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Italiques

Christian Baechler, Gustav Stresemann (1878-1929). Le dernier espoir face au nazisme

Paris, Passés composés, 2023
Étienne Santiard
p. 254-256
Référence(s) :

Christian Baechler, Gustav Stresemann (1878-1929). Le dernier espoir face au nazisme, Paris, Passés composés, 2023, 333 pages.

Texte intégral

1Gustav Stresemann est un homme politique allemand qui a compté dans la République de Weimar, mais qui reste encore relativement peu connu du public français à part peut-être pour ses relations avec Aristide Briand. Christian Baechler, éminent professeur d’histoire contemporaine de l’université de Strasbourg et auteur d’une première biographie sur le personnage en 1996, cherche dans ce nouvel ouvrage à intéresser le public français au parcours riche et complexe d’un personnage clé de la vie politique allemande entre 1900 et 1929, date de son décès précoce. En effet, il a été mêlé à la vie politique, économique et sociale de l’Allemagne en étant syndic d’organisations patronales dès 22 ans, député au Reichstag dès 28 ans, chef d’un des principaux partis (le DVP) à 39 ans, chancelier pendant 103 jours en 1923 en pleine crise rhénane, et enfin, rôle pour lequel il est le plus connu en France, ministre des Affaires étrangères. Son décès brutal en octobre 1929 à l’âge de 51 ans est vivement ressenti dans les capitales européennes comme un mauvais présage pour le maintien de la paix. C’est donc une vie extrêmement riche, avec un parcours sinueux au cœur de décennies cruciales pour l’Allemagne, que le professeur Baechler invite ses lecteurs à dérouler. L’exercice biographique est ainsi mené classiquement puisque l’auteur organise son ouvrage en trois temps en revenant d’abord sur l’ascension sociale et l’entrée en politique entre 1878 et 1918, puis sur les années de crise et de réflexion entre 1919 et 1923 et enfin sur l’exercice de la fonction de ministre des Affaires étrangères entre 1923 et 1929.

 

2Il est vrai qu’il est difficile de passer à côté d’un chapitre sur les origines sociales modestes de Gustav Stresemann, né à Berlin dans une famille de la petite bourgeoisie commerçante, sensible aux idées libérales de 1848 et au romantisme. C’est le seul enfant de sa famille à poursuivre des études supérieures, effectuées dans un lycée moderne destiné à l’éducation pratique de la bourgeoisie économique. Il est tenté par une carrière de journaliste, mais il s’oriente vers des études de philosophie à l’université et surtout, il s’engage dans les corporations étudiantes, très importantes pour la création de réseaux de sociabilité appelés à durer toute sa vie. Il va pouvoir y développer un certain don d’orateur et apprendre à rédiger divers articles sur le commerce et l’économie.

3Il va connaître ensuite une accélération de son ascension sociale et politique par trois faits : son succès en tant qu’organisateur de la fédération des industriels saxons car il réussit à éviter les grèves dans les entreprises et à faire des réformes progressives et raisonnables. Ensuite, il adhère au parti national-libéral en 1903 où il va rapidement s’imposer, d’abord en Saxe, puis au niveau national, ce qui lui permet à 28 ans de devenir le plus jeune député du Reichstag. Enfin, il épouse en 1903 Käte Kleefeld, membre d’une riche famille bourgeoise, consolidant ainsi son ascension sociale. À l’époque, ses idées sont un mélange étonnant de libéralisme social et d’impérialisme. Certes, ses idées sur l’organisation des relations internationales et la place que doit y occuper l’Allemagne sont relativement sommaires avant 1914 et reposent avant tout sur l’économie : il faut mettre au service de la puissance industrielle les moyens de la politique extérieure. Il défend la politique navale de l’amiral Tirpitz et se montre favorable à tout ce qui pourra élargir la puissance allemande, stimulée par sa croissance démographique.

 

4La Première Guerre mondiale, à laquelle il ne participe pas pour raisons de santé, en fait un ardent défenseur des buts de guerre pangermaniques, l’avocat d’une plus grande Allemagne. Il voit la Grande-Bretagne comme le principal adversaire et la responsable de la guerre, et est confiant dans le Haut Commandement militaire jusqu’en août 1918. Il participe à l’effort de guerre en étant un propagandiste favorable à des buts de guerre annexionnistes, mais il n’oublie pas la vie politique, en participant à la chute du cabinet Bethmann Hollweg et en devenant vice-président du DVP et président du groupe parlementaire au Reichstag. La défaite de 1918 constitue donc un choc important pour lui et va l’amener à réfléchir et à se rallier progressivement à la République de Weimar. Christian Baechler se pose la question de la sincérité du ralliement républicain de ce monarchiste de cœur et adepte de la Machtpolitik. Il souligne son grand pragmatisme, que certains ont jugé opportuniste, mais l’auteur fait bien ressortir que Stresemann est conscient des handicaps de son pays et qu’il s’agit d’abord d’essayer de lui redonner une place plus conforme sans rechercher une opposition frontale avec les Alliés. Il faut avant tout donner à l’Allemagne les moyens d’être gouvernée et son ralliement à la République se fait progressivement avec une véritable stratégie politique dont l’auteur nous explique les ressorts : échec de l’unité du libéralisme politique, organisation du DVP, premiers combats électoraux et « opposition constructive » avec les premiers gouvernements, puis participation au gouvernement à partir de juin 1920 grâce aux succès électoraux. La contestation de l’extrême droite étant de plus en plus virulente, après l’assassinat de Walther Rathenau en juin 1922, il se déclare prêt à défendre le régime, car c’est finalement le moins mauvais possible pour le pays. C’est donc par réalisme et par souci d’être utile à son pays qu’il met de côté ses sentiments monarchistes. C’est toutefois plus compliqué quand il s’agit d’accepter et d’appliquer le traité de Versailles car il réagit avec passion et indignation et varie entre résistance et exécution. Devenu président de la commission des Affaires étrangères au Reichstag, il est mieux au fait des enjeux et remarque que le politique l’emporte sur l’économie. La conférence de Spa, réintroduisant l’Allemagne dans le concert des nations mais au résultat décevant pour les Allemands, l’amène à préciser sa pensée sur le traité de Versailles, soulignant que l’Allemagne a le droit d’en exiger la révision parce qu’il ne respecte pas la note de Lansing ni les Quatorze points de Wilson. Pourtant en 1921, il soutient la politique d’exécution du chancelier Wirth et est lucide sur le fait qu’il faudra s’entendre avec la France, qu’un dialogue concret est indispensable et qu’il ne faut pas compter sur une division des Alliés, mais bien sur une solidarité des économies mondiales. La crise de la Ruhr va gêner ces bonnes intentions pendant quelques semaines, mais Stresemann se montre partisan d’essayer de débloquer la crise en faisant des propositions à la France. Il réfléchit et penche pour une garantie de sécurité pour la France sur le Rhin.

 

5C’est dans ce contexte qu’il est nommé chancelier le 13 août 1923 (pour 103 jours), un contexte extrêmement lourd au vu de la résistance passive qui s’épuise en Rhénanie et de la situation financière et monétaire catastrophique. Il décide très rapidement de faire cesser la résistance passive, condition essentielle pour établir un dialogue avec la France et favorise l’assainissement financier dont il laisse les questions techniques à ses ministres. Mais la coalition qui l’a porté au pouvoir est fragile et il tombe sur la question de la durée du travail, établie à 8 heures et que les industriels veulent revoir pour pouvoir relancer l’économie. Il reste pourtant au pouvoir et affronte d’autres crises : séparatisme rhénan, relations avec la Bavière et la Saxe… mais cela lui permet de poser les bases de la reconstruction du pays avant que le gouvernement chute le 23 novembre 1923. Cette épreuve lui permet d’acquérir un statut d’homme d’État.

6C’est évidemment avec l’occupation du poste de ministre des Affaires étrangères entre décembre 1923 et octobre 1929 que Stresemann marque l’histoire de la République de Weimar. Il apporte une certaine stabilité au poste après huit ministres différents. Ses objectifs sont simples : libérer la Ruhr et restaurer le statu quo ante en apportant une solution provisoire au problème des réparations, puis garantir la frontière rhénane et restaurer la souveraineté de l’Allemagne par l’évacuation anticipée des territoires occupés. Christian Baechler choisit de traiter ces différents objectifs en plusieurs chapitres sur la reconquête du statut de grande puissance par les conférences de Londres et Locarno en 1924-1925, la fin de l’isolement avec l’entrée à la SDN à Genève en septembre 1926, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives au règlement des problèmes de la paix par la négociation et notamment de meilleures relations avec la France. Puis c’est la reconquête de la souveraineté avec le plan Young et l’évacuation de la Rhénanie en 1928-1929 qui sont évoqués, sans oublier la question des relations avec l’Europe orientale, qui fait dire que la politique de Stresemann avait deux visages : un ouvert vers l’entente et la sécurité collective, un autre plus caché avec le soutien aux minorités allemandes d’Europe de l’Est et le maintien des relations militaires avec l’URSS afin de réviser la frontière germano-polonaise et préparer l’Anschluss.

 

7Dans sa conclusion, Christian Baechler examine trois points pour achever sa démonstration : il pense que Stresemann est le principal soutien de la République de Weimar et qu’il n’a pas réalisé l’espoir que beaucoup mettaient en lui en raison de son décès prématuré. Il a ensuite évolué dans son appréciation des relations internationales, passant d’une conception économique à une version plus politique, intégrant des aspects psychologiques comme la question centrale de la sécurité pour la France. Il évolue vers une solidarité et une sécurité plus européenne pour aboutir à un nouveau concert européen où chaque État doit davantage tenir compte des intérêts des autres. Enfin, l’auteur pense légitime de s’interroger sur la sincérité de sa politique de paix étant donné la difficulté à avoir une image vraiment sûre de ses convictions personnelles malgré l’abondance de ses papiers. Curieusement, celui-ci ne fait pas écho au sous-titre choisi par l’éditeur, et souligne que ses successeurs ont abandonné cette politique du compromis et de la sécurité collective. C’est donc un livre éclairant pour connaître cette figure marquante de l’Allemagne et de l’espoir non réalisé d’une Allemagne plus apaisée dans l’Europe de l’entre-deux-guerres.

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Pour citer cet article

Référence papier

Étienne Santiard, « Christian Baechler, Gustav Stresemann (1878-1929). Le dernier espoir face au nazisme »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 56-1 | 2024, 254-256.

Référence électronique

Étienne Santiard, « Christian Baechler, Gustav Stresemann (1878-1929). Le dernier espoir face au nazisme »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 56-1 | 2024, mis en ligne le 19 juin 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/3885 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ux3

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