Jean-Louis Donnadieu, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles et Gascogne (1728 – 1816)
Jean-Louis Donnadieu, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles et Gascogne (1728 – 1816), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2009, 270 p., ISBN 9782810-700127, 31 €.
Texte intégral
1Ce travail est d’abord une belle monographie d’habitation, dans la lignée des travaux de Gabriel Debien, de François Girod, de Jacques De Cauna, de Bernard Foubert, entre autres. L’importance des habitations dont il est ici question, Les Manquets et Breda du Haut-du-Cap, doit toutefois être soulignée d’emblée, non seulement en raison de leur étendue, mais encore en raison des leur notoriété. Avant d’adjoindre « Louverture » à son nom, Toussaint était connu comme « Toussaint-Breda » car il avait été esclave domestique sur l’Habitation du même nom, et a conservé des relations tant avec son ancien procureur, Bayon de Libertat, qu’avec son propriétaire, le comte de Noé.
2L’auteur retrace minutieusement le parcours de ce dernier, issu d’une famille d’antique noblesse de Gascogne, dont il reconstitue la généalogie. Son ancêtre, Pantaléon de Breda, est un lieutenant de marine, devenu plus ou moins flibustier, puis concessionnaire des terrains où il va développer sa plantation, dans la riche plaine du Nord de Saint-Domingue, à la charnière des xviie et xviiie siècles. C’est sur cette habitation, déjà florissante, que naît Louis-Pantaléon de Noé en 1728 ; c’est donc un créole. Il quitte très jeune la colonie, et embrasse la carrière militaire en 1740, date à laquelle il participe à la Guerre de Succession d’Autriche, puis à la Guerre de Sept Ans. Il parvient alors au grade de colonel dans le régiment Royal-Comtois.
3Ce n’est qu’en 1769 que le comte de Noé revient à Saint-Domingue, pour redresser une situation financière bien compromise, tant par ses affaires de succession en France, que par l’état des habitations de Saint-Domingue. Il constate que son cousin, le chevalier d’Héricourt, n’est pas en meilleure posture, et ils décident donc d’associer leurs affaires, et de rassembler leurs terres en une seule plantation, l’Habitation d’Héricourt-Noé. La gestion est assurée par François-Antoine Bayon de Libertat ; en 1774, la situation est redressée, l’habitation qui est surtout plantée en cannes à sucre, compte 400 esclaves et atteint l’équilibre financier. Pendant son séjour, le comte de Noé participe à la vie sociale de la ville du Cap, où il possède une maison.
4L’ouvrage nous donne alors des renseignements précieux sur cette sociabilité urbaine, ainsi que sur l’existence quotidienne au sein de la plantation. C’est l’occasion de revenir sur le parcours de Toussaint-Breda, débarrassé de la mythologie qui l’a longtemps environné. Ce dernier aurait été affranchi, soit par le comte de Noé, soit par Bayon, entre 1772 et 1775. C’est également l’occasion de croiser d’autres parcours significatifs de « noirs libres », notamment Blaise Breda, qui parvient aussi à une aisance relative et à une position sociale enviable, par la voie militaire, en tant que capitaine de la compagnie des « nègres libres » du Cap.
5Ses arrières mieux assurés, le comte de Noé et son cousin d’Héricourt reviennent en France en 1775. Tout en s’occupant de sa seigneurie, Noé n’oublie pas la colonie, achète, toujours avec son cousin, deux caféières à Port-Margot, qui se révéleront en fait un placement hasardeux. Mais, à cette époque, le café représente un investissement spéculatif. Le chevalier d’Héricourt revient dans la colonie pour s’occuper de l’habitation principale, celle des Manquets, car il connaît des difficultés avec le gérant. Mais il meurt en 1779 ; c’est donc à Noé que revient la charge difficile de gérer à distance, cette situation de propriétaire absentéiste étant de plus en plus répandue à la veille de la Révolution. Il s’avère que, si la production reste importante, les conditions de vie des cultivateurs esclaves se dégradent sensiblement. La gestion de Bayon de Libertat est entachée de multiples détournements, à tel point qu’il est renvoyé en 1788.
6Pendant ce temps, Noé mène le train de vie d’un seigneur rentier en Gascogne. Il participe à l’Assemblée provinciale de la Généralité d’Auch en 1787, puis préside l’assemblée de la noblesse de la sénéchaussée du même lieu. Il a donc un rôle politique local important. Il se déplace à Paris, prend des contacts avec les planteurs de Saint-Domingue qui y résident, est élu député de Saint-Domingue en janvier 1789. Mais il n’est pas admis à siéger à l’Assemblée nationale. Il fréquente le club Massiac.
7L’épicentre de la révolte des esclaves d’août 1791 se situe tout près des Manquets, qui est détruite au cours du soulèvement. Ruiné, le comte de Noé est en outre devenu suspect ; la Garde Nationale perquisitionne son château, en juin 1791, à la recherche d’armes. Il émigre peu après, suit le comte d’Artois en Angleterre et connaît une existence difficile. C’est alors qu’il se résout à écrire à Toussaint, devenu Louverture, en avril 1799. Le tout puissant gouverneur noir cherche à cette époque à faire revenir à Saint-Domingue les anciens colons pour relancer les exportations. Il accueille favorablement l’idée de verser à Noé une partie du revenu de son habitation des Manquets, et de faire passer les sommes en Amérique ; « La fortune a bien changé ma position, mais elle n’a pas changé mon cœur », lui écrivit Toussaint.
8L’expédition Leclerc brise cet accommodement, mais Noé connaît au même moment un nouveau renversement de fortune ; rallié à Bonaparte, il est amnistié en 1802 et peut rentrer en France.
9La dernière partie de son existence est celle, classique, d’un notable. Il fait une carrière locale sous l’Empire, conseiller général du département des Hautes-Pyrénées, puis commandant de la Garde d’Honneur de ce département. Rallié à Louis XVIII, il est nommé pair de France à titre héréditaire. Il meurt à son domicile parisien de la rue du Bac, le 25 février 1816 : il a 88 ans.
10Le parcours des deux comtes de Noé, Louis-Pantaléon et son père, de la flibuste au pouvoir noir, est donc tout à fait emblématique de celui des Habitants de la perle des Antilles.
11L’environnement n’est pas moins symptomatique que la biographie ; la plantation qui est le socle de la fortune du comte de Noé peut être prise comme modèle de l’évolution du système de production esclavagiste de l’époque moderne. L’auteur nous en retrace les nombreuses facettes et s’attache même, dans un souci d’archéologie économique très intéressant, à en retrouver les traces actuelles enfouies dans la végétation haïtienne.
12Enfin à l’arrière-plan, d’autres figures historiques se dessinent, avant tout celle de Toussaint Breda Louverture, ce qui ne résout en rien les nombreuses énigmes et contradictions qui lui sont attachées.
13En un mot, c’est une très utile étude de cas.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernard Gainot, « Jean-Louis Donnadieu, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles et Gascogne (1728 – 1816) », Annales historiques de la Révolution française, 365 | 2011, 210-211.
Référence électronique
Bernard Gainot, « Jean-Louis Donnadieu, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles et Gascogne (1728 – 1816) », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 365 | Juillet-septembre 2011, mis en ligne le 13 décembre 2011, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ahrf/12170 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ahrf.12170
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page