Habiter les ruines – Ordalie de Chrystèle Khodr
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- 1 Je remercie Chrystèle Khodr de m’avoir communiqué le texte du spectacle en version française, que j (...)
1Quatre acteurs, joués par Roy Dib, Élie Njeim, Rodrigue Sleiman et Tarek Yaacoub, se retrouvent devant des ruines qui pourraient être celles du port de Beyrouth, la nuit du 1er septembre 2020, date du centenaire de la fondation du Grand Liban – à peine un an après le soulèvement de 2019, et un mois après les explosions meurtrières du 4 août. Ces ruines sont figurées sur scène par un simple agencement de planches et de plans inclinés de couleur sombre, qui se détachent progressivement de la pénombre à mesure que la lumière s’intensifie sur le plateau, formant un ensemble instable exigeant d’être parcouru avec précaution. Le temps d’un court prologue, les acteurs évoquent les célébrations officielles de la journée, face au public, à la manière d’un chœur tragique, avant de s’installer dans les décombres pour y passer la nuit. Ils ne quittent plus ces ruines jusqu’à la fin du spectacle, comme pour les faire durer par cette occupation même, alors qu’elles seront peut-être détruites dès le lendemain : « Demain, plus rien de ceci n’existera », dit l’acteur joué par Élie Njeim1. Leurs discussions les conduisent à se remémorer leur jeunesse dans le Liban des années 1980 et 1990, pendant et après la guerre civile ; ils se demandent d’où vient « toute cette mort », ce dont leur vie a été faite, ce que c’est qu’être heureux. À plusieurs reprises, ils rejouent entre eux des passages des Prétendants à la couronne d’Ibsen, inscrits dans leur mémoire de comédiens, qui se mêlent à leurs dialogues.
- 2 Louis Althusser, « Le “Piccolo”, Bertolazzi et Brecht (Notes sur un théâtre matérialiste) » [1962], (...)
2Dès les premiers mots, le récit des célébrations prête à rire, mais d’une drôlerie désespérée : ressaisis dans un paysage désert de ruines le temps d’une veille nocturne, par des acteurs aux vies marquées par la répétition des guerres, des catastrophes, des crimes impunis et des amnisties, les discours et les stratégies des pouvoirs en place se trouvent comme vidés de leur substance. Ordalie ne produit nulle déconstruction savante des rouages du pouvoir, ne met pas en branle de nouvelles logiques qui leur feraient concurrence, ne présente pas au public la critique en acte d’une conscience par une existence2, mais déploie sur scène la singularité d’un espace-temps d’arrêt, désarmant par son décalage même, soustrait au rythme des catastrophes et des promesses inconséquentes de renouveau de la classe politique. Lorsque les ruines s’animent enfin, vers la fin du spectacle, comme sous l’effet de la voix enregistrée du général Gouraud proclamant le Grand Liban le 1er septembre 1920, c’est un portail monumental bardé de paillettes scintillantes qui s’érige lentement au-dessus de la scène, chassant la poussière qui le recouvre et annonçant l’avenir radieux d’un Liban uni ; mais ce mécanisme à grosses ficelles tourne à vide, et n’expose au public que la triste évidence de son kitsch. « “Lebanon : Moving you forward since 1920” ». Le slogan s’effrite dans ce décor de ruines, « des ruines qui ont un mois, des ruines qui ont 40 ans, des ruines qui ont 100 ans ». L’espace-temps travaillé par Ordalie, lourd de la succession des défaites et des espoirs déçus, paraît rendre par avance inopérante toute tentative d’annexion productive, et exige que l’on s’arrête sur sa négativité : celle d’un temps d’après les catastrophes, mais portant encore la marque des crimes commis, avant que ces traces elles-mêmes ne soient effacées. Trois phrases, prononcées par Élie Njeim au début du spectacle, disent l’importance de ce moment d’improductivité : « Je ne vais nulle part, je vais empêcher toute destruction, je vais empêcher toute construction par-dessus une destruction. Je ne veux plus voir de choses qui montent. Je veux qu’une partie de ma vie reste à terre. »
Une « autre nuit »
- 3 Chrystèle Khodr, « Le pire ? », Regards, la revue des arts du spectacle, n° 29, 2023, p. 175.
- 4 « Quand tout est rationné, essence, médicament, électricité…, on peut avoir honte de prendre un tem (...)
- 5 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier [1981], Paris, Fayard, coll. « (...)
- 6 Bernard Aspe, Les Fibres du temps, Caen, Éditions Nous, coll. « Antiphilosophique », 2018, p. 284.
3Ainsi, la scène d’Ordalie semble moins être le lieu de la mise au jour de contradictions que de la réappropriation d’un espace séparé du monde, hermétique aux impératifs extérieurs. Dans un texte récent, Chrystèle Khodr décrit le théâtre comme une boîte noire « jamais pénétrée par les rayons de soleil du mois d’août, par le bruit du monde3 ». Il semble parfois difficile de tenir à cette position décalée au milieu des urgences et des crises4. Jacques Rancière, dans La Nuit des prolétaires, attachait toutefois une importance singulière, au sein des processus de transformation du monde, à la conquête par un collectif d’un autre temps inassimilable au temps dominant, à leurs « nuits d’étude, nuits d’ivresse5 » qui déjouent l’alternance normale du travail et du repos. À sa suite, Bernard Aspe soutient qu’aujourd’hui « la mise en synchronie n’est pas qu’un monopole formel : elle est désormais le contenu central des injonctions sociales6 », l’hégémonie d’un « temps-mesure » qui subsume la multiplicité des temps sous la dictée de ses horloges. Suivant Aspe, il ne s’agirait alors pas tant de répondre à cet écrasement des temporalités par une affirmation de l’indépendance du « temps propre » à chacun·e, que de fabriquer les formes d’un temps commun :
- 7 Ibid., p. 285.
Le temps extérieur s’impose aux temps multiples tout en s’alimentant de leur prolifération, et de l’attachement de chacun au supposé « propre » de son temps singulier. […] Et pour cela, il s’agit bien, et c’est seulement une condition, de restaurer les formes du temps commun, ou d’en inventer de nouvelles. Mais cela même ne suffit pas : il faut encore que cette restauration et cette invention puissent être à hauteur de la réponse qu’appelle le monde un qui s’impose à tous les mondes7.
- 8 Blanchot désigne, à des fins très différentes, un espace-temps séparé, lucide, radicalement extérie (...)
4Dans la pénombre d’Ordalie dessinée par les lumières de Nadim Deaibes, les quatre acteurs en scène évoquent les premières élections parlementaires après la guerre civile, la mort du pilote Ayrton Senna, ou encore la visite du pape Jean-Paul II à Beyrouth en 1997. Dégagés d’une temporalité quotidienne saturée, ils interrogent certains de leurs désirs et de leurs rêves. Mais ces souvenirs ne semblent pas leur permettre de renouer avec un passé écrasé par la marche de la « grande histoire ». Par un jeu comique et grandiose, l’acteur joué par Élie Njeim entreprend ainsi, vers la fin du spectacle, de « rapetisser » l’acteur joué par Rodrigue Sleiman, utilisant le décor comme une caisse de résonance pour produire les « bruits de l’enfance », les « bruits de l’école » puis le « bruit de l’histoire », jusqu’à un vacarme assourdissant ; cette gymnastique mémorielle ne fait pourtant que l’assigner à l’enchaînement confus et abrutissant des malheurs : « Musique ! Arrêt de la musique ! Acteurs ! Mémoire ! Enfance ! Abandon ! Traumatisme ! Tristesse ! Larmes ! Souffrance ! Moyen-Orient ! Misère ! Guerre ! » Il puise alors dans une longue tradition théâtrale faisant de la remémoration un appui pour le jeu, de Stanislavski à Grotowski, tous deux cités au moment des « bruits de l’école » ; mais aucune mémoire collective ne se trouve contenue et prête à la réactivation dans ce décor, comme si « l’autre nuit » qui s’y déploie – selon l’expression de Maurice Blanchot8 – s’attachait à suspendre toute logique productive susceptible de transformer l’espace scénique en belle machine dramatique. Les dialogues d’Ordalie ne s’engagent dans aucune progression linéaire, et semblent plutôt reposer sur un jeu de rebonds, d’allusions et d’incidences, sans autre finalité que leur entrelacement.
- 9 Bernard Aspe, Les Fibres du temps, op. cit., p. 109-110.
5Comment habiter les ruines, pour une génération spoliée de son passé par les guerres et l’organisation de l’oubli ? Si la texture des vies passées nous est inaccessible, enfouies dans un « immémorial » qui se dérobe au souvenir (pour reprendre le vocabulaire de Bernard Aspe9), Ordalie semble faire de cette perte même l’objet d’un partage, construisant un « temps commun » par la mise en discussion des évènements traversés par une génération – qu’il s’agisse de bombardements, du décès d’une célébrité ou du contenu d’une série télévisée. Les souvenirs sont incertains, ils divergent, se contredisent, se complètent parfois ; ils dénotent des différences géographiques ou communautaires, ne se laissent pas fondre dans un récit univoque.
- 10 Houssam Mouhed, « Kristel Khûdr, Al-masraḥ ‘A’ila da’ima… bil-’ijâbat », Majallat-al-Masraḥ, n° 41, (...)
- 11 Dans les dispositifs idéologiques, « toutes les questions sont ainsi réglées d’avance, par essence (...)
6Ordalie ne donne pas de réponse à la question « D’où nous vient toute cette mort ? ». Le théâtre ne semble pas se concevoir ici comme le lieu d’une résolution, mais comme un espace propre à la formulation de questions auxquelles il est précisément « impossible de répondre » sur scène, selon les mots de Chrystèle Khodr10 ; des « prémisses sans conclusion » – pour retourner l’expression spinoziste – à l’écart des engrenages idéologiques pour lesquels il n’existe que des questions dont les réponses sont prêtes d’avance11. La force d’Ordalie n’est alors peut-être pas de trancher pour reconstituer un passé authentique à partir de quatre mémoires singulières, mais de construire en acte, par des débats et des disputes, de nouveaux rapports collectifs à ces histoires individuelles dans le Liban des années 1980 et 1990, épuisant les appareils idéologiques qui ordonnent le présent et le déroulement du temps.
Le temps long du théâtre
7Ce « temps commun » élaboré par le spectacle est nourri du long compagnonnage artistique qui lie Chrystèle Khodr et les quatre interprètes d’Ordalie, depuis l’Institut des Beaux-Arts de Beyrouth. Après Augures (présenté en 2021 au festival Sens Interdits), où Chrystèle Khodr évoquait la guerre civile à travers la vie de deux grandes actrices (Hanane Hajj Ali et Randa Asmar), Ordalie est de nouveau un spectacle qui parle de théâtre. Le recours au « théâtre dans le théâtre » permet ici d’envisager la pratique artistique de ces quatre acteurs dans leur longue durée, par le biais d’une fiction qui met en scène un épisode passé de leur « vie dans l’art » : ils auraient joué ensemble Les Prétendants à la couronne, sur le lieu même où ils se retrouvent ce 1er septembre 2020. De ce travail passé, il ne leur reste que la mémoire incertaine de certains morceaux du texte d’Ibsen.
- 12 Bernard Dort, « Du passé dans le présent (ou le diamant et le jade) » [1989], dans Le Spectateur en (...)
- 13 Georges Banu, Mémoires du théâtre [1987], Arles, Actes Sud-Papiers, coll. « Le temps du théâtre », (...)
- 14 Voir Diane Scott, Ruine. Invention d’un objet critique, Paris, Éditions Amsterdam, coll. « Les prai (...)
8La pratique théâtrale, notait Bernard Dort, se consomme toute entière dans le présent de la représentation, laissant le plateau « vide, béant, comme si rien ne s’y était passé12 ». En faisant resurgir de ce rien les rôles que ces acteurs auraient joué dans Les Prétendants à la couronne, sur leur lieu de création devenu un paysage en ruine, Ordalie ne les nimbe pas d’une « aura13 » mythifiée, tout comme la sobriété du décor ne cède rien à la fascination pour l’image hypnotisante d’une ruine-Sphinx dont il faudrait percer le mutisme14. Le spectacle de Chrystèle Khodr semble plutôt faire jouer la densité temporelle sédimentée dans la pratique du théâtre, d’ordinaire invisible, comme un outil pour construire d’autres modes de relation au passé et échapper à l’asphyxie du présent. « Il faudrait s’en souvenir », dit l’acteur joué par Tarek Yaacoub à propos des Prétendants à la couronne, faisant naître une discussion sur le métier d’acteur dans le Liban des années 1990, puis sur la peur de l’abandon, puis sur le sentiment d’avoir été « oublié » par la mort que développe la génération née dans les années 1980… La pratique théâtrale, en donnant à voir qu’elle repose sur le travail de vies qui lui sont dédiées (et dont le témoignage vaut d’ailleurs en soi, en particulier lorsque ses conditions sont aussi difficiles qu’au Liban aujourd’hui), peut alors se faire elle-même un moyen de penser et de travailler collectivement les liens entre le passé et le présent.
- 15 Voir Henrik Ibsen, Les Prétendants à la couronne, dans Théâtre, traduction par Régis Boyer, Paris, (...)
9En cela, le choix des Prétendants à la couronne importe : la pièce de jeunesse d’Ibsen crée en 1863, dernier de ses « drame historique », raconte avec une grande érudition les luttes de pouvoir à la fin de la guerre civile déchirant la Norvège au XIIIe siècle. S’opposent le « jarl » (chef) Skule (joué par Rodrigue Sleiman), dévoré par le doute, et le roi Håkon (Élie Njeim), sûr de sa légitimité et porteur de « l’idée royale » : « La Norvège est un royaume, elle va devenir un peuple15 ». La victoire de Håkon met fin à la guerre civile et instaure une longue période de paix dans le pays. En plaçant les mots d’Ibsen dans les ruines du Liban de 2020, la progression de la pièce se trouve comme court-circuitée : alors que tout chez Ibsen conduit à la victoire finale de Håkon, à la mort de Skule et à la paix, Ordalie place ces personnages dans un contexte où une telle paix n’a effacé ni les crimes ni l’enchaînement des catastrophes. Une fois encore, le spectacle s’attache à faire dysfonctionner les engrenages dramatiques accolant questions et réponses, sans pour autant ériger de logique concurrente. Les doutes de Skule, arrachés au mouvement des Prétendants à la couronne, retrouvent alors leur force de questionnement, huit siècles après la guerre scandinave et deux siècles après la pièce d’Ibsen : comment envisager le devenir d’une paix sans justice ? Quel futur pour une nation divisée en clans ?
- 16 Hubert Damisch, Théorie du nuage. Pour une histoire de la peinture, Paris, Le Seuil, 1972, p. 310.
10Le mot « ordalie », au cœur des Prétendants à la couronne, désigne une forme de procès pratiquée au Moyen-Âge consistant à soumettre un individu (le plus souvent une femme) à une épreuve physique dont l’issue serait déterminée par la volonté de Dieu. Dans la pièce d’Ibsen, c’est par un tel jugement divin, enduré par la mère de Håkon, que procède la légitimité de ce dernier au trône de Norvège. Par un effet de montage, les quatre vies que retrace le spectacle de Chrystèle Khodr semblent à leur tour soumises au prisme de l’ordalie, susceptible de faire de la succession des catastrophes autant d’épreuves désignant un chemin à prendre pour que la justice soit enfin rendue ; mais les acteurs doutent de ce qu’ils entendent, ont « peur […] de l’espoir », et le spectacle s’interrompt finalement au milieu d’une énumération de souvenirs : l’ordalie reste introuvable. Cette nuit de théâtre demeure un espace-temps séparé et suspendu, refusant d’aboutir, qui n’aura peut-être conduit qu’à envisager différemment les rapports entre les ruines présentes et les échecs passés. Ordalie ne semble pas tenter de substituer une solution de théâtre à l’action politique, mais, œuvrant à l’épuisement – momentané – de régimes temporels mortifères, revendique son caractère de « pratique signifiante spécifique » analogue à celle que Hubert Damisch attribuait à la peinture, et par laquelle la représentation théâtrale peut se penser par le rapport « d’analogie et non de redoublement, de travail et non de substitution – qu’elle entretient avec le réel16 ».
Ordalie à Lyon
- 17 Chrystèle Khodr l’évoque dans « Le pire ? », art. cit., p. 174.
11Ce spectacle, qui parle du Liban et de vies d’acteurs libanais, est aussi le premier spectacle de Chrystèle Khodr créé en France avant d’être présenté au Liban – en l’occurrence, au festival Sens Interdits, qui programme régulièrement ses spectacles depuis Beirut Sépia en 2013. Passer par des circuits de diffusion internationaux – une nécessité pour Khodr afin de maintenir son activité artistique sans concessions professionnelles17 – implique de parvenir à déjouer les attentes souvent contradictoires des programmations françaises, et naviguer entre l’accusation d’une esthétique trop « libanaise » et l’assignation à un devoir de témoignage. Dans Ordalie, les surtitres traduisent les répliques en arabe libanais, mais aussi les répliques en français : la langue arabe n’y est pas écrasée. Le spectacle ne s’adresse pas à un public nécessairement francophone ; présenté à Lyon, il ne cherche pas à se conformer à ce que pourrait attendre un public lyonnais. À ce titre, il n’est pas anodin que les références à l’histoire du Liban n’y soient pas explicitées davantage que dans son précédent spectacle.
- 18 Bernard Dort, « Du passé dans le présent », op. cit., p. 232.
- 19 Voir Henrik Ibsen, Les Prétendants à la couronne, op. cit., p. 76.
12En France, les ruines d’Ordalie se trouvent déplacées dans un cadre où elles ne rappellent sans doute pas une expérience vécue par une large partie du public. Il n’y a pas ici de continuité entre le décor sur le plateau et la ville qui l’entoure, comme dans la célèbre mise en scène de Mère Courage de Brecht « montée et créée dans le Berlin de 1949, pour ainsi dire au milieu des ruines […] qui entouraient encore le Deutsches Theater et qu’il fallait franchir pour s’y rendre, dans ces débris concrets d’un empire, d’une histoire vécue18 ». En représentant des ruines de Beyrouth, le plateau de la grande salle des Célestins ne fait alors peut-être que redoubler la séparation que trace Ordalie entre le monde extérieur et l’espace-temps suspendu de la représentation, donnant une nouvelle portée à deux phrases prononcées par plaisanterie par Tarek Yaacoub et Élie Njeim : « Je suis étranger partout où je vais… Parce que je suis acteur. » On en revient à Ibsen et aux mots du « scald » (poète) Jatgeir des Prétendants à la couronne, qui semblent guider le spectacle de Chrystèle Khodr, dans sa sensibilité et son exigence : « Aucun poème ne naît à la lumière du jour. On peut le consigner sous un soleil éclatant, mais il ne se conçoit qu’aux heures calmes de la nuit19. »
Notes
1 Je remercie Chrystèle Khodr de m’avoir communiqué le texte du spectacle en version française, que je cite ici.
2 Louis Althusser, « Le “Piccolo”, Bertolazzi et Brecht (Notes sur un théâtre matérialiste) » [1962], dans Pour Marx [1965], préface d’Étienne Balibar, Paris, La Découverte, coll. « Poche”, 2005.
3 Chrystèle Khodr, « Le pire ? », Regards, la revue des arts du spectacle, n° 29, 2023, p. 175.
4 « Quand tout est rationné, essence, médicament, électricité…, on peut avoir honte de prendre un temps pour réfléchir si on a le souci de l’art, ou de se présenter comme artiste, voire même de dire haut et fort que mon métier d’artiste est mon unique moyen de résistance en attendant que “tout cela” prenne fin, d’affirmer qu’il en va de ma survie […]. » Chrystèle Khodr, « Il y a des soirs », Théâtre/Public, n° 242, janvier-mars 2022, p. 113.
5 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier [1981], Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2012, p. 8.
6 Bernard Aspe, Les Fibres du temps, Caen, Éditions Nous, coll. « Antiphilosophique », 2018, p. 284.
7 Ibid., p. 285.
8 Blanchot désigne, à des fins très différentes, un espace-temps séparé, lucide, radicalement extérieur aux temporalités propres à la succession du jour et de la nuit. « Mais quand tout a disparu dans la nuit, “tout a disparu” apparaît. C’est l’autre nuit. […] Mais l’autre nuit n’accueille pas, ne s’ouvre pas. En elle, on est toujours dehors. » (Maurice Blanchot, L’Espace littéraire [1955], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 213-214).
9 Bernard Aspe, Les Fibres du temps, op. cit., p. 109-110.
10 Houssam Mouhed, « Kristel Khûdr, Al-masraḥ ‘A’ila da’ima… bil-’ijâbat », Majallat-al-Masraḥ, n° 41, février 2023, p. 110.
11 Dans les dispositifs idéologiques, « toutes les questions sont ainsi réglées d’avance, par essence […]. Les questions y sont donc des questions feintes qui ne sont que le reflet spéculaire des réponses qui préexistent aux questions ». Louis Althusser, « Trois notes sur la théorie des discours » [1966], dans Écrits sur la psychanalyse. Freud et Lacan, édition d’Olivier Corpet et François Matheron, Paris, Le Livre de Poche, coll. « biblio essais », 1993, p. 138.
12 Bernard Dort, « Du passé dans le présent (ou le diamant et le jade) » [1989], dans Le Spectateur en dialogue, préface de Jacques Lassalle, Paris, P.O.L, 1995, p. 221.
13 Georges Banu, Mémoires du théâtre [1987], Arles, Actes Sud-Papiers, coll. « Le temps du théâtre », 2005, p. 121.
14 Voir Diane Scott, Ruine. Invention d’un objet critique, Paris, Éditions Amsterdam, coll. « Les prairies ordinaires », 2019, p. 17.
15 Voir Henrik Ibsen, Les Prétendants à la couronne, dans Théâtre, traduction par Régis Boyer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 61.
16 Hubert Damisch, Théorie du nuage. Pour une histoire de la peinture, Paris, Le Seuil, 1972, p. 310.
17 Chrystèle Khodr l’évoque dans « Le pire ? », art. cit., p. 174.
18 Bernard Dort, « Du passé dans le présent », op. cit., p. 232.
19 Voir Henrik Ibsen, Les Prétendants à la couronne, op. cit., p. 76.
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Légende | Ordalie, de Chrystèle Khodr. © Marie Clausade |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Eliott Bernard de Courville, « Habiter les ruines – Ordalie de Chrystèle Khodr », Agôn [En ligne], Critiques, mis en ligne le 09 octobre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/agon/10715 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12g11
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