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Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet, Anne-Marie Pailhès (dir.), Dossier Sortir de l’enclos : jardins et politique(s), Revue germanique internationale, no 38

Paris, CNRS Éditions, 2023
Philippe Hamman
p. 495-497
Référence(s) :

Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet, Anne-Marie Pailhès (dir.), Dossier Sortir de l’enclos : jardins et politique(s), Revue germanique internationale, no 38, Paris, CNRS Éditions, 2023, 254 p.

Texte intégral

  • 1 Maurice Wintz, « La place de la nature dans le développement durable urbain », in : Philippe Hamman(...)
  • 2 Francesca Di Pietro, Emmanuèle Gardair, Marion Poiré, « Profils de jardiniers. Pratiques, motivatio (...)
  • 3 Laurence Granchamp, Romane Joly, « Des écologies sensibles en quartier populaire : Hautepierre, Str (...)
  • 4 À titre d’exemple, citons l’ouvrage collectif tiré d’un colloque organisé à Cerisy en 2016 autour d (...)

1À l’heure des appels aux changements sociétaux dans un contexte de dérèglement climatique dont les effets sont de plus en plus directement palpables, la question des jardins n’a rien d’anecdotique ou de limitée à quelque loisir ou pratique contemplative. Elle constitue, au contraire, un miroir de nos savoirs, de nos représentations et de nos pratiques – i.e. de nos rapports au monde – puissant à observer. Ainsi, la nature n’est-elle pas aujourd’hui considérée comme un jardin, où le jardinier – i.e. la société collectivement et l’homme individuellement – organise des parcelles de production et d’agrément, et peut-être plus encore à mesure du phénomène planétaire d’expansion urbaine1 ? Il y aurait là un espace programmé pour chaque usage, et se voulant techniquement maîtrisé : l’arrosage pour compenser l’absence de pluie jugée suffisante, etc., en même temps que socialement stratifié en fonction des groupes sociaux d’origine des jardiniers, comme il a été montré pour le recours aux engrais2 ; ainsi qu’un support d’injonctions à des « bonnes pratiques » adressées au monde social, par exemple dans les quartiers populaires – sans négliger des expériences sensorielles au quotidien « sources d’attachements et supports d’engagements »3. Et là n’est pas tout : sur un plan académique, étudier les jardins offre un analyseur heuristique pour des approches pluridisciplinaires, liant notamment études littéraires, visuelles, paysagères/architecturales et sciences sociales, ainsi que, corrélativement, pour des approches associant réflexivité et attention orientée vers l’action4.

2C’est pourquoi le lecteur de la Revue d’Allemagne gagne véritablement à s’intéresser à la récente livraison de la Revue germanique internationale no 38 (2023) dédiée à la portée et aux significations et projections politiques des et sur les jardins. La perspective franco-germanique largement empruntée est riche de sens et favorise une meilleure connaissance réciproque des trajectoires, des expériences et des enjeux dans le pays voisin. Il suffit de penser à la polysémie que peuvent recouvrir in concreto les termes français de jardins et de parcs dans l’aire germanique, entre Kleingarten d’un ménage et Volksparks de communes, notamment.

  • 5 Appuyant ainsi l’intérêt du recul socio-historique pour saisir l’épaisseur socio-politique des jard (...)
  • 6 Didier Chrétien, « Jardins en partage », Pour, no 205-206 (2010), p. 285-290.

3Plus précisément, les trois co-responsables du volume – Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet et Anne-Marie Pailhès – ont pris soin de rassembler dans cet opus de fort belle facture et aux nombreuses illustrations démonstratives – douze contributions qui donnent à penser, via la comparaison franco-allemande et l’épaisseur socio-historique5, des jardins comme matérialisation et monstration d’un pouvoir orchestré, donné à voir, ainsi que de relations sociales incarnées, régulées, idéalisées et/ou transmises lorsqu’il en va de « jardins en partage »6. En s’inscrivant sur la longue durée, du xviiie au xxie siècle, le tour d’horizon délivré assied solidement une double portée méthodologique et analytique, le « comment » et le « quoi », au sujet des pratiques paysagères et jardinières, et quant à la diversité de leurs mobilisations politiques et sociétales.

4S’il n’est guère possible de restituer ici toute la richesse des contributions prises une à une, on saluera transversalement le fait de fonder à chaque fois empiriquement le propos de façon minutieuse (littérature, archives, documentation, analyses localisées…) et le bénéfice des matériaux visuels appuyant les démonstrations : gravures, peintures, plans, photographies, etc., qui permettent véritablement de s’immerger dans les jardins, leurs promoteurs, leurs mises en scène, tant historiquement que de façon contemporaine.

5En matière de résultats comme de dispositifs méthodologiques, c’est l’importance des perspectives relationnelles qui ressort et contribue à la portée du volume :

– les transferts entre théorie et pratique (« l’écrit, le projet et le verbe » chez Leberecht Migge, dans l’analyse de Corinne Jaquand) et aussi les enjeux d’incarnations d’idéologies (tel le concept réactionnaire de « bodenständiger Garten » ou jardins naturels, du début du xxe siècle aux appropriations nazies : Joachim Wolschke-Bulmahn) ;

– les circulations de « modèles » dans ce que désigne la symbolique d’un régime politique et d’un pouvoir dynastique (le jardin de Laxenburg près de Vienne comme « Ermenonville autrichien » : Hildegard Haberl) ou la mise à distance de l’ennemi qui reflète les relations internationales (ainsi des monuments revanchards, tel le jardin des Tuileries comme marqueur des conflits militaires franco-allemands : Emmanuelle Héran), et également circulations de typologies de jardins invitant à l’appropriation, à l’instar de la notion de jardins partagés en France et en Allemagne, qui se veut aussi un mouvement (Laurence Baudelet-Stelmacher) ;

– les passages entre esthétique et politique (dans la mise en scène du pouvoir monarchique, à l’exemple du parc de Wörlitz : Marie-Ange Maillet ; comme dans celle d’une esthétique du jardin naturel sous le nazisme : Joachim Wolschke-Bulmahn) ;

– les passations à travers les jardins comme outil d’éducation et de transmission (à l’instar des jardins scolaires en Allemagne au fil du xxe siècle : Cornelia Jäger ; et des « Parkseminare » ou séminaires parcs et jardins apparus en Allemagne de l’Est comme instrument de mobilisation citoyenne à la faveur de la conservation de jardins dits patrimoniaux : Claudius Wecke) ; ou encore, sur une période plus récente, à travers des projets de parcs et jardins transfrontaliers à la symbolique intégrative (que ce soit le parc germano-polonais de Muskau dans le contexte du tournant politique de 1990 : Cord Panning ; ou le Jardin des Deux-Rives entre Kehl et Strasbourg autour de et suite à la Landesgartenschau (exposition paysagère) de 2004 : Bernard Reitel) ;

– des circulations enfin, voire des hybridations, recherchées entre ville et nature et une pluralité d’usages (dynamiques transactionnelles marquant des espaces à vivre et à protéger à la fois, dans le cas des jardins publics : Stéphanie de Courtois, Anne-Marie Pailhès ; jardins partagés urbains : Laurence Baudelet-Stelmacher).

  • 7 Voir notamment Aurélie Choné, Philippe Hamman (dir.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental H (...)

6La variété des échelles temporelles et spatiales mobilisées fonde non seulement une richesse des situations franco-allemandes panoramique et fine à la fois ; elle met aussi en évidence, en fil rouge des contributions, deux dynamiques interconnectées : une dynamique réflexive d’abord, au sens où de nouveaux cadres de pensée sont en permanence à (ré)inventer pour rendre compte de la dimension relationnelle société-nature ; et ces savoirs en mutation se caractérisent autant par une dynamique pragmatique, liée aux pratiques et à notre engagement dans le monde, portant sur le vivre ensemble en même temps que notre rapport à la nature – ce qui s’avère bien une dimension proprement politique. C’est à ce titre que les jardins fournissent également un champ d’étude fécond en Humanités environnementales, impulsant un dialogue franco-allemand des disciplines et des savoirs qui ne soit déconnecté ni des représentations et des pratiques sociales, ni des figurations littéraires, visuelles et architecturales7. Ce dossier y apporte clairement sa pierre.

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Notes

1 Maurice Wintz, « La place de la nature dans le développement durable urbain », in : Philippe Hamman (dir.), Penser le développement durable urbain : regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 69-90.

2 Francesca Di Pietro, Emmanuèle Gardair, Marion Poiré, « Profils de jardiniers. Pratiques, motivations et représentations du jardinage dans les jardins familiaux », Espaces et sociétés, no 188 (2023), p. 55-74.

3 Laurence Granchamp, Romane Joly, « Des écologies sensibles en quartier populaire : Hautepierre, Strasbourg », Espaces et sociétés, no 188 (2023), p. 37-54.

4 À titre d’exemple, citons l’ouvrage collectif tiré d’un colloque organisé à Cerisy en 2016 autour de Gilles Clément, promoteur du « jardin planétaire » : Patrick Moquay, Vincent Piveteau (dir.), Jardins en politique, Paris, Hermann Éditeurs, 2018, 192 p., où sont rassemblés des analyses mais également des témoignages de paysagistes comme de militants ou encore d’élus, etc.

5 Appuyant ainsi l’intérêt du recul socio-historique pour saisir l’épaisseur socio-politique des jardins dans une perspective franco-allemande, comme il est bien ressorti du cas des cités-jardins étudié par Elsa Vonau, La fabrique de l’urbanisme. Les cités-jardins, entre France et Allemagne. 1900-1924, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, 346 p.

6 Didier Chrétien, « Jardins en partage », Pour, no 205-206 (2010), p. 285-290.

7 Voir notamment Aurélie Choné, Philippe Hamman (dir.), Die Pflanzenwelt im Fokus der Environmental Humanities / Le végétal au défi des Humanités environnementales. Deutsch-französische Perspektiven / Perspectives franco-allemandes, Berlin, Peter Lang, 2021, 350 p.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Hamman, « Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet, Anne-Marie Pailhès (dir.), Dossier Sortir de l’enclos : jardins et politique(s), Revue germanique internationale, no 38 »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 56-2 | 2024, 495-497.

Référence électronique

Philippe Hamman, « Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet, Anne-Marie Pailhès (dir.), Dossier Sortir de l’enclos : jardins et politique(s), Revue germanique internationale, no 38 »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 56-2 | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/4227 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13158

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Auteur

Philippe Hamman

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