Navigation – Plan du site

AccueilNuméros56-2ItaliquesCatherine Maurer, Matthias Schulz...

Italiques

Catherine Maurer, Matthias Schulz (dir.), Solidarität denken und praktizieren / Penser et pratiquer la solidarité

Stuttgart, Steiner, 2024
Sylvie Le Grand
p. 487-489
Référence(s) :

Catherine Maurer, Matthias Schulz (dir.), Solidarität denken und praktizieren / Penser et pratiquer la solidarité, Stuttgart, Steiner (Schriftenreihe des deutsch-französischen Historikerkomitees, Bd. 19), 2024, 337 p.

Texte intégral

1En plaçant au cœur de son 14e colloque (oct. 2018) la notion de solidarité, envisagée à la fois sous un angle conceptuel et pratique, le « Comité franco-allemand de l’histoire des xixe et xxe siècles » (en bref le comité franco-allemand des historiens) avait choisi un thème qui résonnait avec l’actualité (plan de lutte contre la pauvreté du gouvernement français) et faisait écho aux travaux menés en France sur la charité, les institutions caritatives (Catherine Maurer) ou l’État social (Sandrine Kott) entre autres. L’ouvrage issu de ce colloque, paru en 2024 aux éditions ­Steiner dans une collection spécifique de ce même comité, montre que le sujet n’a rien perdu de son actualité (pour preuve, en guise de clin d’œil le tableau « solidarité » présenté lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris le 26 juillet 2024), mais surtout comporte une amplitude et une richesse insoupçonnées, tant le volume ouvre des perspectives a priori inattendues sur des domaines qu’on ne pensait spontanément pas liés à cette notion, tant aussi il mobilise d’autres concepts originaux au fil de la démonstration.

2Le livre, systématiquement bilingue dans son titre, une partie de sa table des matières et ses résumés d’article, se compose de 18 contributions rédigées en majorité en français et réparties de façon équilibrée dans cinq grandes parties. Celles-ci sont consacrées respectivement au concept de solidarité et aux milieux qui l’ont développé en France et en Allemagne (I), à l’émergence dans la société civile de réseaux transnationaux autour de cette question (II), à des exemples concrets de politique sociale dans un cadre national ou transfrontalier (III), à diverses modalités de la solidarité en contexte européen, notamment pendant la Guerre froide (IV) ou face au défi migratoire (V). L’ensemble est précédé de deux textes introductifs écrits par les éditeurs intellectuels du volume. Le premier éclaire en français le projet initial, sa réalisation concrète et en dresse le bilan à partir de divers critères ; le second offre en allemand un panorama sur l’histoire de la notion de solidarité, son évolution conceptuelle et concrète.

3Au-delà de la structuration convaincante du volume, des échos se font jour entre contributions (et parties) autour de l’Europe sociale, de l’action syndicale, des questions liées à l’exil ou aux relations internationales. De nouveaux champs de recherche apparaissent, à commencer par l’histoire « négligée » de la solidarité, qui a attiré l’attention des historiens depuis peu, écrit Matthias Schulz (p. 26).

4La lecture du recueil est une expérience très stimulante à divers égards : combiner approche conceptuelle et analyse de pratiques dans des études de cas ou des synthèses suscite chez le lecteur une réflexion active, renforcée par un usage terminologique qui va du sens strict – l’enracinement du terme dans le droit des obligations au xviie et l’idée de mutualisation du risque ou d’une assurance contre le risque ancrée dans la réciprocité – au sens le plus large d’entraide et de soutien dans la détresse, en passant par toute une série de concepts adjacents faisant ou non l’objet d’un examen critique (engagement humanitaire, philanthropie, empathie, péréquation, « solidarités imaginées », entre autres). Les effets de surprise sont également ménagés par le vaste périmètre thématique traité : du financement des politiques de protection sociale et de la politique fiscale aux relations diplomatiques envisagées sous des angles très divers (émotions, émulation entre pays, rôle de la confiance), en passant par la réflexion sur le fédéralisme, le discours syndical ou le militantisme humanitaire, étudiés dans des contextes et avec des acteurs extrêmement variés (réseaux d’entraide juifs avant 1914 ; Ligue des droits de l’homme en France et en Allemagne ; divers terrains d’intervention de la Croix Rouge ; actions en direction des dissidents de Tchécoslovaquie, des syndicats indépendants polonais, ou encore des réfugiés de la guerre d’Algérie). De même, l’intérêt est constamment soutenu par les approches rigoureuses relatives aux différentes méthodologies utilisées (analyses de données statistiques ; comparaison, transferts, etc.) ainsi que par l’invitation implicite à croiser les différentes historiographies présentées. Chaque contribution donne lieu en effet à un bilan historiographique fourni, aussi bien pour les champs de recherche déjà anciens que pour ceux qui ont émergé plus récemment (histoire des droits de l’homme, histoire des ONG).

5On aurait envie, ce faisant, de compléter cette lecture par des travaux sur le terme même et le déploiement de l’État providence qui n’ont pas eu l’occasion d’être traités dans le présent ouvrage, hormis dans l’abondante bibliographie autour de l’Europe sociale (p. 250) et dans une note de bas de page (p. 224) rappelant les trois modèles distingués traditionnellement : libéral-beveridgien, social-démocrate, corporatiste-bismarckien.

6La question de l’Europe sociale est un fil rouge qui traverse diverses contributions et transcende les parties du livre : les difficultés et les lenteurs relatives à sa mise en œuvre (p. 237) sont particulièrement frappantes au regard des revendications d’harmonisation des politiques sociales ou fiscales exprimées dès le début de la construction européenne (p. 213-214). Faut-il voir ici surtout la coupe à moitié pleine ou à moitié vide : il y a là sans doute une question de point de vue que l’on mesure à la lecture de diverses contributions résolument optimistes. On peut cependant se demander si les progrès de cette Europe sociale doivent être mesurés à l’aune des déclarations symboliques, des vœux pieux ou des efforts concrets, pour enrayer le dumping social par exemple. Les tentatives d’européanisation syndicale à l’échelle de l’euro-région (Saar-Lor-Lux) sont intéressantes à cet égard. Elles ont été confrontées à de réels obstacles, entraînant des résultats modestes (réalisation d’un portail d’informations pour les travailleurs transfrontaliers), en retrait par rapport aux ambitieux objectifs initiaux. En quarante ans, le projet n’a pu se développer au-delà d’un simple rôle d’incubateur et de laboratoire d’expériences.

7Last but not least, une des grandes forces de l’ouvrage réside dans l’éclairage apporté sur les racines intellectuelles et les milieux d’élaboration d’une pensée de la solidarité. Est ainsi mise au jour la teneur syncrétique du solidarisme de Léon Bourgeois, moins inventeur de ce dernier que traducteur en termes juridiques, politiques et sécularisés du néocriticisme de Charles Renouvier et du coopératisme de Charles Gide, tous deux imprégnés de protestantisme social. Est mis en évidence également le rôle joué par le concept de solidarité dans les théories du vivant au xixe siècle à partir de l’exemple de deux physiologistes allemand et français, resitués dans leur contexte, leurs interactions réciproques ainsi qu’avec la pensée d’Auguste Comte. Ces recherches très novatrices montrent au passage combien le rapport au religieux est non univoque dans ces rapports dynamiques et subtils entre pensée sociopolitique et pensée biologique ; elles permettent d’éclairer la « complexité du processus de sécularisation à l’époque moderne » (p. 69).

8On ne peut que recommander la lecture du présent ouvrage à un large public, non seulement d’historiens et de germanistes, mais aussi de journalistes, d’hommes et femmes politiques ou de fonctionnaires. En offrant une salutaire mise en perspective historique et pluridisciplinaire des problématiques conceptuelles et pratiques, relatives à la solidarité, ce volume invite en effet indirectement à un certain recul, propice à l’examen critique des discours simplistes, tropismes ou impensés de l’époque présente autour de ces questions.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Sylvie Le Grand, « Catherine Maurer, Matthias Schulz (dir.), Solidarität denken und praktizieren / Penser et pratiquer la solidarité »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 56-2 | 2024, 487-489.

Référence électronique

Sylvie Le Grand, « Catherine Maurer, Matthias Schulz (dir.), Solidarität denken und praktizieren / Penser et pratiquer la solidarité »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 56-2 | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/4187 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13155

Haut de page

Auteur

Sylvie Le Grand

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search