Le négationnisme allemand dans l’espace public. Éléments d’analyse d’un phénomène transnational
Résumés
Le négationnisme a été très tôt un phénomène transnational. La nature et l’ampleur des contributions d’Allemands à sa diffusion dans l’espace public, en RFA et dans le monde, ont évolué au cours du temps. L’État de RFA s’est beaucoup engagé dans la lutte juridique contre le négationnisme, mais celle-ci a ses limites, tant sur le plan national que sur le plan international. L’Internet et les médias sociaux ont permis au négationnisme d’être encore plus présent dans l’espace public et en ont aussi en partie accentué le caractère transnational. Jusqu’à maintenant, ces évolutions ne semblent cependant pas avoir conduit, en Allemagne, à une progression des idées négationnistes dans l’opinion publique.
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- 1 La contribution essentielle de Français à la genèse et au développement du négationnisme ne doit p (...)
1La négation de l’holocauste a des racines et une évolution propres dans de nombreux pays, mais son histoire nationale y a subi plus ou moins tôt des influences étrangères plus ou moins fortes1. Une analyse comparative de discours, reposant par exemple sur l’étude des sources ou des citations dans des corpus nationaux, permettrait de mettre au jour ces influences, d’évaluer leur importance au regard des contributions propres sur le plan des arguments ou des stratégies discursives. Mais le caractère transnational du négationnisme repose aussi concrètement sur des activités, des échanges ou des collaborations entre ses acteurs au-delà des frontières : traduction, édition, promotion et diffusion de textes, organisations, manifestations ou actions communes, publicité et services réciproques…
2Ces activités ont pour but de développer la présence du négationnisme dans l’espace public afin de conquérir les esprits et les opinions publiques. L’étude du négationnisme allemand dans l’espace public dans un contexte international peut donc commencer par un aperçu de sa contribution depuis l’émergence du phénomène, mais elle doit se consacrer ensuite aux conditions dans lesquelles ces activités se déploient et son discours est rendu public. Et parmi ces conditions figurent en particulier le cadre juridique, susceptible de l’entraver, et la révolution de l’information et de la communication, qui semble le favoriser.
Un phénomène transnational
- 2 Maurice Bardèche, Nuremberg ou la Terre promise, Paris, Les Sept Couleurs, 1948 ; M. Bardèche, Nur (...)
- 3 G. A. Amaudruz, Ubu justicier au premier procès de Nuremberg, Paris, Charles de Jonquières, 1949.
3Si le négationnisme a été très tôt un phénomène transnational, c’est en partie parce qu’il était promu par des personnalités qui poursuivaient un objectif paneuropéen et développaient par conséquent des activités à l’échelle européenne. C’était le cas par exemple du Français Maurice Bardèche, du Suisse Gaston-Armand Amaudruz et de l’Allemand Karl-Heinz Priester, qui figuraient parmi les membres fondateurs du Mouvement social européen à Malmö en 1951. À cette date, Bardèche avait déjà publié ses deux Nuremberg2 et Amaudruz Ubu justicier au premier procès de Nuremberg3. Mais ces hommes devaient contribuer également à la diffusion du négationnisme à travers la publication de revues aux titres éloquents : Défense de l’Occident, fondée par Bardèche en 1952, Courrier du continent, dirigée par Amaudruz depuis 1947, et Nation Europa, cofondée par Priester en 1951.
- 4 Entre autres correspondant et responsable de la distribution de Nation Europa en Suisse.
- 5 M. Bardèche, Nürnberg oder das gelobte Land, Zurich, Kommisssionsverlag E.u.A. Kreutler, 1949.
- 6 M. Bardèche, Nürnberg oder das gelobte Land, Buenos Aires, Ediciones del Restaurador, 1950, présen (...)
- 7 M. Bardèche, Nürnberg oder die Falschmünzer, Wiesbaden, Priester, 1957.
- 8 Paul Rassinier, Die Lüge des Odysseus, Wiesbaden, Priester, 1959.
4Assez naturellement, c’est en partie le même réseau qui allait contribuer à la diffusion de la négation à travers les traductions et publications des textes fondateurs du négationnisme au-delà des frontières nationales et dans l’espace germanophone en particulier. Après sa parution en France en 1948, Nuremberg ou la Terre promise a par exemple été traduit en langue allemande par le Suisse Hans Oehler4, sous le pseudonyme de Hans Rudolf, et cette traduction allait faire rapidement l’objet d’une double publication, d’abord en Suisse en 19495, puis en Argentine l’année suivante6. En revanche, Nuremberg II ou les faux monnayeurs (sic) ne fut publié en allemand qu’en 1957, sept ans après sa parution en France, et c’est Priester qui allait se charger de cette première édition allemande7. L’éditeur de Wiesbaden devait publier deux ans plus tard Le Mensonge d’Ulysse, de Paul Rassinier, pour la première fois en langue allemande8.
- 9 Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier, Paris, Fayard, 1996, p. 231 sq.
- 10 Ibid., p. 277.
- 11 Landeszentrale(n) für politische Bildung et Bundezentrale für politische Bildung.
- 12 Lettre reproduite et traduite dans la Revue Documents : Helmut Kistler, « Le ‘mensonge d’Ulysse’ » (...)
- 13 Paul Rassinier, Was nun, Odysseus ? Zur Bewältigung der Vergangenheit, Wiesbaden, Priester, 1960.
- 14 P. Rassinier, Ulysse trahi par les siens, Paris, La Librairie française, 1961.
5Le négationnisme entra aussi dans l’espace public de RFA à travers l’organisation de conférences auxquelles les deux pères français du négationnisme ont été invités à dix ans d’intervalle. Bardèche se rendit en RFA en novembre 1950 et fit par exemple une conférence à Stuttgart9. Rassinier fit pour sa part une tournée de conférences fin mars-début avril 1960, invité par Priester10. Helmut Kistler, futur collaborateur des organismes publics d’éducation civique en RFA11, assista à sa conférence munichoise, le 2 avril, et il eut même après celle-ci une discussion avec Rassinier, avant de rendre compte de l’ensemble dans une lettre à la Süddeutsche Zeitung12. En réaction à cette discussion avec Kistler et aux critiques de ce dernier, Rassinier écrira pour sa part Ulysse trahi par les siens, un livre qui paraîtra d’abord en allemand quelques mois plus tard, à nouveau chez Priester13, puis en français l’année suivante14.
- 15 Udo Walendy, Des documents photographiques historiques ?, Vlotho, Verlag für Volkstum und Zeitgesc (...)
- 16 Thies Christophersen, Die Auschwitz-Lüge : ein Erlebnisbericht, Mohrkirch, Kritik-Verlag, 1973 ; T (...)
- 17 Wilhelm Stäglich, Der Auschwitz-Mythos, Tübingen, Grabert, 1979 ; W. Stäglich, Le mythe d’Auschwit (...)
6Postérieures aux textes français cités, les productions négationnistes allemandes les plus célèbres ne firent leur entrée sur la scène internationale qu’à partir des années 1970, dans un ordre relativement dispersé. Pour ce qui concerne par exemple leur diffusion en français, Udo Walendy se chargea lui-même de la publication d’une traduction de ses Bilddokumente für die Geschichtsschreibung, dès 1973, l’année de leur publication en RFA15. En revanche, également édité en 1973 en RFA, Die Auschwitz-Lüge de Thies Christophersen ne fut publié en France que trois ans plus tard, par la FANE16. Quant au livre le plus connu de Wilhelm Stäglich, Der Auschwitz-Mythos, il parut en français en 1986, soit sept ans après son édition en RFA, chez La vieille Taupe17.
- 18 Sur ce dernier point, cf. Juliane Wetzel, « Die Leugnung des Genozids im internationalen Vergleich (...)
- 19 Ce dernier en particulier selon J. Wetzel, ibid., p. 59.
7Les premières interactions entre les négationnistes américains et européens furent bien antérieures à 1978, mais la fondation cette année-là de l’Institute for Historical Review (IHR) fut un moment important dans l’histoire de l’internationalisation et de la structuration du négationnisme. L’IHR a son siège en Californie et déploie principalement ses activités aux États-Unis. Mais d’une certaine façon, il était placé d’emblée dans un cadre transnational, puisque cette fondation était le fait de l’Américain Willis A. Carto et du Britannique David McCalden. Et surtout, les congrès qu’il a organisés à partir de 1979 et la publication de son organe Journal of Historical Review allaient multiplier les collaborations entre les négationnistes du monde entier. Il a d’ailleurs parfois soutenu des manifestations ailleurs qu’aux États-Unis et a même créé une antenne au Japon en 199418. Toute cette activité allait aussi contribuer à une présence accrue d’Allemands dans ce réseau, tels Ernst Zündel, mais aussi Walendy, Stäglich, Germar Rudolf ou Otto Ernst Remer19.
- 20 Der Bundesminister des Innern, Verfassungsschutzbericht 1989, Bonn, 1990, p. 135.
- 21 Der Bundesminister des Innern, Verfassungsschutzbericht 1990, Bonn, 1991, p. 120.
- 22 L’organisation de plus de dix autres manifestations négationnistes impliquant des orateurs étrange (...)
8À partir de la fin des années 1980, des Allemands déployèrent une activité accrue en RFA, en s’appuyant en partie sur ce réseau. Parmi cinq négationnistes particulièrement actifs en 1989, l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) citait deux Allemands, Zündel et Christophersen20. Fait notable, l’un et l’autre résidaient à l’étranger (le premier au Canada, le second au Danemark). Dans son rapport sur l’année 199021, il évoquait la poursuite d’une « campagne mondiale du révisionnisme » entamée en 1989 et des manifestations sur le sol allemand. Le Britannique David Irving fit une série de conférences dans des grandes villes de l’Ouest et de l’Est de l’Allemagne, Robert Faurisson intervint devant un public nombreux au cours d’une réunion organisée par l’Allemand Ewald Althans, Zündel et Irving envoyèrent par voie postale le rapport « Leuchter » (le premier de Toronto, le second de Londres). L’année 1991 devait être marquée quant à elle par la tenue d’un « Congrès Leuchter » impliquant en grande partie les personnalités citées : Zündel pour la conception, Althans pour l’organisation, Faurisson et Irving comme orateurs. Mais, suite entre autres à l’arrestation de Zündel, la manifestation fut réduite à un rassemblement à l’extérieur au cours duquel Irving prit la parole, tout comme Stäglich et des intervenants venus de nombreux autres pays dont le Français Henri Roques et Ahmed Rahmi, Suédois d’origine marocaine22.
- 23 Horst Mahler, « Pressemitteilung », 11 nov. 2003, Das kausale Nexusblatt, janvier 2004, p. 12-14, (...)
- 24 Ibid.
- 25 Ursula Haverbeck, « Zur Gründungsversammlung des ‘Verein zur Rehabilitierung der wegen Bestreitens (...)
- 26 Le VRBHV a été interdit en 2008 par le ministre de l’Intérieur. Son président, le Suisse Bernhard (...)
9La fondation en 2003 de l’« Association pour la réhabilitation des personnes persécutées pour cause de contestation de l’holocauste » (Verein zur Rehabilitierung der wegen Bestreitens des Holocausts Verfolgten, VRBHV) constituait une innovation en RFA dans la mesure où elle tentait de donner une forme organisationnelle propre à ce réseau négationniste. Dans le communiqué de presse relatif à la première assemblée générale le 9 novembre 2003 à Vlotho23, Horst Mahler, qui semble avoir joué le rôle principal dans la conception et la préparation de cette fondation, cite les noms de quinze personnalités qui auraient participé, parmi d’autres, à cette fondation. Un tiers d’entre elles se trouvaient soit en détention (en RFA et au Canada), soit « en exil », c’est-à-dire qu’elles avaient fui la justice de leur pays (l’Allemagne, mais aussi l’Autriche et la Suisse). Mais surtout, la moitié d’entre elles environ n’était pas de nationalité allemande. Bien que mises en exergue à des fins de communication, ces caractéristiques étaient révélatrices à la fois des liens entre des négationnistes au-delà des frontières allemandes et d’une corrélation entre ces liens et les poursuites dont ils faisaient l’objet dans certains pays. Pourtant, c’est bien en RFA que le VRBHV se préparait à agir essentiellement, puisqu’il se fixait comme objectif la réouverture des procès ayant mené à des condamnations pour négation en vertu du paragraphe 130 du code pénal allemand24. Il ressortait cependant assez clairement du discours d’Ursula Haverbeck, vice-présidente de la nouvelle association, lors de cette première assemblée générale25 que l’action du VRBHV ne se limiterait pas à un combat en faveur des condisciples emprisonnés, mais tenterait bien de lutter contre ce que les fondateurs considéraient comme « le mensonge d’Auschwitz » et même de contribuer à la « restauration d’un Deutsches Reich souverain »26. Ce dernier objectif ne devait pas empêcher le VRBHV d’avoir plusieurs représentants à la Conférence de Téhéran des 11 et 12 décembre 2006 qui fut probablement l’événement le plus marquant de l’histoire transnationale du négationnisme au cours des années 2000.
Législation et transnationalité
- 27 Ces poursuites juridiques fournissent non seulement un prétexte au ressassement des arguments, mai (...)
10La façon dont a été conçu le VRBHV illustre très bien la stratégie argumentative de dénonciation de la législation antinégationniste et la place centrale que prennent les affaires juridiques à la fois dans la communication et dans les activités des négationnistes. Les procès, leur déroulement et leur issue, leur donnent la possibilité de prendre la parole et de faire parler d’eux. Le traitement juridique du négationnisme contribue à en faire une affaire publique et en augmente la couverture médiatique. Ce sont d’ailleurs les reproches formulés à l’encontre des poursuites juridiques du négationnisme : la possibilité ainsi créée de transformer les procès ou les tribunaux en tribunes et le fait que ces poursuites accréditent la stratégie de victimisation27.
- 28 Cf. Elisabeth Kübler, Europäische Erinnerungspolitik : Der Europarat und die Erinnerung an den Hol (...)
- 29 <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32008F0913&qid=1463328225436&from=en(...)
11La poursuite des négationnistes pour leurs écrits n’est pas un fait récent, mais ce n’est qu’au début des années 1990 que la négation de l’holocauste a été définie dans certains pays européens comme un délit spécifique, en particulier en France avec l’article 9 de la loi Gayssot de 1990 puis, quatre ans plus tard, en RFA avec l’arrêt du Tribunal constitutionnel fédéral et la modification de l’article 130 du code pénal. Par la suite, l’Allemagne a milité sur le plan européen pour l’adoption d’une législation antinégationniste commune. À partir de 2001, la Commission européenne a proposé une harmonisation de la législation contre le racisme et la xénophobie et l’année suivante, le projet débattu par la commission compétente du Parlement européen évoquait explicitement la négation de l’holocauste28. Il faudra cependant attendre le début de l’année 2007 pour qu’avec la présidence allemande du conseil et l’engagement de Brigitte Zypries, ministre de la Justice de RFA, la procédure soit relancée et débouche fin 2008 sur l’adoption de la « Décision-cadre […] sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal »29.
- 30 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil relatif à la mise en œuvre de la déci (...)
12Cette décision-cadre obligeait les États membres de l’Union européenne à rendre punissables, dans un délai de deux ans, « l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » définis par le statut de la Cour pénale internationale et des crimes définis par la charte du Tribunal militaire international (Nuremberg). Comme en écho à la lenteur et à la difficulté qui avaient présidé aux débats et à l’adoption, l’application n’a cependant été ni rapide ni généralisée. Début 2014, quinze États membres n’avaient pas encore mis en œuvre les dispositions de la décision-cadre de 2008 concernant le deuxième groupe de crimes cité30. La survivance de différences au sein de l’UE est doublée d’une disparité encore plus nette à l’échelle mondiale comme le montre l’exemple des États-Unis où la liberté d’opinion jouit d’une priorité absolue ou celui de l’Iran où la négation est soutenue par les pouvoirs publics.
13La disparité dans le traitement juridique du négationnisme selon les pays a naturellement réduit l’effet des mesures prises dans les pays adoptant une législation plus combative et elle a, dans le même temps, contribué de façon contreproductive à promouvoir des formes de collaboration transnationale. Les productions sur support papier ont été imprimées et expédiées de l’étranger. Les sites Internet ont été domiciliés à l’étranger, ce qui favorise la création ou l’entretien de contacts. Des négationnistes se sont expatriés pour réduire le risque de poursuites judiciaires, ou ont fui lorsqu’une menace de procédure ou de condamnation s’est faite plus précise voire lorsqu’un jugement est tombé.
- 31 La présentation de témoins étrangers accroît artificiellement l’importance du négationnisme qui se (...)
14Mais indépendamment des différences de traitement juridique entre les pays, la simple organisation de procès contre certaines personnalités a pu aussi favoriser la transnationalisation du négationnisme. Tout comme ils aiment s’y référer dans leurs textes, les négationnistes aiment faire comparaître leurs collègues étrangers comme témoins dans leurs procès, présentés comme des experts. Lors de son deuxième procès à Toronto en 1988, Zündel cita non seulement l’Américain Fred Leuchter, dont le « rapport » a été conçu dans ce cadre, et le Britannique David Irving, mais aussi l’Allemand Josef Ginsburg (alias J. G. Burg). La démarche vise à augmenter l’importance apparente du procès, à lui donner précisément une dimension internationale31. Et avec le recul, certains procès figurent bien comme des moments historiques marqueurs de l’identité du négationnisme en tant que mouvement transnational.
- 32 Cf. supra.
- 33 Robert Faurisson, « Brief an Horst Mahler » (texte daté du 20 octobre 2003, Das kausale Nexusblatt (...)
15Manifestement, la législation et la jurisprudence allemandes ont réduit l’activité de certains négationnistes en RFA. Il semble par exemple que Faurisson ne soit plus intervenu publiquement en RFA depuis le début des années 1990. Après avoir assisté aux arrestations de Zündel et Irving lors du « Congrès Leuchter » en 199132, il a pu être frappé par les modifications de la législation allemande en 1994, sans oublier l’arrêt de la Cour fédéral de justice (Bundesgerichtshof) de 2000 rendant répréhensibles des propos négationnistes sur Internet accessibles en RFA même s’ils sont diffusés depuis l’étranger. Lorsqu’il a appris la fondation future du VRBHV en 2003, il a demandé à y adhérer, mais a décliné l’invitation à la première assemblée générale du 9 novembre, convaincu que la police allemande procéderait à son arrestation et affirmant avoir, pour ce qui concerne la liberté de l’historiographie, encore moins confiance dans la police et la justice allemandes que dans leurs homologues françaises33. Germar Rudolf avait fui la RFA en 1996 pour échapper à une peine prononcée contre lui et à d’autres poursuites en cours, se rendant d’abord en Espagne, puis en Grande-Bretagne et enfin aux États-Unis. S’il a finalement purgé sa première peine et fait l’objet d’autres condamnations, c’est parce qu’il a été extradé des États-Unis en 2005. Et lorsqu’il a été libéré en 2009, il s’est empressé de quitter le sol allemand.
16Pourtant, les deux exemples cités pourraient également servir à illustrer les limites des effets des poursuites juridiques, en général ou sur le plan précis de l’internationalisation. Faurisson a poursuivi ses échanges avec les négationnistes allemands et le VRBHV en particulier. Rudolf est retourné aux États-Unis dès sa libération en 2009 et la poursuite de la publication des séries « Holocaust-Handbücher » et « Holocaust Handbooks » montre qu’il n’a renoncé ni à ses activités, ni bien sûr à leur double ambition, à la fois allemande et internationale.
17Il faut s’interroger sur le caractère dissuasif de la législation antinégationniste tant à l’échelle nationale qu’internationale. C’est ce qu’indiquent par exemple les quatre condamnations à des peines de prison ferme prononcées dans des affaires de négation en RFA en 2015. Arnold Höfs, condamné à dix mois de prison ferme le 19 mai 2015, avait déjà été condamné à une peine de prison avec sursis en 2008. Sylvia Stolz a commis à Chur (Suisse) les faits qui ont entraîné sa condamnation du 25 février 2015 à un an et huit mois de prison ferme environ un an et demi après avoir fini de purger une peine de prison de trois ans et demi. Quant à Gerhard Ittner, il avait pour sa part écrit les textes à l’origine de sa condamnation du 17 novembre 2015 à un an et demi de prison ferme alors qu’il était en détention au Portugal, sur le point d’être extradé vers l’Allemagne pour y purger la peine à laquelle il avait été condamné en 2005.
18Enfin, avant sa condamnation à dix mois de prison ferme le 12 novembre 2015, Ursula Haverbeck avait été condamnée en particulier à six mois de prison avec sursis en 2010 et son appel auprès de la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) avait échoué l’année suivante. À la fin de l’interview qu’elle a donnée au printemps 2015 aux journalistes du magazine télévisé Panorama, elle se disait d’ailleurs absolument prête à aller en prison. Elle a bien sûr fait appel de ce jugement de novembre 2015, mais n’a pas cessé ses activités depuis sa condamnation, ce qui lui a d’ailleurs valu une nouvelle mise en accusation en avril 2016 : elle semble désormais déterminée à payer ce prix, selon l’expression qu’elle utilisait elle-même dans l’interview. Avant une possible incarcération, le procès en appel et la nouvelle procédure lui permettront à nouveau d’occuper la scène médiatique. De ce point de vue, sa condamnation de novembre 2015 a été un succès. D’une part, Haverbeck et les négationnistes peuvent l’exploiter dans leur propre communication. D’autre part, elle a eu un retentissement important dans les médias et sur Internet en particulier. Ces deux effets, qui se combinent et interagissent, opèrent au-delà du cadre national. En France par exemple, cette condamnation n’a pas seulement provoqué le déploiement des réactions et argumentations habituelles sur les sites négationnistes, mais également une couverture non négligeable sur des sites d’information.
Internet et transnationalité
- 34 Parallèlement, de nombreux articles traduits étaient également publiés dans les périodiques.
- 35 D’abord : Cromwell Press, London, 1993 (1) ; puis : Castle Hill Publishers, Hastings (UK), 2001 (2 (...)
19Jusqu’au début des années 1990, la communication des négationnistes a principalement reposé sur la diffusion de supports imprimés, périodiques et monographies. Conformément aux relations entre les individus et grâce à une activité de traduction relativement importante, les principaux ouvrages en anglais, allemand et français devaient être disponibles34. Mais l’édition et la diffusion d’une partie d’entre eux étaient elles-mêmes souvent aussi le produit d’une collaboration internationale dans laquelle la contribution allemande n’était pas rare. Did Six Million Really Die ?, la brochure de l’Anglais Richard Harwood (alias Richard Verall) a été publiée en 1974 à Toronto, par Zündel. La Rudolf-Gutachten (« Expertise Rudolf ») a été réalisée en 1992 par Germar Rudolf à la demande de l’avocat d’Otto Ernst Remer, Hans-Joachim Herrmann, mais c’est en Grande-Bretagne qu’elle a été éditée35. Et son modèle, le « Rapport Leuchter » a vu le jour en 1988 d’après une idée de Faurisson, mise en œuvre par Zündel qui a sollicité Leuchter. Zündel était d’ailleurs à l’époque l’un des négationnistes les plus actifs sur le plan de la réalisation et de la diffusion de matériel de propagande, son action ne se limitant pas au support imprimé : il a par exemple aussi conçu et distribué à l’international un certain nombre de cassettes audio puis de cassettes vidéo.
- 36 Cf. sur ce point le survol proposé en 2001 dans Rainer Fromm, Barbara Kernbach, Rechtsextremismus (...)
- 37 Ibid., p. 223.
20Les négationnistes ont vite investi Internet, des sites relativement importants furent créés en différents points de la planète36, avec la plupart du temps des ambitions internationales. Aucun site négationniste d’importance ne vit le jour en RFA à la même époque, ce qui ne signifie évidemment pas que l’explosion d’Internet resta sans effet sur la communication négationniste en RFA et non pas uniquement à cause de l’accessibilité des sites étrangers. Des Allemands collaboraient à des sites étrangers et ce fut même Zündel qui créa le premier site négationniste, à Toronto, au printemps 199537. Le négationnisme en langue allemande fut donc présent sur Internet dès le départ, d’autant que les administrateurs négationnistes tentèrent rapidement de limiter l’effet des obstacles linguistiques en utilisant différentes langues. Les sites les plus importants avaient d’emblée des ambitions internationales. Internet permettait aux détenteurs de sites non seulement de rendre compte de l’actualité du négationnisme et de présenter les principaux arguments et auteurs négationnistes, mais aussi de rendre disponibles les classiques du négationnisme international. Les sites en firent la publicité et les proposèrent à la vente, mais ils furent aussi mis en ligne, à la libre disposition des internautes, la plupart du temps pas seulement dans leur version originale.
- 38 Holocauste ou Seconde Guerre mondiale bien sûr, mais aussi guerres, crimes de guerre et génocides, (...)
- 39 Cette description porte principalement sur la partie visible de l’utilisation de YouTube. Il ne fa (...)
21L’émergence des médias sociaux a contribué à la fois à l’accroissement de la présence des négationnistes sur Internet et, d’une certaine façon par définition, à la multiplication des échanges entre les membres du milieu et avec l’extérieur. Des célébrités et des anonymes ont investi par exemple le site d’hébergement de vidéos YouTube, soit à travers la création de chaînes propres, plus ou moins étoffées, soit à travers le recours aux commentaires. Le support vidéo permet à des organisations ou des individus de rendre compte de leurs activités, souvent de procès, ou plus généralement déployer leur argumentaire. Les styles, les formats, les genres choisis sont d’une grande variété. La fonction commentaire est elle aussi utilisée de façon variable. Elle permet des interventions au sujet de vidéos sans aucun lien avec le négationnisme, mais dont les sujets permettent le recours à des allusions, le déploiement d’arguments et la citation de références négationnistes ainsi que l’indication de liens38. Les vidéos négationnistes suscitent souvent de rapides marques d’approbation ou de condamnation, des louanges ou des insultes. Les commentateurs convaincus prennent d’une certaine façon le relais des détenteurs de la chaîne en approuvant, commentant et complétant la vidéo, puis le cas échéant en réagissant aux commentaires négatifs. L’implantation internationale de YouTube sert les ambitions des négationnistes. Cela vaut en partie pour les commentaires et les échanges, mais plus encore pour la mise en ligne de vidéos. Certaines sont traduites (en particulier les commentaires) ou sous-titrées : tantôt dès la version originale, tantôt dans des versions ultérieures ; tantôt par leurs auteurs, tantôt par d’autres utilisateurs39.
- 40 48 en six ans, mais avec parfois plusieurs articles le même jour, parfois aucun pendant des mois v (...)
22L’exemple de l’utilisation des nouveaux médias par Haverbeck, la négationniste allemande qui est actuellement la plus active dans l’espace public, permet de compléter utilement ces remarques d’ordre général. L’ancienne vice-présidente du VRBHV possède un site propre, une chaîne YouTube et une page Facebook. D’une manière générale, son activité sur Internet n’est ni intense, ni régulière, ce qui ne l’empêche certes pas d’y avoir une présence relativement importante. Elle ne publie sur son site – créé en 2010, donc deux ans après l’interdiction du VRBHV – que quelques articles ou documents par an40. Sur le plan formel, son site se distingue tout d’abord par un recours relativement fréquent à l’anglais voire au français. Certains des textes qu’elle met en ligne sont en effet à la fois en allemand et en anglais, mais parfois aussi en français. De même, elle fait sous-titrer ses vidéos voire tourne des versions de ses déclarations dans lesquelles elle s’exprime en langue anglaise. La seconde caractéristique de sa communication sur son site est en effet qu’elle réalise et poste assez souvent des vidéos, ce qui s’explique par sa volonté explicite de s’adresser aux jeunes générations, sa conscience du succès et donc de l’efficacité de ce support sur Internet et en particulier à travers la plate-forme YouTube.
- 41 Cette chaîne ne contient que cette seule vidéo. La version identique postée par Haverbeck sur sa c (...)
- 42 Donc soit d’un pays étranger où elle est disponible, soit de RFA ou d’un autre pays où le blocage (...)
23Il ne fait aucun doute que sur le plan quantitatif, YouTube apporte bien plus à Haverbeck que son site personnel. Créée seulement en juillet 2014, sa propre chaîne YouTube ne comporte en mai 2016 que sept vidéos, dont la dernière a été postée en avril 2015. De façon un peu surprenante, elle ne comporte que les vidéos en langue allemande. La chaîne « Ursula Haverbeck » n’est en théorie pas accessible en tant que telle en RFA, ni dans certains autres pays européens, dont la France, l’Autriche ou la Suisse, mais l’est par exemple en Belgique et aux États-Unis. Chacune des sept vidéos présentées sur sa chaîne est cependant accessible sur YouTube dans tous les pays cités, à partir de son titre ou d’une recherche par termes, soit (individuellement) sur la chaîne « Ursula Haverbeck », soit sur une autre chaîne. Sa vidéo la plus regardée dans sa version originale, l’interview intégrale avec le magazine télévisuel Panorama, a d’ailleurs été consultée environ quatre fois plus sur une chaîne créée uniquement pour contourner son blocage par YouTube41 que sur la chaîne d’Ursula Haverbeck42. De façon comparable, si les vidéos en langue étrangère d’Haverbeck ne figurent pas sur sa propre chaîne YouTube, elles sont néanmoins disponibles sur cette plate-forme. La vidéo d’Haverbeck la plus vue, toutes versions confondues, est d’ailleurs en mai 2016 une version sous-titrée en espagnol de l’interview complète qu’elle a accordée à Panorama.
La négation dans l’opinion publique
- 43 Sondage OpinionWay pour l’UEJF, « Les Français et les propos haineux sur Internet – février 2015 » (...)
24Il ne fait aucun doute qu’Internet a facilité l’accès aux productions négationnistes. Quiconque souhaite se renseigner à la source ou se former au négationnisme peut le faire plus facilement, plus rapidement et plus intensément qu’au début des années 1990. Mais Internet et les médias sociaux ont aussi contribué à démultiplier les contacts directs involontaires avec la négation. À défaut de source comparable sur l’Allemagne, on peut se référer à une enquête d’opinion réalisée en France et selon laquelle, début 2015, 38 % des Français prétendent être « confrontés » à des propos négationnistes sur Internet (« souvent » pour 3 %, « parfois » pour 15 % et « rarement » pour 20 % des personnes interrogées)43. En 1990, il y avait certainement moins de Français qui avaient connaissance de la simple existence de la négation et la part de ceux qui avaient des contacts directs avec le discours négationniste ne devait guère dépasser les 5 %. Il va de soi que la présence accrue de ce discours dans l’espace public est propre à favoriser la diffusion du négationnisme dans les esprits. Pourtant, établir l’accroissement de son accessibilité et de sa notoriété ne suffit pas à établir celui de l’acceptation et de l’adhésion qu’il suscite.
- 44 « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http://global100.adl.org/#country/germany/2014, dern (...)
- 45 Ibid.
25Des enquêtes d’opinion récentes semblent indiquer que la part des Allemands qui contestent la vérité historique de l’extermination des Juifs dans son ensemble est extrêmement minoritaire. Selon une enquête que l’Anti-Defamation League (ADL) a consacrée à la diffusion de l’antisémitisme à l’échelle internationale, la part des personnes considérant en RFA en 2014 que l’holocauste était « un mythe » était de « 0 % », l’ADL publiant des résultats arrondis à l’unité44. Ce chiffre exclut une progression sensible de l’adhésion au négationnisme en RFA, en dépit de l’explosion de la présence du négationnisme sur Internet. Cependant, celle-ci pourrait aussi avoir pour effet la diffusion accrue non pas de la négation intégrale, mais de la relativisation de l’holocauste. Un autre résultat de l’enquête menée en 2014 par l’ADL permet de le supposer puisque 11 % des Allemands estimaient que le nombre des victimes de l’holocauste était très exagéré45. Les arguments négateurs ne laisseraient-ils pas une espèce de doute dans l’esprit des citoyens et en particulier des internautes, un doute diffus qui pourrait porter en particulier sur l’ampleur du génocide ?
- 46 Elmar Brähler, Oskar Niedermayer, Rechtsextreme Einstellungen in Deutschland. Ergebnisse einer rep (...)
26Des recherches menées en RFA depuis 2002, portant sur la diffusion des « idées d’extrême droite » et reposant sur une enquête menée presque à l’identique tous les deux ans, semblent apporter un élément de réponse. L’une des questions destinées à mesurer plus particulièrement la banalisation du national-socialisme porte sur l’affirmation selon laquelle ses crimes auraient été largement exagérés. Or la part des Allemands adhérant à cette affirmation a connu une baisse – presque continue – de 2002 à 2014, passant de 11 % à 7 %46. Ces chiffres semblent indiquer que, malgré Internet et malgré les médias sociaux en particulier, les négationnistes ne sont pas parvenus pour l’instant à faire douter beaucoup d’Allemands de la pertinence de la représentation historiographique de l’holocauste. L’adhésion à la minimisation aurait même chuté.
- 47 « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http://global100.adl.org/#country/france/2014, derni (...)
- 48 Ibid.
27Mais ce constat qui semble s’imposer pour l’Allemagne, dans un contexte de montée en puissance d’Internet dans le monde entier, est-il forcément valable ailleurs ? La simple comparaison franco-allemande semble indiquer le contraire. En effet, selon l’enquête de l’ADL pour 2014, 2 % des Français estimaient que l’holocauste était un mythe alors que c’était le cas de 0 % des Allemands47. De même, 24 % des Français approuvaient la thèse selon laquelle le nombre de victimes de l’holocauste serait très exagéré, alors que 11 % des Allemands y adhéraient48. Les chiffres pour la France permettent non pas d’établir, mais néanmoins de supposer que l’adhésion à la négation et surtout à la relativisation de l’holocauste y a augmenté au cours des dernières décennies, contrairement à ce qui s’est passé en RFA.
- 49 On perçoit ici avec netteté les limites méthodologiques du renvoi au sondage français relatif à la (...)
28Internet a connu un développement comparable dans ces deux pays. L’accessibilité et la notoriété du discours négationniste y ont incontestablement augmenté. Reste que l’engagement des négationnistes en France et en RFA sur Internet n’est pas nécessairement le même, d’autant que la législation et la jurisprudence n’y sont pas identiques49. Quoi qu’il en soit, le lien de causalité entre Internet et la diffusion effective de la négation au sein d’une population n’est évidemment pas exclusif. Le succès des thèses négationnistes varie également selon le contexte national et en particulier selon des facteurs tels que l’attitude des autres médias et celle de la société civile, l’éducation et la culture politique, le passé national et la mémoire de ce passé ou encore, bien entendu, le traitement juridique de la négation.
- 50 Cette part est passée en RFA de 11 % à 8 %. Cf. « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http (...)
- 51 À titre indicatif, selon les chiffres de l’ADL, de 2014 à 2015, la part des antisémites serait pas (...)
29Les travaux de l’ADL apportent un autre élément d’un intérêt plus général qu’il convient de souligner avant de conclure. En 2015, l’enquête sur la diffusion de l’antisémitisme a été reprise dans un certain nombre de pays. Or, la part des Français adhérant à la thèse selon laquelle l’holocauste était un mythe était passée de 2 % à 0 % (s’alignant en quelque sorte sur la situation en RFA) tandis que la part de ceux qui considéraient que le nombre de victimes de l’holocauste était très exagéré était désormais non plus de 24 %, mais de 7 %50. Cette chute, spectaculaire en France, était en outre en parfaite cohérence avec l’évolution des résultats obtenus sur les autres questions et les autres indices partiels qui marquaient globalement une baisse considérable, surtout en France, mais aussi en RFA51. Il ne fait aucun doute que cette évolution doit être mise en relation avec les attentats de janvier 2015 en France, en particulier avec les assassinats dans la supérette Hyper Cacher porte de Vincennes à Paris le 9 janvier de cette année 2015. La corrélation mériterait un examen détaillé, mais la solidarisation avec les victimes du terrorisme et l’effroi face aux conséquences potentielles de l’antisémitisme semblent avoir entraîné, du moins à court terme, sa régression dans les esprits des Français et des Allemands. Pour se limiter ici aux réponses relatives à l’holocauste, la baisse de l’adhésion à sa négation et à sa minimisation montre bien que le rejet de sa représentation usuelle est moins la conséquence de l’intégration de théories historiques précises que le produit d’un antisémitisme diffus.
Conclusions
30Consistant d’abord principalement dans la diffusion en RFA des thèses venant de l’étranger, en particulier de la France, l’implication allemande dans le négationnisme en tant que phénomène transnational s’est ensuite traduite également par l’apport de publications allemandes parmi les textes de référence du négationnisme international. La fondation de l’IHR a accentué la mise en réseau et favorisé les activités transnationales des négationnistes. Parmi les principaux acteurs figuraient des Allemands, et en particulier Ernst Zündel. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, un nombre relativement important de manifestations impliquant des intervenants étrangers fut organisé sur le sol allemand. Fondé en 2003, le VRBHV s’appuyait aussi en partie sur un réseau international.
31La RFA a fait partie des pays les plus engagés sur le plan juridique contre la présence du négationnisme dans l’espace public. Elle a œuvré en faveur d’une harmonisation des pratiques de l’Union européenne en la matière. L’application de la décision-cadre de 2008 n’est cependant pas achevée à ce jour. Tout comme les poursuites engagées contre des négationnistes à l’échelle nationale, les différences de statut légal du négationnisme dans le monde et même entre les pays européens ont favorisé les collaborations entre les négationnistes. L’effet dissuasif de la législation antinégationniste n’est pas davantage établi pour ce qui concerne les activités transnationales ou le processus de transnationalisation du négationnisme que dans le cadre strictement allemand.
32Cette efficacité limitée s’explique en partie par la révolution de l’information et de la communication, qui favorise le contournement de dispositions légales nationales et a plus généralement favorisé, à l’échelle internationale, l’accessibilité et la présence du négationnisme dans l’espace public. Certains négationnistes allemands ont investi rapidement et assez intensément Internet et les médias sociaux, afin de diffuser leurs thèses, d’interpeller, d’établir des contacts. Leur communication publique est désormais accessible de fait dans le monde entier, et celle des négationnistes étrangers l’est en grande partie en RFA. Mais elle est aussi souvent conçue d’emblée dans une perspective transnationale (par exemple à travers le simple recours à la traduction), ce qui favorise d’une part les échanges entre les négationnistes eux-mêmes, qu’ils soient anonymes ou non, actifs publiquement ou non, et d’autre part, apparemment, la conquête des esprits.
33Pourtant, la présence accrue des négationnistes et de leur discours dans l’espace public, sur Internet, ne semble pas avoir entraîné pour l’instant un accroissement de l’adhésion des Allemands aux thèses négationnistes ni même au discours tendant à minimiser l’ampleur de l’holocauste. La question de l’évolution du négationnisme dans l’opinion publique dans le monde pouvait difficilement être traitée avec quelque précision dans le cadre de cette étude. Cependant, le constat esquissé au sujet de l’Allemagne et l’ébauche de comparaison avec la France semblent appeler un élargissement à d’autres pays ainsi qu’une recherche des causes et facteurs, dans une démarche comparative évidemment.
Notes
1 La contribution essentielle de Français à la genèse et au développement du négationnisme ne doit pas être remise en cause ici.
2 Maurice Bardèche, Nuremberg ou la Terre promise, Paris, Les Sept Couleurs, 1948 ; M. Bardèche, Nuremberg II ou les faux monnayeurs (sic), Paris, Les Sept Couleurs, 1950.
3 G. A. Amaudruz, Ubu justicier au premier procès de Nuremberg, Paris, Charles de Jonquières, 1949.
4 Entre autres correspondant et responsable de la distribution de Nation Europa en Suisse.
5 M. Bardèche, Nürnberg oder das gelobte Land, Zurich, Kommisssionsverlag E.u.A. Kreutler, 1949.
6 M. Bardèche, Nürnberg oder das gelobte Land, Buenos Aires, Ediciones del Restaurador, 1950, présentée comme la deuxième édition allemande, améliorée.
7 M. Bardèche, Nürnberg oder die Falschmünzer, Wiesbaden, Priester, 1957.
8 Paul Rassinier, Die Lüge des Odysseus, Wiesbaden, Priester, 1959.
9 Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier, Paris, Fayard, 1996, p. 231 sq.
10 Ibid., p. 277.
11 Landeszentrale(n) für politische Bildung et Bundezentrale für politische Bildung.
12 Lettre reproduite et traduite dans la Revue Documents : Helmut Kistler, « Le ‘mensonge d’Ulysse’ », Documents. Revue des questions allemandes, n° 2, mars-avril 1960, p. 194-196.
13 Paul Rassinier, Was nun, Odysseus ? Zur Bewältigung der Vergangenheit, Wiesbaden, Priester, 1960.
14 P. Rassinier, Ulysse trahi par les siens, Paris, La Librairie française, 1961.
15 Udo Walendy, Des documents photographiques historiques ?, Vlotho, Verlag für Volkstum und Zeitgeschichtsforschung, 1973.
16 Thies Christophersen, Die Auschwitz-Lüge : ein Erlebnisbericht, Mohrkirch, Kritik-Verlag, 1973 ; T. Christophersen, Le Mensonge d’Auschwitz : un témoignage vécu, Paris, Fédération d’action nationale et européenne, 1976.
17 Wilhelm Stäglich, Der Auschwitz-Mythos, Tübingen, Grabert, 1979 ; W. Stäglich, Le mythe d’Auschwitz, Paris, La Vieille Taupe, 1986.
18 Sur ce dernier point, cf. Juliane Wetzel, « Die Leugnung des Genozids im internationalen Vergleich », in : Brigitte Bailer-Galanda, Wolfgang Benz, Wolfgang Neugebauer (dir.), Die Auschwitz-Leugner, Berlin, Elefanten Press, 1996, p. 52-72, ici p. 58.
19 Ce dernier en particulier selon J. Wetzel, ibid., p. 59.
20 Der Bundesminister des Innern, Verfassungsschutzbericht 1989, Bonn, 1990, p. 135.
21 Der Bundesminister des Innern, Verfassungsschutzbericht 1990, Bonn, 1991, p. 120.
22 L’organisation de plus de dix autres manifestations négationnistes impliquant des orateurs étrangers (Faurisson, Roques et surtout Irving) est attestée pour la même année (Der Bundesminister des Innern, Verfassungsschutzbericht 1991, Bonn, 1992, p. 122 sq.).
23 Horst Mahler, « Pressemitteilung », 11 nov. 2003, Das kausale Nexusblatt, janvier 2004, p. 12-14, ici p. 13 (http://www.vho.org/aaargh/deut/aktu/kn0401.pdf, dernière consultation le 11.05.2016).
24 Ibid.
25 Ursula Haverbeck, « Zur Gründungsversammlung des ‘Verein zur Rehabilitierung der wegen Bestreitens des Holocaust Verfolgten’ (VRBHV) », Das kausale Nexusblatt (note 23), p. 16-19, ici p. 18.
26 Le VRBHV a été interdit en 2008 par le ministre de l’Intérieur. Son président, le Suisse Bernhard Schaub, a fondé deux ans plus tard, en Suisse, l’« Action Européenne » (Europäische Aktion), qui se situe en partie dans la continuité du VRBHV, mais dont il faudrait aussi préciser les liens avec le « Nouvel ordre européen », Gaston-Armand Amaudruz et le Courrier du continent.
27 Ces poursuites juridiques fournissent non seulement un prétexte au ressassement des arguments, mais permettent aussi la mise en cause de la législation sous couvert de lutte pour la liberté de la science ou la liberté d’opinion. Les négationnistes peuvent en outre se référer dans ce contexte à des personnalités qui n’ont aucune accointance avec leurs théories, et parfois même les combattent activement, mais contestent catégoriquement la pertinence de la législation antinégationniste.
28 Cf. Elisabeth Kübler, Europäische Erinnerungspolitik : Der Europarat und die Erinnerung an den Holocaust, Bielefeld, Transcript, 2012, p. 92.
29 <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32008F0913&qid=1463328225436&from=en> (dernière consultation le 15.05.2016).
30 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil relatif à la mise en œuvre de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, janvier 2014, p. 6 (<http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52014DC0027&from=FR>, dernière consultation le 11.04.2016).
31 La présentation de témoins étrangers accroît artificiellement l’importance du négationnisme qui serait un phénomène non seulement de dimension internationale, mais aussi plus reconnu à l’étranger. Les élever au rang d’experts est plus facile dans la mesure où leur manque de notoriété peut s’expliquer par le fait qu’ils ne sont pas nationaux. Cette stratégie peut avoir des répercussions, à des degrés variables et selon des modalités parfois différentes, dans la procédure juridique, dans son traitement par les médias et enfin dans son exploitation par les négationnistes dans leurs propres productions.
32 Cf. supra.
33 Robert Faurisson, « Brief an Horst Mahler » (texte daté du 20 octobre 2003, Das kausale Nexusblatt [note 23], janvier 2004, p. 14-16, ici p. 14).
34 Parallèlement, de nombreux articles traduits étaient également publiés dans les périodiques.
35 D’abord : Cromwell Press, London, 1993 (1) ; puis : Castle Hill Publishers, Hastings (UK), 2001 (2).
36 Cf. sur ce point le survol proposé en 2001 dans Rainer Fromm, Barbara Kernbach, Rechtsextremismus im Internet. Die neue Gefahr, Munich, Olzog, 1981, p. 213 sq.
37 Ibid., p. 223.
38 Holocauste ou Seconde Guerre mondiale bien sûr, mais aussi guerres, crimes de guerre et génocides, ou encore politique internationale (USA, Israël, politique étrangère de la RFA…), liberté de la presse… En réalité, la palette de ces thèmes est extrêmement large et son étendue augmente proportionnellement à l’inventivité des commentateurs.
39 Cette description porte principalement sur la partie visible de l’utilisation de YouTube. Il ne fait aucun doute que cette plate-forme peut servir non seulement à convaincre, mais aussi à recruter, qu’elle permet de constituer et d’entretenir un réseau, pouvant se traduire par des activités, sur Internet ou non.
40 48 en six ans, mais avec parfois plusieurs articles le même jour, parfois aucun pendant des mois voire plus d’un an.
41 Cette chaîne ne contient que cette seule vidéo. La version identique postée par Haverbeck sur sa chaîne n’est pas accessible par la fonction recherches.
42 Donc soit d’un pays étranger où elle est disponible, soit de RFA ou d’un autre pays où le blocage a été contourné.
43 Sondage OpinionWay pour l’UEJF, « Les Français et les propos haineux sur Internet – février 2015 » (<http://www.opinion-way.com/pdf/sondage_opinionway_pour_l_uejf_-_les_propos_haineux_sur_internet_-_fevrier_2015.pdf>, consulté le 3 mars 2016).
44 « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http://global100.adl.org/#country/germany/2014>, dernière consultation le 03.03.2016).
45 Ibid.
46 Elmar Brähler, Oskar Niedermayer, Rechtsextreme Einstellungen in Deutschland. Ergebnisse einer repräsentativen Erhebung im April 2002, Arbeitshefte aus dem Otto-Stammer-Zentrum, Nr. 6, Berlin/Leipzig, 2002, p. 16 ; Ralf Melzer (dir.), Fragile Mitte – Feinselige Zustände. Rechtsextreme Einstellungen in Deutschland, 2014, Bonn, Dietz, 2014, p. 36 sq.
47 « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http://global100.adl.org/#country/france/2014>, dernière consultation le 03.03.2016). Dans la mesure où l’ADL formule ses résultats arrondis à l’unité, la différence entre l’Allemagne et la France n’est pas nécessairement de deux points de pourcentage, mais pourrait être aussi, dans l’absolu et en descendant par exemple au dixième de point, de 1,1. Une enquête réalisée la même année par l’IFOP pour Fondapol et portant sur la diffusion de l’antisémitisme en France faisait état quant à elle de 1 % de Français jugeant en 2014 que les « environ six millions de Juifs […] tués par les nazis » étaient « une invention » et que « tout cela n’a[vait] jamais existé ». « Étude sur l’antisémitisme. Ifop pour la Fondation pour l’innovation politique », p. 200 (<http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2015/02/ENQUETE-FONDAPOL-Online1.000-pers-bd.pdf>, dernière consultation le 05.05.2016), enquête menée auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, représentatif de la population française âgée de 16 ans et plus.
48 Ibid.
49 On perçoit ici avec netteté les limites méthodologiques du renvoi au sondage français relatif à la « confrontation » au négationnisme sur Internet (en début de cette quatrième partie).
50 Cette part est passée en RFA de 11 % à 8 %. Cf. « ADL Global 100 – An index of antisemism » (<http://global100.adl.org/#country/germany/2015> et <http://global100.adl.org/#country/france/2015>, dernières consultations le 03.03.2016).
51 À titre indicatif, selon les chiffres de l’ADL, de 2014 à 2015, la part des antisémites serait passée de 37 % à 17 % en France et de 27 à 16 % en RFA (notes 44, 47, 50).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
François Danckaert, « Le négationnisme allemand dans l’espace public. Éléments d’analyse d’un phénomène transnational », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 48-2 | 2016, 401-414.
Référence électronique
François Danckaert, « Le négationnisme allemand dans l’espace public. Éléments d’analyse d’un phénomène transnational », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 48-2 | 2016, mis en ligne le 28 décembre 2017, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/434 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/allemagne.434
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