La concession de la chefferie traditionnelle, lieu public ou lieu privé ?
Résumés
Le régime applicable aux réunions et manifestations varie selon qu’elles se tiennent dans un lieu public ou un lieu privé : une réunion ou manifestation dans un lieu public est soumise à une obligation de déclaration préalable. À la faveur de l’actualité sociale récente au Cameroun, on est amené à s’interroger sur le statut de la concession de la chefferie traditionnelle, entendue comme étant la superficie de terrain, bâtie ou non, qui constitue l’environnement immédiat du chef. On se demande notamment si la concession de la chefferie est un lieu public ou un lieu privé. Il s’agit là d’une question dont la difficulté est ancienne et illustre la difficulté de coexistence entre le droit coutumier et le droit moderne. Une partie de la doctrine publiciste, par une interprétation restrictive des dispositions légales – elles même mal rédigées – a conclu que toutes les concessions de chefferies traditionnelles appartiennent au domaine public artificiel de l’État. À ce titre, elles seraient donc des lieux publics. Or, une analyse des données sociologiques et historiques, permet de replacer le texte législatif dans son contexte. Il en résulte que selon l’identité de celui qui détient un droit de propriété sur les terres (État, collectivité villageoise, chef) le statut pourra changer. Ainsi, la concession pourra être un lieu public ou un lieu privé ouvert au public. En fonction du statut, le régime des réunions et manifestations publiques pourra varier considérablement au Cameroun.
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Introduction
La chefferie traditionnelle, un concept flou
1Il est moins difficile pour un sociologue que pour un juriste de mener une analyse sur la « chefferie traditionnelle ». En effet, tandis que le premier cherchera à saisir la chefferie traditionnelle dans son existence réelle et dans son déploiement quotidien, le second quant à lui s’efforcera plutôt de la ranger dans l’une ou l’autre des catégories juridiques préexistantes afin de mieux l’appréhender. Et c’est là que le concept de chefferie traditionnelle se révélera particulièrement flou et vacillant. Dès lors, il est impérieux, pour qui entend se jeter à l’aventure, et à l’orée même de son propos, de dire de quoi il entend parler. C’est qu’en réalité, la chefferie traditionnelle semble recouvrir au moins trois réalités bien distinctes.
- 1 Il s’agit des collectivités traditionnelles dont les membres entretiennent plus ou moins des liens (...)
- 2 Le statut juridique de la chefferie traditionnelle au Cameroun souffre d’une réelle ambiguïté. Cert (...)
- 3 Les chefferies traditionnelles sont classées en degrés. Eu égard à leurs spécificités (superficie, (...)
2Tout d’abord, en tant qu’institution, elle est intimement liée à l’image du chef traditionnel qui est considéré comme un auxiliaire de l’administration ayant une certaine autorité sur un groupement humain1. Ensuite, en tant qu’unité administrative sui generis2, la chefferie traditionnelle renvoie à une partie du territoire de la République dont l’importance varie en fonction de la classification administrative qui en est faite3. Enfin, le concept de chefferie traditionnelle peut renvoyer à un lieu précis à l’intérieur de la collectivité traditionnelle : il s’agit du « lieu où demeure le chef ». Ce lieu est aussi trivialement appelé palais royal ou encore concession de la chefferie traditionnelle.
3C’est cette dernière dimension de la chefferie traditionnelle qui retiendra l’attention dans le cadre de cette analyse. Mais tout comme la chefferie traditionnelle, la concession de chefferie traditionnelle ne se prête pas facilement à une définition juridique. Il s’agit davantage d’une réalité composite qu’on ne peut véritablement saisir qu’à travers ses éléments constitutifs. De ce point de vue, la concession regroupe, selon les lieux et les cultures, outre la case et la cour royales, divers espaces d’initiation ou de loisirs. C’est le lieu le plus important du village, le lieu de déposition et de dévolution du pouvoir ancestral. De manière large, on dira simplement que c’est la superficie de terrain qui constitue l’environnement immédiat du chef traditionnel.
Contexte de l’étude
- 4 Situé dans la région de l’ouest du Cameroun, ce département couvre sur une superficie de 415 km2.
- 5 Correspondance, préfet des Hauts-Plateaux, no 100/L/F/F38/SP du 24 juillet 2020.
- 6 Jean-François Bayart, « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique subsaharienne », Pouvo (...)
4Une fois ces précisions terminologiques faites, c’est avec un empressement à peine dissimulé qu’on avouera que c’est l’actualité sociale camerounaise qui sert de prétexte à la réflexion et qui en ravive l’intérêt. En date du 24 juillet 2020, le préfet du département des Hauts-Plateaux a adressé une mise en garde au chef du groupement Bamendjou4. Au motif d’une telle correspondance, l’organisation par ce monarque d’une « concertation politique non déclarée » dans la concession de sa chefferie5. En fait, l’autorité administrative reproche au chef traditionnel de s’être dérobé aux exigences de la loi fixant le régime des réunions et des manifestations publiques. Une analyse littérale, voire simpliste, de cette mise en garde conduirait naturellement à considérer la concession de la chefferie traditionnelle comme un « lieu public », élément fondamental dans la qualification d’une « réunion publique ». En effet, aux termes de l’article 2 la loi no 90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques, est publique « toute réunion qui se tient dans un lieu public ou ouvert au public ». Même si cette missive administrative laisse entrevoir la frilosité de l’ordre gouvernant face à l’implication des chefferies traditionnelles dans les batailles politiques6, c’est essentiellement son enjeu juridique qui alimentera la réflexion. Ainsi, passées la fièvre médiatique et les interprétations politiciennes, il est judicieux que le juriste prenne le relais pour remettre la question à l’ouvrage et la passer froidement au crible de sa science. Dès lors, on est légitimement amené à s’interroger sur le statut juridique de la concession de la chefferie traditionnelle en droit camerounais. Autrement dit, la concession de la chefferie traditionnelle est-elle un lieu public ou un lieu privé ?
Intérêt de la réflexion
- 7 Nous rappelons que le chef traditionnel est considéré comme un auxiliaire de l’administration.
5La réponse à une telle préoccupation revêt d’abord un intérêt théorique, car on n’occulte pas le fait qu’à son sujet la doctrine puisse être divisée. Notamment, alors que le juriste de formation publiciste sera tenté de partir de l’office public du chef traditionnel pour qualifier la concession de la chefferie de lieu public7, le juriste privatiste aura tendance à se référer au droit de la propriété immobilière. Sous ce dernier prisme, la concession sera alors un lieu public ou un lieu privé en fonction de la personne qui y détient des droits : l’État ? Le chef traditionnel ? La collectivité coutumière ? L’intérêt de la question est ensuite pratique dans la mesure où de la qualification juridique de la concession de la chefferie traditionnelle dépendra le régime applicable en ce qui concerne les réunions et manifestations. Dans ce sillage, l’étude se propose de mettre en lumière les difficultés pratiques résultant de l’interprétation de la loi afin de suggérer des réformes en la matière. L’intérêt est enfin social, car l’analyse remet à l’ordre de la réflexion la place des chefferies traditionnelles ainsi que la valeur attachée à la concession de la chefferie traditionnelle au Cameroun.
Organisation du propos
6À l’analyse, les linéaments historiques et sociologiques des chefferies traditionnelles permettent de se rendre compte à quel point la qualification juridique de la concession de la chefferie traditionnelle est difficile (1). Cette difficulté ne date pas d’aujourd’hui. Assurément, la considération de la concession de la chefferie traditionnelle n’est pas la même selon les aires culturelles ou les groupes humains établis sur le territoire de la République. Bien plus, l’intervention du législateur dans ce domaine à travers la réforme foncière et domaniale ne permet pas toujours d’y voir plus clair. Mais cela ne devrait pas empêcher de consacrer un temps de réflexion à la problématique. Bien au contraire, derrière cette difficulté se cache l’opportunité de tenter une classification qui corresponde mieux à la réalité socioculturelle du pays (2). La classification proposée devrait concilier les différents intérêts en présence, en l’occurrence, l’office « public » que remplit le chef traditionnel au sein de l’ordo administratif camerounais d’une part, et l’existence d’un éventuel droit de propriété d’autre part.
1. Difficulté de classification de la concession de la chefferie traditionnelle
- 8 Maurice Godelier, « Chefferies et États, une approche anthropologique », dans Les princes de la pro (...)
- 9 Maurice Delafosse, Les civilisations négro-africaines, Paris, Stock, 1925, p. 96-98.
- 10 Charles Kingsley Meek, Land law and customs in the colonies, Londres, Oxford University Press, 1946 (...)
7Avant l’État étaient les chefferies traditionnelles8. Les chefferies et les royaumes sont des organisations sociales primitives qui peuplaient autrefois les territoires des États modernes. Chaque chefferie s’administrait à travers un corps de règles généralement orales. Le rapport à la terre était assez mitigé et a évolué dans le temps et dans l’espace. Dans un passé très lointain, avec le nomadisme des populations, la terre et ses accessoires (constructions, cultures, différentes mises en valeur) étaient considérés comme sacrés et insusceptibles d’appropriation privée. Il en résultait ainsi une sorte de collectivisation des biens qui laissait entrevoir un statut de lieu public réservé à la concession de la chefferie traditionnelle9. Mais l’époque de la sédentarisation allait changer la donne et, en dépit de la privatisation des espaces occupés, le chef ou le roi restait « le maître et le propriétaire originaire de toutes les terres10 ». Cette trajectoire historique montre à quel point la difficulté de déterminer le statut de la concession ne date pas d’aujourd’hui. Elle a des origines lointaines (1.1). Cette difficulté à des relents contemporains, car la naissance et l’évolution sociopolitique de l’État du Cameroun, loin de la dissiper, sont venues plutôt l’accroître (1.2).
1.1. La classification de la concession : une difficulté aux origines lointaines
1.1.1. La concession de la chefferie dans la période précoloniale
- 11 On se souvient du traité germano-douala du 12 juillet 1884 qui avait été conclu entre des firmes al (...)
- 12 Cette chefferie traditionnelle existe depuis 1830.
- 13 Cette collectivité traditionnelle existe depuis 1798.
- 14 Maurice Kamto, « Introduction au droit d’urbanisme du Cameroun », Revue de droit public et de la sc (...)
8Certaines chefferies traditionnelles au Cameroun préexistent à l’arrivée du colonisateur. C’est le cas de la chefferie Douala dans la région du Littoral11, de la chefferie Bafoussam dans la région l’ouest12, du lamidat de Rey-Bouba dans la région du nord13, ainsi que de plusieurs autres chefferies dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du pays. L’organisation de ces collectivités était centrée sur la personne du chef qui dégageait une aura particulière et jouissait d’une légitimité incontestable et incontestée. Tout lui appartenait : les femmes du village, les maisons, le bétail, soit toutes les richesses. Ainsi, sur le plan foncier, le chef avait des droits exclusifs en matière de distribution et même d’expropriation des terres14. La concession de la chefferie traditionnelle était ainsi considérée comme un bien privé du chef.
- 15 D’ailleurs, le pouvoir juridictionnel du chef pouvait bien l’amener à prononcer des peines de corvé (...)
- 16 D’un point de vue simplement matériel, la présence d’une clôture sur une terre est révélatrice d’un (...)
9De ce fait, si tous les villageois s’investissaient dans la construction de la concession de la chefferie, ils le faisaient davantage par soumission au chef que par véritable sentiment d’être les copropriétaires de ce lieu15. En outre, il convient de ne pas se méprendre sur le sens et la portée de certains proverbes bantous qui laisseraient croire, prima facie, que la concession cheffale serait la propriété indivise de tous les membres de la collectivité. C’est notamment le cas des dictons tels : « la piste qui mène à la chefferie est toujours ouverte » ; « la chefferie est la case [commune] du village » ; « la cour de la chefferie n’a pas de clôture ». Toutes ces locutions, dans le contexte historique décrit, se rapportent davantage à l’office institutionnel du chef. Pour le dire simplement, le fait que certaines concessions de chefferies n’aient pas de clôture (barrières) est un symbole qui rappelle que, eu égard à son office, le chef accueille tout le monde16 : riches comme pauvres, autochtones comme halogènes, hommes comme femmes. Pareillement, si la chefferie est considérée comme la case commune du village, c’est parce que le chef est vu comme le « père » de tous. Il est l’oreille toujours attentive, l’épaule sur laquelle on peut s’appuyer, la main qui essuie toute larme. Mais il ne demeure pas moins qu’à cette époque-là, le chef régnait sur toutes les terres, et ce, sans partage.
1.1.2. La concession de la chefferie dans la période coloniale et postcoloniale
- 17 Joseph Gomsu, Colonisation et organisation sociale. Les chefs traditionnels du Sud-Cameroun pendant (...)
- 18 A. 4 févr. 1933 du fixant le statut des chefs indigènes.
- 19 On distinguait ainsi les chefferies supérieures (les lamidats et les sultanats) qui constituaient d (...)
- 20 « Les chefs n’ont aucun pouvoir d’aucune espèce, car il n’y a pas deux pouvoirs dans le cercle » (J (...)
- 21 Art. 3 et suiv. de l’arrêté précité.
10Comme on le sait, la venue du colonisateur a eu pour conséquence de fragiliser les institutions traditionnelles ainsi que l’autorité des chefs17. Du reste, l’expression « chefs indigènes », employée pour les désigner, traduit bien la volonté qu’avaient les colons de les vassaliser18. Selon ces derniers, il fallait reconfigurer les chefferies à leurs goûts et en fonction de leurs intérêts19. Par conséquent, les chefs allaient perdre les pouvoirs qu’ils détenaient jadis sur la terre20. Plus exactement, les nouveaux maîtres du territoire et des terres ont catalogué les chefs traditionnels : les plus dociles étaient maintenus, voire promus, tandis que les plus récalcitrants étaient purement et simplement démis de leurs fonctions21.
- 22 Catherine Coquery-Vidrovitch, L’Afrique noire. Permanences et ruptures, Paris, L’Harmattan, 1990, p (...)
- 23 Charles Nach Mback, art. cité, p. 78 et suiv.
11Dans la même logique de fragilisation du pouvoir traditionnel, de nouvelles chefferies ont été créées au mépris des us et coutumes locales22. On assistait alors à l’émergence de chefferies spontanées, sans véritable histoire et sans réelle tradition, ce qui allait très rapidement modifier le regard posé sur les concessions des chefferies traditionnelles. À ce propos, il a par exemple été relevé que dans la ville de Yaoundé, capitale politique du Cameroun, les différents groupes et sous-groupes ethniques avaient été placés sous la direction de sept chefs traditionnels issus des familles les plus importantes de la contrée23. Par conséquent, les domiciles privés de ces chefs étaient devenus des concessions de chefferies traditionnelles.
- 24 Maurice Tadadjeu, Voie africaine. Esquisse du communautarisme africain, Yaoundé, Club OUA, 1989, p. (...)
- 25 D’ailleurs le préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 protège les droits des p (...)
- 26 Maurice Kamto, « Introduction au droit de l’urbanisme du Cameroun », art. cité, p. 1613 et suiv.
12Avec l’indépendance du Cameroun, la place accordée aux chefferies traditionnelles a posé les jalons d’un « droit public communautaire24 », applicable aux terres de cultures, aux cours d’eau, aux terrains de chasse, etc. Cette nouvelle branche du droit a tendance à considérer que ces espaces constituent des biens communs de toute la collectivité25. C’est ainsi que la concession de la chefferie traditionnelle a pu être présentée par Maurice Kamto, en raison de sa valeur historique et culturelle, comme un « patrimoine foncier collectif de droit traditionnel26 ». En d’autres termes, la concession doit être protégée, non pas parce qu’elle appartient à un individu, mais parce qu’elle est le bien de la communauté.
- 27 Charles Nach Mback, art. cité, p. 86.
- 28 2 textes retiendront particulièrement l’attention. D’une part il s’agit de l’ordonnance no 74-1 du (...)
13Toutefois, comme l’a relevé un autre auteur, cette protection demeure en réalité superficielle dans la mesure où il n’existe pas des règles précises qui lui soient applicables : « le domaine cheffal […] reste soumis au droit commun en matière foncière et domaniale27 ». De ce qui précède, on retiendra que la classification de la concession de chefferie traditionnelle a toujours posé de sérieuses difficultés, tant dans la période précoloniale que postcoloniale. La trajectoire historique et culturelle des chefferies n’étant pas la même, le statut de la concession est susceptible de varier. Avec la réforme domaniale intervenue dans les années 7028, ainsi que l’adoption de divers textes relatifs aux chefferies traditionnelles, on se serait attendu à ce que le statut de la concession de la chefferie soit définitivement précisé. Malheureusement, l’œuvre du législateur n’a pas été à la hauteur des attentes et l’espoir a été déçu.
1.2. La classification de la concession : une difficulté aux relents contemporains
1.2.1. L’imprécision de la législation
- 29 Le domaine public naturel est constitué de l’ensemble de biens dont la création est le fruit du has (...)
14Au Cameroun, le régime domanial qui détermine les biens du domaine public, du domaine privé de l’État ou des autres personnes morales de droit public est organisé par l’ordonnance no 74-2 du 6 juillet 1974. Le domaine public qui retiendra davantage l’attention ici se subdivise en domaine public naturel et en domaine public artificiel29. Ce dernier est constitué d’une variété considérable de biens au rang desquels figurent les concessions des chefferies traditionnelles. Plus précisément, aux termes de l’article 4 (l) de l’ordonnance précitée, fait partie du domaine public artificiel « la concession des chefferies traditionnelles et les biens y afférents et plus spécialement dans les provinces où la concession des chefferies est considérée comme un bien indivis de la communauté dont le chef n’a que la jouissance ».
- 30 Dans la mesure où elle est difficilement intelligible. Sur l’importance de l’intelligibilité de la (...)
15La rédaction de cette disposition, totalement lacunaire d’un point de vue légistique30, peut conduire à diverses interprétations.
- 31 Maurice Kamto, « Introduction au droit d’urbanisme du Cameroun », op. cit., p. 1613-1614.
- 32 Célestin Sietchoua Djuitchoko, « Aspects de l’évolution des coutumes ancestrales dans le droit publ (...)
- 33 Ord. no 74/02, art. 2 al. 2 précitée.
16La première interprétation, en se fiant au premier fragment de cette disposition, serait de croire que l’ordonnance pose la règle générale de l’appartenance de toute concession de chefferie traditionnelle et des biens y afférents au domaine public artificiel. C’est du reste l’analyse que fait une partie de la doctrine publiciste. Maurice Kamto voit en la concession de la chefferie traditionnelle, ses dépendances et ses lieux sacrés, des « sites inviolables31 ». Dans le même sillage, Célestin Sietchoua y voit « un bien indivis de la communauté dont le chef n’a que la jouissance et non la propriété32 ». Ainsi, l’inviolabilité – réelle ou supposée – de la concession traditionnelle est l’un des traits caractéristiques des biens du domaine public naturel ou artificiel. Ces biens sont « inaliénables, imprescriptibles, insaisissables et insusceptibles d’appropriation privée33 ». La conclusion logique résultant des propos de ces auteurs est que toute concession de chefferie traditionnelle est un lieu public puisqu’il appartient au domaine public naturel.
17Cependant, une seconde lecture est possible en se basant cette fois-ci sur le second segment de la disposition de l’ordonnance. Cette interprétation conduirait à estimer que le législateur ne rattache la concession au domaine public naturel que dans les seules « provinces du territoire où elle est considérée comme un bien indivis de la communauté dont le chef n’a que la jouissance ». Lu ainsi, l’article 4 (1) de l’ordonnance n’a absolument plus le sens que lui donnent les juristes publicistes. En clair, le législateur n’a donc pas fixé la règle générale et absolue de l’appartenance de toute concession de la chefferie traditionnelle au domaine public. Au contraire, il a entendu cibler spécifiquement les concessions des chefferies traditionnelles qui sont considérées par les communautés villageoises comme leur bien collectif. Comme cela se donne à voir, le nœud du problème réside dans l’emploi, par le législateur, du groupe de mots « et plus spécialement » pour séparer les deux segments de l’article 4 (1) de l’ordonnance. Ce groupe de mots introduit-il un simple détail – que serait alors le deuxième segment de la disposition – ou alors, précise-t-il ce que le législateur a voulu dire ? En effet, il ne faudrait surtout pas voir en la présence de ce groupe de mots une chose banale, une mention superfétatoire. Selon nous, le manque de clarté de la disposition devrait stimuler son exégèse profonde. En d’autres termes, il faut interroger la ratio legis du législateur afin de découvrir son intention réelle.
18Dans cet esprit, il sied de souligner que si l’intention du législateur avait été de poser le principe général de l’appartenance de toute concession des chefferies traditionnelles au domaine public, il n’aurait pas « encombré » son texte d’un détail qui viendrait en diluer la clarté et en limiter l’intelligibilité. Il se serait donc limité au premier fragment de la disposition en prévoyant simplement que fait partie du domaine public la « concession des chefferies traditionnelles et les biens y afférents ». Ne l’ayant pas fait, on déduira alors que c’est le second segment de la disposition qui, sous l’apparence trompeuse d’un simple détail, traduit fidèlement ce que législateur a voulu dire, mais qu’il a finalement mal dit. Assurément, le législateur a voulu faire du caractère indivis de la concession de la chefferie traditionnelle le critère de son rattachement au domaine public. De la sorte, on pourrait soutenir que seule fait partie du domaine public artificiel la concession de la chefferie traditionnelle « considérée comme un bien indivis de la communauté ». Inversement, cela revient à dire – et c’est très important – que dès lors que la concession de la chefferie n’est pas considérée par la communauté comme un bien indivis, elle ne saurait appartenir au domaine public artificiel. Elle serait donc à ranger soit dans le domaine privé de l’État ou des personnes morales de droit public, soit dans le domaine national ou encore dans le domaine du foncier – comme appartenant à une personne physique ou à une personne morale de droit privé.
- 34 Appellation remplacée par celle de « régions » depuis le décret no 2008/376 du 12 novembre 2008 por (...)
- 35 Les dernières données datent de 2012. À cette date, on dénombrait 80 chefferies traditionnelles de (...)
- 36 Notons qu’aux termes de l’article 5 du décret no 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des (...)
19En soutien à cette analyse, il faut noter la prise en considération par le législateur des disparités sociologiques et culturelles observables à travers le pays. Sa règle vise des « provinces » particulières du pays34. Bien que leur nombre exact ne soit précisé par aucune source officielle35, les différentes chefferies traditionnelles établies sur le territoire de la République ont des trajectoires historiques et culturelles bien différentes. La conséquence est que la considération de la concession de la chefferie traditionnelle ne sera pas la même partout. Cette considération pourra varier selon que la chefferie traditionnelle est peuplée ou non des descendants d’un même ancêtre. Sous ce rapport, mais sans que ce ne soit pour autant une recette universelle, la dénomination de certaines chefferies traditionnelles peut être un indicateur assez important pour la classification de la concession cheffale. À titre simplement illustratif, on peut relever le cas des chefferies Mvog-Belinga et Bene qui sont des chefferies traditionnelles regroupant chacune les descendants d’un même ancêtre36. Dans cette hypothèse, la concession de la chefferie traditionnelle pourra être considérée comme un bien indivis de la communauté traditionnelle dont le chef n’a que la jouissance, car elle est un héritage familial. En revanche, dans les chefferies traditionnelles hétéroclites, constituées par des décisions arbitraires de l’administration ou par les migrations successives des familles, la concession de la chefferie traditionnelle peut être considérée comme un bien propre, autrement dit un bien privé du chef. Du reste, comme on le verra immédiatement, aussi bien le processus de création que le fonctionnement quotidien des chefferies traditionnelles après l’indépendance confortent cette posture et témoignent la complexité de la notion étudiée.
1.2.2. Le visage complexe des chefferies traditionnelles
- 37 L’office des chefs traditionnels est fait de droits et de charges. S’ils sont rémunérés pour les se (...)
- 38 Pour une approche historique de l’urbanisation, voir Athanase Bopda, « Genèse, mutation et problème (...)
- 39 Art. 20 du décret no 77/245 du 15 juillet 1977 précité.
20Les chefs traditionnels sont assis sur des « sièges éjectables37 », car leur désignation et leur révocation se font au gré de la volonté des dirigeants. En outre, la poussée urbaine a fait en sorte que les chefferies traditionnelles ne soient plus confinées en zone rurale et que certaines d’entre elles se retrouvent en milieu urbain38. Ainsi, l’article 3 alinéa 3 du décret no 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles précise que la « chefferie de 3e degrés correspond au village en milieu rural et au quartier en milieu urbain ». Or une simple observation permet de constater que les concessions de ces chefferies traditionnelles en milieu urbain sont de véritables domiciles privés. Exagérant un peu, on pourrait même dire qu’entre le moment où ces chefs traditionnels en milieu urbain (chefs de quartier notamment) se sont installés sur le territoire qu’ils administrent et le moment de leur désignation comme tels, il s’est parfois écoulé un temps relativement court. De ce point de vue, affirmer péremptoirement que toutes les concessions de chefferies traditionnelles sont des biens du domaine public artificiel – comme l’a fait une partie doctrine publiciste – relève d’une simple vue de l’esprit. Il ne faudrait pas non plus se fier au drapeau national qui flotte dans la concession des chefferies traditionnelles, comme dans l’enceinte des administrations publiques, pour conclure hâtivement à leur appartenance au domaine public artificiel. Ce drapeau rappelle simplement que là gît un « auxiliaire de l’administration39 ». Rien de plus. Face à la difficulté, il convient à présent d’explorer l’opportunité de classification qui s’offre à l’analyse.
2. Opportunité de classification de la concession de la chefferie traditionnelle
21L’établissement d’un nouveau critère est nécessaire. Nous avons vu que les dispositions légales relatives au régime domanial ne sont pas assez claires pour être utiles. Elles posent un problème. Mieux, elles sont une partie du problème. En effet, en rattachant au domaine public artificiel la concession de chefferie traditionnelle considérée comme un bien indivis de la communauté, la loi n’offre pas une base solide pour la classification. La classification qu’elle propose repose uniquement sur l’opinion commune. En ce sens, appartiendrait au domaine public la concession qui, dans l’opinion commune de la population, passe pour être indivis. Or cette communis opinio n’est pas et n’a pas à être un critère de la propriété, qui plus est immobilière. Il sied dès lors de l’abandonner au profit d’un critère cumulatif qui puisse concilier l’existence d’un éventuel droit de propriété et l’usage qui peut être fait de la concession. Sous ce jour, si la concession de la chefferie est presque toujours destinée à accueillir du public, les droits sur elle peuvent avoir différents titulaires. Ainsi, lorsque la concession de la chefferie traditionnelle appartient à la collectivité entière, elle devient un bien public et par conséquent un lieu public au sens de l’article 4 de l’ordonnance no 74-2 du 6 juillet 1974 fixant le régime domanial (2.1). En revanche, si la concession de la chefferie traditionnelle est la propriété exclusive du chef traditionnel, elle devient un lieu privé ouvert au public (2.2). Selon l’hypothèse dans laquelle on se trouve, le régime des réunions et manifestations est susceptible de varier.
2.1. La concession de la chefferie traditionnelle : un lieu public
2.1.1. La concession, lieu public par l’effet de la propriété collective
- 40 Art. 1er du décret no 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, m (...)
- 41 Mais il peut donner lieu à un contentieux administratif : Aloys Mpessa, « Le titre foncier devant l (...)
- 42 CNCTC, Une proposition des chefs traditionnels…, op. cit. Voir également, Christian Seignobos, « So (...)
- 43 Dans l’hypothèse de la nullité prévue par l’article 2 (6) du décret no 76-165 du 27 avril 1976 fixa (...)
22Pour identifier une concession d’une chefferie traditionnelle comme étant un bien indivis de la communauté, il faut au préalable qu’il n’y ait pas un titre de foncier individuel, c’est-à-dire un titre foncier établi au nom de la personne qui l’occupe ou de sa famille. Au Cameroun, le titre foncier demeure « la certification officielle de la propriété immobilière40 ». Par principe, il est inattaquable, intangible et définitif41. Cela veut dire qu’il ne suffit pas que la communauté considère la concession comme un « bien indivis » pour qu’elle soit un lieu public. À notre sens, la communauté doit, en plus, détenir sur la concession un droit réel, car à l’ère de la sécurité juridique les droits que possèdent les individus ou groupes d’individus ne sauraient reposer sur de simples considérations. Spécifiquement en matière foncière, ces droits doivent être matérialisés afin d’être protégés. Très concrètement, si une collectivité coutumière veut faire de la concession de la chefferie traditionnelle un bien indivis, elle doit pouvoir solliciter et obtenir un titre foncier collectif sur cet espace. C’est d’ailleurs le plaidoyer que mènent de plus en plus les populations dites autochtones42, qui souhaitent se voir délivrer un titre de propriété collective sur les terres qu’elles occupent. Cette bataille est d’autant plus judicieuse que la preuve de l’indivision devant le ministre compétent, ministre du Domaine, du Cadastre et des Affaires foncières, ou devant le juge administratif n’est pas toujours évidente lorsque le chef s’est fait établir un titre foncier individuel sur la concession ou tout autre espace43. En outre, la possibilité de solliciter un titre foncier collectif est prévue par les textes, notamment par l’article 9 (a) du décret de 1976 relatif à l’obtention du titre foncier. Cette disposition prévoit que « les collectivités coutumières, leurs membres [et] à condition que l’occupation ou l’exploitation soit antérieure au 5 août 1974 », peuvent solliciter l’obtention d’un titre foncier sur une dépendance du domaine national. Mais une telle démarche viendrait aggraver le problème de l’égalité des chefferies traditionnelles.
- 44 Ahmadou Ahidjo a été le 1er président de la République du Cameroun. Issa Sa Ïbou, « Paroles d’escla (...)
- 45 Relevons qu’aux termes du décret du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionne (...)
- 46 Pluriel de lamido. Le lamido est à la tête d’un lamidat.
- 47 Sur la question de l’expropriation pour cause d’utilité publique, voir Joseph Owona, Domanialité pu (...)
23En effet, le classement de la concession de certaines chefferies traditionnelles dans le domaine public par l’ordonnance de 1974 a pu être interprété comme une manœuvre politique visant à les déstabiliser. Pour certains auteurs, le projet de déstabilisation visait notamment les chefferies qui n’avaient pas tissé une alliance avec le « système Ahidjo » ou les systèmes qui l’ont précédé44. Il a été également relevé que certains lamidats dans la partie septentrionale du pays, notamment le lamidat de Rey-Bouba, demeurent la propriété de leurs maîtres45, les lamibé46. Il en résulte inéluctablement une rupture d’égalité entre les chefferies traditionnelles sur la base du seul degré d’influence politique de leurs leaders. Il est par conséquent souhaitable, à défaut de délivrer des titres fonciers collectifs aux communautés villageoises, de procéder au classement administratif de toutes les concessions de chefferies traditionnelles demeurées sous l’empire du droit privé. En effet, l’article 5 de l’ordonnance fixant le régime domanial prévoit que l’État puisse classer dans le domaine public des propriétés foncières privées, selon les règles d’expropriation pour cause d’utilité publique47. L’avantage d’une telle opération serait d’uniformiser le statut juridique des concessions des chefferies traditionnelles. Ainsi, toutes les concessions des chefferies traditionnelles deviendront des biens publics, ce qui permettra une adéquation entre « l’environnement de travail » du chef traditionnel et sa qualité d’auxiliaire de l’administration. Dans l’ensemble, si l’État camerounais a emprunté les voies de l’incertitude et de l’ambiguïté, c’est probablement en raison des coûts qu’implique la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique ainsi que les dépenses budgétaires qu’occasionnera l’entretien des concessions.
2.1.2. L’incidence de la classification sur le régime des réunions
- 48 En application de l’article 3 de la loi no 90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions (...)
- 49 Quoique cette fonction se soit désacralisée avec le temps. Voir Georges Etoa Oyono, « Splendeurs et (...)
24Dans l’hypothèse où la concession de la chefferie traditionnelle est un lieu public, toute réunion organisée en son sein est une réunion publique. En tant que telle, cette réunion est soumise à l’obligation de déclaration préalable48. Toutefois, à notre sens, il est important, pour l’application de la législation sur les réunions publiques aux concessions de chefferies traditionnelles, de distinguer si la réunion en question relève ou non du fonctionnement ordinaire de la chefferie. En réalité, lorsque les réunions relèvent l’activité normale d’une chefferie, elles n’ont pas être déclarées. C’est le cas des réunions convoquées et présidées par le chef traditionnel en vue de la bonne marche de son « unité de commandement », de la résolution des conflits, de la protection spirituelle du village ou des commémorations diverses. Exiger une déclaration préalable de réunion dans ces cas freinerait considérablement le travail de la chefferie, soumise ainsi à un excès de formalisme qui cadre mal avec la fonction de chef traditionnel49.
- 50 Encore qu’il nous semble que le critère de qualification d’une réunion politique soit incertain. Un (...)
- 51 « La tâche principale du chef de chefferie consiste à veiller au maintien de l’ordre et de la paix (...)
- 52 Aux termes de l’article 20 du décret de 1977, « les chefs traditionnels sont chargés de concourir, (...)
25En revanche, lorsque la réunion excède le cadre du fonctionnement ordinaire de la chefferie traditionnelle, la formalité de déclaration semble devoir s’imposer. Reprenant l’événement qui a suscité cette réflexion, et à supposer que la concession de la chefferie Bamendjou soit un lieu public, on pourrait comprendre que le préfet des Hauts-Plateaux ait cru devoir insister sur le caractère « politique » – et non traditionnel – de la réunion pour servir une mise en garde50. Toutefois, à regarder de très près, on serait tenté de se demander si le chef traditionnel, en tant qu’autorité morale et auxiliaire de l’administration, devrait se plier aux mêmes formalités que le citoyen lambda pour organiser une réunion publique. Étant donné que l’objectif ultime de la déclaration préalable des réunions publiques est d’éviter les troubles à l’ordre public, l’office du chef traditionnel ne lui vaut-il pas une présomption de comportement conforme à l’ordre public51 ? Comme les autorités administratives, le chef traditionnel n’assure-t-il pas la police de toute réunion qui se tient dans la concession de sa chefferie ? Il est difficile d’apporter une réponse nette. Tout au moins, il est permis de constater que ce que le législateur donne d’une main aux chefs traditionnels, il le récupère de l’autre. Ou alors, ce sont les autorités administratives déconcentrées, c’est-à-dire les gouverneurs (régions), les préfets (départements) et les sous-préfets (arrondissements), qui tolèrent mal la cohabitation avec les chefs traditionnels, car – faut-il le dire – si les premiers puisent leur pouvoir dans la légalité de leur décret de nomination, les seconds tiennent leur autorité de la légitimité populaire. Quoi qu’il en soit, le chef traditionnel, en tant qu’il est un maillon de la chaîne administrative, devrait tout au plus, pour certains types de réunions, informer simplement ou requérir l’autorisation de sa hiérarchie52. Il n’a donc pas à déclarer une réunion qu’il convoque dans sa chefferie puisqu’il n’est pas un citoyen ordinaire. Cette solution serait de nature à asseoir davantage la particularité des fonctions de chefs traditionnels, car, en principe, ces derniers ne peuvent poser des actes contraires à l’ordre public. Le rapport sera différent si la concession appartient à titre privatif au chef traditionnel : elle sera alors considérée comme un lieu privé ouvert au public.
2.2. La concession de la chefferie traditionnelle : un lieu privé ouvert au public
2.2.1. L’existence des espaces privés dans toute concession de chefferie traditionnelle
26Avant de s’appesantir sur l’hypothèse de la concession de la chefferie comme lieu privé ouvert au public, il est opportun de signaler que quand bien même la concession de la chefferie traditionnelle serait un lieu public, il y existe des espaces privés. En effet, il faut garder à l’esprit que la concession est à la fois le lieu de service et la résidence du chef traditionnel. Il faut procéder à une catégorisation des espaces à l’intérieur de la concession de la chefferie traditionnelle pour mieux la cerner. Au rang des espaces publics dans une concession de chefferie, on peut citer la cour royale qui est le point de rencontre pour les cérémonies communautaires ; éventuellement le musée royal qui renferme le trésor ancestral du peuple ; potentiellement une bibliothèque pour la culture de la population ; possiblement des locaux affectés à l’activité administrative du chef traditionnel et de manière générale tous les sites accueillant le public.
- 53 Dans la cosmogonie bamiléké, la forêt sacrée est considérée comme le prolongement des appartements (...)
27À l’ordre des espaces privés, on peut noter la case du chef qu’on peut qualifier, en des termes plus modernes, d’« appartements privés ». C’est le lieu où il vit sa stricte intimité et reçoit ses hôtes. À ce lieu s’ajoutent différentes cases (cases des enfants, cases des femmes, cases sacrées, cases des visiteurs, etc.) et divers espaces d’initiation (cas de la forêt sacrée de la chefferie en pays bamiléké53). Ces espaces de connexion et de ressourcement du chef sont en principe, même dans une concession appartenant au domaine public artificiel, fermés au public. Par conséquent, la tenue d’une réunion en ces espaces privés, quelle qu’elle soit, ne devrait pas être conditionnée par une déclaration préalable au sens de la loi de 1990 sur le régime des réunions et des manifestations publiques. En revenant sur l’anecdote de la chefferie Bamendjou, il importera de déterminer précisément l’espace, à l’intérieur de la concession de la chefferie traditionnelle, où s’est tenue la concertation politique. S’il s’agit d’un espace privé, c’est-à-dire réservé à l’intimité du chef, une telle concertation ne saurait être qualifiée de réunion publique. Cette solution relève de l’évidence, car on sait qu’il incombe au « maître des lieux » d’assurer la police de tout événement qu’abritent ses espaces privés. Cette précision faite, on peut déjà entrevoir l’importance des pouvoirs du chef traditionnel lorsque la concession de la chefferie est un lieu privé ouvert au public.
2.2.2. Le régime particulier de la concession comme lieu privé ouvert au public
- 54 Voir sur la question, en droit français, la circulaire du 11 mars 2011 relative à la présentation d (...)
- 55 Par exemple l’attestation de domiciliation requise pour divers dossiers administratifs. En matière (...)
- 56 Notamment en matière de titrisation des terrains (art. 13 du décret de 1976 fixant les conditions d (...)
- 57 Art. 81 de l’ordonnance no 81/002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses (...)
28Un lieu privé ouvert au public est un lieu appartenant à un particulier, mais qui, pour les besoins de son fonctionnement, est habituellement destiné à accueillir du public54. Rentrent dans cette catégorie juridique les restaurants, les cafés, les cinémas, les établissements bancaires, les hôtels, les magasins, etc. Ainsi, lorsque la concession de la chefferie traditionnelle appartient à titre privatif au chef, et non à la communauté, elle doit être considérée comme un lieu privé ouvert au public. L’idée ici est que le chef met simplement sa propriété au service de la fonction publique qu’il assure. En effet, même si le chef traditionnel peut avoir un droit de propriété sur l’espace qu’il occupe, son office ne demeure pas moins public : il accueille les populations, signe de nombreux documents pour les particuliers55, accompagne l’administration dans plusieurs opérations56, préside les mariages coutumiers et accomplit les diligences en vue de leur transcription aux registres d’état civil57.
- 58 Art. 2 précité.
- 59 Au même titre que le restaurateur qui ferme les portes de son restaurant pour y mener une activité (...)
29Sur le terrain des réunions publiques, la classification de la concession comme lieu privé ouvert au public emportera deux principales conséquences. La première est qu’une réunion tenue en son sein demeure normalement soumise à la condition de déclaration préalable. En réalité, la loi de 1990 s’applique également aux lieux ouverts au public58. Ainsi, les développements faits plus hauts sont parfaitement valables ici. Seulement, et c’est la nuance qu’apporte la seconde conséquence, le propriétaire d’un lieu ouvert au public peut décider de le privatiser à tout moment. Autrement dit, il peut décider de soustraire sa propriété en tout ou partie, temporairement ou non, de l’usage du public. Dans ce sens, le chef traditionnel propriétaire de la concession décide de son affectation59. Il s’agit là de la manifestation de l’usus attaché au droit de propriété.
30Sous ce prisme, l’intention d’affectation du bien, qu’on qualifiera d’animus usandi, déterminera le régime applicable en matière de réunions. Dans le cas de la concession de chefferie traditionnelle, cette intention peut être expresse ou implicite. Par exemple, une réunion qui se tient dans la cour de la chefferie, un espace en principe destiné à accueillir du public, et à laquelle tout le monde est expressément convié doit être considérée comme publique par volonté expresse du propriétaire. En revanche, si une réunion est simplement convoquée et que tout le monde y est accueilli sans distinction, elle sera considérée comme publique par volonté tacite. La logique sera la même pour les réunions privées. Si seules y sont conviées des personnes identifiées ou identifiables – à l’exclusion de toutes autres personnes – ou s’il y a un dispositif de filtrage des entrées dans la concession de la chefferie, tout cela doit être interprété comme la volonté du propriétaire d’utiliser son bien à titre privé. En définitive, dans l’hypothèse de la concession comme lieu privé ouvert au public, on voit bien que le curseur se déplace : une réunion ne sera considérée comme publique que si elle accueille effectivement le public ou si elle est ouverte à tous sans discrimination.
Pour ne rien conclure, mais pour tout ouvrir…
- 60 Par exemple, on s’interroge sur la logique qui préside leur création et leur répartition sur le ter (...)
31Dans l’ensemble, les chefferies traditionnelles ne cessent d’alimenter les réflexions60, et les développements qui précèdent ont relevé la difficulté qu’il y a à classifier leurs concessions en droit camerounais. Les divergences historiques et culturelles des chefferies sont, sans conteste, la source de cette difficulté que l’ordonnance de 1974 fixant le régime de la domanialité publique n’a pu dissiper. Dans l’attente d’une éventuelle réforme, la classification de la concession de chefferie traditionnelle, en vue de l’application du régime des réunions publiques, pourrait se faire à partir de la combinaison de deux critères : le critère de propriété et celui d’affectation. Lorsque la concession est un bien collectif de la communauté traditionnelle, elle sera considérée comme un lieu public. À l’inverse, si elle appartient à son occupant (le chef), elle sera considérée comme un lieu privé ouvert au public. Selon la situation, le régime applicable aux réunions ne sera pas toujours le même. Si le législateur entend faire de toutes les concessions de chefferies traditionnelles des lieux publics, il faudra procéder à l’expropriation des celles qui se trouvent encore sous l’empire du droit privé. Cette piste permettra ainsi à toutes les concessions de chefferies traditionnelles de bénéficier du même statut, ce qui est loin d’être mauvais.
Notes
1 Il s’agit des collectivités traditionnelles dont les membres entretiennent plus ou moins des liens historiques et anthropologiques.
2 Le statut juridique de la chefferie traditionnelle au Cameroun souffre d’une réelle ambiguïté. Certains auteurs y voient un « sujet juridique non identifié », comme Charles Nach Mback, « La chefferie traditionnelle au Cameroun : ambiguïtés juridiques et dérives politiques », Africa development, vol. XXV, no 3 et 4, 2000, p. 78. C’est qu’en réalité elle ne figure pas comme un échelon de l’organisation administrative de l’État du Cameroun. D’où l’appel des chefs traditionnels : Conseil national des chefs traditionnels du Cameroun (CNCTC), Une proposition des chefs traditionnels et leaders autochtones sur le foncier rural au Cameroun, 12 décembre 2013, p. 3.
3 Les chefferies traditionnelles sont classées en degrés. Eu égard à leurs spécificités (superficie, nombre d’habitants, histoire), certaines chefferies traditionnelles, les plus importances, sont appelées « chefferies de 1er degré ». Il existe également des chefferies de 2e et de 3e degré.
4 Situé dans la région de l’ouest du Cameroun, ce département couvre sur une superficie de 415 km2.
5 Correspondance, préfet des Hauts-Plateaux, no 100/L/F/F38/SP du 24 juillet 2020.
6 Jean-François Bayart, « La démocratie à l’épreuve de la tradition en Afrique subsaharienne », Pouvoirs, no 129, 2009, p. 27-44. Dans son étude, l’auteur relève, par exemple, que pour mieux gouverner le Cameroun, la France a dû composer avec les chefferies traditionnelles influentes telles les « lamidats foulbé du nord du Cameroun ».
7 Nous rappelons que le chef traditionnel est considéré comme un auxiliaire de l’administration.
8 Maurice Godelier, « Chefferies et États, une approche anthropologique », dans Les princes de la protohistoire et l’émergence de l’État, Rome, École française de Rome, 1999, p. 19-30.
9 Maurice Delafosse, Les civilisations négro-africaines, Paris, Stock, 1925, p. 96-98.
10 Charles Kingsley Meek, Land law and customs in the colonies, Londres, Oxford University Press, 1946, p. 10 cité par Alain Testart, « Propriété et non-propriété de la terre. L’illusion de la propriété collective archaïque (1re partie) », Études rurales, no 165-166, 2003, p. 214.
11 On se souvient du traité germano-douala du 12 juillet 1884 qui avait été conclu entre des firmes allemandes et les chefs locaux. Sur la question, voir Rodrigue Ngango Sandjé, « Le traité germano-douala du 12 juillet 1884 : étude contemporaine sur la formation des contrats dans l’ordre juridique intemporel », Revue québécoise de droit international, vol. 29, no 1, 2016, p. 131-159.
12 Cette chefferie traditionnelle existe depuis 1830.
13 Cette collectivité traditionnelle existe depuis 1798.
14 Maurice Kamto, « Introduction au droit d’urbanisme du Cameroun », Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, no 6, 1988, p. 1613-1614. Dans certaines contrées, l’expropriation s’est faite par voie d’apposition des fétiches dans la concession visée. Les fétiches sont des objets naturels (cailloux, cheveux, morceaux de bois, fer) ou imprégnés (statuettes, amulettes) auxquels on prête un pouvoir surnaturel. Voir sur la question, Michèle Coquet, « Une esthétique du fétiche », Système de pensée en Afrique noire, no 8, 1987, p. 111-140.
15 D’ailleurs, le pouvoir juridictionnel du chef pouvait bien l’amener à prononcer des peines de corvées à exécuter dans la concession de chefferie.
16 D’un point de vue simplement matériel, la présence d’une clôture sur une terre est révélatrice d’un éventuel droit de propriété.
17 Joseph Gomsu, Colonisation et organisation sociale. Les chefs traditionnels du Sud-Cameroun pendant la période de colonisation allemande (1884-1914), thèse de doctorat de 3e cycle, université de Metz, 1982, p. 128 et suiv.
18 A. 4 févr. 1933 du fixant le statut des chefs indigènes.
19 On distinguait ainsi les chefferies supérieures (les lamidats et les sultanats) qui constituaient des chefferies de 1er degré, les groupements et les cantons qui formaient les chefferies de 2e degré, les chefferies de villages et de quartier qui étaient des chefferies de 3e degré.
20 « Les chefs n’ont aucun pouvoir d’aucune espèce, car il n’y a pas deux pouvoirs dans le cercle » (Jacques Lombard, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique noire, Paris, Armand Colin, 1967, p. 128).
21 Art. 3 et suiv. de l’arrêté précité.
22 Catherine Coquery-Vidrovitch, L’Afrique noire. Permanences et ruptures, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 119 et suiv.
23 Charles Nach Mback, art. cité, p. 78 et suiv.
24 Maurice Tadadjeu, Voie africaine. Esquisse du communautarisme africain, Yaoundé, Club OUA, 1989, p. 10 et suiv.
25 D’ailleurs le préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 protège les droits des populations autochtones.
26 Maurice Kamto, « Introduction au droit de l’urbanisme du Cameroun », art. cité, p. 1613 et suiv.
27 Charles Nach Mback, art. cité, p. 86.
28 2 textes retiendront particulièrement l’attention. D’une part il s’agit de l’ordonnance no 74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier. D’autre part, il s’agit de l’ordonnance no 74-2 du 6 juillet 1974 fixant le régime domanial.
29 Le domaine public naturel est constitué de l’ensemble de biens dont la création est le fruit du hasard de la nature. Dans ce sens, font partie du domaine public naturel : le domaine public maritime, le domaine public fluvial, le domaine public terrestre et aérien. Par opposition, le domaine public artificiel est le fruit de la création et du génie humains.
30 Dans la mesure où elle est difficilement intelligible. Sur l’importance de l’intelligibilité de la loi, voir Philippe Malaurie, « L’intelligibilité des lois », Pouvoirs, vol. 3, no 114, 2005, p. 131-137.
31 Maurice Kamto, « Introduction au droit d’urbanisme du Cameroun », op. cit., p. 1613-1614.
32 Célestin Sietchoua Djuitchoko, « Aspects de l’évolution des coutumes ancestrales dans le droit public des chefferies traditionnelles au Cameroun », Revue générale de droit, vol. 32, no 2, 2002, p. 359-381.
33 Ord. no 74/02, art. 2 al. 2 précitée.
34 Appellation remplacée par celle de « régions » depuis le décret no 2008/376 du 12 novembre 2008 portant organisation administrative de la République du Cameroun.
35 Les dernières données datent de 2012. À cette date, on dénombrait 80 chefferies traditionnelles de 1er degré et 862 chefferies traditionnelles de 2e degré. Les chefferies traditionnelles de 3e degré ne sont pas répertoriées, encore moins les chefferies de quartier, de bloc, de zone. Voir Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Annuaire des chefferies traditionnelles de 1er et 2nd degrés, 2012. Aujourd’hui, des sources non officielles révèlent qu’il existerait 80 chefferies de 1er degré, 875 chefferies de 2e degré et 12 582 de 3e degré, lire Alain Cyr Pangop, « Nomenclature des chefferies traditionnelles (1er, 2e et 3e degré) de la République du Cameroun », African forum of communication, 2021.
36 Notons qu’aux termes de l’article 5 du décret no 77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles, chaque chefferie traditionnelle porte la dénomination consacrée par la tradition. Sylvain Charles Amougou Mveng, La chefferie traditionnelle Bene à l’ère de la libéralisation politique au Cameroun et de ses ressorts : le cas de l’arrondissement de Nkol-Metet, mémoire de DEA, université de Yaoundé II-SOA, 2009, p. 10 et suiv.
37 L’office des chefs traditionnels est fait de droits et de charges. S’ils sont rémunérés pour les services rendus, ils peuvent être également sanctionnés disciplinairement en raison de leur comportement, leur inefficacité ou leur inertie. Voir dans ce sens les articles 19 et suiv. du décret no 77/245 précité. Voir aussi le décret no 2013/332 du 13 septembre 2013 modifiant et complétant certaines dispositions du décret no 77/245. D’après ce texte, les chefs traditionnels reçoivent désormais une allocation mensuelle de 200 000 francs CFA pour les chefs de 1er degré, de 100 000 francs CFA pour les chefs de 2e degré et 50 000 francs CFA pour les chefs de 3e degré. Cette hiérarchisation dans le traitement des chefs traditionnels est de nature à fragiliser certaines chefferies.
38 Pour une approche historique de l’urbanisation, voir Athanase Bopda, « Genèse, mutation et problèmes urbains de la chefferie “traditionnelle” à Yaoundé (Cameroun) », dans Sylvy Jaglin et Alain Dubresson (dir.), Pouvoirs et cités d’Afrique noire. Décentralisations en questions, Paris, Karthala, 1993, p. 253 et suiv. L’auteur met l’accent sur la relation entre l’urbanisation et l’affaiblissement du pouvoir traditionnel.
39 Art. 20 du décret no 77/245 du 15 juillet 1977 précité.
40 Art. 1er du décret no 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le décret no 2005/481 du 16 décembre 2005.
41 Mais il peut donner lieu à un contentieux administratif : Aloys Mpessa, « Le titre foncier devant le juge administratif camerounais : les difficultés d’adaptation du système Torrens au Cameroun », Revue générale de droit, vol. 34, no 4, 2004, p. 612 et suiv.
42 CNCTC, Une proposition des chefs traditionnels…, op. cit. Voir également, Christian Seignobos, « Sortir de l’oralité : un moyen de reconnaissance des droits fonciers au Nord-Cameroun », dans Savanes africaines : des espaces en mutation, des acteurs face à de nouveaux défis, actes du colloque, 27-31 mai 2002, Garoua, Cameroun, 2003, p. 2, voir https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-12/010041653.pdf (consulté le 31 juillet 2022).
43 Dans l’hypothèse de la nullité prévue par l’article 2 (6) du décret no 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier précité. Une étude a constaté que de nombreux conflits naissent entre les chefs traditionnels et les populations, les premiers faisant souvent immatriculer les terres en leur seul nom (Aloys Mpessa, art. cité, p. 640).
44 Ahmadou Ahidjo a été le 1er président de la République du Cameroun. Issa Sa Ïbou, « Paroles d’esclaves au Nord-Cameroun », Cahiers d’études africaines, no 179-180, 2005, p. 853-877.
45 Relevons qu’aux termes du décret du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles, chaque chefferie traditionnelle porte la dénomination consacrée par la tradition (art. 5). Ce qui explique l’usage de plusieurs expressions pour désigner des types particuliers de chefferies : canton, groupement, chefferies, lamidat, sultanat.
46 Pluriel de lamido. Le lamido est à la tête d’un lamidat.
47 Sur la question de l’expropriation pour cause d’utilité publique, voir Joseph Owona, Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 10 et suiv.
48 En application de l’article 3 de la loi no 90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et manifestations publiques.
49 Quoique cette fonction se soit désacralisée avec le temps. Voir Georges Etoa Oyono, « Splendeurs et problèmes des chefs traditionnels des territoires du centre-sud au lendemain de la grande guerre », Revue internationale des francophonies, no 3, 2018, p. 1 et suiv.
50 Encore qu’il nous semble que le critère de qualification d’une réunion politique soit incertain. Une réunion est-elle politique du fait de la présence de personnalités politiques ou du fait qu’elle porte sur des sujets politiques ? Il n’est pas toujours évident de trancher dans la mesure où les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde et que les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques. De ce point de vue, une rencontre entre un monarque et les leaders politiques ne devrait pas être vue d’un mauvais œil.
51 « La tâche principale du chef de chefferie consiste à veiller au maintien de l’ordre et de la paix au sein de la société » (Constantijn Petridis, « Gipogo et Pumbu a mfumu : masques du pouvoir cheffal chez les Pende du Kasaï », Revista do Museu de Arqueologia e Etnologia, no 2, 1992, p. 76).
52 Aux termes de l’article 20 du décret de 1977, « les chefs traditionnels sont chargés de concourir, sous la direction des autorités administratives compétentes, au maintien de l’ordre public et au développement économique, social et culturel de leurs unités de commandement ». Il est vrai que le débat sur la nature des relations entre les chefs traditionnels et les autorités administratives déconcentrées demeure. La qualité d’auxiliaire de l’administration induit-elle une obligation de subordination des chefs aux autorités administratives ? Certains dépositaires des traditions ancestrales estiment, sur la base de l’étymologie auxiliarus (venant à l’aide de…) qu’il existe une relation de collaboration plutôt que de subordination. Pourtant, les autorités administratives « portent chaque année leur appréciation sur l’activité des chefs traditionnels de leurs circonscriptions administratives » (art. 28 du décret no 77/245), ils peuvent prononcer des sanctions à leur encontre (art. 29) et interviennent même dans le contentieux successoral à la tête des chefferies. Cela laisse croire qu’il y a un véritable lien de subordination : « les auxiliaires de l’administration forment une catégorie résiduelle des agents de l’État exclus du bénéfice du décret no 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique » (Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 367) ; voir également, Maurice Kamto, « Regard sur le nouveau statut général de la fonction publique », Lex-Lata, no 2, 1994, p. 8. Pour une approche historique des entités traditionnelles camerounaises, voir Roger-Gabriel Nlep, L’administration publique camerounaise : contribution à l’étude des systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1986, p. 20-21.
53 Dans la cosmogonie bamiléké, la forêt sacrée est considérée comme le prolongement des appartements privés du chef, dans la mesure où son « double », appelé trivialement « totem », y vivrait.
54 Voir sur la question, en droit français, la circulaire du 11 mars 2011 relative à la présentation des dispositions relatives à la contravention de dissimulation du visage dans l’espace public, publié au Bulletin officiel du ministère de la Justice et des Libertés, no 2011-03 du 31 mars 2011.
55 Par exemple l’attestation de domiciliation requise pour divers dossiers administratifs. En matière de candidature indépendante à l’élection présidentielle, le concours des chefs traditionnels de 1er degré est quasi indispensable (art. 121 de la loi no 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral). De même, dans le cadre de la décentralisation, les chefs traditionnels interviennent dans le processus d’élection du président du conseil régional (art. 248 du Code électoral).
56 Notamment en matière de titrisation des terrains (art. 13 du décret de 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, tel que modifié par le décret de 2005).
57 Art. 81 de l’ordonnance no 81/002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques.
58 Art. 2 précité.
59 Au même titre que le restaurateur qui ferme les portes de son restaurant pour y mener une activité privée.
60 Par exemple, on s’interroge sur la logique qui préside leur création et leur répartition sur le territoire, voir Rodrigue Ngando Sandjè, « Le terroir. Contribution à l’étude du droit constitutionnel démotique », Sciences humaines combinées, no 13, 2014, http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=359 (consulté le 8 juillet 2022).
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Référence papier
Pierre-Claver Kamgaing, « La concession de la chefferie traditionnelle, lieu public ou lieu privé ? », Les Annales de droit, 16 | 2022, 121-140.
Référence électronique
Pierre-Claver Kamgaing, « La concession de la chefferie traditionnelle, lieu public ou lieu privé ? », Les Annales de droit [En ligne], 16 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/add/2358 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/add.2358
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