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Katrin Jordan, Ausgestrahlt. Die mediale Debatte um “Tschernobyl” in der Bundesrepublik und in Frankreich. 1986/87

Göttingen, Wallstein Verlag, 2018, 424 p.
Philippe Hamman
p. 267-269
Référence(s) :

Katrin Jordan, Ausgestrahlt. Die mediale Debatte um “Tschernobyl” in der Bundesrepublik und in Frankreich. 1986/87, Göttingen, Wallstein Verlag, 2018, 424 p.

Texte intégral

1Historienne spécialisée dans les relations franco-allemandes du xxe siècle et l’histoire des médias, Katrin Jordan livre une version remaniée de la thèse de doctorat qu’elle a menée à l’Université Humboldt de Berlin et au Centre d’histoire contemporaine de Potsdam, tout en ayant bénéficié de séjours en France, notamment à l’Institut historique allemand de Paris. Soutenue en février 2018, cette recherche a été récompensée par le Prix allemand 2019 du jeune talent en histoire de la communication. Le sujet retient immédiatement l’attention : la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 et ce que son traitement public et médiatique différent en France et en Allemagne donne à saisir de rapports contrastés au nucléaire civil, du point de vue des décideurs et exprimés à travers divers relais d’opinion, qui produisent eux aussi une empreinte.

2Sur de tels enjeux, les faiblesses d’un modèle explicatif – qu’il soit économique, technique, de sécurité nationale ou autre – participent de la portée d’un autre et réciproquement. Tchernobyl livre un exemple parlant : s’il s’agit bel et bien du plus grave accident qu’ait connu le nucléaire civil, il a suscité des réactions distinctes sur la scène internationale, spécialement si on met en parallèle la France et l’Allemagne. Là où le débat prend rapidement de l’ampleur en Allemagne autour des valeurs seuils puis de la sécurité des installations dans la République fédérale, il n’en va pas de même côté français, où le gouvernement hésite à publiciser des mesures de précaution basiques (concernant les aires de jeu pour enfants, etc.). Tout se déroule comme si, pour reprendre une critique devenue célèbre, le nuage radioactif n’avait pas passé la douane à la frontière franco-allemande.

  • 1  Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallima (...)

3Analysé minutieusement par Katrin Jordan, cet épisode de crise révèle singulièrement en quoi un problème majeur de santé publique et environnementale a été abordé de façon tout à fait différente à la fois dans les milieux politiques, économiques et médiatiques de part et d’autre du Rhin. Sur un plan conceptuel, les sociologues Luc Boltanski et Laurent Thévenot1 ont mis en avant le fait que le discours de justification se structure à chaque fois selon un certain principe de légitimité – une « cité » –, faisant que les acteurs s’enferment chacun dans sa logique propre, écartant d’autres modes d’appréhension du réel (même s’ils en ont connaissance, à l’instar des regards croisés entre les deux pays voisins à propos du nuage radioactif, l’observation des médias le montre). L’auteure offre ici une illustration à la fois fine et de large portée, qui permet de dépasser certains stéréotypes attachés à l’histoire et aux « mentalités » des deux pays (le romantisme et le naturalisme allemand versus la France rationaliste des Lumières) et d’écarter toute explication objectivée selon laquelle un pays aurait été plus touché par le nuage que l’autre (la réalité a été plus complexe, selon les régions, dans les deux États, notamment au sud).

  • 2  Grégory Quenet, « Un nouveau champ d’organisation de la recherche, les humanités environnementales (...)

4La démarche d’histoire de l’environnement rejoint clairement les apports de la sociologie du risque, appréhendant les problèmes environnementaux et techniques comme des construits socio-culturels : de fait, les informations sur la catastrophe passent nécessairement, pour les citoyens allemands comme français, par le truchement de la presse, de la radio et de la télévision, et non par une appréhension directe. Réalité (mesures de contamination, etc.) et construction médiatique de la catastrophe ne se laissent ainsi pas séparer. Cette lecture donne aussi, plus largement, à repenser les frontières nature-société. C’est encore plus vrai vu de 2019, à l’heure des dérèglements climatiques valant marqueurs de ce qui serait une nouvelle ère de l’humanité, l’Anthropocène. Or, cet « agir géologique » de l’homme introduit « un niveau supérieur qui rend partiellement caduque la démarche compréhensive et herméneutique sur laquelle s’est fondée une partie des sciences humaines »2, ce qui peut être accueilli comme un nouveau paradigme global ou, sous un angle critique, comme un risque de dépolitisation, notamment en termes d’inégalités environnementales. C’est un apport réel de ce livre de réencastrer les débats sur le nucléaire dans l’épaisseur de leur dimension politique.

5De la thèse, on retrouve dans l’ouvrage, de belle facture – y compris avec la reproduction d’un certain nombre de couvertures parlantes de magazines –, la rigueur scientifique de la démonstration et un appareil critique détaillé qui intéressera les étudiants avancés et les chercheurs en études comparées franco-allemandes, en histoire mais aussi dans une diversité des sciences politiques et sociales au vu du sujet, particulièrement à l’heure des débats sur la transition énergétique/Energiewende. De nombreuses notes de bas de pages renvoient à la littérature et aux sources mobilisées, dont un imposant corpus télévisuel et de presse française et allemande. De précieuses annexes spécifient les archives consultées, les titres de presse écrite (journaux, magazines, presse spécialisée) et les chaînes de télévision, les 17 entretiens directs conduits avec des acteurs des médias, les témoignages écrits et vidéos consultés, ainsi que toute une documentation écrite et de littérature grise, à chaque fois en langue française et allemande. Une bibliographie très conséquente, rassemblant des références dans les deux langues, est également fournie (p. 397-421).

6Ce dispositif permet à l’auteure d’éclairer le processus de construction publique du problème « Tchernobyl », et ses interprétations, afin de comprendre l’orientation différente repérable dans les deux cadres nationaux, et ce en intégrant à la fois la place des structures institutionnelles, politiques et économiques, les logiques propres aux médias ainsi que les représentations sociales. À ce titre, l’ouvrage focalise sur les prises de position des décideurs politiques et administratifs, des experts du domaine et des journalistes, et non pas sur les perceptions du citoyen lambda. Plus précisément, Katrin Jordan interroge la sphère médiatique, entendue comme forum central des discours qui « prennent » sur l’agenda, ainsi que les interactions entre les acteurs qui la structurent. Elle aborde ainsi des enjeux sociétaux majeurs comme l’acceptabilité des risques technologiques, l’autonomie ou la porosité entre les domaines politique et économique, la légitimité des politiques énergétiques nationales, ou encore la fiabilité des discours scientifiques. Les réactions différentes en France et en Allemagne face à la catastrophe de Tchernobyl peuvent alors s’expliquer, suivant l’hypothèse développée par Katrin Jordan, pour une part sensible par la place et le rôle différents des médias dans les deux pays, et non pas uniquement par des variables relatives aux mentalités, à la structuration des appareils politiques et administratifs ou à l’organisation de l’expertise scientifique per se.

7Pour le montrer, l’auteure déploie des développements organisés en quatre chapitres. Le management de crise faisant suite à l’accident nucléaire est abordé dans un premier temps (chapitre 1), d’un point de vue chronologique et en focalisant sur les politiques d’information de l’Union soviétique vis-à-vis des autres États, et celles conduites en Allemagne et en France, mises en rapport avec la structuration politico-administrative de ces deux pays. Puis l’analyse se concentre sur la place des experts, qui produisent du discours public et interviennent dans les médias (chapitre 2). Sur ce plan, les scientifiques aux positions critiques vis-à-vis de l’énergie nucléaire sont bien plus présents dans les médias allemands que français : comprendre cet accès plus ou moins aisé, pour les chercheurs critiques, à la presse et à la télévision renvoie relationnellement aux interactions entre experts et journalistes, à l’organisation du champ médiatique tout comme à celle des cadres de production de savoirs, en Allemagne et en France. Ce questionnement se prolonge au chapitre 3 par une analyse en termes de cadrages (framing) dominants dans les deux pays, à savoir une articulation rapide avec un débat sur l’avenir de la politique nationale d’énergie nucléaire en Allemagne, tandis qu’en France la technologie nucléaire n’est pas objet de discussion en tant que telle. Le quatrième chapitre s’arrête enfin sur la façon dont la catastrophe et sa gestion ont pu impacter les relations franco-allemandes. À cet égard, l’auteure intègre également dans son raisonnement les controverses relatives à la centrale nucléaire de Cattenom, en Moselle, en particulier côté allemand. Située à relative proximité de la frontière, sa première unité de production a été mise en service en 1986 précisément, suscitant des représentations clivantes, sous le prisme des médias. Au final, Katrin Jordan délivre ainsi un ouvrage de référence particulièrement bien documenté.

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Notes

1  Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, 496 p.

2  Grégory Quenet, « Un nouveau champ d’organisation de la recherche, les humanités environnementales », in : Guillaume Blanc, Élise Demeulenaere, Wolf Feuerhahn (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 255-269.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Hamman, « Katrin Jordan, Ausgestrahlt. Die mediale Debatte um “Tschernobyl” in der Bundesrepublik und in Frankreich. 1986/87 »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 51-1 | 2019, 267-269.

Référence électronique

Philippe Hamman, « Katrin Jordan, Ausgestrahlt. Die mediale Debatte um “Tschernobyl” in der Bundesrepublik und in Frankreich. 1986/87 »Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande [En ligne], 51-1 | 2019, mis en ligne le 02 juillet 2019, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allemagne/1665 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/allemagne.1665

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Auteur

Philippe Hamman

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