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L’espace domestique des migrants marocains : les extensions transnationales de l’intimité familiale

The domestic space of Moroccan Migrants: the transnational extensions of familial intimacy
Jordan Pinel et Thomas Lacroix

Résumés

Le vieillissement des migrants maghrébins a suscité un renouvellement de la recherche sur leurs pratiques résidentielles. En effet, nombreux sont les retraités qui ont choisi de partager leur existence entre leur logement en France et celui qu’ils ont acquis au Maroc. La retraite serait donc l’âge des allers-retours plutôt que celui du retour. En étudiant l’aménagement intérieur de leurs logements, cet article remet en question l’idée d’un surinvestissement dans la maison construite au pays afin de s’y afficher comme « notable ». Ce qui ressort de l’analyse est bien plutôt celui d’une mise en continuité des espaces résidentiels par la mise en résonnance des aménagements. Ils démontrent la volonté de construire un espace de l’intimité familiale par-delà les ruptures légales et culturelles.

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Texte intégral

Introduction

1Depuis une vingtaine d’années, on observe un fort vieillissement de la population immigrée en France. Il est essentiellement lié à celui des migrants des années 1960-1970, qui arrivent aujourd’hui à la retraite et parmi lesquels on trouve les immigrés marocains. Ce passage à la retraite est un moment où se pose la question de leur mode d’installation en France et au Maroc (Pinel, 2020). Les migrants reconsidèrent la possibilité du retour (et/ou des allers-retours) dans le pays d’origine et le passage à la retraite se caractérise bien souvent par une circulation importante entre les deux pays (Schaeffer, 2001 ; Pinel, 2020). Cette circulation est l’expression des attaches maintenues de part et d’autre de la Méditerranée. Ces migrants marocains, qui ont souvent travaillé et vécu plus longtemps dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine, « s’installent » dans « l’entre-deux », à la fois en raison des difficultés d’une réintégration dans la société d’origine et de la force des liens qui les attachent au pays d’installation, mais également parce qu’ils se sont forgés une identité multiple tout au long de leur vie en migration (Schaeffer, 2001, p. 165). En effet, plutôt qu’un retour définitif, et une rupture avec le pays d’installation, nombreux sont ceux qui optent pour une forme ou une autre de bi-résidence. Leurs pratiques circulatoires étudiées dans les champs migratoires (Simon, 1981) s’inscrivent dès lors dans un système résidentiel transfrontalier (Dureau, 2002).

  • 1 Six autres enquêtés ont été rencontrés, mais pas à leur domicile. Sur les 14 personnes rencontrées (...)

2L’objet de notre recherche est de saisir la façon dont se construit un espace domestique transnational parmi les migrants retraités. Il peut sembler à première vue paradoxal : l’espace domestique est généralement conçu comme un espace ancré dans l’unité du logement, il ne saurait donc être à la fois ici et là-bas. Or, nous allons essayer de montrer que le « travail esthétique » (Böhme, 2018) qui caractérise les aménagements intérieurs de ces retraités marocains, est produit et producteur du transnationalisme vécu et pratiqué par ses occupants. Ce travail repose sur une enquête réalisée entre 2018 et 2020 auprès de 14 migrants marocains1 (dont deux couples) arrivés en France entre les années 1960 et 1980, et aujourd’hui à la retraite. On verra comment l’aménagement intérieur des lieux d’habitation des migrants met en scène leur spatialité résidentielle, leur positionnement identitaire, et la façon dont ils considèrent leur « chez-soi » multi-situé. L’enquête fut réalisée à partir d’entretiens semi-directifs réalisés aux domiciles des enquêtés. Lors du rendez-vous à domicile, l’ensemble des retraités nous a fait visiter tout ou partie du logement. Les commentaires énoncés au fil de nos échanges portaient sur les aspects pratiques du logement, les travaux effectués et l’occupation de l’espace. Avec un déplacement au sein du logement, cette méthodologie est inspirée de la méthode des parcours commentés (Thibaud, 2001), mais sans parcours préétablis, la déambulation dépendant de la spécificité et l’unicité de chaque logement. Employée notamment pour l’étude des perceptions dans les espaces publics, cette approche permet de mettre la sensibilité et la subjectivité au cœur de l’analyse d’un espace. Utilisée ici pour les intérieurs, elle permet de saisir le ressenti de l’ambiance d’un lieu par des entretiens effectués au domicile des enquêtés. Ces derniers, en nous faisant visiter leur domicile, nous ont emmenés d’une pièce à l’autre, cela permet de prendre la mesure de la maison, comprendre la disposition des lieux, les envies derrière les aménagements avec une attention particulière pour les rapports symboliques entre les objets. Être présent dans le logement de l’enquêté permet d’en saisir l’atmosphère en tant que « réalité du perçu » et « réalité du percevant » (Böhme, 2018, p. 36).

3Lorsque les retraités l’ont accepté, des photographies ont été prises par l’enquêteur d’une ou plusieurs pièces des logements, de l’ameublement ou de la décoration. Il était demandé aux retraités d’indiquer les éléments ou pièces à photographier qui pour eux caractérisaient le mieux le logement. Les photographies, illustratives de l’intérieur des logements, sont ainsi des supports au propos des enquêtés, permettant de constituer le corpus d’un « terrain visuel » (Conord, 2007) et d’analyser des objets – marqueurs de l’espace – faisant référence à l’inscription transnationale des espaces domestiques.

4Cette analyse marque une rupture par rapport aux approches classiques du transnationalisme. Ici, nous nous efforçons de le saisir non pas dans la circulation des biens, des idées ou des personnes qui façonnent les champs migratoires, mais au contraire dans l’intimité des logements et dans les significations de leur aménagement. Et il enrichit notre compréhension des ambiances domestiques en mettant en évidence non seulement la charge identitaire qui leur est sous-jacente, mais également l’importance de saisir ces ambiances dans un système multi-résidentiel. La proposition que nous cherchons à défendre dans cet article est que l’espace domestique des migrants est transnational à trois titres. Il l’est dans la mesure où il se construit dans deux logements à la fois, celui dans le pays d’installation et celui dans le pays de départ. Il l’est ensuite parce qu’empreint d’une atmosphère façonnée par une expérience et une expression identitaire construite dans la migration. Il l’est enfin car porteur d’une spatialité multi-située, une pratique de la circulation entre les deux rives de la Méditerranée, et par les membres d’une famille eux-mêmes dispersés sur plusieurs pays. Dans ces logements, on peut lire l’invention d’une « marocanité » aux accents pluriels dans l’espace de la migration en France, mais aussi leur expérience d’une vie en migration dans l’espace d’origine. Par leurs aménagements, les objets choisis, leurs dispositions, les couleurs, les enquêtés ont « fabriqué » une atmosphère propice à l’expression d’une « marocanité » transnationale. Ils correspondent, pour reprendre les propos de Gernot Böhme, à ce « besoin fondamental de « me montrer » et à travers ma présence d’accorder mon environnement de manière atmosphérique (Böhme, 2018, p. 43). Les choix d’objets, de couleurs dans les différents logements des migrants possèdent certaines qualités qui permettent de mettre en scène une forme de marocanité par la perception qu’en ont les individus, qu’ils soient concepteurs/acteurs de cet environnement intérieur, ou simples invités de passage. La mise en résonance de leurs aménagements résidentiels leur ouvre la possibilité de se sentir chez-soi à la fois ici et là-bas. La symbolique de l’immobilier et du mobilier sera donc mise en avant comme support d’une spatialité transnationale de l’intimité familiale. À l’instar des études migratoires qui ont permis de sortir d’une vision de « l’émigré » et de « l’immigré » (Simon, 1981), cet article s’écarte de la vision d’un « ici » et d’un « là-bas » distinct et déconnecté, en mettant en avant une vision transnationale de l’espace intime et du logement.

5La première partie de cet article délimite les contours du cadre conceptuel qui oriente notre démarche. Il présente en particulier une approche de la construction d’un espace transnational comme mise en résonance d’objets distants. Les sections suivantes viendront nourrir notre réflexion à partir d’exemples d’aménagements de l’espace domestique de migrants marocains, en France et au Maroc.

Étudier l’espace domestique transnational

6L’expression d’espace domestique transnational a quelque chose d’oxymorique. L’étude du transnationalisme est avant tout une étude des circulations qui se produisent dans « l’entre-deux » (Gonin, 1997). Les géographes des migrations se sont d’abord intéressés aux circulations de personnes, de biens, d’argent ou d’idées, mais aussi aux infrastructures matérielles qui les permettent : infrastructure de transports, canaux bancaires d’envoi d’argent, circuit de circulation des produits de consommation (Charef, 1999 ; Burrell ; 2008). Ces équipements matériels participent de la construction d’un espace transfrontalier en facilitant les échanges entre pays d’accueil et d’origine. Or le logement est justement ce qui ne fait pas partie de cet entre-deux. Le logement des migrants et le transnationalisme ont longtemps été (et demeurent encore) deux problématiques traitées de façons distinctes. Les chercheurs se sont intéressés à cette question pour aborder l’évolution de la condition des immigrants dans le pays d’installation. Comme le rappelle Marie-Claude Blanc-Chaléard (2006), c’est à un moment où le logement des immigrés connaissait une amélioration notable, avec l’accélération des plans de construction des grands ensembles, que les études sur la question se sont multipliées (Guillon et Taboada Leonetti 1986). Plus récemment, le logement a été une entrée privilégiée pour un certain nombre de chercheurs, notamment sur les conditions de vieillissement dans les foyers (Sonacotra, puis Adoma) qui accueillaient et accueillent toujours les travailleurs migrants (Charbit, 1998 ; Gallou, 2005). Quant aux logements que les émigrés possèdent dans les pays de départ, il est abordé sous l’angle du développement, de l’agentivité, de la réussite ostentatoire. Les rapports des organisations internationales et les travaux de chercheurs présentant les effets de la migration sur le développement des pays de départ incluent invariablement une section sur les investissements immobiliers (Olini, 2004 ; Ratha et al., 2011). Ce n’est que très récemment qu’un pan de la recherche envisage ces formes résidentielles selon une perspective transnationale. Les travaux en anthropologie matérielle et en géographie montrent comment des migrants s’y prennent pour créer un « chez-soi » mobile : ils emportent avec eux des objets du quotidien qui permettent à la fois de reconstituer un espace de pratiques familières et qui renvoient à des lieux et des personnes qu’ils ont quittés (Rabikowska et Burrell, 2016 ; Varrel, 2008). D’autres travaux abordent la façon dont les complémentarités et les continuités entre les différents logements forment « système ». Sur le plan pratique, Anna Perraudin (2020) montre comment la location de la maison dans le pays de départ s’inscrit dans une stratégie de diversification des revenus. Sur le plan symbolique, les différentes résidences tissent un réseau de significations par l’accumulation d’objets. Leur aménagement intérieur est un livre qui relate les différentes strates de la trajectoire migratoire. Ces aménagements construisent une trame narrative à destination des non-migrants. De surcroît, les maisons inscrivent la continuité de la présence des émigrants, même lorsque ces derniers sont physiquement absents (Boccagni et Pérez Murcia, 2020).

7Cet article prolonge ce sillon théorique. Il défend l’idée que les différentes résidences entre lesquelles les migrants partagent leur vie ne sont pas seulement les composantes d’un « système » aux éléments disparates : pris ensemble ils forment un seul et même espace transnational de l’intimité familiale, c’est-à-dire un espace domestique transnational. Pour ce faire, cet article s’appuie sur les apports de l’anthropologie matérielle et de la géographie. Il s’inscrit en cela dans un « tournant matériel » des études migratoires (Wang, 2016). À la suite de Paul Basu et Simon Coleman, nous pensons que la production et la consommation d’objets matériels, les pratiques alimentaires, linguistiques, médicales ou socio-culturelles participent de la production d’un « monde migrant » (Basu et Coleman, 2008). Avant d’expliciter plus en détail ce que l’on entend par espace domestique transnational, il nous faut revenir sur cette notion de transnationalisme.

Les pratiques transnationales comme support de production d’un monde migrant

8Comme nous l’avons vu plus haut, les géographes des migrations ont d’abord appréhendé la production d’espaces transnationaux sous l’angle des circulations transfrontalières. Un pan de l’anthropologie a développé une lecture alternative du transnationalisme, non par le biais de ce qui fait lien dans l’entre-deux, mais sous l’angle de la simultanéité (Marcus, 1995 ; Levitt et Glick Schiller, 2004). Dans cette perspective, le transnationalisme est un processus par lequel les acteurs participent à la vie sociale dans plusieurs espaces à la fois, dans les pays de départ ou d’accueil, voire dans un ou plusieurs pays tiers. Le transnationalisme est un mode de comportement, mais c’est aussi un mode d’être qui résulte de la socialisation multi-située des acteurs. Nous reprenons ici le concept d’humain pluriel (Lahire, 2011). Les migrants, comme tout acteur social, cultivent une multiplicité de répertoires sociaux en fonction de leur genre, deleur socialisation dans les sphères professionnelles, familiales, associatives, etc. Toutefois, leur positionnement simultané sur plusieurs espaces distants exacerbe encore davantage leur condition d’humain pluriel.

9Les pratiques transnationales, comme toute pratique sociale, relèvent d’un agir communicationnel. Nous reprenons ici ce concept d’Habermas qui qualifie toute pratique qui exprime un positionnement sur le monde et sur soi dans le monde (Habermas, 1987). Les pratiques communicationnelles sont des pratiques qui actualisent (en reproduisant ou en contestant) le monde vécu des acteurs, celui-ci étant entendu comme une compréhension partagée du monde. Le monde vécu est un substrat intersubjectif, un corpus de significations à partir duquel les interactions sociales sont possibles. Par extension, nous comprenons l’espace vécu comme la dimension spatiale du monde vécu, à savoir, une compréhension partagée de l’espace.

10La particularité des pratiques transnationales est d’être porteuses de cette pluralité de registres incorporés par ces acteurs que sont les migrants. Leurs pratiques combinent ces registres issus de leurs socialisations dans les différents milieux de vie (Lacroix, 2016). Elles se caractérisent par diverses formes de combinaisons signifiantes (hybridation, juxtaposition) qui renvoient à l’humanité plurielle de ces acteurs ainsi qu’à leur expérience du monde. Envisager le transnationalisme de l’espace domestique c’est donc aborder leur aménagement intérieur comme une pratique transnationale, une forme communicationnelle de la condition multi-située et de l’identité plurielle de ses habitants.

L’espace domestique transnational

11La symbolique de l’immobilier est travaillée par les travaux de géographie matérielle. Dans l’article où il défend l’idée d’une « géographie de l’intérieur », Jean-François Staszak (2001) débute ses propos par une publicité montrant l’intérieur d’un séjour. Pour lui, « cette pièce reflète une société. Inversement, elle détermine un type de vie sociale et familiale. (…). Comme tout type d’espace géographique, ce séjour est à la fois produit par la société et participe à la production de celle-ci. » (p.340). Qu’en est-il lorsque l’habitant d’un foyer est inséré dans un espace transnational ? Très récemment, les géographes des migrations mettent en avant les traces et pratiques spatiales qui permettent aux migrants de s’approprier un espace de vie, que ce soit à l’échelle d’une rue (Berthomière, 2012), ou d’un centre d’accueil (Przybyl, 2018). Ces travaux montrent comment ces aménagements matériels tissent un espace vécu collectif et font communauté. Nous prolongeons ce champ d’étude pour aborder ce qui se passe à l’intérieur des logements des migrants.

12La notion d’espace domestique est généralement utilisée comme synonyme d’espace à l’intérieur du logement. Il est l’espace des pratiques, émotions ou projections des individus qui y vivent (Collignon, Staszak, 2003). On peut donc y associer des mémoires individuelles ou collectives et investir cet espace afin de s’y sentir « chez-soi ». Ainsi, au-delà des murs du logement, l’espace domestique doit être vu comme « un espace contenu où la projection de l’être, en chair, construit un monde où sa sécurité ontologique est maximum » (Hoyaux, 2003, p.33). C’est un espace de sécurité et de liberté, domesticable et domestiqué, où peut s’exprimer l’autonomie des individus sans pression d’une structure hiérarchique extérieure (Gilbert, 2016). C’est un espace qui n’est pourtant pas exempt d’influence extérieure puisqu’il est aussi lieu de réception de membres de la famille, du voisinage, d’amis, de professionnels, de collègues de travail, etc. Il reste déterminé par l’insertion de ces mêmes individus dans une structure sociale, de rapports de classes, interethniques ou de genre. L’espace domestique est donc un espace ambivalent, un lieu privé où s’organisent les relations avec le public, un lieu d’autonomie et d’insertion dans un (ou des) collectif. Ce que nous voulons défendre ici est que l’espace domestique ne se confond pas avec le logement. Il peut s’entendre, en contexte de multi-résidence, comme l’espace où les individus peuvent construire et jouir de ce sentiment de sécurité ontologique apporté par le « chez-soi ». Il peut donc tout à fait être un espace multi-situé et transnational.

  • 2 Nous tenons à souligner qu’aucune de ces trois dimensions n’est propres à l’espace domestique des m (...)

13L’espace domestique des migrants est un espace transnational à trois égards2. Il l’est d’abord puisque c’est un espace multi-situé qui inclut deux (parfois plus) résidences sur plusieurs pays. Il l’est ensuite dans la mesure où son atmosphère exprime cette pluralité des registres identitaires et expériences migratoires dont il a été question ci-dessus. Il l’est enfin parce qu’il est le support de constitution d’un espace vécu transnational familial. Il est un vecteur d’expression d’une compréhension de l’espace qui fonde une sensation d’être « chez-soi » pour ses habitants, mais aussi une compréhension pour les visiteurs du logement qui permet de resituer celui-ci et ses occupants dans leur positionnement transnational. En tant qu’« univers familier » (Bernard, 1993), la notion du « chez-soi » intègre une dimension psycho-sociale du lieu où l’individu se sent chez lui et qui relève de l’intimité (Serfaty-Garzon, 2003), ce qui en fait un point d’articulation entre l’habiter et l’identité, entre la perception du monde et de soi dans le monde. L’espace domestique transnational est une façon de répondre à : qu’est-ce qu’être chez soi quand on habite plusieurs maisons dans plusieurs pays à la fois ? Pour résumer, on peut donc distinguer trois dimensions du transnationalisme domestique : dans sa spatialité transfrontalière, dans la pluralité des identifications qu’il exprime et dans la perception intersubjective de ses occupants.

14Nous allons nous efforcer de les saisir à travers la dimension sensorielle de l’aménagement intérieur, c’est-à-dire de leur ambiance (Charras et Cérèse, 2017). Ce concept a contribué à repositionner la problématique du corps et la sensorialité dans le champ des études sociales (Thibaud, 2012). L’ambiance d’un lieu est un rapport entre des dispositions physiques et sociales d’un individu et les caractéristiques matérielles des objets qui l’environnent. L’aménagement domestique est destiné à produire une ambiance de familiarité, un environnement qui permet à l’individu de se connecter avec les membres et l’histoire de la cellule familiale, et au-delà, avec les groupes d’appartenance (classe, groupe culturel, ou religieux, etc.). L’aménagement intérieur cristallise l’expérience sociale et spatiale des résidents. Il est chargé de significations et d’une charge affective qui se sont sédimentées au fil de leur trajectoire de vie, ce qui nous a conduit à mener des entretiens de type biographique avec l’ensemble des enquêtés rencontrés.

15L’analyse des ambiances permet donc d’aborder la coexistence de plusieurs registres culturels au sein des logements de migrants. Mais elle permet également d’aborder une autre dimension du transnationalisme domestique, à savoir son caractère multi-situé. La théorie de l’extatisme des objets de Gernot Böhme est ici utile pour le comprendre. Pour cet auteur, la perception d’un objet s’intègre dans un réseau de relations qu’il entretient avec les objets qui l’entourent (Böhme 2018). L’auteur parle « d’extase des choses » : leur présence déborde d’elle-même pour imprégner (et être imprégnée) des choses qui l’entourent. Cette théorie de l’extatisme des objets a été forgée pour comprendre l’atmosphère dans un lieu circonscrit. Nous réinterprétons cette théorie afin de réinscrire la production du chez-soi migrant dans une spatialité transnationale. Notre thèse renvoie à une compréhension leibnizienne de l’espace, une émanation d’objets proches ou distants mis en résonance. Pour le comprendre, il faut centrer notre attention sur ces objets du quotidien qui meublent l’espace domestique : le mobilier, la décoration, les ustensiles… Leur mise en scène et leur répartition entre les logements du migrant ne sont pas le fruit du hasard. Elles permettent aux objets de se répondre entre eux pour produire cette atmosphère d’intimité à l’intérieur du logement, mais également de répondre aux objets présents dans l’autre logement des migrants pour produire cet espace domestique transnational. Il en résulte cette mise en résonance qui construit un espace cohérent où il est possible de se sentir chez soi en dépit de la distance et les frontières. Cette étude des ambiances nous permet de saisir dans un même mouvement la dimension multi-située de cet espace domestique et sa dimension intersubjective, à savoir le support d’un espace vécu transfrontalier. Nous formulons donc l’hypothèse que les migrants parviennent à forger un « chez-soi » transnational en jouant sur un extatisme discontinu, mettant en lien des objets présents dans les différents logements des migrants. C’est dans cette constellation d’objets que se construit une atmosphère qui conditionne la perception subjective de l’espace domestique, mais aussi, on le verra, de ses liens avec les autres membres de la famille transnationale.

Traces de la « marocanité » dans l’espace de l’intime en France

  • 3 Les noms ont été anonymisés.

16« L’impression d’être chez-soi », c’est le discours qu’a tenu Youssef3, retraité marocain résidant en France dont nous proposons dans cet article de suivre principalement le parcours à travers ses différents logements, en France et au Maroc. À partir de ce cas, l’idée n’est pas d’être représentatif de l’ensemble des espaces domestiques des retraités migrants marocains, mais de donner une illustration des tendances qui ont été visibles à partir des différents entretiens menés au domicile de nos enquêtés, en France et au Maroc. Le discours de Youssef et son épouse, ainsi que ceux d’autres enquêtés, vont dans le sens d’un voyage des normes et des identifications dans la mise en place d’un espace du « chez-soi » transnational.

17Youssef, né dans le sud du Maroc en 1952, est venu en France en 1971 grâce à un contrat de travail avec une usine située dans les Hauts-de-Seine et qui recrutait directement au Maroc. En 1996, Youssef et sa femme ont effectué leur premier achat en France en achetant un pavillon à Gennevilliers (95). Devenus tous les deux assistants familiaux pour l’aide sociale à l’enfance, c’est dans ce logement qu’ils ont travaillé, élevé leurs enfants ainsi que ceux qui leur étaient confiés. Aujourd’hui retraités, ils y vivent toujours, entre six à huit mois par an, le reste de l’année – l’hiver essentiellement – ils le passent au Maroc. Très attaché à cette maison, Youssef explique qu’elle symbolise leur attachement à la France et leur réussite sociale :

On aime cette maison parce que c’est celle qu’on a choisie, qu’on a achetée et ça c’est grâce à la France, au travail que j’ai eu ici. C’est pas la plus jolie du quartier peut-être, mais c’est la nôtre et c’est parce qu’on a réussi qu’on l’a. (Youssef, entretien en France, mai 2019)

  • 4 Nous pouvons définir le salon marocain moderne en ces termes : « Le salon marocain est principaleme (...)

18Lors de cet entretien en France, Youssef nous a reçu dans leur pavillon de Gennevilliers. Alors qu’Amina s’affairait en cuisine, nous avons débuté l’entretien dans le salon, première pièce visible depuis l’entrée. Le salon est organisé à la marocaine4 : des banquettes longeant les murs, agrémentées de coussins larges adossés aux murs, avec une grande table basse au centre de la pièce. Quelques peintures sur toile provenant du Maroc sont accrochées aux murs et représentent des paysages du désert marocain ou des portes en bois traditionnelles du Maroc. Durant l’entretien, Amina s’est jointe à nous en nous servant un thé vert à la menthe, dans un service marocain, accompagné de gâteaux qu’elle a cuisinés, marques de son hospitalité « comme au Maroc », permettant de dévier la discussion sur cette ambiance marocaine présente dans cette maison :

— Enquêteur : Avec le thé à la menthe, dans votre salon, on se croirait presqu’au Maroc.
— Amina : Oui, c’est vrai ! Le service à thé vient de Tiznit (Maroc) en plus, je l’avais acheté au souk. Mais c’est toujours comme ça quand on reçoit tu sais, on sert le thé, les gâteaux, et c’est comme au Maroc, voilà.
— Youssef : Oui, et puis en plus on est dans le salon marocain, c’est génial, c’est vraiment comme là-bas ! (Amina et Youssef, entretien en France, mai 2019)

19Le logis de Youssef et Yamina est l’expression d’une vie en migration. Le salon fonctionne comme une « vitrine identitaire » (Pinel, 2020) en faisant un rappel du pays d’origine dans l’espace du quotidien. S’y côtoient des objets témoins de leur trajectoire migratoire, sociale et professionnelle. L’aménagement permet la répétition d’une gestuelle et de posture corporelle apprises dans le pays de départ : les gestes de l’hospitalité « à la marocaine », tels ces mouvements amples qui permettent de verser le thé en le faisant mousser dans les petits verres, sont reproduits dans un salon qui rappelle le pays d’origine. Les objets présents dans ce salon renvoient à un ailleurs : le Maroc (avec des toiles accrochées représentant des paysages marocains, ou des formes d’architecture particulières du pays, comme un agadir – grenier fortifié typique de la région du Souss-Massa), la région de départ (le service à thé de Tiznit), la maison acquise au pays (on va le voir ci-après). Ce principe « d’extase des choses » (Böhme, 2018) que nous évoquions en première partie se déploie dans sa dimension transfrontalière, et fait surgir dans le présent du logis un ailleurs où s’insère un espace domestique multi‑situé.

20Youssef explique que l’ensemble du mobilier présent dans cette pièce a été commandé à Tiznit et fait livrer directement dans leur maison de Gennevilliers. Pratique courante chez les retraités marocains rencontrés, la livraison de mobilier du Maroc vers la France a été décrite par plusieurs enquêtés comme un moyen de retrouver le mobilier typique de leur région d’origine, tout un savoir-faire artisanal local, dans le pays d’installation. Hamid, retraité de 68 ans qui alterne également entre son logement en France – un appartement en Seine-Saint-Denis – et celui au Maroc (une maison à Tiznit), nous explique les aspects pratiques de ces commandes :

Moi j’ai fait tout livrer du Maroc chez moi. Quand on a acheté tout avec ma femme, j’ai préféré tout prendre à Tiznit, parce que je connais les mecs qui font ça, c’est du bon travail, du bon bois, ça va durer longtemps. Donc on va chez eux, on sélectionne les meubles qu’on veut, ils font sur mesure aussi, et hop ils te livrent tout ça en France, et pour pas cher en plus. C’est beaucoup moins cher qu’en France pour la qualité que c’est. En France, je ne trouve pas de canapés marocains à ce prix, surtout sur mesure ! (Hamid, entretien au Maroc, mars 2018)

  • 5 L’expression est utilisée par Isam Idris (2010) pour évoquer l’investissement dans les deux pays, n (...)

21L’aspect économique et la qualité des meubles sont souvent revenus en entretien, tout comme l’aspect pratique d’une livraison évitant un déménagement long et fastidieux depuis le Maroc. Cet investissement fort en France sur les questions du mobilier, voire de la décoration intérieure, interroge aussi quant au positionnement adopté par ces migrants de « l’entre-deux ». La migration, pensée comme provisoire implique un investissement qui devait être fait essentiellement au pays d’origine avec en ligne d’horizon « le retour » comme « mythe » (Sayad 1999). L’investissement important en France traduit-il alors une volonté de « non-retour » (Daum, 2007) ? Le discours de Youssef lorsqu’il évoque son salon semble plutôt correspondre à une « double présence » 5(Idris, 2010) :

Moi je me sens bien ici. Tout comme je me sens bien à Tiznit. C’est pour ça qu’on a acheté cette maison et c’est pour ça qu’on a décoré tout, comme ça, qu’on a fait venir les meubles du Maroc. On se sent chez nous ici comme ça. Dans mon salon, c’est vrai que je suis un peu au Maroc, ça me rappelle que je suis Marocain [rires] (Youssef, entretien en France, mai 2019)

22La charge symbolique dont sont porteurs ces objets imprègne l’atmosphère du domicile. Celle-ci se construit en partie à travers ces objets venus du Maroc, dont la tonalité et la perception subjective qu’en a le couple conditionnent le sentiment de « chez-soi » qui caractérise l’espace vécu du domicile. En mettant en lien des objets venus de leur pays d’origine avec ceux du pays d’accueil ils créent un sens partagé de l’espace domestique, un sens lisible par les membres de la famille (qui par exemple, connaissent la provenance de tel plat ou de tel meuble) dans ses nuances les plus fines, mais également par le visiteur qui en perçoit la multipolarité identitaire.

23À la suite de notre entretien, une visite de la maison, commentée par le couple, est organisée et permet de se rendre compte de la division des espaces.

Illustration 1. Schéma de la maison française de Youssef et Amina (Rez‑de‑chaussée). Gennevilliers (Hauts‑de‑Seine), 2019

Illustration 1. Schéma de la maison française de Youssef et Amina (Rez‑de‑chaussée). Gennevilliers (Hauts‑de‑Seine), 2019

Source : Pinel, 2022.

24Le rez-de-chaussée est divisé entre le salon dans lequel l’entretien s’est déroulé, donnant sur l’entrée, une cuisine et une salle à manger, un bureau et un deuxième salon. On lit à travers la répartition des pièces, une division genrée de l’espace domestique. Mais c’est cette dernière pièce qui nous a interpellés, car elle était entièrement différente du premier salon. Dans cette pièce, l’atmosphère marocaine du premier salon est absente. Nous n’y trouvons aucune banquette ou objets artisanaux, souvenirs, ramenés du pays. À la place, le salon est organisé autour d’un canapé et de deux grands fauteuils en cuir orientés face à la télévision. Des étagères sont accrochées au mur sur lesquelles sont rangés des livres – en langue française – ainsi que quelques photographies dans des cadres. Une tablette est posée sur la table basse, à côté de quelques papiers. Un plaid est posé sur le canapé. Au mur, outre quelques photographies de membres de la famille, est accroché un cadre représentant le couple entouré d’une dizaine d’enfants. Amina, explique qu’il s’agit d’une partie des enfants qu’elle a gardés en tant qu’assistante familiale et qui sont venus pour l’un de ses anniversaires avec leurs parents. Enfin, une autre photo représente une vue aérienne de leur maison, permettant de voir son positionnement dans le quartier. Ce second salon, ne donnant pas sur l’entrée, à l’inverse du salon marocain, correspond plus à un espace familial intime, ce que confirme Amina :

— Amina : Ici c’est un salon où on est souvent le soir, Youssef et moi, ou les enfants et les petits-enfants quand ils sont là. En fait c’est un peu notre espace privé tu vois.
— Enquêteur : Ce qui est moins le cas pour l’autre ?
— Amina : Oui, l’autre il est à l’entrée, comme ça c’est là qu’on reçoit les visiteurs. Un peu comme au Maroc tu vois. On peut y être aussi en famille bien sûr, surtout si on est nombreux, parce que c’est la pièce centrale. Je dirais même qu’on y est souvent. Mais voilà, ce petit salon, c’est notre petit coin à nous, où on regarde la télé notamment. (Amina, entretien en France, mai 2019)

25Ce petit salon, aménagé avec des canapés qu’on trouve rarement dans les maisons marocaines, mais qui symbolisent plutôt une image du salon « occidental », est un espace de l’intime pour ces deux retraités. Dans ce « chez-soi » qu’ils nous ont fait visiter, nous sommes donc en présence de deux espaces différents pour deux ambiances différentes : l’espace de l’intime, familial où les traces de la marocanité ne sont pas ou peu présentes et l’espace « central », où se mélange la présence familiale et celle extérieure des visiteurs, où la marocanité est visible, voire revendiquée. Deux espaces qui font le parallèle avec « l’identité plurielle » (Lahire, 2011) de ces personnes. Si la maison, comme tout espace domestique, porte les traces des identités de genre, professionnelles, voire confessionnelles de ses habitants, elle a ceci de spécifique qu’elle met en avant leur identité forgée par la migration et où les attachements à l’espace d’origine et celui d’installation sont visibles. La façon de penser l’intérieur, le « chez-soi », l’intime, se fait finalement en miroir de la construction identitaire du couple entre une identité personnelle et une identité sociale (Lipianski, 1990).

26Cette « double présence » dans les deux pays va même plus loin. Dans le petit salon d’Amina et Youssef, la télévision – allumée lors de notre visite – capte l’ensemble des chaînes françaises de la TNT. Mais elle capte également les deux principales chaînes marocaines – 2M et Al Aoula – par l’installation d’un décodeur particulier. Ces deux chaînes sont regardées régulièrement par le couple, notamment pour les journaux d’information quotidienne. Là où il n’y avait pas de présence visible de leur marocanité, nous retrouvons finalement un peu de cet « entre-deux ». Nous voyons que même à travers la télévision, l’aménagement domestique est destiné à produire une ambiance de familiarité, qui lie les enquêtés au groupe d’appartenance. C’est en tout cas ainsi que nous pouvons comprendre l’atmosphère dans cet espace domestique. De nombreux migrants, à l’instar du couple Amina-Youssef, ont réussi à forger un « chez-soi » transnational en répartissant des objets « d’ici » et de « là-bas » qui ont un sens pour eux. Cet espace transnational de l’intimité, témoin de l’entre-deux dans lequel vivent les enquêtés rencontrés, tisse ses mailles au-delà de la région d’installation, vers l’espace d’origine qui à son tour prend la marque de l’émigration. Et c’est notamment à partir de la retraite que cet espace marocain prend de l’importance, avec des retours plus réguliers.

L’espace marocain : entre marques de l’émigration et importance de la famille

27À partir de leur départ à la retraite – à deux ans d’intervalle – Youssef et Amina ont décidé de venir plus souvent, mais surtout plus longtemps au Maroc, sans toutefois s’y réinstaller définitivement. À l’instar de nombreux retraités français qui vivent dans deux logements après la vie active (Imbert et al., 2014), ils ont donc adopté une mobilité régulière entre leurs deux résidences à Gennevilliers et Tiznit, ville d’enfance du couple. Tous les ans, ils passent environ six mois au Maroc, entre octobre et décembre, puis ils passent les fêtes de fin d’année en France avec leurs enfants et petits-enfants, pour ensuite revenir au Maroc entre janvier et avril. Ce schéma résidentiel correspond à la figure des « hivernants » français et européens qui passent les mois les plus froids dans un pays du sud (Le Bigot, 2017 ; Pinel, 2021). Comme beaucoup de retraités émigrés marocains qui choisissent le retour ou les va-et-vient réguliers, ils recréent un « chez-soi » dans le pays d’origine. Ainsi, comme pour les logements français, nous avons rencontré plusieurs retraités marocains à leur domicile entre 2018 et 2019, permettant l’analyse de l’intérieur du ou des logements marocains.

28Lors de ces entretiens, c’est sans surprise que l’enquêteur a été reçu dans les salons marocains. Ils se ressemblaient et étaient tous assez « classiques », notamment dans leur simplicité : des banquettes adossées aux murs avec des coussins pour permettre un meilleur adossement, une table basse est disponible et mobile afin de pouvoir la ramener au plus près des convives en cas de repas et aucune décoration n’est visible sur les murs.

Illustration 2. Salon d’un retraité marocain, environs de Tiznit

Illustration 2. Salon d’un retraité marocain, environs de Tiznit

Source : Pinel, 2019

29Ainsi, ce sont ces salons marocains qui dominent dans l’ensemble des domiciles marocains visités. Cependant, chez trois enquêtés, nous trouvons la présence d’autres types de salons, qui pourraient être qualifiés de plus « occidentalisés » : canapés en cuirs ou en tissus indépendants, souvent dédoublés, avec parfois la présence de fauteuils. C’est le cas de Youssef et Amina puisqu’ils ont fait installer au Maroc les deux types de salon à l’instar de leur maison en France. Les deux salons sont dans une seule grande pièce, séparés par un muret.

Illustration 3. Le « second salon » de la maison marocaine de Youssef et Amina, Sidi Boufdail (Province de Tiznit)

Illustration 3. Le « second salon » de la maison marocaine de Youssef et Amina, Sidi Boufdail (Province de Tiznit)

Légende : le schéma du rez-de-chaussée montre le rapport entre les deux salons.

Source : la photographie : Pinel, 2018. Le schéma : Pinel, 2022.

30Comme pour la maison de Gennevilliers, nous observons donc un dédoublement du salon, avec deux pièces – qui en réalité ici n’en forment qu’une seule – aux fonctions sociales différentes. Le second salon, composé de fauteuils en cuir, détonne particulièrement dans l’ensemble des domiciles visités. C’est dans cet espace que le couple se retrouve, passe ses soirées, remettant en avant l’aspect intime de ce salon, à l’inverse du salon marocain où les invités sont reçus, comme au moment de l’entretien. Dans cet espace, Youssef et Amina ont su créer une ambiance de familiarité qui fait écho à leur vie, leur parcours, leur famille, leur transnationalité. C’est dans ce salon qu’est présente la télévision, élément important dans cette double culture franco-marocaine du couple. En effet, lorsque nous sommes entrés dans leur logement, c’est une chaîne française qui était diffusée. Youssef explique que c’est ce qu’il regarde en France, alors c’est ce qu’il continue de regarder au Maroc. La télévision française était aussi captée chez Samia, autre retraitée interrogée et vivant au sein d’une résidence fermée, tout comme chez Fatima et Rachid, habitant le centre de Tiznit. Par ailleurs, ces deux derniers ménages n’ont pas de salon marocain à leur domicile, mais des fauteuils ou canapés en cuir, sur modèle occidental.

Illustration 4. Le séjour de Samia, Dyar Shemsi

Illustration 4. Le séjour de Samia, Dyar Shemsi

Source : Pinel, 2018

31Ce mobilier symbolise souvent leur nouvelle appartenance à la classe moyenne marocaine après une trajectoire sociale ascendante où les opportunités professionnelles et migratoires qui ont forgé leurs parcours ont permis de se réinstaller au Maroc en tant qu’individus transclasses (Jaquet, 2014). Tous ont en commun d’être hivernants et d’alterner entre leur logement marocain et le logement français. L’enquête met donc en évidence le parallélisme des formes d’aménagement entre les maisons françaises et marocaines. Ce parallélisme témoigne de la volonté de construire un espace domestique transnational par la mise en résonance extatique des objets. Ils apparaissent aussi comme des formes de transferts culturels pour ces retraités ayant vécu entre deux pays Cette observation fait écho aux travaux de Louis César Ndione (2015) sur les migrants sénégalais. Ils montrent des transferts culturels importants pour les émigrés ayant vécu de longues années dans le pays d’accueil, notamment dans les pratiques de consommation qui s’éloignent de la culture d’origine, ou même des loisirs et services qui « s’occidentalisent » peu à peu. Par ailleurs, dans ces travaux, les femmes sont jugées centrales dans ces formes de transferts culturels (Quiminal, 2000). Dans les différents ménages que nous avons rencontrés, elles ont également ce rôle central et souvent « moteur » dans les transferts d’identification. Ce sont notamment elles qui impulsent les choix de décoration et d’ameublement. Amina explique par exemple que c’est elle qui a choisi les meubles du salon, ou, en passant par la cuisine, elle évoque comment elle a fait disposer la cuisine pour une meilleure répartition de l’espace.

32Cette continuité entre la France et le Maroc se constate également dans tous les éléments personnels, familiaux, emmenés de France au Maroc et dispersés dans la maison : les photographies familiales – notamment des enfants et petits-enfants – qui trônent sur les meubles du salon ou sont accrochés au mur, mais aussi les objets de France et souvenirs qui témoignent des nombreux voyages qui ont pu être effectués. C’est le cas de Mehdi qui a effectué plusieurs voyages à l’étranger depuis sa retraite, comme il l’explique en montrant quelques souvenirs déposés sur un meuble de son salon :

Avant la retraite, je n’avais jamais voyagé moi. Seulement en Espagne, mais en passant pour aller au Maroc. Ah si, aux Pays-Bas aussi, parce que ma sœur vit là-bas. Sinon, c’était travail, travail, travail en France, et de temps en temps, tous les deux, trois ans le Maroc. Par contre depuis la retraite, j’ai voyagé. Regarde, ça [il montre une petite sculpture] ça vient de Chine où j’ai été avec un ami, ça [petite Tour de Pise] ça vient d’Italie. Et bien sûr j’ai pu aller à La Mecque aussi, avec ma femme. (Mehdi, 71 ans, en couple, ancien épicier)

33Fatima de son côté a surtout mis en avant les photos des évènements familiaux sur les murs du salon, qui bien que ne comportant aucune banquette marocaine, sert de lieu d’accueil dans la maison. Les photographies sont donc exposées aux yeux de tous, par marque de fierté d’une vie familiale jugée accomplie :

Oui, j’ai mis plein de photos ici, parce que je suis fière de mes enfants, de mes petits-enfants. Ils sont beaux et ils réussissent. Là, au-dessus de la télé, c’est le mariage de ma fille, là-bas c’est mon fils, là mes petits-enfants avec moi. Comme ça je les vois tous les jours, même en étant au Maroc. (Fatima, 68 ans, en couple, ancienne ouvrière non qualifiée).

34La littérature sur les femmes en migration a souvent montré un désir plus fort de non-retour dans le pays d’origine (El Hariri, 2003). Ainsi, différents travaux sur les femmes âgées immigrées en France (Ait Ben Lmadani, 2012 ; El Hariri, 2003) ont souligné le rôle important de ces femmes dans la décision d’un retour ou non au pays d’origine, ainsi que leur rôle dans les processus d’insertion sociale en France. Lors de cette enquête – et malgré le fait que peu de femmes (4) aient accepté d’effectuer un entretien – nous avons pu percevoir des évolutions dans les partitions genrées de l’espace domestique, notamment au Maroc. La cuisine en particulier est la pièce où la partition genrée de l’espace est traditionnellement la plus visible au Maroc : pas ou peu accessible aux personnes extérieures au foyer, pièce plutôt féminine, elle est souvent fermée et isolée des autres pièces de vie, utile également pour isoler les odeurs de cuisine. Pourtant, chez Samia, ou chez Amina et Youssef, la cuisine est ouverte sur les salons (ill. 3). Et alors que dans leur logement en France, c’est Amina qui préparait le thé, dans celui au Maroc, c’est Youssef qui était en cuisine, participant tout autant à l’entretien depuis la cuisine. En effet, l’ouverture de la cuisine sur le salon évite de couper les espaces de discussion entre le salon et la cuisine. Youssef explique qu’en faisant construire cette maison, la cuisine ouverte était une envie du couple afin de reproduire le schéma vu, testé et apprécié en France (ill. 1). Cette nouvelle forme de cuisine, qui détonne dans les conceptions architecturales locales, permet ainsi la reproduction d’une convivialité « à la française » pour ces émigrés marocains, et la création d’un sentiment intersubjectif d’être « chez-soi » au sein du foyer marocain.

35Ce sentiment de « chez-soi », visible dans les salons et leurs décorations ou dans les cuisines, l’est aussi à travers les chambres et notamment les « chambres d’amis ». Ces dernières n’en sont en réalité pas vraiment et correspondent plutôt aux chambres des enfants et petits-enfants vivant en France et qui s’en servent pendant leurs séjours au Maroc. La disposition et la décoration de ces chambres, mais aussi les attentions qui y sont portées par les retraités, montrent la volonté de mettre à disposition des proches un endroit accueillant afin d’inciter la venue de la famille au Maroc, ou « faire famille » au sein du même foyer pour les quelques retraités ayant leurs proches au Maroc. Amina et Youssef vont même plus loin que le simple fait de prévoir une chambre, puisque leurs enfants ont laissé certaines de leurs affaires dans les chambres qu’ils occupent habituellement, évitant ainsi de trop charger leurs valises lors pour leurs vacances au Maroc. C’est la même chose pour Rachid et Fatima. Cette dernière, durant la visite des chambres d’amis, explique :

Tu vois, cette chambre est pour les petits-enfants. On a mis un lit superposé et un autre lit pour qu’ils dorment à plusieurs dans la chambre. Et puis, si tu ouvres le placard (elle ouvre le placard principal de la chambre), surprise, tu trouves tous leurs jouets ! Le ballon de foot bien sûr et un skate car Mehdi n’arrête pas d’en faire et ses parents ne peuvent pas le trimbaler avec eux dans l’avion tu penses. Alors ça reste chez papy et mamie. Et puis il y a un peu de vêtements aussi, qu’ils ont en double comme ça ici. (Fatima, 68 ans, Franco-Marocaine, hivernante, en couple, ancienne ouvrière non qualifiée).

36Les enfants et petits-enfants ne sont donc pas écartés de la maison au Maroc, mais au contraire ils sont intégrés dans la manière dont l’espace est géré. La chambre « d’amis », attribuée le plus souvent aux enfants marque symboliquement la présence de la famille dans l’espace domestique et acquiert même une place centrale dans son aménagement. Ces chambres, mais aussi les photographies affichées dans le séjour, les affaires personnelles des enfants et petits-enfants sont les signes de leur présence dans l’espace domestique. Ils inscrivent l’espace domestique dans un système résidentiel plus large, celui de la famille transnationale incluant également les descendants. Le logement matérialise dans son aménagement la trame transnationale de la famille dispersée : à défaut de pouvoir être à proximité spatiale des enfants, l’enquêtée trouve un moyen de produire dans le logement une proximité symbolique. Les objets leur appartenant, au même titre que les outils technologiques actuels ou plus anciens (notamment le téléphone portable, via WhatsApp en particulier) construisent une cospatialité imaginée (Hoyaux, 2015). Jusqu’à présent, notre analyse de l’aménagement intérieur avait mis en évidence un transnationalisme bi-résidentiel. La prise en compte des chambres et de la décoration associée aux enfants montre une ouverture de l’espace domestique en l’articulant avec un transnationalisme plus large, celui de la famille multi‑située.

Conclusion

37Analyser l’espace domestique des migrants marocains ouvre sur une compréhension plus fine de la façon dont les migrants s’inscrivent, dans leurs pratiques quotidiennes, dans un espace transnational. Ce travail a pu mettre en évidence les trois niveaux de ce transnationalisme domestique. L’observation conjointe des différents logements de ces retraités en France et au Maroc permet, d’abord, d’entrevoir la complexité des identifications auxquelles ils se réfèrent et renvoient à leur condition d’hommes et de femmes « pluriels » (Lahire, 2011) qui ont vécu et vivent encore aujourd’hui entre deux pays. Elle permet, ensuite, de voir cet espace comme un seul et même ensemble, et non pas simplement comme deux résidences distinctes et liées par une pratique bi-résidentielle. Enfin, elle permet de mettre en évidence la construction intersubjective d’un monde migrant par-delà les ruptures spatiales et identitaires. Nos observations démentent l’idée que les migrants surinvestissent la maison acquise dans le pays de départ au détriment du logement dans le pays d’accueil. Elles remettent en question la rupture entre le prolétaire immigré et le notable émigré mis en avant dans la littérature aussi bien académique que romanesque. Bien au contraire, notre recherche met en avant la volonté des migrants de construire une continuité entre leurs espaces de vie. Le logement leur permet de lisser les discontinuités objectives, à la fois légales, culturelles, spatiales, sociales et politiques, qui fracturent leur quotidien transfrontalier. Cette mise en continuité est produite sur la base de transferts d’identification, qui peuvent parfois apparaître comme anecdotiques ou symboliques, mais qui imprègnent la matérialité de leur quotidien. La mise en résonance des objets, des ameublements ou des éléments architecturaux permet à ces retraités de se sentir « chez-soi » à la fois « ici » et « là-bas » et l’émergence d’une intimité familiale aux accents pluriels. Car cette mise en continuité ne se fait pas sur la base d’un rejet d’un pan ou d’un autre de l’expérience migratoire, mais par une combinaison d’éléments pratiques, symboliques et esthétiques. Ces différents emprunts ne renvoient pas uniquement à leur trajectoire migratoire, mais aussi à une trajectoire sociale, en juxtaposant des références à différents milieux sociaux. Les personnes interviewées ne sont pas seulement des retraités transfrontaliers, mais également des retraités transclasses qui appartenaient à un milieu ouvrier au moment de leur départ et adoptent aujourd’hui les codes immobiliers de la classe moyenne.

38Par ailleurs, nos résultats mettent en lien la théorie de fabrication des ambiances (Böhme, 2018) avec celle des hommes et femmes « pluriels » (Lahire, 2011). L’espace domestique français est investi par des objets, mais aussi par des couleurs, ou des dispositions particulières, qui permettent de mettre en scène une marocanité par la perception qu’en ont les individus. Inversement, l’espace domestique marocain est investi par les expériences migratoires et donc par des objets ou dispositions qui rappellent la France (cuisine équipée ouverte, canapés en cuir). Voir cette disposition de l’espace intime à l’aune de la théorie de fabrication des ambiances, c’est montrer que l’ambiance crée des ressentis d’appartenance et donc des projections individuelles en lien avec la subjectivité d’hommes et de femmes « pluriels ». Certains aménagements domestiques amènent les retraités à se positionner par rapport à leur double appartenance en faisant des liens sensoriels entre la quotidienneté et des référents culturels hétéroclites. Et nous sommes sensibles, en tant que visiteurs, à cette création d’ambiance où nous projetons nos propres références, imaginaires et expériences. Cette dimension réflexive a été mise de côté, faute de place dans cet article, mais mériterait une exploration plus poussée. De même, l’accent a été mis sur le sens identitaire donné à ces aménagements intérieurs et leur mise en résonance transnationale, mais on pourrait aussi s’interroger sur la façon dont les objets et leurs caractéristiques imprègnent et façonnent l’identité des occupants : le rapport objet/atmosphère/identité apparaîtrait dès lors comme un rapport dialectique.

39Enfin, l’espace résidentiel de ces migrants n’est pas seulement celui du couple, puisqu’il inclut souvent les enfants dans leur espace vécu. En soi, ce système résidentiel inscrit, dans sa matérialité, l’unité d’une famille transnationale. Il conviendrait d’étendre cette étude par une observation des logements des descendants et voir la façon dont eux-mêmes investissent ces différents espaces résidentiels. Font-ils de la maison des parents au Maroc une maison de vacances ? Ont-ils eux-mêmes aménagé dans leur logement – français ou marocain – un espace pour recevoir leurs parents ? Ont-ils adopté des éléments décoratifs et objets qui font écho avec ce que l’on retrouve dans les logements parentaux ? Une telle analyse permettrait dès lors d’observer la construction d’un espace familial transnational fait de ruptures et de continuités, de répétitions et d’innovations. Un tel système familial agrège les expériences de vie de chacun de ses membres pour en exprimer la pluralité identitaire.

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Notes

1 Six autres enquêtés ont été rencontrés, mais pas à leur domicile. Sur les 14 personnes rencontrées à domicile, quatre seulement sont des femmes. Concernant le profil socio-économique, la majorité des enquêtés étaient ouvriers (6), artisans ou commerçants (4) – principalement épiciers – et employés (2). Deux autres enquêtés étaient cadres ou appartenant à une profession intermédiaire. Tous sont en couple.

2 Nous tenons à souligner qu’aucune de ces trois dimensions n’est propres à l’espace domestique des migrants et se rencontrent dans les logements polytopiques analysés par Mathis Stock (2006), mais elles prennent une saillance particulière du fait même de la socialisation des migrants dans des lieux séparés par des frontières nationales et culturelles.

3 Les noms ont été anonymisés.

4 Nous pouvons définir le salon marocain moderne en ces termes : « Le salon marocain est principalement constitué d’une banquette de facture marocaine disposée le long des murs de la pièce, le plus souvent face-à-face, parfois incluant un troisième pan de mur en forme de U. L’espace restant est occupé par un meuble contenant un téléviseur, des objets religieux, des photographies diverses (notamment des parents ou d’autres membres de la famille restés dans le pays d’origine), etc. » (Lacroix, 2018, p. 36).

5 L’expression est utilisée par Isam Idris (2010) pour évoquer l’investissement dans les deux pays, notamment par les allers-retours et fait référence à la « double absence » d’Abdelmalek Sayad (1999).

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Table des illustrations

Titre Illustration 1. Schéma de la maison française de Youssef et Amina (Rez‑de‑chaussée). Gennevilliers (Hauts‑de‑Seine), 2019
Crédits Source : Pinel, 2022.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ambiances/docannexe/image/4608/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 125k
Titre Illustration 2. Salon d’un retraité marocain, environs de Tiznit
Crédits Source : Pinel, 2019
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ambiances/docannexe/image/4608/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 350k
Titre Illustration 3. Le « second salon » de la maison marocaine de Youssef et Amina, Sidi Boufdail (Province de Tiznit)
Légende Légende : le schéma du rez-de-chaussée montre le rapport entre les deux salons.
Crédits Source : la photographie : Pinel, 2018. Le schéma : Pinel, 2022.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ambiances/docannexe/image/4608/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 155k
Titre Illustration 4. Le séjour de Samia, Dyar Shemsi
Crédits Source : Pinel, 2018
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ambiances/docannexe/image/4608/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 254k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jordan Pinel et Thomas Lacroix, « L’espace domestique des migrants marocains : les extensions transnationales de l’intimité familiale »Ambiances [En ligne], 9 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ambiances/4608 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ambiances.4608

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Auteurs

Jordan Pinel

Jordan Pinel est géographe et post-doctorant au sein de l’UR6 de l’INED. Il est membre associé de l’Unité de recherche sur le vieillissement (URV) de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et de l’UMR Migrinter. Il est également fellow de l’Institut Convergence Migrations.
jordan.pinel@gmail.com

Thomas Lacroix

Thomas Lacroix est géographe, directeur de recherche au CNRS au sein du CERI/Sciences Po Paris. Il est également fellow de l’Institut Convergences Migrations.
thomas.lacroix@cnrs.fr

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Droits d’auteur

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