- 1 P. Vidal, 1969 ; A. Marliac, 1976 ; É. Zangato, 1996, p. 364-377.
- 2 A. Marliac, 1976, p. 58.
- 3 R.N. Asombang, 2004, p. 294-305.
- 4 R. Oslisly, 2007, p. 10.
- 5 J.-P. Notué, 2007-2009, p. 54.
- 6 N.S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 77-92.
1Les vestiges des civilisations mégalithiques existent un peu partout en Afrique, ce qui constitue une importante possibilité de reconstitution de l’histoire du peuplement de ce continent. Dans le nord-ouest de la République centrafricaine se trouve sans doute la tradition mégalithique la plus dense de l’Afrique centrale, connue sous l’appellation de Tazunu (« pierre debout » en langue gbaya-kara) et située entre 1000 BC et AD 501. Des travaux qui font mention d’une parenté de ces anciennes traditions de Bouar avec les productions de mégalithes du Cameroun, on peut citer ceux de Marliac2 à Djohong et à Yikpangma, d’Asombang3 sur les pierres dressées dans Bamenda, d’Oslisly4 à Ndarkwé et à Mbula, de Notué5 sur le mégalithisme des Grassfields et de N.S. Tchandeu et A. Mezop Temgoua-Noumissing6 sur le Cameroun. Ces études comblent de façon considérable les lacunes constatées au niveau des données disponibles sur certaines régions encore non ou insuffisamment explorées. Toutefois, leur démarche en ce qui concerne la reconstitution de l’histoire du peuplement pêche manifestement par une tendance à la généralisation. En effet, la description fournie n’apporte pas suffisamment d’indications claires sur les caractères des mégalithes pour d’établir des comparaisons solides entre elles à différents niveaux, spatiaux et temporels.
- 7 N. S. Tchandeu, S. Hassimi, 2021, p. 57-58.
2Dans la moyenne Cross River, au Nigéria, la récente étude de N.S. Tchandeu et S. Hassimi7 a contribué à approfondir les connaissances sur la classification des mégalithes et à montrer le fort pouvoir historique de ces objets. Pour établir la séquence chrono-culturelle des monolithes akwanshi, ces auteurs ont adopté une démarche qui intègre les aspects morpho-stylistique, iconographique et chronologique des productions akwanshi. Cette séquence comprend trois périodes : une phase pré-ikom avec des monolithes brutes, une phase des généalogies ikom marquée par des pierres en forme de phallus et une phase de monolithes au profil anthropomorphe avec des scarifications.
- 8 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
- 9 K. Nicklin, 1979.
- 10 N.S. Tchandeu, S. Hassimi, 2021, p. 57-58.
3À l’instar des monolithes de la Cross River, les spécimens de la région du Faro dans le Nord du Cameroun ont récemment été classés et comparés, par A. Mezop Temgoua-Noumissing8, selon une démarche qui s’appuie principalement sur le rapport mégalithes et objets associés. Sa typologie se compose de trois formes d’associations mégalithiques distinctes : le type 1 remarquable par un ou plusieurs monolithes combinés ou non à d’autres objets ; le type 2 identifiable par un assemblage de pierres dressées et de poteaux en bois sculptés ; et le type 3 reconnaissable par des cercles de monolithes et de meules. Le type 1 est réparti dans tout le Faro, tandis que les types 2 et 3 n’ont été respectivement identifiés qu’en pays dowayo (région de Poli) et en territoire Koma (aire des monts Alantika). Si cette étude met en lumière de nouveaux critères informatifs et fournir la première carte de distribution des traditions mégalithiques dans le Faro, ses résultats rendent compte d’une situation complexe qui demeure encore inexpliquée. Quel sens donner à la répartition du type 1 exprimant une apparente uniformité « mégalithique » de cette région ? Qu’est-ce qui explique l’existence de pierres dressées combinées aux poteaux sculptés en bois essentiellement sur la rive est (pays dowayo) ? Comment interpréter la présence de cercles de meules creuses et de monolithes associée aux poteries décorées de boutons dites rituelles uniquement sur la rive ouest (territoire koma) ? En outre, aucune étude de distribution visant une mise en relation entre les structures en pierre et les autres aspects de la vie n’a encore été proposée dans la région du Faro. On sait pourtant que les informations provenant de l’étude d’autres cultures matérielles permettent d’enrichir considérablement l’analyse archéologique et ethnographique des mégalithes. K. Nicklin9 a par exemple mis en relation l’origine et la circulation des masques en peau et celles des statues monolithiques anthropomorphes akwanshi pour suggérer que la haute Cross River serait la zone originelle d’un style dont les réseaux se seraient étendus dans la moyenne et basse Cross River. Sur ce même sujet, des parallèles ont été établis entre les scarifications et les détails décoratifs des Akwanshi afin de déterminer l’influence de la traite sur la production artistique dans la Cross River et ses périphéries (du pays yoruba à l’ouest à celui bamiléké à l’est)10.
- 11 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 275-280, 2020, p. 399-422.
- 12 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 275-280.
- 13 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
4Pour éclairer l’histoire du peuplement dans le Faro et reconstituer certains processus d’interactions sociales, nous avons aussi choisi de mettre en relation la provenance et la circulation de certaines pratiques mégalithiques dans cette partie du bassin de la Bénoué avec celles d’autres aspects de la vie, notamment la production céramique. Ce choix se justifie par le fait que l’archéologie et la tradition orale soutiennent ensemble l’idée d’un fond de peuplement ancien commun à cette partie du bassin de la Bénoué, modifié par des influences occidentales à partir du début du xixe siècle11. À ce sujet, l’archéologie indique une continuité culturelle qui s’exprime très bien à travers la séquence archéologique de la poterie de la région du Faro depuis les xie et xiiie siècles (1050-1270 cal AD)12. La tradition orale permet aussi de penser à l’existence d’un substrat ancien de populations à l’origine des dresseurs de pierres koma et dowayo. Ce fond aurait d’abord été transformé par l’installation massive des Foulbé au début du xixe siècle. C’est cet évènement qui est d’ailleurs considéré comme la cause principale de la séparation entre les populations des monts Alantika et les groupes de la région de Poli. L’époque moderne se caractérise par les mouvements de forgerons-potières castés vere dont l’histoire des migrations et des pratiques culturelles peut également offrir d’importantes informations pour la compréhension de la distribution actuelle des pratiques mégalithiques sur la rive ouest de la rivière Faro. En effet, il semble exister un lien évident entre la répartition de l’association forgeron-potière et certaines pratiques mégalithiques13. Sur les deux rives du Faro, c’est ce couple qui a d’ailleurs traditionnellement la charge d’implanter les mégalithes et de fabriquer le mobilier qui les accompagnent (poteries rituelles, les symboles du vome, les poteaux sculptés...).
- 14 A.B. Lyons, 2017, p. 250-252 ; A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2017, p. 275-280, 2020, p. 399-42 (...)
5L’analogie ethnographique constitue ici une source d’information irremplaçable. On sait aujourd’hui que les observations de terrain et la collecte de données sur l’histoire orale permettent d’enrichir considérablement l’analyse archéologique14. La pertinence de cette approche-ci se justifie par le fait que nous nous trouvons dans une situation qui est simultanément historique et archéologique. Dans les massifs des Alantika, un bon nombre de villages montrent une occupation continue, ce qui est une situation favorable pour aborder les questions de changement et de continuité dans le passé. En combinant l’archéologie avec l’ethnographie et les traditions historiques, l’étude des spécificités des pierres dressées actuelles et subactuelles du Faro, ainsi que l’analyse de leur distribution territoriale vise à révéler la forte valeur historique d’un potentiel encore sous-exploité et apporter des éléments susceptibles d’expliquer la complexité qui caractérise la répartition des formes d’association mégalithiques récurrentes dans le Faro.
- 15 R.N., Asombang, 2004 ; A. Marliac, 1976 ; P. Vidal, 1969 ; L. Laporte, J-M. Large, L. Nespoulous, C (...)
- 16 J.-P. Notué, 2007-2009, p. 28-29 ; N.S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 78-80 ; A. (...)
- 17 A.L. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 37.
6Avant toute chose, il convient de préciser ce que nous entendons par mégalithe. Trop longtemps, les mégalithes ont été définis comme étant des structures réalisées au moyen d’un ou de plusieurs grands blocs, sans égard pour leur connotation ethnoculturelle15. Actuellement, ceux qui mènent des recherches en Afrique délaissent cette perception au profit d’une vision qui intègre les valeurs (incarnées par le lieu, par le contexte, par l’usage, par les significations, par les associations, par le lexique ou par la matière) que les mégalithes représentent pour chaque groupe16. Au Faro, les valeurs vécues sont souvent plus importantes pour les communautés que les caractères megas et lithos d’habitude reliés aux mégalithes. De cette manière, le monument mégalithique se rapporte ici à toute construction humaine pouvant compter entre une et plusieurs pierres de tailles et de proportions différentes, en majeure partie sélectionnées, érigées isolement ou regroupées, associées ou non d’autres éléments, et qui peut avoir un caractère religieux, thérapeutique, commémoratif, politique ou social17.
7Dans cette étude, nous présenterons d’abord le cadre spatiotemporel et humain du Faro puis établirons une typologie sommaire des mégalithes de cette région. Pour finir, nous mettrons en rapport des arguments sur l’histoire des populations du Faro et les constats que l’étude des pratiques mégalithiques actuelles et subactuelles nous a permis de faire dans cette partie du bassin de la Bénoué.
- 18 Les villages s’y étagent entre 400 et 2 000 mètres d’altitude.
- 19 M. Dieu, P. Renaud, 1983.
- 20 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011.
8Le département du Faro, dans le nord du Cameroun, désigne une rég ion d’une superficie approximative de 11 785 km² dominée sur le plan hydrologique par une rivière, le Faro, qui lui a donné son nom (Figure 1). Terre d’importants contrastes topographiques ; cette partie du bassin de la Bénoué est surplombée dans l’ouest et l’est par d’importants affleurements : les monts Alantika et massifs de Poli18, qui ont été des zones-refuges pour de nombreuses populations au cours des derniers siècles. L’autre singularité de la région du Faro est son extraordinaire diversité linguistique. Cet espace est en effet le point de rencontre et de superposition de 13 langues, parfois très différentes, qui appartiennent à trois des principales familles linguistiques d’Afrique : Niger-Congo, Afro-asiatique et Nilo-saharien. Les représentants de branche Adamaoua Oubanguienne –les langues koma gimme, koma gimnime, koma kobo, tchamba leko, kolena, dooyaayo, duupa, lonto, pano et duru– y sont en contact avec la langue gbwata du groupe tchadique et la langue fufuldé de la famille ouest-atlantique19.Cette pluralité linguistique est associée à de nombreuses appartenances identitaires régionales (par exemple : Foulbé, Bata, Tchamba, Kolbila, Koma, Vere, Voko, Dowayo, Duupa, Dii et Pano…et de statuts sociaux, tel que celui du groupe socioprofessionnel des « forgerons » qui a un statut particulier dans la région20 (Figure 1).
9La diversité ethnique actuelle du Faro résulte d’une histoire très complexe, comme on le verra avec les traditions orales et l’archéologie sur l’histoire du peuplement.
Figure 1 : Présentation des populations, des sites et du corpus étudiés dans le Faro
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, fig. 2.
- 21 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2020.
10Nos données ont principalement été recueillies au cours de deux campagnes de terrain en 2006 et 200721. Toutefois, nous exploiterons aussi de façon ponctuelle des informations récoltées en 2020 dans le cadre du mémoire de master 2 que madame Irène Athomi prépare sous notre supervision. Les enquêtes ont été accentuées dans la partie centrale des massifs des Alantika où beaucoup de villages sont habités à partir du début du xixe siècle.
11Les 140 pierres érigées étudiées ici ont surtout été identifiées grâce aux indications de la population locale. Elles sont issues de 32 villages provenant de deux régions ; l’aire des monts Alantika à l’ouest et la zone des massifs de Poli-Djounté à l’est (Figure 1) (Tableau). Nous avons choisi de travailler dans ces deux régions éloignées l’une de l’autre afin d’étudier les variations morpho-stylistiques, symboliques et fonctionnelles pouvant les caractériser.
- 22 Le nombre entre parenthèses correspond au nombre de pierres recensées sur le site.
- 23 D’après la tradition d’origine de ce groupe de forgerons, leurs ancêtres seraient originaires du Ni (...)
12Sur la rive ouest du Faro, dans les monts Alantika, nous avons mis l’accent sur le centre du massif où un bon nombre de villages sont encore occupés par des clans koma gimbe. 11 anciens villages présentant des pierres dressées et unis dans l’histoire orale y ont été visités dont Bimlerou-haut (13)22, Librou (02), Ngueplepaï (01), Naguepaï (02), Gbakipa (14), Youguepaï (02), Koala (01), de Balengi (06), FA5/12 (03), Naguimalo, Duri (01), l’ex-Bimlerou-bas (04) et l’actuel Bimlerou-bas (Figure 1) (Tableau). Vers le sud des monts Alantika, chez les Koma Kompana, une population prise en étau entre les Koma Gimbe, au nord et les Tchamba, au sud, des pierres dressées ont été reconnues dans trois villages, Pantou (08), Tipiko (03) et de l’ex-Woulba (03). Chez les Tchamba, leurs voisins des piémonts méridionaux, des pierres dressées ont aussi été enregistrées à Katchala Voma (01) et dans deux autres anciens emplacements à Mali (01) et à Bogdou (02). À Vokba (02), chez des forgerons vere23 vivant désormais mêlées aux Tchamba, une habitation a livré un autel de pierres dressées. Sur la même rive du Faro, au nord des Koma Gimbe, des monolithes ont aussi été visités à Guédé (02) et à Balgou (02), deux villages koma ndera (Figure 1) (Tableau).
13Sur la rive est, en territoire dowayo, le mégalithisme a été mis en évidence dans 12 villages (Figure 1) (Tableau) dont Djélepo (02), Djounté Petel 01 (01) et Djounté Petel 02 (01), deux anciens villages situés dans la région des Hosséré Riga, Djounté Manga (15), Touckté (01), Wanté (25), à Boli (07), à Digha (01) dans les Hosséré Godé et sur du matériel visiblement récent à Notcha-Serre (01), à Sanguelou (07) et à Malwadou (04) dans les piémonts occidentaux de cette même montagne. Plus loin vers le sud-est, la présence de pierres dressées a aussi été notée à Konglé (02) dans le massif de Poli (Figure 1) (Tableau).
- 24 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2020.
14Ces données permettent de constater ici que les sites à pierres s’organisent selon la topographie. La majorité d’entre eux proviennent des massifs et de leurs alentours (Figure 1). En effet, les pierres dressées sont quasi-absentes le long des deux rives du Faro, où l’on trouve majoritairement les villages de Foulbé et de groupes islamisés (surtout les Bata et les Tchamba). La distribution actuelle du peuplement peut s’expliquer par la guerre sainte foulbé du début du xixe siècle. C’est cet évènement qui justifierait de la grande mobilité des populations de la région, certaines d'entre elles abandonnant massivement les plaines suite à ces incursions. Les groupes restant dans les basses terres passent sous une autorité centrale foulbé qui démantèle l’ancien réseau religieux en place pour imposer l’islam, dont l’influence est prégnante depuis l’avènement du califat de Sokoto, ainsi que le fufuldé. C’est dans ce contexte que les Bata et certains groupes tchamba ont connu une assimilation religieuse presque totale. Ils affirment eux-mêmes avoir abandonné certaines de leurs croyances et rites propres, qu’actuellement ils qualifient de pratiques animistes24.
15Ce phénomène était donc probablement plus dense il y a deux siècles et se retrouvait également dans des secteurs que nous n’avons pas eu l’occasion de prospecter, comme l’indiquent les témoignages oraux.
16Il est encore difficile de connaître à quand remontre exactement les premières manifestations du mégalithisme dans le Faro. Néanmoins, nous pouvons déjà retenir que les plus anciens villages à pierres dressées recensés auraient été implantés dans les massifs dès le début de la conquête foulbé que l’on situe dans la région vers 1830. À partir de cette période, certains villages vont connaître une occupation continue jusqu’à l’actuelle. D’autres villages seront, en revanche, occupés à des temps différents par les mêmes communautés (Figure 1) (Tableau). En général, l’installation d’un village s’accompagne de l’érection des pierres de fondation très souvent fixées à l’entrée des domiciles du chef, des sous-chefs et des notables.
- 25 Lãguere paï signifie littéralement « la montagne est finie » en langue koma gimbe. L’appellation a (...)
- 26 Le travail de la forge y était interdit afin d’éviter que les bruits liés à cette activité perturbe (...)
- 27 En pays koma seuls deux villages possèderaient des maîtres de la pluie, il s’agit de Gbakika (Zatao (...)
- 28 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2020, p. 399-420 ; A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 40-42.
17Sur la rive ouest, c’est le centre des monts Alantika (cercle de Wengay) qui semble avoir accueilli les premiers réfugiés de la guerre sainte dès le début du xixe siècle. À partir de ce point, le peuplement montagnard se serait progressivement étendu au fil des événements qui ont bouleversé la démographie de cette partie de la région. Chez les Koma Gimbe qui occupent cette partie du massif, les villages Bimlerou-haut, Librou, Ngueplepaï, Naguepaï, Gbakipa, Youguepaï, Koala, Balengi, FA5/12, Naguimalo et Duri, unis dans l’histoire orale, dateraient de cette période. Bimlerou-haut, dit Lãguerepaï25, est, selon la tradition orale, le plus ancien village koma gimbe dans les monts Alantika et leur sert encore de haut lieu de sacrifice26. Il a été fondé au début du xixe siècle par les héros fondateurs Kotoba et Yogba. Ce sont eux qui y auraient implanté les premiers monolithes et autels. Jusque dans les années 1960, Bimlerou-haut était le siège d’une puissante chefferie dirigée par le chef Foxy. Gbakipa, qui, quant à lui, continue à assurer les rituels liés à la pluie Gbégri27. Balengi, de son côté, s’occupait de la fabrication des couteaux et outils destinés à la circoncision et à l’extraction des dents chez les jeunes filles. Vers 1930, des familles koma gimbe vont délaisser progressivement la montagne pour s’installer dans les piémonts où ils ont fondé de nouveaux villages tels que l’ex-Bimlerou-bas, puis l’actuel Bimlerou-bas. Pour les Koma Gimbe installés aujourd’hui en plaine, Bimlerou-haut demeure un lieu d’attachements, où se trouvent des abris de conservation des objets sacrés et des autels des pierres rituels et commémoratifs28.
- 29 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 40-42.
18Chez les Koma Kompana, dans la partie méridionale du même massif, l’érection des monolithes de fondation dans les anciens villages Pantou et Tipiko est l’œuvre de deux frères, les héros fondateurs Goulou et Vomzié dès le début xixe siècle. En 2005, durant la visite de ces hauts lieux de sacrifices, nous y avons reconnu des monolithes, des autels de pierres et une importante quantité de récipients ornés de boutons appliqués (des décors considérés comme sacrés dans la région) et parfois avec des formes anthropomorphiques. Localisés sur des pentes très accidentées des monts Alantika, Pantou et Tipiko sont très endommagés par des effondrements, ce qui justifie que le chef de culte monsieur Batouré ne s’y rendait plus pour des rituels. Une réplique de ces espaces religieux abandonnés a finalement été construite à l’ex-Woulba dans la vallée il y a une trentaine d’années. Ce dernier lieu est une occupation intermédiaire que la communauté de Woulba a investie au début des années 1930, époque de la création d’une base militaire française à ancien Wengay afin d’administrer directement les monts Alantika et pendant laquelle les montagnards sont affranchis de l’autorité du Lamido de Tchamba. L’ex-Woulba a été délaissé plus tard pour Woulba, leur site actuel. C’est ce retour de la paix qui va aussi permettre l’implantation dans les basses terres des villages appartenant aux Tchamba dans Katchala Voma, Mali et Bogdou. Il en est de même pour l’érection des monolithes par des forgerons vere à Vokba et par des clans koma ndera de Guédé et à Balgou (Figure 1) (Tableau)29.
- 30 Djounté Manga a été fondé par des clans dowayo dits Namlouko, Bê-dooto et Wassinde.
- 31 Les Wanté feraient partie du clan de Malwadou dont on situe l’origine sur les Hosséré Godé.
- 32 L’appellation Godé provient du mot Gole qui signifie montagne en langue dowayo.
- 33 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 40-42.
19Sur la rive est, en territoire dowayo, un constat similaire a aussi été fait. Selon les traditions orales, c’est au commencement des années 1930 que les clans qui ont érigé les pierres à Djounté Manga30, Touckté, Wanté31 et Boli, dans les piémonts méridionaux des Hosséré Djounté, sont arrivés de Djounté Petel 01 et Djounté Petel 02, deux anciennes occupations intermédiaires dans la région des Hosséré Riga. Situé dans la même région, l’ancien village, Touckté est aussi un emplacement intermédiaire. Il fut occupé par des familles de dresseurs de pierres dont on trouve encore des représentants autour des Hosséré Djounté. C’est aussi à la même période que certaines familles dowayo provenant de villages abandonnés, comme Digha dans les Hosséré Godé32, font ériger des « pierres d’ancêtres fondateurs » dans les villages Notcha-Serre, Sanguelou et Malwadou. L’implantation des mégalithes reconnus à Djélepo sur les rives du Faro et à Konglé, dans le massif de Poli se situerait au milieu de xxe siècle33.
20Ces informations permettent de reconnaître deux phases principales d’érection des pierres de fondation que nous avons cherchées à approfondir en y associant des travaux archéologiques (Figure 1) (Tableau).
-
- 34 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2020 ; A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 40-42
Des pierres anciennes dressées dans les massifs dont le style pourrait être issu des plaines environnantes dès le début du xixe siècle. Certains de ces monuments comme ceux des monts Alantika (10 cas) sont encore en activité, tandis que d’autres (10 exemples) sont aujourd’hui abandonnés pour des répliques installées en plaine.
Une présence de mégalithes dans les montagnes avant la guerre sainte foulbé est aussi envisageable, même si la plupart des montagnards affirment habiter la montagne seulement depuis la Jihad. Beaucoup de choses semblent indiquer que le peuplement des monts Alantika s’est constitué à partir d’un fond ancien qui a progressivement intégré des migrants. En effet, certains clans koma semblent bien intégrés dans leur biotope. Si les monts Alantika ont joué un rôle de refuge important au début du xixe siècle, il faut rappeler que cet environnement est utilisé depuis une époque reculée pour conserver des objets sacrés, entreposer les crânes des défunts, organiser des initiations et des rituels parmi des pierres dressées aux ancêtres34.
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Des pierres dressées plus récentes dans les basses terres à partir du début du xixe siècle.
Cette implantation massive dans les sommets durant ces derniers siècles s’y traduit par l’importance des restes archéologiques dès le début du xixe siècle.
Tableau : Répartition spatiotemporelle des pierres érigées par village et groupe ethnolinguistique dans le Faro
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, Tab.1.
- 35 Dans les massifs des Alantika, un bon nombre de villages montre une occupation continue.
21Au total, cent-quarante pierres dressées ont été étudiées ici. Soixante-huit d'entre elles sont issues de la rive est de la rivière Faro et soixante-douze de la rive ouest35 (Tableau) (Figure 1). C’est de cette dernière région que provient le plus grand nombre de villages recensés (soit vingt sites sur trente-deux).
- 36 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
- 37 Ibid.
22A. Mezop Temgoua-Noumissing36 vient de proposer une classification systématique de ce matériel selon une approche reposant principalement sur la relation structures en pierre et éléments accompagnants. Pour une présentation plus détaillée sur cette démarche, il faut se référer à cette récente publication37.
- 38 N.S. Tchandeu et al., 2019, p. 67-88.
23Sur les mégalithes, les données descriptives relevées se rapportent à la morphologie, la hauteur hors sol, l’effectif et l’organisation spatiale des pierres. Leurs accessoires comprennent des récipients en terre cuite (ornés parfois de boutons appliqués ; des décors considérés comme sacrés dans la région), d’anciennes meules mobiles creuses, des molettes, des galets et des poteaux en bois (présentant des sculptures et/ou des gravures). Les caractères sur l’environnement immédiat des mégalithes, comme les plantes, n’ont pas été laissés en reste, étant donné que ce sont de bons indicateurs de catégories fonctionnelles et symboliques38.
- 39 F. Dumas-Champion, 1987, p. 147.
- 40 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
24Au niveau de la technologie, les constructeurs des pierres dressées et de monuments mégalithiques ont choisi des formes voulues issues d’une collecte opportuniste (façonnées par la nature) ou d’un dégrossissage plus ou moins systématique. Il s’agit généralement de personnages spéciaux ou de groupes initiatiques particuliers (membres du conseil du vome). Les forgerons ont par exemple des compétences et une autorité spirituelle et religieuse dans ce domaine39. En territoires koma, ces artisans coordonnent la mise sur pied des autels de pierre, où siègent les membres du vome et élaborent également les attributs et les outils importants de l’institution vome : couteaux de jet, sceptres sculptés en bois, faucilles, rhombes en fer et flûtes en bois dites vome fose. Chez les Dowayo, c’est eux qui généralement implantent les pierres beto walo, celles sur lesquelles ils adosseront la dépouille avant de procéder à l’enterrement ; ils sculptent aussi les poteaux en bois, des éléments qui accompagnent toujours les mégalithes de type 240.
25Enfin, pour ce corpus, les noms vernaculaires de tous les éléments liés au mégalithisme ont aussi été recueillis, étant donné leur forte capacité à rendre compte de la fonction et de la signification de ce phénomène dans la région.
26Sur les 140 pierres érigées trois formes d’associations de pierres récurrentes distinctes s’appuyant sur l’organisation, la hauteur hors sol, l’effectif et surtout l’accompagnement ou non d’autres éléments ont été mises en évidence (Figure 2).
- 41 Ibid.
- 42 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
27- Le type 1 est un ensemble d’une ou de plusieurs pierres, le plus souvent de petites tailles (quelques monuments comme celui qui se trouve à l’entrée du village Gbakipa dépassent 0,70 m, mais la plupart de ces pierres ont une hauteur hors sol comprise entre 0,70m et 0,20 m), qui peut être associé à des objets tels que la meule, la poterie et la molette ou être sans accompagnement (Figure 2). Aucune organisation particulière des pierres n’a été observée quand elles sont plusieurs. Les profils morphologiques les plus courants ici sont représentés par des monolithes de forme tétraédrique à sommet oblique et parallélépipédique ou ogivale à l’extrémité arrondie, oblique ou droit. La fonction de ce type de mégalithe dépend surtout du nombre de pierres par structure, de l’emplacement et du contexte de sa construction. Les monolithes isolés et sans accompagnement sont généralement utilisés pour délimiter les territoires, d’où l’expression de « pierres frontières »41. On les implante d’ailleurs généralement aux frontières des villages et aux abords des pistes conduisant dans les villages et dans les champs. Les assemblages de monolithes, eux en revanche, sont la plupart du temps associés à du mobilier : des anciennes meules creuse, des galets, des broyeurs, des récipients en terre cuite. Ils servent surtout comme autels rituels et interviennent dans des contextes multiples : fondation de villages, commémoration d’ancêtres, hiérarchisation sociale, funérailles, divination, sorcellerie, thérapie, religion, ésotérisme, etc. Un lien évident existe entre l’effectif des pierres et la fonction. En 2005, à Pantou, un ancien village situé sur les pentes raides des monts Alantika, nous avons reconnu un autel domestique montrant deux monolithes de taille disproportionnelle accompagnés d’une grande meule creuse contenant plus d’une dizaine de galets. A l’intérieur de ce bilithe, situé à l’entrée d’une concession, la plus grande des pierres représente Goulou, l’ancêtre fondateur, et la plus petite sert à commémorer le défunt de cette habitation. La meule creuse et les galets y symbolise respectivement la femme et les enfants (figure 2)42. Les monuments rituels ont surtout été reconnus au seuil de la concession, à l’entrée de la maison du chef lignage ou du célébrant traditionnel, dans les cours des domiciles, à proximité des bosquets, des sites initiatiques et des cases sacrées.
28Dans les monts Alantika, les monolithes isolés ou les arrangements de pierres dressées portent les noms de dək bɛlɛ (« pierre des ancêtres » en pays koma gimbe) et pal bila (« pierre de l’homme » en langue tchamba Leko).
- 43 Ibid.
- 44 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 275-280.
- 45 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 46.
29- Le type 2 présente à la fois plusieurs pierres dressées et un ensemble de poteaux en bois, dénommé doyɔ en dowayo, les éléments les plus typiques de ce type (Figure 2). Il est majoritairement réalisé au moyen de grands monolithes, les modèles de Godé et de Djounté Manga dépassent 1,50 m au-dessus du sol43. Les pierres sont habituellement implantées verticalement ou obliquées de façon resserrée. D’aspect fourchu ou filiforme, le doyɔ montre généralement au niveau de son extrémité supérieure des sculptures d’aspects phalliques et vulvaires, qui représenteraient les genres féminins ou masculins des ancêtres évoqués. Cet accessoire présente sur le tronc des motifs géométriques gravés qui s’apparentent aux décors céramiques réalisés à la roulette gravée en bois retrouvés dans la région dès le début du dernier millénaire (Figure 2)44. Ce type se manifeste aussi clairement par la présence d’une plateforme de bois dite waklɛ. Il s’agit d’une étagère située à proximité des mégalithes et sur laquelle dansent des garçons pour honorer un guerrier ou un vieillard décédé ou durant la circoncision appelée dõse dans la même langue. En territoire dowayo, on les aurait actuellement abandonnées et il n’y a plus qu’à Wanté que l’on peut encore observer les restes d’un waklɛ en grande partie détruits45.
- 46 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 51.
30Dans le type 2, la différence des proportions et la hiérarchie des tailles revêtent une dimension symbolique. En effet, les plus grandes des pierres de l’ensemble sont généralement implantées pour commémorer la mémoire de l’ancêtre fondateur du clan (pierre zule tokio en langue dowayo) ou pour rendre hommage aux personnages méritants comme les guerriers (pierre beto walo dans la même langue). Les monolithes les plus petits sont érigés pour matérialiser des alliances avec des clans amis (saksio chez les Dowayo). À Djounté Manga, le monument du clan nã luko comporte douze monolithes et cinq doyɔ ou poteaux. La plus imposante des pierres a été dressée pour honorer nã luko, leur ancêtre fondateur, tandis que neuf autres blocs, dénommés, beto walo, correspondent aux hommes qui se sont distingués dans le clan ; les deux restantes, appelés saksio, se rapportent aux coalitions établies avec des clans amis (Figure 2)46.
31Ce type mégalithique peut être surtout qualifié de « commémoratif », toutefois, il a aussi une fonction au moins partiellement religieuse et thérapeutique. Le fait qu’il ait uniquement été retrouvé sur les grandes places des villages (cours de circoncision, places d’initiation, et espaces de danse et de funérailles) indique qu’il est essentiellement utilisé dans des célébrations à l’échelle communautaire.
- 47 Ibid.
- 48 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 47-57.
32- Le type 3, quant à lui, est généralement signalé par un cercle de pierres dressées (la taille des pierres n’excède pas 0,80 m et le diamètre varie entre 1 m et 3 m), de pierres et de meules creuses (Figure 2). Il semble aussi être reconnaissable par l’existence de poteries aux formes spécifiques et de récipients recouverts de boutons appliqués (Figure 2). En effet, cette association semble avoir été très appréciée sur la rive ouest du Faro, car elle a été clairement reconnue sur du matériel visiblement récent de villages modernes et qu’elle est de nos jours toujours vivante au Faro. À Gbakipa, à Bimlerou-Haut, à Pantou et à l’ex-Woulba, l’on peut encore noter la présence de récipients de ce type au sein de cercles de pierres47. Le type 3 est aussi reconnaissable par l’existence d’un poteau, dénommé vom sah'lé en langue koma gimbe, sur lequel est attachée une corne de taureau et une touffe de feuilles 48.
- 49 F. Dumas-Champion, 1987, p. 146.
33Le type 3 mégalithique est uniquement distribué dans la région des monts Alantika. Généralement localisé à l’entrée de la maison ou dans la cour du chef de lignage et/ou du prêtre traditionnel, ce spécimen de pierres, appelé vome (en langues koma) et voma (en Tchamba leko), sert comme autel dans le cadre du vome. L’expression vome prend généralement le sens d’une institution intégrant de nombreuses pratiques rituelles liées à des maladies ou à d’autres évènements pénibles49. Ses emblèmes et instruments peuvent aussi porter habituellement ce même nom. Les solennités relatives à cette institution sont toujours en corrélation avec le cycle agraire et ne sont réservées qu’à une catégorie de personnes. Durant ces célébrations, les meules creuses servent de sièges aux différents protagonistes, les célébrants traditionnels, les chefs de lignages ou les initiés. La responsabilité de ces derniers est d’établir la connexion avec les ancêtres. Au pied des monolithes, on remarque habituellement des bouteilles, plusieurs meules creuses et des broyeurs. Le matériel de broyage sert à moudre les céréales et l’ocre utilisés dans le cadre des rituels. Mais, ce mobilier a aussi une fonction symbolique. Les meules creuses utilisées pour recueillir les libations représente la femme tandis que les broyeurs correspondent à l’enfant. Les monolithes, eux, y symbolisent généralement les ancêtres.
34Toutes ces combinaisons de pierres sont généralement accompagnées de cissus quadrangularis et/ou d’aloe buttneri, plantés à leurs pieds.
Figure 2 : Récapitulatif des types de pierres dressées dans le Faro
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, fig. 4, modifiée.
- 50 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
35D’après les informations collectées sur la répartition des types de pierres dressées reconnues dans le Faro, il est possible de voir que le type 1, la forme d’association la plus simple et la plus courante, est présente sur les deux rives de la rivière Faro, mais avec une plus forte concentration sur la rive ouest, où l’on trouve actuellement le mégalithisme le plus actif de la région (Figure 3). Connues aussi bien chez les Dowayo que chez les Koma, les pierres de type 1 sont utilisées dans de nombreuses circonstances, que ce soit à l’occasion de cultes rendus aux ancêtres, de fêtes commémoratives, des rites agraires, de cérémonies de circoncision ou à des fins thérapeutiques particulières. Sur le mégalithe de type 2, on note qu’il n’a été reconnu que sur la rive est, en territoire dowayo (Figure 3). Prédominée par des pierres de grandes proportions associées à des poteaux de bois sculptés, cette catégorie de pierres est, pour l’essentiel commémorative, mais elle intervient au moins en partie dans des contextes religieux et relatifs au traitement des maladies. Le doyɔ (poteau en bois), son accessoire le plus spécifique, rappelle, le vom sah’lé, la tige sacrée du prêtre traditionnel, qui était jusqu’à une époque récente encore très courante dans les autels du vome (type mégalithique 3)50.
36Le type 3, quant à lui, n’est apparu que sur la rive ouest, chez les Koma Gimbe, Koma Kompana et Koma Gimnime, où un fort développement de poteries aux formes spécifiques et de boutons appliqués s’observaient, conjointement, encore récemment (Figure 3). Il sert d’autel aux célébrations du vome. La pratique y consiste à installer un cercle d’anciennes meules creuses et de pierres avec des monolithes illustrant les ancêtres défunts. Les meules creuses alignées servent de banquettes aux célébrants qui établissent un lien avec les ancêtres et qui dotent les pierres dressées de pouvoirs multiples pour lutter contre les maladies et les mauvais sorts. Ce spécimen de pierres peut être avant tout désigné de monument d’ordre « religieux » et « thérapeutique »51.
Figure 3 : Répartition territoriale des différents types de pierres dressées dans le Faro
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, fig. 6, modifiée.
37Il ressort de cet exposé que le type 2 est caractéristique de la rive est, tandis que le type 3 n’a été observé que sur la rive ouest. Le type 1 est en revanche distribué dans toute la région. La répartition de ces différents types d’association de pierres érigées reflète à la fois l’homogénéité du phénomène mégalithique et l’existence de dissemblances régionales. Nous voulons voir en quoi cette distribution peut servir de canevas pour reconstituer certains liens historiques entre les dresseurs de pierres de la rive ouest du Faro et ceux de la rive est du même cours d’eau.
38Sur la dynamique du peuplement dans le Faro, l’archéologie, la linguistique, l’ethnographie et les traditions orales font d’abord état d’un fond de peuplement ancien dans la plaine modifié par des influences occidentales récentes. Nous chercherons ici à voir si ces arguments sur l’histoire des groupes humains du Faro peuvent être confortés par les constats que l’étude des pratiques mégalithiques actuelles et subactuelles nous a permis de faire. Pour insérer les résultats obtenus sur le fond ancien de peuplement dans un contexte plus vaste, nous étendrons notre réflexion aux études menées dans d’autres régions camerounaises : les monts Mandara, les Grassfields, le plateau de l’Adamaoua et la région de Bibémi dans la haute vallée de la Bénoué.
- 52 R. Boyd, com. pers. citée par J.C. Muller, 2001.
- 53 R. Boyd, 1989.
39Sur la question du fond de peuplement commun à la région du Faro, on retient de la linguistique que la branche des langues adamaoua constituerait le plus vieux substrat linguistique. Les Koma, les Dowayo, les Tchamba, les Vere, les Kolbila, les Dii, les Duupa, les Voko et les Pere en font partie (Figure 4). Leurs langues ont tendance à se côtoyer, avec un apparentement plus grand entre langues voisines. Cela ne peut être que le fruit d’une différenciation in situ débutée depuis près de 4 000 ans52. La fragmentation y serait principalement le résultat de l’évolution naturelle de langues parlées par des populations qui auraient été sédentarisées depuis très longtemps sur leurs lieux d’occupation actuels53 (Figure 4).
- 54 R. Fardon, 1988, p. 77.
- 55 A Mezop Temgoua-Noumissing, 2020.
- 56 Ces Tchamba et certains Koma Kompana sont également dénommés Koma-Tchamba parce qu’ils se sont réfu (...)
- 57 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2020, p. 399-422.
40D’après la tradition orale, les dresseurs de pierres koma et dowayo seraient issus du substrat ancien de populations dit Tchamba-Nyem-Nyem, où on retrouvait aussi les Vere, les Fali, les Duupa et les Dii (Figure 4). Au xviie siècle (avant l’arrivée des Bata), l’habitat de leurs ancêtres se situait dans les plaines au pied de leurs massifs. Ils y faisaient partie d’un réseau supra-communautaire de relations rituelle, religieuse, clanique, économique et politique54. La cohabitation ancienne entre ces populations est confirmée aujourd’hui par la continuité de l’implantation des villages peuplés (Lamordé, Farkoumo, Tchamba) par ces groupes et par maints traits culturels qu’ils partagent. Cette réalité multiple se reflète bien dans le peuplement des monts Alantika, étant donné que l’ethnie koma est aujourd’hui issue d’un peuplement composite constitué à la fois d’anciens Vere, Dowayo et de Tchamba55. La guerre sainte foulbé du xixe siècle est considérée comme étant l’événement le plus important pour expliquer la grande rupture dans l’histoire récente de ces populations. Les Foulbé provoquèrent d’importants départs vers les massifs de la rive gauche du Faro (monts Alantika) qui recevront une grande partie des fuyards pré-koma, vere et tchamba56 qui allaient devenir des Koma. Les points défensifs de la rive droite du Faro (massifs de Poli, Hosséré Godé et Riga) vont aussi être assaillis par des groupes de fuyards dowayo, qui se fondront parfois avec des éléments voko (Figure 4). Ainsi, l’ordre politico-religieux centralisé foulbé va démanteler l’ancien réseau religieux en place pour imposer l’islam. Vers la moitié du xxe siècle, les montagnards vont progressivement abandonner leurs sommets au profit de sites de plaines57.
- 58 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2017, p. 275-280, 2020, p. 399-422.
- 59 A. Livingstone Smith, 1999, 2000, 2001, p. 105 ; H. Wallaert, 2001.
- 60 A. Livingstone Smith, 2001, p. 88.
41L’archéologie soutient comme les sources orales l’idée que les habitants des anciens villages sont en grande partie à l’origine des populations actuelles. Cette continuité s’exprime dans la séquence archéologique de la poterie montrant clairement une continuité entre les ornements de la céramique des anciens villages de la plaine datant du xie siècle et ceux de la poterie actuelle des montagnards (Figure 5). Cela se traduit très bien à travers les impressions aux roulettes de fibre plate pliée (FSR), cordelette torsadée (TGR) et à la roulette en bois gravé (CWR) qui ont d’abord existé dans les anciens villages de la plaine et se sont ensuite étendus en direction des massifs, où on observe encore des survivances actuelles de ces ornements58 (Figure 5). Le façonnage de la poterie actuelle indique une évolution comparable. Le fait que la technique de creusement et d’étirement d’une motte soit généralisée dans la région renforce l’idée d’une origine ancienne commune des connaissances dans le Faro59. En effet, le façonnage est souvent considéré comme la plus fascinante des étapes de la chaîne opératoire, parce qu’il matérialise l’interaction prolongée entre personnes et donne accès à une forme d’identité plus profondément enracinée que d’autres comportements techniques60.
- 61 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2017.
- 62 A Mezop Temgoua-Noumissing, 2011.
- 63 C. Seignobos, 1982, p. 158.
- 64 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011.
42Une évolution analogue été observée sur les pratiques funéraires. En effet, à Farkoumo, la présence d’une sépulture datant du ixe siècle et présentant un traitement du corps à base d’ocre rouge rend compte des soins accordés aux défunts comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la région61 (Figure 4). Par ailleurs, le revêtement de tessons de Farkoumo datant de la même époque fait écho à la spécificité de l’architecture traditionnelle actuelle des Dowayo des massifs de Poli (village Konglé)62. Ce caractère qui témoigne manifestement d’une continuité entre les pratiques architecturales passées et actuelles de la région, se retrouvait aussi chez les Djoukoun63, ainsi que chez les Fali avec qui les Dowayo se reconnaissent une parenté. L’hypothèse d’un fond commun à toute la région trouve aussi un écho favorable dans d’autres aspects de la vie : absence de centralisation du pouvoir, économie essentiellement basée sur la culture du mil, calendrier rituel rythmé par les « sacrifices » ‒ libation de bière de mil ‒ rendus aux ancêtres dans des endroits sacrés64…
Figure 4 : Mise en parallèle entre les données issues de l’archéologie, de l’ethnohistoire et de la linguistique sur l’histoire du Faro
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, fig. 2, modifiée.
Figure 5 : Séquence des traditions céramiques au Faro entre le xie et le xxe siècle
A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, fig. 1 modifiée.
43L’étude de la distribution morpho-stylistique et fonctionnelle des mégalithes dans le Faro, indique également l’existence d’un continuum culturel commun à toute la région qui se traduit par la présence d’une certaine homogénéité dans ce domaine. Cette uniformité se distingue surtout au niveau de la distribution stylistique des pierres de type 1 (Figures 2 A et 3). Ces spécimens sont distribués dans toute la région où ils ont été reconnus comme des autels rituels selon leurs positions et particulièrement celles-ci : entrée de la concession, cour de la maison, abords des bosquets et des cases sacrées et devant des salons de bières. On les implante aussi aux frontières des villages et aux embranchements menant dans les hameaux, pour délimiter les territoires. Que ce soit chez les Koma ou chez les Dowayo, ce type de pierre est surtout réservé à des fonctions thérapeutiques, magiques, religieuses et symboliques qui ne montre quasiment pas de variabilités dans la répartition. Une unité se traduit aussi au niveau des aspects morphométriques, étant donné que l’on a pu voir que les pierres du Faro sont généralement de petites tailles (hauteur moyenne inférieure à 0,70 m) et leur morphologie ne présente pas de particularités territoriales. Il est ainsi tentant d’assimiler l’uniformité manifestée par la distribution des mégalithes de type 1 à la présence d’un ancien continuum rituel, religieux et symbolique.
- 65 F. Dumas-Champion, 1986, 1987.
- 66 F. Dumas-Champion, 1987, p. 157 ; A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
- 67 Ibid.
- 68 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, 2023, p. 35-66.
44L’idée d’un tel fond est renforcée par la répartition du poteau en bois appelé doyɔ. Ainsi, le poteau en bois est aujourd’hui essentiellement distribué sur la rive ouest, où il accompagne les pierres de type 2 dont il en constitue l’accessoire le plus marquant (Figures 2 et 3). Si l’essentiel des poteaux en bois se retrouve actuellement en territoire dowayo (rive est), entre Djounté, Godé et Poli, ces éléments semblent avoir été plus répandus dans le Faro, il y a quelques décennies. En effet, les informations orales recueillies indiquent que les combinaisons de mégalithes et de poteaux auraient été plus répandues dans les anciens villages de la région, mais certains d’entre eux auraient perdu leurs poteaux. Ce que nos propres observations sur le terrain confirment. Nous avons fait une évaluation de l’état de conservation de quelques mégalithes à poteaux entre les années 2006 et 2020. Cette analyse a révélé que les mégalithes du Faro connaissent une dégradation matérielle et fonctionnelle très avancée. Cela transparaît très bien à travers la situation du beto walo du clan Nã luko dowayo de Djounté Manga qui a perdu certains de ses poteaux au cours de la dizaine d’années de la période d’étude (figure 2). À Godé, le mégalithe du clan Sã gelu ne conserve plus ses poteaux. Son tout dernier poteau repose contre une clôture à quelques mètres des pierres. Tout semble confirmer que cet élément ait été plus utilisé dans le Faro dans le passé mais qu’il se conserve mal à cause de la fragilité de son matériau. L’ethnographie récente de la rive ouest du Faro semble aussi le confirmer. Jusqu’à une époque récente, un tel accessoire a dû aussi être courant dans la même région. En effet, Dumas-Champion65 souligne la présence d’un poteau en bois au sein des cercles de pierres en pays koma : « à l’entrée de l’habitation, on trouve parfois un poteau en bois qui, comme les pierres, est rougi à l’ocre ou blanchi à la farine de mil. Il est habillé dans sa partie supérieure d’une touffe de feuilles66 ». Pour signaler leur place centrale dans les cultes du vome, elle note : « Ce pieu sacré (vom sah le), réservé au prêtre de la communauté, est le correspondant de la pierre dite ‟masculine67ˮ. ». Cet accessoire évoque fortement le doyɔ, le poteau sculpté et gravé accompagnant le type mégalithique 2, distribué encore en pays dowayo. L’existence de poteau mégalithique sur les deux rives de la rivière Faro suggère une survivance d’un ancien système. Ce dernier appartiendrait à un large ensemble culturel étendu sur la moyenne Bénoué et la Haute Bénoué. L’analyse des ornements gravés sur le poteau doyɔ soutient aussi la thèse d’un restant d’une ancienne tradition, étant donné que ces décors font penser aux figures réalisées à la roulette en bois identifiées sur la poterie de la région dès le début du dernier millénaire (Figures 2 et 568).
- 69 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2017.
45L’évolution des traditions céramiques et l’histoire orale des clans de forgerons sont très importantes pour interpréter la distribution actuelle des poteaux mégalithiques. Il est important de remarquer que l’aire de répartition des poteaux en bois sculptés correspond à la rive est du cours d’eau Faro, la région d’où proviennent les seuls artisans qui continuent à décorer la poterie à la roulette en bois (Figure 5). Tout semble ainsi indiquer qu’il existe bien un lien évident entre l’association forgeron-potière et les poteaux sculptés et gravés, dans la mesure où c’est le forgeron qui a traditionnellement la charge de fabriquer la roulette en bois et d’autres objets en bois, comme les masques, flûtes et les poteaux mégalithiques. Mais, que faut-il penser du fait que sur la rive ouest (chez les Vere, les Ndera) où cette association est fort présente, la roulette en bois et les poteaux mégalithiques ne sont plus utilisés ? L’idée que l’existence de la roulette en bois, tout comme celle des poteaux sculptés, soient liées uniquement à la présence de l’association forgeron-potière sur la rive semble ici peu convaincante. Une autre hypothèse voit la disparition de ces éléments comme le fait d’un phénomène de mode. En effet, le style ornemental actuel de la poterie sur la rive ouest, une généralisation de l’impression à la cordelette tordue (TGR), serait une imitation du style des artisans vere, qui jouissent de leur réputation d’inventeurs de la poterie sur la rive ouest du fleuve. Cette hypothèse qui renvoie le problème à une question de mode se trouve d’autant plus renforcée lorsqu’on se fie aux nombreux arguments exposés plus haut qui montrent que la région des monts Alantika (rive ouest) était une aire très ouverte et exposée à un vaste faisceau d’influences occidentales majoritairement originaires de chez les Vere, originaires du Nigeria et du versant ouest des monts Alantika. Ce renouvellement ornemental inspiré du style des artisans vere ainsi que l’unité céramique ancienne sont bien documentés au niveau de la séquence archéologique de la région qui montre que jusqu’au xxe siècle, la poterie des niveaux de la rive ouest du Faro (l’aire des monts Alantika) était encore assez identique à celle des villages modernes et actuels de la rive est du même cours d’eau69. Une autre spécificité qui rend compte de l’homogénéité traduite par la répartition des structures en pierre dans le Faro, c’est la relation entre le mégalithisme et certaines espèces végétales. Les pierres dressées y sont intimement liées à des espèces patrimoniales végétales principalement représentées par des plantes spécifiques à caractère sacré et prophylactiques. Les plantes les plus sollicitées sont le cissus quadrangularis et l’alliacée, un oignon sauvage (Aloe) dont le nom scientifique est Aloe Buttneri (Figure 2). Les pierres ne sont rien sans ces espèces naturelles que les communautés locales conservent et protègent jalousement. Cette affiliation des structures en pierre aux plantes leur donne une dimension environnementale à nulle autre identique dans le mégalithisme de l’aire soudano-sahélienne du Cameroun et elle est sans doute l’un des reflets les plus tangibles d’un ancien système régional.
46Il apparaît de ce qui précède que les points de convergence d’un fond ancien mégalithique koma-dowayo dans le Faro sont manifestes et nombreux au niveau des formes, de l’exposition et des contenus des structures en pierre.
- 70 Pour la liste des personnes interrogées se référer à A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011.
- 71 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, p. 106-112, 2020.
- 72 Ibid.
47L’histoire orale des clans de forgerons vere, dont les femmes sont potières est très intéressante pour l’histoire des interactions sociales, de l’évolution des traditions céramiques et de certains rituels sur la rive ouest du Faro. La plupart des Vere de la région vivent à Oglo, Karim, Wongui, Dani, Komboro et Pomla dans la partie nord des monts Alantika. Au sud, à Vogba, dans les piémonts méridionaux de ces mêmes massifs, vit aussi une petite fraction de cette même population. Si les Vere du Faro70 reconnaissent une parenté avec la plus grande partie de leur groupe qui vit dans l’État de l’Adamawa au Nigeria, ils pensent cependant, que c’est l’activité métallurgique qui serait la cause de leur implantation dans leurs lieux d’occupation actuels. Ils racontent que leurs parents étaient des forgerons et des potières itinérants, originaires pour la plupart de Yola. Par ailleurs, ils admettent qu’ils auraient ainsi transmis progressivement leur savoir-faire dans les domaines de la poterie et de la métallurgie à tous leurs voisins koma, tchamba et bata. Cette version est confirmée par ces derniers qui considèrent d’ailleurs les Vere comme les initiateurs de la forge71. Ils seraient aussi responsables de certains rites de passage comme l’ablation des incisives supérieures des filles et la circoncision. Par ailleurs, c’est ce couple endogame qui prépare encore la dépouille mortelle, s’occupe de l’enterrement et après l’inhumation, c’est lui, qui tient aussi le rôle de fossoyeur. Les forgerons vere sont aussi vus comme étant les maîtres de la fabrication de certains emblèmes (couteaux de jet, sceptres sculptés en bois, faucilles…) et des objets-symboles (rhombes en fer, flûtes en bois dites vome fose) importants de l’institution vome. Les forgerons vere auraient ainsi jusqu’à nos jours une grande importance rituelle. C’est pourquoi, ils seraient encore fréquemment invités chez certains de leurs voisins islamisés pour prendre en charge certains aspects de la circoncision et des funérailles, qualifiés de pratiques animistes. C’est le cas des Bata et de certains Tchamba dont les habitudes religieuses ont fortement changé. Ils ont connu une assimilation religieuse presque totale, ce qui explique pourquoi ils ont abandonné certaines de leurs croyances et rites propres 72.
- 73 Les données sur la poterie actuelle ont été récoltées dans le cadre du projet Céramique et Société. (...)
- 74 P.O. Gosselain, 1999.
- 75 M. Vander Linden, 2001, p. 147.
- 76 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, 2017.
- 77 Ibid.
48C’est dans le domaine de la fabrication de la céramique73 que l’impact de ce groupe de forgerons-potières est encore plus appréciable, étant donné qu’ils sont désignés comme étant les inventeurs de la poterie. Simultanément à la diffusion technique, ils auraient récemment introduit de nouvelles conceptions symboliques et traitements post-cuisson, étant donné que l’utilisation des gousses d’Acacia nilotica dans la fabrication de décoction organique n’a été retrouvée que sur la rive ouest de la rivière Faro74. Pour ce qui concerne les circuits de diffusion physique de la poterie, les artisans vere sont la principale référence, car ils ont un grand succès sur la rive ouest où ils jouissent de leur réputation d’inventeurs de la poterie75. C’est sur les décors céramiques que leur impact se fait le plus ressentir. Jusqu’au début du xxe siècle, la rive ouest du Faro (terre koma tchamba) présentait encore un registre ornemental assez comparable à celui de la rive est de ce même cours d’eau (terre dowayo). Les impressions aux roulettes de fibre plate pliée (FSR), de tige centrale de Blepharis. sp (Ble) et de roulette en bois gravée (CWR), y étaient encore bien représentées. Mais celles-ci vont brusquement être remplacées par le décor imprimé à la roulette de cordelette tordue (TGR), un ornement qui au début n’était que relativement fréquent. Ce renouvellement ornemental serait justifié par une imitation du style des artisans vere qui décorent essentiellement à la roulette de cordelette tordue (TGR) (Figure 5)76. En plus de ce développement d’impression, la rive ouest enregistre aussi une émergence de boutons appliqués, ainsi qu’une apparition de formes spécifiques de poterie, décorées de pastilles, un décor classiquement associé aux rituels sur la rive ouest (Figures 5 et 6). En ce qui concerne particulièrement le développement récent de récipients décorés de boutons appliqués pendant ces deux derniers siècles, il pourrait témoigner d’un changement de pratiques religieuses dans le Faro, lié aussi à des influences originaires de chez les Vere dont la tradition orale situe le point de provenance dans les plaines nord-occidentales du Nigeria, aire du plus grand développement des poteries rituelles dans la région77. On peut ainsi conclure que la rive ouest du Faro est une aire qui est tournée vers l’extérieur (le Nigéria). Lorsque l’on considère la position géographique des monts Alantika, il est vraisemblable que les innovations observées dans cette région se soient diffusées à partir de Yola chez les Vere.
49L’hypothèse d’influences d’origine occidentale se ressent aussi au niveau de la distribution des cercles de pierres. On a constaté que le type mégalithique 3 ne s’est manifesté que dans la région des monts Alantika (pays koma et Tchamba). Le fait que cette distribution corresponde à la zone de la plus grande croissance de récipients recouverts de boutons dans cette même partie du bassin de la Bénoué permet de penser qu’il existe une grande affinité entre les cercles de pierres et cette céramique considérée comme étant sacrée sur cette rive du Faro (Figure 6). L’ethnographie et la tradition orale soutiennent aussi l’idée d’une forte corrélation entre les pots à boutons et les cercles de pierres. Ces deux sources les présentent d’ailleurs comme les symboles du vome. On peut, dans l’hypothèse d’une relation entre ces deux éléments envisager que la présence actuelle des cercles dans la région des monts Alantika s’explique par les mêmes phénomènes qui sont aussi à l’origine de l’accroissement de poteries à boutons durant la phase 3 (Figure 6). Ces développements peuvent se justifier par un changement de pratiques religieuses liées à des influences occidentales conduisant à un usage rituel des pierres dressées de type 3 et des poteries à boutons durant la phase 3. En effet, l’aire du plus grand développement des poteries rituelles se trouvant aujourd’hui à l’ouest des monts Alantika, il est plausible, géographiquement, que les pots rituels aient été diffusés à partir de l’ouest, via des réseaux d’échanges (de biens ou d’idées) ou des déplacements d’individus. Les prêtres rituels et les spécialistes de la fabrication des symboles et des emblèmes du vome de la fabrication de pots rituels viendraient encore du groupe des Vere de Yola au Nigeria et des versants ouest des monts Alantika.
50L’impact des artisans vere est particulièrement perceptible au niveau du mégalithisme de type 3 et des cultes rattachés à ce type de structures. Liées à la guerre sainte foulbé du début du xixe siècle et au commerce, ces influences vont se greffer sur un continuum d’anciennes traditions mégalithiques. Ce fond de civilisation commune s’exprime très bien à travers des éléments comme le poteau sculpté, un trait spécifique du mégalithisme de type 2, qui semble d’abord avoir existé sur les deux rives du Faro et s’est ensuite maintenu uniquement sur la rive est où on observe encore des survivances de cet attribut. Les influences liées à la présence des poteaux de bois dans les Grassfields semblent provenir de ce même fond.
Figure 6 : Corrélation des données mégalithiques et céramiques actuelles et subactuelle
A. Mezop Temgoua-Noumissing.
- 78 É. Zangato, 1996, p. 364-377.
- 79 R.N. Asombang, 2004, p. 296 ; O. Langlois et al., 2017, p. 57-73 ; A. Marliac, 1976 ; J.-P. Notué, (...)
- 80 P. Vidal, 1969.
- 81 A. Marliac, 1976.
- 82 E. Mohammadou, 1982.
- 83 S. Hassimi, 2018.
- 84 N. S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 82-84.
- 85 J.-P. Notué, 2007-2009, p. 53-56.
- 86 A. Saïdou, S. Hassimi, 2022, p. 24-44.
- 87 É. Zangato, 1996, p. 364-377.
51Le rapprochement des mégalithes du Faro avec les spécimens de l’aire culturelle soudano-sahélienne et de la région des Grassfields, évoquent à la fois d’anciennes traditions mégalithiques, et des influences récentes d’origine occidentales et septentrionales. Sur la question d’anciennes traditions céramiques, Marliac (1976) suggère que la civilisation des Tazunu qui s’est développée à Bouar dans le nord-ouest de la République centrafricaine dès le dernier millénaire BC78 a influencé les pratiques mégalithiques en territoire camerounais. Cet impact serait actuellement surtout perceptible par la typologie, le mode d’exposition et les contenus des structures en pierre. Au niveau de la typologie, les productions du Faro se distinguent par une prédominance de monolithes isolés, groupés ou arrangés en mode linéaire ou circulaire. Ces éléments ont été reconnus dans la majeure partie des sites compris allant de la Haute vallée de la Bénoué jusqu’au sud-ouest du plateau de l’Adamaoua et aux régions du plateau de Kambé et du pays Bamiléké où ils apparaissent aux côtés des cairns79. Contrairement à ces régions, on a noté l’absence de cairns dans le Faro. L’influence de ces traditions d’origine orientale se fait aussi ressentir au niveau du monumentalisme, du mode d’exposition et de l’aspect parallélépipédique et incliné des monolithes80. Ces types d’attribut ont aussi été retrouvés sur les structures de Djohong et de Yikpangma dans la zone charnière entre l’est et l’Adamaoua81. Dans les massifs dits Nyem-Nyem82 et à Tchabbal Mbabbo83, des monolithes d’allure ancienne aux traits comparables ont été retrouvés84. Plus loin, dans le pays bamiléké et le plateau de Bamenda, des structures en pierre rappellent, par leur caractère monumental et dense, les Tazunu. Certains spécimens mégalithiques comme ceux de Bambalang et de Bamali font plus de 5 m au-dessus du sol85. Chez les Dowayo, les productions de type 2 se distinguent aussi par les proportions plus imposantes des pierres (certaines dépassent 1,5 m). Des observations comparables ont aussi été faites sur les productions de leurs voisins orientaux, particulièrement celles des représentants des langues adamaoua. Abdou Saïdou et Sambo Hassimi86 signalent par exemple le fait que les grandes pierres sont courantes chez les Tibolgui (Mambay) de l’arrondissement de Bibémi (villages Katchéo, Lazoua et Piaga). L’examen des données ethnographiques et archéologiques du Faro montre également que l’aire de répartition des pierres de grande taille s’étend en direction de l’est. Géographiquement, il est plausible que ce trait se soit diffusé à partir de la région de Bouar, où le mégalithisme est connu dès le dernier millénaire BC87.
- 88 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 51-54.
- 89 J.-P. Notué, 2007-2009, p. 35.
- 90 R. Fardon, 1988 ; A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2011, p. 21, 2020 ; N.S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua- (...)
- 91 R. Boyd, 1989, p. 178-215
- 92 Le kolena est le parler des Kolbila, une fraction des tchamba qui se sont réfugiés dans les monts B (...)
- 93 R. Fardon, 1988, p. 325-330.
52Un rapprochement peut aussi être établi dans le cas de la relation du monolithe et du poteau de bois fourchu ou filiforme. Cette association est spécifique des productions du type 2 du Faro. Le poteau y montre des motifs géométriques gravés (sur le tronc) et des reliefs représentant des figures de formes vulvaire et phallique. Par rapport aux types de combinaison poteau sculpté-monolithe, ces représentations évoqueraient les genres féminin ou masculin des ancêtres représentés88. Plus loin, dans les Grassfieds, J.-P. Notué89 en signale l’emploi dans la localité de Mbatu (plateau Bamenda) où un assemblage montrant un poteau fourchu marqué de bandes de couleur rouge combiné avec une pierre dressée matérialise le pouvoir de l’ensemble des notables. La présence de ce mode d’association dans le plateau de Bamenda pourrait suggérer une diffusion culturelle de ce trait à partir de la région du Faro. En effet, les traditions orales collectées dans un certain nombre de chefferies de la région de Bamenda, dont Balikumbat, Baligansin, Baligashu et Baligam, font provenir certaines de leurs populations de la plaine du Faro-Déo90. C’est l’installation massive des Foulbé du début du xixe siècle qui aurait brutalement vidé la plaine de ses occupants et provoqué des migrations vers la région de l’Ouest du Cameroun. Cette hypothèse d’une arrivée de nouveaux venus dans Bamenda est renforcée par la linguistique, étant donné que les occupants de Balikumbat, de Baligansin, de Baligashu et de Baligam sont les représentants du daga nyonga ou tchamba bali, un parler qui appartient au groupe leko ou groupe 2 de Boyd 91, où l’on retrouve également le tchamba et le kolena92, deux ensembles géographiques distincts et distants du premier93, le leko. Ces arguments confortent l’idée d’une origine septentrionale du poteau de bois.
- 94 F. Dumas-Champion, 1986 ; N.S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 82.
- 95 N. S. Tchandeu, 2007-2009, p. 77.
- 96 J.-P. Notué, 2007-2009, p. 35.
53Une autre spécificité du Faro est qu’en territoire koma, les structures en pierre sont très souvent associées à une ou plusieurs meule(s) mobile(s) et/ou à un ou des broyeur(s) représentant les caractères sexuels ou la fécondité. Le monolithe symbolise l’homme, la meule la femme, le broyeur l’enfant94. Ce type d’affiliation est aussi répandu chez Kapsiki des monts Mandara. Elle y sert à signaler la tombe de la femme95. Ce mode de combinaison a aussi été reconnu dans la chefferie de Mbatu (dans les Grassfieds), où deux boules de percussion accompagnent un couple de monolithes : la paire de pierres dressées représentent Tagni et Magni (le père et la mère), les boules les jumeaux96.
- 97 F. Dumas-Champion, 1997, p. 339-347 ; N.S. Tchandeu, A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 77-92.
- 98 J.-P. Notué, 2007-2009 ; N.S. Tchandeu et al., 2019, p. 89.
- 99 N.S. Tchandeu et al., 2019, p. 67-88.
- 100 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2020, p. 399-422.
54Il est rare de voir au Faro des mégalithes toujours utilisés qui ne soient pas automatiquement associés à la prolifération du cissus quadrangularis et de l’alliacée à caractère sacré, prophylactique et thérapeutique97. En pays bamiléké, le mégalithisme revêt également une dimension environnementale très forte98. Le monolithe n’est rien ici sans certains éléments naturels tel que l’arbre de la paix nfeukeng, qui fait partie des plantes sacrées les plus utilisées dans le monde végétal local. À Bansoa, dans les Grassfields, N.S. Tchandeu, W.V. Kengné et W-Y. Fokam Noulé rendent ainsi compte du rapport étroit des mégalithes à certaines espèces comme le baobab, le fromager, l’eucalyptus ou l’arbre de la paix nfeukeng. L’environnement y participe au marquage des grades sociaux et à la sacralisation des lieux abritant les structures en pierre99. Les comparaisons entre les spécimens anciens et actuels du Faro et les structures en pierre de l’aire culturelle soudano-sahélienne et de la région de l’Ouest du Cameroun permettent également de penser à la présence d’un fond culturel ancien au sein de cette immense aire culturelle. Ce substrat de civilisation mégalithique commun entre ces diverses populations est perceptible aujourd’hui à différents niveaux et particulièrement ceux-ci : rapport pierres-objets accompagnant, relation monolithe-environnement sacrés, type d’exposition, morphologie, structure et système d’idées et de croyances. Peu à peu, ce support commun va être plus ou moins modifié, à travers les mouvements de populations moins denses vers le sud. La guerre sainte foulbé du début du xixe siècle est l’une des causes communes de transformation des traditions mégalithiques. Après 1810, les Foulbé vont prendre le contrôle de la plaine du Faro et provoquer des départs importants vers les massifs refuges. L’ordre politico-religieux centralisé foulbé va démanteler l’ancien réseau religieux et rituel en place pour imposer l’islam et sa culture100. Les changements de pratiques se sont aussi faits par d’autres biais tels que le commerce, la mode et les mariages.
- 101 F. Dumas-Champion, 1986, 1987.
55Au moment où débutaient nos travaux, le Faro était presque terra incognita du point de vue mégalithique. Seule Dumas-Champion101 y avait collecté des données sur les pierres dressées aux côtés d’informations sur les fétiches et l’organisation politique. Elle s’était focalisée sur une petite zone des monts Alantika. Une bonne partie du Faro restait donc très mal connue.
56Ce travail fournit actuellement un premier inventaire et une carte des villages mégalithiques du Faro où les structures en pierre s’observent sur les deux rives de la rivière. On peut supposer que ce phénomène était probablement plus dense il y a deux siècles et se retrouvait probablement dans des secteurs que nous n’avons pas eu l’occasion de prospecter. Dans des sites anciens, sur le territoire actuel des Foulbé et Bata, on n’en trouve plus. Les marges de ce phénomène sont plus étendues à l’est et à l’ouest, c’est ce que suggère, en tout cas, l’existence de pierres dressées dans une bonne partie de la Haute Bénoué, c’est-à-dire l’aire comprise entre sa source, la Bénoué (au Cameroun) et son confluent avec le Gongola (au Nigeria). Il est possible que la séquence du mégalithisme au Faro s’étende du milieu du dernier millénaire jusqu’à l’actuel comme les traditions orales le suggèrent. Malheureusement, il n’existe pas encore de fouilles, ni de datations absolues sur les villages étudiés pour en être certain. Par ailleurs, ces monuments sont de plus en plus menacés de destruction par de nombreux facteurs dont la scolarisation, l’islamisation, l’exode rural, l’aliénation culturelle, les phénomènes de mode, l’ignorance, l’indifférence etc. Cet inventaire apporte une première base pour la formulation de plans concrets pour sauvegarder, conserver et promouvoir cette richesse patrimoniale.
57Le deuxième résultat de ce travail est l’établissement d’une typologie sommaire des pierres dressées du Faro. Elle montre trois principales formes d’associations dont le type 1, indiqué par un monolithe ou groupe de pierres dressées, le type 2 signalé par un ensemble de pierres dressées accompagné des poteaux en bois et le type 3, reconnaissable par des cercles de pierres et de meules creuses. Le type 1 est distribué sur l’ensemble de la région alors que les deux autres types (2 et 3) correspondent à deux zones d’habitats culturels particuliers ; la rive est du Faro et la rive ouest du même cours d’eau. La description détaillée des spécificités morpho-stylistiques des pierres dressées du Faro, ainsi que l’analyse de leur distribution territoriale, permettent ainsi de rendre compte de l’homogénéité et de l’hétérogénéité et donc de toute la complexité du phénomène mégalithique et de l’existence de variabilités régionales à considérer comme relevant de choix influencés par la sphère culturelle et sociale comme nous l’avons montré ci-dessus.
58Il est intéressant de conclure que dans les contextes subactuel et actuel, la pierre de type 1 correspond à un lieu à caractère thérapeutique, symbolique ou religieux. Les pierres accompagnées de poteaux sculptés (type 2), en plus de leur fonction strictement funéraire, peuvent être qualifiées de mégalithisme « commémoratif » puisqu’elles sont essentiellement dressées en l’honneur des patriarches et des individus les plus méritants. Les cercles de pierres (type 3), en revanche, sont principalement utilisés comme autel pour les cultes du vome.
- 102 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2017, p. 275-280.
59Enfin, nous avons étudié les pratiques mégalithiques actuelles et subactuelles du Faro afin montrer en quoi une telle démarche peut servir à éclairer l’histoire récente de cette région. Pour la strate ancienne de peuplement commun aux deux rives de la rivière Faro, l’étude du mégalithisme indique bien l’existence d’une homogénéité culturelle, à l’instar des approches historiques antérieures. Cette uniformité se manifeste d’abord au niveau de la distribution des mégalithes de type 1. Ensuite, le continuum culturel peut être révélé par des éléments aujourd’hui en voie de disparition, comme un monumentalisme, une association pierre et végétaux (cissus quadrangularis et alliacée) et une pratique généralisée de l’usage de poteaux en bois sculpté. D’après la tradition orale, le poteau en bois était jusqu’à une époque récente courant sur les deux rives de la rivière Faro. Il ne serait donc pas étonnant que le type 2 qui montre systématiquement des poteaux en bois sculptés et gravés, soit une persistance d’un fond de civilisations qui aurait fait partie d’un continuum rituel, religieux et symbolique étendu sur la région. Cette idée de reliquat d’un ancien système est renforcée par les décors présents sur les poteaux de bois, qui évoquent les ornements obtenus à la roulette en bois gravée, reconnus dans la séquence de la poterie du Faro dès le xiiie siècle de notre ère et encore employés aujourd’hui102. Le fait que les pratiques mégalithiques du Faro rappellent celles de l’aire culturelle soudano-sahélienne et des Grassfields conforte l’idée d’un fond régional de traditions mégalithiques.
- 103 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2023, p. 35-66.
60En ce qui concerne les influences occidentales vere, on a noté que les cercles de pierres (pierres de type 3), comme d’autres symboles-emblèmes du vome (poteries ornées de boutons appliqués, sceptres, flûte, couteau de circoncision, rhombes…) sont surtout distribués sur la rive ouest (aire des monts Alantika). Le fait que cette aire de comportements magico-religieuse et symbolique coïncide de façon nette avec l’aire d’influence des forgerons et des potières vere permet de penser que ces choix techniques se justifieraient par l’existence d’un habitus présentant surement un lien avec l’univers culturel vere. On peut conclure ici que la région des monts Alantika (rive ouest) est une aire très dynamique et très exposée à un vaste faisceau d’influences principalement issues de chez les Vere des plaines nord-occidentales du Nigeria103. Ces influences vont se greffer sur un fond de peuplement ancien commun à toute la région et apporter des modifications que l’on peut discerner dans de nombreux aspects de la vie rituelle, religieuse, symbolique et économique comme nous l’avons démontré. Les dresseurs de pierres dowayo et koma feraient partie des descendants actuels de ce substrat ancien de peuplement. L’étude morpho-stylistique et fonctionnelle de leur patrimoine mégalithique révèle deux spécificités stylistiques et fonctionnelles régionales ; le mégalithisme commémoratif qui se développe sur la rive est (type 2) et les cercles cultuels qui se localisent sur la rive ouest (type 3). Ces grandes tendances culturelles, singularisent ces territoires, mais s’interpénètrent à la fois suffisamment pour attester de l’existence d’un fond commun pour l’ensemble de la région.
- 104 A. Mezop Temgoua-Noumissing, 2020, p. 399-422.
61En l’état actuel des recherches, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle, l’émergence de ces spécificités peut se justifier par plusieurs facteurs dont l’occupation massive de la région par les Foulbé, les phénomènes de mode, le commerce, les mariages, l’importance religieuse des forgerons vere etc. L’impact des Foulbé va peser lourd dans le devenir des populations du Faro. En effet, à partir du début du xixe siècle, les Foulbé vont massivement s’implanter et imposer l’islam et leur culture aux populations des basses terres réduites à l’esclavage ou tout simplement soumises. Ils ont provoqué le démantèlement du réseau religieux et rituel ancien et la division de la région en deux104. Les Bata et certains groupes tchamba qui ont choisi de se soumettre eux, y ont d’ailleurs connu une assimilation religieuse presque totale (ils affirment eux-mêmes avoir abandonné certaines de leurs croyances et rites propres, qu’actuellement ils qualifient de pratiques animistes). C’est en s’installant au milieu des Koma et Dowayo, que les Foulbé auraient entraîné la mise sur pied de deux sphères géographiques d’échanges indépendantes. Celles-ci se traduisent au niveau de la distribution des mégalithes par l’existence de deux spécificités régionales, ce qui s’observait déjà sur la répartition de la poterie actuelle.
62Il apparaît que l’étude des pierres dressées, pour peu que l’on la mène dans une perspective aussi large que possible, se révèle un moyen efficace, pour reconstituer certains processus d’interactions sociales. Pour conclure, je voudrais souligner le potentiel d’informations historiques que contient cette catégorie de monument.