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Jean-Jacques Clère et Jean-Claude Farcy (dir.), Le juge d’instruction. Approches historiques

Jean Bart
p. 208-209
Référence(s) :

Jean-Jacques Clère et Jean-Claude Farcy (dir.), Le juge d’instruction. Approches historiques, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010, 320 p., ISBN 978-2-915611-68-7, 22 €.

Texte intégral

1À l’heure où l’existence même d’un juge d’instruction est menacée et où la soumission du parquet au pouvoir exécutif semble se renforcer, l’initiative de replacer ces questions dans une perspective historique ne peut être que pertinente. Comment un magistrat institué au cours de la reprise en main autoritaire du système judiciaire répressif au début du xixe siècle, et volontiers qualifié alors d’« homme le plus puissant de France », apparaît-il deux siècles plus tard, en dépit d’erreurs qui ont fait scandale, comme un agent de sauvegarde des libertés individuelles ? L’évolution jalonnée dans ce livre a été lente et chaotique ; elle dépasse largement le cadre chronologique d’étude des AHRF, mais les lecteurs de notre revue seront intéressés par plusieurs analyses touchant aux origines de l’institution ou de la procédure d’instruction préparatoire.

2Faut-il voir dans le lieutenant criminel du xviiie siècle l’« ancêtre du juge d’instruction », au risque de tomber dans le travers de l’historiographie à la mode tendant à réhabiliter la justice d’Ancien Régime ? Si l’ordonnance de 1670 organise une instruction secrète et non contradictoire, la pratique, au cours du siècle suivant montre, aux yeux de Benoît Garnot, que « le magistrat instructeur n’est pas l’individu tout puissant devant lequel trembleraient des prévenus terrorisés et impuissants à prouver leur éventuelle innocence ». Cet assouplissement – limité – ne s’inscrit-il pas toutefois dans un système vicié par l’organisation générale de la justice criminelle et par la vénalité des offices, dénoncées l’une et l’autre par les doléances de 1789 ?

3La nouveauté et l’originalité de la transformation opérée par les Constituants n’en sont que plus éclatantes : élection des juges, institution d’un double jury en matière criminelle, procédure pénale accusatoire, débat public et oral contradictoire, égalité devant la loi, fixité et proportionnalité des peines … : « le modèle judiciaire de la Révolution est considéré comme libéral dans la mesure où il place la protection des libertés individuelles des citoyens au centre de ses préoccupations » (Emmanuel Berger). On est loin du lieutenant criminel, loin aussi du futur juge d’instruction. Cette protection est confiée aux juges de paix, principaux officiers de police judiciaire en matière de poursuite et d’information, placés sous la surveillance des accusateurs publics, ainsi qu’aux directeurs des jurys d’accusation. Cependant, à partir de l’an III, les premiers – dont on se méfie – sont subordonnés aux seconds qui deviennent les véritables maîtres des poursuites, tandis que les commissaires du gouvernement cherchent à empiéter sur leurs prérogatives.

4Cette architecture complexe destinée à assurer des garanties aux prévenus ne survit guère au coup d’État de Brumaire : la constitution de l’an VIII supprime la fonction d’accusateur public et place tous les officiers de police judiciaire sous le contrôle de représentants de l’exécutif (« magistrats de sûreté ») à qui, quelques semaines plus tard, la loi du 7 pluviôse an IX (27 janvier 1801) confie la poursuite et la recherche des infractions. Cette organisation est couronnée par le Code d’instruction criminelle, appliqué à partir de 1811, qui marque un retour à la procédure de type inquisitorial comme à la pratique du secret, et qui désigne désormais le magistrat de sûreté par le titre de « juge d’instruction », nommé alors par l’Empereur pour une durée de trois ans renouvelable, choisi parmi les juges du tribunal de première instance et qui continue à siéger au sein de celui-ci. Alors que le procureur impérial est chargé de la recherche et de la poursuite des délits et des crimes, le juge d’instruction, comme son nom l’indique, doit « instruire » l’affaire : recevoir les plaintes, entendre les témoins, réunir les preuves par écrit et les pièces à conviction ; il dispose de la faculté redoutable de faire arrêter et incarcérer les prévenus. Toutefois, en cas de flagrant délit, la compétence du magistrat instructeur est concurrencée par celle du procureur impérial. Malgré tout, « si le modèle d’une justice soumise au gouvernement l’a emporté, le juge d’instruction a préservé ses pouvoirs d’enquête que le projet initial du Code voulait confier au ministère public. En ce sens, il est aussi perçu, dès cette époque, pour ceux qui refusent de réduire ses pouvoirs à un simple contrôle de l’instruction, comme un rempart face à la toute puissance du parquet, partie accusatrice dans le procès pénal » (Jean-Jacques Clère et Jean-Claude Farcy). Telle est la genèse d’une institution bi séculaire qui a connu de nombreux soubresauts au gré des changements politiques, outre de multiples réformes – au moins vingt-neuf depuis 1958 ! – et dont la disparition est aujourd’hui annoncée. Appartiendra-t-elle bientôt au seul domaine de l’histoire ? Comme l’écrivent les initiateurs de cet ouvrage collectif, « au-delà de la place et du rôle du juge d’instruction, de ses pouvoirs et de leur contrôle qui ont varié dans le temps, se posent les questions plus larges de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance réelle de la justice tout au long des deux derniers siècles, alors que les formes du pouvoir politique ont évolué dans le sens du renforcement de l’exécutif dans les dernières décennies ». Ce n’est assurément pas une énième réforme de la procédure d’instruction qui permettra de renverser cette évolution dangereuse pour les libertés individuelles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Bart, « Jean-Jacques Clère et Jean-Claude Farcy (dir.), Le juge d’instruction. Approches historiques »Annales historiques de la Révolution française, 365 | 2011, 208-209.

Référence électronique

Jean Bart, « Jean-Jacques Clère et Jean-Claude Farcy (dir.), Le juge d’instruction. Approches historiques »Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 365 | Juillet-septembre 2011, mis en ligne le 13 décembre 2011, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ahrf/12167 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ahrf.12167

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Auteur

Jean Bart

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