Navigation – Plan du site

AccueilNuméros20L’art de l’escrime (xve-xviie siè...

L’art de l’escrime (xve-xviie siècles)

Traduire sur le papier un monde visuel et sensoriel
The Art of Fencing (15th-17th centuries). Translating onto paper a visual and sensory world
Pierre-Henry Bas

Résumés

L’art de l’escrime repose essentiellement sur l’art d’observer et l’art de toucher. Cet article propose d’exposer comment ces deux expériences sensorielles ont été conceptualisées et illustrées dans les traités d’escrime et de lutte des xve, xvie et xviie siècles. L’escrime théorique s’est développée à partir de la fin du Moyen Âge à travers la production et la circulation des traités d’escrime. Rédigés par des maîtres d’armes et des passionnés d’escrime, ces ouvrages techniques traitent du maniement de nombreuses armes différentes et proposent de multiples techniques et tactiques. Ces dernières sont expliquées et illustrées de manières variées, par plusieurs moyens graphiques et géométriques assez originaux. Ils nous permettent de comprendre comment les notions de temps, de mouvement et d’espace étaient perçues, conceptualisées et expliquées au lecteur, à l’aide de stratégies discursives et visuelles détaillées dans ce travail.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Ms.3227a, anonyme, appelé « codex Döbringer », Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, circa 1389 ( (...)

« C’est pourquoi, combattant, apprend à bien ressentir »1

1La vue et le toucher sont deux sens indispensables à la pratique de toutes les activités martiales. À l’instar de l’escrime ou de la lutte, il est impossible d’affronter un adversaire correctement sans pouvoir le localiser ou analyser ses actions offensives ou défensives. L’aveugler momentanément quand c’est possible, à l’aide par exemple d’une cape ou d’un bouclier est même un avantage tactique indéniable. Le toucher, qui pourrait paraître d’une importance moindre, est cependant un élément capital en combat. En lutte, il est nécessaire pour pouvoir évaluer le rapport de force avec l’adversaire, la position dans l’espace de celui-ci et son propre équilibre afin de ne pas tomber. En escrime, à l’épée ou avec n’importe quelle arme, l’engagement de la lame ou du fer de l’adversaire permet de le contrôler ou au contraire de céder face à celui-ci, mais également d’évaluer la portée de l’adversaire et la distance qui nous sépare de lui.

  • 2 Pierre-Henry Bas, « Introduction à l’expérimentation gestuelle du combat médiéval », Bien dire et b (...)
  • 3 À noter que le Frühneuhochdeutsch reste un terme de l’historiographie moderne allemande.
  • 4 Sydney Anglo, The Martial Arts of Renaissance Europe, Londres et New Haven, Yale University Press, (...)
  • 5 En réalité, les cas sont assez variables pour les manuscrits du xve siècle qui ne précisent pas l’a (...)
  • 6 Pierre-Henry Bas, « Restitution des gestes martiaux : évolutions et révolutions au milieu du xvie s (...)
  • 7 Sydney Anglo, L’escrime, la danse et l’art de la guerre. Le livre et la représentation du mouvement(...)

2Ces réalités, nous les connaissons non seulement à partir de l’expérimentation actuelle des gestes et du maniement des armes historiques menée par plusieurs chercheurs2, mais surtout grâce à l’étude des ouvrages et traités d’escrime et de lutte, appelés aussi en haut-allemand précoce3 livres de combat (Fechtbücher), bien connus des historiens étrangers4. Ces ouvrages sont rédigés par des maîtres d’armes et des passionnés d’escrime, principalement germaniques et italiens au cours des xve, xvie et xviie siècles. Qu’ils soient manuscrits ou imprimés, l’image y joue souvent un rôle primordial. L’illustration, réalisée le plus souvent par des ateliers en collaboration avec l’auteur5, permet de matérialiser cette relation à l’espace, à la matière, à la distance, au geste, au mouvement et à la vitesse. Toutefois, c’est souvent le texte qui accompagne et commente l’image qui nous permet de comprendre les intentions et les projets de l’auteur ou de l’illustrateur6. Ces écrits sont empreints de principes et d’axiomes qu’il est nécessaire de définir, de contextualiser et d’expérimenter afin de ne pas tomber dans le piège de l’analyse anachronique. Si ces questions ont déjà été abordées7, une étude plus détaillée de chaque œuvre est un travail qui reste à faire.

  • 8 Dans sa thèse, Pierre-Alexandre Chaize recense trente-sept manuscrits pour le xve siècle et quarant (...)
  • 9  Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin (dir.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance a (...)
  • 10 Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit., p. 142-149.
  • 11 Rainer Welle, “…und wisse das alle hôbischeit kompt von deme ringen” Der Ringkampf als adelige Kuns (...)
  • 12 Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit., p 149-156.

3Les ouvrages techniques traitent du maniement d’une multitude d’armes, comprenant différents styles d’épées comme les épées à deux mains, les longs couteaux et surtout les rapières, et plusieurs variétés d’armes d’hast avec leur hampe, comme la lance, la pique ou la hallebarde. Environ quatre-vingts manuscrits ont été réalisés durant la fin du Moyen Âge et plus d’une centaine d’ouvrages concernent les xvie et xviisiècles8. Mais tous ne sont pas nécessairement illustrés. Certains de ces ouvrages sont des aide-mémoires, des recueils, des livres de prestige adressés à la noblesse ou des traités théoriques. La systématisation de l’approche didactique et le processus de « réduction en art »9, autrement dit la volonté de synthétiser grâce au dessin ou à l’illustration la classification d’un savoir général, se développe de façon importante avec l’essor de l’imprimerie10. Néanmoins, considérer ces ouvrages de combat sous l’angle exclusivement pédagogique, soucieux de l’assimilation pratique de techniques de combat complexes, est contestable. Loin d’être systématiquement des traités à l’approche didactique et encore moins des manuels, manipulables et facilement consultables, ces documents sont le plus souvent, tout d’abord, des tentatives de rationalisation de l’art du combat (Kunst des Fechtens) à travers la description des gardes, des postures, des techniques de combat avec différents types d’armes ou sans armes dans le cadre de la lutte (Ringen)11. Dans un second temps, la géométrie, notamment par l’utilisation du point, de la ligne et du cercle, sera un nouvel outil permettant de s’assurer de la bonne compréhension des gestes de la part du lecteur12.

4La forte place laissée à la théorisation dans ces ouvrages peut s’expliquer partiellement par le contexte rédactionnel et l’identité des auteurs. Certains maîtres d’armes du xve siècle ont une approche didactique de leurs connaissances et utilisent principalement l’image comme support. D’autres, le plus souvent issus du milieu bourgeois, s’appuient davantage sur le texte accompagné ou non d’images dans une démarche d’inscription et de conservation des savoirs. Cette réalité, qui perdure durant tout le xvie siècle, est encore assez manifeste au xviie siècle. Mais c’est la vocation utilitariste du traité d’escrime comme support théorico-pratique et non comme manuel purement pratique et synthétique qui invite aux longs développements théoriques de certaines notions fondamentales et universelles comme le sont la perception du temps, du mouvement et de l’espace.

5Dès lors, la question que nous pouvons nous poser est celle des procédés techniques et figuratifs qui concernent la question des sens et qui semblent nécessaires à la compréhension et à l’éventuelle transmission d’un savoir technique aussi tangible et matériel que peut l’être l’art du combat.

6Dans cet article, nous proposons ainsi d’exposer comment les sens et différents éléments physiques, spatiaux et temporels ont été illustrés, conceptualisés et représentés et quels en sont les intérêts. Pour ce faire, après avoir abordé la question de la perception visuelle du temps et du mouvement, puis celle du sens du toucher et de sa matérialisation dans des illustrations issues de certains ouvrages majeurs de l’histoire de l’escrime, principalement germaniques, français et italiens des xve, xvie et xviie siècles, nous aborderons différentes questions relatives à l’escrime et à sa figuration.

Visualiser le temps, le mouvement et la vitesse

Représenter le mouvement

  • 13 Pierre Parlebas, Jeux, sports et sociétés, lexique de praxéologie motrice, Paris, INSEP-Éditions, 1 (...)
  • 14 Aristote, Physique, l. II, ch. ii, Métaphysique, l. I, Éthique à Nicomaque, l. VI, ch. iii ; Didier (...)
  • 15 Par exemple Angelo Viggiani Dal Montone, Lo Schermo, Giorgio Angelieri, Venise, 1575, 1588, p. 63v°
  • 16 Aristote, La Physique, trad. du grec par Annick Stevens, Paris, Vrin, 2008, p. 182 ; Agnès Pigler. (...)

7La perception des gestes et des techniques appelés en science du sport actions motrices13 et les techniques de retranscription ou d’illustration utilisées sont indissociables de la manière qu’ont les auteurs de concevoir le monde qui les entoure. Au Moyen Âge et à la Renaissance, leur paradigme n’est évidemment pas celui de la physique classique, mais bien celui de la physique aristotélicienne14. Pour le philosophe Aristote, cité dans plusieurs ouvrages d’escrime15, le temps ne peut être mesuré sans le mouvement et inversement, le mouvement permet de mesurer le temps16. Suivant cette logique, les gardes sont initialement des postures statiques momentanées qui servent à attaquer et à se défendre. Elles sont avant tout des positions dans l’espace, reconnaissables, qui conduisent les auteurs à les définir, à les classer, mais surtout à les représenter. Rares sont en effet les manuscrits illustrés qui n’exposent pas les gardes dans leurs premiers folios. Il peut même s’agir dans certains cas des seules rares illustrations, comme dans le Codex 44 A 8 (fig. 1), car elles restent le point de départ et d’arrivée de très nombreuses actions.

Fig. 1

Fig. 1

La garde de la charrue (Pflug) contre la garde du bœuf (Ochs) à l’épée à deux mains. Ces deux gardes permettent de se défendre de différents coups et d’estoquer l’adversaire avec la pointe. (Codex 44 A 8 (Codex 1449), appelé « Peter von Danzig », Rome, Biblioteca dell’Accademica Nazionale dei Lincei e Corsiniana, 1452, f°1v°).

  • 17 Appelées le plus souvent Guardie en italien et Hutten en allemand.
  • 18 Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung der freyen Ritterlichen unnd Adelichen kunst des Fechtens : (...)
  • 19 Pour le dialogue comme genre, voir Virginia Cox, The Renaissance dialogue, Literary dialogue in its (...)
  • 20 A. Viggiani Dal Montone, op. cit., p. 63 et 63 v°.
  • 21 “[...] dan zu solchem warten gehöret kunst unnd grosse erfahrung” (Joachim Meyer, op. cit., liv. 1 (...)

8Ainsi, les gardes participent à la matérialisation du mouvement. Un geste, une attaque ou une défense nécessitent a minima de passer d’une position de garde à une autre, le mouvement est alors conçu comme un itinéraire entre plusieurs positions fixes. Le plus souvent la décomposition du mouvement peut impliquer une trajectoire passant par une ou plusieurs gardes17. Ce paradigme est partagé par l’ensemble des maîtres du xve au xviie siècle, notamment le maître d’armes germanique de la fin du xvie siècle Joachim Meyer. Celui-ci se base clairement sur ce concept pour expliquer les différentes gardes et la trajectoire des coups donnés à l’épée à deux mains, qui viennent du haut vers le bas ou du sens inverse, lesquelles passent par la garde de la longue pointe (Langort), avec l’épée et la pointe tendues vers l’adversaire18. Il en est de même chez les Italiens, comme chez Angelo Viggiani, qui, à l’occasion d’un dialogue philosophique19 entre le maître Rodomonte et le philosophe Boccadiferro, précise que le temps est un mouvement et la garde un repos20. L’adversaire est donc perçu comme une cible mouvante, adoptant un ensemble de gardes et de postures, à partir desquelles il va pouvoir se défendre ou exécuter un certain nombre de techniques. À l’instar du jeu d’échecs où les tactiques et les combinaisons sont très nombreuses, mais limitées lors de chaque coup en fonction du positionnement des pièces, les auteurs rappellent que l’escrimeur doit observer son adversaire et connaître sa propre position afin d’anticiper quel coup réaliser et c’est pourquoi l’observation nécessite « de l’art et une grande expérience »21.

  • 22 Merci au maître Jean-Luc Pommerolle pour cette définition.

9Par conséquent, suivant la logique aristotélicienne, comme nous l’avons vu, la perception du mouvement reste inséparable de celle du temps. Le temps en escrime n’est pas le temps chronologique qui se mesure en minutes et secondes. Si plusieurs définitions du temps et de sa décomposition existent ou ont pu évoluer en fonction des périodes historiques, le temps est essentiellement « une notion temporelle, celle de la durée nécessaire, l’intervalle de temps, à l’accomplissement d’une action simple sans pour autant que celle-ci n’inclut une notion de vitesse »22. Le temps peut également marquer le rapport entre deux actions réalisées au même moment par deux adversaires : sans une coordination parfaite, deux escrimeurs ne s’exécuteront pas nécessairement au même instant ou dans le même temps. Cette comparaison recouvre donc les notions de mouvement, de vitesse (rapidité ou lenteur) et de changement de rythme. Mais l’élément le plus important dans le cadre de cette étude est que les escrimeurs comme les auteurs ne perçoivent le temps qu’à travers le mouvement et que l’enchaînement de mouvements crée une chronologie, rendue visible par les illustrations des traités qui en rendent compte.

  • 23 Sydney Anglo, L’escrime, la danse et l’art de la guerre, le livre et la représentation du mouvement (...)
  • 24 Pascal Brioist, « La réduction en art de l’escrime », op. cit.

10La logique de percevoir le temps comme un enchaînement de positions dans l’espace par rapport à un enchaînement de positions adverses va aboutir à deux principes : celui de la prise d’initiative que nous aborderons ci-dessous et celui de la recréation du mouvement par un procédé graphique appelé parataxe. Ce dernier consiste à juxtaposer des positions afin de recréer le dynamisme de l’action23. C’est la naissance de la kinésiologie de l’escrime. L’exemple du traité de 1553 de l’architecte Camillo Agrippa reste l’un des témoins exceptionnels de ce procédé figuratif (fig. 2)24.

Fig. 2

Fig. 2

L’escrimeur (à gauche) en position N contre-attaque en position I, son adversaire (à droite) qui l’attaque en position I, avant de revenir en positon en A. (Camillo Agrippa, Trattato di Scientia d'Arme, con vn Dialogo di Filosofia, Rome, Antonio Blado, 1553, ch. xiii).

  • 25 Par exemple, Hans Talhoffer, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod.Icon. 394a., 1467, f° 33r°-34 (...)
  • 26 Girard Thibault d’Anvers, Academie de l’espée de Girard Thibault d’Anvers ou se demonstrent par rei (...)

11La gravure du chapitre xiii de l’œuvre de Camillo Agrippa (fig. 2) expose des positions représentées de manière très précise et désignées par une lettre. Elles permettent à la fois de représenter l’action exacte de deux escrimeurs, mais aussi la relation qu’ils construisent entre eux. Malgré ce que suggère l’image, à aucun moment ils ne parviennent expressément à se toucher. L’escrimeur de droite en garde C, une garde expliquée précédemment dans le même ouvrage, simule une attaque grâce à la position I à l’encontre de celui de droite qui est en garde N. Ce dernier réagit par une véritable contre-attaque en I obligeant l’attaquant à se redresser en garde A afin d’éviter ou de parer l’estoc. Si cette technique de juxtaposition d’images sur un ou plusieurs folios existe au siècle précédent, à travers l’illustration de plusieurs phases d’une même technique vue sur un plan sagittal (longitudinal)25, elle est surtout développée chez certains auteurs plus tardifs comme dans l’œuvre illustrée de Girard Thibault d’Anvers qui s’appuie systématiquement sur ce procédé26, comme nous le détaillons dans la section ci-dessous.

Représenter l’adversaire et la distance qui sépare les deux combattants

  • 27 Pedro de Heredia est l’auteur supposé du Livre des leçons, Lionel Lauvernay, Livre des leçons attri (...)

12Le corps de l’adversaire est ainsi intimement lié à la notion de temps et d’espace sur différents plans. D’un point de vue martial, il se compose de différentes surfaces ou cibles à atteindre sur un plan vertical et horizontal. L’arme, les avancées – c’est-à-dire les jambes et les bras –, le tronc ou la tête de l’adversaire ne sont jamais tous situés à la même distance. Il s’agit alors de percevoir à quelle distance exacte – la mesure – se trouvent ces différentes cibles et d’évaluer la distance à parcourir et l’attaque à exécuter afin de les atteindre. À l’inverse, il est indispensable d’observer ces différentes parties du corps se déplacer afin de pouvoir réagir aux mouvements et aux attaques de l’adversaire. Nous pourrions ainsi distinguer comme l’auteur supposé Pedro de Heredia, le fait d’attaquer l’adversaire sur son temps de pieds, sur son temps de main ou sur son temps de mouvement du corps27, c’est-à-dire à l’instant où il bougera son pied, sa main ou son corps.

  • 28 On citera en premier lieu Jeronimo Sanchez de Carranza, De la Filosofia de las Armas y de su Destre (...)

13Les manières les plus efficaces de matérialiser les distances et les mouvements associés au déplacement à exécuter consistent soit à représenter deux adversaires de profil sur un plan frontal dans un espace bidimensionnel, soit à utiliser plusieurs procédés développés au xvie siècle que l’on retrouve pratiquement en totalité dans l’œuvre publiée en 1630 de Girard Thibault. Son projet titanesque s’appuie en grande partie sur des illustrations d’une très grande qualité. Très certainement inspiré par les écoles hispaniques de la « Verdadera Destreza », la véritable adresse28, il fonde sa démonstration géométrique sur l’usage d’un « cercle mystérieux » projeté sur le sol (fig. 3). Ce cercle lui permet d’y placer la position des deux tireurs, mais également la position des épées.

Fig. 3

Fig. 3

Plan de terre avec différents déplacements circulaires au sol matérialisés par des lignes et des empreintes de pas. À droite et en dessous, illustration de la portée de l’épée et division de sa lame en douze sections. Tabl.1, cercle n°4, Contenant la déclaration de la mesure des trois approches, ou Instances, et comment elles sont représentées en notre cercle, tant sur le diamètre, que sur le carré inscrit, pour aborder l’ennemi de travers (G. Thibault d’Anvers, Academie de l’espée, op. cit.).

  • 29 Par exemple, Voir fig. 3 et 4 ; Joachim Meyer, Bibl. 2465, Munich, National Musuem of Bavaria, Muni (...)

14Mais hormis cette utilisation systématique du cercle, Girard Thibault n’utilise principalement que des outils qui lui sont antérieurs. Tout d’abord, les principes de la délimitation de zones de combat, le plus souvent circulaires ou triangulaires, représentent la distance entre les deux adversaires. Elles peuvent être accompagnées ou non d’empreintes sur le sol matérialisant le déplacement exact à effectuer29.

  • 30 Par exemple : Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, op. cit. ; Camillo Agrippa, (...)
  • 31 Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, op. cit.

15La portée de l’arme peut être représentée de différentes manières, soit par son illustration à différentes étapes, soit, plus rarement, par son ombre projetée sur le sol30. Dans certains cas, son mouvement est représenté par un cercle, ayant pour centre l’articulation de l’épaule, du coude ou du poignet31.

L’apport de la géométrie et de la schématisation

  • 32 Dietl Cora et Georg Wieland (dir.), Ars und Scientia im Mittelalter und in der Frühen Neuzeit : Erg (...)
  • 33 Laetitia Boehm, “Artes mechanicae und artes liberales im Mittelalter. Die praktischen Künste zwisch (...)
  • 34 Filippo di Vadi Pisano, De Arte Gladiatoria Dimicandi, Biblioteca Nazionale, Rome, entre 1482-1487, (...)

16Entre art et science32, l’escrime a très tôt désiré s’imposer comme un art libéral et non comme un simple art mécanique33. Elle est souvent considérée comme une pratique géométrique, avec des attaques linéaires avec la pointe de l’épée, l’estoc, et des attaques le plus souvent circulaires avec le tranchant de la lame, les coups de taille. Deux auteurs sont particulièrement explicites sur le sujet. Le premier, Filippo Vadi34, considère à la fin du xve siècle que l’escrime est bien une science et déclare :

  • 35 Ibid., f°3v° et 4r° (traduction originale Pierre-Alexandre Chaize et Gauthier Petit).

Si quelqu’un souhaite savoir et comprendre / Si l’escrime est un art ou bien une science […] Considère bien mes écrits / C’est une vraie science, et non un art […] La géométrie divise et sépare. / Avec d’infinis nombres et mesures / Et remplit les pages avec science. / L’épée est le sujet de ses soins / Il est bon de mesurer les coups et les étapes / Pour trouver ta vérité dans la science. / L’escrime est née de la géométrie / Elle lui est assujettie, sans fin ; / Et ensemble elles sont infinies […] La musique embellit et assemble / L’art du son et les paroles / Et avec science les rendent parfaits / Ainsi la géométrie et la musique combinent / Leurs vertus scientifiques dans l’art de l’épée / Pour aviver l’étoile brillante de Mars.35

  • 36 Nicoletto Giganti, Escrime Novvelle ov Theatre, avqvel sont representees diverse manieres de parer (...)

17Le second est Nicoletto Giganti, qui au xviie siècle conclut que l’escrime est une science « spéculative, réelle, mathématique, de géométrie & d’arithmétique »36.

  • 37 Cf. supra note 17.

18De face, l’escrimeur adverse est également une cible verticale. Dans une démarche pédagogique, la majorité des traités invite à diviser le corps de l’adversaire en une cible carrée ou circulaire, avec une ou plusieurs croix matérialisant des lignes de coupe, ayant pour centre le visage, le plexus solaire ou le nombril et divisant le corps en plusieurs sections. Une cible qu’il faut atteindre en haut ou en bas, sur la partie gauche ou bien la droite, verticalement ou horizontalement, parfois suivant un ordre bien défini. C’est le cas dans la gravure issue du traité de 1570, intitulé Gründtliche Beschreibung […] der kunst des Fechten, réalisé par Joachim Meyer37 (fig. 4) : le mouvement vers l’avant de l’escrimeur au premier plan et celui sur le côté de l’escrimeur à l’arrière-plan sont matérialisés par des traces de pas. Mais la cible du premier est symbolisée par une cible circulaire avec des lettres de A à H permettant de tracer la trajectoire des coups de taille. Les coups verticaux, diagonaux et horizontaux sur différentes parties du corps humain sont également représentés sur les trois statues à gauche.

Fig. 4

Fig. 4

Travail « au mur », sous l’œil attentif du maître. Les déplacements en avant et latéraux sont marqués par des lignes et des empreintes de pas. Les cibles et lignes de coupe sont présentes sur le mur et matérialisées sur les statues au second plan. (Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung der kunst des Fechten, op. cit, livre trois sur la rapière, p. 41v°).

  • 38 Par exemple, Camillo Palladini, Discorso sopra l’arte della scherma, op. cit. ; Francesco Ferdinand (...)
  • 39 I. de La Haye, Le cabinet d’escrime de l’espee et poingnardt, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, 73. (...)

19Le sens de la vue est donc primordial, car il permet de situer l’adversaire dans un espace en trois dimensions, vertical et horizontal. Certains traités illustrent le regard de l’escrimeur par une ligne pointillée ou non, projetée vers la partie du corps observée38. Un dernier ouvrage, unique en son genre, appelé le Cabinet d’escrime de l’espee et poingnardt du Capitaine Peloquin39, est un bel exemple d’abstraction. Sur une même planche, l’adversaire en tant que cible est représenté de face, symbolisé par un visage. Son corps se résume à un cœur et deux points au niveau de l’entre-jambe et des jarrets. Sur la même illustration, seules l’épée et les empreintes de pas de l’escrimeur qui lui font face sont présentes, le mouvement de l’épée étant représenté par des lignes. L’observation de ces éléments clefs, pied, épée et cible est fondamentale afin d’optimiser l’attaque, la défense et comme nous le verrons, la prise d’initiative.

Le toucher, entre propriété mécanique et philosophie martiale

Le rapport de force chez les Allemands

  • 40 Par exemple, Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung [...] der kunst des Fechten, op. cit ; Giacomo (...)
  • 41 Johann Georg Paschen, kurtze unterrichtigung belangend die Pique/ die fahne/ den jägertock/ das vol (...)

20L’escrime fait appel à la proprioception, c’est-à-dire à la perception consciente ou non de son propre corps à travers le sens de la vue, mais surtout celui du toucher. En effet, la stimulation haptique est fondamentale dans l’art du combat médiéval et moderne, que ce soit en escrime ou en lutte. Le sens du toucher permet d’analyser très rapidement le rapport de force avec l’adversaire. Si ce rapport de force peut être préétabli visuellement, c’est bien le contact direct avec le corps opposé ou l’arme adverse qui est le plus traité dans les sources techniques. Ce rapport de force est la conjoncture de différentes forces et principes biomécaniques. Axes de rotation, bras de levier, moment d’une force sont autant d’éléments à considérer lorsqu’il s’agit de parer l’attaque ennemie, de repousser son arme ou de céder à la force. L’escrime en général et l’escrime germanique de Liechtenauer en particulier, fonde une partie de sa pratique sur le « sentiment du fer », ce rapport de force passif et actif. Passif, car comme l’expliquent les maîtres en l’illustrant graphiquement avec des traits et des cercles, la lame d’une épée est divisible en plusieurs parties40. Près de la garde se situe le fort de la lame (Stark) qui permet de parer et d’avoir plus de force, car l’interception se trouvera proche de la main. Le fort s’oppose au faible (Schwerch) de la lame qui se situe entre le milieu de la lame jusqu’à la pointe et qui sert à tailler ou à estoquer l’adversaire avec plus de force d’impact et de portée. Plus rarement, c’est le corps humain tout entier qui dans le cadre de la lutte est conceptualisé et illustré en un ensemble de parties fortes et faibles, notamment pour Johann Georg Paschen, où « le bras d’un homme est divisé en trois parties : le fort, le demi-fort et le faible »41.

21Grâce à ces conventions, il est possible d’évaluer la force de l’action de l’adversaire ou sa résistance. Cette analyse se fait lors du liement (Anbinden) avec l’arme adverse : dès le contact avec le fer de l’autre, il est possible de déterminer s’il est fort (stark) ou faible (swach) ; dur (herte) ou mou (weich). Ces deux ensembles de sensations peuvent se confondre, du fait que les deux notions sont mécaniques. Cependant, comme nous l’avons vu, le premier est statique puisqu’il s’agit du fort et du faible de l’épée :

  • 42 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 16r° et 16v°).

Et comprends ceci ainsi : de la garde jusqu’au milieu de la lame se trouve le fort de l’épée, avec lequel tu peux bien résister si quelqu’un t’y lie. En outre, du milieu jusqu’à la pointe se trouve le faible, avec lequel tu ne peux pas résister.42

22Le second est à la fois dynamique et cinétique, car il dépend de la force allouée à l’action et de son rapport avec l’objet adverse. Dans la pratique cela s’explique par le fait d’être plus fort que son adversaire. Après avoir évalué l’action de celui-ci, la force allouée est ajustée, afin d’assujettir et non pas systématiquement écraser totalement l’arme adverse avec toujours comme objectif de conserver un axe vers les cibles à atteindre. Dans la théorie, cela s’explique par les influences antiques :

  • 43 À noter qu’Aristote est une « auctoritas », voir Bénédicte Sère, « Aristote et la Bible : d’une aut (...)
  • 44 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 22r° et 22v°).

C’est ce que dit Liechtenauer avec les mots suivants : « mou et dur » ; et cela provient de l’auctoritas43, comme le dit Aristote dans le livre Peryarmenias opposita : « les opposés se distinguent mieux quand ils sont placés l’un à côté de l’autre, ou bien en face de l’autre » faiblesse contre force, force contre faiblesse, dureté contre mollesse, et equetur. Si la force est seulement opposée à la force, alors c’est toujours le plus fort qui gagne. Voilà pourquoi l’escrime de Liechtenauer est un l’art juste et véritable, de manière à ce qu’un homme faible puisse vaincre de la même manière un fort (et sa force), grâce à sa ruse et son art. C’est pourquoi, combattant, apprends à bien ressentir.44 

  • 45 Pierre-Alexandre Chaize, « Les normes et les règles de rédaction d’un savoir-faire gestuel. L’exemp (...)

23Peri Hermanias ou De Interpretatione est un ouvrage d’Aristote aujourd’hui inclus dans l’Organon. Il traite du rapport entre les mots, plus spécifiquement de la quantité et de la qualité des propositions et de leur rapport d’opposition. Il s’agit donc d’une application de concept dialectique et rhétorique au domaine physique. Il est possible d’y voir les fondements du cheminement intellectuel et philosophique de l’escrime germanique liechtenauerienne et de mettre en relation différentes gardes, techniques et coups sous la forme d’un carré logique ou carré d’Apulée45. En ce qui concerne le domaine haptique, on retiendra ainsi les quatre propositions opposées et subordonnées lors du contact avec la lame de l’adversaire, qui peut se faire plus ou moins éloigné de la garde et de la main, là où réside la force : absolument fort (stark) qui est contraire à l’absolument faible (swach), et le subalterne de l’absolument fort qui est le relativement dur (herte) et qui est également subcontraire au relativement mou (weich).

  • 46 Ms.3227a, op. cit., f° 43r°.

24Il est par conséquent impératif de comprendre et de systématiquement exploiter ces principes durant l’engagement (Anpund) entre les armes. Il ne s’agira jamais comme au cinéma de garder le contact et d’appuyer de toutes ses forces : « Car c’est même misérable de vouloir toujours être le plus fort »46, mais le plus souvent de céder à la force ou de l’absorber afin de pouvoir se déplacer ou frapper de l’autre côté et de garder ou reprendre l’initiative.

Céder face à la force

  • 47 Camillio Agrippa. Trattato di Scientia d’Arme, op cit, part. 32, ch. xxiv, fig. F.

25Ces principes du xve siècle sont toujours observés au xvie et au xviie siècle. Au milieu du xvie siècle, Camillo Agrippa explique cette importance de pouvoir céder à la force (forza) de l’adversaire en associant le corps humain à la figure de la sphère, laquelle se déplace et tourne sur elle-même dès qu’elle est atteinte sur l’une de ses extrémités et non parfaitement en son centre47.

  • 48 Voir fig. 3 et Girard Thibault d’Anvers, Academie de l’espée, op. cit., liv.1, tab. I et tab. IX.

26Girard Thibault d’Anvers au début du xviie siècle détaille quant à lui avec précision ces mécaniques, tout en augmentant à douze les divisions de la lame d’épée, il classe les sentiments de force qu’il appelle le poids, en plusieurs catégories : « mort, sentiment, vif, gaillard, plus-gaillard, très-gaillard, fort, plus-fort et très fort ! »48

  • 49 Par exemple : hellt er starckh wider Inn dem anpinnden : « S’il se tient avec force dans le liement (...)

27Cette importance de la relation tactile avec l’arme ou le corps de l’autre est fondamentale pour de nombreuses formes de combats. Graphiquement, il s’agit certainement du rapport le plus complexe à illustrer. Il est très difficile de représenter si la prise d’un poignet, la saisie de telle ou telle partie du corps se fait avec plus ou moins de force. Le texte peut venir expliciter cette action à l’aide adjectif, le plus souvent en rapport avec la force (starck)49. D’un point de vue tactique, on remarquera le plus souvent une solution à cette problématique. Par convention, l’adversaire qui saisit une partie du corps ou une arme le fait avec une telle force qu’il est impossible de lui résister par une simple opposition inverse. Nécessairement, il faut soit lui céder, soit user d’une tactique pour contrecarrer son action et reprendre l’initiative.

L’escrime : une pratique sensorielle

La prise d’initiative

28La question visant à savoir qui est véritablement l’attaquant et qui est le défenseur est une problématique délicate pour les lecteurs des traités d’escrime. Sans mention textuelle ou d’annotation, une illustration identique peut très bien exposer des prises d’initiatives totalement différentes, principalement du fait que certaines parades et actions défensives sont équivalentes aux attaques. Cette difficulté existe également et même avant tout pour l’escrimeur lui-même. Comment savoir ou sentir si l’on est attaquant ou défenseur ? Une analyse immédiate de la situation est nécessaire, dans laquelle les sens de la vue et du toucher ne suffisent pas sans une solide expérience.

  • 50 Hans-Peter Hils, op. cit.
  • 51 Raoul Clery, Escrime, fleuret, épée, sabre, Paris, édition FFE, 1965, p. 240.
  • 52 Par exemple, Sigmund Ringeck, Mscr.Dresd.C487, Dresde, Sachsische Landesbibliothek, entre 1504 et 1 (...)
  • 53 Ibid.., f° 16r°.
  • 54 Paul-Hector Mair, reprenant les propos de Juden Lew, ms. dresd.C.93, Dresde, Sachsische Landesbibli (...)
  • 55 Codex 44 A 8 (Codex 1449), appelé « Peter von Danzig », Rome, Biblioteca dell’Accademica Nazionale (...)

29La prise d’initiative est assez bien définie textuellement dans l’escrime du maître légendaire Johannes Liechtenauer50 par les notions d’avant (vor) et d’après (nach). L’escrimeur a pour objectif d’être dans le vor, par rapport à l’adversaire qui doit rester dans le nach. Mais il est toujours possible grâce à une action de reprendre ou de gagner cette initiative, le vor en exploitant instantanément une situation créée par l’adversaire, après l’avoir analysée. C’est ce qu’on appelle l’à-propos : « l’art de profiter des inattentions ou des fautes adverses »51. On peut prendre le temps et passer de l’après à l’avant, grâce à une action ou une technique de contre appelée brisement : Bruch52. L’escrimeur doit donc développer ses capacités à maîtriser la situation temporelle, spatiale et psychologique quand il est dans le vor afin de garder et d’exploiter cet avantage, c’est l’attitude offensive. À l’opposé, il peut développer les mêmes capacités dans le nach, afin de passer du nach au vor, c’est l’attitude défensive. Les auteurs précisent qu’il est possible de « gagner l’avant » alors que l’adversaire « reste dans l’après »53, de lui « prendre avec violence l’avant avec l’après »54, ou encore de lui « briser l’avant avec l’après »55. L’objectif est de saisir différentes opportunités et de rendre ses actions imperceptibles à l’adversaire afin de gagner ou de conserver cette initiative :

  • 56 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 15r°).

Lorsqu’un homme veut exécuter convenablement une technique, que ce soit pour le jeu ou pour combattre sérieusement, il doit la rendre étrange et déconcertante aux yeux de son ennemi, afin que celui-ci ne se rende pas compte de ce qu’il a réellement l’intention d’effectuer.56

  • 57 « De même, tu dois maintenant savoir que le sentiment et le mot entre-temps ne peuvent exister l’un (...)

30Néanmoins, pour certains auteurs, le passage du nach au vor ne peut se faire que par rapport à une prise d’information tactile, c’est-à-dire en engageant l’arme adverse lors du liage (anbinden) avec le sentiment du fer (fülen). Ce moment de prise d’information qui peut durer un certain temps est appelé indes, l’entre-temps57. L’indes peut être le temps d’exécution d’une seconde action avant que l’adversaire ne puisse se défendre ou le temps d’exécution nécessaire à la reprise de l’initiative.

31Par conséquent, l’observation est fondamentale dans la prise d’initiative, mais le sens de la vue reste, dans certains cas, intimement lié à celui du toucher. Une fois l’adversaire touché ou blessé avec une vraie arme, l’escrimeur doit continuer à observer l’adversaire afin de se protéger d’une éventuelle riposte. La conséquence du toucher doit ainsi être analysée par le sens de la vue.

Les autres sens dans les traités d’escrime : l’apport des pratiques expérimentales

  • 58 Pierre-Henry Bas, « Introduction à l’expérimentation gestuelle du combat médiéval », op. cit.

32À travers nos études expérimentales58, aussi appelées expérimentations gestuelles, ce processus qui consiste à reproduire et à reconstruire les gestes, les enchaînements et les interactions exposés dans les traités d’escrime et de lutte, on remarque rapidement que de nombreux paramètres techniques sont pratiquement absents des traités. Même associées au texte, les représentations graphiques des mouvements et des positions ne permettent pas toujours de reproduire correctement les différentes actions. Soit parce qu’il s’agit d’un mouvement erroné ou impossible sur le plan biomécanique, soit le plus souvent parce que les iconographies décrivant les gestes et figurant uniquement le sens de la vue et du toucher ne sont pas assez précises.

  • 59  La tortue pour le toucher, le cerf pour l’ouïe, l’aigle sur un miroir pour la vue, le chien pour l (...)
  • 60 Simon Byl, « Le toucher chez Aristote », Revue de Philosophie Ancienne, Bruxelles, Ousia, vol. 9, n (...)
  • 61 Paul-Hector Mair, ms. dresd.C.93, op. cit., f°19r°.
  • 62 Par exemple, Paul-Hector Mair, ms. dresd.C.93, op. cit., f°22r°, pl. 1.
  • 63 Joachim Meyer, “Gründtliche Beschreibung […] der kunst des Fechten”, op. cit.
  • 64 Le sang fait l’objet d’un tabou, néanmoins quelques manuscrits germaniques illustrent des blessures (...)
  • 65 Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions, xvie(...)

33Toutefois, si la vue et le toucher apparaissent comme les deux sens indispensables à la pratique et à la compréhension de l’escrime, on peut s’interroger sur la représentation d’autres sens. On peut s’étonner que les autres sens traditionnels, que sont le goût, l’ouïe et l’odorat, soient pratiquement absents des livres de combat. Girard Thibault y fait seulement référence dans une démarche humaniste avec l’illustration d’un Jupiter face au lecteur, debout sur une tortue, un cerf couché derrière lui, un aigle au-dessus de sa tête, un chien à sa gauche, un singe à sa droite, personnification traditionnelle des cinq sens59. Néanmoins, à ces cinq sens définis par Aristote et ses prédécesseurs60 peuvent aujourd’hui s’ajouter trois autres formes de perceptions omniprésentes en escrime et utile à sa compréhension et à son enseignement. La première est la proprioception ou sens kinesthésique déjà rencontré, celle qui permet de savoir où se situe son propre corps et dans quelle position il se trouve. Par exemple avec une épée longue placée dans la garde du bœufs (Ochs), c’est-à-dire avec les deux mains au-dessus de la tête la pointe dirigée vers l’adversaire (fig. 1), il est important de ressentir sans les voir correctement si les mains sont plus ou moins avancées. Si elles le sont trop, elles peuvent être ciblées, si elles ne le sont pas assez, la garde est d’autant plus défensive et les possibilités techniques sont plus limitées. La seconde est l’équilibrioception, autrement dit le sens de l’équilibre qui aide à prévenir et à anticiper toute chute lors d’un déplacement ou d’une prise de lutte dans un cadre martial. L’équilibrioception est réalisée grâce à la perception et au système vestibulaire situé dans l’oreille interne, informant sur la position et l’orientation du corps. Ce point est fondamental en escrime comme en lutte. Il est nommé balance (Wag) dans le corpus germanique. Cette balance peut être haute, médiane ou basse61 et correspond à l’écartement plus ou moins important des jambes, l’ensemble formant au sol un polygone (appelée aussi surface de sustentation), mais également au poids du corps placé entre les deux jambes ou sur l’une d’elles. Un principe graphique qui n’a pas été exploité, sauf peut-être dans le cas des escrimeurs représentés avec un pied levé62, posé sur la pointe, ou encore formant un angle obtus avec la ligne formée avec l’adversaire comme dans l’œuvre de Meyer63. Enfin, la troisième est la notion de douleur ou nociception. C’est une perception centrale en combat réel ou reliée à la proprioception dans le cadre d’exercices ou d’enchaînements douloureux. La touche est représentée le plus souvent par une giclée de sang, mais paradoxalement à l’instar de la représentation de la douleur, les cas de représentation sont extrêmement rares64. On notera que d’après la représentation de leur expression faciale, les individus atteints et même gravement blessés font le plus souvent preuve d’un stoïcisme certain65. Il en est de même pour les autres émotions, comme la peur ou la colère, qui sont des éléments graphiques difficilement remarquables dans ces ouvrages techniques.

Conclusion

  • 66 Pierre-Henry Bas, Le combat à la fin du Moyen Âge et dans la première Modernité : théories et prati (...)

34La figuration du sentir dans les livres de combat et les traités d’escrime est une question très riche, d’une part parce qu’elle montre toute l’importance des sens du toucher et de la vue dans les pratiques martiales, d’autre part, parce qu’elle permet de s’interroger sur la représentation du mouvement. La conceptualisation et la figuration de la vue et du toucher sont d’une importance majeure pour l’exposition et la transmission des arts martiaux. Elles participent activement à la théorisation du combat, tout en étant soumises à différents contextes et différentes périodes historiques. À l’inverse, l’art du combat est lui-même fondé sur des principes biomécaniques, gestuels, visuels et physiques universels auxquels l’image doit donner vie66. Par exemple, la trajectoire des différentes actions motrices, comme les techniques d’attaque et de défense, et les gardes sont illustrées de plusieurs manières et selon divers procédés techniques. Leurs inscriptions impliquent une conceptualisation et une perception spécifiques des auteurs, intimement liées à la physique aristotélicienne. Pour cette dernière, le temps et le mouvement sont liés et leur figuration fait l’objet de diverses démarches didactiques et pédagogiques. Entre art et science, l’escrime s’insère parfaitement dans différents projets auctoriaux pouvant facilement faire appel à la géométrie et à l’arithmétique.

35Percevoir visuellement et représenter le mouvement comme une série de positions statiques permet ainsi d’exposer un découpage précis du temps non pas chronologique, mais situationnel. L’objectif premier est de visualiser l’adversaire comme plusieurs cibles en mouvement sur le plan vertical et horizontal qu’il faut atteindre. Le second est de pouvoir analyser correctement la distance qui nous sépare de l’adversaire (la mesure), afin de parcourir celle-ci pour l’atteindre ou au contraire dans le but de se prémunir de ses attaques. À dessein de représenter ces distances sur le papier, divers outils graphiques et géométriques, comme la numération, les lignes, les cercles, les triangles, les ombres ou encore les empreintes au sol, peuvent être utilisés. Lors de l’exercice ou de l’assaut, ces outils et formes géométriques servent à la mémorisation et peuvent même être visualisés et projetés sur le sol afin de performer certains déplacements ou former différentes cibles sur l’adversaire qui nous fait face.

36Si le passage du réel à l’image et inversement de l’image au réel semble possible pour les différents paramètres visuels, il n’en est pas de même pour le toucher. C’est pourtant bien par ce dernier que le rapport de force s’exprime objectivement. S’il est essentiel en lutte, toutes les escrimes supposent des engagements au fer entre les deux armes lors des parades ou des battements. Cette interaction est très bien développée dans les écoles germaniques. D’une part, parce qu’elle permet de comprendre l’intérêt parfois de céder face à la force et d’autre part parce qu’elle permet surtout de conserver ou de reprendre l’initiative assimilée à l’avant ; le vor. Pour y parvenir, l’une des techniques principales est de tromper visuellement l’adversaire en lui donnant des mauvaises indications ou en cachant ses propres intentions. Mais pour être sûr d’avoir une bonne prise d’information, le toucher apparaît comme une perception plus fiable que la vue dans la prise de décision tactique. Associée aux rapports mécaniques de fort et de faible présents sur l’objet fonctionnel qu’est une lame d’épée, la sensation de résistance se traduit par les notions de mollesse et de fermeté. Des principes universels en escrime qui traversent les siècles et les frontières jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, plusieurs sens qui n’étaient pas considérés en tant que tels, comme la proprioception ou l’équilibrioception, transparaissent dans les traités sans faire l’objet d’une attention spécifique de l’auteur.

  • 67 Par exemple Jean de Brye déclare en 1721 dans la préface de son traité L’Art de tirer des armes, (...)
  • 68 Voir les travaux d’Etienne-Jules Marey et d’Eadweard Muybridge, The human figure in motion, Londres (...)
  • 69 En réalité depuis plus de dix ans, plusieurs projets concernant la restitution virtuelle des gestes (...)

37L’escrime est un art ou une science, elle est visuelle et tactile. La figuration des sensations est d’une utilité majeure pour la majorité des auteurs. Toutefois, le support purement textuel et purement technique, dénué de tous fondamentaux pédagogiques ou didactiques, reste aussi une réalité pour un grand nombre d’auteurs de livre de combat et de traités d’escrime, pour lesquels l’illustration représente un certain coût financier ou n’apparaît pas nécessaire à leur projet67. Pourtant le développement de la photographie et de la chronophotographie68 au xixe siècle, puis surtout du film et de la vidéo au xxe siècle, montreront comment le support visuel est fondamental dans la transmission d’une culture martiale et des techniques qui y sont associées. D’ailleurs, aujourd’hui, grâce à l’informatique et aux écrans, les projets de ces dernières années impliquent la motion capture, le eye tracking, la réalité virtuelle et les IA génératrices de mouvements69. Mais en ce qui concerne le toucher, le tact, les problématiques se posent encore.

Haut de page

Notes

1 Ms.3227a, anonyme, appelé « codex Döbringer », Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, circa 1389 ( ?), f° 22r°.

2 Pierre-Henry Bas, « Introduction à l’expérimentation gestuelle du combat médiéval », Bien dire et bien aprandre, Combattre (comme) au Moyen Âge, n° 33, Lille, 2018, p. 201-217 ; Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, Croiser le fer, Violence et culture de l’épée dans la France Moderne (xvie-xviiie siècle), Seyssel, Chap Vallon, 2002, coll. « Époques » ; Eric Burkart, “Limits of Understanding in the Study of Lost Martial Arts. Epistemological Reflections on the Mediality of Historical Records of Technique and the Status of Modern (Re-) Constructions”, Acta Periodica Duellatorum, Solymár, vol. 4, n° 2, 2016, p. 5-30 ; Daniel Jaquet, “Experimenting Historical European Martial Arts, a scientific method ?”, dans Late Medieval and Early Modern Fight Books : Transmission and Tradition of Martial Arts in Europe (14th -17th Centuries), Leiden, Brill, 2016, p. 216-245 et Id., « Entre jeux de mains et jeux de mots : Faire l’expérience ou expérimenter les textes techniques…Reproduire ou répliquer les objets… », dans Daniel Jaquet et Nicolas Baptiste (dir.), Expérimenter le maniement des armes à la fin du Moyen Âge/Experimente zur Waffenhandhabung im Spätmittelalter, Bâle, Schwabe, 2016, p. 11-20.

3 À noter que le Frühneuhochdeutsch reste un terme de l’historiographie moderne allemande.

4 Sydney Anglo, The Martial Arts of Renaissance Europe, Londres et New Haven, Yale University Press, 2000 ; Hans-Peter Hils, Meister Johann Liechtenauers Kunst des langen Schwerts, Francfort-sur-le-Main, New-York, Peter Lang, 1985 ; Rainer Leng, Katalog der deutschsprachigen illustrierten Handschriften des Mittelalters Band 4/2, Lfg. 1/2 : 38, Fecht– und Ringbücher, Munich, H. Beck, 2009.

5 En réalité, les cas sont assez variables pour les manuscrits du xve siècle qui ne précisent pas l’auteur des illustrations. On connaît à l’inverse un certain nombre de graveurs pour les traités imprimés ou d’artistes et d’ateliers pour les manuscrits plus tardifs. C’est le cas de Jörg Breu der Jünger pour les œuvres manuscrites de Paul-Hector Mair, par exemple ms. dresd.C.93 et C.94, Dresde, Sachsische Landesbibliothek, mi xvie siècle, ou d’Albrecht Dürer pour ses propres œuvres, Libr. pict. A 83, Berlin, Staatsbibliothek, circa 1512. Pour le détail de ces manuscrits, voir Rainer Leng, Katalog der deutschsprachigen illustrierten Handschriften des Mittelalters, op. cit. À propos des artistes et des graveurs, voir Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit., p. 137-142.

6 Pierre-Henry Bas, « Restitution des gestes martiaux : évolutions et révolutions au milieu du xvie siècle », dans dans Daniel Jaquet et Nicolas Baptiste (dir.), op. cit., p. 72-83.

7 Sydney Anglo, L’escrime, la danse et l’art de la guerre. Le livre et la représentation du mouvement, Paris, édition BnF, 2011 ; Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit.

8 Dans sa thèse, Pierre-Alexandre Chaize recense trente-sept manuscrits pour le xve siècle et quarante-six pour le xvie siècle. 74 % de ces livres de combat sont rédigés en langue germanique. Voir Pierre-Alexandre Chaize, Les arts martiaux de l’Occident médiéval : comment s’écrit et se transmet un savoir gestuel à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat soutenue sous la direction de Bruno Laurioux, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2016, p. 299 et 320.

9  Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin (dir.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008 ; Pascal Brioist, « La réduction en art de l’escrime », dans Ibid., p. 293-316.

10 Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit., p. 142-149.

11 Rainer Welle, “…und wisse das alle hôbischeit kompt von deme ringen” Der Ringkampf als adelige Kunst im 15. und 16. Jahrhundert Eine sozialhistorische und bewegungsbiographische Interpretation aufgrund der handschriftlichen und gedruckten Ringlehren des Spätmittelalters, Pfaffenweiler, Centaurus (Forum Sozialgeschichte, 4), 1993.

12 Pascal Brioist, Hervé Drévillon, Pierre Serna, op. cit., p 149-156.

13 Pierre Parlebas, Jeux, sports et sociétés, lexique de praxéologie motrice, Paris, INSEP-Éditions, 1999, p. 37.

14 Aristote, Physique, l. II, ch. ii, Métaphysique, l. I, Éthique à Nicomaque, l. VI, ch. iii ; Didier Ottaviani, « La méthode scientifique dans le Conciliator de Pietro d’Abano », dans Christophe Grellard (dir.) Méthodes et statut des sciences à la fin du Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, 2004, p. 13-26 ; Hélène Leblanc, “Fight Books in Context: Martial and University Cultures at the Edge of Modernity From Schools to Swords: An Introduction”, dans Hélène Leblanc (dir.), Acta Periodica Duellatorum, Bern, Bern Open Publishing, vol. 11, n° 1, 2023, p. 1-3.

15 Par exemple Angelo Viggiani Dal Montone, Lo Schermo, Giorgio Angelieri, Venise, 1575, 1588, p. 63v°.

16 Aristote, La Physique, trad. du grec par Annick Stevens, Paris, Vrin, 2008, p. 182 ; Agnès Pigler. « La théorie aristotélicienne du temps nombre du mouvement et sa critique plotinienne », Revue Philosophique de Louvain, quatrième série, t. CI, n° 2, 2003, p. 282-305 ; Pierre-Henry Bas, « L’art du combat germanique : images didactiques et gestes martiaux, (xve-xvie siècles) », dans Nicolas Loïc (dir.), Figuration du conflit, Bruxelles, EME Éditions, t. II, 2013, p. 45-63.

17 Appelées le plus souvent Guardie en italien et Hutten en allemand.

18 Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung der freyen Ritterlichen unnd Adelichen kunst des Fechtens : in allerley gebreuchlichen Wehren, mit vil schönen und nützlichen Figuren gezieret und fuergestellet, Strasbourg, Thiebolt Berger, 1570, 1590, 1600, 1610, 1660, liv. 1 sur l’épée à deux mains, ch. iii, p. 10. Traduction proposée par l’auteur : « une description approfondie de l’art libre, chevaleresque et noble de l’escrime, dans toutes sortes de défenses communes, ornée et organisée avec de nombreuses belles et utiles figures ».

19 Pour le dialogue comme genre, voir Virginia Cox, The Renaissance dialogue, Literary dialogue in its social and political contexts, Castiglione to Galileo, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; Michel Le Guern, « Sur le genre du dialogue », dans Jean Lafond et André Stegmann (dir.), L’Automne de la Renaissance 1580-1630, Actes du xxe colloque international d’études humanistes, Paris, Vrin, 1981, p. 141-148.

20 A. Viggiani Dal Montone, op. cit., p. 63 et 63 v°.

21 “[...] dan zu solchem warten gehöret kunst unnd grosse erfahrung” (Joachim Meyer, op. cit., liv. 1 sur l’épée à deux mains, ch. III, p. 31).

22 Merci au maître Jean-Luc Pommerolle pour cette définition.

23 Sydney Anglo, L’escrime, la danse et l’art de la guerre, le livre et la représentation du mouvement, op. cit. ; Pierre-Henry Bas, « Restitution des gestes martiaux », op. cit.

24 Pascal Brioist, « La réduction en art de l’escrime », op. cit.

25 Par exemple, Hans Talhoffer, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod.Icon. 394a., 1467, f° 33r°-34r°.

26 Girard Thibault d’Anvers, Academie de l’espée de Girard Thibault d’Anvers ou se demonstrent par reigles mathématiques sur le fondement d’un cercle mystérieux la théorie et pratique des vrais et iusqu’a present incognus secrets du maniement des armes a pied et a cheval, Leyden, 2 liv.,1630.

27 Pedro de Heredia est l’auteur supposé du Livre des leçons, Lionel Lauvernay, Livre des leçons attribué à Pedro de Heredia, document de travail, 2011, https://www.ffamhe.fr/sources/LLPH.pdf

28 On citera en premier lieu Jeronimo Sanchez de Carranza, De la Filosofia de las Armas y de su Destreza y la Aggression y Defensa Cristiana, Medina-Sidoni, 1569 (?)

29 Par exemple, Voir fig. 3 et 4 ; Joachim Meyer, Bibl. 2465, Munich, National Musuem of Bavaria, Munich, 1561 ; Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, Venise, Giordano Ziletti, 1570 ; Henry de Saint-Didier, Traicté contenant les secrets du premier livre sur l’espée seule, mère de toutes armes, qui sont espée dague, cappe, targue, bouclier, rondelle, l’espée deux mains & deux espées, avec ses pourtraictures, ayans les armes au poing por se deffendre & offencer à un mesme temps des coups qu’on peut tirer, tant en assillant qu’en deffendent, fort utile & profitable por adextrer la noblesse, & suposts de Mars : redigé par art, ordre & practique. Composé par Henry de Sainct Didier Gentilhomme Prouençal, Paris, Jean Mettayer et Matthurin Challenge, 1573 ; Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung, op. cit. ; Pieter Bailly, Cort Bevvijs’ Van t’Rapier alleen, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, MS KB.72.F.37, circa 1605 ; Luis Pacheco de Narváez, Libro de las Grandezas de la Espada, Madrid. Herederos de I. Iniguez de Lequérica, 1605 ; Camillo Palladini, Discorso sopra l’arte della scherma, MS 14.10, Londres, Wallace Collection, circa 1600 ; Ridolfo Capo Ferro da Cagli, Gran Simulacro dell’Arte e dell’Uso della Scherma, Sienne, Salvestro Marchetti et Camillo Turi, 1610 ; Jean Daniel L’Ange, Deutliche Erklårung der Fechtkunst, Heidelberg, Adrian Weingarten, 1664.

30 Par exemple : Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, op. cit. ; Camillo Agrippa, Trattato di Scientia d’Arme, op cit.

31 Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, op. cit.

32 Dietl Cora et Georg Wieland (dir.), Ars und Scientia im Mittelalter und in der Frühen Neuzeit : Ergebnisse interdisziplinärer Forschung : Georg Wieland zum 65. Geburtstag, Tubingue et Bâle, Erste Ausgabe, 2002 ; Daniel Jaquet, “The use of scholastic concepts in describing fighting technique in European fight books (1400-1600) as cultural and intellectual markers”, dans Hélène Leblanc (dir.), op. cit., p. 7; Pierre-Henry Bas, The Arts of Fighting and of Scholastic Dispute: Two Types of Duels at the End of the Middle Ages and during the Renaissance »”, dans Hélène Leblanc, op. cit., p. 21-38.

33 Laetitia Boehm, “Artes mechanicae und artes liberales im Mittelalter. Die praktischen Künste zwischen illiterater Bildungstradition und schriftlicher Wissenschaftskultur”, dans Festschrift für Eduard Hlawitschka zum 65. Geburtstag, Kallmünz, Lassleben, 1993, p. 419-444 ; Pascal Brioist, « La réduction en art de l’escrime », op. cit.

34 Filippo di Vadi Pisano, De Arte Gladiatoria Dimicandi, Biblioteca Nazionale, Rome, entre 1482-1487, Ms.1342.

35 Ibid., f°3v° et 4r° (traduction originale Pierre-Alexandre Chaize et Gauthier Petit).

36 Nicoletto Giganti, Escrime Novvelle ov Theatre, avqvel sont representees diverse manieres de parer et de fraper d’espee sevle, et d’espee et poignard ensemble, demonstrées par figures entaillées en cuiure. Pubié en favevr de cevlx qvi se delectent en ce tres noble exercice des armes, Francfort, 1619 et Nicoletto Giganti, Teatro, nel qual sono rappresente diverse maniere e mode di parare et of ferire di Spada solo, e di Spada e pugnale ; dove ogni studiosso e farsi practico nella professione dell’armi, Venise, Giovanni Antonio et Giovanni of Franceschi, 1606, p. 1 et 2.

37 Cf. supra note 17.

38 Par exemple, Camillo Palladini, Discorso sopra l’arte della scherma, op. cit. ; Francesco Ferdinando Alfieri, La Scherma, Padou, Sebastiano Sardi, 1640 ; Alessandro Senese, ll vero maneggio di spada, Bologne, 1660.

39 I. de La Haye, Le cabinet d’escrime de l’espee et poingnardt, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, 73.j.39, circa 1585.

40 Par exemple, Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung [...] der kunst des Fechten, op. cit ; Giacomo di Grassi, Ragione di adoprar sicuramente l’Arme, op. cit. ; Pedro de Heredia, le Livre des leçons, op. cit. ; Jean Daniel L’Ange, Deutliche Erklårung der Fechtkunst, op. cit.

41 Johann Georg Paschen, kurtze unterrichtigung belangend die Pique/ die fahne/ den jägertock/ das voltesiren/ das ringen/ das fechten auff Stoss und hieb/ und endlich das trinciren, Hambourg, Melchior Oelschlegels, 1659, p. 4.

42 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 16r° et 16v°).

43 À noter qu’Aristote est une « auctoritas », voir Bénédicte Sère, « Aristote et la Bible : d’une autorité à l’autre », Médiévales, 2008, 75-92, http://medievales.revues.org/5457.

44 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 22r° et 22v°).

45 Pierre-Alexandre Chaize, « Les normes et les règles de rédaction d’un savoir-faire gestuel. L’exemple des livres d’escrimes à la fin du Moyen Âge », e-Phaïstos, Revues d’histoire des techniques, vol3, n° 1, juin 2014, p. 8-23, ici p. 11 ; Daniel Jaquet, “The use of scholastic concepts in describing fighting technique in European fight books (1400-1600) as cultural and intellectual markers”, op. cit., p. 10 et 11.

46 Ms.3227a, op. cit., f° 43r°.

47 Camillio Agrippa. Trattato di Scientia d’Arme, op cit, part. 32, ch. xxiv, fig. F.

48 Voir fig. 3 et Girard Thibault d’Anvers, Academie de l’espée, op. cit., liv.1, tab. I et tab. IX.

49 Par exemple : hellt er starckh wider Inn dem anpinnden : « S’il se tient avec force dans le liement » (l’engagement), dans P.-H. Mair, ms. dresd.C.93, f° 59v° ; schlag mit sterck Nach seinem haupt : « Frappe-le avec force à la tête », dans P.-H. Mair, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Vind. 10825, f° 65r°

50 Hans-Peter Hils, op. cit.

51 Raoul Clery, Escrime, fleuret, épée, sabre, Paris, édition FFE, 1965, p. 240.

52 Par exemple, Sigmund Ringeck, Mscr.Dresd.C487, Dresde, Sachsische Landesbibliothek, entre 1504 et 1519, f°15v°.

53 Ibid.., f° 16r°.

54 Paul-Hector Mair, reprenant les propos de Juden Lew, ms. dresd.C.93, Dresde, Sachsische Landesbibliothek, mi xvie s., f° 86r°.

55 Codex 44 A 8 (Codex 1449), appelé « Peter von Danzig », Rome, Biblioteca dell’Accademica Nazionale dei Lincei e Corsiniana, 1452, f° 12r°.

56 Traduction de l’auteur (Ms.3227a, op. cit., f° 15r°).

57 « De même, tu dois maintenant savoir que le sentiment et le mot entre-temps ne peuvent exister l’un sans l’autre et comprend ceci : lorsque tu le lies à l’épée, alors tu dois ressentir avec le mot entre-temps le mou ou bien le dur et lorsque tu ressens alors tu dois œuvrer entre-temps. Ainsi sont-ils toujours ensemble, car le mot entre-temps est dans toutes les pièces » (traduction de l’auteur, Paul-Hector Mair, ms. dresd.C.93, f° 103r°).

58 Pierre-Henry Bas, « Introduction à l’expérimentation gestuelle du combat médiéval », op. cit.

59  La tortue pour le toucher, le cerf pour l’ouïe, l’aigle sur un miroir pour la vue, le chien pour l’odorat et le singe pour le goût. (Girard Thibault d’Anvers, Academie de l’espée, op. cit., liv. 2, pl. 1).

60 Simon Byl, « Le toucher chez Aristote », Revue de Philosophie Ancienne, Bruxelles, Ousia, vol. 9, n° 2, 1991, p. 123-132, ici p. 123.

61 Paul-Hector Mair, ms. dresd.C.93, op. cit., f°19r°.

62 Par exemple, Paul-Hector Mair, ms. dresd.C.93, op. cit., f°22r°, pl. 1.

63 Joachim Meyer, “Gründtliche Beschreibung […] der kunst des Fechten”, op. cit.

64 Le sang fait l’objet d’un tabou, néanmoins quelques manuscrits germaniques illustrent des blessures : par exemple Paul-Hector Mair, De arte athletica, Cod.icon.393, t. I, op. cit, pl. 61, f°48r°, pl. 74, f°51v°, pl. 111, f°73r°, pl. 10, f°174v°, pl. 5, f°215r°, pl. 8, f°216v°, pl. 3, f°218r°, pl. 4, f°218v°, pl. 11, f°222r°. Et surtout le Codex Guelf 83-4 August 8°, Wolfenbüttel, Herzog August Library, 1591.

65 Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions, xvie-début xixe siècle, Paris, Rivage,1988.

66 Pierre-Henry Bas, Le combat à la fin du Moyen Âge et dans la première Modernité : théories et pratiques, thèse de doctorat soutenue sous la direction de Bertrand Schnerb, Lille, novembre 2015, publication en cours.

67 Par exemple Jean de Brye déclare en 1721 dans la préface de son traité L’Art de tirer des armes, réduit en abrégé méthodique : « On n’a point crû devoir accompagner ce petit Ouvrage de Figures, parce qu’il en faudroit un trop grand nombre, & qu’il seroit à craindre (quelque dépense que l’on eût pû faire, & quelque soin que l’on eût pris pour les bien exécuter,) que ces attitudes ne fussent toujours imparfaites, n’y ayant que les Maitres de l’Art qui soient capables de les bien démontrer » (Jean de Brye, L’Art de tirer des armes, réduit en abrégé, Paris, chez C. L. Thiboust, 1721).

68 Voir les travaux d’Etienne-Jules Marey et d’Eadweard Muybridge, The human figure in motion, Londres, 1901.

69 En réalité depuis plus de dix ans, plusieurs projets concernant la restitution virtuelle des gestes et des pratiques martiales historiques sont encore à la recherche de financement.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1
Légende La garde de la charrue (Pflug) contre la garde du bœuf (Ochs) à l’épée à deux mains. Ces deux gardes permettent de se défendre de différents coups et d’estoquer l’adversaire avec la pointe. (Codex 44 A 8 (Codex 1449), appelé « Peter von Danzig », Rome, Biblioteca dell’Accademica Nazionale dei Lincei e Corsiniana, 1452, f°1v°).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/docannexe/image/6184/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 235k
Titre Fig. 2
Légende L’escrimeur (à gauche) en position N contre-attaque en position I, son adversaire (à droite) qui l’attaque en position I, avant de revenir en positon en A. (Camillo Agrippa, Trattato di Scientia d'Arme, con vn Dialogo di Filosofia, Rome, Antonio Blado, 1553, ch. xiii).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/docannexe/image/6184/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 246k
Titre Fig. 3
Légende Plan de terre avec différents déplacements circulaires au sol matérialisés par des lignes et des empreintes de pas. À droite et en dessous, illustration de la portée de l’épée et division de sa lame en douze sections. Tabl.1, cercle n°4, Contenant la déclaration de la mesure des trois approches, ou Instances, et comment elles sont représentées en notre cercle, tant sur le diamètre, que sur le carré inscrit, pour aborder l’ennemi de travers (G. Thibault d’Anvers, Academie de l’espée, op. cit.).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/docannexe/image/6184/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 468k
Titre Fig. 4
Légende Travail « au mur », sous l’œil attentif du maître. Les déplacements en avant et latéraux sont marqués par des lignes et des empreintes de pas. Les cibles et lignes de coupe sont présentes sur le mur et matérialisées sur les statues au second plan. (Joachim Meyer, Gründtliche Beschreibung der kunst des Fechten, op. cit, livre trois sur la rapière, p. 41v°).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/docannexe/image/6184/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 300k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre-Henry Bas, « L’art de l’escrime (xve-xviie siècles) »Arts et Savoirs [En ligne], 20 | 2023, mis en ligne le 20 décembre 2023, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/aes/6184 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/aes.6184

Haut de page

Auteur

Pierre-Henry Bas

Université de Lille, UMR 8529 IRHiS
Université de Picardie Jules Verne, UR 4284 TrAme

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search