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Bernard Cottret et Lauric Henneton (dir.), Du bon usage des commémorations. Histoire, mémoire et identité, xvie-xxie siècle

Rémi Dalisson
p. 223-225
Référence(s) :

Bernard Cottret et Lauric Henneton (dir.), Du bon usage des commémorations. Histoire, mémoire et identité, xvie-xxie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 231 p., ISBN 978-2-7535-1013-5, 16 €.

Texte intégral

1L’ouvrage revient sur les conflits mémoriaux à travers « la commémoration [qui] revêt un caractère obsessionnel permettant de rejouer périodiquement le passé ». Dans la longue durée, il « croise les regards au sein d’une même étude ».

2La première partie s’attache aux commémorations de la mémoire protestante en France, Allemagne et Angleterre. Pour les Français, les anniversaires de 1572, 1598 et 1685, voire 1787 mettent en exergue un « patriotisme huguenot » au risque de récupérations anachroniques des souffrances particulières. Le cas de la mémoire du pasteur John Fox, à travers The Books of Martyrs, est plus large. La volonté de cultiver le souvenir de protestants suppliciés par Marie Tudor devait « préserver la mémoire des martyrs et enseigner aux générations futures le devoir d’anamnèse » avec exposé des faits et monuments, dans une « intention commémorative évidente ». Préserver ainsi une identité collective par des moyens scénographiques et didactiques fonderait la nation anglaise. Ces commémorations se retrouvent en France avec la célébration de l’édit de Nantes, et en Allemagne avec celle de Luther. Hagiographiques et majoritaires en Allemagne ou progressistes et minoritaires en France, ces deux célébrations de groupes identitaires posent le problème de la Nation et de son rapport à l’histoire et à la mémoire.

3Avec la Virginie, on entre dans l’époque contemporaine sous le signe des Révolutions inspirées par 1789 et des commémorations militantes. C’est la naissance d’un rituel commémoratif politique et civique, qui passe parfois par des sociabilités originales (pique-nique). En faisant de Jamestown et de la Virginie le point central de leur naissance, les États-Unis se sont placés sous l’égide des commémorations européennes, surtout françaises. Mais cette célébration virginienne n’est qu’occasionnelle, pour le bicentenaire de 1807, le tricentenaire et le quatre-centenaire. Elle n’est pas un rituel régulier à même de forger une identité pérenne. Ce n’est pas le cas de la célébration de la Révolution anglaise de 1688 chaque 4-5 novembre, qui marque un tournant dans l’affirmation de l’identité nationale d’Outre Manche, qualifiée de « politico-théologique ». C’est que, depuis 1789, il faut reconsidérer les fondements philosophiques nationaux à l’aune des Lumières (la querelle Burke-Price), et donc la pratique commémorative. Un nouveau langage commémoratif s’impose (les banquets), largement inspiré de la France et de ses systèmes festivo-didactiques. Le vent des remises en causes commémoratives et identitaires souffle alors à mesure que les politiques festives et commémoratives révolutionnaires prennent de l’ampleur (voir François de Neufchâteau). Dans l’espace influencé par la Révolution Française comme les États-Unis, les commémorations classiques sont remises en cause.

4C’est le cas du 4 juillet que les féministes et les Afro-américains tentèrent de subvertir de l’intérieur en 1852 et 1876. Réintroduire la subversion et de nouveaux principes démocratiques dans les rituels festifs n’était-il pas tout l’enjeu des politiques commémoratives révolutionnaires ? Dès le xixe siècle, la célébration d’idéaux universalistes ne peut exclure des minorités (sexuelles ou ethniques) du champ national. Les fêtes nationales servent de vecteur à une relecture de l’histoire et intègrent à une communauté nationale fondée sur les Droits de l’Homme, à l’instar des systèmes festifs français de 1790-1795.

5En ce sens le Bicentenaire fut emblématique. Balançant entre commémoration militante et « moment d’histoire » fédérateur, son poids, et donc celui de la Révolution dans l’habitus national, peut être lu par le prisme du Journal de la Révolution créé par le Monde. Il reflète le poids qu’occupait alors la mémoire révolutionnaire dans une France gouvernée par la gauche qui tentait de rénover les fondamentaux de la mémoire civique de la IIIe République et que « l’Almanach de 1789 » du Journal de la Révolution illustrait. Les débats historiques (repris dans la « Gazette du bicentenaire ») furent rudes, les clivages resurgirent, mais le pays s’empara du Bicentenaire comme l’a montré Patrick Garcia et comme en témoigne la série du Monde. Si Julien Louvrier y regrette l’absence de l’histoire sociale et économique, elle illustre un nouvel âge de la mémoire commémorative révolutionnaire, celui de la mise en exergue (sacralisation ?) des Droits de l’Homme, ce « plus petit dénominateur commun à tous les commémorateurs » mixé à la sauce globalisée du défilé de Goude. Le souci d’équilibre de la série, ni « Furetolâtre, ni Sorbonnarde » et l’intrusion du culturel dans le champ de la vulgate commémorative peuvent être pris comme le symptôme d’un affadissement de la mémoire révolutionnaire, une volonté de gommer les clivages sociaux et idéologiques, qui annonce l’ère aujourd’hui advenue du « révolutionnairement correct ».

6On retrouve ces enjeux dans la commémoration de la « Grande Révolution française » en RDA. Objet d’étude, notamment à l’Université de Leipzig, la Révolution Française et ses historiens marxistes ou « classiques » (Soboul, Vovelle) est consensuelle dans un pays en quête de légitimité. Modèle de révolution bourgeoise, histoire téléologique officielle, elle doit légitimer la RDA qui en serait l’accomplissement social et politique (valorisation/célébration de la période jacobine de 1793-94) et national (la « commémoration de la commémoration » de 1889, date de la création de la IIe Internationale). Et ce d’autant que 1989 est l’année de deux anniversaires clé pour le régime : le 550e anniversaire de la naissance de T. Müntzer et le 40e de la naissance de la RDA. Ces trois dates permettent de « nationaliser » et « germaniser » la commémoration du bicentenaire à la veille de la chute d’un régime qui a besoin de légitimations que les figures des grands historiens de la Révolution héritiers de Soboul fournissent à bon compte.

7La situation actuelle est évoquée par deux dates : 1998, anniversaire du J’accuse de Zola, de l’abolition de l’esclavage, du 400e de l’édit de Nantes et du 80e de l’armistice de 1918, et 2005, anniversaire d’Austerlitz et de la fin de la Seconde Guerre mondiale. S’ajoute la commémoration de la Seconde Guerre mondiale dans le Loiret et celle de Québec de 2008.

8La confusion entre histoire et mémoire est d’abord symbolisée par la célébration d’Austerlitz. « Échec annoncé », c’est la victoire d’une mémoire communautaire (le collectif DOM et la question de l’esclavage) sur la mémoire napoléonienne folklorisée et ringardisée. L’année 1998 montre les injonctions contradictoires de la mémoire commémorative, tiraillée entre consensus (l’abolition de l’esclavage), dissensus (l’affaire Dreyfus) et réconciliation (les mutins de la Grande Guerre et l’édit de Nantes), sur fond de question européenne et mémoires de groupes. Elle révèle l’illusion de l’unité nationale et la volonté de désidéologiser les questions mémorielles pour imposer une vulgate normative. Ce balancement est celui de la célébration d’Hiroshima qui voit le Japon osciller entre le statut de victime, les non-dits de sa mémoire de guerre et une vocation à devenir une Peace loving Nation bien commode. Le cas est assez similaire avec l’Allemagne, à la seule différence qu’elle a fait un travail de mémoire et d’histoire exemplaire (Vergangenheitsbewältigung). Mais les ambiguïtés subsistent à propos du bombardement de Dresde (Bombenholocaust) et du film La Chute illustrant le poids des mémoires victimaires (le « martyr Berlinois » est-il révisionniste ?). Ce « passé qui ne passe pas » se retrouve chaque 8 mai dans le Loiret tiraillé entre commémoration Johanique, de la victoire alliée et de la Shoah (camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande). La volonté pacificatrice canadienne pour la commémoration de Québec en 2008 illustre alors les vertus de l’histoire rigoureuse pour résoudre ces problèmes de concurrence mémorielle, d’éclatement des récits nationaux résumés par les batailles commémoratives.

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Pour citer cet article

Référence papier

Rémi Dalisson, « Bernard Cottret et Lauric Henneton (dir.), Du bon usage des commémorations. Histoire, mémoire et identité, xvie-xxie siècle »Annales historiques de la Révolution française, 365 | 2011, 223-225.

Référence électronique

Rémi Dalisson, « Bernard Cottret et Lauric Henneton (dir.), Du bon usage des commémorations. Histoire, mémoire et identité, xvie-xxie siècle »Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 365 | Juillet-septembre 2011, mis en ligne le 13 décembre 2011, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ahrf/12185 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ahrf.12185

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