Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses (RHPR), 100e année, no 397, 1 (2020) et no 398, 2 (2020)
Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses (RHPR), 100e année, no 397, 1 (2020) et no 398, 2 (2020), 201 et 128 pages
Texte intégral
1Pour son centenaire, la Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses (RHPR) propose à ses lecteurs deux numéros composant un florilège sur les savants – français et allemands – ayant publié dans la revue et sur les principaux thèmes traités par la RHPR depuis un siècle. Seize articles sont ainsi réunis émanant de chercheurs étrangers (Gerd Theissen de Heidelberg et Thomas Römer de Lausanne/Pretoria) et français, ces derniers tous enseignants à la faculté de théologie protestante de Strasbourg. Car la revue est l’enfant de la Maison. À peine l’université de Strasbourg ouverte en 1919, le conseil de la faculté de théologie protestante lançait le 2 juillet 1920 le projet de fonder une revue et le premier numéro de la RHPR paraissait en janvier 1921, succédant à l’ancienne Revue de Strasbourg éditée de 1850 à 1869. Cent ans durant, la RHPR a paru sans discontinuer, y compris lors du repli de l’université à Clermont-Ferrand pendant la Seconde Guerre mondiale et alors même que ses directeur et administrateur, Charles Hauter et Robert Eppel, étaient déportés en camp de concentration.
2Sans prétention à l’exhaustivité et en assumant une certaine subjectivité, ces deux numéros de 2020 offrent au lecteur une histoire de la discipline et de l’institution strasbourgeoise dans son contexte international et particulièrement dans ses relations avec l’Allemagne. On y rencontre un panel de très grandes figures qui ont marqué la théologie protestante, l’université de Strasbourg et plus généralement la vie intellectuelle du xxe siècle et du début du xxie siècle : Oscar Cullmann, Paul Ricoeur, Albert Schweitzer, Marc Philonenko pour n’en citer que quelques-uns. Toute la richesse et l’amplitude thématique de la revue se déploient : elle traite de l’histoire du christianisme antique, de littérature intertestamentaire, de l’histoire de la Réforme, d’exégèse, de phénoménologie, de sociologie, de musicologie, liant souvent une personnalité et une approche théologique particulière. Elle traite aussi, à l’exemple de Roger Mehl, des rapports de l’éthique chrétienne et des évolutions de la société comme le rappelle Jean-François Collange.
3De l’ensemble de ces contributions, il ressort que la RHPR a joué un rôle majeur dans la construction des savoirs, ce que démontre Gabriella Aragione à propos de l’histoire de l’Antiquité chrétienne, très représentée dans ses colonnes surtout dans les années 1960-1990. L’apport des sciences humaines et sociales à la théologie protestante est mis en lumière à travers plusieurs articles : celui de l’ethnolinguistique et de la traductologie dans la contribution de Frédéric Rognon au sujet d’un texte publié en 1921 par Maurice Leenhardt sur « la traduction du Nouveau Testament en langue primitive » ; celui de Gilbert Vincent sur la « Présence de la sociologie dans l’histoire de la RHPR », et en particulier la réception de Durkheim, Max Weber ou Paul Ricoeur – Ricoeur auquel l’auteur consacre d’ailleurs un second article centré sur la phénoménologie, l’herméneutique et l’éthique. Inversement, certains théologiens strasbourgeois se sont relativement peu préoccupés de représenter leur champ disciplinaire dans la revue. Ainsi, Théodore Gérold, premier titulaire de la chaire de musicologie de l’université française de Strasbourg, a peu publié dans la RHPR, comme le constate Beat Follmi, qui estime cependant que Gérold a permis aux lecteurs de prendre connaissance des débats autour de la musique sacrée.
4La Revue, en tant que canal de diffusion, a aussi contribué à la réception en France de grands intellectuels allemands ou de culture germanique comme Albert Schweitzer, dont elle a commenté longuement les œuvres, leurs rééditions et les traductions des années 1920 aux années 1960, pour y revenir plus ponctuellement par la suite. Si Schweitzer n’a jamais donné d’article à la RHPR, Matthieu Arnold met en évidence combien le théologien, philosophe et médecin humanitaire a fait l’objet d’une attention considérable de la part de la Revue, avec des discussions critiques sur la thèse du « déclin de la civilisation », sur l’éthique (le respect absolu de la vie prôné par Schweitzer) ou le paulinisme. Dans un second article, l’auteur élargit la focale et démontre comment la RHPR a voulu, dès 1926, être une « passerelle entre la théologie allemande et la théologie française », malgré les circonstances historiques difficiles. Celles-ci ont d’ailleurs lourdement pesé sur les choix de la revue après 1945 et jusque dans les années 1960, qui a davantage rendu compte de travaux allemands qu’accueilli des articles de collègues allemands, avant de s’ouvrir et de coopérer avec des théologiens d’Outre-Rhin dans une période plus contemporaine. Au total, la Revue a assuré une veille bibliographique de la production en langue allemande et a publié de nombreux articles de collègues allemands, en français, sur le Nouveau Testament et l’histoire de la Réforme. L’apport des travaux néotestamentaires est au cœur de l’article de Gerd Theissen qui analyse le rapport entre tensions politiques et compréhension théologique entre savants français et allemands à l’aune des contributions allemandes à la RHPR. C’est notamment autour de ces travaux pionniers sur le Nouveau Testament que des perspectives de coopération se sont dessinées pendant l’une des périodes les plus sombres et douloureuses de l’Histoire franco-allemande. À travers les phases repérées, c’est aussi une histoire politique et intellectuelle de l’Europe que l’auteur donne à voir. Marc Vial apporte lui aussi sa contribution à l’histoire des échanges transnationaux en matière d’herméneutique biblique. Il analyse la réception positive et critique de la méthode de Karl Barth (Sachexgese) par Oscar Culmann.
5Dans la plupart des articles réunis, les auteurs se proposent aussi de réévaluer l’apport des théologiens de l’époque et de leurs approches par rapport à l’état actuel de la recherche. Citons notamment la contribution de Thomas Römer sur l’aniconisme dans la religion yahwiste qui confirme l’importance des travaux de Mowinckel (son article de 1929 dans la RHPR) mais souligne que certaines hypothèses doivent être aujourd’hui corrigées. Frédéric Rognon se livre aussi à une critique actualisée des travaux centenaires de Maurice Leenhardt. Cette dimension historiographique est traditionnellement très présente dans la Revue. Déjà les recenseurs des rééditions de Schweitzer n’avaient pas caché qu’il s’agissait souvent de travaux anciens, par certains aspects dépassés, comme le rappelle Matthieu Arnold.
6Deux articles en particulier mettent l’accent sur les rapports entre protestantisme et judaïsme. Celui de Freddy Raphaël sur André Neher (1914-1988) qui s’est consacré à bâtir un nouveau judaïsme après le choc du nazisme, et celui de Christian Grappe sur Ernst Lohmeyer et l’« idée » juive et chrétienne du martyre (article de 1927). Si la question des formes dissidentes de protestantisme est évoquée par Marc Lienhard dans une perspective historique à travers son article sur « La RHPR et les dissidents des xvie et xviie siècles », le lecteur aurait sans doute été curieux de savoir comment la RHPR, au fil du siècle, avait traité des relations au catholicisme et aux autres religions. Mais il est impossible de traiter en un peu plus de 300 pages d’un siècle de vie scientifique et intellectuelle de la plus importante des revues de théologie protestante en France. Il faut remercier la Rédaction d’avoir offert un panorama aussi large des travaux de la Revue, confiés à des auteurs représentatifs de la théologie protestante en France aujourd’hui, et inviter les lecteurs qui souhaitent approfondir la découverte de la Revue à consulter le portail Persée où les numéros de la RHTP sont désormais accessibles (à l’exception des dernières livraisons).
7Cette parution d’un numéro double constitue donc un très bel apport à l’histoire des sciences, tant d’un point de vue disciplinaire qu’institutionnel – l’université de Strasbourg et sa faculté de théologie protestante saisie dans son réseau de relations internationales et ses rapports au voisin allemand. Nous souhaitons à la Revue et à toutes celles et ceux qui l’animent un nouveau siècle aussi productif et riche que le précédent !
Pour citer cet article
Référence papier
Corine Defrance, « Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses (RHPR), 100e année, no 397, 1 (2020) et no 398, 2 (2020) », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 53-2 | 2021, 577-579.
Référence électronique
Corine Defrance, « Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses (RHPR), 100e année, no 397, 1 (2020) et no 398, 2 (2020) », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 53-2 | 2021, mis en ligne le 31 décembre 2022, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/2973 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/allemagne.2973
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