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Albert Hamm, Les langues et cultures étrangères à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg (1838-1967). Une histoire entre conflits et diversification

Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg (Sciences de l’histoire), 2023
Vincent Balnat
p. 250-253
Référence(s) :

Albert Hamm, Les langues et cultures étrangères à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg (1838-1967). Une histoire entre conflits et diversification, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg (Sciences de l’histoire), 2023, 461 pages.

Texte intégral

  • 1  Willem Frijhoff, « L’université à l’époque moderne (xvie-xviiie siècles). Réflexions sur son histo (...)
  • 2  John Eldon Craig, Scholarship and Nation Building. The Universities of Strasbourg and Alsatian Soc (...)
  • 3  Stéphane Jonas, Annelise Gérard, Marie-Noëlle Denis & Francis Weidmann, Strasbourg, capitale du Re (...)
  • 4  Elisabeth Crawford & Josiane Olff-Nathan (dir.), La science sous influence. L’université de Strasb (...)

1Depuis une cinquantaine d’années, l’histoire des universités européennes fait l’objet de nombreuses recherches dans le domaine des sciences historiques, de la sociologie et de ce que l’on nomme aujourd’hui les ‘études culturelles’1. Située au cœur d’une région au destin mouvementé, l’université strasbourgeoise constitue un terrain d’observation privilégié pour qui s’intéresse aux relations entre pouvoir politique, idéologie, science et enseignement. Après la publication de l’ouvrage de référence Scholarship and Nation Building. The Universities of Strasbourg and Alsatian Society 1870-19392 et d’autres études consacrées à l’histoire de cette université3 ou à celle de disciplines qui y sont enseignées (Crawford & Olff-Nathan pour les sciences dures, Haas & Hamm pour l’anglais, Mohnike pour les études scandinaves)4, Albert Hamm nous livre à présent une imposante histoire des langues et des cultures étrangères à la faculté des lettres de 1838 à 1967. Professeur émérite de linguistique anglaise à la faculté des langues, président de l’université des sciences humaines de Strasbourg puis de l’université franco-allemande, l’auteur met à profit sa riche expérience en tant que chercheur et responsable institutionnel pour retracer l’histoire d’une faculté et d’une université dont il a lui-même contribué à écrire les pages les plus récentes.

 

2Dans son introduction, Hamm souligne le rôle particulier qui incombait aux langues vivantes à l’université de Strasbourg dans le contexte des rivalités et conflits franco-allemands, rappelant que le français et l’allemand furent « tour à tour langue nationale et langue étrangère, langue de la patrie et langue de l’ennemi » (p. 15). Il explicite ensuite le cadre temporel de son étude, qui s’ouvre avec la création de la première chaire de « littérature étrangère », occupée par Frédéric Guillaume Bergmann, « premier enseignant à Strasbourg de langues et littératures comparées », et se clôt à la veille des événements de 1968, « le plus grand bouleversement de l’Université française depuis la reconstruction du système universitaire par Napoléon » (p. 17). Il présente enfin ses sources, « aussi nombreuses que disparates » (p. 19) : publications annuelles de l’université, documents issus des archives départementales, de la ville et de l’Eurométropole, des bibliothèques de l’université de Strasbourg ainsi que des services du ministère de l’Éducation nationale.

3L’ouvrage s’articule en quatre grandes parties agencées de manière chronologique et subdivisées en deux ou trois chapitres, organisés de manière similaire. L’auteur y présente d’abord le contexte socio-historique et linguistique, puis l’organisation de l’université et de la faculté des lettres avec ses chaires, les effectifs des étudiants (y compris les étudiantes à partir de 1908), sans oublier les bibliothèques, les publications institutionnelles et certaines particularités de la période considérée. On notera que les parties ne correspondent pas toujours aux périodes d’appartenance politique de l’Alsace, ce qui s’explique sans doute par le souci de créer des sections de longueur sensiblement identique ainsi que par l’importance accordée à l’entre-deux-guerres, qui vit le développement des langues vivantes à l’université de Strasbourg.

4La première partie porte ainsi sur la période avant 1870, lors de laquelle l’ancienne université héritée du Gymnase fut remplacée par l’université napoléonienne, et sur celle de la Kaiser-Wilhelms-Universität (1870-1919 ; désormais : KWU), qui souhaitait afficher « l’image d’excellence de la science et de la culture allemandes face à la France et, plus généralement, à l’ouest de l’Europe » (p. 72). La faculté des lettres et sa successeure, la Philosophische Fakultät, se distinguent nettement tant sur le plan de la structuration des disciplines, de l’organisation des enseignements que sur celui des méthodes de la recherche scientifique.

5La partie suivante est consacrée à la première décennie de l’université française refondée en 1919. Comme la KWU, l’université de Strasbourg aspirait à surpasser sa rivale en tous points : nombre d’instituts et de chaires, personnels, effectifs étudiants, rayonnement scientifique ; elle faisait par ailleurs office, selon l’expression consacrée, de « phare sur le Rhin » permettant d’observer au plus près l’ancien ennemi. La période faste des années 1920 voit s’épanouir la nouvelle faculté des lettres : l’offre en langues vivantes s’y diversifie grâce à la création des instituts de langues et littératures italienne et espagnole, de langues et de littératures slaves ainsi que d’études françaises modernes, le nombre d’étudiants étrangers augmente et les disciplines se consolident tout en entretenant un dialogue fructueux lors des fameuses « réunions du samedi » (p. 150-152).

6La troisième partie, qui porte sur la période 1930-1945, relate d’abord les répercussions de la crise économique, des tensions en Europe et de l’antisémitisme croissant sur l’université en général et la faculté des lettres en particulier, difficultés auxquelles vient s’ajouter une perte de dynamisme liée entre autres au départ de plusieurs professeurs à Paris et au recul du nombre d’étudiants étrangers. L’auteur présente ensuite la Reichsuniversität (1941-1944) et la manière dont les langues furent asservies aux desseins idéologiques du Reich, puis l’université de Strasbourg réfugiée à Clermont-Ferrand et les difficultés qui furent les siennes pour garantir, dans de telles conditions, la continuité de l’enseignement et de la recherche.

7La dernière partie est consacrée à la période de l’après-guerre. L’auteur distingue les années 1945-1956, « de reconstruction et de grand dynamisme », et les années 1956-1967, « qui portent en germe la rupture de 1968 » (p. 273). À la faculté des lettres, la première décennie voit se diversifier l’offre de formation en langues vivantes, notamment à la suite du recrutement de lecteurs de néerlandais, de portugais, de serbo-croate, de roumain et de langues scandinaves. Cet élargissement de l’offre de langues se poursuit dans les années suivantes avec la création de postes de professeurs d’arabe, d’hébreu et de dialectologie alsacienne et géographie linguistique ainsi que de nombreux lectorats (grec, hébreu, hongrois, turc, persan) ; cette seconde décennie sera également marquée par les bouleversements affectant le système universitaire français dans son ensemble, au premier rang desquels l’explosion du nombre d’étudiants, qui motivera la construction du campus de l’Esplanade où sera hébergée dès 1966 une partie de la faculté des lettres (dont les effectifs étudiants avaient plus que triplé en quelques années !). Hamm montre enfin que certaines innovations pédagogiques et techniques de cette période annoncent des évolutions majeures dans le paysage universitaire français, notamment la mise en place des filières appliquées et du télé-enseignement.

8L’ouvrage se clôt par une brève conclusion esquissant les évolutions après 1967 dans le contexte de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne, suivie d’une présentation de la faculté des langues en 2022 par la doyenne Anne Bandry ainsi que des annexes, fort instructives, qui précisent les noms des doyens des facultés des lettres (1806-1968), des détenteurs des chaires qui y sont hébergées (1809-1870), des enseignants titulaires (1919-1967) et des lecteurs de langues (1809-1967) ainsi que les effectifs étudiants (1919-1967) et le nombre de doctorats délivrés par les différentes facultés (1920-1967).

 

9L’ouvrage, érudit et richement documenté, atteint pleinement son objectif, que l’auteur rappelle en conclusion : « montrer […] comment s’est noué le rapport de l’université à son environnement géopolitique et linguistique, dont les bouleversements successifs ont notamment conditionné l’émergence et le développement de la riche palette de langues qu’elle offre » (p. 401). Compte tenu de l’éparpillement des sources et du caractère lacunaire et parfois peu fiable des données, il s’agit là d’un véritable tour de force qu’il convient de saluer. La lecture de l’ouvrage est facilitée par l’agencement chronologique des parties, la présence de bilans à la fin des chapitres, le recours ponctuel à des anecdotes révélatrices d’un état de pensée ou d’un phénomène spécifiques, sans oublier les tableaux et photographies illustrant certains aspects de la vie quotidienne des étudiants (locaux, publications de l’université et de la faculté des lettres…). On aurait souhaité que l’auteur explicite davantage ses remarques sur la place du français à la KWU, qu’il s’agissait de « restreindre autant que possible » (p. 69, aussi p. 90). Faut-il comprendre par là que l’étude du français était moins présente à la KWU qu’à l’université française (ce qui est une évidence) ou qu’elle était sciemment délaissée par les autorités (ce qu’il conviendrait de démontrer en comparant la romanistique strasbourgeoise avec celle pratiquée dans les autres universités allemandes) ? Le recrutement des romanistes Eduard Böhmer et surtout Gustav Gröber, connu pour avoir « développ[é] une intense activité de recherche et d’édition » (p. 80), semblerait en tout cas indiquer que la romanistique était tout aussi dévouée que les autres disciplines à la cause idéologique de l’université impériale, à savoir l’affirmation de la supériorité de la science allemande sur celle des autres pays (cf. citation supra).

10Par l’exploitation minutieuse d’une multitude de données, systématiquement replacées dans le contexte politique, idéologique, linguistique et culturel des époques considérées, Hamm livre un ouvrage incontournable pour les études à venir sur l’histoire de l’université de Strasbourg et de l’enseignement des langues vivantes. La connaissance du passé étant indispensable à la compréhension du présent, il sera par ailleurs utile à toutes celles et ceux qui s’interrogent sur la place des langues vivantes et la manière de les enseigner dans l’université du xxie siècle, de plus en plus dominée par l’anglais, l’interdisciplinarité et la professionnalisation.

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Notes

1  Willem Frijhoff, « L’université à l’époque moderne (xvie-xviiie siècles). Réflexions sur son histoire et sur la façon de l’écrire », in : Frédéric Attal, Jean Garrigues, Thierry Kouamé & Jean-Pierre Vittu (dir.), Les universités en Europe du xiiie siècle à nos jours. Espaces, modèles et fonctions, Paris, Éditions de la Sorbonne (Homme et société, 31), 2005, p. 157-177, books.openedition.org/psorbonne/74584?lang=fr (consulté le 9 décembre 2023).

2  John Eldon Craig, Scholarship and Nation Building. The Universities of Strasbourg and Alsatian Society 1870-1939, Chicago, University of Chicago Press, 1984.

3  Stéphane Jonas, Annelise Gérard, Marie-Noëlle Denis & Francis Weidmann, Strasbourg, capitale du Reichsland Alsace-Lorraine et sa nouvelle université (1871-1918), Strasbourg, Oberlin, 1995 ; Georges Livet, L’Université de Strasbourg de la Révolution française à la guerre de 1870. La rencontre avec l’histoire, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996 ; Stephan Roscher, Die Kaiser-Wilhelms-Universität Straßburg 1872-1902, Francfort, Peter Lang (Europäische Hochschulschriften, Reihe III : Geschichte und ihre Hilfswissenschaften, vol. 1003), 2006 ; Françoise Olivier-Utard, Une université idéale ? Histoire de l’Université de Strasbourg de 1919 à 1939, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2015 ; Georges Bischoff & Richard Kleinschmager, L’université de Strasbourg. Cinq siècles d’enseignement et de recherche, Strasbourg, La Nuée Bleue/DNA, 2010.

4  Elisabeth Crawford & Josiane Olff-Nathan (dir.), La science sous influence. L’université de Strasbourg, enjeu des conflits franco-allemands 1872-1945, Strasbourg, La Nuée bleue, 2005 ; Renate Haas & Albert Hamm, The University of Strasbourg and the foundation of continental English studies. A Contribution to a European History of English studies / L’Université de Strasbourg et la fondation des études anglaises continentales. Contribution à une histoire européenne des études anglaises, Francfort, Peter Lang (Europäische Studien zur Ideen- und Wissenschaftsgeschichte, 16), 2009 ; Thomas Mohnike, Géographies du Germain. Les études nordiques à l’université de Strasbourg (1840-1945), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg (Sciences de l’histoire), 2022.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Balnat, « Albert Hamm, Les langues et cultures étrangères à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg (1838-1967). Une histoire entre conflits et diversification »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 56-1 | 2024, 250-253.

Référence électronique

Vincent Balnat, « Albert Hamm, Les langues et cultures étrangères à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg (1838-1967). Une histoire entre conflits et diversification »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 56-1 | 2024, mis en ligne le 19 juin 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/3870 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11ux2

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