu’il incarne le pouvoir auquel doivent faire face les autres personnages, conditionnant ainsi tout le déroulement de l’action ; il a une centralité en termes de registre car il s’intègre parfaitement à l’univers de l’auteur. En effet, cette énergie pulsionnelle et animale, cette « brutalité convertie en art de vivre »17 caractéristique du théâtre de Rubiano est au principe même de la figure du despote bipolaire. Enfin, il a également une prépondérance sentimentale : le regret de la disparition du héros, et la quête d’unité et de rédemption qui en découlent font de lui le personnage le plus souvent empreint de lyrisme. C’est ainsi que je définis ici l’androcentrisme en art : par une combinaison de prérogatives, en l’occurrence en termes de narrativité, de registre, de charge émotive (c’est-à-dire une hypertrophie) qui donnent lieu à la neutralisation et l’universalisation du masculin.

12Tous ces éléments font pencher ce théâtre vers la première des deux polarités, celle de la « crise de la masculinité » : c’est-à-dire comme une crise identitaire, où toute tension vers le changement est présentée comme une féminisation trop difficilement surmontable. Cette impossibilité est cause de souffrance, et implique un horizon de faute morale, de condamnation ou de rédemption de la part du lecteur/spectateur, d’où le registre volontiers tragique et tend à la neutralisation et l’universalisation des problématiques masculines.

Le problème de la « remarquable absence »

  • 18 C’est le cas du théâtre de Tania Cárdenas Paulsen par exemple, ou encore de la pièce Pasajeras d (...)

13Comment traiter la question des masculinités tout en les décentrant ? Certains auteurs, surtout certaines autrices s’essayent tout d’abord à faire des pièces avec des personnages uniquement ou presque uniquement féminins18. Cette quête d’une « scène à soi » donne ainsi lieu à une tentative de marginalisation esthétique des masculinités. Pour autant, ces pièces peinent, dans le contexte actuel, à déjouer l’androcentrisme : en effet, contrairement à l’absence des femmes, l’absence des hommes n’a nullement été naturalisée par l’histoire. Par conséquent, cette absence produit, en soi, un effet esthétique : c’est ce que j’appelle le phénomène de la « remarquable absence ». C’est par exemple ce mécanisme qui est à l’œuvre dans le fait de qualifier un théâtre de « théâtre de femmes » ou de « théâtre féminin ». Il réinvestit paradoxalement le masculin comme cœur du projet puisque ce théâtre se définit par son absence. Gageons qu’il n’en sera pas toujours ainsi et que les pièces dites avec une majorité de personnages féminins et de prérogatives accordées aux questions de femmes contribuent à créer une accoutumance et œuvrent ainsi à une forme de naturalisation de l’absence masculine. Pour autant, même cette piste n’est pas satisfaisante car si elle peut contribuer, à grande échelle, à conscientiser et miner l’androcentrisme, elle ne permet pas de dire comment traiter des questions masculines tout en les décentrant et sans verser dans une appréhension ontologique. Pour cela, il semblerait que l’une des pistes les plus prometteuses se trouve dans ce que j’appelle les dramaturgies « interstitielles », dont l’un des exemples est le théâtre d’Ana María Vallejo.

Vers des masculinités critiques

Ana María Vallejo : un délicat reclassement du masculin

14Cette autrice est originaire de Medellín, si bien que son écriture s’inscrit dans d’autres héritages que ceux de la capitale. Plus que la création collective, c’est surtout l’expressionnisme de José Manuel Freidel que l’on retrouve dans son univers, à travers la subjectivation du personnage, le traitement de la folie et du rêve, ou encore le privilège accordé à la fonction poétique du langage. L’une de ses spécificités est, à rebours des tendances actuelles, une importance particulière accordée au texte, dans sa dimension littéraire. Pourtant, en tant que femme de théâtre, il ne s’agit pas pour elle de réinvestir une concurrence dépassée entre la scène et le texte : elle envisage la notion dans une acception large, pouvant inclure les « écritures du corps » (Vallejo de la Ossa, 2017). Ainsi, bien qu’elle travaille avec un matériau littéraire, le texte est profondément empreint de sensorialité et informé par le travail de plateau.

  • 19 L’autrice gagne la bourse du British Council grâce à cette pièce en 2000, elle est publiée en 20 (...)

15Ses motifs de prédilection sont la tension entre le voyage et l’intime, l’autre et le familier, ce qui la conduisent à explorer aussi bien des thématiques tragiques de l’histoire colombienne que des problématiques existentielles et quotidiennes. Ce qui m’intéresse ici c’est le traitement particulier qu’elle accorde à l’espace inter-personnage au sein d’une dramaturgie que l’on pourrait qualifier de cartographique. C’est notamment le cas dans Magnolia perdida en sueños19. Le délicat reclassement du masculin qui s’y opère, dans une pièce marquée par un élan décentralisateur et pluri-perspectiviste, est au principe de ce que j’appelle une dramaturgie interstitielle. L’enjeu est ici de montrer à quel point l’interstice peut être considéré comme le génome de cette pièce et de mettre en avant l’ample portée politique de ce schème emprunté à Homi Bhabha (Bhabha, 2007).

16L’action du texte se déroule au tournant des années 1990 à Medellín, soit l’âge d’or du narcotrafic, alors que la violence quotidienne atteint des niveaux insoutenables. Magnolia vient de tomber dans le coma, si bien que sa famille, ses amis et ses voisins se rassemblent à son chevet. Toute une galerie de personnages et de situations contribue alors à faire une fresque intime et quotidienne de cette période de l’histoire. Les soliloques oniriques de Magnolia, depuis le coma, alternent avec les tracas et dilemmes des personnes qui gravitent autour d’elle. L’action, de même que la vie de Magnolia est comme suspendue, en léthargie, dans un entre-deux : la dramaturgie est ainsi interstitielle à ce premier niveau, située entre la réalité et le rêve.

17La scène devient un espace où la progression se cristallise pour mieux permettre de présenter une circulation des regards. Régulièrement, le temps se dilate pour offrir une véritable cartographie des perceptions donnant lieu à une évolution synchronique de l’action. À titre d’exemple, dans la scène 3 (« Los Vecinos »), on assiste tout d’abord à un dialogue au chevet de Magnolia, entre différents amis, puis on passe à la rue où discutent trois mariachis et enfin, on plonge dans un espace autre, celui d’un homme du voisinage, El Gordo qui raconte l’agression dont il a été victime. Or, cette circulation fonctionne toujours comme un passage de témoin : la séquence des mariachis est convoquée par le regard de l’un des amis présents au chevet de Magnolia, León. Il est allé sur le balcon et les voit dans la rue. Le retour à la salle s’effectue parce que les mariachis mentionnent le garçon sur le balcon qui vient de disparaître. Ensuite, le passage à la perspective de El Gordo est convoqué par la parole d’un autre personnage qui évoque le souvenir de celui-ci à l’hôpital. Le passage de témoin, à la faveur d’un regard ou de l’évocation d’un souvenir permet ainsi la circulation des perspectives au sein d’un temps cristallisé. C’est également à ce titre que je qualifie cette dramaturgie d’interstitielle : l’action est blottie au creux d’un instant, elle progresse moins dans le temps qu’elle ne se déploie sous le faisceau des différents regards.

18Mais l’enjeu politique d’une perspective interstitielle n’est pas seulement la choralité, la polyphonie, ni même le dialogisme : il s’agit d’offrir une diversité sociale et culturelle dans les points de vue, d’explorer leur articulation et de leur accorder une égalité d’investissement esthétique. Il est en cela emblématique que l’un des personnages principaux de la pièce soit Mariana, jeune femme originaire de Medellin mais vivant à Paris. Ce personnage-lisière, plus tout à fait paisa, pas vraiment parisienne non plus, nous est présenté dans un aéroport. Son premier monologue rend compte de cet espace comme celui, par excellence, du croisement entre différentes perspectives et différentes nationalités :

MARIANA. […] Los hay grandes, de pelos amarillos, sonrojados, gordos, algunas mujeres son hermosas, apresurados, negros, chinos y una que otra muchacha parecida a mí, latina, pequeña, sonriente, no como yo. Se cruzan unos con otros, más bien lentamente, no es un caos, son breves encuentros, fugaces encuentros en este tiempo terrible que palpita insoportable. Los niños podrían entenderme, los de la mujer árabe que parece acomodar su vida envuelta en bultos de colores en ese rincón. (Vallejo de la Ossa, 2008, Scène 2)

  • 20 Le terme « minorité » est ici utilisé au sens sociologique d’une communauté de moindre pouvoir, (...)
  • 21 Ce néologisme s’emploie en Colombie pour désigner et penser le phénomène socio-culturel du grand (...)

19L'enjeu politique de cette dramaturgie de l’interstice consiste également en une attention particulière accordée aux perspectives minoritaires20 : outre la complicité entre femmes latino-américaines qui se dessine dans cet extrait, la pièce accorde par exemple un espace tout particulier à l’expérience des femmes contraintes au déplacement, notamment lorsqu’elles sont mères célibataires. Dans ce même monologue, Mariana établit en effet un parallèle entre, d’une part, la femme maghrébine qu’elle voit, à l’aéroport, voyager avec ses trois enfants, et l’expérience de déplacement forcé de sa propre mère. Le madresolterismo21 combiné à la migration et la discrète sororité qui en émane constituent ainsi l’une des perspectives minoritaires mises en valeur dans le texte.

20L’élan décentralisateur de la pièce ne consiste pas pour autant à nier ou gommer sa propre perspective : la caractéristique principale d’une dramaturgie interstitielle étant la méfiance envers les regards englobants et totalisateurs, il s’agit d’identifier ce regard et de l’inscrire dans un réseau, comme le fait symboliquement Mariana à l’aéroport. Ce personnage est le plus empreint d’autobiographie et a donc un statut particulier dans la pièce qui peut se déceler, par exemple, dans le lyrisme de sa parlure et parfois une légère prérogative donnée à son point de vue. Néanmoins, si l’on considère ces quelques lignes de monologue comme un pacte de lecture, le pari est tenu et Mariana ne sera que l’une des nombreux regards adoptés par la pièce.

21Cette perspective à la localisation assumée est en effet compensée par l’investissement esthétique tout particulier accordé à chaque personnage, y compris les personnages masculins. Pour n’en citer que quelques-uns : l’un des climax de la pièce est la mort tragique de Juan, le guérillero, sur scène ; l’une des voix les plus singulières est celle de Pablo, dont la parlure, de plus en plus obscure et poétique, indique le basculement du personnage dans la folie. La pièce dépeint également les contraintes spécifiques de l’époque liées au contexte de Medellín et aux normes de masculinité traditionnelles, notamment à travers le personnage de Diego qui doit subvenir aux besoins de sa compagne enceinte, Lía. Il se trouve ainsi contraint, pour faire fortune, d’émigrer aux USA s’il veut pouvoir rivaliser avec le narcotrafiquant qui fait des avances à Lía (ce dernier est en effet bien plus susceptible de garantir sa sécurité économique).

22En cela, « reclasser » les masculinités signifie paradoxalement, chez Ana María Vallejo, accorder une place littéralement particulière aux problématiques qui y touchent, contribuant ainsi à parasiter la neutralisation. Il s’agit de les décentrer tout en les investissant esthétiquement en profondeur. L’écriture interstitielle fait du genre, et de toute position sociale, une question moins ontologique que relationnelle, ce qui permet un renversement délicat de toute vision totalisatrice.

Les dramaturgies interstitielles : un nouveau paradigme d’écriture ?

23Lorsque je parle d’écriture interstitielle, c’est en référence au type d’esthétique auquel Homi Bhabha rend hommage dans Les Lieux de la culture (Bhabha, 2007), un modèle régulièrement mis en avant dans les études postcoloniales. En prenant comme point de départ la société trinidadienne telle qu’elle est décrite par Naipaul dans Les Hommes de paille, Bhabha définit son utopie esthétique et politique d’un « tiers-espace » d’hybridation. L’interstice est envisagé comme un nouvel espace de réflexion critique et politique, en lien profond avec les notions de frontière et d’identité. L’enjeu est de le penser non pas comme un non-lieu mais au contraire comme un espace habitable, où les limites culturelles deviennent poreuses, où les sujets se configurent par l’interaction, l’articulation. Concrètement, une dramaturgie interstitielle est fondée sur un décentrement du regard et un rapport particulier à l’altérité : la perspective n’est plus unique, elle est inscrite dans un réseau. Elle est en cela à même non seulement de mettre en branle l’androcentrisme mais également toute portée totalisatrice.

24Ce nouveau modèle de pensée et de création artistique constitue une alternative au paradigme postmoderne, fortement suspecté de ne pas être sorti de son ensimismamiento, de son phallo et eurocentrisme.

Ainsi, si l’intérêt pour le postmodernisme se borne à célébrer la fragmentation des « grandes narrations » du rationalisme post-Lumières, il reste, quelle que soit l’excitation intellectuelle qu’il suscite, une entreprise profondément provinciale.

La signification la plus large de la condition postmoderne tient dans la conscience que les « limites » épistémologiques de ces idées ethnocentriques sont aussi les frontières énonciatives de toute une gamme d’autres histoires et d’autres voix dissonantes, voire dissidentes – les femmes, les colonisés, les groupes minoritaires, les porteurs de sexualités sous surveillance. (Bhabha, 2007 :34)

  • 22 «De manera que el intelectual crítico debe ser alguien localizado "entre" (in betweenness) las d (...)
  • 23 Une analyse plus approfondie serait à réaliser mais, à titre d’exemple : Bhabha conceptualise ce (...)
  • 24 « Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-êt (...)

25Cet espace utopique de l’interstice dessiné par Homi Bhabha comme espace d’hybridation culturelle n’est par ailleurs pas sans rappeler d’autres utopies philosophiques : celle de la transmodernité de Dussel, notamment dans le constat que la postmodernité n’est pas un véritable changement de paradigme, et dans l’appel à un horizon hétéroglotte, cosmopolite, sans rapport de domination entre les cultures. Dussel insiste d’ailleurs sur l’importance de cet espace frontalier, des points de vue d’intellectuels localisés « entre » deux cultures22. Bien que ces deux concepts ne soient pas synonymes23, la convergence de pensée est patente. Or, on peut gager par ailleurs que certains nouveaux paradigmes de pensée, dans les pays européens, pourraient contribuer à rendre ces derniers perméables à cette révolution copernicienne. En effet, ne plus se considérer comme le « centre », envisager une évolution de la pensée antihiérarchique, non pas verticale (comme l’arbre) mais horizontale (comme l’herbe), est notamment l’un des enjeux politiques du modèle du rhizome proposé par Deleuze et Guattari24.

  • 25 À la lisière explorée entre la population Wayuu, les citadins de la Colombie et les parisiens, c (...)
  • 26 A. M. Vallejo, Pieds nus sur les pierres de sel, Toulouse, Presses universitaires du Midi, Centr (...)

26Définir de manière plus systématique et précise cet horizon dans le théâtre n’est pas possible dans les quelques lignes qui suivent et il y a fort à craindre que le tenter brièvement ne se confonde avec une célébration néolibérale de la diversité. Du reste, un récent travail de Lîlâ Bisiaux explore en profondeur la question de la transmodernité appliquée au théâtre (Bisiaux, 2021). Je formulerai néanmoins le constat suivant à partir du théâtre d’Ana María Vallejo : son théâtre interstitiel est un théâtre informé par les problématiques qui ont mis en crise la forme dramatique. Pour autant, il ne se caractérise pas tant par une remise en cause systématique des éléments formels traditionnels (à l’instar du théâtre postdramatique) que par une structure profondément nourrie par les utopies d’hybridation culturelle et d’espaces frontaliers telles que les dessine Bhabha, et informée par les préoccupations décoloniales et féministes. Il n’est pas une célébration naïve et englobante de la diversité mais une exploration critique de la différence. Il est notamment marqué par une méfiance envers « l’hybris du point zéro » (Castro-Gómez, 2005), et est en cela particulièrement à même de déjouer l’androcentrisme. L’une des étapes suivantes de ce changement de paradigme pourrait être de pousser ce décentrement, ce pluri-perspectivisme vers des écritures à plusieurs mains, c’est-à-dire une redéfinition profonde de l’auctorialité. Or, c’est à ce jeu qu’Ana María Vallejo a tendu à se prêter dans l’une de ses plus récentes œuvres Pies morenos sobre piedras de sal, écrite en dialogue avec un compositeur25. En effet, l’autrice y fait correspondre la lisière entre les cultures Wayuu, colombienne et française, avec un autre interstice entre deux langages artistiques : ceux du théâtre et de la musique26. Peut-être que l’aboutissement de ces tendances rejoindrait ce qu’Olga Cobo appelle de ses vœux : que l’Autre ne soit plus un thème mais un partenaire (Cobo, 2021).

CONCLUSION

27Malgré leurs limites intrinsèques pour penser les masculinités, il ne s’agit pas de considérer les œuvres qui s’apparentent au paradigme de « la crise de la masculinité » comme rédhibitoires pour la production d’œuvres de qualité. Elles doivent néanmoins être identifiées comme telles pour permettre une pluralité de représentations aujourd’hui mises à mal. En d’autres termes, elles ne seraient pas aussi problématiques si elles n’étaient pas aussi fréquentes. En effet, bien que j’aie trouvé d’autres exemples d’écriture interstitielle et d’autres traitements critiques des masculinités – par exemple dans des textes marqués par un « état d’esprit performatif » (Danan, 2016) – cette première modalité, celle de la masculinité comme crise ontologique et tragique, est largement surreprésentée dans la production contemporaine hégémonique actuelle. Cette tendance montre non pas un effritement de l’androcentrisme mais au contraire sa profonde résilience puisqu’il peut continuer de prospérer dans le travail d’auteurs à l’ethos féministe, et dans des œuvres qui sont en profonde concordance avec les tendances saluées par les normes académiques contemporaines.

28Cela implique qu’il ne suffit pas de déconstruire les catégories du drame pour remettre profondément en cause le logocentrisme. Passer du paradigme de « la crise de la masculinité » à celui des « masculinités critiques », comme tout traitement des relations de pouvoir, implique en effet de glisser de l’ontologie vers le relationnel. En cela, il semble difficile à opérer exclusivement au sein du naufrage interactionnel du théâtre postdramatique. C’est pourquoi un autre type de théâtre mérite notre attention : un théâtre pas systématiquement réfractaire au texte, à la représentation, mais pas moderne pour autant car informé de et par son histoire, proposant d’autres pistes pour la remise en question des vues totalisatrices, notamment des espaces et une agentivité pour les paroles autres ainsi que des initiatives d’auctorialité collective.

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Bibliografia

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Notas

1 «Éste fue un decenio especial para las mujeres de teatro, que ya no sólo se destacaron como actrices, relacionistas, gestoras, campos conquistados hace años, sino que aumentó el número de escritoras y directoras. Esta afirmación no sólo es consecuencia del estado actual del teatro colombiano y la promoción académica. Influyeron también otros elementos de carácter social y cultural, como el incremento de las organizaciones femeninas y de los estudios de género.» M. Lamus Obregón, «Variedad teatral en los años noventa», Boletín Cultural y Bibliográfico, vol. 35, no 50-51, 1999, p. 121-163.

2 La chercheuse souligne d’ailleurs combien cette féminisation est peu féministe : le théâtre « féminin » n’a en effet pas besoin d’autrices pour se déployer. Il est porté principalement par des auteurs hommes qui, en faisant reposer leur esthétique sur des fantasmes essentialisants, sont considérés novateurs et acquièrent du prestige (Plana, 2012 :260).

3 Il est lauréat de quatre Prix Nationaux de Dramaturgie et de plusieurs bourses de création. Ses pièces ont été traduites et montées dans de nombreux pays (Allemagne, Espagne, France, Slovénie, Mexique, Nicaragua, États-Unis… Labio de Liebre faisait partie de la programmation du théâtre des Célestins à Lyon en octobre 2017).

4 Un cynisme qui n’est pas sans rappeler l’univers de Rodrigo Garcia.

5 Également pour le sabotage de la progression dramatique dans ses premières pièces qui n’« évolue » plus que par soubresauts et répétitions.

6 J’analyse la subversion de l’éternel féminin dans cette pièce dans un article en ligne (Serban, 2019).

7 Comme cette réplique de la mère parlant de son fils : «MADRE: Esa noche sale por las calles, asesina prostitutas y se acuesta con jovencitas y mujeres adultas aunque ellas no quieran. […] Pero el muchacho se sigue arrepintiendo y para curarse enamora las muchachas que ha desflorado. Ordena su vida, se casa con ellas, les hace el amor como un amante tímido.» (Rubiano Orjuela, 1993, Partie III, scène 9.).

8 On la retrouve par exemple dans Mosca (2002) ou dans Pinocho y Frankenstein le tienen miedo a Harrison Ford (2008) avec dans les deux cas un personnage de tyran qui alterne entre des actes de cruautés froides et des sursauts de remords larmoyants.

9 J’utilise ici du vocabulaire médical de manière purement métaphorique, dans une acception très éloignée de la réalité des pathologies. Ici, schizophrène ou bipolaire, sera un synonyme de « duel ». L’usage de ce vocabulaire vise à mettre l’accent sur la gravité de la fracture et sur sa manifestation particulièrement compulsive.

10 Type de représentation ayant recours au farcesque, au grotesque, associé au dramaturge espagnol Ramón del Valle-Inclán.

11 L’effet politique et esthétique de cet élan contrarié vers l’homosexualité ou le féminin est idéologiquement ambigu pour des raisons que j’ai expliquées ailleurs (Serban, 2019, pp. 215-218).

12 On l’aura compris : il m’est difficile de décrire cette hyperbole sans ironie.

13 Notamment celles de Patricia Ariza, de Natalia Restrepo, ou encore du groupe Pasarela de la Universidad Distrital.

14 Songeons par exemple, toujours sur la pédophilie et l’inceste, au passage de Festen (1998) à La Chasse (2012) dans le parcours du réalisateur Thomas Vinterberg, soit un glissement du thème de la pédophilie à celui de la persécution d’hommes injustement accusés. Cette préoccupation récurrente pour restaurer l’honneur de figures salies a pu également se voir très récemment et significativement dans le J’accuse de Roman Polanski (2019).

15 Pour reprendre les mots de Flaubert dans la lettre à Louise Collet du 9 décembre 1852 : « L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, visible nulle part. ».

16 Sa quête d’un sujet « autre » est manifeste : ses pièces adoptent par exemple des perspectives de femmes (María es-Tres, Sara dice…), de créatures inspirées du modèle animal (Cada vez que ladran los perros), ou de machines (Pinocho y Frankenstein).

17 « […] hacer de la brutalidad un estilo de vida », formule empruntée à Gilberto Bello dans F. Orjuela, Rubiano, Teatro Petra 30 años, Bogotá, Ministerio de Cultura, 2014, p. 39.

18 C’est le cas du théâtre de Tania Cárdenas Paulsen par exemple, ou encore de la pièce Pasajeras de Ana María Vallejo.

19 L’autrice gagne la bourse du British Council grâce à cette pièce en 2000, elle est publiée en 2008 : A. M. Vallejo de la Ossa, Magnolia perdida en sueños, Bogotá, Universidad Distrital Francisco José de Caldas, 2008.

20 Le terme « minorité » est ici utilisé au sens sociologique d’une communauté de moindre pouvoir, pas nécessairement de moindre nombre.

21 Ce néologisme s’emploie en Colombie pour désigner et penser le phénomène socio-culturel du grand nombre de femmes qui s’occupent seules de leurs enfants.

22 «De manera que el intelectual crítico debe ser alguien localizado "entre" (in betweenness) las dos culturas (la propia y la Moderna). Es todo el tema del border, la "frontera" entre dos culturas como lugar de un "pensamiento crítico. El tema lo expone largamente Walter Mignolo, en el caso de la "frontera" México-norteamericana como ámbito bicultural creativo.» (Dussel, 2017, chapitre 10)

23 Une analyse plus approfondie serait à réaliser mais, à titre d’exemple : Bhabha conceptualise cette utopie dans l’espace alors que Dussel la place dans le futur ; en conséquence, le premier propose surtout des exemples localisés d’hybridation comme modèles utopiques alors que le second insiste sur la nécessaire irruption d’un interlocuteur autre dans le dialogue mondial.

24 « Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo. L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, uniquement d’alliance. […] Entre les choses ne désigne pas une relation localisable qui va de l’une à l’autre et réciproquement, mais une direction perpendiculaire, un mouvement transversal qui les emporte l’une et l’autre, ruisseau sans début ni fin, qui ronge ses deux rives et prend de la vitesse au milieu. » (Deleuze et Gattari, 1980, :36-37). Une nuance peut cependant être apportée puisque Spivak a démontré les limites de la compatibilité de ces auteurs avec les études postcoloniales pour leur préférer Derrida (Spivak, 1984).

25 À la lisière explorée entre la population Wayuu, les citadins de la Colombie et les parisiens, correspond la lisière explorée entre l’écriture et la musique.

26 A. M. Vallejo, Pieds nus sur les pierres de sel, Toulouse, Presses universitaires du Midi, Centre de traduction, interprétation et médiation linguistique, 2018.

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Gabriella Serban, «S’affranchir de l’androcentrisme dans le théâtre colombien : de la « crise de la masculinité » aux masculinités critiques»Amerika [Online], 21 | 2021, posto online no dia 02 março 2021, consultado o 02 dezembro 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/amerika/12891; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/amerika.12891

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Gabriella Serban

LLA/CREATIS, Université Toulouse Jean Jaurès, gabriella.serban@univ-lyon3.fr

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