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Notes de la rédaction

« Écrire Petrol » est une première fois paru sous la forme d’une « tribune libre » dans la revue La Récolte (n° 1, 2019, p. 4-7). Nous remercions son auteur, Petrol, et les rédacteur·trice·s en chef de la revue La Récolte, Élise Blaché et Simon Grangeat, d’en avoir autorisé la nouvelle publication dans les pages de la revue Agôn.

Texte intégral

1Je suis un·e auteur·trice. Je n'existe pas. Des écrits pour/par le théâtre. Des écrits écrits pour être dits / donnés à jouer.
Je suis une matière qui appartient au monde et qui le constitue, qui fournit une énergie à l’industrie humaine. Cette chose est faite de fossiles. Elle est faite du temps. Elle est sédiment du vivant.

2Je suis un·e auteur·trice. Je n'existe pas. Je produis des textes destinés à être le carburant du théâtre de notre époque.
Je porte le nom d'une substance qui brûle
Petrol.

3Quatre voix qui en produisent une cinquième, inédite.
Petrol produit une langue qui n’est ni l’addition, ni la combinaison d’écritures singulières, elle est langue autre.
Petrol ne fait pas partie de ceux qui jouent avec l'idée de la mort de l'auteur·trice.

4C’est l’écriture qui est au fondement de l’existence de Petrol.
L'écriture en vue du théâtre, mais avant tout l'écriture, selon la conviction que le monde est écriture ou n'est pas.

5Petrol parle de texte dans le sens de l'écriture, et nous admettons qu'il puisse exister des textes non écrits, que la mise en scène soit texte. Néanmoins, dans le cas précis de Petrol, nous parlons de cette écriture qui a à voir avec le verbe, qui est langage, travail de la langue. Car ces deux mots de texte et écriture ne sont pas toujours équivalents, et nous souhaitons préciser dans quelle mesure, à nos yeux, ils ne recouvrent pas la même chose.
Petrol s'inscrit au cœur des débats actuels autour de la nécessité, pour le théâtre, de la pré-existence d’un texte.
Le théâtre peut disparaître, Petrol s’en contrefiche à condition que les écrits contaminent d’autres espaces et inventent de nouveaux lieux.
Un (faux) débat a lieu, principalement, à partir de ce que l’on nomme l’écriture de plateau, c’est-à-dire d’un texte élaboré à partir de propositions d’acteur·trices lors d’un travail sur scène, et non pas à partir de l’écriture préalable d’un texte par un·e d’auteur·trice. Nous pensons que cette opposition – texte préalable/écriture de plateau – empêche de poser la question de ce qu’est un texte destiné à la scène.

6Quelle que soit sa genèse, sa modalité de production, nous affirmons qu’un texte doit être apprécié en tant que texte, dans son écriture. Il revient à l’auteur·trice, donc, à chaque fois d’inventer une forme qui soit le fond.
Parler d’écriture à propos d’un texte ou à propos du plateau ne renvoie pas aux mêmes processus, aux mêmes réalités, aux mêmes enjeux, à la même question qui fonde la question humaine, et qui est de savoir ce qu'on fait de la langue.

7Ce que fait de nous la langue.
Dans quelle mesure la langue nous inscrit dans le monde.
Il ne s’agit pas de dire, ici, que la langue et son écriture sont supérieures à la scène et à son écriture. Il s’agit d’éviter des assimilations, et, donc de permettre de comprendre des spécificités.

8La particularité, au théâtre, peut venir du fait que le texte a comme destination la scène. On imagine souvent, alors, que le texte de théâtre a pour spécificité d’avoir comme vecteur final la voix de l’acteur·trice. Le texte serait, ainsi, considéré comme un simple instrument pour le jeu. Cette première réduction en entraîne une seconde : le texte de théâtre ne serait qu’un support pour la parole. Cette sorte d’équivalence : texte=parole caractérise souvent la valorisation de l’écriture de plateau puisque c’est précisément la parole des acteur·trices qui, retranscrite, devient à son tour texte.
Ce dernier devient parfois un aide-mémoire de verbalisations qui ont préalablement fait leurs preuves sur un plateau. On entend dire parfois que, provenant de la parole de plateau, l’écriture de plateau serait davantage authentique, voire moins élitiste. Certains peuvent dire que l’écriture de plateau serait, donc, plus démocratique. L’histoire du théâtre, comme son actualité, montre que cela n’est fondé sur aucune réalité.
Ici nous considérons comme irrecevable l’idée reçue selon laquelle le plateau valide le texte (pas plus du reste que l’écriture ne viendrait valider le plateau). La proposition de langue, de formes, excède depuis quelques années en France la possibilité des plateaux à toutes les absorber, pour a minima en rendre compte, a maxima en accepter l’étrangeté nécessaire à l’invention scénique.
Nous sommes, ici, à l’inverse de la production préalable d’un texte par un·e auteur·trice. Nous savons, bien entendu, que cette opposition est schématique, mais elle a le mérite de clarifier ce qui est en question : par exemple celle de l’autonomie du texte de théâtre.

9Nous parlons de cette autonomie pour dire qu’il y a une exigence d’écriture dans toute élaboration d’un texte, quelle qu’en soit sa destination éventuelle. La question qui est en jeu, c'est : quelle langue voulons-nous pour la démocratie ?
Dès qu’il y a texte il y a un enjeu littéraire, y compris dans un texte de théâtre.

10Car le texte littéraire n'a rien à voir avec le texte du scénario, dont Pasolini encore remarquait la nature spécifique, ne pouvant jamais accéder au statut de texte littéraire, car un scénario qui n'a pas abouti à un film demeure le scénario d'un film non tourné. Et un scénario qui aurait été écrit non pour être réalisé en film mais pour être un texte littéraire, ne serait pas un scénario, mais un texte littéraire empruntant dans son style aux codes et aux modes d'écriture du scénario. Cette quadrature fascinante n'a rien à voir avec le texte de théâtre, qui peut ne jamais avoir été ni être monté sans pour autant ne pas être un texte de théâtre, c'est-à-dire relevant d'un genre littéraire aboutissant ou non sur la scène.
Sa destination n’amenuise pas, mais, au contraire, accroît son exigence littéraire, ainsi que le raconte Boulgakov dans son Roman théâtral. Il y décrit le texte de théâtre comme le type de texte le plus difficile à écrire, tant il demande de précision et d'élision dans tout ce qui fait d'habitude la littérature.
Un·e écrivain·e pour la scène ne peut oublier que l’écriture est un travail non pas simplement complexe, mais un travail sur la complexité elle-même : il·elle doit articuler, d’une part, les finalités du vecteur voix/corps (la rythmique par exemple), d’autre part, l’exigence d’écriture (la langue) et un troisième : la représentation (la dramaturgie). Ce mot, représentation, doit être pris, ici, non pas dans le sens du temps du spectacle, mais dans celui des significations, des interprétations qu’il ouvre, rend possibles par les mises en scène.
En raison de cette complexité, le piège tendu à tout écrivain pour la scène est bien connu : un texte de théâtre édité est le plus souvent lu à partir de la scène, c’est-à-dire à partir de l’imagination que le lecteur a de la scène, et non pas pour lui-même, en tant que texte. Ceci peut sembler normal, dès lors qu’est accolé à un titre de livre la destination théâtre.
Pourtant, rien n’est ni normal ni évident. En effet, combien de romans, de lettres, de textes politiques, etc., sont aujourd’hui mis en scène, programmés et objets de succès publics et médiatiques ? Cela démontre que la destination scénique d’un texte, si elle n’est pas indifférente, n’y réduit aucunement les critères de jugement. Pour cette raison, nous affirmons qu’un texte de théâtre appartient au champ littéraire, dès lors qu’une exigence d’écriture le caractérise.
Par exigence d’écriture, nous entendons un travail de et sur la langue, comme c’est le cas dans la littérature et la poésie.
On l’aura compris, il ne s’agit pas d’exclure une spécificité de tout texte destiné à la scène, mais de la replacer dans les champs auxquels, dans certaines conditions, il appartient.
On peut terminer par ce questionnement. Pour revenir sur la distinction courante entre texte de théâtre et écriture de plateau, on peut la rendre productive, concernant l’exigence d’écriture, en formulant ces deux questions :

  • que fait l’écriture et l’exigence littéraire au plateau ?

  • que fait l’écriture de plateau à l’écriture et à l’exigence littéraire ?

11C’est dans l’exploration de ce double mouvement, et non pas dans un seul, que l’on peut examiner réellement les rapports d’une écriture préexistante et d’une écriture résultante du travail au plateau.

12C’est ainsi qu’un cas devrait être étudié : celui où les paroles produites sur le plateau (et non pas l’écriture) sont travaillées, ensuite, comme des matériaux, par un·e écrivain·e pour devenir écriture, puis texte.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Petrol, « Écrire Petrol »Agôn [En ligne], HS 3 | 2022, mis en ligne le 12 mai 2022, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/agon/8134 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/agon.8134

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Auteur

Petrol

Le groupe Petrol (Lancelot Hamelin, Sylvain Levey, Philippe Malone et Michel Simonot) est né en 2005 lors d’une résidence au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis.Après sa première pièce, qui traitait des émeutes – L’Extraordinaire Tranquillité des choses, publiée aux éditions Espaces 34 et mise en scène par Michel Simonot –, Petrol a continué à travailler autour de préoccupations politiques contemporaines dans un esprit collectif fort.Les principes fondateurs du groupe Petrol sont en effet la recherche et l’expérimentation littéraires collectives. Il n’oppose pas l’individuel au collectif, mais postule dans une position politique affirmée la confiance et l’émancipation possible à travers les forces vives de tous : chaque texte – quelles que soient sa présentation ou sa forme – est le résultat d’un travail collectif dont l’auteur unique est Petrol. Les singularités de chacun sont ainsi appelées à s’épanouir dans le groupe.En dix ans, au fil de rencontres, échanges et résidences, Petrol a produit une dizaine de textes, dont KTM, Roms & Juliette (Éditions Théâtrales), Un Koltès ou Merry go round. Tous ont fait l’objet de lectures, de mises en scène ou de mises en ondes, certains sont édités ou traduits.

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Droits d’auteur

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