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Résumé

Les gwoup-a-po et mouvman kiltirel guadeloupéens ne sont plus ni les gwoup-a-mas marginaux qui circulaient pendant la période carnavalesque pour récolter quelque monnaie dans la première moitié du XXe siècle, ni les ouvriers agricoles qui pratiquaient le gwoka en secret dans les habitations, à l’écart de la culture acceptable. Aujourd’hui, ils continuent de mettre en avant aussi bien le particularisme culturel de la Guadeloupe que l’apport fondamental à cette culture des populations marginalisées dans le rapport de domination socio-historique, mais sont entrés depuis les années 1990 dans une certaine dynamique d’institutionnalisation qui accompagne alors la fabrication de ces objets paradoxaux que sont la « culture » et la « tradition ». En parallèle, le discours politique s’est quelque peu effacé au profit de l’élaboration complexe d’une forme de spiritualité. C’est sur la base de cette évolution que des formes de patrimonialisation voient progressivement le jour, y compris en France hexagonale. Cette étude de cas ouvre des interrogations sur les liens entre la notion de patrimonialisation, celle, critique, d’appropriation culturelle et le terme emic de « réappropriation ».

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Environ la moitié des entretiens a été menée majoritairement en créole, l’autre moitié majoritairem (...)

1Premier janvier. Entièrement vêtues de blanc, quelques dizaines de personnes marchent d’un pas soutenu, baignées dans un nuage d’encens et dans le rythme lancinant des tambours, vers le port de plaisance de Bas-du-Fort en Guadeloupe. Plusieurs porteurs tiennent sur leurs épaules des nasses en bambous contenant des fruits, des légumes-racines et plusieurs sortes de fleurs. Ces victuailles sont ensuite déposées dans l’eau de mer, en offrande à « Manman Dlo » (« Mère-Eau »). Avatar particulièrement récent du phénomène de réinvention observable sur tout le continent américain concernant les cultes à des divinités marines comme Yemaya à Cuba ou Iemanja au Brésil (voir par exemple Juarez Huet dans Torre 2012), ce rituel d’offrandes à la mer n’existait pas sous cette forme en Guadeloupe jusque dans les années 2010. Pourtant, ceux qui le pratiquent affirment souvent « se le réapproprier ». De ce fait, sur lui porte fréquemment un soupçon d’invention qui fait écho au concept etic de « tradition inventée » (Hobsbawm et Ranger 1983). Ainsi, comme les autres membres des groupes qui n’ont pas adopté cette pratique, l’un de mes interlocuteurs la critique en ces termes : « Il y a des groupes de Pointe-à-Pitre qui ont inventé, heu… le “bendémaré”, et ils disent que c’est une tradition guadeloupéenne. […] Faut pas qu’on invente des trucs » (discussion lors d’une réunion du groupe Voukoum, février 2020, ma traduction)1. Le bendémaré, traditionnellement, est en effet un certain type de bain prescrit par le kenbwazé ou sorcier pour libérer le patient d’un sort qui l’a « amarré » mais n’a aucun lien avec le carnaval et encore moins avec une divinité marine. La construction en 2015 à Pointe-à-Pitre du Memorial ACTe, musée qui fait une place importante aux images des rites caribéens – par exemple avec un ensemble de photographies par D. Damoison de la cérémonie du Saut-d’eau en Haïti (1983) – a peut-être contribué à inspirer cette réinvention rituelle.

  • 2 Si le terme « mas » correspond d’abord aux tenues, il est également utilisé pour désigner la pratiq (...)

2Mais ce type de réinventions ne commencent pas dans les années 2010. En effet, les personnes qui pratiquent cette nouvelle forme de « bendémaré » le font dans le cadre des activités de certains « gwoup-a-po » (groupes à peaux), aussi appelés « mouvman kiltirel » (mouvements culturels). Il s’agit de groupes qui se sont formés au moment de la restructuration du carnaval guadeloupéen dans les années 1970 et partagent l’ambition de redynamiser des pratiques populaires en voie de disparition, le premier groupe étant Akiyo à Pointe-à-Pitre. Cette forme de résistance culturelle prend explicitement un tournant dit « spirituel » à la fin des années 1980 avec le groupe Voukoum en Basse-Terre qui met en place une ritualisation plus approfondie de la pratique désormais appelée « Mas »2, conduisant à l’identification progressive d’une sphère sacrée au sein du carnaval profane. Le rituel décrit plus haut, pratiqué par certains groupes en ouverture de la saison carnavalesque à Pointe-à-Pitre, comme Nasyon-a-Nèg-Mawon ou Klé-La, représente une forme de continuité de ce tournant spirituel qui s’est étendu à la Grande-Terre au cours des années 2000. Or, en ce qui concerne le bendémaré tout comme d’autres rituels pratiqués par les gwoup-a-po dans le cadre du Mas, l’évolution du carnaval guadeloupéen est souvent présentée par ses acteurs comme le résultat d’un processus de « réappropriation » : « C’est une question de réappropriation, de retrouver sa ké nou té ni, rétrouvé sa ké nou té pèd la » [retrouver ce que nous avions, retrouver ce que nous avons perdu] (entretien avec Amédée Labigny, premier président du groupe Voukoum, juin 2020, ma traduction). Les tenues appelées « mas » (du français « masque »), les rythmes et les instruments, mais aussi divers artefacts et comportements rituels, sont ainsi décrits comme étant « retrouvés ». Mais à quelle forme d’état antérieur s’agirait-il de revenir ou quelle action passée s’agirait-il de réitérer ? Et en réaction à quelle force opposée se réaliserait ce processus ?

  • 3 « Selon cette critique [du LKP], véritable démounaj (néologisme fabriqué partir du substantif moun, (...)

3Une première hypothèse serait celle d’une réaction à une appropriation illégitime, une usurpation. En effet, si les acteurs des gwoup-a-po intègrent aujourd’hui dans leurs discours une rhétorique de la créolisation, du mélange et du métissage, en revanche il peut arriver à certains acteurs de critiquer une certaine forme d’« appropriation sociale » de pratiques qui sont, comme le gwoka, d’abord associées au milieu des ouvriers agricoles puis appropriées ensuite par toutes les couches sociales de l’île, contribuant alors à transformer cette pratique en la patrimonialisant sous une forme plus ou moins figée (Gordien 2018, Camal 2019). Il faut ainsi ajouter une hypothèse complémentaire selon laquelle ce processus de réappropriation culturelle se ferait en résistance à une forme d’aliénation. Les acteurs tendent à utiliser principalement à ce propos le terme « assimilation ». Ils font alors référence à une situation que l’on peut décrire, au-delà des spécificités d’une stratégie post-coloniale orientée vers la transformation des sujets coloniaux en citoyens, à travers le prisme de la politique de la centralisation française. Toutefois, pour mettre en évidence la perspective critique adoptée sur mon terrain à propos de cette intégration culturelle, on peut également utiliser le terme d’aliénation, utilisé par mes interlocuteurs et notamment mobilisé dans le programme de création du groupe Voukoum en 1988 (archives transmises par Maurice Lurel, ancien président du groupe). Ce terme se réfère plus explicitement aux écrits de Frantz Fanon (1952), à travers l’axe d’une pathologie consistant pour l’opprimé à intérioriser un sentiment d’infériorité dont une conséquence est le désir de ressembler à l’oppresseur. L’expression créole qui popularise cette notion sur mon terrain est celle de « démounaj » que l’on pourrait aussi bien traduire par « perte d’identité » que par « dépersonification »3.

4Il semble que les acteurs envisagent donc la notion de réappropriation en rapport à la menace de destruction d’une culture populaire qu’il s’agirait de conserver et de dynamiser à partir de bribes de mémoire collective. Mais paradoxalement, pour la « recréer », la « retrouver », la « revaloriser » ou la « réinventer », ces derniers mobilisent différentes formes d’emprunts à des pratiques observées ailleurs, notamment en Afrique de l’ouest et dans d’autres territoires du bassin caribéen. Ils partent en effet d’un principe selon lequel ces différents territoires auraient conservé une mémoire plus vive d’une origine culturelle commune. Par exemple, le bendémaré est ainsi réinventé à l’aune d’un mélange de références locales, comme la sirène Manman Dlo, et globales, à travers un ensemble de références à la « religion transnationale des orishas » (Argyriadis et Capone 2011). Par exemple, à la faveur d’un glissement sémantique, le bendémaré ne représente plus la libération d’un sort qui attache mais le fait de « démarrer » l’année, sur le modèle de pratiques contemporaines ayant lieu le 1er janvier par exemple dans certaines régions du Brésil, dont les participants vêtus de blanc réalisent des offrandes à Iemanja, déesse de la mer.

  • 4 Les données mobilisées pour répondre à cette question sont issues d’une enquête de terrain menée en (...)

5Pourtant, les groupes ne se représentent pas leurs pratiques comme résultant d’un emprunt, encore moins comme relevant d’une appropriation – qui supposerait en plus, selon l’usage contemporain du terme, un contexte de relation asymétrique –, mais bien d’une « réappropriation », c’est-à-dire répondant à la préoccupation de retrouver des pratiques oubliées grâce à l’inspiration des territoires voisins moins « assimilés », donc moins aliénés. Au croisement de ces différentes hypothèses, que signifie la notion de réappropriation culturelle dans les discours des gwoup-a-po et en quoi croise-t-elle les concepts d’emprunt, d’appropriation et de créolisation ?4

6Dans ce texte, je présenterai certaines de mes données selon les axes suivants : d’une part, je m’interrogerai sur la façon dont la notion émique de réappropriation pourrait s’apparenter à une réévaluation de certaines pratiques populaires comme stratégies de résistance à l’aliénation ; d’autre part, je me demanderai dans quelle mesure cette réappropriation passe alors par des processus de (ré)invention à partir d’emprunts à d’autres territoires. Comme on l’aperçoit, « l’appropriation apparaît aux deux bouts de la chaîne de créativité » (Martin 2014), ici à la fois comme cause et comme instrument de l’innovation rituelle.

De l’appropriation culturelle à la réappropriation

Sauvegarder des pratiques populaires

7Le premier gwoup-a-po, Akiyo, est créé à la fin des années 1970 dans un contexte d’institutionnalisation du carnaval guadeloupéen. Celle-ci débouche, en 1975, sur la création du Groupement pour le développement du carnaval et des fêtes (GDCF) qui commence à chapeauter l’ensemble des activités carnavalesques (entretien avec Louis Collomb, juillet 2020) et deviendra en 2008 l’Office du carnaval de la Guadeloupe (OCG) à l’initiative de la Région Guadeloupe, essentiellement dans une perspective de développement touristique. Face à ce mouvement d’institutionnalisation du carnaval, une démarcation entre deux grandes catégories de groupes se met en place à cette époque, à côté d’autres catégories que l’on pourrait dire intermédiaires. D’une part, du côté du carnaval « officiel », les « groupes à caisses claires » – c’est-à-dire utilisant notamment des caisses claires issues de batteries –, qui évoluent en s’inspirant du nouveau carnaval de Rio ou du pretty mas de Trinidad (Gugolati 2018), développent des décorations élaborées et des parades chorégraphiées donnant lieu à des concours organisés par les institutions régionales. D’autre part, les « gwoup-a-po » utilisent des matériaux de récupération pour leurs tenues et pour leurs instruments des futs en bois recouverts de peaux animales inspirés de la culture gwoka, d’où leur nom « groupe à peaux ». Ils s’identifient plutôt comme des groupes de résistance contre la centralisation culturelle française et la mercantilisation du carnaval. Ce sont d’ailleurs les seuls groupes qui ne participent pas aux défilés du carnaval officiel. L’orientation de ces groupes fait écho à la réorganisation de la lutte politique qui a lieu en Guadeloupe après les événements de mai 1967 (Sainton et Gama 1985) et notamment l’investissement du monde de la culture par les mouvements syndicaux à tendance nationaliste.

8Dans cette perspective de résistance, ces groupes cherchent d’abord à préserver et dynamiser des pratiques carnavalesques populaires associées aux anciens gwoup-a-mas ou « groupes de masques », en voie de disparition dans le contexte de restructuration du carnaval officiel. Ces gwoup-a-mas semblent pouvoir être considérés comme les héritiers de certaines structures d’entraide réservées aux esclaves pendant la période pré-abolitionniste – nations puis société – et par la suite réservées aux « Noirs » après l’abolition – corporations, associations et sociétés mutualistes (Lanoir L’Étang 2009) qui avaient pour point commun d’encadrer les fêtes serviles puis la participation des Noirs à différentes festivités dont le carnaval. Les gwoup-a-mas, tels qu’ils subsistaient encore dans les années 1970, étaient des petits groupes de quelques dizaines d’hommes, associés au milieu portuaire et ouvrier, qui sortaient le dimanche de leurs quartiers respectifs entièrement masqués, méconnaissables, pour parcourir les rues de la ville en proposant des scénettes ou en dansant afin de récolter quelques pièces de monnaie (Mulot 2003, Nabajoth dans Roselé Chim et Raboteur 2012). Ces gwoup-a-mas étant en voie de disparition, les gwoup-a-po décident de préserver un ensemble de leurs caractéristiques, comme une partie de l’instrumentation en bois dont ils réduisent la taille pour l’adapter aux nouvelles dimensions des groupes et à la vitesse croissante des déboulés, nom donné à la marche rapide qui les caractérise. Ils reprennent également une partie des rythmes tels que les fondateurs s’en souviennent, ainsi que certaines tenues et certains artefacts comme les fouets, auparavant utilisés surtout dans les scénettes représentants des bèf chapé (« bœufs échappés »).

9La culture du mas est alors redéfinie, de façon comparable à celle du gwoka qui lui est intimement liée, puisque leurs musiques sont indissociables et les milieux sociaux dont elles émergent se rejoignent, comme une culture ouvrière agricole en voie de disparition qu’il faut préserver. Le gwoka entrera plus tard dans une dynamique de patrimonialisation à travers sa progressive valorisation au sein des classes sociales dominantes, notamment avec le gwoka modèn théorisé par le musicien Gérard Lockel : Jérôme Camal parle quant à lui de « l’émergence d’une citoyenneté créole postnationale » (Camal 2019 : 146). Mais dans un premier temps, il est d’abord redéfini lui aussi comme un élément central, avec le palé-kréyol, de la fierté ouvrière qui s’élabore dans les années 1970, notamment par l’entremise du syndicat Union des travailleurs agricoles (UTA). Ary Gordien écrit à propos du gwoka qu’il « incarne l’idéalisation de valeurs communautaires paysannes face à l’assimilation culturelle française, la tertiarisation de l’économie et l’urbanisation qui s’imposèrent graduellement à la suite de la départementalisation de 1946 » (Gordien 2018).

10Les gwoup-a-po étendent au carnaval cette volonté de conservation de pratiques populaires en voie de disparition : si les deux valorisations ne sont pas toujours portées par les mêmes acteurs, elles sont à peu près concomitantes. Le symbole de ce carnaval populaire devient alors le Mas, soit la pratique des anciens gwoup-a-mas. La catégorie sociale associée à ces pratiques ouvrières en crise est le plus souvent celle du vyé nèg, pour reprendre les mots de mes interlocuteurs :

Le mas c’est quelque chose que les gens faisaient spontanément, et c’était pas n’importe qui qui faisait mas. C’était vyé-nèg a mas, vyé-nèg a wonm (« vieux nègre à masque, vieux nègre à rhum »). […] Le mas n’était pas fait pour la bourgeoisie, il était fait uniquement pour le vyé-nèg, le vyé-nèg de la rue, le vyé-nèg de Bas-du-Bourg [quartier portuaire de Basse-Terre], les gens qui travaillaient à la campagne, les gens qui étaient dans les chemins, les gens qui ne se socialisaient pas comme il le fallait à l’époque… Ces gens-là n’étaient pas intégrés dans le circuit normal, et donc ils faisaient mas. (entretien avec Amédée Labigny, juin 2020, ma traduction)

11Les fondateurs des gwoup-a-po, globalement issus eux-mêmes du milieu ouvrier, ont grandi dans les quartiers populaires de Basse-Terre ou de Pointe-à-Pitre où ils se sont imprégnés de cette culture : « J’ai été élevé dans le peuple qui fait le mas » (entretien avec Fred Demetrius, membre-fondateur de Voukoum, mai 2021, ma traduction). Ils décident alors de préserver ces pratiques en train de disparaître, le « kannaval a nèg a mas » (« carnaval des nègres à masque ») contre le développement du « kannaval a saten » (« carnaval du satin ») ou « kannaval a lajen » (« carnaval de l’argent ») (entretien avec Amédée Labigny, juin 2020). Pour le préserver, ils veulent d’abord les réapprendre et les transmettre aux plus jeunes générations, soit « se les réapproprier ».

Patrimonialisation et appropriation

  • 5 J’ai pris le parti d’anonymiser les personnes interrogées à chaque fois que l’identité ou le statut (...)

12Paradoxalement, cette réappropriation passe notamment par des processus d’institutionnalisation. En écho à la patrimonialisation du gwoka (inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco acceptée le 26 novembre 2014), le Mas entre peu à peu dans des processus similaires, qui ne font pas l’unanimité chez les acteurs des gwoup-a-po dont certains préfèreraient garder leur pratique « vivante » au lieu de la voir « tomber dans le folklore » (entretien avec un musicien de Voukoum, mai 2020)5. En effet, les gwoup-a-po et mouvman kiltirel guadeloupéens sont entrés depuis les années 1990 dans une certaine dynamique de patrimonialisation. J’entends par ce terme l’ensemble des processus d’identification, de la désignation à la mise en valeur, qui fait « passer une série d’objets valorisés, rehaussés, dans le régime proprement patrimonial du rapport au passé » (Fabre 2013 : 36).

13Ainsi le Mas est-il diffusé hors des gwoup-a-po par le biais de divers événements culturels, pour Voukoum essentiellement en France hexagonale, dans le bassin caribéen et en Afrique. On peut citer par exemple deux « pèlerinages » à Gorée en 2002 puis en 2018, dont le deuxième a donné lieu à un documentaire qui insiste sur l’idée de réappropriation comme l’indique son titre, « Voukoum, retour aux sources » (Kalil Sarkis, 2021). Une performance y avait par exemple été réalisée devant la porte « du voyage sans retour » de la Maison des Esclaves, pour marquer au contraire la possibilité d’un retour transgénérationnel. Dans d’autres contextes, seuls les artefacts – tenues, instruments de musique, fouets et autres objets intervenant dans les performances rituelles – sont exposés et accompagnés éventuellement de photos et de vidéos du Mas en mouvement, et de discours explicatifs. On peut évoquer notamment, à Paris, une exposition au Musée national des arts et traditions populaires en 1998, à La Villette en 2010 puis au musée Dapper en 2011 mais aussi, en Guadeloupe, l’exposition « Mofwazé –Métamorphose » dans les jardins de la principale salle de spectacle de l’île, l’Artchipel, en 2021, ou encore l’organisation d’un dekatman dans l’espace du Mémorial ACTe en 2023. Or, si les voies officielles de la patrimonialisation reposent sur une condition centrale – la pratique en question doit avoir « une valeur sociale et économique pertinente pour les groupes minoritaires comme pour les groupes sociaux majoritaires à l’intérieur d’un État » (Unesco) –, elles semblent devoir faire au préalable l’objet d’une certaine forme d’appropriation par des groupes qui ne s’en réclamaient pas dans un premier temps, voire les méprisaient, comme ce fut le cas pour le gwoka.

14Toutefois, ces formes de patrimonialisation sont loin d’être unanimement critiquées par les acteurs, qui n’y voient pas forcément des formes d’appropriation culturelle mais plus souvent des facteurs de « (re)valorisation » de pratiques populaires jusque-là marginalisées. De fait, ils semblent participer largement à la complexification du Mas et des récits de lutte, de résistance et d’ancestralité qui l’accompagnent. Plus encore, ces espaces de patrimonialisation font désormais office de véritables réservoirs d’inspiration rituelle. Par exemple, l’exposition Mascarades et carnavals, qui s’est tenue au musée Dapper à Paris en 2011 et 2012, mettait en perspective des sorties de masques en Afrique subsaharienne et des carnavals antillais à partir de certaines « proximités visuelles » (Falgayrettes-Leveau 2011 : 7). Or, cette approche a vraisemblablement eu un impact sur les créations discursives élaborées autour de certains mas comme le Mas a Lous. Les cornes de bovidé et les feuilles de bananier, déjà utilisées par certains gwoup-a-mas, inspirent aux gwoup-a-po un nouveau mas qu’Akiyo appelle de façon descriptive « Fèy a bannan, tèt maré, konn a bèf » [Feuilles de bananier, tête recouverte, cornes de bœuf] et que Voukoum reprendra plus tard sous l’appellation « Mas a Lous » [Masque de l’Ours]. À la suite de l’exposition, ce mas est plus clairement présenté par Voukoum comme un Mas sacré d’origine africaine. Il est d’ailleurs possible que les acteurs aient redécouvert à cette occasion le texte de Césaire qui comparait des mas antillais ornés de cornes de bovidés avec un masque initiatique africain rencontré en Casamance, probablement le masque ejumba. Cette exposition pourrait avoir eu un impact également sur certaines créations visuelles : par exemple, les deux « mas blancs », Boukliyé et Lèspri Virjilan, bassin de bovidé sur le visage et crâne de cabri sur les parties génitales, semblent évoluer à la suite de cette exposition pour se rapprocher visuellement d’un imaginaire africain.

15Quel rôle jouent alors paradoxalement les institutions de l’État dans la réinvention du Mas, notamment les musées et les laboratoires de recherche ? Par exemple l’article de Stéphanie Mulot publié en 2003 a pu contribuer dans une certaine mesure à l’intégration de discours complémentaires autour des mas, en mettant en avant les origines européennes de certaines pratiques carnavalesques en Guadeloupe. Ainsi les Mas a Kongo ne sont-ils aujourd’hui plus décrits par les acteurs uniquement en référence à la couleur de peau des personnes déportées sur l’île, mais également à des festivités du sud de la France consistant à recouvrir les corps de lie-de-vin (Fabre et Camberoque 1977). Les discours externes sur le Mas permettent ainsi aux gwoup-a-po de développer leur pratique ainsi que les récits qui l’accompagnent. Les acteurs mobilisent chaque interprétation, si elle ne leur semble pas contradictoire avec leur perception de la « tradition », pour l’intégrer dans leurs propres récits et ainsi augmenter la force de signification de leur pratique. Par exemple, à propos de l’usage des fouets, les acteurs évoquent autant le symbole de la domination esclavagiste que la référence à d’éventuels rites médiévaux de fécondité (entretiens avec des membres de gwoup-a-po). Il en résulte un va-et-vient incessant entre les discours des acteurs et ceux des observateurs, dynamique dont la pratique du Mas se saisit pour se complexifier et se ritualiser davantage.

  • 6 Le concept de « spiritualité », sur mon terrain, fait référence à l’affaiblissement d’une religion (...)

16De plus, ce sont pour le moment les acteurs du Mas qui sont à l’origine de sa patrimonialisation, celle-ci devenant alors « à la fois un instrument de contrôle et un moyen d’émancipation » (Tornatore dans Csergo, Hottin et Schmit 2020 : 203). De ces formes de patrimonialisation ont d’ailleurs résulté des polémiques et autres « émotions patrimoniales » (Fabre 2013), alimentées notamment par le président de l’Organisation du Carnaval Guadeloupéen, rappelant ainsi l’existence d’enjeux sous-tendus par l’institutionnalisation du Mas. Il s’agit d’abord d’enjeux économiques car, ne faisant pas partie de l’OCG et n’intervenant pas dans l’économie touristique, les gwoup-a-po maintiennent pour le moment une démarche à contre-courant de l’évolution du carnaval guadeloupéen et de ses logiques de financement. Mais il s’agit également d’enjeux politiques : en écho aux phénomènes de patrimonialisation de religiosités créoles accompagnant les processus d’indépendance dans les îles voisines, cette réinvention polémique d’une spiritualité6 d’origine africaine semble en effet faire écho aux débats statutaires qui agitent le destin post-colonial de la Guadeloupe. De fait, si cette patrimonialisation menée par les acteurs eux-mêmes fait l’objet de controverses, c’est souvent au motif qu’elle constituerait une fausse image d’authenticité guadeloupéenne pour justifier des projets politiques plus ou moins orientés vers l’indépendantisme (Mulot 2003). Certains « extrémistes » continueraient d’ailleurs de rechercher la « pureté » culturelle guadeloupéenne contre la dépossession que représenterait pour eux toute forme de rapport à la France.

17Pourtant, ce qui apparait sur mon terrain est surtout une prise en compte des processus de réinvention dont la culture guadeloupéenne serait issue, dans un contexte où même les mouvements nationalistes ont réorienté leur défense de la culture guadeloupéenne pour y faire place aux idées de métissage (Camal 2019 : 145). L’un des membres fondateurs de Voukoum précise ainsi :

Nous au niveau de Voukoum nous parlons de « réinventer ». De « réinventer » ce qui est à nous, notre propre sacré, à partir de notre propre vécu d’aujourd’hui. C’est ça que nous pouvons faire. On ne peut pas revenir à un sacré que nous n’avons pas continué… […] Nous formons un mélange et peut-être que nous arrivons à un sacré, mais un sacré qui nous ressemble aujourd’hui. Ça ne peut pas être un sacré originel. (entretien avec Amédée Labigny, juin 2020, ma traduction)

18Alors comment se constitue ce « mélange » qui consiste à « réinventer » une spiritualité guadeloupéenne à travers le Mas ?

Entre appropriation et emprunts

Une poétique de la perte : la mémoire morcelée

19Il faut préciser que le Mas se construit à travers l’appropriation populaire d’une tradition épistémologique dominante dans l’anthropologie de la Caraïbe qu’André Mary appelle « dialectique de la continuité et de la discontinuité africaine » (Mary 2000) et qui consiste, au moins depuis les travaux d’Herskovits (1937) mais avant lui déjà à Cuba avec Ortiz (1916) ou en Haïti avec Trouillot (1885), à classer les cultures des territoires caribéens en fonction de leur degré d’africanité. Or, dans ce cadre, un certain consensus scientifique place les Antilles françaises du côté des « communautés nègres » plutôt que de celui des « communautés africaines » (Bastide 1973), puisqu’elles semblent composées de cultures largement désorganisées par le système esclavagiste et presque intégralement noyées dans des processus de créolisation (Bonniol 2013). L’usage qui est majoritairement fait de ce concept dans les Antilles françaises aujourd’hui se réfère à la pensée de Glissant autour de l’axe de définition suivant :

Si nous posons le métissage comme en général une rencontre et une synthèse entre deux différents, la créolisation nous apparaît comme le métissage sans limites, dont les éléments sont démultipliés, les résultantes imprévisibles. (Glissant 1990 : 46)

20Jean-Luc Bonniol propose ainsi de redéfinir le concept de créolisation dans le contexte des Antilles de colonisation françaises comme la conciliation de « la diversité des sources originelles » et comme la « construction d’un édifice culturel en partie commun aux différentes composantes de la société, progressivement mis en place à partir de ces divers apports » (Bonniol 2013 : 263). Le terme est également mobilisé comme la version optimiste des théories de l’« impossible identité » (Affergan 1983) nées du constat de l’absence d’un « arrière-pays culturel » (Glissant 1981). De cette catégorisation épistémologique, selon laquelle les Antilles françaises seraient davantage créolisées que d’autres sociétés caribéennes et donc leur héritage africain davantage dilué, résulte en Guadeloupe une « poétique de la perte » (Pavy 2021).

21Pourtant, cette idée d’une perte de la mémoire africaine dans les Antilles françaises semble s’être structurée historiquement à travers des objectifs politiques particuliers dans la période post-coloniale. En effet, alors que dans la première moitié du XXe siècle les chercheurs français poursuivent leurs relevés de superstitions archaïques que le processus d’assimilation renforcé par la loi de départementalisation (1946) doit progressivement effacer de la Guadeloupe et de la Martinique (voir par exemple Delawarde 1939), un tournant méthodologique et théorique a déjà été pris dans les îles voisines, avec par exemple, dès les années 1920, de véritables recherches ethnographiques sur le vaudou haïtien défini pour la première fois comme religion dans une perspective durkheimienne (Price-Mars 1928). À Cuba, également, des pratiques d’abord envisagées seulement sous l’angle criminologique à travers la catégorie de la sorcellerie ont déjà été redéfinies comme religions, dans un objectif de construction d’une culture nationale à travers la valorisation de pratiques désormais revendiquées comme constitutives de l’identité non-européenne du pays (voir notamment Argyriadis, Gobin, Laëthier, Núñez González et Byron 2020). Avec un demi-siècle de retard, les premiers folkloristes puis anthropologues qui s’intéressent à la Guadeloupe et à la Martinique (Revert 1951, Leiris 1955) focalisent désormais leur attention sur la disparition des cultures d’origine africaine, qu’ils déplorent d’un point de vue scientifique tout en insistant en marge sur les rares traces que ces cultures auraient laissées, en particulier sur le plan religieux. C’est alors une forme spécifique de réservoir culturel et religieux qu’ils mettent en avant : le carnaval. C’est d’ailleurs par là aussi qu’ont commencé, par exemple à Cuba, les premières identifications de « survivances africaines » (Bachiller y Morales 1887). Y ont ainsi été repérés les liens entre pratiques carnavalesques et sociétés d’entraides structurées autour des « nations » africaines d’origine.

22Césaire, qui était lui-même inséré dans un dense réseau politique, scientifique, artistique et littéraire trans-caribéen et que Leiris cite parfois comme informateur, entérine en 1973 cette intuition. Malgré un oubli généralisé des cultures ancestrales, les carnavals antillais auraient conservé, imprégné dans la matière de leurs masques, le souvenir diffus de rites africains oubliés. Or, c’est la diffusion populaire de cette théorie qui conduit vraisemblablement les fondateurs de certains gwoup-a-po à la démarche suivante. D’un point de vue théorique, ils redéfinissent certaines pratiques carnavalesques comme des reliquats de religions africaines. D’un point de vue pratique, ils travaillent à réactiver la dimension dite « spirituelle » de ces pratiques et notamment des mas, dont la capacité à transformer les corps et les esprits de ceux qui les portent n’aurait pas tout à fait perdu son efficience malgré l’oubli de leur signification et la maîtrise limitée de leur usage :

Certains mas comme le Mas a Lous sont, en eux-mêmes, chargés de spiritualité. L’ignorer ou le nier n’y changera rien, le mas est spirituel. Et même dans l’ignorance la plus totale, les répéter c’est les invoquer. Nous invoquons des énergies, que nous gagnerions à mieux connaître, lorsque nous les portons. (entretien en français avec un musicien d’Akiyo)

23Comme on l’aperçoit, la notion de réappropriation comprend deux dimensions, l’une épistémologique et l’autre religieuse. Dans les deux cas, on observe un rapport dialectique entre travaux anthropologiques et innovations rituelles comme cela a été le cas dans d’autres régions de la Caraïbe (Capone 1999, Palmié 2002), mais avec un décalage dans le temps dont résulte cette « poétique de la perte », soit la perception d’un oubli irréversible associé aux îles françaises.

Le rituel du Mas nous ne l’avons pas en entier parce que… nous avons perdu beaucoup de son contenu… Je ne dis pas perdre. Je dis toujours que nous l’avons égaré dans notre tête… c’est égaré quelque part dans notre esprit. […] Donc nous avons égaré une partie du rituel, mais nous avons toujours ce que nous appelons la transe, ce côté qu’au moment où tu tombes dans la transe du mas, tu te métamorphoses [mofwazé] réellement, à un certain moment tu perds la personnalité que tu as en tant qu’homme ou femme, tu changes, tu passes dans une autre sphère. Ça nous l’avons toujours. Mais… tout le côté, effectivement, du rituel, tout le côté de la cérémonie, tout le côté de la dimension pour tomber en transe, tomber dans ce truc nous le faisons naturellement, nous n’avons pas la clé pour à quel moment déclencher, à quel moment… Nous le faisons naturellement et nous avons perdu effectivement la signification au sens rituel, au sens de ce que nous pratiquons en Afrique : exorcisme, guérison… Nous n’avons pas ce sens-là. Nous ne l’avons pas, nous avons perdu. Nous l’avons perdu quelque part. Nous l’avons oublié dans notre tête. (entretien avec Amédée Labigny, juin 2020, ma traduction)

24Bien que des phénomènes de réinvention pour combler les lacunes mémorielles s’observent dans toute la Caraïbe (voir par exemple Argyriadis 2009), cette perte est pourtant présentée par les acteurs du Mas comme une spécificité guadeloupéenne. Haïti, au contraire, représenterait l’héritage africain vivant et un modèle de continuité mémorielle. Ainsi, par exemple, lorsqu’un membre du groupe affirme que « toutes les populations qui sont sorties d’Afrique ont un côté mystique », c’est pour ajouter aussitôt :

C’est moins qu’en Haïti par exemple, parce que tout a été fait pour nous européaniser : le but était de nous faire oublier le passé. Mais il y a quand même des petits côtés résiduels. (entretien avec Jimmy Vignerol, actuel président de Voukom, avril 2020)

25De ce fait, si les gwoup-a-po cherchent à réactiver le sacré qui serait contenu dans certaines pratiques locales afin de retrouver la mémoire de leurs ancestralités africaines, ils le font à travers une dynamique que l’on pourrait associer à la catégorie de l’emprunt. Ce qu’ils considèrent comme une « réappropriation », s’auto-définissant du même coup comme les héritiers légitimes d’un certain patrimoine culturel, semble alors passer par certaines formes spécifiques d’« appropriation ».

S’approprier ou se réapproprier

26La « mémoire culturelle » (Assman 2010) des acteurs du Mas se nourrit en effet de l’identification de foyers présumés d’authenticité dont il serait possible de reprendre possession de manière souveraine en s’inspirant d’autres territoires. Le processus commence avec une identification de certaines similitudes sensorielles entre des éléments du carnaval guadeloupéen et des éléments associés aux îles voisines ou à l’Afrique de l’ouest. Par exemple, certains acteurs relèvent dans les mizik a mas (musiques de Mas) des séquences rythmiques inter-caribéennes qui auraient pour point commun de provoquer un état de « transe ». C’est ainsi que le musicien Rudy Benjamin, cofondateur du gwoup-a-po Le Point, isole dans le Senjan une séquence rythmique qu’il aurait identifiée dans d’autres musiques rituelles de la Caraïbe, notamment dans la religion lucumi à Cuba, et qu’il nomme « plena ». Celle-ci, qui interviendrait au moment de l’appel à l’orisha Ochosi, remplirait une fonction similaire dans le Mas et permettrait notamment de déployer des capacités physiques inhabituelles chez les participants des déboulés.

Ce qu’on joue dans la rue c’est de la musique de cérémonie. Moi je l’ai su après ! Parce que j’ai été à Cuba et j’ai rencontré l’ancêtre de ma musique. Dans la santería il y a un maître des tambours qui te fait rentrer et qui te fait sortir, avec les rythmes et les chants. […] Nous on […] marche, mais la marche c’est l’effet [de la transe] pour nous. Sinon c’est la même chose, il y a des sons qui sont des ouvertures de portes. […] C’est pas un hasard qu’on traîne tout le monde comme ça ! Mas-la ka chayé’w (« le Mas t’emporte »). (entretien en français avec Rudy Benjamin, juin 2020)

27Les acteurs passent ensuite d’une identification de similitudes sensorielles à la recherche plus intentionnelle d’informations exogènes à partir de la certitude d’une origine commune. En effet, l’observation de similitude entraîne chez eux la conviction selon laquelle leurs propres pratiques sont tronquées et leur signification oubliée. Le détour par les territoires voisins est censé leur permettre de réparer cette mémoire abîmée en s’appropriant des savoirs pour se réapproprier des pratiques.

28L’analyse des trajectoires biographiques des fondateurs de gwoup-a-po, qui partagent souvent une culture ethnographique ainsi que des expériences d’initiation rituelle dans les îles voisines, sous-tend cette recherche d’information. Par exemple, A. Labigny (Voukoum) voyage régulièrement en Haïti où il réalise des captations vidéo des rituels auxquels il assiste pour les diffuser au sein de Voukoum. R. Benjamin affirme quant à lui : « J’ai été obligé de faire une initiation vaudou et de faire une initiation santería, pour comprendre le chemin » (entretien, juin 2020) et transmettre ensuite une partie des connaissances. Autre exemple, F. Dunkan (Anbouta’y) a suivi des études d’anthropologie puis a participé aux brigades internationales à Cuba dans les années 1980 où il dit avoir « appris le rituel ». Cependant, ces différents acteurs restent indépendants des réseaux de parenté rituelle qu’ils ne travaillent pas à activer sur leur territoire d’origine. En effet, leur but n’est pas d’importer des religions non guadeloupéennes mais plutôt de s’inspirer de certaines séquences rituelles tout en apportant un surcroît de signification à des pratiques traditionnelles considérées alors comme insignifiantes. Par exemple, Fritz Dunkan raconte, montrant ainsi qu’il ne se situe dans la lignée d’aucune religion mais cherche plutôt à réinventer une spiritualité guadeloupéenne originale intégrée dans le carnaval :

Pour le mas, on faisait notre rituel et c’est là qu’on disait quel mas tu devais te mettre sur toi. […] Le local du Mas c’était la maison de ma mère, de ma grand-mère, de mon arrière-grand-mère. Avant la construction de la maison c’était une chapelle, puis ils ont mis la chapelle dans la maison. […] On a réuni toutes les puissances qui étaient dans cette maison pour faire le Mas. (entretien avec Fritz Dunkan, juillet 2020)

29Nous avons déjà évoqué en introduction l’exemple du bendémaré, qui se situe en marge du carnaval puisqu’il n’est pratiqué que par quelques groupes et ce une seule fois avant l’ouverture de la saison carnavalesque. Mais en fait l’ensemble du Mas des gwoup-a-po peut se décrire à travers ces dynamiques d’emprunt. Le Mas est le rituel de transformation que les acteurs des gwoup-a-po pratiquent deux jours par semaines en moyenne pendant toute la durée de la saison carnavalesque, soit pendant six à huit semaines entre le premier dimanche de janvier et le mercredi des cendres. Les membres des groupes se réunissent, souvent au sein de leur local, pour se dépouiller de leur identité sociale et se transformer ou se « mofwazé » en Mas, pour reprendre l’expression utilisée notamment dans le groupe Voukoum et qui désigne traditionnellement la métamorphose nocturne d’un sorcier :

Un mas devient réel que lorsqu’il est habité par un humain. Mais l’individu qui rentre dans le Mas perd son identité, se fait posséder par l’esprit du Mas, il est mofwazé. (entretien avec Amédée Labigny, en français dans cet extrait, août 2020)

30Toutefois, les acteurs du Mas restent le plus souvent reconnaissables. Il n’y a donc pas, du point de vue des observateurs, de « changement de peau » qui serait réellement comparable à l’imaginaire traditionnel du mofwazé.

31En fait, le Mas a moins vocation à cacher une identité qu’à faire apparaître une autre entité, habituellement invisible. Or, ces entités ne sont pas seulement rendues visibles par la pratique du Mas mais « entrent dans le corps » des participants qui, sans perdre complètement leur identité, s’identifient en partie à l’esprit qu’ils figurent. Le texte d’invocation au Mèt-Mas qui est récité pendant certains dekatman de Voukoum, une « cérémonie-spectacle » d’invocation à l’« esprit des Mas » pratiquée par ce groupe depuis les années 1990, rappelle cette ambiguïté en faisant d’ailleurs référence au lwa Legba :

Toi qui as voyagé depuis l’Afrique, Nous t’invoquons, Toi qui est l’Esprit du Mas, Entre dans nos corps, Transforme-nous en Mas, Atibon-Legba ouvre la barrière pour nous, Pour que le Mas entre. (ma traduction)

32Le dekatman mobilise d’ailleurs différentes références comportementales aux cultes de possession des îles voisines. Par exemple, les Mas sont guidés sur scène par une figure féminine qui, à l’aide d’un encensoir, régule leurs comportements dans une mise en scène dont l’assimilation fait écho à la notion d’apprentissage religieux (Berliner et Sarró 2007). Ce comportement place la scène du dekatman en miroir des terreiros du candomblé dans lesquels la mãe de santo adopte un rôle régulateur face aux transes de possession, tout comme la madrina dans les bembe de la religion lucumí à Cuba. Entre mofwazé et possession, un pont sémantique est ainsi créé entre une transformation extérieure sans modification de la subjectivité et une transformation de la subjectivité malgré une apparence identifiable. Une référence exogène prend alors le nom d’une pratique indigène qui s’en trouve de ce fait réactualisée et dynamisée, et change aussi d’expression comportementale.

33Or, ces emprunts ne sont pas considérés par les acteurs comme des formes d’appropriation culturelle dans une double mesure : premièrement, ils partent du principe qu’il existe un rapport horizontal entre la Guadeloupe et les territoires d’emprunt, situant le département français davantage du côté géographique de la Caraïbe historiquement dominée que de celui, institutionnel, de la France dominante ; deuxièmement, ils partent du principe que tous ces territoires ont une origine commune et que l’emprunt n’est autre qu’un retour aux origines et contribue ainsi à une reconstruction de la mémoire. On voit ainsi émerger une certaine « esthétique de l’échange symbolique » (Martin 2014 : 49) dans laquelle la relation d’appropriation est vécue comme étant égalitaire et, de plus, contribuerait à « proclamer l’humanité des opprimés » (op. cit. : 52), ce qui va à l’encontre du concept polémique d’appropriation culturelle tel qu’il est mobilisé aujourd’hui. Pour reprendre les catégories de Bruce Ziff et Pratima Rao, qui mettent au centre du concept d’appropriation culturelle la question des relations de pouvoir, l’appropriation serait ici, du point de vue des groupes qui la pratiquent et se représentent comme subordonnés, une pratique de résistance (Ziff et Rao 1997 : 5), soit une entreprise d’opposition à la domination coloniale (Martin 2014 : 61).

Un récit de résistance

34Ces emprunts apparaissent alors comme des outils culturels de réappropriation politique du destin postcolonial du territoire. Sur cette base, les gwoup-a-po mènent un travail d’adaptation au contexte local pour réinventer, à l’aune des pratiques observées ailleurs, des « fragments de système rituel » (Price 1964 : 97) recensés dans la Guadeloupe du XXe siècle. Si ces pratiques sont sans aucun doute le résultat d’un « métissage originel » (Amselle 2001) dont provient forcément toute forme de pratique culturelle, elles ont pour point commun d’être souvent associées dans la Guadeloupe post-abolitioniste au terme « nèg ». Toutefois, l’usage de ce terme sur mon terrain à l’époque où j’ai réalisé ma recherche ne semble plus renvoyer directement à ce que certains observateurs ont pu considérer dans les années 1990 comme de l’afrocentrisme (Mulot 2003). En effet, ce terme renvoie d’abord à une catégorisation coloniale comme synonyme d’esclave. Après l’abolition, il continue d’être utilisé pour désigner des personnes qui pourraient être considérées comme descendants d’esclaves, mais davantage sur le plan social que racial, notamment en référence aux ouvriers agricoles qui étaient employés encore dans des structures de travail relativement inchangées. Le mot nèg en vient ainsi à représenter les travailleurs pauvres de la Guadeloupe, puis la culture qui leur est associée, et enfin le positionnement politique qui consiste à revendiquer cet héritage – et ce quelle que soit l’identification racialisée ou non de la personne qui s’en revendique. Actuellement, d’ailleurs, le fait que des personnes considérées comme « blanches », c’est-à-dire le plus souvent originaires de l’Hexagone, ou encore des personnes identifiées comme possédant un certain capital économique, puissent s’intéresser à cette culture guadeloupéenne populaire parfois résumée par le terme « nèg », n’est en général pas considéré comme de l’appropriation culturelle dès lors que ces personnes s’intègrent aux groupes existants et en acceptent les règles. Ainsi, alors que je questionne plusieurs fois ma légitimité à employer ce terme en première personne dans certains chants notamment (par exemple « Nou sé nèg »), je me vois souvent répondre que si je fais le choix de faire partie d’un groupe comme Voukoum, je suis censée reprendre ces paroles à mon compte :

T’as pas compris, awa, nèg c’est pas une couleur de peau, c’est une philosophie. C’est pas que tu peux chanter, c’est que tu dois chanter. (entretien informel avec un musicien de Voukoum, décembre 2020)

  • 7 Je reprends ici un terme employé par mes interlocuteurs et qui renvoie d’ailleurs à des discours mé (...)

35Plus généralement, les gwoup-a-po mettent en scène en image une histoire alternative, transformant les dominés du système colonial et postcolonial en « ancêtres »7 auxquels le Mas rend hommage. Dans Voukoum, on peut citer par exemple la tenue Mas a Roukou pour les kalinagos décimés, Mas a Glas pour les travailleurs indiens exploités, Mas Tirayè Sénégal pour les tirailleurs sénégalais moqués, Mas a Kongo pour les populations africaines réduites en esclavage, mais aussi la tenue Mas a Man Ibè pour les « sorcières » de la médecine traditionnelle persécutées ou encore Mas a Lous pour représenter les croyances africaines proscrites. Des origines multiples sont donc revendiquées et la mise en scène de cette multiplicité est présentée comme s’opposant à l’illusoire centralisation française mise en exergue dans la tenue de type dérizyon appelée « Nos ancêtres les gaulois ». Toutefois, si d’autres catégories de peuplement sont envisagées comme étant à l’origine de la culture guadeloupéenne contemporaine, mise à l’honneur dans ses différents aspects à travers les mouvman kiltirel, ce sont surtout les populations africaines réduites en esclavage qui sont associées à l’origine du Mas. Pour ce faire, un terme est souvent utilisé, celui d’« initiation ».

Les gens, les esclaves, ou les Africains arrivés ici et mis en esclavage, certains étaient des initiés. Dans ces initiations-là, automatiquement quand tu l’as eue une fois c’est par filiation. […] Donc au départ l’esclave utilisait la période du carnaval pour pratiquer ce qui existait toujours dans son esprit de ces rituels [d’initiation] ; mais il ne faisait pas de carnaval : c’était un semblant, c’était tromper le maître, comme les haïtiens ont toujours fait, faisant croire qu’ils honoraient les saints catholiques pour pratiquer leur vaudou, c’est une manière de faire croire qu’on fait ce que le maître nous a dit et en réalité on fait le contraire. C’est pour cette raison que le Mas en lui-même n’a rien à voir avec le carnaval. Il a été utilisé en période de carnaval pour faire croire quelque chose. (entretien avec Amédée Labigny, juin 2020, ma traduction)

36Avec cette insistance sur la dimension de filiation, on aperçoit que le modèle de mon interlocuteur pour décrire l’origine dy Mas est davantage le vaudou haïtien que d’autres systèmes rituels comme la religion Lukumi à Cuba, qui fonctionne sur la base de la parenté rituelle. Mais ce qui compte surtout dans ce discours est l’imaginaire d’une tension intrinsèque du Mas comme expression d’un compromis entre deux volontés contradictoires : celle des maîtres et celle des esclaves, dont la première oblige la seconde à trouver des détours stratégiques pour s’exprimer. Ce qui importe pour les acteurs du Mas est en effet l’idée d’une stratégie de résistance aux contraintes de la société coloniale. Ce récit fait écho à la catégorie anthropologique du mythe, de façon très large comme un récit fondateur ou exemplaire qui est mis en scène rituellement. Il permet ainsi de contribuer à changer les représentations associées à des pratiques marginalisées par le détour d’un récit d’origine. De ce fait, la culture « vyé nèg » marginale et dépréciée devient à la fois une culture africaine savante et une culture créole de résistance. Si les mouvman kiltirel sont donc les acteurs d’une dynamique d’emprunts que l’on peut associer en partie au concept de créolisation, ils construisent donc en même temps un discours de la réappropriation qui permet de valoriser certaines pratiques et de négocier le statut symbolique des groupes sociaux qui en sont porteurs.

Conclusion

37Il semble bien exister chez les acteurs du Mas une conscience des emprunts et du caractère original de leur résultat, malgré l’usage du concept de « réappropriation ». En effet, leur préoccupation n’est pas d’ordre scientifique, comme pourrait l’être un objectif de reconstitution fidèle du passé historique, mais plutôt politique au sens large : le but est d’agir sur le présent afin de négocier des espaces de pouvoirs pour certains groupes sociaux en mobilisant des « usages politiques du passé » (Hartog et Revel 2001). On observe ainsi un exemple du « basculement du régime de patrimonialité » (Bortolotto dans Csergo, Hottin et Schmit 2020 : 227) qui a eu lieu ces dernières années vers un objectif de « sauvegarde de pratiques et de connaissances considérées comme non seulement nécessaires dans le présent mais également précieuses pour l’avenir » (ibid.). Dans le cas du Mas, en effet, la conservation de certaines pratiques en voie de disparition, qui passe donc aussi par des processus de réinvention, représente « un mode d’agir sur le présent, et […] sur un futur perçu comme de plus en plus menaçant vis-à-vis duquel la sauvegarde du patrimoine est proposée comme antidote et garde-fou » (op. cit. : 228). Il importe donc de distinguer une forme de patrimonialisation « par le bas », d’une autre forme de patrimonialisation plus officielle, sanctionnée par des institutions régionales, nationales et internationales. Ici, la dynamique patrimoniale portée par les acteurs du Mas eux-mêmes permet à certains groupes de négocier leur place dans la société guadeloupéenne postcoloniale en mobilisant des formes transversales d’innovation rituelle et de construction mémorielle observables sous différentes formes dans toute la Caraïbe.

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Notes

1 Environ la moitié des entretiens a été menée majoritairement en créole, l’autre moitié majoritairement en français, bien que ces deux langues se mélangent régulièrement dans les discours. En revanche, toutes les informations recueillies dans un cadre collectif au local de Voukoum, comme dans cet extrait, sont en créole, la seule langue utilisée collectivement dans cet espace. Je fais le choix, dans cet article, de traduire les propos en français pour davantage de fluidité dans la lecture.

2 Si le terme « mas » correspond d’abord aux tenues, il est également utilisé pour désigner la pratique autour de ces tenues, pratique à laquelle je réserve ici l’emploi de la majuscule.

3 « Selon cette critique [du LKP], véritable démounaj (néologisme fabriqué partir du substantif moun, « personne » et qui signifie « dépersonification »), l’assimilation française nie au Guadeloupéen son histoire et sa culture » (Gordien 2015 : 93).

4 Les données mobilisées pour répondre à cette question sont issues d’une enquête de terrain menée entre septembre 2018 et juillet 2021 dans le cadre de mes recherches doctorales. Cette enquête était concentrée sur le groupe Voukoum, composé d’environ 400 adhérents et dont j’étais déjà membre au moment de commencer ma recherche. Elle incluait également différentes incursions dans d’autres groupes carnavalesques, en particulier d’autres gwoup-a-po. Mon terrain a reposé principalement sur la méthode de l’observation participante et sur une cinquantaine d’entretiens semi-dirigés avec 39 personnes, dont les présidents et membres-fondateurs de différents groupes ainsi que des personnalités du carnaval guadeloupéen.

5 J’ai pris le parti d’anonymiser les personnes interrogées à chaque fois que l’identité ou le statut de mon interlocuteur ne représentait pas une information nécessaire à la compréhension de ses propos.

6 Le concept de « spiritualité », sur mon terrain, fait référence à l’affaiblissement d’une religion dépouillée de ses institutions mais dont resteraient des traces dans les corps, les esprits ou les objets.

7 Je reprends ici un terme employé par mes interlocuteurs et qui renvoie d’ailleurs à des discours mémoriels en Guadeloupe au-delà des gwoup-a-po, notamment au sein de certains groupes nationalistes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Flore Pavy, « Les gwoup-a-po en Guadeloupe : peut-on se (ré)approprier une culture ? »Appartenances & Altérités [En ligne], 4 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/alterites/833 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/alterites.833

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