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Résumé

Cet article traite des controverses relatives à l’articulation souhaitable entre « religion » et « culture » au sein de l’islam américain contemporain, où plusieurs communautés d’interprétation (formées au croisement de positionnements théologiques, d’appartenances de classe et de catégorisations raciales) expriment des conceptions divergentes, à la fois de l’islam et des États-Unis. À partir d’une enquête mobilisant entretiens et observations ethnographiques parmi des musulmans convertis à Chicago, l’article déplie ces controverses en les resituant dans le contexte social dans lequel elles prennent corps. Il montre que les musulmans américains mobilisent souvent le prisme de « l’authenticité », qu’elle soit culturelle ou religieuse, pour définir ce qui est « véritablement » islamique ou « véritablement » américain, mais que ces qualifications d’authenticité sont aussi travaillées par le spectre de l’appropriation et indissociables d’une évaluation des rapports de domination qui traversent la minorité musulmane américaine. Après avoir retracé une brève histoire des emprunts à la tradition islamique par des groupes positionnés différemment dans le système de stratification sociale et raciale des États-Unis, l’article examine tour à tour trois registres de discours sur la notion de culture en milieu islamique : l’acculturation, l’exculturation et l’inculturation. Ces trois registres reposent sur des appréhensions différentes de « l’authenticité » et suscitent des positionnements contrastés sur ce qui constitue une appropriation.

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Texte intégral

Introduction

1En 2013, l’auteur américain Michael Muhammad Knight publie dans Vice un court article remarqué intitulé « Le problème avec les convertis blancs » (« The Problem with White Converts », Knight 2013a). Le texte critique deux figures historiques d’Américains blancs ayant embrassé des religions « autres » : Henry Steel Olcott (1832-1907), converti au bouddhisme, et Alexander Russell Webb (1846-1916), converti à l’islam. Selon Knight, ces derniers se sont engagés dans une entreprise de réinterprétation de leurs nouvelles traditions religieuses et y ont imprimé une compréhension particulière de la « bonne religion », marquée par leur héritage théosophique commun : une religion conçue comme rationnelle, ancrée dans la philosophie, libérée à la fois des dogmes, du ritualisme, du surnaturel et des clercs. D’après Knight, les deux hommes firent fi des manières dont ces religions étaient pratiquées et vécues dans différentes régions du monde, quand ils ne méprisèrent pas directement leurs fidèles, qu’ils percevaient comme inaptes à saisir l’esprit authentique de leur religion en raison de leur bagage culturel et de leurs « superstitions ». Michael Muhammad Knight n’a pas de mots assez durs pour caractériser les deux compères qui « ont traité leurs nouvelles affiliations religieuses de la même manière que d’autres hommes blancs de leur époque traitèrent des nations entières : ils ont débarqué et ont immédiatement prétendu qu’elles leur appartenaient ».

2L’article circule rapidement et produit son effet, en raison de son titre accrocheur, mais aussi de la personnalité de son auteur, qui s’identifie lui-même comme converti blanc à l’islam. Fils d’un père suprématiste blanc absent toute son enfance, converti à l’islam à 15 ans après avoir lu l’autobiographie de Malcolm X, parti se former religieusement à la mosquée Faisal au Pakistan à l’âge de 17 ans, avant d’être désillusionné par un islam qu’il décrit comme trop conservateur (Knight 2006), Michael Muhammad Knight a publié depuis une douzaine d’ouvrages dans lesquels il décrit entre autres ses immersions initiatiques dans différents courants de l’islam, depuis le salafisme (Knight 2015), jusqu’à la magie et l’ésotérisme (Knight 2016), en passant par le punk islamique (taqwacore, terme qu’il a inventé et popularisé, Knight 2004), et le mouvement noir des Five Percenters (qu’il est parvenu à rejoindre alors que la théologie de ce mouvement, développée en réponse au contexte de suprématie blanche de l’Amérique du XXe siècle, conçoit normalement les blancs comme des démons, Knight 2011).

  • 1 Le matériau sur lequel repose cet article provient de mon travail de thèse sur les conversions à l’ (...)
  • 2 Pour davantage de détails sur cette association, voir Galonnier (2021).

3L’article de Michael Muhammad Knight, paru au moment où je réalisais un terrain de recherche sur les conversions à l’islam à Chicago, suscita des discussions vives parmi mes enquêtés1. Ces derniers, convertis pour la plupart, étaient issus d’origines sociales et ethno-raciales diverses (mais avec une surreprésentation de convertis blancs et de personnes issues des classes moyennes et supérieures) et étaient membres d’une association musulmane, The Islamic Connection, spécialisée dans l’accueil des nouveaux musulmans et investie dans le développement d’un islam américain2. L’article avait particulièrement attiré leur attention car il était, sans davantage de commentaire, illustré par une photographie de Sheikh Hamza Yusuf, alors même que ce dernier n’était pas directement nommé dans le texte. Sheikh Hamza Yusuf (anciennement Mark Hanson) est un Américain blanc né en 1958 et ayant embrassé l’islam en 1977, qui s’est rapidement imposé comme un savant musulman de renommée mondiale. Fondateur d’un institut de formation en Californie (le Zaytuna College) et partisan d’un renouveau de l’enseignement islamique sunnite dans une perspective qu’il décrit à la fois comme « traditionnelle et classique » et adaptée au contexte américain, fréquemment vêtu d’une longue robe et d’un turban, il est une personnalité très respectée parmi mes enquêtés, dont beaucoup ont suivi ses conférences.

  • 3 Les conférences « Reviving the Islamic Spirit » (RIS) auxquelles Hamza Yusuf participe fréquemment (...)
  • 4 « Quand un blanc endosse le costume des basanés et parle de “raviver l’esprit islamique”, il est gr (...)
  • 5 Facebook, 15 mars 2013, les prénoms ont tous été modifiés.

4« When a white guy wears the hats of brown guys and talks about “reviving the Islamic spirit”3, it might be time to run fast »4, écrit Knight. La critique à peine voilée formulée par l’auteur au moyen de l’allusion photographique, selon laquelle Hamza Yusuf se serait lui aussi réapproprié la tradition islamique depuis une position de domination culturelle tout en se revendiquant de l’universel, ne faisait pas consensus parmi mes enquêtés. Amina, une bloggeuse soudano-américaine active dans le dialogue interreligieux et militant pour la place des femmes dans les mosquées, qui participait fréquemment aux activités de l’association et que je retrouvais souvent sur mon terrain, relaya l’article sur sa page Facebook5, en exprimant son désaccord :

  • 6 « Il pense que certains convertis blancs essaient d’exclure les traditions culturelles des musulman (...)

He thinks that some white converts try to take cultural practices of [brown] Muslims out of the implementation of Islam because they believe Islam should be intellectual, and that that’s racist. I totally disagree with his analysis6.

5Jasmine, une convertie blanche consultante en communication répondit en commentaire :

  • 7 « En quoi est-ce que c’est raciste ? J’ai l’impression d’avoir encore du mal à faire la part des ch (...)

How is that racist? I feel like I’m still trying to navigate what is culture and what is real. Ugh he’s getting on my nerves7!

6Mohammed, un musulman américain d’origine qatarie et travaillant dans l’industrie cinématographique, réaffirma quant à lui l’incontestable légitimité islamique de Sheikh Hamza Yusuf et son respect envers les savants islamiques des pays du Sud :

  • 8 « Quelqu’un comme Sheikh Hamza n’a pas étudié tout seul dans une bibliothèque, mais il est allé s’i (...)

Someone like Sh. Hamza didn’t study alone in a library but he took his knowledge of sheikhs in Mauritania which he speaks about in high regard8.

7Nadia, une enseignante américaine d’origine algérienne, trouva cependant qu’il y avait une critique valable énoncée dans l’article, à la fois au sujet d’un sentiment de supériorité américain et de l’appropriation d’éléments langagiers venus d’autres cultures chez les étudiants de l’Institut Zaytuna de Sheikh Hamza Yusuf :

  • 9 « Je pense que de façon générale il y a un problème avec cette arrogance subtile que l’on retrouve (...)

I think there’s an issue in general with this subtle arrogance of our American culture. […] It equally upsets me to see a lot of zaytunites use the word “sidi” for one another lol it’s a north african title9!

8Fazila, une américaine d’origine pakistanaise reconnut aussi une certaine validité à l’article et vilipenda l’attitude de supériorité de certains musulmans américains :

  • 10 « Peut-être que le problème n’est pas tant dû aux convertis blancs eux-mêmes qu’aux autres musulman (...)

Perhaps the problem is less with the white converts themselves than with other Muslims, who are so used to the white man’s worldview being the “norm” […] that they glorify white male converts and their own understanding of Islam. How many Muslims born and/or raised in North America, mock the accents, cultural “baggage” of the older generation from (darker-skinned) Muslim countries? I grew up seeing this all around me, and I am ashamed to say, at one point did this as well. May Allah forgive me for this arrogance and disrespect10.

9Enfin, John, un converti blanc, orthophoniste de métier et pilier de l’association The Islamic Connection auprès de laquelle je réalisais mon ethnographie, condamna l’attaque dissimulée et injuste contre Sheikh Hamza Yusuf et renvoya Michael Muhammad Knight à sa propre position de converti blanc :

  • 11 « On dirait qu’il nous refait le coup du “démon blanc”. Sans vouloir être impoli, je ne pense pas q (...)

Sounds like he is rehashing the “white devil” obsession. Not to be rude but I dont really feel like Mr. Knight has much room to speak on this matter and his under the belt jab at Shaykh Hamza says a lot about who he is11.

10Kareem, un étudiant afro-américain abonda dans le même sens pour critiquer l’auteur :

  • 12 « Mec, pourquoi cette balance parle mal comme ça ? le gars a perdu la tête » (ma traduction).

Dawg, why is this guy sneak dissing so hard? this cat is outta his noggin12.

11Michael Muhammad Knight, « enfant terrible » de l’islam américain, est en effet une personnalité contestée parmi ses coreligionnaires. Il a mené sa carrière d’auteur dans les marges et les recoins de la tradition islamique (publiant sur le salafisme, la magie en islam, les Five Percenters, l’expérimentation religieuse sous drogue, la défense des mouvements musulmans queer, etc.), là où Hamza Yusuf s’est construit une place de prédicateur et d’enseignant au cœur de cette dernière (le Zaytuna College a été le premier établissement d’enseignement musulman accrédité par le gouvernement américain). Que Knight ait soulevé la question du privilège blanc et de l’appropriation culturelle ne pouvait pas laisser indifférent (voir aussi Tourage 2013). En réponse à la polémique suscitée par son premier texte, Knight publia une semaine plus tard un deuxième texte, cette fois explicitement intitulé « Michael Muhammad Knight vs. Sheikh Hamza Yusuf » (Knight 2013b). Il y maintint une partie de sa critique tout en faisant amende honorable et en s’incluant dans cette même critique :

  • 13 « Hamza Yusuf est un converti blanc. Cela contribue à son image de marque car son islam classique t (...)

Hamza Yusuf is a white convert. This helps his brand because his classical Islamic tradition can be presented as entirely a textual tradition, free of cultural blemish, and universal in its appeal. I am also a white convert. White privilege helps my brand too, because it’s easier to sell black supremacist expressions of Islam when you have a white face13.

12Le ton cynique de Knight est mis au service d’une dénonciation de l’usage de la tradition islamique à des fins de distinction, de popularité et de marketing.

  • 14 « Trouver le bon équilibre entre appartenance religieuse et culture américaine et produire une iden (...)
  • 15 « Nous devons engendrer une culture musulmane américaine qui nous ouvre la liberté d’être nous-même (...)

13L’épaisseur du débat m’apparut à mesure que l’enquête de terrain avançait. En effet, mes enquêtés suivaient également assidument les cours d’un autre converti blanc, proche de Sheikh Hamza Yusuf : le théologien musulman Umar Faruq Abd-Allah (né Wymann-Landgraf en 1948 et devenu musulman en 1970), dont ils appréciaient particulièrement les conseils sur l’éducation de l’âme et du cœur, ainsi que les écrits sur la nécessité de produire un islam culturellement américain (Faruq Abd-Allah 2004). Il se trouve qu’Umar Faruq Abd-Allah a publié chez Oxford University Press une biographie complète de Mohammed Alexander Russell Webb (Faruq Abd-Allah 2006), le converti de la fin du XIXe siècle que Knight critique dans son texte (sans citer la biographie de Faruq Abd-Allah sur laquelle il s’appuie pourtant). Si, dans son livre, Faruq Abd-Allah ne passe pas sous silence les préjugés racistes de Webb envers ses coreligionnaires (notamment le fait qu’il appelait certains musulmans indiens niggers et qu’il attribuait le sous-développement du monde musulman au « climat et à l’influence raciale » [« climate and racial influence », ibid., p. 136]), il n’en fait pas, contrairement à Knight, le cadrage principal de sa vie : Webb apparaît plutôt au terme de la biographie comme un précurseur du pluralisme religieux américain contemporain, un croyant fervent, qui déploya des efforts missionnaires intenses pour implanter sa religion aux États-Unis au point qu’il représenta l’islam lors du World Parliament of Religions à Chicago en 1893 – un exemple à suivre dans sa capacité à « balance religious identity with American culture, creating a sense of self that is at once genuinely American and truly Islamic »14 (ibid., p. 271). C’est cette posture qu’Umar Faruq-Abdallah cherche à défendre dans un texte très prisé de mes enquêtés, intitulé « Islam and the Cultural Imperative » (2004), dans lequel il déclare : « we must engender a Muslim American culture that gives us the freedom to be ourselves »15. Là où Knight voit en Webb l’archétype d’une dynamique d’appropriation religieuse menée par un homme blanc convaincu de sa supériorité (persuadé de se situer au-delà des cultures et de représenter l’universel), Faruq Abd-Allah voit en Webb un visionnaire qui parvenait à concilier sa foi et sa culture américaine, un modèle pour les musulmans américains d’aujourd’hui.

14Ce débat intertextuel (une biographie, un article en ligne, une allusion photographique, les commentaires qu’ils ont produits) autour de quatre convertis blancs de différentes générations (Knight, Yusuf, Abd-Allah et Webb, respectivement nés en 1977, 1958, 1948 et 1846) a beaucoup tourné autour des questions de « privilège blanc » au sein des communautés musulmanes (sur ce sujet voir Galonnier 2015). Cependant, il soulève aussi des questions plus larges sur les usages contrastés de la « culture », du particulier et de l’« universel » en islam : À qui appartient la tradition islamique ? Qui décide des contours de l’entité « islam » lorsqu’il s’agit de l’extraire des contextes culturels dans lesquels elle a historiquement pris corps pour la transposer ailleurs ? Celles et ceux qui s’engagent dans de telles entreprises ne projettent-ils pas leurs propres conceptions culturelles sur l’islam authentique qu’ils prétendent véhiculer ? De quelles manières les revendications d’universel et de légitimité culturelle (ainsi que les façons dont elles sont reçues et perçues) sont-elles travaillées par les inégalités de classe, de race, de genre ?

Jonctions et disjonctions de la religion et de la culture

15L’étude des liens entre culture et religion a fait couler beaucoup d’encre, depuis l’ouvrage classique du théologien américain protestant H. Richard Nieburh Christ and Culture (1951) qui identifie une diversité d’attitudes religieuses envers la culture : la posture « Christ against culture » (le rejet intransigeant de la culture comme immorale) et la posture « Christ of Culture » (l’harmonisation, au risque de la dissolution, du religieux dans le culturel) y sont conçues comme deux pôles opposés, entre lesquels se dessinent des postures intermédiaires dont « Christ above culture » (une synthèse du culturel et du religieux), « Christ and culture in paradox » (le maintien d’une distance critique envers la culture, qui peut toutefois être positivement embrassée à des fins religieuses), « Christ transforms culture » (la possibilité et l’espoir d’une transformation en profondeur de la culture par le religieux) (Spickard 2012 ; pour une tentative de transposition de ces catégories à l’islam américain, voir Hermansen 2009). Cette typologie n’en est qu’une parmi d’autres. Plus récemment, Olivier Roy (2008) a énuméré la diversité des articulations possibles entre religieux et culturel :

Chaque fois que l’on a voulu penser les relations entre religion et culture, on s’est mis à tourner autour du mot « culture » en jouant sur des préfixes : culturer, acculturer, inculturer, exculturer. La religion déculture quand elle veut éradiquer le paganisme ; elle s’acculture quand elle s’adapte à la culture dominante ; elle s’inculture quand elle tente de s’installer au cœur d’une culture donnée ; elle s’exculture quand elle se pense en retrait d’une culture dominante dont elle était partie prenante, mais qui soudainement ou progressivement lui apparaît sous un jour négatif, « païen » ou irréligieux, et donc destructeur. (Roy 2008 : 66-67)

16Ces opérations de « jonction et de disjonction de l’islam et de la culture », pour reprendre les termes de l’anthropologue Jeannette Jouili (2019), sont sources de débats multiples et intenses parmi les musulmans, tant la définition des bons et mauvais usages de la culture en contexte islamique fait l’objet de luttes de positionnement. Cette littérature, aussi riche soit-elle, ne dialogue cependant que très peu avec celle qui se développe autour de la notion d’appropriation culturelle ou religieuse (Rogers 2006).

17La plupart des débats sur l’appropriation de pratiques et de croyances religieuses dans les sociétés euro-américaines ont porté sur des traditions orientales (bouddhisme, hindouisme, etc.) ou amérindiennes, parfois juives (kabbale), ayant connu des processus de sécularisation et de commodification. Dans ces débats, l’appropriation désigne l’incorporation de certains des attributs esthétiques, rituels, vestimentaires ou culinaires de ces traditions religieuses dans des pratiques culturelles profanes ou des formes de spiritualité New Age de plus en plus dissociées de leur contexte religieux d’origine (Brunk et Young 2009, Altglas 2014, Lucia 2020). Contrairement au bouddhisme (Borup 2020), l’islam a été relativement peu présent dans ces discussions – un auteur le qualifiant même de « unpillaged Eastern religion » (Bruce 2017) : une des rares religions orientales à ne pas avoir été « pillée ». Toutefois, l’évolution de certaines formes de soufisme (Philippon 2014) ainsi que les controverses récentes autour du World Hijab Day ou de l’utilisation du hijab par certaines enseignes de mode (Bucar 2022) ont pu faire surgir ici et là des accusations d’appropriation culturelle de la tradition islamique. Dans un ouvrage récent intitulé Stealing my religion : not just any cultural appropriation, la chercheuse américaine en études religieuses Liz Bucar (2022) définit l’appropriation religieuse de la façon suivante :

  • 16 « Le fait d’adopter des pratiques religieuses sans se soumettre aux doctrines religieuses, aux norm (...)

When individuals adopt religious practices without committing to religious doctrines, ethical values, systems of authority, or institutions, in ways that exacerbate existing systems of structural injustice16. (p. 8)

18Elle précise que tous les emprunts religieux ne constituent pas de l’appropriation : ces emprunts ont toujours existé et sont mêmes souhaitables et souhaités par les acteurs religieux eux-mêmes, particulièrement pour des religions à prétention universelle comme l’islam ou le christianisme qui ont par définition vocation à être « appropriées » par des fidèles du monde entier. Ne tombent dans la catégorie d’appropriation que les emprunts que l’autrice définit comme « néfastes sur le plan éthique », c’est-à-dire ceux qui perpétuent les inégalités. Comme le rappelle Denis-Constant Martin (2014 : 52), « la relation d’appropriation est le plus souvent d’inégalité ».

19Mais la définition du périmètre de l’appropriation reste une question empirique, soumise à de nombreux défis :

  • parler d’ « emprunt » sous-entend que l’on puisse identifier un ou des propriétaires (ou insiders), ce qui est loin de faire consensus parmi les acteurs religieux eux-mêmes (qui décide de qui est insider ou outsider à une tradition religieuse, en particulier l’islam ?) ;

  • parler d’ « effets néfastes » sur le plan éthique implique que l’on puisse cartographier les mécanismes de domination qui se trouvent ainsi renforcés, or l’imbrication des multiples rapports sociaux qui participent de la reproduction des inégalités (classe, genre, etc.) implique que cette domination est à la fois multidimensionnelle et multidirectionnelle ;

  • parler de « pratiques religieuses » ne va pas non plus de soi car certaines pratiques définies comme « religieuses » par les uns peuvent être conçues comme « culturelles » par d’autres ;

  • enfin, distinguer l’appropriation religieuse de la conversion religieuse nécessite de pouvoir évaluer le degré de sincérité des « emprunteurs » et leur niveau d’implication dans les pratiques qui font l’objet d’un emprunt, ce qui signifie sonder leur « for intérieur » ou se prononcer sur l’authenticité de leurs actions et de leurs déclarations, des opérations potentiellement porteuses de jugements normatifs ou inquisiteurs que les sciences sociales n’ont pas vocation à faire.

20Ces discussions importantes et difficiles sont rendues plus complexes encore par la charge accusatoire du terme « appropriation » – un concept « connoté » (Derlon et Jeudy-Ballini 2015 : 10), « surutilisé et polarisant » selon Liz Bucar, qui obstrue souvent le débat plutôt qu’il ne le permet :

  • 17 « Le terme est une accusation, une condamnation, l’expression d’un outrage moral. Une fois qu’il es (...)

The term is an accusation, a condemnation, an expression of moral outrage. Once it is deployed, conversation halts, as each party digs its heels in. This polarization assumes that the ethical implications of cultural borrowings are cut and dried, which they rarely are17. (Bucar 2022 : 11)

21Si le terme d’appropriation a pu faire l’objet de réinvestissements positifs (Derlon et Jeudy-Ballini 2015), c’est principalement la façon dont son acceptation négative circule qui sera étudiée ici.

  • 18 Ainsi, selon une enquête du Pew Research Center, 15 % des musulmans nés à l’étranger ont un diplôme (...)
  • 19 Historiquement, des figures comme Malcolm X ou Muhammad Ali ont incarné l’islam américain à l’échel (...)

22La minorité musulmane américaine est actuellement estimée à 3,45 millions de personnes, soit 1,1 % de la population américaine. Elle constitue un terrain d’enquête privilégié pour explorer ces questions car elle est l’un des groupes religieux les plus divers aux États-Unis, tant sur le plan de l’appartenance ethno-raciale que de l’appartenance de classe. Une récente enquête du Pew Research Center (2017) indique que 20 % des musulmans américains sont catégorisés comme noirs (ce qui inclut en particulier les Afro-Américains mais aussi des personnes issues de l’immigration subsaharienne), 28 % sont asiatiques (notamment originaires d’Inde et du Pakistan), 8 % sont hispaniques, 3 % d’origines diverses et 40 % sont catégorisés comme « blancs » (une catégorie qui comprend une petite part de personnes blanches sans ascendance migratoire récente, mais principalement des personnes issues de l’immigration moyen-orientale, qui ne bénéficient pas de catégorie distincte dans le recensement américain, bien que des discussions soient en cours à ce sujet pour le prochain recensement de 2030). Les musulmans nés à l’étranger et ayant immigré aux États-Unis, ainsi que leurs enfants, tendent à appartenir aux fractions les plus avantagées de la communauté musulmane, tandis que les musulmans nés sur le sol américain, principalement afro-américains, appartiennent aux fractions les plus défavorisées18, des différences qui recoupent aussi des conflits d’autorité religieuse entre les deux groupes, comme nous le verrons. Les convertis représentent environ 21 % des musulmans américains. Une autre enquête menée au sein de mosquées américaines (Bagby 2021) indique que parmi ces convertis, 57 % sont afro-américains, 24 % sont blancs et 15 % sont hispaniques. Les États-Unis sont aussi l’un des lieux où les expérimentations religieuses, culturelles et politiques qui ont approprié, réapproprié et réinventé la tradition islamique ont été particulièrement nombreuses et inventives tout au long du XXe siècle, avec des retentissements en dehors des frontières du pays19. Enfin, dans un contexte de forte islamophobie (Love 2017, Selod 2018, Aziz 2021) où les pratiques et croyances des musulmans sont scrutées et passées au crible, la question de savoir à qui appartient l’islam et qui peut légitimement en définir les contours revêt une sensibilité particulière.

23Cet article traite des controverses relatives à l’articulation souhaitable entre « religion » et « culture » au sein de l’islam américain contemporain, où plusieurs communautés d’interprétation (formées au croisement de positionnements théologiques, d’appartenances de classe et de catégorisations raciales) expriment des conceptions divergentes, à la fois de l’islam et des États-Unis. Ces controverses mobilisent souvent le prisme de « l’authenticité », qu’elle soit culturelle ou religieuse, et portent sur la définition et le périmètre de ce qui est « véritablement » islamique ou « véritablement » américain. L’article commence par retracer une brève histoire des emprunts à la tradition islamique par des groupes positionnés différemment dans le système de stratification sociale et raciale des États-Unis, en montrant comment le spectre de l’appropriation a plané ou non sur chacun d’eux. Puis il examine tour à tour trois registres de discours sur la notion de culture en milieu islamique, qui révèlent en creux des appréhensions contrastées de l’authenticité parmi les convertis. L’acculturation (soit l’assimilation aux codes culturels des musulmans) est condamnée comme une perte de soi et une dilution du message religieux, à laquelle sont opposées deux réponses : l’exculturation soit la revendication d’un islam délesté des traditions des pays d’origine, qui fait de la pureté religieuse la condition de l’authenticité et de la légitimité islamiques ; et l’inculturation, soit la construction d’un islam américain, qui insiste sur le caractère universel et culturellement adaptable de l’islam mais achoppe sur la difficulté à identifier ce qui serait une culture américaine authentique. Comme nous le verrons, dans un espace caractérisé par de profondes inégalités, ces qualifications d’authenticité sont travaillées à la fois par le spectre de l’appropriation et par celui de l’expropriation et indissociables d’une évaluation des rapports de domination qui traversent la minorité musulmane américaine.

La circulation du référent islamique dans l’histoire américaine et le spectre de l’appropriation

24Un détour par l’histoire des États-Unis témoigne de l’existence d’emprunts culturels multiples à la tradition islamique par des groupes sociaux positionnés différemment dans les systèmes de stratification sociale et raciale du pays. Ces groupes se sont caractérisés par des degrés plus ou moins forts d’engagement avec l’islam comme religion et par un rapport plus ou moins subversif à l’ordre social établi, suscitant des évaluations contrastées sur leur degré d’authenticité et sur le risque d’appropriation.

  • 20 John Kelly, « In June 1923, Washington was transformed into the Middle East », The Washington Post, (...)

25L’exemple le plus emblématique est celui des Shriners, ou Ancient Arabic Order of the Nobles of the Mystic Shrine (AAONMS), une fraternité maçonnique fondée en 1870, principalement blanche (WASP) et masculine, philanthropique et d’inspiration orientaliste. À Chicago, lieu principal de mon terrain de recherche, un flamboyant bâtiment de brique surplombé d’un dôme et orné de motifs géométriques attire l’attention des passants qui se promènent en centre-ville (au 600 N. Wabash Avenue précisément). On peut lire l’inscription « Medinah » sur son fronton et sa façade est couverte de shahada (profession de foi islamique) en calligraphie arabe. Désormais voué à devenir un casino, il a été occupé de 2003 à 2019 par le magasin Bloomingdale, mais il était auparavant propriété des Shriners, qui l’avaient surnommé « Medinah Temple » et y organisaient leurs réunions. Les membres de l’ordre des Shriners portaient des costumes dits orientaux et pratiquaient des rites d’inspiration islamique : leur garde-robe comprenait des chapeaux fez, des turbans, de longues robes qu’ils paradaient dans la rue à chacune de leurs conventions (y compris lors de la parade « Road to Mecca » organisée à Washington en 1923 qui culmina en une réception sobrement intitulée « Garden of Allah » à la Maison blanche)20 ; ils mobilisaient des symboles islamiques comme le croissant, l’étoile, la pierre noire ; leur salutation initiatique était la suivante :

  • 21 « Au nom de l’existence d’Allah et du credo de Mohammed, au nom de la sainteté légendaire du Tabern (...)

By the existence of Allah and the Creed of Mohammed, by the legendary sanctity of the Tabernacle at Mecca, we greet you21. (Gomez 2005 : 244)

  • 22 https://www.shrinersinternational.org/en.
  • 23 Chicago Tribune, « Harrassed, insulted, Shriners pay price for Islam imagery », 21 octobre 2002, UR (...)
  • 24 John Lee, « Shriners march to a different tune », Maisonneuve, 18 novembre 2002, URL : https://mais (...)
  • 25 Ryan White, « Canmore Canada Day parade turns away unregistered Shriners, band deemed “culturally a (...)
  • 26 « relevait de l’appropriation culturelle et ne correspondait pas aux valeurs et aux principes de no (...)

26Les Shriners étaient le produit de la fascination que l’Amérique du XIXe siècle entretenait pour l’Orient mystique (Marr 2006, Nance 2009, Berman 2012). Au même moment, un autre groupe maçonnique voyait le jour, lui aussi sobrement intitulé « The Sheiks of the Desert - Guardians of the Kaaba, Guardians of the Mystic Shrine » (Bowen 2015 : 122). Leurs sections locales ont pour nom Omar, Mecca, Ben Hur ou encore Islam. Leurs centres sont appelés « mosquées ». Pour autant, ces groupes ne se sont jamais définis comme musulmans : leur usage de symboles islamiques ou orientaux relève avant tout d’une stratégie de distinction pour se présenter comme des citoyens cosmopolites versés en cultures anciennes, et attirer l’attention sur leurs actions caritatives. S’ils ont contribué à familiariser le grand public américain avec l’islam, il s’agit d’une version très orientalisante de l’islam (Ghanea Bassiri 2010 : 199-200), qui suscite aujourd’hui de nombreuses critiques. Les Shriners ont en 2023 près de 200 branches locales dans 40 pays, et près de 200 000 membres ; leur philanthropie est principalement destinée aux soins pour enfants22. Depuis les années 2010, ils ont dans l’ensemble abandonné la thématique orientale, à la fois en raison de l’islamophobie croissante dans le contexte de l’après 11 septembre qui les a exposés à des attaques23 et en réponse aux accusations de racisme et d’appropriation culturelle dont ils ont fait l’objet24. Mais le fez rouge reste leur emblème principal et certaines sections ont perduré dans l’usage de symboles explicitement islamiques. En juillet 2023, le conseil municipal de Canmore au Canada25 a ainsi refusé à l’orchestre des Shriners (dénommé « The Al Azhar Oriental Band ») l’autorisation de participer à la parade de la ville au motif que l’orchestre était « culturally appropriative and does not fit with our community values and standards »26. Si l’on s’en tient à la définition fournie par Liz Bucar (voir plus haut), les Shriners cochent en effet un certain nombre de cases de l’appropriation religieuse : emprunt purement esthétique, et souvent caricatural de symboles islamiques ; travestissement en costumes orientaux pour « le fun » (comme l’indique leur site) ; composition quasiment exclusivement masculine et blanche de leur ordre ; non-remise en cause des inégalités raciales (pendant longtemps les Noirs ne sont pas admis dans les loges maçonniques blanches). Pourtant, sans renier cette réalité, l’historien Patrick Bowen, auteur de deux volumes sur l’histoire des conversions à l’islam aux États-Unis, considère qu’historiquement les Shriners étaient beaucoup plus sérieux qu’on ne le pense à propos de l’islam : plusieurs de leurs membres fondateurs furent en effet les premiers à rejoindre le mouvement missionnaire « American Islamic Propaganda » que le converti à l’islam Alexander Russell Webb créa en 1892 pour propager la religion musulmane sur le sol américain.

  • 27 « Le fait que les fondateurs et les leaders des branches newyorkaise et nationale des Shriners aien (...)

The fact that […] the founders and leaders of the New York and national Shriner organizations were the first members of Webb’s very serious movement casts much doubt on the persistent academic characterization of the Shriners as people who simply made a joke of Arabic and Islamic culture27. (Bowen 2015 : 148)

27Si les membres actuels des Shriners sont dans leur immense majorité des non-musulmans blancs (sans ascendance migratoire récente), la question de la sincérité religieuse des fondateurs originaux du mouvement reste donc posée.

  • 28 « D’une certaine façon, il y avait cette tendance très immature, bourgeoise et occidentale qui m’av (...)
  • 29 « une épice, un assaisonnement pouvant relever le plat insipide qu’est la culture blanche mainstrea (...)
  • 30 « Elle a réagi très bizarrement. Comme si c’était “leur” religion et qu’elle ne comprenait pas que (...)
  • 31 « Je peux affirmer en connaissance de cause que chaque musulman blanc en Amérique est au moins un p (...)
  • 32 « Me voilà, un homme blanc consommant l’islam. En embrassant ce que j’aime, il est possible que je (...)

28Le spectre des Shriners était présent sur mon terrain, et pesait parfois, bien que rarement, dans l’évaluation de la sincérité religieuse des convertis. Stephan (24 ans, éducateur, Chicago), un converti blanc ayant étudié l’histoire du Moyen-Orient dans un liberal arts college et ayant découvert l’islam suite à son investissement dans la cause palestinienne, explique que les raisons initiales ayant motivé sa conversion étaient selon lui peu recommandables : « on some level, there really was this youthful, bougie [bourgeois], Western thing that led me to exotify Islam »28. Ses amis militants pro-palestiniens trouvèrent d’ailleurs sa conversion « ridicule » et levèrent leurs yeux au ciel quand il leur annonça. Il explique dans l’entretien avec moi qu’il a ensuite évolué vers davantage de réflexivité sur ce sujet. Comme cet exemple le montre, et bien que cela soit rare, il arrivait que la conversion soit perçue négativement et la sincérité des convertis mise en doute, leur démarche conçue comme une fantaisie orientaliste supplémentaire, une manière de « manger l’autre », l’islam fonctionnant comme un « spice, seasoning that can liven up the dull dish that is mainstream white culture »29 (hooks 1992 : 21). L’une de mes enquêtées, Mary (33 ans, gestionnaire de projet, St. Louis) se rappelle ainsi en entretien d’interactions heurtées avec une de ses amies syro-américaine qui refusa de l’aider au moment de sa conversion : « she reacted very strangely. Almost as if it was “their” religion and she did not understand about people converting »30. Le spectre de l’appropriation et de l’insincérité religieuse hante également toute l’œuvre de Michael Muhammad Knight qui écrit en 2006, tout en s’incluant dans une telle caractérisation : « I can say with authority that every white Muslim in America [is] at least a little off » (Knight 2006 : 87)31, « off » renvoyant ici au fait d’être superficiel, sans culture, s’appropriant l’islam à des fins de satisfaction personnelle et depuis une position de domination. En 2011, il réitère ses craintes : « Here I am, a white man consuming Islam. By embracing what I love, I may poison it » (Knight 2011 : 89)32. La question de l’appropriation religieuse, bien que peu présente dans l’ensemble sur mon enquête, surgissait donc de temps en temps au sujet des convertis catégorisés comme blancs. Elle était cependant entièrement absente pour parler des convertis afro-américains (qui constituent la majorité des convertis à l’islam).

  • 33 Voir par exemple US Supreme Court, Arrêt Ancient Egyptian Arabic Order of Nobles of the Mystic Shri (...)

29En parallèle des Shriners, des groupes maçonniques noirs ont aussi emprunté des symboles et des références à l’islam. L’Ancient Egyptian Arabic Order-Nobles of the Mystic Shrine (AEAONMS) ou Black Shriners fondé en 1893 en est un exemple (l’organisation a d’ailleurs été poursuivie plusieurs fois en justice par les Shriners blancs pour « imitation »33 : sans succès). Ces pratiques d’emprunt ont aussi produit des mouvements plus directement arrimés à la tradition islamique. Fondé en 1913, par Timothy Drew, aka Noble Drew Ali (1886-1929), le Moorish Science Temple of America (MSTA) en est un exemple phare. Inspiré par le maçonnisme, il développe sa propre théologie d’inspiration islamique : selon elle, les origines des hommes noirs peuvent être retracées au royaume du Maroc, ce qui fait d’eux des « Maures », descendants des Moabites et Cananéens bibliques. L’islam est présenté comme la « religion naturelle » des « peuples asiatiques » (tous les peuples de couleur), une religion qui doit donc être retrouvée et extirpée des décombres sous lesquels la violence de l’esclavage l’a enfouie, tandis que la chrétienté doit être tenue à distance (Allen 2000, Nance 2002, Gomez 2005 : chapitre 6). L’insistance sur les origines mauresques des Afro-Américains vise à contourner le stigmate associé à la catégorie raciale « Negro » : les membres du Moorish Science Temple of America refusent de cocher cette case sur les formulaires administratifs (Berman 2012 : 156) et se voient distribuer des cartes d’identité par le mouvement sur lesquels ils sont identifiés comme « Moslems » et « Moorish Americans ». L’adoption de noms à consonance arabe et le port de vêtements orientaux, fez et autres turbans, leur permettent parfois d’échapper à la brutalité de la ségrégation raciale en se faisant passer pour des étrangers. Le mouvement est ainsi fortement investi dans la subversion de l’ordre racial établi et dans la mise en place d’une vision alternative de l’histoire raciale et religieuse ainsi que de la citoyenneté américaines ; le MSTA porte le projet de façonner une nouvelle Amérique (Dew 2019). Par ailleurs, si le livre de Noble Drew Ali, Holy Koran of the Moorish Science Temple of America, se fonde principalement sur des écrits chrétiens apocryphes, il y remplace le terme Dieu par « Allah » et enjoint les membres de son mouvement à la prière quotidienne vers l’est, au végétarianisme et à ne pas consommer d’alcool. Le rapport à la tradition islamique promu par Noble Drew Ali et ses disciples diffère donc grandement de celui que les Shriners entretiennent à leur vision orientaliste de l’islam. Ainsi, l’anthropologue et historienne Zareena Grewal considère que :

  • 34 « Alors que les Shriners blancs utilisaient ces symboles sur le mode de l’ironie, les participants (...)

While white Shriners used these symbols ironically, black participations in such lodges and parades and appropriations of Oriental signs was neither playful nor politically neutral. […] The turbans, crescents and stars, the exotic robes worn by MSTA members […] were far more than exotic fashion and performance; they symbolized a historical and divine recovery of knowledge lost in the tragic upheaval of American slavery that had wrenched Islam from African slaves34. (Grewal 2013 : 96-97)

  • 35 Ainsi en 1994, lors de l’organisation par la Nation of Islam de son premier International Savior’s (...)
  • 36 Dans une enquête d’opinion récente, plus de la moitié des Afro-Américains interrogés considèrent qu (...)

30D’autres mouvements afro-américains enrôlèrent aussi le référent islamique. Tel est le cas de la Nation of Islam, fondée en 1930 à Détroit par un homme mystérieux, Wallace Fard Muhammad (qui se présente comme un nouveau prophète de l’islam avant de disparaître rapidement dans des circonstances non élucidées), puis reprise et incarnée dès 1934 par Elijah Muhammad (1897-1975), et représentée par d’éminents porte-paroles, tels Malcolm X (1925-1965, jusqu’à ce que ce dernier quitte le mouvement pour embrasser l’islam sunnite en 1964) ou le boxeur Muhammad Ali (1942-2016, qui se convertit aussi ensuite à l’islam sunnite en 1975). La Nation of Islam ne reprend pas la garde-robe orientale du Moorish science temple (ses membres masculins sont en costume, avec cravate ou nœud papillon ; ses adeptes féminines sont encouragées à couvrir leurs cheveux et porter des couleurs neutres) mais se réapproprie des éléments de la tradition islamique (salutations, interdits alimentaires du porc et de l’alcool, vocabulaire, etc.), qu’elle réinterprète dans le contexte de la suprématie blanche : sa théologie affirme ainsi que les hommes blancs sont en fait des démons, créés par un savant fou du nom de Yakub il y a 6000 ans pour dominer les hommes noirs originels. L’islam est présenté comme la « vraie religion de l’homme noir » et réinventé comme une théologie raciale, qui résonne avec les conditions de vie des Afro-Américains. La Nation fera des émules, comme le mouvement des Five Percenters, fondé en 1964 par Clarence 13X à Harlem et qui va plus loin encore, proclamant que l’homme noir est en fait Dieu personnifié (Knight 2011). Ces mouvements souvent définis comme « hétérodoxes », que plusieurs membres ont ensuite quitté pour se tourner vers l’islam sunnite, se sont tous réappropriés l’islam à des fins de subversion de l’ordre racial américain. Ils n’ont pas emprunté l’islam de manière cosmétique ou ludique, mais l’ont réinventé pour fonder une culture afro-américaine et musulmane inédite qui perdure encore aujourd’hui : il suffit d’écouter attentivement les paroles de groupes de hip-hop des années 80-90 (tels que Brand Nubian, Rakim Allah, Poor Righteous Teachers, Busta Rhymes, Gang Starr, Pete Rock, CL Smooth, Wu Tang Clan, Mobb Deep, Sunz of Man, Digable Planets, the Fugees, Public Enemy, Nas, The Roots, etc.) pour se rendre compte qu’elles sont parsemées de références islamiques, qui reprennent le langage de la Nation of Islam ou des Five Percenters ou samplent les discours de justice sociale de leurs porte-parole. Si ces mouvements ont pu être critiqués pour leur hétérodoxie religieuse35 (ce qui a pu susciter des tensions avec des musulmans issus de l’immigration notamment), ils n’ont jamais été accusés d’appropriation religieuse, d’une part car leur usage du référent islamique a toujours été arrimé à un projet politique de dénonciation des inégalités, et, d’autre part, car leur discours de retour à la religion d’ancêtres esclavagisés – on estime qu’entre 15 et 30 % des esclaves qui furent déportés en Amérique provenaient de régions islamisées d’Afrique (Diouf 1998, Gomez 2005) – fait de l’emprunt à la tradition islamique une réappropriation, davantage qu’une appropriation. Bien que ces mouvements aient été marginaux en nombre – aujourd’hui, on estime que seuls 2 % des Afro-Américains se définissent comme musulmans (Pew Research Center 2019) – leur influence a été considérable : ils ont contribué à résolument ancrer l’islam dans l’imaginaire politique et culturel des Afro-Américains, même non-musulmans (McAlister 1999), lui conférant une dimension de familiarité culturelle et un rôle non-négligeable dans l’élaboration d’un imaginaire racial alternatif et émancipateur36.

31Ces débats autour de l’appropriation culturelle n’épuisent pas cependant la complexité des rapports entre religion et culture dans l’islam américain, lesquels sont aussi traversés par des logiques d’acculturation, d’exculturation et d’inculturation.

Le risque de l’acculturation, ou l’appropriation à rebours

32Les entretiens menés auprès de personnes converties ont révélé une série d’angoisses autour de l’articulation entre culture et religion dans le cadre de leur conversion. Ces angoisses étaient fréquemment frappées du sceau de l’acculturation, soit le processus par lequel la religion s’adapte à la culture du groupe dominant, au point qu’elle s’y trouve entièrement subordonnée et perd sa substance. Dans les propos recueillis auprès de convertis blancs et noirs dans le cadre de mon enquête, la « culture dominante » était décrite comme celle des musulmans immigrés ou descendants d’immigrés, principalement originaires du Moyen-Orient ou de l’Asie du Sud, et qui étaient perçus comme hégémoniques. Ainsi, les convertis qui faisaient leurs de manière trop explicite des pratiques culturelles issues de ces régions du monde plutôt que religieuses (manières de parler, façons de s’habiller ou de cuisiner), étaient critiqués pour être tombés dans le « piège culturel » de la conversion religieuse. À Détroit, Khabir (23 ans, coiffeur), un converti afro-américain à l’islam, issu d’une mère chrétienne baptiste et d’un père membre de la Nation of Islam, critique la tendance actuelle des nouveaux musulmans à s’imprégner des codes culturels des communautés musulmanes d’origine immigrée :

  • 37 « Personnellement, ça me dégoûte. […] Pourquoi chercher à être quelqu’un d’autre que toi-même ? Un (...)

Personally, it disgusts me. […] Why do you want to be other than yourself? One day you are James Collar, the next day, you know what I am saying, you turn your name to Abdul Rasheed. And there, from Abdul Rasheed, you get around a community of Indo-Pakistanis. Now you want to talk with an accent, and carry yourself like you come from South Asia… It is like “Bro! you are from Dexter! You went to school in the hood. You went to Cooley high school. You and your family isn’t South Asian. Where did you get this from?” […] Before your slave master was a European God figure. Now you think God is an Arab. Now you think God is a South Asian37.

33Khabir critique la confusion entre authenticité islamique et culture arabe ou desi, qui reproduit selon lui la domination raciale des Afro-Américains au sein du religieux.

34Jonathan (36 ans, technicien, Chicago), un converti blanc issu d’un milieu populaire qui a embrassé l’islam durant son adolescence et a très vite été intégré dans la communauté syro-libanaise de la banlieue de Chicago, explique aussi s’être perdu dans la culture arabe au point d’en avoir pris l’accent :

  • 38 « Je ne me souviens même plus de comment je parlais avant de devenir musulman. Tous les gens que je (...)

I don’t even remember how I used to speak before I became Muslim. Everyone I meet tells me that I have this accent now38.

35Jonathan considère avoir subi un « lavage de cerveau culturel » (cultural brainwashing), un processus qui selon lui « touche beaucoup plus les Américains Caucasiens [sic] que n’importe quel autre groupe » car ces derniers « n’ont aucune culture » et se retrouvent donc submergés par les cultures des autres. S’il reproduit une conception de la blanchité comme neutre, sans culture et donc universelle, Jonathan renverse la direction de la domination : cette blanchité est fade, sujette à la contamination culturelle et sous-représentée dans les espaces musulmans dans lesquels il évolue désormais. Il ne se vit pas comme une personne blanche dominante qui se serait approprié des éléments de culture étrangère, mais comme un converti dominé (car novice, mais aussi car issu d’un milieu populaire, là où ses coreligionnaires nés à l’étranger sont souvent plus à l’aise économiquement) auquel on aurait imposé des contenus culturels autres sous couvert de formation religieuse. Le discours de l’appropriation est ici complètement renversé.

La promesse de l’exculturation et le spectre de l’expropriation

  • 39 « J’ai l’impression d’avoir encore du mal à faire la part des choses entre ce qui est culturel et c (...)

36En réponse, les discours recueillis auprès de mes enquêtés convertis à l’islam étaient souvent porteurs d’une critique de la « culture » et d’une volonté de séparer le « culturel » du « religieux » pour identifier un islam authentique, purifié des influences culturelles qui l’auraient contaminé et déformé. Ces discours, produits de la sécularisation et du temps de la « religion sans culture » si bien analysé par Olivier Roy (2008), sont typiques du renouveau islamique qui traverse les communautés musulmanes à l’échelle globale et auquel les convertis sont particulièrement sensibles. C’est le propos tenu par Jasmine dans son post Facebook cité plus haut (« I feel like I’m still trying to navigate what is culture and what is real39 ») : l’authentique (real) étant ici explicitement distingué du culturel.

37La croyance en l’existence d’un religieux pur ou « réel » qu’il serait possible de délimiter clairement, si elle relève d’un vœu pieu, n’en fonctionne pas moins comme un critère puissant de délimitation des conversions jugées authentiques de celles qui ne le sont pas (Galonnier et al. 2019). Ainsi, Jonathan critique sa pratique passée de la religion (aux débuts de sa conversion) et souscrit désormais à une version salafisante de l’islam. Cette dernière propose de revenir à l’islam pur ou « fondamental » du temps des pieux prédécesseurs et se revendique d’une approche « d’exculturation », soit « la reformulation de cette religion dans un certain nombre de normes » (Roy 2008 : 234), détachées des contextes culturels des régions du monde dans lesquelles elle s’est développée historiquement. Il est intéressant de souligner l’attrait du salafisme chez les convertis soucieux de distinguer le culturel du religieux et d’affirmer la légitimité de leur appartenance à l’islam (Adraoui 2019). Un autre converti blanc interrogé dans le cadre de cette enquête, Umar Lee (40 ans, chauffeur de taxi, St. Louis), lui aussi issu de milieu populaire, indique dans un ouvrage publié en ligne, The Rise and Fall of the Salafi Da’wah in America (Lee 2014), que le salafisme est le seul mouvement islamique aux États-Unis dans lequel « il ne se sentait pas comme un touriste » en tant qu’Américain blanc. C’est cette supposée absence de culture qui rend le salafisme si attrayant pour les nouveaux venus en quête de légitimité, tout en dissolvant le spectre de l’appropriation. En effet, le fondamentalisme « assume sa propre déculturation et en fait l’instrument de sa prétention à l’universalité » (Roy 2008 : 26) : il minimise les rapports de domination en laissant entendre qu’il n’y a pas de différences autres que religieuses entre les fidèles.

38Que ces processus d’exculturation s’exercent eux aussi depuis une position de domination n’est toutefois pas exclu, comme le suggère Michael Muhammad Knight dans son article (qui toutefois ne porte pas sur le fondamentalisme) et comme l’a bien documenté Esra Ozyurek dans le cas des convertis à l’islam en Allemagne, dont certains embrassent le salafisme. Selon elle :

  • 40 « Le puritanisme salafiste – c’est-à-dire une version de l’islam conversionniste, litéraliste, anti (...)

Salafi puritanism –that is, a conversionist, literalist, anticulturalist, and antihistorical version of Islam– is attractive to both converts and born Muslims who did not necessarily grow up as practicing Muslims. […] Salafism even permits them to feel superior to Muslims with immigrant backgrounds and invite them to true Islam, which is not Turkish, Arab, or Pakistani40. (Ozyurek 2015 : 130-131)

39Il s’agit alors non pas d’approprier, mais bien d’exproprier les cultures (arabe, indo-pakistanaise, maghrébine, sénégalaise, etc.) qui se seraient trop étroitement associées à la tradition islamique, pour libérer cette dernière du brouillard culturel qui l’encombre.

« L’impératif culturel » : tentatives d’inculturation et retour de l’appropriation

40L’exculturation typique des mouvements fondamentalistes n’était toutefois pas la posture la plus présente sur mon terrain de recherche, marqué davantage par la volonté de développer un islam culturellement compatible avec le contexte américain que par le souhait de voir émerger un islam totalement « déculturé ». Pour le converti américain et théologien musulman Umar Faruq Abd-Allah, la voie de l’exculturation est même néfaste. Dans son article phare « Islam and the cultural imperative » (2004), critiquant la « phobie culturelle » qui caractérise certains courants de l’islam, il explique ainsi :

  • 41 « Beaucoup dans notre communauté aujourd’hui voient la culture d’un mauvais œil, mais ne le font qu (...)

Many in our community today look askance at culture but with only the vaguest notions of what culture actually is and the fundamental role it plays in human exis­tence. For them, “culture” is a loaded word, something dangerous, inherently problematic, and “un-Islamic”. Culture, for them, is a toxic pollutant that must necessarily be purged, since Islam and culture are mutually exclusive in their minds. […] Such cultural phobia is untenable in the light of classical Islamic jurisprudence and is antithetical to more than a millennium of successful indigenous Islamic cultures and global civilization41.

41À l’inverse, ce que Faruq Abd-Allah caractérise comme « l’impératif culturel » est la nécessité de voir émerger une culture islamique américaine qu’il qualifie d’« autochtone » (indigenous) :

  • 42 « L’islam doit être autochtone – pas au sens de perdre son identité au travers d’une assimilation t (...)

Islam must be indigenous –not in the sense of losing identity through total assimilation or of being the exclusive property of the native-born– but in the word’s original sense, namely, being natural, envisioned, and born from within. We must be producers of culture, not passive consumers of it42.

  • 43 « Notre loi sacrée exige de nous que nous entreprenions cette tâche » (ma traduction).

42Cet impératif culturel revêt pour lui la dimension d’une obligation sacrée : « Our sacred law requires us to undertake the task »43. Au quotidien, le développement d’une culture islamique américaine passe par tout un ensemble de pratiques culturelles, linguistiques, culinaires, vestimentaires, etc. Sur le plan linguistique, l’accent américain dans la prononciation des termes arabes est fièrement revendiqué. Brian (23 ans, étudiant en études islamiques, Chicago), un converti américain d’origine italienne qui maîtrise parfaitement la prononciation arabe mais conserve délibérément son accent américain lorsqu’il manipule des expressions islamiques, explique ainsi :

  • 44 « Je peux faire tout le as-salaam’alaykum [prononciation parfaite selon les standards de l’arabe cl (...)

I can do the whole as-salaam’alaykum [prononciation parfaite selon les standards de l’arabe classique]. But I refuse to do that shit. For me salamalekum will always be salamalekum [prononcé avec un accent américain]. […] So I am just like blatantly disrespecting rules of pronunciation or like cultural bullshit. I don’t know… It’s like if you came into my house and I told you “we are going to have gnooocchi [prononciation italienne exagérée] today.” I would not expect you to say gnooochi! And if you said gnooochi, I would be like “get the fuck out of here!” You are not Italian, you are never going to be Italian, so why try44?

43Brian refuse explicitement d’incorporer des normes langagières issues de langues autres que l’anglais pour conserver ce qu’il estime être une authenticité dans sa pratique religieuse et rester fidèle à son américanité. Ces efforts se manifestent également dans le rapport à la gastronomie et à la question de savoir ce qui constitue la « cuisine musulmane », au-delà des gastronomies sud-asiatique, maghrébine ou levantine habituellement représentées. Sur la page Facebook de l’association The Islamic Connection, une convertie afro-américaine explique ainsi :

  • 45 « La cuisine musulmane, c’est le mac&cheese, les collard greens, les turkey sticks, les Lima beans, (...)

Muslim food is the mac & cheese, collard greens, turkey sticks, Lima beans, corn bread, BBQ, sweet potato, and bean pie that I was raised on. Muslim food is so diverse45!

  • 46 La vidéo dans laquelle Ubaydullah Evans revient sur son parcours (et ses diverses expérimentations (...)

44Notons que la bean pie, recette inventée par la Nation of Islam dans le cadre du régime alimentaire édicté par Elijah Muhammad dans son célèbre ouvrage How to Eat to Live (1967), est devenue un emblème de la culture musulmane américaine. Le domaine vestimentaire est également investi. Ubaydullah Evans, un converti afro-américain et intellectuel musulman qui donnait fréquemment des cours de religion à Chicago au moment de mon terrain, était connu parmi tous mes enquêtés pour son style vestimentaire distinctif : adepte des costumes trois-pièces, des boutons de manchettes, des vestons croisés, des chemises à col américain et des nœuds papillons, il explique dans une vidéo pour ALIM (American Learning Institute for Muslims) comment il avait, au moment de sa conversion, remisé toute sa garde-robe pour revêtir le thawb (longue robe blanche répandue dans les pays du Golfe) après sa conversion, jusqu’à ce que sa rencontre avec le converti afro-américain et théologien musulman Sherman Jackson ne le convainque qu’il était possible d’être authentiquement musulman tout en conservant ses préférences vestimentaires. Parti étudier à l’université d’Al-Azhar au Caire, il raconte fièrement qu’il fut le seul à porter un nœud papillon lors de sa cérémonie de diplomation46. Notons que les Latino-Américains, qui représentent 8 % des musulmans américains dans leur ensemble (Pew Research Center 2017) et 15 % des convertis à l’islam (Bagby 2021 : 13) ne sont pas en reste : ayant connu des conversions dès les années 1920 dans le sillage des Afro-Américains (Bowen 2013), ils ont créé des organisations dédiées comme l’Alianza Islamica (fondée en 1987), Latin American Da’wah Organization (LADO, fondée en 1997 avec le slogan « Puro Latino ! Puro Islam ! »), ou encore Islam in Spanish (fondé au début des années 2000 et qui a ouvert en 2016 à Houston le premier centre islamique hispanophone du pays), dans lequel la langue, la culture et la gastronomie latino-américaines sont à l’honneur. Ils contribuent aussi à l’inculturation de l’islam sur le sol américain (Morales 2018).

  • 47 Notes de terrain, 22 juin 2013.

45Cette entreprise d’inculturation se trouve néanmoins compliquée par le fait qu’il n’existe pas de consensus sur ce qu’est la « culture américaine » et qui en seraient les porteurs légitimes. En juin 2013, je me rendais avec plusieurs de mes enquêtés à un événement très attendu organisé à l’université de Chicago47 : il s’agissait d’une conférence intitulée « Exploring American Spiritual Authenticity » qui devait être donnée par Sherman Jackson, théologien afro-américain musulman très respecté. Ce dernier ayant été bloqué sur le tarmac de l’aéroport de Détroit, la conférence prit la forme d’une conversation entre plusieurs figures islamiques locales, dont Ubaydullah Evans et l’aumônière musulmane (université de Northwestern) et récitatrice du Coran Tahera Ahmad. Tahera Ahmad ouvrit la discussion en citant de longs extraits de l’article d’Umar Faruq-Abd-Allah sur l’impératif culturel. Ubaydullah Evans, fidèle à son humour légendaire, prit ensuite la parole en disant :

  • 48 « C’est un signe que nous allons de l’avant et que nous faisons des progrès quand les personnes inv (...)

It is a sign that we move forward and we make progress when the scholars invited to speak don’t even know what the topic means. American spiritual authenticity… I don’t even know what it means48!

46Un éclat de rire parcourut le public qui s’était réuni nombreux ce jour-là dans l’auditorium de l’université. Les panelistes développèrent ensuite leur propos en se centrant sur la notion d’« authenticité spirituelle » et en offrant plusieurs perspectives sur ce qu’une telle authenticité implique, en termes d’humilité, de don de soi, de générosité – laissant habilement de côté l’adjectif « américaine » qui était pourtant dans l’intitulé de la conférence. Ils procédèrent ainsi jusqu’à ce que la parole soit donnée à la salle et qu’Amina, la bloggeuse soudano-américaine rencontrée plus haut et aux côtés de laquelle je me trouvais assise dans l’auditorium, ne remette malicieusement le sujet sur la table en reprenant les termes de l’article d’Umar Faruq Abd-Allah : « Qu’est-ce que cela veut dire d’être un musulman américain autochtone ? » (« What does that mean to be an indigenous American Muslim ? »). Le silence se fit parmi les panelistes qui se regardèrent tour à tour en souriant, chacun attendant que l’autre prenne la parole. Finalement Ubaydullah Evans se lança et botta un peu en touche :

  • 49 « Je sais que le label autochtone est controversé. Je dirais que cela dépend de votre rapport à l’A (...)

I know the label indigenous is controversial. I would say that it depends on how you see America. Do you see America as home or do you see somewhere else as your home? But I recognize it is a problematic term49.

  • 50 Les Native Americans représentent environ 1,1 % de la population états-unienne aujourd’hui, et envi (...)

47Le discours de l’autochtonie est en effet problématique à plus d’un titre dans le contexte américain. D’une part, car la nation américaine s’est bâtie sur une colonisation de peuplement et le massacre et déplacement forcé des peuples autochtones amérindiens. De fait, les personnes que l’on pourrait caractériser comme véritablement autochtones n’étaient pas présentes dans l’auditorium ce jour-là, à l’exception de Jessica, de lignée Choctaw, et de sa cousine Lucinda, toutes deux des amérindiennes converties à l’islam50. D’autre part, ce type de discours s’accompagne souvent d’une rhétorique conservatrice anti-immigration, qui ne correspondait pas aux orientations politiques de la plupart des participants.

48Identifier le locus de l’authenticité islamique américaine est donc source de conflits. Dans leurs efforts d’autochtonisation de l’islam, les musulmans états-uniens peuvent certes s’appuyer sur le long héritage des mouvements du début du XXe siècle (Moorish Science Temple, Nation of Islam, etc.) qui ont contribué à réinventer la tradition islamique et à l’adapter au contexte américain. Pour Deepa (38 ans, assistante sociale, Chicago), une convertie américaine d’origine indienne issue d’une famille chrétienne :

  • 51 « Il n’y aurait pas d’islam américain sans l’islam afro-américain. Ils nous ont vraiment ouvert la (...)

There wouldn’t be an American Islam without African-American Islam. They really paved the way for us. They are our first teachers, they are our first models to combine that, America and Islam51.

  • 52 Notes de terrain, 8 décembre 2013.
  • 53 Les Banu Hashim étaient le clan du prophète Mohammed. Dans la tradition islamique, ils sont décrits (...)

49Pour Deepa, les musulmans afro-américains ont préparé le terrain pour le développement d’une expression distinctement américaine de l’islam. Mais ce message ne va pas de soi dans des espaces musulmans dominés par les immigrés musulmans, ou leurs descendants sur les deux générations suivantes (qui, comme nous l’avons vu, tendent à appartenir plutôt aux classes moyennes et supérieures aux États-Unis) et où l’héritage afro-américain (principalement ancré dans les classes populaires) est souvent ignoré, passé sous silence, voire méprisé. Pour le converti afro-américain et théologien musulman Sherman Jackson (2005), ce qu’il appelle « l’Islam immigré » (Immigrant Islam) a longtemps fonctionné comme « un faux universel » imposant aux musulmans américains un ensemble de normes culturelles particulières (sud-asiatiques, levantines, maghrébines), faussement érigées comme universellement islamiques. La position de classe relativement aisée des immigrés musulmans aux États-Unis a selon lui facilité cette assertion, et a contribué à reléguer dans l’ombre « l’Islam afro-américain » (African-American Islam), souffrant d’une réputation d’hétérodoxie et associé aux marges, à l’expérience de la prison et à celle des centres-villes (inner cities) défavorisés. La nécessaire revisite de la centralité de l’expérience afro-américaine pour le développement d’une culture musulmane américaine dite « autochtone » (indigenous) est fermement défendue par Sherman Jackson. Lors d’une conférence donnée à la mosquée Masjid al Faatir52 dans le South Side de Chicago (une mosquée principalement afro-américaine, construite en 1983 sur un lot de terre offert par le boxeur Muhammad Ali) et qui était d’ailleurs animée par Umar Faruq Abd-Allah lui-même, Sherman Jackson a dit des Afro-Américains qu’ils étaient les « Banu Hashim53 de l’Amérique », soit une communauté locale qui a accepté l’islam comme faisant partie d’eux, même s’ils ne s’y sont pas tous convertis. Il s’est à ce titre inquiété pour les musulmans d’Europe qui ne bénéficient pas selon lui d’un tel ancrage « autochtone » :

  • 54 « Regardez les musulmans en Europe. Franchement, je ne sais pas comment ils vont faire là-bas. Car (...)

Look at the Muslims in Europe. Frankly, I don’t know what they are going to do there. Because they have no indigenous Muslim community. America is unique in that regard. It is the only country which has a home-grown Muslim community54.

50Le discours sur la nécessité de promouvoir un islam authentiquement américain circule dans différents espaces, est promu depuis des positions différentes dans la stratification raciale américaine et puise dans des héritages historiques multiples. Comme le rappelle Umar Faruq-Abdallah dans son article :

  • 55 « Il ne peut pas y avoir de taille unique qui convienne à tous. […] Mais pour inclure tout le monde (...)

One size does not fit all. […] But to embrace all and foster a true sense of continuity and community among us, our culture must address Islam’s transcendent and universal values, while constructing a broad national matrix that fits all like a master key, despite ethnic, class, and social background. […] In drawing upon the fertile resources of the American cultural legacy, we must pay special heed to the rich and often neglected heritage of Native Americans and Hispanics as well as Anglo- and African-Americans55.

51Dans son énumération, il invite à redécouvrir l’héritage trop souvent méprisé des Amérindiens, des Latino-Américains, des Anglo-Américains et des Afro-Américains, pour promouvoir une vision alternative à l’islam des communautés immigrées d’Asie du Sud ou du Moyen-Orient, trop souvent placé au centre des récits sur l’islam aux États-Unis.

52Cette stratégie de décentrement, censée permettre l’invention d’une grammaire musulmane viable dans le contexte américain, implique une démarcation avec ce qui n’est pas conçu comme « autochtone » : c’est alors l’héritage des populations musulmanes immigrées venues d’Asie du Sud ou du Moyen-Orient qui se trouve relégué comme moins pertinent. Dans la banlieue de Chicago, pas très loin de mon terrain de recherche, une fondation créée en 2004 et intitulée la Mohammed Webb Foundation56, en hommage à Alexander Russell Webb, met en œuvre le programme de « synthèse positive de culture américaine et d’identité musulmane » voulu par Faruq Abd-Allah : d’ailleurs, ses membres fondateurs ont tous étudié auprès de lui (Howe 2018 : 36-37). L’anthropologue Justine Howe, qui a réalisé une ethnographie au sein de la Webb Foundation, décrit bien les ambivalences qui ne manquent pas de caractériser le projet de l’impératif culturel : c’est bien le nom d’un converti américain blanc historique qui a été retenu afin de promouvoir l’image d’un islam rassurant et culturellement adapté au contexte américain, dans le cadre de cette fondation implantée dans des banlieues principalement blanches et aisées. Ses membres, qui sont pour moitié des immigrés d’Asie du Sud de première ou deuxième génération, pour un quart des convertis blancs et pour un quart des Arabes-Américains (Howe 2018 : 3) entretiennent un rapport ambivalent à la « culture » :

  • 57 « A Webb, la culture est à la fois le problème et la solution. […] La rhétorique inclusive de la “c (...)

At Webb, culture is at once the problem and the solution. […] The inclusive rhetoric of “American culture” at Webb is itself laden with appeals to American superiority57. (Howe 2018 : 56-57)

53Alors que la culture des immigrés musulmans est rejetée comme inauthentique religieusement et inadaptée culturellement au contexte américain, la culture américaine, vaguement définie, est érigée comme condition de la liberté. La solution culturelle au problème de l’authenticité islamique en contexte américain soulève donc d’autres problèmes, à savoir qu’il existe des visions concurrentes de l’authenticité culturelle et religieuse qui recoupent des rapports de race et de classe inégalitaires. Les tentatives de réinvention d’un islam culturellement américain présentées plus haut revisitent et puisent dans l’héritage afro-américain, mais souvent en le débarrassant de ses éléments les plus radicaux. Du Moorish Science Temple ou de la Nation of Islam, on retient les pratiques citoyennes, vestimentaires, artistiques ou culinaires, davantage que la théologie de subversion de l’ordre racial établi. Dans des effets de boucle dont seule l’histoire a le secret, l’islam afro-américain lui-même fruit d’un travail de réappropriation de la tradition islamique fait aujourd’hui l’objet d’appropriations sélectives dans le cadre de desseins autres que ceux pour lesquels il a initialement été conçu : la promotion d’un islam « confortable » culturellement pour les Américains musulmans de tous horizons. Cette promotion a lieu dans un contexte de forte islamophobie dans lequel les musulmans américains sont sommés de démontrer leur allégeance à la nation et à la culture américaine, et où tout discours jugé radical ou subversif fait l’objet de surveillance (Curtis 2013, Kamali 2017).

54L’appropriation de l’héritage culturel et religieux afro-américain suscite à son tour des dissensions. Mia, une éducatrice de 37 ans, d’origine portoricaine, issue d’une famille de milieu populaire et ayant embrassé l’islam au travers d’amis afro-américains de son quartier (certains appartenant à la Nation of Islam, d’autres étant sunnites) puis au fur et à mesure de son insertion dans le milieu local du hip-hop, évoque en entretien des interactions heurtées avec des musulmanes qu’elle décrit comme de classe moyenne et supérieure, descendantes d’immigrés d’Asie du Sud et habitant les banlieues aisées. Un jour, alors qu’elle raccompagne l’une d’elles dans sa voiture suite à un événement artistique islamique à Chicago, elle passe l’album The Miseducation of Lauryn Hill (1998). Bien que non-musulmane, l’artiste de hip-hop Lauryn Hill puise dans l’héritage de l’islam afro-américain, et certaines de ses paroles contiennent des références islamiques (« I make salah like a Sunni » dans le titre « The Final Hour » ; « Don’t forget about the deen, sirat-al-mustaqeem » dans le titre « Doo Wop », etc.). L’album, pour quiconque l’écoute en entier, est structuré autour de saynètes, au début de chaque chanson, dans lesquelles on entend une classe d’adolescents discuter de choses diverses (l’amour, etc.). Toutefois, dans les chansons diffusées à la radio, ces saynètes n’apparaissent pas. Mia raconte que sa coreligionnaire desi s’extasia lorsqu’elle entendit le CD de Lauryn Hill mais ne parut pas reconnaître les saynètes, trahissant ainsi, aux yeux de Mia, l’inauthenticité de sa consommation musicale.

  • 58 « Ces filles musulmanes, elles parlent un peu comme moi tu vois, et elles arrêtent pas de citer ces (...)

These Muslim girls, they kind of talk like me, and they are quoting these hip-hop songs that I literally listened to my whole life… You know, like, it was just weird! […] And I remember giving a ride one time in my car, and I had Lauryn Hill… Are you familiar with the CD, The Miseducation of Lauryn Hill? So there is the songs, but she has these little skits in-between the songs. So anybody could know the song, it is always played on the radio. But I was playing the CD and I remember one of the girls being like “what is this? I never heard… these little comments in the middle! What are they doing?” And I was like “It is the whole story! They are at school and they are asking these kids these questions!” And I remember being offended, like “How can you talk about how cool this song is and you got no idea what was going on!” It does not seem authentic to me. It is authentic to them, because in their home, they are the only person who probably listen to American music, right? But it is not authentic to me58.

55Dans cet échange ordinaire, dans l’habitacle d’une voiture, les détails de la composition d’un album musical n’en sont pas : ils servent à définir les contours de l’appartenance authentique à une culture américaine islamique qui, pour Mia, est arrimée à une expérience des quartiers défavorisés, à une immersion dans le monde du hip-hop et à une connaissance intime de l’héritage islamique afro-américain, lequel, selon elle, n’est souvent invoqué que de façon cosmétique par certains musulmans.

Conclusion

56Dans son article « What is Universal and Local in Islam ? », l’anthropologue John Bowen (1998) montre que les musulmans sont tiraillés entre des « luttes pour définir les qualités universelles du “religieux” et des tentatives de développer des identités distinctes au regard de ces qualités universelles ». La culture occupe une place centrale dans ces luttes et fait l’objet d’investissements divers, qu’il s’agisse d’acculturer, d’exculturer, ou d’inculturer, le religieux. Le présent article a montré que les entreprises de jonction et de disjonction de l’islam et de la « culture » en contexte américain sont différemment reçues en fonction des positions sociales occupées par celles et ceux qui les promeuvent. Se convertir à l’islam, proposer de le réformer, l’adapter au contexte américain, réinventer son héritage sont des activités qui prennent corps dans l’entrelacement de rapports de pouvoir qui traversent la société américaine, et qui ne revêtent pas les mêmes significations selon que l’on est catégorisé comme blanc, noir, hispanique, arabe ou pakistanais, et selon que l’on appartient aux classes populaires ou aux classes supérieures. Le spectre de l’appropriation, ainsi que celui de l’expropriation, plane sur ces tentatives et soulève en creux la question de la propriété de la tradition islamique : qui a le droit de prendre, de remodeler, de culturaliser ou de déculturer l’islam ? Dans leurs réponses contrastées à ces questions, les musulmans américains émergent avant tout comme une communauté de débat.

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Notes

1 Le matériau sur lequel repose cet article provient de mon travail de thèse sur les conversions à l’islam en France et aux États-Unis (Galonnier 2017). Cet article se concentre sur le volet américain de l’enquête, contexte dans lequel les discussions autour des questions d’appropriation culturelle étaient les plus vives et les plus nombreuses. Quarante personnes converties à l’islam, hommes et femmes, de diverses générations et horizons sociaux, ont été interviewées dans plusieurs grandes villes du Midwest américain : Chicago (26), Saint-Louis (6) et Détroit (8). Des observations ethnographiques ont également été menées dans des associations de convertis, comme The Islamic Connection fondée en 2005, et dans divers cours à destination des nouveaux musulmans à Chicago, de janvier 2013 à mai 2014.

2 Pour davantage de détails sur cette association, voir Galonnier (2021).

3 Les conférences « Reviving the Islamic Spirit » (RIS) auxquelles Hamza Yusuf participe fréquemment sont de larges conventions musulmanes organisées chaque année en Amérique du Nord depuis 2001.

4 « Quand un blanc endosse le costume des basanés et parle de “raviver l’esprit islamique”, il est grand temps de prendre ses jambes à son cou » (ma traduction).

5 Facebook, 15 mars 2013, les prénoms ont tous été modifiés.

6 « Il pense que certains convertis blancs essaient d’exclure les traditions culturelles des musulmans (de couleur) de la pratique de l’islam car ils croient que l’islam devrait être une religion intellectuelle, et il pense que cela est raciste. Je ne suis pas du tout d’accord avec son analyse » (ma traduction).

7 « En quoi est-ce que c’est raciste ? J’ai l’impression d’avoir encore du mal à faire la part des choses entre ce qui est culturel et ce qui est réel. Arg, il me tape sur les nerfs ! » (ma traduction).

8 « Quelqu’un comme Sheikh Hamza n’a pas étudié tout seul dans une bibliothèque, mais il est allé s’instruire auprès de sheikhs en Mauritanie, dont il parle avec le plus grand respect » (ma traduction).

9 « Je pense que de façon générale il y a un problème avec cette arrogance subtile que l’on retrouve dans notre culture américaine. […] Ça me dérange aussi de voir beaucoup de zaytunites utiliser le mot “sidi” entre eux, lol, c’est un titre nord-africain normalement ! » (ma traduction).

10 « Peut-être que le problème n’est pas tant dû aux convertis blancs eux-mêmes qu’aux autres musulmans, qui ont tellement intériorisé l’idée que le point de vue de l’homme blanc est “la norme” qu’ils glorifient les convertis blancs masculins et leur compréhension particulière de l’islam. Combien de musulmans nés et élevés en Amérique du Nord se moquent des accents, du “bagage” culturel de la génération plus âgée issue de pays musulmans (et à la peau plus foncée) ? J’ai baigné dans ce type de remarques en grandissant et, j’ai honte de le dire, m’en suis aussi rendue coupable à certains moments. Qu’Allah nous pardonne pour cette arrogance et ce manque de respect » (ma traduction).

11 « On dirait qu’il nous refait le coup du “démon blanc”. Sans vouloir être impoli, je ne pense pas que Mr. Knight puisse se permettre de donner des leçons sur ce sujet et son attaque sous la ceinture envers Shaykh Hamza en dit long sur lui » (ma traduction).

12 « Mec, pourquoi cette balance parle mal comme ça ? le gars a perdu la tête » (ma traduction).

13 « Hamza Yusuf est un converti blanc. Cela contribue à son image de marque car son islam classique traditionnel peut être présenté comme une tradition entièrement textuelle, débarrassée de toute imperfection culturelle, et de portée universelle. Moi aussi je suis un converti blanc. Et le privilège blanc contribue aussi à mon image de marque car il est plus facile de faire commerce d’expressions suprématistes noires de l’islam quand on a la peau blanche » (ma traduction).

14 « Trouver le bon équilibre entre appartenance religieuse et culture américaine et produire une identité à la fois véritablement américaine et vraiment islamique » (ma traduction).

15 « Nous devons engendrer une culture musulmane américaine qui nous ouvre la liberté d’être nous-mêmes » (ma traduction).

16 « Le fait d’adopter des pratiques religieuses sans se soumettre aux doctrines religieuses, aux normes éthiques, aux systèmes d’autorité ou aux institutions de la religion en question, d’une manière qui exacerbe les injustices structurelles existantes » (ma traduction).

17 « Le terme est une accusation, une condamnation, l’expression d’un outrage moral. Une fois qu’il est employé, la conversation est suspendue, et chaque partie s’enferme dans sa position. Cette polarisation présuppose que les implications éthiques des emprunts culturels sont claires et nettes, ce qu’elles sont rarement » (ma traduction).

18 Ainsi, selon une enquête du Pew Research Center, 15 % des musulmans nés à l’étranger ont un diplôme d’études supérieures contre seulement 5 % des musulmans nés aux États-Unis (ce taux étant de 11 % dans la population américaine générale). De même, 29 % des musulmans nés à l’étranger ont un revenu de ménage annuel de 100 000 $ ou plus, contre seulement 18 % des musulmans nés sur le sol américain (ce taux étant de 23 % dans la population générale). Respectivement 37 % et 45 % des musulmans nés à l’étranger et des musulmans nés aux États-Unis ont un revenu annuel inférieur à 30 000 $ (ce taux étant de 32 % dans la population totale). Le portrait socioéconomique qui se dégage est donc celui d’une communauté fortement polarisée en termes de niveau d’éducation et de revenu (Pew Research Center 2017), la portion immigrée de la communauté musulmane concentrant davantage de capitaux.

19 Historiquement, des figures comme Malcolm X ou Muhammad Ali ont incarné l’islam américain à l’échelle internationale. Dans la période récente, plusieurs personnalités musulmanes américaines sont listées chaque année dans le palmarès des 500 musulmans les plus influents au monde, édité par le Royal Islamic Strategic Studies Centre à Amman [https://themuslim500.com/]. Sheikh Hamza Yusuf s’y trouve toujours en bonne position (dans le top 50). Cette influence est d’autant plus notable lorsqu’on la rapporte à la faible taille de la population musulmane américaine (1,1 % de la population totale).

20 John Kelly, « In June 1923, Washington was transformed into the Middle East », The Washington Post, 25 février 2023, URL : https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2023/02/25/shriners-convention-dc/.

21 « Au nom de l’existence d’Allah et du credo de Mohammed, au nom de la sainteté légendaire du Tabernacle de la Mecque, nous vous saluons » (ma traduction).

22 https://www.shrinersinternational.org/en.

23 Chicago Tribune, « Harrassed, insulted, Shriners pay price for Islam imagery », 21 octobre 2002, URL : https://www.chicagotribune.com/news/ct-xpm-2002-10-21-0210210200-story.html.

24 John Lee, « Shriners march to a different tune », Maisonneuve, 18 novembre 2002, URL : https://maisonneuve.org/article/2002/11/18/shriners-march-different-tune/.

25 Ryan White, « Canmore Canada Day parade turns away unregistered Shriners, band deemed “culturally appropriative” », Global News, 5 juillet 2023, URL : https://globalnews.ca/news/9813416/canmore-canada-day-parade-shriners-denied/.

26 « relevait de l’appropriation culturelle et ne correspondait pas aux valeurs et aux principes de notre communauté » (ma traduction).

27 « Le fait que les fondateurs et les leaders des branches newyorkaise et nationale des Shriners aient aussi compté parmi les premiers membres du mouvement très sérieux de Webb jette le doute sur la persistance des chercheurs à caractériser les Shriners comme un groupe qui ne prendrait la culture arabe et islamique qu’à la rigolade » (ma traduction).

28 « D’une certaine façon, il y avait cette tendance très immature, bourgeoise et occidentale qui m’avait conduit à exotiser l’islam » (ma traduction).

29 « une épice, un assaisonnement pouvant relever le plat insipide qu’est la culture blanche mainstream » (ma traduction).

30 « Elle a réagi très bizarrement. Comme si c’était “leur” religion et qu’elle ne comprenait pas que les gens se convertissent » (ma traduction).

31 « Je peux affirmer en connaissance de cause que chaque musulman blanc en Amérique est au moins un peu off » (ma traduction).

32 « Me voilà, un homme blanc consommant l’islam. En embrassant ce que j’aime, il est possible que je l’empoisonne du même coup » (ma traduction).

33 Voir par exemple US Supreme Court, Arrêt Ancient Egyptian Arabic Order of Nobles of the Mystic Shrine et al. v. Michaux et al., 3 juin 1929, URL : https://www.law.cornell.edu/supremecourt/text/279/737.

34 « Alors que les Shriners blancs utilisaient ces symboles sur le mode de l’ironie, les participants noirs à ce type de loges, de parades et d’appropriations orientales le faisaient sur un registre qui n’était ni badin ni neutre politiquement. […] Les turbans, les croissants, les étoiles, les habits exotiques revêtus par les membres du MSTA […] étaient bien plus qu’un effet de mode ou une performance exotique ; ils symbolisaient la récupération divine et historique d’un savoir perdu dans le bouleversement tragique de l’esclavage américain, qui avait arraché l’islam aux esclaves africains » (ma traduction).

35 Ainsi en 1994, lors de l’organisation par la Nation of Islam de son premier International Savior’s Day à Accra, au Ghana, le secrétaire général du Supreme Council for Islamic Affairs ghanéen critique le mouvement pour sa dimension hérétique et déclare « tout message supplémentaire arrivant après le prophète Mohammed est impropre et doit être rejeté » (cité dans Allen 1994 : 22, ma traduction).

36 Dans une enquête d’opinion récente, plus de la moitié des Afro-Américains interrogés considèrent que les organisations noires musulmanes telles que Nation of Islam ont œuvré en faveur de l’égalité pour les Noirs aux États-Unis (Pew Research Center 2021).

37 « Personnellement, ça me dégoûte. […] Pourquoi chercher à être quelqu’un d’autre que toi-même ? Un jour tu es James Collar, le jour suivant, tu vois ce que je veux dire, tu changes ton nom en Abdul Rasheed. Et à partir de là, tu rejoins une communauté d’indo-pakistanais. Maintenant, tu te mets à parler avec un accent, tu te comportes comme si tu venais d’Asie du Sud. Mais genre “frère ! Tu viens de Dexter ! T’étais à l’école du quartier. T’étais au lycée Cooley. Toi et ta famille vous êtes pas d’Asie du Sud. Tu sors ça d’où ?” Avant ton maître était une figure divine aux traits européens. Maintenant tu penses que Dieu est arabe. Maintenant tu penses que Dieu est sud-asiatique » (ma traduction).

38 « Je ne me souviens même plus de comment je parlais avant de devenir musulman. Tous les gens que je rencontre pour la première fois me disent que j’ai un accent maintenant » (ma traduction).

39 « J’ai l’impression d’avoir encore du mal à faire la part des choses entre ce qui est culturel et ce qui est réel » (ma traduction).

40 « Le puritanisme salafiste – c’est-à-dire une version de l’islam conversionniste, litéraliste, anticulturelle et anhistorique – est attrayant à la fois pour les convertis et les musulmans qui n’ont pas nécessairement été élevés dans des familles musulmanes pratiquantes. […] Le salafisme leur permet même de se sentir supérieurs aux musulmans d’origine immigrée et de les inviter à pratiquer le vrai islam, qui n’est pas turc, arabe, ou pakistanais » (ma traduction).

41 « Beaucoup dans notre communauté aujourd’hui voient la culture d’un mauvais œil, mais ne le font qu’à partir d’une vision très vague de ce qu’est vraiment la culture et du rôle fondamental qu’elle joue dans l’existence humaine. Pour eux, “culture” est un mot chargé, quelque chose de dangereux, intrinsèquement problématique, et “non-islamique”. La culture, pour eux, est un polluant toxique qu’il faut nécessairement purger, puisque dans leurs esprits l’islam et la culture sont incompatibles. […] Une telle phobie culturelle est intenable au regard de la jurisprudence islamique classique et contradictoire avec l’existence, depuis plus d’un millénaire, de cultures islamiques autochtones et d’une civilisation islamique globale » (ma traduction).

42 « L’islam doit être autochtone – pas au sens de perdre son identité au travers d’une assimilation totale, ni de devenir la propriété exclusive des natifs – mais au sens original du terme, à savoir, être naturel, être conçu, né depuis l’intérieur. Nous devons être des producteurs de culture, et non de simples consommateurs passifs de celle-ci » (ma traduction).

43 « Notre loi sacrée exige de nous que nous entreprenions cette tâche » (ma traduction).

44 « Je peux faire tout le as-salaam’alaykum [prononciation parfaite selon les standards de l’arabe classique]. Mais je refuse de faire ces conneries. Pour moi, salamalekum sera toujours salamalekum [prononcé avec un accent américain]. […] Donc je méprise ouvertement les règles de prononciation, ou toutes ces conneries culturelles. Je sais pas moi… c’est comme si tu venais chez moi et je te disais “on va manger des gnooocchi [prononciation italienne exagérée] aujourd’hui.” Je n’attends pas de toi que tu dises aussi gnooochi ! Et si tu disais gnooochi, je te dirais : “dégage de là !” Tu n’es pas italienne et tu ne le seras jamais, donc pourquoi faire semblant ? » (ma traduction).

45 « La cuisine musulmane, c’est le mac&cheese, les collard greens, les turkey sticks, les Lima beans, le corn bread, le BBQ, les sweet potatoes, et la bean pie avec lesquels j’ai été élevée. La cuisine musulmane est tellement variée ! » (ma traduction). Facebook, juin 2015.

46 La vidéo dans laquelle Ubaydullah Evans revient sur son parcours (et ses diverses expérimentations vestimentaires) est disponible sur le site d’ALIM : https://www.youtube.com/watch?v=8Hnii7AFUY4&t=147s, 8 avril 2013.

47 Notes de terrain, 22 juin 2013.

48 « C’est un signe que nous allons de l’avant et que nous faisons des progrès quand les personnes invitées à parler ne savent même pas ce que l’intitulé veut dire. L’authenticité spirituelle américaine… je ne sais même pas ce que ça veut dire ! » (ma traduction).

49 « Je sais que le label autochtone est controversé. Je dirais que cela dépend de votre rapport à l’Amérique. Est-ce que vous voyez l’Amérique comme votre chez-vous ou est-ce que vous considérez que votre chez-vous est ailleurs ? Mais je reconnais que c’est un terme problématique » (ma traduction).

50 Les Native Americans représentent environ 1,1 % de la population états-unienne aujourd’hui, et environ 2 % de la minorité musulmane américaine. Sur mon terrain, ils étaient souvent invisibilisés dans les discussions autour de l’authenticité islamique (voir cependant ISPU 2022).

51 « Il n’y aurait pas d’islam américain sans l’islam afro-américain. Ils nous ont vraiment ouvert la voie. Ils sont nos premiers enseignants, nos premiers modèles pour combiner cela, l’Amérique et l’islam » (ma traduction).

52 Notes de terrain, 8 décembre 2013.

53 Les Banu Hashim étaient le clan du prophète Mohammed. Dans la tradition islamique, ils sont décrits comme l’ayant toujours soutenu, même s’ils n’ont pas tous souscrit à son message religieux.

54 « Regardez les musulmans en Europe. Franchement, je ne sais pas comment ils vont faire là-bas. Car ils n’ont pas de communauté musulmane autochtone. L’Amérique est unique sur ce point. C’est le seul pays qui a une communauté musulmane endogène » (ma traduction).

55 « Il ne peut pas y avoir de taille unique qui convienne à tous. […] Mais pour inclure tout le monde et favoriser un vrai sentiment de continuité et de communauté parmi nous, notre culture doit promouvoir les valeurs transcendantales et universelles de l’islam, tout en construisant une matrice nationale suffisamment large, telle une clé passe-partout, dans laquelle chacun puisse se reconnaître, en dépit des origines ethniques, de classe et sociales. […] En nous appuyant sur les ressources fertiles de l’héritage culturel américain, nous devons porter une attention particulière au patrimoine riche et souvent négligé des Amérindiens, des Hispaniques, ainsi que des Anglo- et des Afro-Américains » (ma traduction).

56 https://www.webbfound.org/.

57 « A Webb, la culture est à la fois le problème et la solution. […] La rhétorique inclusive de la “culture américaine” est elle-même chargée d’appels à la supériorité américaine » (ma traduction).

58 « Ces filles musulmanes, elles parlent un peu comme moi tu vois, et elles arrêtent pas de citer ces titres de hip-hop que j’ai écoutés toute ma vie… Tu vois, genre, c’est juste bizarre ! […] Et je me souviens une fois en avoir ramené une dans ma voiture. Et j’avais mis Lauryn Hill… Tu connais le CD, The Miseducation of Lauryn Hill ? Donc il y a les chansons, mais elle a aussi ses petites saynètes entre les chansons. Tout le monde connait la chanson, elle passe tout le temps à la radio. Mais j’ai mis le CD et je me souviens la fille était là “qu’est-ce que c’est que ça ? J’ai jamais entendu… ces petits commentaires au milieu ! Qu’est-ce qu’ils font ?” Et j’étais là “Mais c’est tout l’intérêt du truc ! Ils sont dans une école et ils posent des questions à ces enfants !” Et je me souviens avoir été offusquée, genre “Comment peux-tu dire à quel point cette chanson est cool alors que tu n’as aucune idée de ce qui se passe !” Ça ne me parait pas authentique. C’est authentique pour elles, car chez elles, elles sont probablement les seules à écouter de la musique américaine, tu vois. Mais c’est pas authentique pour moi » (ma traduction).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Juliette Galonnier, « À qui appartient l’islam ? Prisme de l’authenticité et spectre de l’appropriation parmi les musulmans américains »Appartenances & Altérités [En ligne], 4 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/alterites/983 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/alterites.983

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Auteur

Juliette Galonnier

Assistant Professor
CERI/Sciences Po

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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