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De nouveaux protagonistes : antiracisme et politique contestataire dans la jeunesse des favelas de Rio de Janeiro

David Amalric et Joana Sisternas Tusell
Traduction(s) :
New protagonists: Anti-racism and protest politics among the youth of Rio de Janeiro’s favelas [en]

Texte intégral

1Le Brésil a connu ces dernières années une période d’effervescence et de turbulences sociales et politiques : agité en 2013 par des mobilisations de portée inédite à la veille des mégaévénements sportifs (Coupe du monde de football de 2014, Jeux Olympiques de 2016), il a aussi connu, sur fond de crise économique et politique, une montée vertigineuse des discours réactionnaires aboutissant à l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du pays en 2018 (Vidal 2018). Les favelas de la ville ont été fortement impactées par la mise en place de politiques de « pacification policière », par le retour des politiques d’évictions massives (Magalhães 2013, Faulhaber et Azevedo 2016, Magalhães A.F. 2016) et dans certains cas par des dynamiques de mise en tourisme et de gentrification. Ce contexte a été l’occasion d’un renouvellement des manières de se mobiliser au sein des favelas, porté par une nouvelle génération d’acteurs, qui se situent pour partie en dehors du circuit plus traditionnel lié aux associations d’habitants, aux mouvements « de base » et à leurs relais électoraux (Goirand 2000, Vidal 1998, Freire 2011). Faisant écho aux transformations mondiales de la contestation et en particulier au développement du mouvement « Black Lives Matter » aux États-Unis, les causes historiques des mouvements des favelas comme l’opposition aux évictions ou à la violence policière se sont trouvées revisitées par l’apport de nouveaux répertoires d’actions et de nouveaux « cadres » (Goffman 1991, Snow et Benford 1992) à forte dimension contestataire, accordant une place importante à l’antiracisme.

  • 1 Chapéu Mangueira et Babilônia, situées l’une à côté de l’autre, comptent une population d’environ 1 (...)
  • 2 Pour l’enquête menée à Chapéu Mangueira et Babilônia, le terrain a duré douze mois répartis en troi (...)

2Au cours d’enquêtes ethnographiques réalisées entre 2012 et 2018 au sein de plusieurs favelas de la ville de Rio de Janeiro (Chapéu Mangueira et Babilônia dans la zone Sud, Providência dans le centre1), nous avons pu assister de près à l’apparition de ces nouvelles manières de « faire de la politique » au sein de la favela. Nous avons accompagné de nombreuses activités contestataires, tout en observant le quotidien des espaces de la favela dans le contexte des politiques de pacification mises en place à partir de 20092. Au fil de nos enquêtes respectives, les entretiens et observations in situ se sont doublés d’observations en ligne, fondamentales pour rendre compte de la dimension fortement connectée de ces nouvelles formes de contestation. À quoi tient ce renouveau contestataire ? Dans quel environnement social, relationnel et intellectuel faut-il le situer ? Comment les modes d’action et de pensée se transforment-ils au contact de l’antiracisme ? En partant des trajectoires croisées de deux importantes figures militantes issues de nos terrains respectifs, nous proposons de restituer les « écologies liées » (Abbott 2005) de ce renouveau contestataire, à l’articulation de plusieurs mondes sociaux (favela, mouvements sociaux, ONG, université) (Cefaï 2015) en proie à des tensions et des « conflits de juridiction » (Abbott 1986). La référence antiraciste conduit à reformuler en des termes nouveaux les causes historiques des mobilisations des favelas (évictions, violences policières). Avec ses différents concepts, symboles et mot d’ordres, elle est porteuse d’une exigence d’autonomisation de ces mouvements vis-à-vis de la classe moyenne blanche et des organisations politiques traditionnelles – ce que la seconde partie de l’article s’attache à analyser.

1. Vers un chapitre inédit de la politique des favelas

a. Une histoire de résistances et d’arrangements

3Si les favelas cariocas sont nées de l’occupation (souvent, mais pas toujours) illégale d’espaces considérés comme non-constructibles, elles ont progressivement développé une relation étroite – et ambivalente – avec les pouvoirs publics. Celles-ci ont longtemps été considérées comme un « problème » auquel il s’agissait d’apporter une réponse, notamment « civilisationnelle », et ont été périodiquement ciblées, depuis leur origine, par diverses tentatives d’éviction. Si les premières manifestations d’habitants de favelas remontent au début du siècle (Mattos 2012), c’est après la seconde guerre mondiale qu’a lieu un véritable tournant en termes d’organisation collective, avec la création des associations d’habitants. Marquées par la double influence de l’église progressiste française (Vidal 1998, Freire, Gonçalves et Simões 2010) et du modèle de développement communautaire promu par les organismes internationaux (Valladares 2006), les associations se donnent une mission d’assistance et d’amélioration des conditions de vie des habitants des favelas. Par ailleurs, elles contribuent au contrôle démographique exercé sur ces populations en mettant en place des recensements (Freire, Gonçalves et Simões 2010). Avec la politique d’évictions massives mise en place sous la dictature (plus de 130 000 personnes expulsées entre 1960 et 1974), les associations d’habitants, dont le modèle s’est entre-temps répandu (Freire 2011), apparaissent comme un instrument de résistance de premier plan aux projets d’expulsion, parvenant dans certains cas à les enrayer (n’hésitant pas à réaliser des chaînes humaines et à bloquer le passage des engins de démolition), avec le soutien de la pastorale catholique, d’hommes politiques et d’avocats militants. Les associations se fédèrent en 1963 dans la Fédération des Favelas de l’État de Rio de Janeiro (FAFERJ), première instance de coordination politique des habitants des favelas à l’échelle supra-locale.

4La thématique raciale est alors largement absente du discours et des revendications de la FAFERJ. Le mouvement noir brésilien se développe ailleurs et autour d’autres thématiques : tout en se revendiquant de l’héritage des révoltes d’esclaves de l’époque coloniale, il trouve une première forme d’expression dans la presse et à travers des manifestations artistiques et culturelles qui visent à donner une visibilité aux populations noires (Domingues 2007). Porté par des intellectuels, des hommes politiques, des enseignants, des artistes et des leaders religieux aux affinités idéologiques très diverses (Saillant 2007), le mouvement se maintient longtemps à l’écart des formes d’organisation politique traditionnelles – syndicats et partis – sous l’égide desquelles se placent les associations des favelas et la FAFERJ. Ce n’est qu’à la fin des années 1970, avec la création en 1978 du Movimento Negro Unificado (« Mouvement Noir Unifié »), et en écho au mouvement des droits civiques aux États-Unis, que le mouvement prend une nouvelle direction et projette un discours bien plus radical contre la discrimination raciale (Agier et Carvalho 1994) : assumant une posture différencialiste et libératrice, le mouvement cherche dès lors à promouvoir des espaces pour les Noirs et à développer leur pouvoir politique. S’ensuit, au cours des années 1980 et 1990, un rapprochement avec les partis et les syndicats, au sein desquels les militants noirs cherchent à conjuguer la lutte révolutionnaire anticapitaliste à la lutte antiraciste (Domingues 2007).

  • 3 Machado da Silva qualifie de « bourgeoisie favelada » ces familles appartenant aux couches les plus (...)
  • 4 Les générations de Brésiliens nés après 1970 ont progressivement bénéficié des politiques de lutte (...)

5Les associations des habitants restent majoritairement éloignées de ces sujets, et doivent faire face à des contraintes. Dans le courant des années 1980 et 1990, le développement du narcotrafic et la mainmise que celui-ci exerce sur le territoire de la favela tend à limiter considérablement la liberté d’action des associations (Leeds 1998, Alvito 2001). À cela s’ajoute l’instrumentalisation des associations à des fins politiques clientélistes en période électorale (Goirand 2000), et la prédominance, parmi leurs présidents, de membres de grandes familles appartenant à la « bourgeoisie favelada »3 qui tendent à en accaparer le contrôle (Machado da Silva 1967). Tout ceci compromet la capacité des associations à continuer d’être des institutions indépendantes et représentatives des habitants (Freire 2011), ce qui jette sur elles un discrédit croissant. Pour autant, le contexte contestataire des années 2010 et la fréquentation par des jeunes des favelas de nouveaux milieux – dont notamment le milieu universitaire4 – à distance des structures politiques traditionnelles locales, contribuent à l’émergence de nouvelles formes de protestation au sein de la favela. C’est ce qu’incarnent les trajectoires de Jorge et Matheus.

b. Deux trajectoires militantes : Jorge et Matheus

6En vue d’analyser à partir de nos terrains respectifs les ressorts de cette rupture par rapport aux formes routinières de la « politique des favelas », nous proposons de prendre pour point d’entrée la trajectoire de deux habitants et militants, qui ont chacun contribué de manière significative à ces reconfigurations, donnant une inflexion plus contestataire à leurs postures et à leurs discours.

  • 5 Entretien avec Jorge du 19 octobre 2015.

7Jorge. Né en 1976, Jorge a toujours vécu à Chapéu Mangueira et Babilônia. Il est le petit-fils de l’une des dirigeantes communautaires les plus aimées de la localité, connue pour avoir fondé à la fin des années 1950 un projet d’alphabétisation des habitants de la communauté. C’est un héritage qu’il évoque parfois, au même titre qu’il se dit héritier d’un passé d’organisation collective et d’entraide : « Cette question de politique communautaire je la porte dans le sang »5. Son père, devenu trafiquant, est brutalement assassiné lorsque Jorge a seize ans ; Jorge entre alors à l’église universelle où il trouve un premier refuge et où il se forme à la rhétorique néo-pentecôtiste.

  • 6 Le Conselho Popular, né en 2007, est une initiative portée par des habitants des favelas, en parten (...)

8La trajectoire militante de Jorge démarre avec la lutte pour le droit au logement portée par le Conselho Popular, en lien avec la Defensoria Pública et la Pastoral de Favelas6. De cette première expérience militante naît en 2012 l’idée de créer un mouvement politique des habitants des favelas qui soit autonome d’autres structures et entités politiques comme les partis : le collectif Favela não se cala (« la favela ne se tait pas »). C’est un contexte particulier à Babilônia et Chapéu Mangueira : un certain nombre de barraques et de maisons, situées sur les parties hautes de la favela, sont détruites dans le cadre du programme d’« urbanisation » des favelas intitulé « Morar carioca ». Jorge se mobilise aux côtés d’autres habitants pour contrecarrer les projets de la préfecture, participe à des réunions politiques du Parti Socialisme et Liberté (PSOL) et commence à relier le problème des évictions à celui des grands évènements sportifs et au projet des UPPs qu’il qualifie de « militarisation des favelas ».

  • 7 Il mentionne en particulier le film Quilombo, réalisé en 1984 par Carlos Diegues.

9Jorge accorde une place de plus en plus centrale dans ses discours à la question du racisme, dont il prend conscience au fur et à mesure en regardant des films et des documentaires sur Youtube7, en lisant à propos de figures telles que Malcom X et en accompagnant les publications d’autres militants sur les réseaux sociaux. Il s’attache ainsi à dénoncer la dimension raciale des politiques menées dans les favelas, s’auto-désigne régulièrement comme « noir » et fait régulièrement référence aux figures historiques du mouvement noir telles que Zumbi dos Palmares.

10En 2015, Jorge s’associe avec quelques-uns de ses voisins à Babilônia et se présente aux élections de la présidence de l’association d’habitants, qu’il parvient à remporter. Son souhait est de faire de l’association de Babilônia un instrument de lutte, en rupture avec le rôle assumé par son prédécesseur qui en faisait un instrument local de mise en place de politiques publiques. Jorge participe en parallèle à de nombreuses activités militantes : manifestations contre les prix de l’électricité dans la favela Santa Marta, cycles de conférences sur la gentrification, soutien aux mouvements en zone Ouest de la ville contre la création d’un golf et l’expulsion des habitants des favelas de Vila Autódromo ou Providência. Celles-ci y voient se côtoyer différents publics : habitants des favelas, militants de gauche, chercheurs et étudiants universitaires, bénévoles d’ONG et parfois, lorsqu’ils y sont invités, certains agents d’institutions publiques – sans que ces catégories soient exclusives les unes des autres.

11Matheus. Né en 1989, Matheus a grandi dans la partie haute de la favela de Providência. Issu d’une mère nordestine d’origine allemande et d’un père noir né dans la favela impliqué dans le trafic de drogues, il se retrouve orphelin de ses deux parents à dix-sept ans. Depuis son adolescence, il participe à de nombreux projets conduits par des ONG au sein de la favela : il contribue ainsi, lorsqu’il a dix-huit ans, au travail réalisé par les photographes JR et Maurício Hora (projet intitulé Mulheres), consistant à afficher sur les murs et escaliers de Providência de gigantesques portraits photographiques d’habitantes. Il se forme dans une multiplicité de domaines : il étudie le droit pendant un semestre au Centre universitaire Benett, pratique le théâtre au sein de l’ONG Spetaculu implantée dans la région portuaire, suit des cours d’anglais ainsi qu’une formation de guide touristique, et effectue en parallèle le cursus de pasteur au sein de l’église pentecôtiste de l’Assemblée de Dieu. Il tire de cette formation polyvalente une série de compétences variées qu’il mettra à profit dans son parcours militant : capacité à s’exprimer en public avec éloquence, bonne connaissance du milieu associatif et des ONG, solides notions en matière de droits de l’homme.

12En 2011, Matheus est profondément marqué par l’assassinat de son frère, impliqué dans le narcotrafic, des mains de la police. La même année, la mairie de Rio de Janeiro annonce les premières évictions au sein de la favela dans le cadre du programme Morar carioca – visant au total 832 domiciles : l’immeuble où vit Matheus est lui aussi menacé de démolition. Il rejoint alors la « commission des habitants contre les évictions », qui émane du Forum communautaire du Port, une plate-forme regroupant des acteurs culturels de la région, des conseillers municipaux, des universitaires et des militants anarchistes.

  • 8 Noire et issue du complexe de favelas de Maré, Marielle Franco est une figure emblématique de la dé (...)

13Cette mobilisation aura permis à Matheus d’achever de se former à la prise de parole revendicative et de rencontrer de nombreux militants et habitants de favelas menacées d’expulsion. Il se met à fréquenter les cours et les débats organisés par un Groupe d’éducation populaire qui agit dans la favela, et se rapproche également des militants du mouvement des « sans-toit » qui occupent différents squats au sein de la région portuaire. À partir de 2015 il s’engage activement au sein du Forum des Jeunesses de Rio de Janeiro (FJRJ), une plate-forme réunissant plusieurs collectifs de favelas luttant contre les violences et assassinats policiers, dont il devient l’un des porte-paroles. Le contact avec certains militants plus âgés du FJRJ aura une forte influence sur sa manière de penser, l’introduisant en particulier aux grilles de lecture antiracistes, qu’il reprend très régulièrement dans ses publications sur les réseaux sociaux – le FJRJ devient à ce titre pour lui un cercle d’amis autant que de camarades militants. En mars 2016, Matheus contribue activement au lancement par le collectif d’une application intitulée Nós por nós, permettant aux habitants de dénoncer anonymement les abus policiers à l’aide de photos et de vidéos prises sur le vif. Il se rapproche également du PSOL (sans y adhérer) et milite pour les campagnes du candidat à la mairie Marcelo Freixo et de la future conseillère municipale Marielle Franco8. Matheus lance peu de temps après le projet intitulé « Tour des favelados » (Rolé dos favelados), consistant en des visites guidées militantes au sein de la « première favela de la ville », au cours desquelles il s’attache à parler des évictions, des violences policières, du racisme. En 2017, il est à nouveau endeuillé par la mort de son neveu, lui aussi impliqué dans le narcotrafic, ce qui conforte Matheus dans son engagement contre les violences policières. En parallèle, il poursuit sa formation de pasteur au sein de l’Assemblée de Dieu, qu’il achève en 2018, et commence à envisager une carrière au sein de la politique professionnelle.

14Les trajectoires de Jorge et Matheus présentent d’évidentes proximités : tous deux se retrouvent impliqués dans des mobilisations contre le programme Morar carioca, fréquentent des milieux militants liés à l’Université et aux partis de gauche et d’extrême-gauche, partagent un vécu intime des assassinats policiers et passent par un moment de reformulation de leur engagement dans les termes de l’antiracisme. Leurs cercles de relations s’entrecroisent, et tous deux se connaissent sans pour autant être proches. Ils se rejoignent dans la promotion au sein de la favela d’une attitude et d’un discours fortement contestataire et critique de l’ordre établi, en rupture avec les formes traditionnelles de la « politique des favelas », marquées par des logiques de co-optation et différentes formes de négociation avec l’État, le narcotrafic et le monde politique. Ils n’hésitent pas, non seulement à se situer dans une opposition frontale par rapport à la puissance publique, mais aussi à opérer une certaine « montée en généralité » dans leurs formulations pour les inscrire dans une critique de la société dans son ensemble. Pour autant, leurs parcours se différencient du fait notamment des configurations locales spécifiques où ils s’inscrivent, que ce soit du point de vue de l’impact des politiques urbaines ou des relations entre la mairie et le « pouvoir parallèle » du narcotrafic. Pour comprendre cette proximité autant que ces différences, il importe donc de réinscrire ces trajectoires dans les différentes strates de contexte qui permettent de les comprendre : d’un côté les grandes transformations des années 2010 qui ont contribué à cette inflexion contestataire, et de l’autre l’environnement spatial et relationnel qui l’a rendue possible, au croisement de plusieurs mondes sociaux et à la triple interface des réseaux d’interconnaissance locale, des milieux militants et de l’université.

c. Une séquence historique propice à la contestation

15Les trajectoires de Matheus et Jorge sont indissociables des processus plus larges à l’œuvre dans les années 2010, affectant fortement aussi bien la dynamique des mouvements sociaux que la vie sociale des favelas de Rio de Janeiro :

  • 9 L’Unité de Police Pacificatrice est un corps de police spécialement conçu pour s’installer de façon (...)

16- La première de ces transformations a trait à la politique des UPP9 : en installant l’État durablement au sein des favelas, et en remettant en cause la souveraineté du narcotrafic en leur sein, la politique dite de pacification semble avoir eu plusieurs effets sur les manières de se mobiliser. Elle a d’abord remis en cause (sans les effacer totalement) les formes de contrôle et d’inhibition exercées par les trafiquants sur les activités de protestation des habitants. Mais elle a surtout offert un nouvel objet de dénonciation : là où l’autorité et les excès du narcotrafic ne pouvaient souffrir de contestation, il devient au contraire possible de critiquer publiquement l’action de l’État au sein de la favela, et d’adopter en son sein une attitude de « citoyen ». Les critiques des habitants ont ainsi porté sur l’interdiction des bals funks décrétée par la plupart des commandants d’UPP, puis les abus quotidiens – et de façon graduelle, les assassinats – commis par les policiers, en contradiction directe avec les fortes attentes en matière de « relations pacifiées » suscitées par le programme. Tout ceci a contribué au développement du mot d’ordre « UPP dehors », au cœur du discours du collectif Favela não se cala, et qui a pris une ampleur considérable en 2013 et 2014. La disparition de l’aide-maçon Amarildo de Souza en juillet 2013 dans la favela de Rocinha (on apprendra qu’il a été torturé et tué par les policiers de l’UPP) a ainsi donné lieu, dans la zone Sud de la ville, à des manifestations d’habitants d’une ampleur inédite.

17- La deuxième évolution marquante concerne le développement d’internet et des nouvelles technologies. L’apparition des réseaux sociaux numériques constitue un tournant significatif pour la communication communautaire et le développement des mouvements antiracistes. Ainsi, en 2020, 97,7% des militants du mouvement noir désignent internet comme leur principal moyen de diffusion et de communication (Pereira 2020). Ces nouvelles technologies offrent la possibilité inédite d’atteindre un public bien plus large, de voir son activité massivement relayée et rediffusée à travers d’autres pages, et de retransmettre en direct ce qui se passe sur le terrain. De nouveaux collectifs issus de la favela émergent dans ce contexte et s’attachent à dénoncer les violences policières et les conséquences de l’UPP : c’est le cas en 2012 des initiatives « Ocupa Borel » et « Ocupa Alemão » (dans les favelas de Borel et du Complexo do Alemão), puis du collectif de média-activistes Papo reto, qui fait lui-même partie du FJRJ où milite Matheus. La généralisation du smartphone offre quant à elle un nouvel outil significatif de dénonciation des violences policières : il devient possible pour n’importe quel habitant de filmer les différents abus commis permettant de rendre public ce qui autrefois restait davantage confiné dans le territoire concerné, et donc plus facilement invisibilisé. Et c’est précisément le type de dénonciation qu’entend faciliter l’application Nós por nós créée par le FJRJ auquel participe Matheus.

18- La troisième piste explicative tient aux transformations générales des environnements contestataires, en lien avec l’évolution du contexte international. Le coup de projecteur apporté par l’organisation des grands événements sportifs permet de donner une audience médiatique internationale à la lutte contre les évictions et les violences policières. Plusieurs acteurs du monde militant, associatif, souvent en lien avec les milieux universitaires, inscrivent ces causes à leur agenda et apportent un soutien matériel et organisationnel considérable aux habitants des favelas : c’est le cas de nombreuses ONG nationales et internationales (Amnesty Internacional, IBASE, Global Justice, Witness, FASE), de certains partis de gauche et d’extrême-gauche comme le PSOL, ainsi que d’une myriade de collectifs à tendance plus libertaire ou de média-activistes, qui connaissent une forte expansion au lendemain des grandes manifestations de juin 2013. C’est le cas en particulier du Comité Populaire Coupe et Jeux Olympiques, l’un des plus actifs dans la dénonciation des conséquences néfastes des grands événements sportifs et qui compte en son sein plusieurs chercheuses et chercheurs. À l’échelle globale, l’essor du mouvement Black Lives Matter à partir de 2013 contribue à mettre sur le devant de la scène la question du racisme et des violences policières et connaît une forte résonance au Brésil – le mot d’ordre étant immédiatement repris et traduit en portugais (Vidas negras importam) (Escobar 2022). L’influence de ces mouvements est particulièrement lisible dans la trajectoire de Jorge et Matheus. Au-delà des seuls réseaux sociaux, elle passe aussi par des échanges internationaux : Matheus et certains membres du FJRJ se rendent à New York en 2015 dans le cadre d’un voyage organisé par l’ONG Witness, puis plusieurs militants du mouvement Black Lives Matter se rendront à leur tour à Rio de Janeiro l’année suivante.

d. Favela, milieux militants et université : les écologies liées de la contestation et leurs conflits de juridiction

19Le concept d’« écologies liées » proposé par Andrew Abbott nous paraît fécond pour interroger l’environnement relationnel qui a contribué au développement de nouvelles manières de se mobiliser au sein des favelas. Parler d’écologies liées invite à considérer à la fois ce système de relations (d’alliances, de chevauchements et de concurrence) entre de nombreuses « écologies adjacentes » au sein desquelles les individus circulent, et les effets de ces relations sur chacun des mondes impliqués (Abbott 2005). Ainsi, formuler des demandes et des revendications auprès des autorités publiques, se faire le porte-voix des préoccupations de la favela dans des reportages et documentaires, dénoncer l’arbitraire de l’UPP ou les assassinats policiers dans la favela implique un ensemble d’acteurs dont le périmètre varie, et qui peuvent aussi bien collaborer qu’entrer en tension.

  • 10 Les cursos de extensão, dispositifs pédagogiques hors-les-murs à destination de la société, corresp (...)
  • 11 Cette institution chargée de défendre les droits des citoyens dans les cas de litige avec les admin (...)

20Ainsi la mobilisation des habitants de Providência contre l’installation du téléphérique est initiée par une coalition d’acteurs regroupés sous le nom de Forum Communautaire du Port : parmi ceux-ci, on compte des collaborateurs de conseillers municipaux de partis de gauche (PSOL et PV), des universitaires de l’Université d’État de Rio de Janeiro, impliqués en particulier dans un programme d’universités hors-les-murs (curso de extensão10), des acteurs culturels et associatifs de la région (groupe carnavalesque afro-brésilien Afoxé filhos de Gandhi, Institut Favelarte installé à Providência), des membres d’ONG (en particulier la FASE, Fédération des Organismes pour l’Assistance sociale), des représentants du noyau « terre et logement » de la Defensoria pública11 et enfin des militants libertaires du Groupe d’éducation populaire (pour la plupart étudiants en sciences humaines et sociales). À travers l’organisation de différentes réunions publiques, le FCP s’est attaché à mener un travail d’information auprès des habitants sur les démolitions prévues dans le cadre du projet Morar Carioca, et sur les droits et recours dont ils disposaient à cet égard. Ces réunions ont donné lieu à la création d’une « commission des habitants », et à un travail de contre-expertise géotechnique (conduit par un ingénieur et un urbaniste), qui a contribué à la décision judiciaire de suspension des travaux. Dans le même temps, l’implication de cet ensemble d’acteurs extérieurs a permis de contourner les circuits habituels de médiation avec les institutions que représentait l’association d’habitants, celle-ci étant, dans le cas de Providência, à la fois intimement liée au narcotrafic par des relations familiales, et alignée sur les plans de la mairie et du secrétariat au logement en charge du Morar carioca.

21La configuration spécifique d’une telle mobilisation tient sans aucun doute à sa situation géographique en plein cœur des quartiers portuaires et du noyau historique de la ville – ancrage que revendique d’ailleurs le FCP dans son nom de baptême. Elle a été fortement influencée par son inscription dans un écosystème militant local (acteurs culturels, groupe d’éducation populaire, militants du mouvement des occupations de « sans-toit » de la région portuaire) et son lien avec les milieux universitaires. Ces écologies liées sont traversées de tensions : ce sont les militants du GEP qui encouragent à ce titre l’autonomisation de la commission des habitants – dont Matheus deviendra une figure importante – par rapport au FCP, considérant que ses membres les plus actifs ne laissent pas assez la parole aux habitants et prennent les décisions importantes à leur place.

22À Chapéu Mangueira et Babilônia, l’arrangement de ces écologies liées prend une forme en partie différente, en même temps que les activités contestataires se concentrent sur des enjeux distincts. Ceci tient en particulier au mode de déploiement du programme Morar carioca, qui prévoit beaucoup moins de démolitions et d’évictions qu’à Providência. Les activités de Favela não se cala, le collectif de Jorge, en viennent ainsi à se concentrer sur la question de la « gentrification ». Chapéu Mangueira et Babilônia, situées non loin de la plage de Leme, à la frontière du célèbre quartier de Copacabana, connaissent alors une explosion du tourisme (ouverture de dix-sept nouvelles auberges), encouragée par la pacification policière et les travaux d’urbanisation (voirie en béton, nouveau belvédère et nouveaux espaces publics). Favela não se cala s’inscrit à cet égard dans l’écologie des favelas de la zone Sud de la ville, dont plusieurs se mobilisent au même moment sur ces questions. Le collectif est l’un des participants à l’événement Fala Vidigal (« Parle, Vidigal ») organisé dans la favela du même nom, qui connaît alors une augmentation vertigineuse du prix de ses loyers. Ce cycle de quatre conférences-débats sur la gentrification des favelas, à l’initiative de l’ONG Comunidades catalisadoras et de plusieurs collectifs locaux, réunit des chercheurs, journalistes ou encore des présidents d’associations.

23La trajectoire militante de Jorge et l’évolution de son discours est indissociable des différentes relations tissées au cours de ces différents moments avec des différents acteurs des ONG et du monde universitaire, mais aussi avec les militants de partis comme le PSOL, dont il est particulièrement proche. Son action dépend aussi de l’état local des rapports de force à Chapéu Mangueira/Babilônia. Jorge bénéficie d’un côté de la bonne réputation de sa grand-mère, figure localement importante, et de l’autre du soutien de jeunes de la favela qui y voient un possible allié pour s’opposer à certains effets de la pacification (interdiction des bailes funk, contrôles policiers plus fréquents…). Ainsi, il parvient à engranger suffisamment de soutien local pour accéder à la présidence de l’association d’habitants de Babilônia, remplaçant un président en poste depuis plus de vingt ans. Un mouvement similaire s’est produit deux ans auparavant dans la favela voisine de Chapéu Mangueira : un jeune connu de la localité, Ben, de cinq ans le cadet de Jorge, ancien trafiquant initié à la politique avec les mobilisations contre les démolitions du Morar Carioca, est parvenu à remporter les élections à la présidence de l’association avec le soutien du trafic local et de l’église évangélique. Ces deux victoires électorales marquent une rupture évidente avec la politique traditionnelle des associations et ses discours plus modérés conciliants.

24Le renouveau contestataire au sein des favelas se fait ainsi à l’articulation de plusieurs mondes sociaux, qui se superposent en partie : celui de la favela, avec ses rapports de force politiques locaux, celui de l’université, avec ses chercheuses et chercheurs engagés et ses dispositifs pédagogiques hors-les-murs, et celui des organisations politiques et militantes, qui se situent elles-mêmes en large partie à cheval sur ces différents mondes. Cette interaction soulève des questions de prérogatives : qui est habilité à dénoncer la situation des favelas, à porter publiquement les demandes de leurs habitants ? qui doit choisir les termes de cette dénonciation ou décider des moyens d’action à privilégier ? Les écologies liées de la contestation se trouvent ici prises dans ce qu’Andrew Abbott appelle des « conflits de juridiction » (Abbott 1986). À ce titre, le cadre de l’antiracisme, en même temps qu’il vient requalifier les causes historiques des mobilisations des favelas (évictions, violences policières), est en lui-même porteur d’une revendication d’autonomie de ces mouvements par rapport aux autres acteurs de ces écologies liées. Celle-ci s’exprime à travers certains concepts (« protagonisme » et « espace de parole ») ou slogans (Nós por nós), régulièrement repris par les collectifs au sein desquels militent Jorge et Matheus (FNSC et FJRJ). Pour comprendre ce renouveau des mouvements des favelas, l’analyse de l’environnement relationnel doit être couplé à celle de l’environnement intellectuel, et l’étude des écologies liées de la contestation ne peut se passer de celle des idées et références théoriques mobilisées au sein des milieux militants (Belorgey et al. 2011).

2. Les nouvelles catégories de la politique des favelas : antiracisme et « protagonisme »

a. Vers une resignification socio-raciale de l’espace « favela »

25La référence antiraciste prend une dimension progressivement centrale dans le discours de Jorge autant que de Matheus. Elle s’inscrit comme nous l’avons vu dans le contexte international des mouvements Black Lives Matter à partir de 2013, avec lesquels ils entretiennent de nombreux échanges. Dans ce cadre, le racisme apparaît à la fois comme une clé de lecture de la situation d’oppression vécue dans les favelas, et comme un vecteur d’identification collective autour d’un sujet hybride associant une auto-définition comme « noir » et comme « favelado ».

26C’est par la fréquentation des membres du FJRJ que Matheus adopte de façon croissante les cadres de pensée antiracistes, dont il décrit la découverte comme une véritable « prise de conscience », à l’origine d’un fort sentiment de révolte :

  • 12 Matheus, publication Facebook du 26 avril 2018.

Quand j’ai commencé à comprendre ma couleur, ma classe, toutes ces choses dont nous discutons, comme le racisme par exemple, ça me donnait plus de rage encore contre ces oppresseurs directs [les policiers qui commettent des assassinats dans la favela], et je ne dois pas cacher que dans mon cœur je célébrais leur mort12.

27Les drames familiaux vécus par Matheus et Jorge, et les histoires des nombreux parents de victimes qu’ils fréquentent dans le cadre militant de leurs collectifs respectifs, se trouvent ainsi requalifiés et réinscrits dans une vision d’ensemble où ils côtoient, statistiquement, les milliers de cas d’assassinats qui ont lieu chaque année, et les chiffres écrasants des exécutions policières (Amalric et Sisternas 2018) viennent ici corroborer la lecture du phénomène en des termes raciaux.

  • 13 Le texte vise à faire valoir l’existence d’un génocide de la population noire aux États-Unis d’aprè (...)
  • 14 L’usage du terme trouve son écho dans le monde académique, notamment à travers la publication en 20 (...)

28Cette lecture se retrouve dans l’usage de plus en plus répandu de la catégorie de génocide pour décrire les exécutions policières de masse commises dans la favela, qui est reprise aussi bien par le FJRJ que par Favela não se cala. L’emploi de ce terme n’est pas nouveau dans ce contexte : il est présent dès les années 1950 aux États-Unis, dans le cadre de l’appel We charge genocide présenté à l’ONU en 1951 par le Congrès des droits civiques13. Quelques décennies plus tard, on retrouve cette idée au Brésil dans le cadre du mouvement quilombiste et de la pensée d’Abdias do Nascimento, l’une des figures les plus marquantes du mouvement noir brésilien, auteur en 1978 du Génocide du noir brésilien (Nascimento 1978), qui constitue une référence centrale pour les membres du FJRJ. Il faut pourtant attendre plus de trente ans pour que le terme génocide soit véritablement repris par les mouvements sociaux, avec l’organisation en 2013 d’une première « marche internationale contre le génocide du peuple noir », qui se reproduira chaque année14.

  • 15 Dérivée de la notion de « biopolitique » de Michel Foucault, la nécropolitique d’Achille Mbembe s’a (...)

29Parmi les références mobilisées par les militants du FJRJ autant que du FNSC, on compte également les travaux de l’historien camerounais Achille Mbembe sur la notion de nécropolitique15, que Jorge mobilise dans une publication Facebook :

  • 16 Jorge, publication facebook du 3 septembre 2014.

Mes frères Noirs, il nous faut sortir du terrain des lamentations et rejoindre celui de l’organisation : c’est seulement en nous organisant dans des organisations NOIRES que nous trouverons les conditions pour affronter la NÉCROPOLITIQUE et le Génocide du peuple Noir ici au Brésil16.

30Comme le fait ici Jorge, les cadres de pensée du quilombisme (Nascimento 1980), synthèse brésilienne de panafricanisme et de marxisme révolutionnaire (Guimarães 2002), incitent à associer étroitement les identifications en termes de classe sociale et celles en termes de « race ». Contre les mythes de la « démocratie raciale » et du métissage, Abdias do Nascimento définit le fait d’être noir par l’ascendance africaine, rejetant les notions intermédiaires (« métis » - pardos au Brésil, l’une des catégories officielles du recensement), qui font écran à la compréhension et la dénonciation du racisme de la société brésilienne. Formant une « majorité opprimée », le « peuple noir » correspond en réalité à l’ensemble du « peuple » brésilien, par opposition à son élite blanche.

31Cette identification raciale du peuple se retrouve dans l’association régulière que font Matheus et Jorge entre les termes « noir » et « favelado », souvent employés ensemble, accolés dans des tournures visant à s’identifier, individuellement ou collectivement (« en tant que noirs et favelados »). La revendication du terme de « favelado », à forte connotation négative, opère alors comme un retournement de stigmate, en rupture avec la tendance des mouvements des favelas des années précédentes, qui prenaient pour référence le terme « communauté », à charge plus euphémisante (Birman 2008). En se définissant régulièrement comme « noirs » et « favelados », Jorge et Matheus font ainsi de l’espace de la favela le support d’une identité socio-raciale qui est foncièrement marquée par l’oppression.

32Une telle alchimie s’opère aussi en matière de récit historique : ainsi, la favela de Providência, première favela de la ville, est systématiquement réinscrite par Matheus, au cours de ses visites guidées, dans l’espace plus large de la « Petite Afrique », ensemble de quartiers à forte présence africaine qui s’étendaient jadis de la région portuaire au quartier de Cidade Nova. C’est d’ailleurs dans ces mêmes quartiers qu’est redécouvert en 2011, à l’occasion des travaux de « revitalisation » de la région portuaire, le quai de Valongo, servant au débarquement des esclaves au début du XIXe siècle, qui est par ailleurs le lieu choisi pour organiser une cérémonie d’hommage à Abdias do Nascimento, sept jours après sa mort, le 31 mai 2011. Jorge insiste lui aussi sur l’importance de ce lien à l’Afrique, qu’il s’agit de renouer, accomplissant dans le même temps une opération de requalification consistant à « noircir la favela » :

  • 17 Entretien avec Jorge du 19 octobre 2015.

Avec le mouvement FNSC nous avons le projet de créer la bibliothèque Sankara à Babilônia. Sankara a été un leader révolutionnaire africain […]. Notre idée est de créer une bibliothèque composée exclusivement de littérature africaine et d’auteurs noirs. Pour reprendre la phrase de Malcolm X, « seul un imbécile laisserait son ennemi éduquer ses enfants ». Non pas que les blancs soient nos ennemis... Notre ennemi c’est la suprématie blanche. Avec cette bibliothèque Sankara, nous voulons noircir la favela et récupérer la culture qu’elle a produite, les traditions d’origine africaine. Et c’est une manière de combattre le processus de gentrification17.

b. En quête d’autonomie : du « Nós por nós » au modèle politique du quilombo

33L’antiracisme et l’identité noire ne constituent pas ici seulement une référence ou un cadre de pensée : ils correspondent à une attitude politique à part entière, qui place en son cœur la revendication d’un certain « protagonisme ». Sans équivalent direct en français, ce terme désigne le fait d’être l’acteur principal des mobilisations (le protagoniste donc), plutôt que d’être relégué à l’arrière-plan, tandis que les décisions importantes sont prises pour l’essentiel par des militants blancs de classe moyenne. Il implique de ce fait une distinction entre « alliés » et « concernés », les premiers n’étant pas exclus de toute participation à la lutte, mais étant supposés jouer seulement un rôle de soutien, à la manière des personnages secondaires d’une intrigue. Ce sont les noirs ou les habitants de la favela qui doivent mener, conduire, orienter la lutte contre les oppressions dont ils sont victimes. Tel est le sens de l’expression « Nós por nós », que l’on peut traduire par « pour nous-mêmes, par nous-mêmes ». Présente depuis des années au sein de la culture hip-hop, dans les paroles de rap et de funk (Gonçalves 2017), l’expression est devenue un slogan du FJRJ, qui l’a reprise comme nom de baptême de son application de dénonciation des violences policières.

  • 18 Jorge, publication facebook du 31 décembre 2014.

34Le concept de protagonisme est très régulièrement associé à un autre, celui de lugar de fala (désignant à la fois le « lieu d’où l’on parle » et l’« espace de parole »). Celui-ci est dérivé des épistémologies féministes du point de vue (Hartsock 1983), qui insistent sur la manière dont l’expérience vécue de l’oppression influence la production du discours et du savoir. Dans son usage militant, la notion conduit à réaffirmer la plus grande légitimité qu’ont les opprimés à parler de leur oppression, et à revendiquer que ceux-ci puissent parler pour eux-mêmes, et non qu’on parle en leur nom (Alcoff 1991, Ribeiro 2017). Cette importance accordée à la prise de parole se retrouve dans le nom même du collectif créé par Jorge : « La Favela ne se tait pas ». Dans ses publications sur les réseaux sociaux, celui-ci associe le nom du collectif à d’autres slogans, reprenant les différents éléments évoqués ici : « Assurons nous-mêmes notre propre défense LA FAVELA NE SE TAIT PAS tout le pouvoir au peuple noir »18.

  • 19 Jorge, publication facebook du 22 décembre 2014.

35La défense du « protagonisme » et de l’« espace de parole » par ces nouveaux mouvements s’accompagne, du point de vue politique et organisationnel, d’un souci marqué de s’autonomiser, en particulier vis-à-vis d’une gauche de classe moyenne principalement blanche, qui occupe les postes de pouvoir au sein des différentes organisations. Le discours du « Nós por nós » implique un refus d’« occuper cette place que la gauche blanche a destinée au peuple noir, qui est la cuisine, le lieu de la subalternisation et de la servitude, le lieu qui ne donne pas au noir le protagonisme qu’il devrait avoir »19. Cette revendication permet de requalifier les conflits de juridiction qui se trament au sein des univers militants. Il s’agit donc de rejeter à la fois les ingérences extérieures des partis de gauche dans les mouvements des favelas, mais aussi, parallèlement, de revendiquer une place de premier plan au sein de ces partis et organisations.

36C’est dans la continuité de ces questionnements que s’inscrit l’initiative « À quoi et à qui servent les recherches dans les favelas ? », organisées par des militants du FJRJ. Elles consistent en une série de table-rondes et de débats qui ont lieu la plupart du temps dans la favela, et qui réunissent des habitants, des membres d’ONG et des universitaires, en prenant explicitement pour thème les relations entre chercheurs et favelas. Au fil des rencontres organisées à partir de 2016 à un rythme quasi-mensuel, elles portent une double dénonciation : celle d’une certaine fascination du monde académique pour les opprimés et les habitants des favelas (là où les études menées dans les quartiers aisés sont plutôt rares), qui correspondrait à une forme de « fétichisme anthropologique » empreint d’une « attitude coloniale ». Et elles dénoncent simultanément l’absence de retombées bénéfiques pour les habitants, qui ne sont que rarement associés dans la définition des objets de recherche. En contrepoint, elles attirent l’attention sur l’existence de toute une « épistémologie de la favela » et sur la capacité des habitants à produire eux-mêmes des savoirs, à tenir un discours à partir de leur expérience (on y retrouve alors les thématiques du standpoint).

37Si ce genre de rencontre se situe à l’interface du monde universitaire et de la favela, l’espace du FJRJ lui-même, porté par le mot d’ordre « Nós por nós » se conçoit comme une sphère d’autonomie, dont la vocation est d’être relativement préservée, aux yeux de ses militants, des hiérarchies qui traversent la société, et des formes de domination exercées à travers leur discours par les classes moyennes blanches éduquées – permettant ainsi de retrouver des espaces de parole. Leandro, militant du FJRJ qui a habité un temps avec Matheus, décrit en ces termes l’ambiance du collectif :

  • 20 Entretien avec Leandro du 25 juillet 2017.

Le FJRJ est l’un des seuls espaces politiques où je ne me suis pas senti plus petit [menor] parce que je n’avais pas un diplôme, parce que je n’avais pas un statut, principalement en termes militants. Tout ce que je sentais n’était pas déconsidéré, n’était pas relativisé. J’ai pu pleurer. J’ai pu dire ce que je sentais. J’ai pu dire ce que je pensais sans avoir peur de dire ce que je pensais, parce que je ne savais pas. Alors que ça n’a pas de sens de ne pas savoir […]. On n’a pas besoin d’un docteur [doutor, qui désigne de façon ambiguë ici le « bourgeois » ou le « titulaire d’un doctorat »], un master [titulaire d’un master donc] ou je ne sais pas quoi pour nous dire ce qu’est l’oppression ou je ne sais pas quoi pour valider notre parole, un docteur pour nous parler, pour nous apprendre ce qu’était l’oppression20.

38Dans le discours de Leandro, c’est la violence des hiérarchies sociales qui s’incarne dans le monde universitaire et ses « diplômes », quel que soit par ailleurs le contenu engagé des discours tenus par ses acteurs. Les membres du FJRJ évoquent à ce titre régulièrement les bienfaits en termes de « confiance en soi » et de « santé mentale » que représentent leurs réunions. Mais de tels espaces préservés ne signifient en aucun cas l’autonomie des collectifs du point de vue de leur fonctionnement et de leurs conditions d’existence : ceux-ci continuent de s’appuyer sur le soutien des organisations de gauche, et d’entretenir des liens avec ses militants, profitant amplement des ressources financières, communicationnelles et organisationnelles mises à disposition par les partis et les ONG (le lancement de l’application Nós por nós comptera ainsi sur un partenariat avec l’ONG Witness et le soutien de l’IBASE). Ils continuent ainsi de s’inscrire dans le jeu complexe des écologies liées de la contestation favelada.

  • 21 Jorge, publication facebook du 12 novembre 2014.
  • 22 Entretien avec Leandro du 25 juillet 2017.

39Dans le droit fil de la pensée d’Abdias Nascimento, cette recherche d’autonomie trouve dans la figure du quilombo l’un de ses symboles fédérateurs. Le terme désigne les communautés d’esclaves marrons qui existent au Brésil depuis plusieurs siècles, et en particulier à celle de Zumbi dos Palmares, leader au XVIIe siècle de la plus grande de ces communautés (dont on estime la population à 20 000 habitants). Jorge assimile ainsi l’espace de la favela à un « quilombo urbain », refusant sa transformation par les policiers de l’UPP en « senzala [espaces réservés aux esclaves dans les propriétés seigneuriales] »21. Dans la région portuaire, certains squats du mouvement des mal-logés reprennent le terme de quilombo dans leur nom de baptême (« quilombo des guerrières », auquel fait suite le projet « quilombo de Gamboa »), et des habitants des environs de la place Pedra do Sal revendiquent quant à eux la reconnaissance officielle du territoire comme « communauté issue d’un quilombo » au regard de la loi brésilienne (permettant notamment d’obtenir des garanties dans l’usage du sol, cf. Bautès et al. 2014). Le quilombo est à la fois un espace de résistance, en sécession par rapport à l’État, et un espace communautaire, où les opprimés se retrouvent et se rassemblent. Il en vient alors, par sa charge utopique, à constituer un nouvel horizon de lutte. Ainsi Leandro, interrogé à propos de ce qui est selon lui l’avenir politique le plus souhaitable, répond : « Des quilombos, davantage de quilombos. Qu’il y ait toujours plus de quilombos »22.

Conclusion : la fermeture d’une parenthèse contestataire ?

40Le nouveau chapitre de la politique des favelas ouvert dans le contexte des mouvements sociaux des années 2010 et des grandes politiques urbaines conduites à la veille des méga-événements sportifs a vu à la fois l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs et le renouvellement des causes historiques que sont l’opposition aux évictions et aux violences policières. Le contexte des politiques de « pacification policière » (qui n’étaient pas seulement répressives mais aussi porteuses d’aspirations en termes d’accès à la citoyenneté), le développement d’internet et des nouvelles technologies (ouvrant de nouvelles possibilités de dénonciation et de publicisation), ainsi que le développement des mouvements antiracistes à l’échelle internationale (en particulier le mouvement Black Lives Matter) ont concouru à une rupture avec les formes plus traditionnelles de la politique des favelas. Ce renouveau s’est fait à l’interface de plusieurs écologies liées : monde social de la favela avec ses relations de pouvoir internes, partis et organisations de mouvements sociaux de gauche et d’extrême-gauche, ONG et monde universitaire, mais aussi les réseaux de mobilisation étudiants. Cet arrangement d’acteurs donne lieu à des tensions et des conflits de juridiction, soulevant la question de l’autonomie des mouvements des favelas et de la capacité des habitants à s’affirmer comme « protagonistes » des luttes qui les concernent. Le cadre antiraciste tend alors à faire du quilombo un nouveau symbole de lutte, et à faire de la favela un espace de résistance qui doit être appréhendé sous un prisme socio-racial, associant les identifications en tant que « noir » et « favelado ».

41Le 14 mars 2018, la conseillère municipale Marielle Franco est assassinée à bord de son véhicule alors qu’elle sortait d’un débat intitulé « Les femmes noires font bouger les structures ! » (Mulheres negras movendo as estruturas). Une semaine avant son assassinat, elle avait pris la parole pour dénoncer l’action meurtrière du bataillon de police militaire d’Acari. Jorge et Matheus, qui connaissaient tous deux personnellement la conseillère, sont profondément affectés par cet assassinat, qui apparaît aux yeux de tous comme un assassinat politique et un geste d’intimidation pour les militants des favelas engagés sur des causes similaires. Plus largement, c’est tout un changement d’atmosphère politique qui se trouve symbolisé par cet événement : depuis 2015 le pays traverse une crise à la fois économique (récession) et politique (destitution de la présidente Dilma Rousseff), qui prend à Rio de Janeiro une forme particulièrement accentuée. L’État de Rio de Janeiro, en faillite, ne parvient plus à payer les salaires des forces de l’ordre, ce qui conduit l’État fédéral à faire appel à l’armée, début 2018, pour assurer la sécurité au sein de la ville. En parallèle, on observe l’essor d’une vague conservatrice qui aboutira à l’élection du président Jair Bolsonaro à la fin de l’année, et qui se caractérise entre autres choses par un rejet frontal du discours antiraciste et de tout ce qui est associé aux droits des minorités.

42Tout indique alors que le moment décrit au cours de cet article est en train de se refermer. Les activités contestataires à Providência, à Chapéu Mangueira et à Babilônia connaissent un certain repli dans un contexte de retour des affrontements armés quasi-quotidiens, signant l’échec de la politique de pacification. La plupart des réseaux militants constitués dans le sillage des manifestations de juin 2013 tendent à se désagréger. La trajectoire de Jorge et Matheus semble épouser ce reflux des mouvements sociaux : le premier, qui avait jusqu’alors refusé toute collaboration avec les partis politiques, travaille désormais pour le Parti des Travailleurs (celui de l’actuel président Lula), adoptant le traditionnel rôle d’agent électoral (cabo eleitoral) au service d’un candidat du PT. Le second, devenu pasteur, s’attache à donner une inflexion plus religieuse à son discours militant, qu’il fait davantage évoluer dans le sens d’un universalisme chrétien. En parallèle, il continue de mener ses activités de guide touristique « engagé » et tente, lui aussi, de poursuivre une carrière dans la politique professionnelle, se présentant (sans succès) comme député d’État aux élections de 2022, lui aussi pour le Parti des Travailleurs. Pour autant, si le contexte d’opportunité a profondément changé, la cause du protagonisme et de l’antiracisme n’a cessé de progresser au sein des mouvements sociaux, et a trouvé des débouchés politiques. Le nombre de députés fédéraux noirs a augmenté de près de 10% entre 2018 et 2022, et n’a cessé d’augmenter entre 2014 et 2022 passant de 19 à 26% de la chambre des députés – un accroissement général que l’on retrouve également au sein de l’Assemblée législative de l’État de Rio de Janeiro et du conseil municipal de la ville. Reste à savoir, question que nous laissons ouverte, combien ce renouveau politique et ces nouvelles formes de contestation, expérimentées dans un contexte politique et social particulier, ont pu infuser au sein de la société favelada et modifier durablement les registres d’indentification, les représentations politiques ou les horizons d’action d’une jeunesse en devenir.

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Notes

1 Chapéu Mangueira et Babilônia, situées l’une à côté de l’autre, comptent une population d’environ 1300 et 2500 habitants respectivement et se situent sur les pentes montagneuses du quartier aisé de Leme, tandis que Providência, la plus ancienne de Rio de Janeiro (on fait en général remonter sa « naissance » à 1897), compte officiellement autour de 4000 habitants, et se situe dans la région portuaire, au sein du noyau historique de la ville.

2 Pour l’enquête menée à Chapéu Mangueira et Babilônia, le terrain a duré douze mois répartis en trois périodes (2012, 2014 et fin 2015). Joana Sisternas, qui vivait sur place, a participé à de nombreuses activités politiques, socioculturelles, festives se déroulant au sein de la favela et réalisé une trentaine d’entretiens avec des habitants et des jeunes militants. David Amalric a été enseignant dans une structure d’éducation populaire dans la favela Providência, où il a côtoyé de nombreux jeunes et militants entre 2016 et 2018. Il a suivi les activités de différents collectifs contestataires et pris part à plusieurs séquences de mobilisations, combinant dans son enquête l’observation participante et les entretiens ethnographiques.

3 Machado da Silva qualifie de « bourgeoisie favelada » ces familles appartenant aux couches les plus favorisées de la favela qui « monopolisent l’accès, le contrôle et la manipulation des ressources économiques, ainsi que les décisions et les contacts politiques » (1967 : 702).

4 Les générations de Brésiliens nés après 1970 ont progressivement bénéficié des politiques de lutte contre les inégalités sociales mises en œuvre par les pouvoirs publics et quelques institutions privées. Parmi ces programmes, on compte : le programme d’Action Sociale de l’Université Catholique de Rio (PUC-Rio) ; les « prévestibulares comunitarios » – cours populaires de mise à niveau et de préparation aux concours d’entrée à l’université ; le programme fédéral ProUni ; et les systèmes de quotas sociaux et raciaux (Valladares 2009). Résultat de ces politiques, le taux de scolarité des Noirs et Métis au Brésil a été multiplié par quatre entre 1998 et 2008 (Paixão et al. 2010).

5 Entretien avec Jorge du 19 octobre 2015.

6 Le Conselho Popular, né en 2007, est une initiative portée par des habitants des favelas, en partenariat avec la Pastorale des favelas, afin d’organiser les luttes en faveur du droit au logement.

7 Il mentionne en particulier le film Quilombo, réalisé en 1984 par Carlos Diegues.

8 Noire et issue du complexe de favelas de Maré, Marielle Franco est une figure emblématique de la dénonciation du racisme et des violences policières – tout en étant fortement engagée sur les questions de féminisme et de droits LGBT.

9 L’Unité de Police Pacificatrice est un corps de police spécialement conçu pour s’installer de façon pérenne dans des favelas stratégiquement choisies, et qui a pour objectif à long terme d’établir un rapport de proximité avec ceux qui y résident.

10 Les cursos de extensão, dispositifs pédagogiques hors-les-murs à destination de la société, correspondent à l’une des missions, fixée par la loi, des universités brésiliennes, à laquelle doit être consacrée une partie de leur budget et de leurs heures d’enseignement. Ils jouent un rôle essentiel dans la circulation de savoirs et de discours entre le monde universitaire et la favela – c’était le cas, comme on l’a vu, au sein du Forum Communautaire du Port à l’origine de la mobilisation des habitants de la favela de Providência.

11 Cette institution chargée de défendre les droits des citoyens dans les cas de litige avec les administrations est l’équivalent du Défenseur des droits en France.

12 Matheus, publication Facebook du 26 avril 2018.

13 Le texte vise à faire valoir l’existence d’un génocide de la population noire aux États-Unis d’après les critères des Nations unies, se référant dans ce sens à la brutalité policière autant qu’aux lynchages effectués avec la complicité de l’État.

14 L’usage du terme trouve son écho dans le monde académique, notamment à travers la publication en 2017 de l’ouvrage collectif Motim o horizonte do genocídio antinegro na diáspora (Flauzina et Vargas 2017).

15 Dérivée de la notion de « biopolitique » de Michel Foucault, la nécropolitique d’Achille Mbembe s’attache à rendre compte d’une dimension essentielle de la souveraineté à l’époque contemporaine : le recours à la mort, au « pouvoir de tuer » de l’État, comme instrument de la gestion des populations ; à ce titre, elle fournit pour les militants évoqués ici un cadre d’analyse et de compréhension pertinent de la récurrence et de la systématicité des assassinats policiers dans la favela (Mbembe 2006).

16 Jorge, publication facebook du 3 septembre 2014.

17 Entretien avec Jorge du 19 octobre 2015.

18 Jorge, publication facebook du 31 décembre 2014.

19 Jorge, publication facebook du 22 décembre 2014.

20 Entretien avec Leandro du 25 juillet 2017.

21 Jorge, publication facebook du 12 novembre 2014.

22 Entretien avec Leandro du 25 juillet 2017.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Amalric et Joana Sisternas Tusell, « De nouveaux protagonistes : antiracisme et politique contestataire dans la jeunesse des favelas de Rio de Janeiro »Appartenances & Altérités [En ligne], 5 | 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/alterites/1207 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12kpy

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