Hilda Monte, The Unity of Europe, with an introduction by H. N. Brailsford, ed. Andreas Wilkens
Hilda Monte, The Unity of Europe, with an introduction by H. N. Brailsford, ed. Andreas Wilkens, Lausanne, Peter Lang (coll. « Federalism »), 2023, 320 p.
Texte intégral
1Alors que de nombreux pays européens connaissent une montée de l’extrême droite, la réédition de ce texte de Hilda Monte offre une mise en perspective bienvenue. Il permet de se replonger dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où les résistances européennes au nazisme et aux fascismes pensaient la reconstruction d’une Europe d’après-guerre. Parmi le foisonnement d’utopies de l’époque rêvant d’assurer la sécurité et de promouvoir l’économie en Europe, l’ouvrage de Hilda Monte s’inscrit dans la perspective de la résistance allemande socialiste, exilée à Londres. Publié pour la première fois en 1943 en Angleterre, The Unity of Europe propose une réflexion de 200 pages sur le projet d’une Europe fédérale avec des institutions fortes, garantes de la paix. Pour étayer ce propos, l’essai brasse différents domaines, l’économie, la politique, l’histoire et s’appuie sur des données statistiques.
2Dans une première partie, l’autrice montre la nécessité d’une Europe fédérale après-guerre, s’en prenant aux crises répétées du capitalisme et au système économique national-socialiste, qui repose notamment sur la guerre et le travail forcé. Selon elle, une étroite coopération économique entre les pays européens permettrait l’union politique, comme elle l’explicite en prenant l’exemple des frontières : « At the rate at which frontiers cease to act as barriers to the movement of people and commodities, the chance of reducing their political significance as well will grow » (p. 92). H. Monte met en avant une Europe indépendante avec un projet socialiste commun.
3L’argument d’une unité économique se poursuit dans la deuxième partie. S’appuyant sur les concepts de l’économiste français Francis Delaisi, l’autrice explore la question de l’équilibre entre « deux Europes » : l’Europe « intérieure » et l’Europe « extérieure ». Elle démontre que les inégalités économiques et sociales, liées au progrès inégal dans les domaines agraire, technique et industriel, doivent être réduites pour assurer la paix sur le continent et apporter la sécurité sociale aux « masses ». La réindustrialisation et la reconstruction de l’Europe doivent donc augmenter le niveau de vie. Pour affirmer que la réduction de la pauvreté passe par une meilleure distribution en « Europe intérieure » et par l’augmentation de la production en « Europe extérieure », Hilda Monte s’appuie sur des données démographiques, sociologiques et économiques. C’est par la solidarité entre les « deux Europes » qu’un équilibre sera restauré, en se fondant sur le socialisme : imposer le socialisme aux nations lui semble impossible, mais elle propose des régulations comme le contrôle des investissements. L’autrice s’attaque aux théories de la surpopulation européenne, problème qu’elle juge « fictif ». Selon elle, une question plus grave s’annonce avec la fin de la guerre : « If, after the war, a new start cannot be expected to remove at once national prejudices and hatreds of the past, a resettlement of some national minorities with the main body of their nationality may be necessary » (p. 124). Réaliste, elle estime que cette mesure n’est pas « désirable », mais ayant déjà été pratiquée par le passé, elle pourrait rétablir la raison (sanity) en Europe. Plus étonnant, elle parle d’attribuer à l’Allemagne nazie une future solidarité entre les peuples, les travailleuses et travailleurs forcés y ayant découvert que les humains sont semblables…
4Dans cette deuxième partie, Hilda Monte développe un chapitre particulièrement original, également relevé par l’éditeur, qui se concentre sur la production d’énergie comme vecteur d’unité, de progrès social et de démocratie. H. Monte considère en effet que le charbon appartient au passé, tandis que l’électricité représente l’avenir. Un modèle à suivre serait celui de la « Tennessee Valley Administration » mise en place par Roosevelt, dont elle détaille le fonctionnement pour louer sa planification et conclure que de tels services publics sont plus utiles que les monopoles capitalistes.
5Dans la troisième partie, l’essayiste s’en prend aux souverainetés nationales, qu’elle considère comme illusoires. Elle anticipe les critiques : une Europe unie retirerait certes aux nations une part de leur souveraineté ; l’équilibre entre les pays et l’influence du socialisme ôteraient aux pays plus développés et aux classes favorisées leurs privilèges ; la planification tronquerait la liberté d’action individuelle. Mais, selon elle, c’est seulement en dépassant les rivalités nationales et les inégalités que la paix durable et la prospérité économique peuvent être envisagées. H. Monte pense qu’une « autorité centrale européenne » pourrait s’assurer de la coopération entre les nations européennes : cette autorité contrôlerait notamment la planification, les investissements, les politiques du travail et des entreprises communes telles que les transports ou les communications postales. Pour encourager la fin de la bureaucratie totalitaire et garantir la démocratie, elle souligne l’importance de la décentralisation et d’un contrôle des citoyennes et des citoyens.
6Ce n’est que dans la dernière partie de son ouvrage qu’Hilda Monte prend position vis-à-vis de la place de l’Allemagne dans l’Europe unie. Comme nombre de résistantes et de résistants allemands, elle réfute la responsabilité collective du peuple allemand. Ignorant l’ampleur du génocide, des persécutions et des massacres, elle considère que l’Europe ne peut pas être pensée sans l’Allemagne, comme elle le souligne par l’usage de la métaphore : « Germany is – whether we like it or not – as much a part of Europe as the nose is part of the face » (p. 238). Au-delà de la « révolution allemande », elle prône une « révolution européenne » fondée sur des politiques positives, pour le progrès économique et la sécurité sur le plan social.
7Andreas Wilkens, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Metz et éditeur de l’ouvrage, ne se contente pas de republier un texte précurseur qui pense une Europe fédérale en pleine guerre mondiale. Il en propose une contextualisation via un appareil de notes, une riche introduction et des annexes composées d’archives commentées, de dates-clés de la vie de Hilda Monte, enfin d’une bibliographie de ses écrits et d’œuvres complémentaires, notamment des livres sur l’Europe contemporains de l’autrice. On en apprend ainsi davantage sur le parcours méconnu d’Hilda Monte et la genèse de l’essai qu’elle a rédigé à 29 ans. Le texte introductif est intitulé « The quest for Hilda Monte : resistance, exile and the project of European Unity », et pour cause : si le nom et le visage de Hilda Monte n’étaient pas totalement inconnus, comme en témoigne leur présence dans des ouvrages de référence et l’exposition permanente du Mémorial de la résistance allemande à Berlin, sa biographie était jusqu’alors incomplète, voire erronée, même dans les ouvrages les plus sérieux. Avant Andreas Wilkens, personne n’avait entrepris sur elle de travail scientifique. Grâce à un important travail d’archives, le destin de l’intrépide Hilda Monte, née le 31 juillet 1914 en Hongrie dans une famille juive, socialisée en Allemagne et engagée pour la cause socialiste dès l’âge de 15 ans dans les mouvements de jeunesse puis dans le groupe socialiste Internationaler Sozialistischer Kampfbund (ISK), est ainsi retracé. Dès 1932, H. Monte écrit dans les organes de presse de l’ISK, engagés pour l’internationalisme et le pacifisme, et s’opposant au nazisme. Elle s’exile en 1934 à Paris, puis en 1936 à Londres. Depuis ces deux villes, elle contribue à la résistance en tant qu’agente de liaison avec l’Allemagne. En 1939, elle rompt partiellement avec l’ISK, dont le chef, Willi Eichler, ne semble pas tolérer sa soif d’indépendance. Elle publie plusieurs ouvrages contre le nazisme avec Fritz Eberhard, un cadre de l’ISK, et s’engage en tant qu’agente de liaison pour l’International Transport Federation. À l’été 1944, Hilda Monte est recrutée par les services secrets britanniques et américains et est parachutée en France à la frontière de la Suisse, où elle s’établit pour ses futures missions. C’est au cours de l’une d’entre elles qu’elle trouve la mort : le 17 avril 1945, en revenant d’Autriche, où elle devait activer un nouveau réseau de résistance, elle est assassinée par un garde-frontière à Feldkirch, à la frontière de l’Autriche et du Liechtenstein.
8Si son parcours d’exil reflète celui de sa génération, le caractère hors norme de Hilda Monte rend son histoire fascinante : une femme jeune d’origine juive, indépendante, une écrivaine multilingue, qui franchit les frontières pour résister au national-socialisme à la fois par la pensée et l’action. Il nous tarde de découvrir la biographie d’Hilda Monte qu’Andreas Wilkens publiera prochainement.
Pour citer cet article
Référence papier
Layla Kiefel, « Hilda Monte, The Unity of Europe, with an introduction by H. N. Brailsford, ed. Andreas Wilkens », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 56-2 | 2024, 489-492.
Référence électronique
Layla Kiefel, « Hilda Monte, The Unity of Europe, with an introduction by H. N. Brailsford, ed. Andreas Wilkens », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 56-2 | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/4193 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13156
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