Navigation – Plan du site

AccueilNumérosHS 3La Coopérative d’écriture : un la...

La Coopérative d’écriture : un laboratoire des formes

Entretien réalisé par Aurélie Coulon
Eddy Pallaro et Aurélie Coulon

Notes de la rédaction

Entretien avec Eddy Pallaro réalisé par Aurélie Coulon à Strasbourg le 24 janvier 2020.

Texte intégral

  • 1 La Coopérative d’écriture, « Manifeste », in Astier Aude, Cot Guillaume, Coulon Aurélie, Diaz Sylva (...)

1« Nous deviendrions un moi pluriel, ennemi d’un monde unidimensionnel ; un moi-mouvement, ennemi d’un monde sage comme une image ; un moi complexe, ennemi d’un monde plus simple qu’il n’y paraît1. » La première phrase du Manifeste de la Coopérative d’écriture prend le parti – le pari ? – de l’oxymore et du conditionnel.
La Coopérative d’écriture réunit depuis 2005 treize autrices et auteurs de théâtre animés par un même projet d’expérimentation de dispositifs d’écriture collective : Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Enzo Cormann, Natacha de Pontcharra, Rémi De Vos, Nathalie Fillion, Samuel Gallet, David Lescot, Fabrice Melquiot, Yves Nilly, Eddy Pallaro, Christophe Pellet et Paulines Sales. D’autres écrivain·e·s les rejoignent ponctuellement autour de certains projets.
Les principaux objectifs de la Coopérative d’écriture sont les suivants :

  • 2 Ibid.

- Valoriser l’écriture contemporaine par la diffusion et la création de dispositifs collectifs d’écriture : Bals Littéraires, Consultations Poétiques, Mots Vagabonds, Chambres Ouvertes, Fenêtres avec vue, Please Plant This Book, Le Fauteuil Rouge, Nuits du Patrimoine, Murs d’Ecriture, Poèmes à la mer... Spectacles, lectures, ateliers, etc. […]
- Développer les commandes d’écriture afin de constituer un répertoire de textes propre à la Coopérative. […]
- Favoriser la rencontre des auteurs avec d’autres artistes (danseurs, comédiens, musiciens...) au cours d’expériences d’écriture autorisant le croisement, l’alliance, entre écriture et danse, écriture et mise en jeu, écriture et musique...
- Favoriser l’échange avec des auteurs étrangers à travers des plates-formes de traduction, des invitations à participer aux expériences d’écriture collectives définies par la Coopérative.2

2À travers la voix d’Eddy Pallaro, qui est l’un des écrivains-fondateurs du groupe, cet entretien entend retracer la genèse et les différentes modalités d’existence de ce « moi pluriel » en proposant un regard individuel sur une expérience collective.

Naissance(s)

Aurélie Coulon. Comment est née la Coopérative d’écriture ?

Eddy Pallaro. La Coopérative d’écriture est née au début des années 2000. Les auteurs à l’origine du projet sont Fabrice Melquiot, qui était à l’époque auteur associé à la Comédie de Reims, et Rémy De Vos, alors associé au CDDB-CDN de Lorient. Ils ont commencé à proposer des expériences d’écriture et de lecture à d’autres auteurs, rencontrés dans des résidences ou dans des festivals dédiés aux écritures contemporaines. On se retrouvait à la Comédie de Reims ou à Lorient pour deux ou trois jours de travail, ou bien on s’enfermait dans un musée toute une nuit et on écrivait un texte qu’on délivrait le lendemain matin, tandis que les gens avaient le droit de nous rendre visite pendant la nuit. Nous avons commencé à expérimenter le format du Bal littéraire, ainsi que d’autres dispositifs. L’idée était de créer des petits laboratoires d’écriture et de partager très vite ce qu’on faisait avec le public, avant tout pour le plaisir d’être ensemble, mais aussi pour démystifier la posture de l’écrivain dans sa tour d’ivoire et pour être tout de suite dans le partage avec le public. Cela a fonctionné pendant deux ou trois ans, puis Fabrice Melquiot et Rémy De Vos ont cessé d’être associés à ces deux théâtres.
Ensuite, Fabrice Melquiot a proposé de créer un collectif d’auteurs pour poursuivre l’expérience en dehors des théâtres, en inventant une structure qui nous rassemble et qui puisse porter des projets. S’est alors constitué par rhizome, avec les gens qui avaient déjà participé aux laboratoires, un groupe de treize écrivains-fondateurs, partants pour inventer des concepts tels que les Bals littéraires, les Fenêtres ouvertes ou les Nuits au musée, dans l’idée d’inventer des commandes qu’on pourrait se faire entre nous. Les premiers temps nous avions une administratrice, Mélanie Maussion, qui avait partagé les expériences à la Comédie de Reims et qui avait souhaité poursuivre l’aventure avec nous et nous aider à nous structurer et à tisser des liens avec l’extérieur. La Coopérative d’écriture est née en 2005. Cette structure nous permettait aussi d’avoir accès à des regards extérieurs, amis ou bienveillants, sur notre travail. Cet aspect-là était très important et fait partie des éléments qui ont motivé sa création.

L’organisation du travail en collectif

A.C. Vous avez un manifeste. Quand et dans quel contexte a-t-il été écrit ? A-t-il été pensé comme un document à usage interne ou plutôt dans l’idée de le diffuser pour aider à comprendre le projet de la Coopérative ?

E.P. Le manifeste est venu assez tôt, au moment de la fondation de la Coopérative d’écriture. C’est Fabrice Melquiot qui en est l’auteur, il me semble. Il avait été écrit plutôt pour faire connaître la Coopérative, pour en donner les clés à l’extérieur, même si de mon point de vue cela donnait aussi une projection dans le temps, et servait de guide en interne. Mais c’était avant tout pour faire connaître les motivations du collectif. À l’origine nous avions un site internet sur lequel ce texte était publié, avec la biographie de chaque auteur et la présentation de différents dispositifs. Tout cela a disparu maintenant.

A.C. Pourquoi est-ce que ce site n’existe plus ?

E.P. Notre administratrice a souhaité quitter son poste et nous nous sommes alors demandé si nous gardions le même modèle, ou si nous choisissions de garder un fonctionnement plutôt cellulaire. Cela a fait débat ; finalement ce rôle d’administration n’a pas été repris et il n’y avait donc plus personne pour s’occuper du site. C’était environ cinq ans après la création du collectif.

A.C. Si je comprends bien, la partie administrative du travail se fait de manière collective ?

E.P. Oui. Nous nous sommes aussi appuyé sur des structures qui nous étaient propres, les compagnies auxquelles nous étions rattachés par exemple, ou les lieux dirigés par certains d’entre nous. Ce sont ces structures et ces lieux qui ont hébergé administrativement les activités de la Coopérative et qui sont devenus porteurs du projet, y compris pour des choses très pratiques comme le salariat. Il n’y avait plus de noyau administratif, le fonctionnement est donc devenu très atomisé – mais plutôt dans le sens où chacun pouvait initier un évènement autour de l’écriture ou de la lecture et en devenait le responsable au cas par cas. Pauline Sales a été le principal référent de la Coopérative d’écriture quand elle dirigeait le Préau – CDR de Vire, puis cela a été plutôt Fabrice Melquiot et le Théâtre Am Stram Gram, mais son mandat touche à sa fin, ce sera donc bientôt à réinventer. La Coopérative vit sans structure propre, à travers ses différents membres.

A.C. Cela pose des questions très concrètes, d’organisation à la fois administrative et économique – questions que soulève d’ailleurs le terme même de « coopérative ».

E.P. Oui, par exemple comment les lieux qui nous hébergent nous payent-ils… ? C’est un principe économique particulier. Pendant un temps j’ai eu peur que la Coopérative ne périclite avec la perte de ce statut d’administrateur, mais finalement le travail s’est poursuivi différemment. À la base nous avions aussi envie d’avoir des temps d’échange sur nos pratiques, sur ce qu’on lisait, du politique, du poétique... Maintenant on se retrouve surtout sur des temps de laboratoire ; cette idée de se retrouver ailleurs que dans le faire n’a pas vraiment existé, à part ponctuellement à deux ou trois, mais pas à l’échelle de l’ensemble du collectif.
Au moment de ce changement d’organisation, nous avons eu la volonté d’ouvrir la Coopérative à d’autres auteurs et de les inviter dans des temps de pratique ou de laboratoire et cela nous a fait beaucoup de bien de mettre davantage en partage nos expériences.

A.C. Concrètement, comment communiquez-vous entre vous ? Est-ce qu’il y a une mailing list, un espace collaboratif de type Dropbox ou Drive…?

E.P. Non, dans la même ligne que sur le plan administratif il n’y a pas de plateforme, de mailing list ou de Drive. Les projets sont portés de manière individuelle et chacun revendique plus ou moins sa participation à la Coopérative, selon les cas. Mais il y a toujours du mouvement et des activités.

Dispositifs

A.C. De l’extérieur, les Bals littéraires sont sans doute l’une des activités les plus connues de la Coopérative d’écriture. Quels sont les autres formats que vous expérimentez ?

  • 3 Fabrice Melquiot et Pauline Sales, Docteur Camiski ou l’esprit du sexe, Paris, L’Arche, 2015.
  • 4 Livre-jeu conçu et réalisé par Fabrice Melquiot, Isabelle Turlan (enseignante) et Jeanne Roualet (g (...)

E.P. Il y a eu à Avignon cet été les Fenêtres ouvertes, portées par Fabrice Melquiot et Emmanuelle Destremau. Nous avons fait l’expérience de rester enfermés toute une nuit dans un théâtre ou dans un musée pour écrire. Marion Aubert a porté un concept qui s’appelle « Drames, folies et autres histoires ». Il y a aussi eu le Juke-box, qui permettait de livrer des extraits de textes, ou encore les Consultations poétiques réalisées dans l’espace public ou dans les hôpitaux. Fabrice Melquiot et Pauline Sales ont écrit une pièce en commun, Docteur Camiski ou l’esprit du sexe3. Samuel Gallet, Fabrice Melquiot, Pauline Sales et Enzo Cormann ont aussi écrit Le Jeu d'histoires libres4.
Cela donne lieu à des projets communs par complicité ou amitié, à des réseaux de soutien entre nous, à une dynamique – même si ce n’était pas systématique, ce n’est pas parce que quelqu’un dirigeait un lieu qu’il allait nécessairement soutenir un auteur de la Coopérative. L’Ensatt (École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) a aussi été un lieu important, beaucoup d’auteurs de la Coopérative ont participé au laboratoire des jeunes auteurs par exemple. Au Théâtre du Nord, Christophe Pellet et Remy De vos sont très présents. Au sein des écoles, on est aussi très impliqués, j’ai pu encadrer des ateliers d’écriture avec des jeunes élèves acteurs au TnBA (Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine) par exemple.

A.C. Est-ce que dans ce cas vous pratiquez avec les élèves des expériences ou des concepts propres à la Coopérative ?

E.P. Non, pas forcément, les ateliers étaient plutôt autour de l’écriture en général, pas forcément en lien avec la Coopérative. Mais je pense aussi que c’est par le biais de la Coopérative qu’on est arrivés dans ces endroits-là, de pédagogie. Je ne sais pas dans quel sens cela a pu jouer ou pas mais nous étions des auteurs édités, et en ce sens identifiés par la profession car nos pièces voyageaient, ce qui nous a peut-être aussi permis d'avoir un certain crédit. Et puis il y a eu ce concept des Bals littéraires qu’on a créé en 2005 et qui a très vite fonctionné : actuellement il y a 30 représentations par an, qui mêlent de l’écriture, de la lecture, de la fête, de la joie… Il a catalysé beaucoup de choses, ce qui fait qu’il dégage une grande vitalité et que les structures s’en emparent facilement. Mais cela prend aussi beaucoup d’énergie et on regrette un peu de ne pas avoir pu développer davantage d’autres projets, pour que la Coopérative reste un espace d’expérimentation pour les écritures contemporaines.

Bal littéraire, mode d’emploi

  • 5 Bal littéraire programmé le 8 septembre 2019 au Théâtre du Peuple de Bussang, avec Emmanuelle Destr (...)

A.C. Et par exemple pour le dernier Bal littéraire au Théâtre du Peuple de Bussang5, comment s’est déroulé le travail préparatoire ?

E.P. On se réunit, on arrive vers midi, parfois on mange ensemble et la première chose qu’on fait c’est de choisir dix morceaux de musique sans penser à ce qu’on pourrait en faire. Nous essayons d’équilibrer les morceaux en termes de nationalités, et d’en choisir qui donnent envie de se lever de sa chaise et de danser. Ils sont souvent issus de la culture populaire. Cela prend une ou deux heures.
Puis nous commençons à réfléchir à une fable possible en dix épisodes, sur des thèmes liés à l’actualité, au lieu dans lequel on se trouve ou parfois à une lecture ou à un morceau de musique que l’un de nous a découvert. Dans le bal, chaque épisode se termine par le titre de la chanson qui va suivre. Ce concept ne vient pas de nulle part : c’est Fabrice Melquiot qui l’a amené, et il a été DJ quand il était jeune.

A.C. Donc il n’y a pas de passage à l’écriture durant cette première demi-journée ?

E.P. Non, on est vraiment dans la discussion, dans l’élaboration collective de la fable. Puis en début de soirée on distribue les épisodes (on propose souvent à la personne qui n’a jamais fait de bal de choisir les épisodes qu'elle souhaite écrire), puis on prend du temps pour nous en deuxième partie de soirée. On commence à écrire le lendemain matin à 9h. On se distribue un épisode chacun parmi les cinq premiers épisodes et un parmi les cinq derniers, pour pouvoir commencer le matin à confronter nos écrits et faire une première lecture de nos textes en fin de matinée, puis penser les épisodes de l’après-midi dans la continuité de ceux du matin. En fin d’après-midi, on se lit le deuxième épisode qu’on a écrit, puis on fait des modifications, des corrections, et la mise en page pour l’impression. L’idée c’est aussi, dans chaque épisode, de distribuer la parole de chacun de manière équilibrée. Parfois on a le temps de relire l’ensemble, parfois non, puis le bal commence.
À Bussang c’est Magali Mougel, qui connaît bien la région, qui a amené la référence au grand hamster d’Alsace et au GCO (Grand Contournement Ouest). Puis est arrivée l’idée du braquage du casino – dont les protagonistes trouvaient refuge dans la communauté qui militait contre l’autoroute et pour la préservation du grand hamster.
Le bal est éphémère. Il n’est pas enregistré et on n’en garde pas toujours trace, même si certains gardent parfois le texte dans leur disque dur. C’est une écriture pour le jour même, pour cet évènement-là, qui n’a pas vocation à exister ailleurs.

Archivage et publication

A.C. Cela rejoint la question de l’archivage de ces écritures collectives, qui sont rarement publiées.

E.P. Je pense que Fabrice (Melquiot) garde quelques textes mais on ne cherche pas à les archiver, ce n’est pas le projet.

A.C. Est-ce qu’il y a déjà eu des projets pensés pour une publication à plusieurs mains ?

E.P. Il y a eu Docteur Caminski dont je parlais tout à l’heure, Le Jeu d'histoires libres, tous les deux publiés chez L'Arche. Je crois que c’est tout. Je ne connais pas beaucoup de cas similaires : la figure de l’auteur est souvent une personne pour les éditeurs. L’écriture collective n’est pas forcément reconnue par l’institution. Je suis un peu le travail du collectif Traverses : leur projet, Pavillon noir, est très intéressant mais je ne suis pas sûr que ce soit une œuvre éditée.

A.C. En effet, c’est ce qu’ils nous ont dit lors de la table-ronde : la publication n’est pas un enjeu prioritaire de leur travail. Et cela rejoint d’ailleurs des questions dramaturgiques : dans le collectif Traverses par exemple il y a un show-runner qui prend la direction de la dramaturgie de certains fragments du texte. Est-ce que cela vous arrive aussi de fonctionner ainsi ?

E.P. Non, jamais personne n’a pris cette position-là. On peut la prendre à certains moments, mais c’est tout. Mais il y a toujours un échange.

Du collectif à l’individu

A.C. Quels sont les échos de la Coopérative sur votre écriture, au niveau individuel ? En quoi ce travail d’écriture collective peut-il nourrir vos projets individuels ?

E.P. Avec la Coopérative on est souvent dans l’urgence, on n’a pas le temps de réfléchir, donc on se lance et on y va. Tout cela m’a apporté du relâchement et de la liberté dans le rapport à l’écriture. C’est très dynamique aussi parce qu’on est au contact du travail des autres, l’énergie circule, on peut s’entraîner les uns et des autres. Cela peut aussi nous ouvrir à des champs auxquels on n’aurait pas pensé ou dans lesquels on se limiterait et où quelqu’un d’autre va nous amener.

A.C. Est-ce que cela amène des thématiques ou des formes ?

E.P. Je dirais plutôt des formes : on a parfois envie d’éprouver des tentatives formelles issues des autres, qui donnent ensuite naissance à quelque chose de singulier. C’est quelque chose de très dynamique qui crée des objets. Et ce n’est pas rien de faire partie d’un groupe, de ne pas être isolé quand on est un peu plus en creux dans le travail ou dans la reconnaissance du travail. On a pu se redonner de l’énergie dans des moments de déception.
Il y a aussi une identification par les éditeurs de la Coopérative d’écriture, ce qui a pu nous permettre parfois d’être plus facilement édités. Je pense que le monde de l’écriture a été attentif au collectif, cela a fait vivre un peu plus les livres – d’ailleurs les livres nous accompagnent dans les manifestations, ils sont mis en vente. Il y a donc un véritable aller-retour.

Dynamiques dramaturgiques

A.C. Nous avons déjà traversé en partie les enjeux politiques dans les questions précédentes. A quel endroit ces questions politiques se sont-elles situées dans la réflexion ?

E.P. Il y avait une volonté de questionner nos modes de vie et un modèle économique, mais dans les faits on n’a pas échangé tant que ça directement sur ces questions. Cela reste une réflexion pour chacun, mais à un niveau très individuel plutôt qu’à l’échelle du collectif.

  • 6 Guest Bertrand, « L’énonciation qui vient. L’essayisme révolutionnaire du Comité invisible », in Go (...)

A.C. L’écriture collective peut aussi recouvrir des démarches comme celle du Comité invisible, qui s’affirme comme une figure d’auteur collectif à part entière, cherchant à « poser le problème d’un nous commun6 ». Même s’il ne s’agit pas de théâtre dans ce cas précis, est-ce un type de figure auctoriale dans lequel vous pourriez vous reconnaître ?

E.P. À la Chartreuse, dans les années 1980, Michel Azama, Eugène Durif, Roland Fichet, Didier-Georges Gabily, Philippe Minyana, Jean-Marie Piemme et Noëlle Renaude ont créé une revue, les Cahiers de Prospero, mais aussi tout un rapport fraternel de camaraderie autour de l’écriture. Mais au niveau de la Coopérative, certains auteurs sont réticents à entrer dans une telle démarche : il ne s’agit pas de chercher à créer une figure collective portée par une même ambition littéraire ou politique, mais plutôt un travail d’urgence, très immédiat, performatif.
Dans notre cas il n’y a pas la volonté de créer une figure d’auteur collectif mais plutôt de faire vivre les objets de chacun individuellement, pour amener une dynamique de création dans l’espace de chaque auteur et dans l’écriture théâtrale en tant que telle : pour que les metteurs en scène aient envie de monter des auteurs contemporains, que les éditeurs aient envie de les publier, que les théâtres aient envie de programmer des pièces d'aujourd'hui. Il y a toujours un peu dans nos pratiques cette nécessité d’affirmation de soi parce qu’on est en concurrence avec des œuvres du répertoire, des œuvres historiques… Il faut aussi travailler à exister à l’intérieur de tout cela, et la Coopérative peut amener cet éclairage. Par exemple, après une expérience d’écriture, un metteur en scène est venu me passer commande d’un texte. La Coopérative peut amener ces dynamiques et créer des envies, des curiosités chez des metteurs en scène, des directeurs de théâtre ou des éditeurs.

A.C. Le Bal littéraire semble être un moteur pour cela.

E.P. Oui, c’est vrai que dans l’imaginaire de certaines personnes l’écriture contemporaine peut faire peur et le Bal littéraire est une manière de lui donner une accessibilité – ce qui n’empêche pas l’ambition. C’était ça l’enjeu aussi : ne pas avoir une écriture contemporaine univoque mais montrer qu’il y a une multiplicité de thèmes, de formes. La Coopérative a vraiment cette valeur, d’autant plus que maintenant elle invite des auteurs qui n’étaient pas forcément à l’initiative des débuts du collectif : on a fait des bals à l’étranger, avec des auteurs de différents pays, des traducteurs. Cela remet aussi en question le rapport à l’économie d’ailleurs, car on voit qu’on ne vit et qu’on ne travaille pas de la même façon à Madrid, à Paris ou à Rome.

A.C. Quels sont les projets à venir de la Coopérative ?

E.P. Peut-être que des choses se préparent et que je ne suis pas au courant, puisque chacun est à l’initiative de projets différents. Il y a toujours des Bals littéraires. Je ne sais pas si Fabrice Melquiot et Emmanuelle Destremau vont reconduire les Fenêtres ouvertes.
Peut-être aussi qu’il y aura une restructuration plus resserrée à l’avenir, car parmi les treize membres fondateurs certains sont plus ou moins actifs. Mais pour le moment, comme on n’a plus de noyau, tout repose sur des individualités. Il est donc difficile de citer des projets à venir : il y aurait plutôt un esprit de la Coopérative, que des individus essayent de faire perdurer.

Haut de page

Notes

1 La Coopérative d’écriture, « Manifeste », in Astier Aude, Cot Guillaume, Coulon Aurélie, Diaz Sylvain (dir.), « Un moi pluriel » – Écritures théâtrales du collectif, Agôn [En ligne], HS 3 | 2022, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/agon/9425.

2 Ibid.

3 Fabrice Melquiot et Pauline Sales, Docteur Camiski ou l’esprit du sexe, Paris, L’Arche, 2015.

4 Livre-jeu conçu et réalisé par Fabrice Melquiot, Isabelle Turlan (enseignante) et Jeanne Roualet (graphiste). Fabrice Melquiot, Isabelle Turlan et Jeanne Roualet, Le Jeu d’histoires libres, Paris, L’Arche, 2018.

5 Bal littéraire programmé le 8 septembre 2019 au Théâtre du Peuple de Bussang, avec Emmanuelle Destremau, Sylvain Levey, Magali Mougel, Eddy Pallaro et Alice Zeniter. https://www.theatredupeuple.com/bal-litteraire_1 (consulté le 11/04/22).

6 Guest Bertrand, « L’énonciation qui vient. L’essayisme révolutionnaire du Comité invisible », in Goin Emilie, Jeusette Julien (dir.), Écrire la Révolution, de Jack London au Comité invisible, Rennes, PUR, 2018, p. 121-136, p. 127.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Eddy Pallaro et Aurélie Coulon, « La Coopérative d’écriture : un laboratoire des formes »Agôn [En ligne], HS 3 | 2022, mis en ligne le 27 mai 2022, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/agon/9353 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/agon.9353

Haut de page

Auteurs

Eddy Pallaro

Aurélie Coulon

Aurélie Coulon est Maîtresse de Conférences en Études théâtrales à l’Université de Strasbourg (ACCRA – EA3402). Ses recherches actuelles explorent la question de l’espace (dramatique/scénique) dans les arts de la scène au XXe siècle et au XXIe siècle, les hybridations des arts (théâtre-cinéma), ainsi que les formes et fonctions du hors-scène dans le théâtre contemporain.

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search