Le droit administratif camerounais « postcolonial » en rupture avec le modèle français inspirateur
Résumés
Le Cameroun ancienne colonie allemande, a été placé par le système des Nations unies, sous administration de la France et de la Grande Bretagne. La partie confiée à la France a été, non seulement le cadre d’application du droit administratif d’origine française, mais surtout, le lieu d’éclosion d’un droit administratif « intranéen » ; en raison de l’application, dès le départ, du principe de la spécialité législative. C’est la raison pour laquelle, il existe une dichotomie entre les droits administratifs français et camerounais. Cette dichotomie, depuis l’accession du Cameroun à l’indépendance, est davantage consolidée, et, renforce l’idée de l’autonomie et l’originalité des droits africains par rapport au droit français.
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- 1 Le discours prononcé par le général de Gaulle le 30 janvier 1944 à l’occasion de l’ouverture de la (...)
- 2 Étant entendu que ladite société « s’enrichit de nouveaux membres… » (Pierre François Gonidec, « De (...)
- 3 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone : contribution à l’étude d (...)
- 4 Albert Bourgi, « Les relations avec l’ex-État colonial », Droit international et relations internat (...)
- 5 Magloire Ondoa, art. cité, p. 294.
- 6 Jean Foyer, « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, p. 2.
1L’accession à l’indépendance des territoires placés sous la domination de la métropole française, bien que ne s’étant pas réalisée sans difficultés1, a favorisé l’avènement d’une nouvelle ère, aussi bien au sein de la société internationale2 qu’à l’intérieur des États qualifiés de « nouveaux nés ». Ces derniers, parvenus à ce nouveau statut, ont obtenu la souveraineté qui leur conférait l’exclusivité de l’organisation et la structuration de leur ordre juridique interne. Jusque-là, un problème non moins crucial demeurait : celui de la détermination du modèle de ce nouvel ordre juridique, notamment en Afrique. Car, comme l’écrit le doyen Magloire Ondoa, « sitôt l’indépendance politique acquise, pour les États africains se posait en effet le problème de la transition juridique, que leur imposait de choisir entre le maintien, le rejet ou la réforme du système de droit légué par l’ancien colonisateur. L’heure étant à l’affirmation de l’identité culturelle africaine, la question devint celle de la décolonisation des droits3 ». En d’autres termes, on se demandait ce qu’il adviendrait du droit applicable pendant la période d’occupation et d’administration des territoires africains par la France. Certains ont soutenu la thèse selon laquelle « décolonisation ne signifie pas rupture4 », même sur le plan du droit. Le droit en vigueur pendant la période « coloniale », devait selon eux, être reconduit après les indépendances, et consacré par les ordres juridiques nouveaux. En revanche, d’autres estiment que désormais, « les relations entre la France et les États africains sont d’une autre nature. Théoriquement, elles n’admettent sur le plan de la production des normes juridiques, aucun abandon de souveraineté et consacre plutôt, l’autonomie et l’indépendance des systèmes africains5 ». Cette dernière opinion apparaît, à bien des égards, plausible. C’est d’ailleurs pourquoi Jean Foyer, en se référant aux « droits africains », affirmait : ils « sont désormais à notre égard, à nous Français des droits étrangers6 ». Le droit administratif camerounais s’inscrit dans cette perspective.
- 7 Dans l’avis du comité juridique de l’Union française du 13 avril 1948 relatif à la situation du Tog (...)
- 8 Il est désormais acquis que le Cameroun ne fut guère colonisé par la France ou le Royaume-Uni. Seul (...)
- 9 Yves Gaudemet, « L’exportation du droit administratif français : brèves remarques en forme de parad (...)
- 10 Au sujet de l’avènement et les finalités du principe de la spécialité législative, Stéphane Diemert (...)
- 11 Magloire Ondoa, ibid., p. 48.
- 12 Ibid.
- 13 Même sur le plan international, les règles juridiques régissant la domination de communautés par le (...)
- 14 Yem Gouri Materi, « Le bilan de l’unité du droit administratif dans les pays d’Afrique noire franco (...)
- 15 René Degni-Segui, La succession d’États en Côte d’Ivoire, thèse, Université Aix-Marseille, 1979, t. (...)
- 16 René Degni-Segui, Droit administratif général, Abidjan, CRES, 1990, p. 29, rapporté par Magloire On (...)
- 17 Magloire Ondoa, art. cité, p. 288.
2En effet, le Cameroun oriental, placé sous administration de la France après le départ de l’Allemagne, a été assimilé à une colonie de la métropole chargée de l’administrer, le préparer et le conduire à l’autodétermination7, alors qu’il n’en était pas une8. Cela a eu pour conséquence la soumission des territoires camerounais et togolais aux mêmes régimes et systèmes d’administration que les autres possessions françaises. L’introduction du droit administratif, dans ces territoires ayant acquis un statut particulier, est apparue par la même occasion inévitable. Toutefois, la France a opéré une séparation entre le droit administratif applicable dans la métropole et celui applicable dans l’empire français et partant au Cameroun. Cela tenait au fait que « la construction nationale et empirique du droit administratif français, ne le prédisposait pas à être repris ailleurs ; fruit d’une histoire nationale, il restait tributaire de celle-ci9 ». Ce droit d’origine et d’essence métropolitaine a été adapté aux spécificités des territoires africains, du fait de l’application du principe de la « spécialité législative10 ». Ainsi doit-on en inférer que « le mandat international et, avant lui, l’occupation de fait eurent pour conséquence, l’implantation, dans les Territoires politiquement dominés, des systèmes juridiques différents de celui métropolitain et donc originaux par rapport à lui, car adaptés aux conditions particulières des peuples sous domination11 ». Il en résulta l’élaboration d’un droit administratif « colonial12 » qui devait être reconsidéré à l’indépendance13. Ce réaménagement ne pouvait se faire qu’en fonction du débat où deux thèses solidement défendues s’opposent. D’une part, celle qui défend la clause de la « reconduction » de l’ordre juridique colonial, concrétisé par une reprise intégrale du droit français sans la moindre adaptation aux réalités locales. À l’appui de cette thèse, ses défenseurs soutiennent l’idée de l’universalité du droit administratif, de son unité. Le professeur Yem Gouri Materi écrit à ce propos qu’« il n’existe pas au-delà des terminologies et des qualificatifs, un droit sénégalais, ivoirien, camerounais ou tchadien. Le droit administratif est unique dans ses fondements, il est déterminé par des ressorts qui sont les mêmes dans l’ensemble des pays qui l’ont adopté14 ». Le professeur Degni-Segui se référant à la Côte d’Ivoire affirme : « la jurisprudence française ayant été nationalisée, “ivoirisée”, les arrêts du Conseil d’État nous appartiennent autant qu’à la France : ils constituent le patrimoine juridique commun des deux États15 ». Selon cet auteur, « presque tout le droit administratif porté par la jurisprudence constante du Conseil d’État, antérieurement à l’indépendance, rentre incontestablement dans le bloc légal reconduit16 ». Cela suppose que, ce droit reste le même dans son acception quel que soit le pays dans lequel il est implanté. Le juge africain doit le recevoir tel quel sans le remodeler selon sa convenance, « au risque de dénaturer et altérer des solutions élaborées diligemment et patiemment consolidées par des esprits aussi éclairés que sont le juge et la doctrine français17 ».
- 18 « La clause de reconduction ne concernait en effet que le droit en vigueur dans les possessions col (...)
- 19 L’auteur fait sienne la définition du vocable « autonomie » proposé par André de Laubadère selon la (...)
- 20 Magloire Ondoa, Introduction historique au droit camerounais. La formation initiale, op. cit., p. 3 (...)
- 21 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone », art cité, p. 293-294.
3D’autre part, le doyen Ondoa défend une thèse contraire. Après avoir opéré une nuance relativement à la « clause de la reconduction » du droit applicable en Afrique à l’époque coloniale18, il soutient l’idée de « l’autonomie19 des droits africains » et partant du droit administratif camerounais, sur le plan formel, de même que celle de l’originalité des solutions de fond de chacun des systèmes sur le plan matériel encore qualifiée d’« autonomie matérielle20 ». L’auteur précise à cet égard que « sur le plan strictement formel, l’autonomie des systèmes juridiques africains par rapport à celui de la France interdit que les sources du droit édictées ici soient directement applicables là-bas. En outre et sur le plan matériel, l’originalité des questions juridiques auxquelles chacun des systèmes est confronté le conduit, afin de se mettre en harmonie avec son histoire et son contexte, à construire ses solutions sur ses fondements théoriques propres, différents et incompatibles avec ceux de l’autre21 » ; quitte à reconduire le « droit administratif colonial » qui répondait déjà à cette exigence.
- 22 Francis-Paul Bénoit, « Des conditions du développement d’un droit administratif autonome dans les É (...)
4Il s’agit d’une prise de position qui fait chorus avec la thèse développée par Francis-Paul Bénoit à l’aube des indépendances. Cet auteur estimait en effet que la naissance d’une règle juridique étant toujours liée à des contingences, c’est-à-dire à des données occasionnelles de pur fait, il apparaissait important que pour certains problèmes, les États nouvellement indépendants puissent adopter des solutions plus simples que celles adoptées en France. Par conséquent, il était indispensable de respecter les traits originaux qui pouvaient éventuellement apparaître dans la manière dont se posent localement les problèmes touchant aux rapports des particuliers et de l’administration22.
- 23 René Degni-Segui, « Codification et uniformisation du droit », dans L’État et le droit. Encyclopédi (...)
5Le droit administratif camerounais élaboré postérieurement aux indépendances est tributaire de ce décalage adossé à la souveraineté acquise par les États naissants, ce d’autant plus que « le droit du prédécesseur, qui n’est ni moins ni plus que la manifestation interne de sa souveraineté ne saurait survivre à la mutation territoriale alors que cette souveraineté s’éteint. La mutation territoriale qui ne s’appréhende plus de nos jours comme un transfert de souveraineté, mais plutôt comme une substitution de souveraineté, emporte donc l’extinction de l’ordre juridique interne du prédécesseur23 », tout au moins, relativement à l’application des constitutions et conventions internationales qui constituaient des exceptions au principe de la spécialité législative.
- 24 Il s’agit du « “modèle français” caractérisé par le “principe de la séparation des autorités admini (...)
- 25 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique, op. cit., p. 51.
- 26 Ibid., p. 45.
- 27 Dominique Darbon, « Le juge africain et son miroir : la glace déformante du transfert de jurisprude (...)
6Si le Cameroun a opté pour le droit administratif, pris comme « modèle24 » inspiré par la France et constituant une source de proximité entre les disciplines des deux États, on ne saurait parler d’une « assimilation » entre elles ; encore moins de transposition du droit administratif français au Cameroun, ce dernier ayant opéré une refonte du système d’aménagement des rapports administration-administrés, et de contrôle juridictionnel de l’administration. Cela conduit à affirmer la « rupture » entre les droits administratifs camerounais et français, en raison de l’élaboration d’un droit « intranéen25 » puisé dans les mœurs, la culture africaine ou spécifiquement nationale. Aussi convient-il de préciser que la réception de certaines solutions du droit métropolitain promulgué dans les « colonies » et du droit français non exporté est un acte de souveraineté26 posé par le législateur et le juge camerounais. Elles ne remettent pas en cause l’autonomie du droit administratif camerounais par rapport au droit français, d’autant plus qu’elles sont adaptées aux spécificités des territoires africains. Toutes choses qui témoignent de l’originalité de ce droit « intranéen ». De ce qui précède, il apparaît qu’« adopter à un moment donné le modèle administratif d’une métropole et surtout ses solutions légales ne signifie pas importation d’un système de droit, mais d’une image sur laquelle on compte bâtir. Il n’y a pas mimétisme d’un système, mais reprise de solutions techniques ahistoriques et aseptisées27 ».
7L’on entend ainsi opérer une distinction claire entre les droits administratifs applicables dans les deux États, afin de démontrer que les liens historiques existant entre la France et le Cameroun sont indéniables. Cependant, le droit administratif de l’ancienne métropole qui ne cesse d’évoluer, tranche avec celui du territoire qu’elle a administré, surtout que celui-ci ne s’arrime pas à cette évolution. Deux ordres de considération servent à mettre en exergue la spécificité du droit administratif camerounais, par rapport au droit administratif français à savoir : d’une part, l’organisation de la juridiction administrative (1) ; d’autre part, les sources et significations des notions retenues dans chaque État (2).
1. La spécificité de l’organisation de la juridiction administrative camerounaise par rapport à la juridiction administrative française
- 28 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 132.
- 29 Ibid., p. 134.
8Comme l’affirme à juste titre Francis-Paul Bénoit, « si l’on veut voir apparaître un droit administratif autonome, c’est-à-dire si l’on désire que les problèmes propres du droit administratif reçoivent des solutions qui leur soient propres, et donc adaptées, et non pas voir plaquer sur les problèmes administratifs des solutions de droit civil élaborées pour résoudre tout autre problème, il faut avoir une juridiction spécialisée dans la solution des problèmes administratifs, c’est-à-dire une juridiction administrative28. » Cela suppose que tout État qui opte pour le droit administratif en tant que « modèle » crée une juridiction administrative. C’est le cas du Cameroun et de la France. Toutefois, chaque État aménage sa juridiction selon sa convenance. C’est pourquoi le Cameroun à la faveur de l’indépendance a acquis l’exclusivité de la mise en place et l’aménagement de sa juridiction administrative, quitte à se départir des recettes proposées par la France. Ce qu’il fît d’ailleurs, en s’appropriant la recommandation de Francis-Paul Benoît selon laquelle : « il faut donc que les États nouveaux prennent garde que le problème de l’organisation de leurs juridictions n’est pas un simple problème d’aménagement technique, mais qu’il implique des choix fondamentaux29. » Cela traduit une différence frappante entre les juridictions administratives française et camerounaise, relativement aussi bien à leur aménagement sur le plan organique et fonctionnel (1.1), qu’au mécanisme de détermination de leurs compétences respectives (1.2).
1.1. La différence de techniques d’aménagement des deux juridictions sur le plan organique et fonctionnel
- 30 Gérard Conac, « Le juge et la construction de l’État de droit en Afrique francophone », dans L’État (...)
- 31 Ahmed Salem Ould Bouboutt, art. cité, p. 379.
9Au moment où les États francophones d’Afrique furent constitués, il fut jugé raisonnable d’adopter, contrairement à l’exemple français, le principe de l’unité de juridiction30. En s’inscrivant dans la même logique, le Cameroun (1.1.1) a aménagé sa juridiction administrative selon le modèle qui se démarque du dualisme juridictionnel pour lequel la France a opté (1.1.2). L’on s’aperçoit que si par principe tout État dispose d’un système juridictionnel de contrôle de l’administration, il reste que les systèmes juridictionnels varient d’un pays à l’autre31.
1.1.1. Le dualisme juridictionnel intégral en France
- 32 Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité de contentieux administratif, 3e éd., Paris, LGDJ, 1984, t. (...)
- 33 Jacques Chevallier, « Du principe de séparation au principe de dualité », RFDA 1990, p. 717-719.
- 34 Francis Casorla, « La justice séparée », LPA 12 juill. 2007, no 139, p. 5.
- 35 Bernard Pacteau, « Dualité de juridictions et dualité de procédures », RFDA 1990, p. 752.
- 36 Ibid.
- 37 Roland Drago et Jean-Marie Auby, op. cit., p. 182.
10Le système juridique français se définit essentiellement par la dualité de juridictions, c’est-à-dire par l’existence de deux ordres juridictionnels relevant au sommet, l’un de la Cour de cassation, l’autre du Conseil d’État, nonobstant quelques interférences qui s’observent sur le plan matériel32. Cette dualité dérive de la consécration du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, et implique que les litiges administratifs soient tranchés par des juges distincts et indépendants des juges judiciaires33 à savoir les juges de l’ordre de juridiction administrative. Cela fait dire à Francis Casorla que « les justices administrative et judiciaire [sont] en résidences séparées34 ». En clair, il y a une séparation aussi bien sur le plan organique que fonctionnel, en raison des règles de procédure différentes et propres à chaque ordre de juridiction, et le professeur Bernard Pacteau, fort à propos, écrit : « Dualité de droits, dualité de tribunaux, dualité donc aussi de technique de jugement, l’ensemble se tient logiquement et mécaniquement35. » En conséquence, la spécificité de la juridiction administrative qui a conforté celle du droit administratif est prolongée par celle de la procédure contentieuse administrative36. Toutefois, le principe de dualité trouve justification et obtient pleine réalisation à condition que les juridictions de l’ordre administratif soient véritablement indépendantes de l’administration active37.
1.1.2. Le chevauchement du monisme et du dualisme au Cameroun
- 38 L’évolution du statut politique du Cameroun qui accède à partir du 10 mai 1957 à l’autonomie intern (...)
- 39 La loi constitutionnelle no 61/24 du 1er septembre 1961 aménageant l’État fédéral, mise en place da (...)
- 40 Le doyen Magloire Ondoa précise d’ailleurs qu’« en Afrique au sud du Sahara, le dualisme juridictio (...)
11L’État camerounais, après avoir expérimenté le dualisme intégral à l’époque de l’autonomie interne38, puis le dualisme partiel sous l’empire de l’État fédéral39, a mis en place dès 1972 un système juridictionnel concrétisé par l’unité organique et la dualité fonctionnelle40. Les réformes et réaménagements intervenus du fait de la révision constitutionnelle de 1996 et avènement des lois de 2006 ont donné à la juridiction administrative camerounaise un visage nouveau. À ce titre, rendre compte de son organisation revient à mettre en relief le monisme au sommet et le dualisme à la base sur le plan organique (1.1.2.1) ainsi que le dualisme au sommet et à la base sur le plan fonctionnel (1.1.2.2).
1.1.2.1. Monisme au sommet et dualisme à la base sur le plan organique
- 41 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Existe-t-il un contentieux administratif autonome en Mauritanie ? Réfl (...)
12La question de savoir si les réalités sociologiques des pays africains accédant à l’indépendance, justifiant le choix d’un système d’unité de juridiction, laisseraient réellement place à l’existence et au développement d’un contentieux administratif autonome comparable à celui qui existe en France41, n’a pas dissuadé, et encore moins effrayé, les autorités camerounaises. Le choix pour l’unité juridictionnelle laissait plutôt entendre que ce modèle était un gage d’autonomie du droit administratif camerounais. De plus, le contexte s’y prêtait grandement dans la mesure où, comme le note à juste titre Jean Rivero :
- 42 Jean Rivero, « Les phénomènes d’imitation des modèles étrangers en droit administratif », Les pages (...)
la plupart [des États africains y compris le Cameroun], conscients de la différence de volume entre leur contentieux administratif et celui de l’ancienne métropole, sensibles aussi au gaspillage en hommes de valeur qu’aurait entraîné la dualité intégrale dans les États insuffisamment fournis en cadres supérieurs, ont donné du schéma français, une adaptation économique […] c’est une formation administrative de l’unique Cour suprême qui connaît des litiges administratifs42.
- 43 Joseph-Marie Bipoun-Woum, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administrat (...)
13Le professeur Bipoun-Woum affirme dans la même optique que « l’option du législateur camerounais en faveur de l’unité de juridiction [est] imputable avant tout à des raisons d’ordre technique ou circonstanciel, tenant par exemple à l’insuffisance relative du personnel judiciaire et à l’inexistence d’une institution de formation de magistrats administratifs de haut niveau43 ».
- 44 Ord. no 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême
- 45 L. no 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière admin (...)
14En effet, la Constitution du 2 juin 1972 permettant à l’État camerounais de se départir de la forme fédérale pour adopter la forme unitaire a créé une Cour suprême unique. Celle-ci se substitue à la Cour fédérale de justice et est, à la fois, juge constitutionnel, juge de cassation des décisions rendues par les tribunaux de droit commun et juge administratif (art. 32, al. 3). L’unité organique se traduit par la présence de ce qui constitue la juridiction administrative au sein de cette juridiction suprême. Il s’agit de l’unique chambre administrative juge de premier ressort et l’assemblée plénière juge d’appel, toutes siégeant à Yaoundé. Leurs domaines de compétences ont été fixés par l’ordonnance du 26 août 197244 et la procédure à suivre devant elles, par la loi du 8 décembre 197545.
- 46 Maurice Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour suprême du Cameroun », Gérard C (...)
- 47 La paternité de l’organisation juridictionnelle unitaire est attribuée au général Lyautey, résident (...)
- 48 Il a d’abord été mis en œuvre au Maroc, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, dans la fédération du Mali (M (...)
15Cette architecture qualifiée par le professeur Kamto de « deux-dans-l’un juridictionnel46 » traduit la bonne appropriation par le Cameroun d’une technique dont il n’est ni le créateur47 ni le premier à l’expérimenter48, malgré les critiques dont elle a été l’objet. Francis-Paul Benoît, en guise de critique, affirme :
- 49 . Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 135.
cette solution, malgré ses avantages immédiats sur le plan du personnel ou sur le plan financier, ne nous paraît pas constituer une solution satisfaisante du problème soulevé par le jugement des litiges administratifs […] le règlement de ces litiges demande des juges connaissant les problèmes administratifs et ayant l’esprit fait à saisir leurs aspects propres. La chambre administrative ne répond pas à ces impératifs, en raison de ses modalités mêmes de recrutement et des inévitables mutations de personnel d’une chambre à une autre, ainsi que de l’absence de cette ambiance propre à une véritable juridiction administrative49.
16M. Dominique Darbon quant à lui fait observer d’un ton acerbe :
- 50 Dominique Darbon, art. cité, p. 241.
cette remise en cause globale de la dualité organique de juridictions, pourtant fortement soutenue par les auteurs français qui expliquent par elle l’émergence d’un droit administratif autonome en France, contribue à fondre le droit administratif dans une morosité générale amplifiée par la faiblesse du contentieux public. Privé d’autonomie, le juge ne s’exprime plus qu’à travers des cas relevant du droit privé et ne peut participer pleinement à l’élaboration d’un droit administratif spécifique50.
- 51 Olivier Renard-Payen, L’expérience marocaine d’unité de juridiction et de séparation des contentieu (...)
- 52 Maurice Kamto, art. cité, p. 33 ; Célestin Sietchoua Djuitchoko, « Perspectives ouvertes à la jurid (...)
- 53 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 135.
17Ces auteurs semblent oublier une donnée fondamentale et indéniable : l’unité de juridiction ne fait pas obstacle au développement de règles de fond du contentieux administratif, distinctes de celles du contentieux judiciaire51. De plus, l’inquiétude liée au problème de la non-spécialisation du juge administratif, qui était largement partagée52, est dissipée en raison de l’ouverture de la section « magistrature administrative », au sein de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), dont la formation de la première promotion a démarré en 2012. Il n’y a donc pas lieu de penser que l’autonomie du droit administratif camerounais est hypothéquée. L’on admet d’ailleurs que « le juge spécialisé en matière administrative ne doit pas être seulement un juge affecté à une chambre administrative, ce doit être un spécialiste53 ».
- 54 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 164.
- 55 Cela a fait dire à Jean-Calvin Aba’a Oyono que « la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 n (...)
18Par ailleurs, l’évolution politique et constitutionnelle du Cameroun ne s’est pas faite sans incidence sur la juridiction administrative. En effet, la réforme des institutions politico-constitutionnelles a presque toujours entraîné dans son sillage, celle de la justice administrative54. La révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 est topique, dans la mesure où elle a réaménagé le dispositif existant jusque-là. L’unité organique a été conservée au sommet, avec le maintien de la Chambre administrative dans la Cour suprême, l’Assemblée plénière ayant été implicitement supprimée, alors que le dualisme a été consacré à la base55.
- 56 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 169.
- 57 Voir L. const. du 18 janvier 1996, art. 40 ; L. no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisati (...)
19La Chambre administrative, juridiction suprême de l’ordre de juridiction administrative « nouvelle version56 » est juge d’appel et de cassation57. S’agissant de l’Assemblée plénière, Aba’a Oyono écrit :
- 58 Jean-Calvin Aba’a Oyono, « La nouvelle révision du droit de la justice administrative », RASJ, vol. (...)
l’hypertrophie de la fonction administrative contentieuse de la nouvelle chambre administrative a eu pour effet d’ordre structurel de frapper de caducité, dans le sens métaphorique du terme, l’institution qu’est l’Assemblée plénière […] le constat que l’on fait aujourd’hui à la suite de la réforme de la Cour suprême, est que l’Assemblée plénière n’existe plus58.
- 59 L. no 2006/016 du 22 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, a (...)
- 60 D. no 2012/119 du 15 mars 2012 portant ouverture des tribunaux administratifs.
20Cependant, l’Assemblée plénière a continué de fonctionner après l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle de janvier 1996, quoique n’ayant pas été maintenue en vie par les dispositions transitoires59. D’autant plus que les tribunaux administratifs sont ouverts depuis le 15 mars 201260.
- 61 L. no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, art. 40.
- 62 L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux adminis (...)
- 63 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 168.
- 64 Jean-Claude Kamdem, Contentieux administratif, cours polycopié de licence 3e année Droit public, un (...)
- 65 L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux adminis (...)
21La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 a également introduit le dualisme à la base en créant des juridictions inférieures61 ou tribunaux administratifs organisés par la loi no 2006/02262. Elles ont vu le jour dans un souci de « décongestionnement de la Cour suprême d’une part, et l’élargissement de la base de la juridiction administrative d’autre part63 », répondant ainsi à l’appel pour la décentralisation de la juridiction administrative64. Il s’agit également d’une délocalisation de la juridiction administrative inférieure de la Cour suprême, suivie de sa démultiplication, au regard du décret du 15 mars 2012 portant leur ouverture dans chaque chef-lieu de région. L’on note une atténuation de l’unité organique antérieurement observée, même si sur le plan du personnel, l’on peut regretter le fait que le parquet près le tribunal administratif, soit celui près la Cour d’appel du ressort du tribunal administratif65. L’on espère que les magistrats administratifs formés actuellement siégeront dans ce parquet et non les magistrats devant, de par leur formation, siéger au sein des juridictions de l’ordre judiciaire.
- 66 Le Sénégal a préféré agir par le sommet en créant en 1992 un Conseil d’État, mais cette expérience (...)
- 67 Anicet Abanda Atangana, art. cité, p. 79-87.
22En tout état de cause, l’État camerounais, en adoptant partiellement le dualisme sur le plan organique a rejoint bien d’autres États66 dont la juridiction administrative était logée au sein de la juridiction judiciaire suprême. Cela constitue à bien des égards, une adaptation à l’évolution de l’environnement dans lequel se consolide un ordre de juridiction administrative, concrétisé par le dualisme fonctionnel, contrairement au pessimisme affiché par certains auteurs67.
1.1.2.2. Le dualisme fonctionnel au sommet et à la base
- 68 Maurice Kamto, art. cité, p. 35-36.
23Par dualisme fonctionnel il faut entendre, séparation nette entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif sur le plan fonctionnel. En d’autres termes, la solution des litiges devant la juridiction administrative obéit à une procédure particulière ou spéciale qui montre qu’elle jouit d’une large autonomie sur le plan fonctionnel. Il s’agit d’une procédure différente de celle ayant cours devant les juridictions judiciaires, car comportant « une phase précontentieuse qui conditionne le déclenchement de la procédure proprement contentieuse. C’est donc une procédure à double détente68 ». L’on en déduit que les règles fixant la procédure contentieuse devant la juridiction administrative ont toujours été différentes et distinctes de celles applicables devant l’ordre de juridiction judiciaire. Cette dualité fonctionnelle tenait compte du double degré de juridiction, c’est-à-dire qu’elle s’appliquait à la juridiction de premier ressort et à celle qui statuait en appel. Cela dit, sous l’empire de la Cour fédérale de justice, la procédure administrative contentieuse était régie, d’abord par l’ordonnance du 4 octobre 1961 fixant la composition, les conditions de saisine et la procédure devant la Cour fédérale de justice, puis par le décret du 19 juin 1964 relatif au fonctionnement de la Cour fédérale de justice statuant en matière administrative. À l’ère de la Cour suprême est survenue la loi du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière administrative. Cela a fait dire au professeur Jacquot :
- 69 Henry Jacquot, art. cité., p. 21.
si la juridiction administrative n’est pas au Cameroun organiquement distincte de la juridiction judiciaire, elle jouit par contre d’une large autonomie sur le plan fonctionnel. Les formations administratives de la Cour suprême jugent en effet selon une procédure différente de celle du droit commun et conformément au droit administratif69.
- 70 Art. 72 à 88 en matière d’appel, art. 89 à 107 en matière de cassation.
24La nouvelle architecture découlant de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 a rendu nécessaire l’édiction de la loi no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs. La procédure devant la Chambre administrative, juridiction d’appel et de cassation a été déterminée par la loi no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation de la Cour suprême70. Reste maintenant à s’intéresser, pour établir une différenciation entre les juridictions administratives française et camerounaise, au critère de détermination de compétence.
1.2. La différence de mécanisme de détermination des compétences des deux juridictions
- 71 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 363.
25La compétence juridictionnelle, aptitude juridique d’une juridiction à connaître des litiges déterminés71, doit être circonscrite et clairement déterminée. Celle-ci, en ce qui concerne la juridiction administrative, se délimite par rapport à la juridiction judiciaire. Son champ ou sa consistance peut être tributaire de la clause générale de compétence, faisant du juge qui en bénéficie un juge de droit commun. C’est le cas de la juridiction administrative française (1.2.1). En revanche, le juge peut également recevoir le statut de « juge d’attribution ». La juridiction administrative camerounaise a la particularité d’être à la fois juge de droit commun et juge d’attribution (1.2.2), et ce, à des niveaux différents.
1.2.1. Le juge administratif français : juge de droit commun de l’administration
- 72 René Chapus, Droit du contentieux administratif, 10e éd., Paris, Montchrestien, 2002, p. 229.
- 73 Roger Bonnard, Précis de droit administratif, 4e éd., p. 192 cité par Jean-Marie Auby et Roland Dra (...)
- 74 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 407.
26Le juge administratif français, juge de droit commun de l’administration bénéficie de la clause générale de compétence. Il a, à ce titre, la « compétence de droit commun » ou « compétence de principe72 ». La clause générale de compétence « consiste dans l’énonciation d’un principe qui, sans viser spécialement aucun objet, vient déterminer d’une façon abstraite et générale le domaine d’une compétence juridictionnelle73 ». Elle peut être formulée par des règles écrites constitutionnelles, législatives ou administratives. En droit français ces procédés se trouvent combinés. « La clause générale a pour base des textes législatifs : loi des 16 et 24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III […] ces textes se bornent à poser un principe général qui a été largement complété par la jurisprudence74. »
- 75 Il a précisé que le juge administratif est seul compétent pour prononcer l’annulation ou la réforma (...)
- 76 Ibid.
- 77 Louis Favoreu (RDP 1989, p. 482) et Jacques Chevallier (AJDA 1989, p. 683), rapporté par François-J (...)
27Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs dans sa décision du 23 janvier 1987 fixé une « compétence constitutionnellement réservée à la juridiction administrative75 », en la hissant au niveau des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, interdisant par là même au législateur de restreindre cette compétence, sauf dans « l’intérêt d’une bonne administration de la justice76 ». Cela s’est avéré intéressant même si Louis Favoreu, soutenu par le professeur Jacques Chevallier, a estimé que le fait que le domaine de compétence du juge administratif couvre deux domaines – un secteur réservé et un secteur ouvert – est incompatible avec l’idée de clause générale de compétence77.
- 78 René Chapus, op. cit., p. 231.
- 79 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 366.
- 80 L’expression « juge d’attribution » ne doit pas être perçue sous le prisme de la compétence d’attri (...)
- 81 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 366.
28En tout état de cause, le juge administratif français, que l’on doit considérer en s’en tenant au Conseil d’État, aux cours administratives d’appel et aux tribunaux administratifs78 en tant que juge de droit commun, connaît tous les litiges relevant de l’ordre juridictionnel administratif, à l’exception de ceux qui sont confiés par un texte à une autre juridiction79. Le juge judiciaire quant à lui, se voit octroyer le statut de « juge d’attribution80 » ou secondaire, devant exercer des compétences dérogatoires à la clause générale. Si certaines ont été dégagées par les textes, d’autres l’ont été par la jurisprudence81, et ce, de manière limitative. Il s’agit de la compétence du juge judiciaire pour connaître :
-
des litiges concernant l’exécution des fonctions assignées aux autorités judiciaires ;
-
des litiges concernant l’état et les droits fondamentaux des personnes (nationalité, électorat, sécurité sociale, fiscalité indirecte) ;
-
des litiges soulevés à titre incident et concernant le sens ou la validité des actes administratifs ;
-
en matière de responsabilité de la puissance publique, des actions en responsabilité des dommages causés par les véhicules.
- 82 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 754. Ces auteurs, au sujet du conflit d’attribution, (...)
29Aussi convient-il de préciser que le Tribunal des conflits a été établi pour régler les conflits d’attribution entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif82, fussent-ils positifs ou négatifs.
1.2.2. Le juge administratif camerounais : juge de droit commun et d’attribution de l’administration
- 83 Il s’agit notamment de L. no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation de la Cour suprême (...)
- 84 Maurice Kamto, art. cité, p. 39.
- 85 L’art. 9 de l’ordonnance du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême, après avoir préc (...)
- 86 Notamment dans l’affaire Mbedey Norbert du 29 mars 1972 où, devant le silence de la loi, le juge ad (...)
- 87 L’al. 3 de l’art. 9 dispose : « Les Tribunaux de droit commun connaissent, conformément au droit pr (...)
30La mue faite par la juridiction administrative camerounaise, du fait de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 et de l’adoption des lois de 200683 subséquentes, se traduit par une répartition des compétences entre juge administratif et juge judiciaire, qui combine clause générale de compétence et clause d’attribution. Cela dit, le juge administratif d’appel est juge de droit commun de l’administration (1.2.2.1) alors qu’à la base ou en premier ressort, il est « juge d’attribution » (1.2.2.2). Cette répartition, quoique critiquable, est tributaire de l’aménagement de la « dualité des compétences juridictionnelles84 » qui tranche avec l’ancien dispositif. Celui-ci faisait de l’ensemble de la juridiction administrative (Chambre administrative, Assemblée plénière), le « juge d’attribution » ; les matières relevant de son domaine de compétence ayant été énumérées85 malgré quelques extensions prétoriennes de compétence86. Le juge judiciaire était érigé en juge de droit commun de l’administration87.
1.2.2.1. La chambre administrative en appel : juge de droit commun de l’administration
31La chambre administrative de la Cour suprême « nouvelle version », issue de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 s’est vue confier l’ensemble du contentieux administratif et d’autres compétences. L’article 40 dispose :
la Chambre administrative connaît de l’ensemble du contentieux administratif de l’État et des autres collectivités publiques. Elle connaît en appel du contentieux des élections régionales et municipales. Elle statue souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif. Elle connaît de tout litige qui lui est expressément attribué par la loi.
- 88 Jean-Claude Aba’a Oyono, art. cité, p. 243.
- 89 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 406-407.
32Cette juridiction, qui « joue à la fois le rôle d’instance contentieuse d’appel et de cassation88 », bénéficie de la clause générale de compétence en ce sens qu’elle statue sur les litiges impliquant l’administration. Sa compétence ne cesse que lorsque l’État agit dans les conditions du droit privé ou en cas d’acte de gouvernement. Elle est de ce fait érigée en « juge de droit commun de l’administration » ; la clause générale présente à ce propos « un caractère exhaustif […] et apporte une solution à la question de compétence susceptible de se poser89… » L’alinéa 1 de l’article 9 de l’ordonnance du 26 août 1972 est repris par la révision constitutionnelle de 1996 ; cela devrait être le cas pour les juridictions inférieures dont les décisions sont remises en cause devant la Chambre administrative, dans un souci de cohérence dans l’aménagement de l’ordre de juridiction administrative. Mais, il apparaît que les tribunaux administratifs sont plutôt juge d’attribution ; les matières relevant de leur domaine de compétence ayant été limitativement énumérées.
1.2.2.2. Les tribunaux administratifs à la base : juge d’attribution de l’administration
- 90 Jean-Claude Aba’a Oyono, art. cité, p. 244. L’art. 2, al.. 1, de la loi no 2006/022 dispose d’aille (...)
- 91 Ibid.
33Le tribunal administratif « prend désormais pied sur l’environnement institutionnel de la justice administrative au titre de la juridiction de premier degré90 ». Cette juridiction, contrairement à la Chambre administrative – deuxième degré de juridiction habilitée à trancher les litiges administratifs pour toute l’étendue du périmètre républicain –, est établie sur un ressort territorial plus restreint91, à savoir la région. Son champ de compétence est également circonscrit, étant entendu que les matières afférentes sont limitativement énumérées. Les alinéas 2 et 3 de l’article 2 de la loi no 2006/022 ci-dessus évoqués en attestent. Ils se lisent ainsi :
Alinéa 2 : les tribunaux administratifs connaissent en premier ressort, du contentieux des élections régionales et municipales et en dernier ressort, de l’ensemble du contentieux administratif concernant l’État, les collectivités publiques territoriales décentralisées et établissement publics, sous réserve des dispositions de l’article 14(2) de la présente loi.
Alinéa 3 : le contentieux administratif comprend :
- Le recours en annulation pour excès de pouvoir et, en matière non répressive, les recours incidents en appréciation de légalité… ;
- Les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif ;
- Les litiges concernant les contrats (à l’exception de ceux conclus même implicitement sous l’empire du droit privé) ou les concessions de services publics ;
- Les litiges intéressant le domaine public ;
- Les litiges intéressant les opérations du maintien de l’ordre.
- 92 Maurice Kamto, art. cité, p. 39
- 93 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 406.
34Cette énumération qui délimite le champ de compétence des tribunaux administratifs les érige en « juge d’attribution par détermination de la loi92 ». Ce d’autant plus que « toute énumération est limitative ». Les professeurs Auby et Drago notent à cet égard et à juste titre que : « cette solution, dite de l’énumération, a l’avantage de la précision, elle conduit cependant à des difficultés, car il est à peu près impossible de prévoir tous les litiges susceptibles de se produire93 ».
35Toutefois, les juridictions de l’ordre judiciaire acquièrent le statut de juge de droit commun de l’administration en premier ressort, dans la mesure où l’article 3 alinéa 1 de la loi no 2006/022 dispose :
les tribunaux de droit commun connaissent, conformément au droit privé, de tout autre action ou litige, même s’il met en cause les personnes morales énumérées à l’article 2, la responsabilité desdites personnes morales étant à l’égard des tiers, substituée de plein droit à celle de leurs agents auteurs des dommages causés dans l’exercice même de leurs fonctions.
36Il s’agit ainsi de la reprise in extenso de l’alinéa 3 de l’article 9 de l’ordonnance du 26 août 1972. L’alinéa 4 de ce même article est également repris par l’article 3 alinéa 2 de la loi no 2006/022 qui fonde la compétence des tribunaux de droit commun en matière d’emprise et de voie de fait.
- 94 Notamment en matière de voie de fait et d’emprise où le juge administratif constate et le juge judi (...)
37L’on note une répartition des compétences inégale et défavorable à la juridiction administrative de premier ressort, nonobstant des cas d’exercice de compétences sur de mêmes matières94. De plus, l’on se demande ce qu’il en serait du double degré de juridiction si le juge judiciaire, juge de droit commun de l’administration est appelé à rendre des décisions susceptibles d’appel devant la Chambre administrative, étant entendu que le droit commun s’applique en premier ressort tandis que le droit administratif s’applique en appel. Le problème demeurerait, si le juge judiciaire appliquait le droit administratif lorsqu’il connaît du contentieux administratif. Le législateur camerounais gagnerait donc à ériger les tribunaux administratifs en juge de droit commun de l’administration pour améliorer l’organisation de l’ordre de juridiction administrative, et mettre en place une meilleure répartition des compétences entre cet ordre de juridiction et l’ordre de juridiction judiciaire.
38Quoi qu’il en soit, la spécificité de l’organisation de la juridiction administrative camerounaise par rapport à la juridiction administrative française est suffisamment perceptible. Celle-ci avait été implicitement approuvée par Jean Foyer qui, s’intéressant à la juridiction administrative en Afrique, affirmait :
- 95 Jean Foyer, art. cité, p. 5.
nous constatons des innovations qui sont extrêmement heureuses dans le domaine de l’organisation des juridictions et de la procédure. Et il ne faut pas regretter que vous vous éloigniez d’une organisation qui chez nous est quelque peu anachronique. La dualité entre la juridiction administrative et les tribunaux judiciaires […] À cet égard, je constate que c’est un grand progrès que d’avoir unifié les juridictions suprêmes95.
- 96 Alain-Serge Meschriakoff, « Le déclin de la fonction administrative contentieuse au Cameroun », RJP (...)
39Cet auteur relève également le caractère inutile de toute stigmatisation de la part de la doctrine française en ces termes : « je crois que nous, les français, nous aurions tort de regretter ce mouvement, car il est dans la nature des choses » (ibid., p. 4). Par ces propos, il leur demande de s’en accommoder tant il est vrai que le droit administratif camerounais, du point de vue de ses sources et du contenu des notions, conforte sa spécificité. La critique selon laquelle « le Cameroun est confronté à un problème d’adaptation de son contentieux administratif aux réalités africaines96 » perd ainsi toute consistance et pertinence.
2. La singularité des sources et contenus des notions du droit administratif camerounais par rapport à ceux du droit administratif français
- 97 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art cité, p. 298.
- 98 Guy Kouassigan, Quelle est ma loi ?, Paris, Pedone, 1974, p. 20, cité par Magloire Ondoa, Le droit (...)
40Le propre de la souveraineté est la complète maîtrise par les autorités étatiques nationales du processus d’édiction des normes et du contenu de celles-ci97. Le Cameroun à travers son droit administratif conforte et concrétise cette idée. En clair, le droit administratif camerounais se démarque du droit administratif de la France, autrefois puissance en charge de certains territoires africains, tant sur le plan de ses sources (2.1) que de la détermination de ses notions (2.2). Il y a de ce fait édulcoration de l’idée d’une « projection de la France sous les tropiques98 ».
2.1. La disparité des sources des deux champs disciplinaires
41Cette différence apparaît aussi bien au niveau des sources formelles (2.1.1) que matérielles (2.1.2).
2.1.1. Les sources formelles différentes
- 99 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique…, op. cit., p. 33. De plus, le doyen Ondoa p (...)
- 100 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone …», art. cité, p. 294-295.
42L’autonomie des sources formelles des deux systèmes99, caractérisée par des dissemblances, justifie l’inapplication du droit administratif français au Cameroun et inversement. En effet, chaque discipline est sous-tendue par des sources formelles propres à l’État dans lequel elle s’applique. Les sources formelles du droit administratif français ne sauraient fonder le droit administratif camerounais, vice versa. Cela suppose également que la Constitution, les lois, les règlements et la jurisprudence y compris les principes dégagés par le juge administratif français constituent le droit positif, les sources du droit administratif applicables dans cet État et non ailleurs. En d’autres termes, les règles du droit administratif français ne sont ni opposables aux Camerounais ni invocables par eux au cours de procès contre les administrations de leur pays. C’est disqualifier l’hypothèse qu’ils puissent se prévaloir d’un texte français pour fonder leurs actes ou gestes100. Le Cameroun à travers ses autorités compétentes met en place ses propres règles dans ce domaine.
- 101 Ibid.
- 102 Ibid.
- 103 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique dans les États en développement, op. cit., p (...)
- 104 Ibid.
43Par ailleurs, le fait pour l’un de ces États de s’inspirer des solutions ayant cours dans l’autre, est une affirmation de cette autonomie ou indépendance des systèmes, qui « ne saurait être interprétée de façon absolue, dans la mesure où elle n’interdit pas des emprunts réciproques101 », « des apports extérieurs102 ». Toutefois, « une onction nationale s’avère indispensable103 », car, « une solution française n’est réputée applicable en Afrique que si elle y est introduite par un texte ou une jurisprudence104 ». Aussi ces disciplines s’appuient-elles sur des fondements théoriques distincts.
2.1.2. Les sources matérielles ou fondements théoriques distincts
- 105 Ibid., p. 33.
44Le fait que « la question des fondements théoriques joue un rôle important dans la détermination de l’autonomie des droits africains105 » est, à bien des égards, évocateur, afin que l’on s’y fonde pour mettre la rupture entre le droit administratif camerounais et le droit administratif français en exergue. Le professeur Degni-Segui écrit fort à propos :
- 106 René Degni-Segui, art. cité, p. 460.
un droit, quelle que soit sa perfection technique formelle, doit être en relation avec la société et l’exprimer et non être un idéal, incompressible pour ceux qu’il doit régir et qui sont sensés ne pas l’ignorer. Plaquer dans un milieu social un système juridique étranger conduit inévitablement au fâcheux inconvénient d’hypothéquer lourdement l’efficience de ce système106.
45Il faudrait donc que le droit applicable soit adossé aux fondements théoriques qui rendent son élaboration opportune et sa mise en œuvre adéquate. Plus significative à cet égard est l’affirmation du doyen Ondoa :
- 107 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 307.
évoquer les fondements théoriques d’un système juridique ou d’une règle de droit, c’est révéler l’ensemble des idées qui les sous-tendent, les expliquent et les justifient tout en assurant leur cohérence interne. Le droit n’est pas en effet un corps de règles désincarnées, transposables en tout temps et en tout lieu. Nécessairement contextualisé, il procède d’un milieu et reflète une conception des relations sociales propres à ce dernier107.
46Selon cet auteur, même l’application d’« une règle étrangère en droit interne est subordonnée à l’existence ou à l’établissement d’un lien de compatibilité entre les fondements théoriques du système producteur et ceux du système utilisateur ». La prise en compte de cette considération se déduit de la disparité des fondements théoriques des deux disciplines objet de la présente réflexion. En clair, le droit administratif français a pour socle idéologique, la protection des droits et libertés fondamentaux (2.1.2.1) alors que l’idéologie qui fonde le droit administratif camerounais combine construction nationale et libéralisation (2.1.2.2).
2.1.2.1. L’orientation libérale affermie du droit administratif français
- 108 André de Laubadère, Jean-Claude Venezia et Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, 11e éd., P (...)
- 109 TC, 8 février 1873, Blanco, dans Marceau Long, Prosper Weil, Guy Braibant, Pierre Delvolvé et Bruno (...)
- 110 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 383.
- 111 Yves Gaudemet, art. cité, p. 431.
- 112 Ibid.
- 113 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
- 114 Ibid.
- 115 Danièle Lochak, Le rôle politique du juge administratif français, Paris, LGDJ, 1972, p. 162, cité d (...)
- 116 Jean-Marc Sauvé, « L’avenir du modèle français de droit public en Europe », propos introductifs au (...)
47Le droit administratif français en tant que « droit spécial, d’un côté, vise à assurer à l’État, chargé de la gestion de l’intérêt général, un traitement spécifique, privilégié, qui préserve ses prérogatives et sa liberté d’action et d’un autre côté s’attache à aménager les libertés individuelles et collectives, l’impartialité et l’efficacité de l’action de l’État108 ». Cette « nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés109 » est l’illustration que le droit administratif français n’est qu’une expression juridique du libéralisme politique110 ; étant entendu qu’il a été aménagé et réajusté pour le meilleur équilibre entre les droits et les libertés des administrés, et, les privilèges et contraintes de l’administration111. Il est d’ailleurs rappelé que le libéralisme axé sur la sauvegarde des droits individuels au xixe siècle, dans un contexte de révolution industrielle, a conduit à l’élaboration d’un droit administratif orienté vers la défense de l’individu face à l’État112. L’on note, ce faisant, que la problématique majeure du droit administratif français se construit autour de la recherche d’un équilibre entre les nécessités de l’action administrative et les droits des citoyens113. En effet, à mesure qu’évolue la conscience de l’État de droit, les exigences d’une protection des libertés individuelles se font plus rigoureuses. Les limites apportées à l’exercice des prérogatives de puissance publique ravalent progressivement l’État dans le statut d’un ensemble de services destinés à la satisfaction des besoins d’intérêt général114. Cela se matérialise par les solutions jurisprudentielles. Ces dernières montrent que la conception du juge des libertés comporte à la fois la nécessité de protéger les droits des citoyens contre le pouvoir et la volonté de doter celui-ci des moyens nécessaires pour préserver les fondements de l’ordre étatique115. Cette idéologie libérale qui continue de sous-tendre cette discipline est davantage perçue comme un « élément central du modèle français de droit public116 ». Il en va autrement pour le droit administratif camerounais dont l’idéologie oscille entre construction nationale et libéralisation théorique.
2.1.2.2. L’option camerounaise : entre construction nationale et libéralisation
- 117 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
48Le droit administratif camerounais comme les autres droits africains ne peut être appréhendé que par rapport aux idées qui l’environnent. En tant qu’instrument de « renforcement et de légitimation de l’action administrative117 », dans un contexte où l’État est investi d’une mission de développement et surtout de promotion de la croissance, cette discipline est ancrée à une idéologie qui allie construction nationale et libéralisation de façade.
- 118 Ibid., p. 308.
- 119 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel : le cas du Camero (...)
49La construction nationale, tire sa source de « l’humilité d’un continent conscient de ses limites et retards, et des exigences immédiates d’un groupe d’États avides de progrès [qui nourrit] l’objectif de construire un droit expurgé des “défauts” français et engagé dans la lutte contre le sous-développement118 ». Née au lendemain des indépendances, cette idéologie imprégnait l’ensemble du système juridique camerounais. Au plan politique, elle justifiait le monopartisme de fait, le présidentialisme fort, bien que déconcentré et le rejet de la démocratie pluraliste et constitutionnelle119, comme incompatible avec les aspirations africaines de l’heure. Ainsi au nom de l’unité nationale, les libertés étaient souvent mises en péril.
- 120 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
- 121 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel…. », art. cité, p. (...)
- 122 Paul Yao-N’Dré, « Les États africains et le processus de démocratisation », Juridis Périodique, no (...)
- 123 Célestin Keutcha Tchapnga, « Les mutations récentes du droit administratif camerounais », Juridis P (...)
- 124 Danièle Lochak, « Le droit administratif rempart contre l’arbitraire ? », Pouvoirs 1988, no 46, p. (...)
- 125 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel… », art. cité, p. (...)
50Au plan contentieux, l’idéologie de la construction nationale justifiait que les contestations fussent évitées à l’administration, et le contrôle de celle-ci réduit à sa plus simple expression. Le droit administratif dit « développementaliste120 » se traduit de ce fait par « la consubstantialité du développement et de l’autoritarisme politique121 ». Cependant, le processus de démocratisation122 a eu des répercussions sur le droit administratif qui s’est enrichi des principes de la démocratie pluraliste123. Au regard de ces mutations, il est supposé être un « rempart contre l’arbitraire124 », ce d’autant plus que la libéralisation de la vie politique a eu pour corollaire « l’abrogation de la législation d’exception125 ».
51L’on note par ailleurs que la « transmutation démocratique de l’État » (ibid., p. 410) du Cameroun a du mal à se consolider, en raison, comme le souligne le doyen Ondoa, du « “tour de passe-passe” auquel se livrent les autorités relativement au contenu de la législation d’exception édictée au lendemain des indépendances » (ibid., p. 420) :
le contenu des actes abrogés est conservé et transféré dans un autre support juridique. Ainsi en est-il de la notion de subversion qui fut introduite pendant le processus de libéralisation dans le Code pénal actuel, après l’abrogation des ordonnances de 1962. [Toute chose qui] aboutit à la reconduction de la criminalité politique.
52S’agissant du droit administratif, « la ligne jurisprudentielle ancienne, justement dénoncée pour son engagement en faveur des autorités publiques poursuit sa randonnée dévastatrice. Aucune évolution dans le sens d’une plus grande protection des citoyens n’est perceptible ». Preuve que « les relations de l’administration avec les citoyens ne se sont guère améliorées. Elles restent régies par l’ancien Droit administratif d’inspiration autoritaire ». L’on est enclin à soutenir que le droit administratif camerounais opère un mouvement pendulaire, étant entendu qu’il oscille entre construction nationale favorable à l’autoritarisme et libéralisation caractérisée par l’exercice et la protection des droits individuels. Il apparaît dès lors qu’« à l’incontestable “intention démocratique” qui anime les autorités s’oppose de leur part, une non moins évidente réticence à l’instauration de mécanismes de démocratisation et de limitation juridique de l’action du pouvoir » (ibid., p. 424). Cette particularité du fondement théorique par rapport à celui qui sous-tend le droit administratif français, détermine le contenu des notions qui sont homographes.
2.2. La différence de contenu des notions malgré leur homographie
53La césure entre les droits administratifs français et camerounais est davantage éclairée d’un jour vif au regard des contenus distincts des notions qui leur sont communes, du point de vue de leur homonymie. Des cas précis, à bien des égards illustratifs (2.2.2), reposent sur des raisons qu’il convient de présenter (2.2.1).
2.2.1. Justification de la différence de contenu des notions
- 126 René Degni-Segui, art. cité, p. 463.
- 127 Yves Gaudemet, art. cité, p. 432.
54L’observateur des systèmes juridiques africains est frappé par un phénomène indéniable : « le vocabulaire, les concepts la classification et la terminologie juridique sont empruntés au droit occidental126 ». Cette transposition des « catégories juridiques » élaborées ailleurs est opérée avec le « souci de ne pas réduire le droit à une simple technique, mais plutôt de lui conserver, voire de développer son caractère de “science universelle”. Cette universalisation de la science du droit doit être assurée [en] utilisant le même vocabulaire juridique » (ibid.) Le professeur Yves Gaudemet fait d’ailleurs observer que « plus peut-être que d’autres disciplines juridiques, le droit administratif français a essaimé à travers le monde. Nombreux sont les systèmes à l’étranger qui, ouvertement et volontairement, lui ont emprunté […] jusqu’au vocabulaire127 ». Le droit administratif camerounais n’échappe pas à cette considération.
- 128 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 137.
- 129 Magloire Ondoa, « Le droit de la responsabilité dans les États en développement », op. cit., p. 48. (...)
- 130 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afri (...)
55En revanche, le contenu des notions qui le constituent est la résultante de la nécessité « de respecter les traits originaux qui peuvent éventuellement apparaître dans la manière dont se posent localement les problèmes touchant aux rapports des particuliers et de l’administration128 ». Il convient, en effet, soutient Francis-Paul Bénoit de ne jamais oublier qu’une règle juridique n’est jamais autre chose que la solution d’un problème de fait, et qu’il n’existe ni problème type identique en tout pays ni solution juridique valable indépendamment des temps et des lieux. La distinction entre les deux disciplines objet de la présente réflexion est de ce fait justifiée. Par ailleurs, le droit administratif camerounais ne s’enrichit pas toujours des évolutions du droit administratif français auxquelles il ne s’arrime pas nécessairement. En cas d’emprunt, les autorités compétentes opèrent une « adaptation locale d’un droit “extranéen” » ou « nationalisation [qui] consiste dans la construction d’un droit non français original, qui plonge sa source dans le fond culturel et sociologique propre à l’Afrique129 », surtout au Cameroun. Le professeur Ould Bouboutt, s’adressant au juge africain et partant camerounais, aura à cet égard eu raison de lui demander de prendre ses distances avec le droit français130 dont les solutions apparaissent très souvent inopérantes dans le contexte africain, lorsque leur nationalisation s’avère impossible. L’analyse de la production jurisprudentielle atteste qu’il a suivi ce conseil, au regard du contenu donné par lui à des notions.
2.2.2. Illustration de la différence de contenu des notions
56L’exhaustivité à laquelle l’on est convié dans la présente étude impose qu’une liste interminable de notions juridiques aux contenus variés et distincts soit déroulée. L’on se contentera d’en présenter quelques-unes, tout en restant soucieux de l’exigence liée à la pertinence des éléments exposés dans le cadre d’une telle étude comparée.
- 131 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel », art. cité, p. 4 (...)
- 132 Jugement no 66 ADD/CS/CA/78-79 du 31 mai 1979, Kouang Guillaume Charles c/ État du Cameroun ; jugem (...)
- 133 Jugement no 34/CS/CA/79-80 du 24 avril 1980 et arrêt confirmatif no 18/A du 19 mars 1981, Essougou (...)
- 134 Jean de Noël Atemengue, « Les actes de gouvernement sont-ils une catégorie juridique ? Discussion a (...)
- 135 L. no 64/LF/16 du 26 juin 1964 sur la répression du terrorisme dont l’art. 1er dispose : « est irre (...)
- 136 L. no 080-31 du 27 novembre 1980 dessaisissant les juridictions de tout le contentieux de la désign (...)
57La notion d’acte de gouvernement, bien qu’ayant vu le jour en France, sert à matérialiser la différence de contenus que les droits administratifs français et camerounais donnent à leurs notions. En l’absence d’une définition textuelle, c’est la jurisprudence camerounaise qui s’est employée à construire et définir cette notion tout comme en France. S’en dégage une « conception extensive131 » dans la mesure où elle englobe non seulement les actes intéressant les rapports entre le gouvernement et le Parlement, les rapports entre le gouvernement camerounais et l’étranger dans le domaine international ou diplomatique132, les actes ayant un caractère « essentiellement politique133 », mais s’enrichit également d’une « extension législative autoritaire134 », en matière de dommages causés par les activités terroristes135, et de désignation des chefs traditionnels136.
- 137 Bertrand Mathieu, « L’irréductible acte de gouvernement », Recueil Dalloz, 2009.
- 138 Maurice Kamto, « Acte de gouvernement et Droits de l’homme au Cameroun », Lex Lata, no 26, mai 1996 (...)
- 139 Jean de Noël Atemengue, « Production du droit public interne et contexte politique : le cas du Came (...)
- 140 Salomon Bilong, « Le déclin de l’État de droit au Cameroun, le développement des immunités juridict (...)
- 141 CE, 19 février 1875, Prince Napoléon. Voir Marceau Long et al. (dir.), Les grands arrêts de la juri (...)
- 142 Louis Favoreu, Du déni de justice en droit public français, Paris, LGDJ, 1965, p. 219. L’auteur écr (...)
- 143 Joseph Owona, Le contentieux administratif de la République du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011, (...)
- 144 Élise Carpentier, « L’“acte de gouvernement” n’est pas insaisissable », RFDA, 2006, p. 661.
- 145 Ibid. Louis Favoreu, après la création du Conseil constitutionnel, a soutenu que la notion d’acte d (...)
58Cette définition tranche avec celle qui a cours en France, selon laquelle l’acte de gouvernement ne se manifeste que dans deux domaines spécifiques à savoir : les actes relatifs à l’ordre externe, qui sont pris pour la conduite des relations internationales, et ceux relatifs à l’ordre interne, mettant en cause les rapports que les organes exécutifs entretiennent avec les pouvoirs publics constitutionnels137. De plus, la définition camerounaise est taxée par certains de menace138 ou de limite139 de l’État de droit, alors que d’autres, plus acerbes, parlent de « déclin de l’État de droit140 ». Ce d’autant plus que le mobile politique qui a été abandonné en France depuis l’affaire Prince Napoléon141, bien qu’il soit sujet à caution parce que considéré comme un « mythe142 », demeure en vigueur et fonde l’acte de gouvernement en droit administratif camerounais ; il est également assimilé à « un ver dévastateur dans le fruit143 ». Aussi, l’immunité juridictionnelle qui constituerait un trait commun de la notion au Cameroun et France pourrait-elle être remise en cause dans le second État. Le « spectre de l’acte de gouvernement144 » caractérisé par son « injusticiabilité » serait remédié par « la mise en place d’une procédure de résolution, par le Conseil constitutionnel, des conflits entre organes constitutionnels145 ».
- 146 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel », art. cité, p. 4 (...)
- 147 CFJ/CAY 18 juillet 1967, Litty Herman c/ Mbeleck ; arrêt no 1/CFJ/AP du 5 octobre 1969, Bollo Josep (...)
59En outre, le Cameroun met en œuvre un système de responsabilité de l’État assorti d’exceptions. Il postule l’engagement préalable de la responsabilité de l’agent et, cela fait, celle indirecte de l’administration avec possibilité d’action récursoire. Autrement dit, il repose sur les mécanismes de l’article 1384, alinéa 5 du Code civil et se rapproche en cela du modèle anglo-saxon, tout en s’éloignant du système français de responsabilité intégrale de la puissance publique, avec hypothèses limitées d’engagement de celle de l’agent146. La lecture de la jurisprudence en atteste147.
- 148 Michel de Villiers et al., Droit public général, Paris, Litec, 2002, p. 627.
- 149 L. no 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière admin (...)
- 150 René Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 123 et suiv.
60S’agissant des mesures d’urgence, le Cameroun continue d’appliquer la technique du sursis à exécution (qui était également mise en œuvre en France à la faveur du décret du 22 juillet 1806 instituant au sein du Conseil d’État la Commission du contentieux148) et celle du référé administratif spécifique149. Il ne s’est pas arrimé à la réforme opérée en France au moyen de la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, aussitôt incorporée au Code de justice administrative dont elle constitue le livre V. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2001. En distinguant plusieurs types de référés, elle consacre des principes qualifiables de généraux qui leur sont applicables de façon invariable150.
- 151 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 378.
- 152 . Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Af (...)
- 153 . Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 383.
61Au regard de ce qui précède, il apparaît que la critique adressée au juge administratif camerounais selon laquelle il n’est pas « enclin à l’originalité », ou alors qu’il a l’esprit « peu inventif151 » ne saurait prospérer à ce jour. Celui-ci, comme le législateur, s’accorde des libertés par rapport aux solutions françaises152 qui n’exerceraient plus de « fascination sur eux153 ».
- 154 . Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité dans les États en développement, op. cit., p. 48.
- 155 . Yves Gaudemet, art. cité, p. 432.
- 156 . Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone », op. cit., p. 324.
- 157 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 359.
- 158 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afri (...)
- 159 Dominique Darbon, art. cité, p. 247.
- 160 Jean Foyer, art. cité, p. 3.
62Au total, le droit administratif français, perçu comme un droit extérieur greffé en Afrique au moyen de la « colonisation154 », apparaît de nos jours, comme étant en rupture avec celui qui a émergé dans ses anciennes possessions, « avant » et surtout après les indépendances. Ce d’autant plus qu’il n’était pas « a priori destiné à régir d’autres histoires nationales155 ». Le droit administratif camerounais en s’opposant au droit administratif français, « sur le plan de la technique et des solutions de fond156 » crédite cette hypothèse. De même, des différences importantes séparent le système camerounais du système français, tant au niveau de la politique législative qu’à celui du processus contentieux157. D’éventuelles atténuations de son autonomie ne seraient pas imputables au droit administratif français, mais plutôt au droit privé et notamment le droit de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) qui opère une incursion dans le corps de règles régissant l’administration des pays membres, dans l’usage des prérogatives de puissance publique158. Le droit administratif camerounais, moins mimétique se détache de son modèle inspirateur en persistant à s’inscrire comme sa réplique159. Par conséquent, il devient compréhensible que dans l’ancienne métropole l’on soutienne que « le droit administratif n’a jamais été et n’est pas le reflet qu’en donnent la jurisprudence ou les droits africains à un moment donné » (ibid.) Non pas pour regretter cet état de choses, mais pour rendre compte de la réalité. Ne doit-on pas voir dans les propos de Jean Foyer une sorte de confirmation de cette rupture lorsqu’il affirmait à l’aube des indépendances : « je crois que dans quelque temps nous constaterons que dans le droit de ces jeunes États, il y a une sorte de part translaticia, une partie qui a été héritée du droit français et qui subsiste et que, d’autre part, il y a une partie neuve qui ne nous a pas emprunté beaucoup160 » ? La réponse est affirmative, car l’image du droit administratif camerounais à bien des égards, se décline de sa belle formule « par le droit français, mais au-delà du droit français » (ibid., p. 6).
Notes
1 Le discours prononcé par le général de Gaulle le 30 janvier 1944 à l’occasion de l’ouverture de la conférence de Brazzaville, dont les grands traits ont été intégrés dans la Constitution française de 1946, laissait apparaître les signes de la réticence de la France à faciliter le processus de décolonisation. Elle a plutôt créé l’Union française. Elle a dû faire face à la pression des États-Unis, et d’autres États en grande majorité anticolonialistes réunis au sein de l’Assemblée générale des Nations unies (Gérard Conac, « La France et la décolonisation aux Nations unies », État, société et pouvoir à l’aube du xxe siècle, mélanges en l’honneur de François Borella, Nancy, PUN, p. 89, p. 92).
2 Étant entendu que ladite société « s’enrichit de nouveaux membres… » (Pierre François Gonidec, « De la dépendance à l’autonomie : l’État sous tutelle du Cameroun », AFDI 1957, vol. 3, p. 597).
3 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone : contribution à l’étude de la réception des droits étrangers en droit interne », RJPIC, vol. 56, no 3, 2002, p. 287.
4 Albert Bourgi, « Les relations avec l’ex-État colonial », Droit international et relations internationales. Encyclopédie juridique de l’Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Nouvelles Éditions africaines, 1982, t. II, p. 207. L’auteur précise à ce propos que « Si la France s’est avérée impuissante à arrêter le processus d’émancipation politique, elle s’est employée à en contrôler soigneusement l’évolution en liant étroitement les notions d’indépendance et de coopération conclus entre la France et ses anciennes colonies, par leur diversité comme par leur contenu, ont permis à l’ancienne métropole de prolonger, dans un cadre juridique différent, l’exercice d’une influence privilégiée ».Cet auteur soutient en sus que, cette coopération a consisté à « substituer à la domination directe une nouvelle forme d’influence, certes, diffuse, mais plus pernicieuse que la précédente » (ibid., p. 209).
5 Magloire Ondoa, art. cité, p. 294.
6 Jean Foyer, « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, p. 2.
7 Dans l’avis du comité juridique de l’Union française du 13 avril 1948 relatif à la situation du Togo et du Cameroun, par rapport à l’Union française, il est clairement indiqué qu’en « vertu des accords de tutelle […], le Gouvernement français possède, sur les territoires concernés, “pleins pouvoirs de législation, d’administration et de juridiction”. Il est autorisé à les administrer “selon la législation française comme partie intégrante du Territoire français”. Ces dispositions confèrent au Gouvernement français une habilitation extrêmement large dans les domaines législatif, administratif et judiciaire. De ce seul point de vue, il n’y aurait aucun obstacle à ce que les territoires en questions fussent administrés comme des départements français d’outre-mer… » Pour approfondir, lire Pierre François Gonidec, « De la dépendance à l’autonomie : l’État sous tutelle du Cameroun », AFDI 1957, vol. 3, p. 597-624.
8 Il est désormais acquis que le Cameroun ne fut guère colonisé par la France ou le Royaume-Uni. Seul le Kamerun allemand peut recevoir le qualificatif de territoire colonial, car il fut conquis par les voies pacifiques (par la signature de « traités ») et violentes (utilisation de la force militaire). Cette colonisation dura de 1884 à 1916. Pour cette raison, pendant la période allant de 1916, aux Accords de Londres du 20 juillet 1922, les deux territoires camerounais issus du partage effectué par les puissances victorieuses, satisfont aux critères juridiques des colonies. Ceux-ci disparurent dès la mise en œuvre du mandat international. Les concepts de « colonie » et de « colonisation » se montrent inaptes à restituer le statut et le régime juridiques des Cameroun nés en 1916. Leur utilisation doit donc être regardée comme procédant d’un raccourci incommode, mais tolérable, car compréhensible. Voir Magloire Ondoa, Introduction historique au droit camerounais, Yaoundé, Le Kilimandjaro, 2013, p. 47.
9 Yves Gaudemet, « L’exportation du droit administratif français : brèves remarques en forme de paradoxe », Droit et politique à la croisée des cultures, mélanges Philipe Ardant, Paris, LGDJ, 1999, p. 434-435.
10 Au sujet de l’avènement et les finalités du principe de la spécialité législative, Stéphane Diemert écrit : « Issu de l’Ancien Régime, ce principe dit de “spécialité” législative reposait sur de solides justifications : la différence abyssale de développement entre le centre et ses périphéries, les difficultés de communication avec la métropole, l’existence de nombreuses populations non intégrées à la citoyenneté française et soumises à des règles coutumières reconnues par l’administration et la justice coloniale, l’inégalité juridique qui se caractérisait par l’existence de dispositions bien souvent ségrégatives entre les citoyens français et les colonisés, rendaient impraticable à bien des égards, l’application de plein droit des règles en vigueur en métropole » (« Le droit de l’outre-mer », Pouvoirs 2005, no 113, p. 111). Il s’agit d’un « principe bien assuré suivant lequel les lois ne régissent les territoires d’outre-mer que si elles ont été faites précisément en vue de les régir ou si elles ont été étendues par une disposition spéciale contenue, soit dans la loi elle-même, soit dans un décret » (Pierre Lampué, « Les lois applicables dans les territoires d’outre-mer », Penant, 1950, cité par Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique dans les États en développement : contribution à l’étude de l’originalité des droits africains, thèse, Université de Yaoundé, 1996, t. I, p. 37). De plus, ce principe exprimait ce souci d’élaborer un droit de la différence, une exception africaine, dans la mesure où ce corps de règles avait à respecter les contingences locales (voir Magloire Ondoa, art. cité, p. 293, p. 309). D’où son qualificatif de « principe de bonne sagesse destiné à adapter les lois métropolitaines aux conditions spécifiques des colonies… » (Magloire Ondoa, Le Droit de la responsabilité publique dans les États en développement : contribution à l’étude de l’originalité des droits africains, op. cit., p. 37). Pour approfondir, lire utilement du même auteur, Introduction historique au droit camerounais : La formation initiale. Éléments pour une théorie de l’autonomie des droits africains, op. cit., p. 57-103.
11 Magloire Ondoa, ibid., p. 48.
12 Ibid.
13 Même sur le plan international, les règles juridiques régissant la domination de communautés par les puissances métropolitaines, avaient été remises en cause, en raison de la mise sur pied d’un droit de la décolonisation qui s’est étoffé progressivement. Voir Michel Virally, « Droit international et décolonisation devant les Nations unies », AFDI 1963, p. 508-541.
14 Yem Gouri Materi, « Le bilan de l’unité du droit administratif dans les pays d’Afrique noire francophone », Penant, 1988, p. 306.
15 René Degni-Segui, La succession d’États en Côte d’Ivoire, thèse, Université Aix-Marseille, 1979, t. I, p. 74, rapporté par M. Ondoa, Le droit de la responsabilité publique dans les États en développement, op. cit., p. 37.
16 René Degni-Segui, Droit administratif général, Abidjan, CRES, 1990, p. 29, rapporté par Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique, op. cit., p. 38.
17 Magloire Ondoa, art. cité, p. 288.
18 « La clause de reconduction ne concernait en effet que le droit en vigueur dans les possessions coloniales, à l’époque de la domination politique ; ce qui exclut le droit français postcolonial et celui dont l’extension n’avait pas été effectuée outre-mer. Au total, pas plus à l’époque coloniale qu’à l’autonomie interne et encore moins après les indépendances, le “droit français” n’était systématiquement applicable en Afrique : assimilation politique et assimilation juridique ne rimaient pas » (Magloire Ondoa, art. cité, p. 288).
19 L’auteur fait sienne la définition du vocable « autonomie » proposé par André de Laubadère selon laquelle « l’autonomie d’un système de droit par rapport à un autre, signifie simplement que les règles de droit édictées pour régir l’un des deux ne sont pas automatiquement applicables à l’autre, autrement dit que les deux systèmes sont indépendants, les sources du droit étant distinctes pour chacun d’eux » (« Les éléments d’originalité de la responsabilité contractuelle de l’administration », Mélanges Achille Mestre, 1949, p. 384 cité dans Le droit de la responsabilité publique, op. cit., p. 933).
20 Magloire Ondoa, Introduction historique au droit camerounais. La formation initiale, op. cit., p. 36.
21 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone », art cité, p. 293-294.
22 Francis-Paul Bénoit, « Des conditions du développement d’un droit administratif autonome dans les États nouvellement indépendants », Annales africaines, 1962, p. 137.
23 René Degni-Segui, « Codification et uniformisation du droit », dans L’État et le droit. Encyclopédie juridique de l’Afrique, op. cit., t. I, p. 454.
24 Il s’agit du « “modèle français” caractérisé par le “principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et son corollaire l’existence d’un contentieux administratif autonome” » (Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », RDP 2013, no 2, p. 384). Le professeur Yem Gouri Materi quant à lui parle d’un droit administratif dont l’unité objective repose sur les principaux piliers que sont la notion de puissance publique et l’autonomie de ses règles (voir « Le bilan de l’unité du droit administratif dans les pays d’Afrique noire francophone », art. cité, p. 295). Au Cameroun, durant l’autonomie interne préparatoire à l’officialisation de l’indépendance, la loi no 59-2 du 18 février 1959 tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs publics, avait en son article 35 consacré ce principe fondateur du droit administratif en ces termes : « le Premier ministre veille à la bonne administration de la justice et fait respecter le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, qui a pour corollaire obligatoire celui de la séparation des tribunaux de l’ordre administratif et des tribunaux de l’ordre judiciaire. » Cette disposition s’inscrit dans le prolongement de l’art 21 de l’ordonnance no 58-1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun qui se lit comme suit : « le transfert de la justice de l’État du Cameroun interviendra dans les conditions prévues par une convention qui devra fixer les principes de l’organisation judiciaire du Cameroun dans le respect de la séparation des autorités administratives et judiciaires et l’indépendance de la magistrature. »
25 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique, op. cit., p. 51.
26 Ibid., p. 45.
27 Dominique Darbon, « Le juge africain et son miroir : la glace déformante du transfert de jurisprudence administrative en Afrique », dans Jean du Bois de Gaudusson et Gérard Conac (dir.), Afrique contemporaine, Paris, La Documentation française, no spécial, 1990, p. 248.
28 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 132.
29 Ibid., p. 134.
30 Gérard Conac, « Le juge et la construction de l’État de droit en Afrique francophone », dans L’État de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 107-108.
31 Ahmed Salem Ould Bouboutt, art. cité, p. 379.
32 Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité de contentieux administratif, 3e éd., Paris, LGDJ, 1984, t. I, p. 179 ; Olivier Gohin, Contentieux administratif, 3e éd., Paris, Litec, 2002, p. 36 ; Jacques Viguier, Le contentieux administratif, 2e éd., Paris, Dalloz, « Connaissance du droit », 2005, p. 4. Cependant, d’autres soutiennent que le dualisme est dépassé à l’instar du professeur François-Julien Laferrière lorsqu’il écrit : « la notion de dualisme est dépassée, le système français, en effet, a secrété des tierces juridictions : le Tribunal des conflits, d’abord qui n’est plus un simple organe de partage des compétences, mais aussi, depuis la loi du 20 avril 1932, un véritable juge du fond, constituant un ordre de juridiction à lui seul ; ensuite le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois et des traités, mais aussi juge électoral exerçant en ces diverses matières des fonctions juridictionnelles, au même titre que le juge administratif est juge de la légalité des actes administratifs… » (« La dualité de juridiction un principe fonctionnel ? », L’unité du droit. Mélanges en l’honneur de Roland Drago, Paris, Economica, 1996, p. 296-297). Les organes présentés par l’auteur en plus de la juridiction administrative, exercent certes des compétences juridictionnelles, mais ne constituent pas des ordres de juridiction ayant un organe précis au sommet.
33 Jacques Chevallier, « Du principe de séparation au principe de dualité », RFDA 1990, p. 717-719.
34 Francis Casorla, « La justice séparée », LPA 12 juill. 2007, no 139, p. 5.
35 Bernard Pacteau, « Dualité de juridictions et dualité de procédures », RFDA 1990, p. 752.
36 Ibid.
37 Roland Drago et Jean-Marie Auby, op. cit., p. 182.
38 L’évolution du statut politique du Cameroun qui accède à partir du 10 mai 1957 à l’autonomie interne, entraîne de vastes changements qui s’étendent à la justice administrative. Le Conseil du contentieux administratif créé à la faveur du décret du 14 avril 1920 et dont les décisions faisaient l’objet d’appel devant le Conseil d’État français, a été remplacé par le Tribunal d’État créé par le décret no 59-83 du 4 juin 1959 portant réforme du contentieux administratif et organisation du tribunal d’État. Cette juridiction devait connaître « en premier et en dernier ressort du contentieux administratif » (art. 4 du décret du 4 juin 1959). Mais en 1960 est survenue la loi du 20 juin portant création de la Cour suprême du Cameroun oriental, dont l’article 2 dispose qu’elle « connaît des pourvois en annulation formés contre les arrêts du Tribunal d’État… » L’on en déduit la mise en place d’un ordre de juridiction administrative, séparé de l’ordre judiciaire consolidé par le double degré de juridiction. Aussi précise-t-on, que si la Cour suprême du Cameroun oriental a connu une existence éphémère, le Tribunal d’État a fonctionné jusqu’à l’adoption de la loi du 19 novembre 1965 portant réforme du contentieux administratif. D’autant plus que le dispositif mis en place avec l’avènement de l’État fédéral était applicable.
39 La loi constitutionnelle no 61/24 du 1er septembre 1961 aménageant l’État fédéral, mise en place dans le but de réunifier les deux parties du territoire camerounais jadis séparées, a créé une Cour fédérale de justice, juridiction suprême en matière judiciaire et compétente en matière de contentieux administratif sur le plan fédéral (art. 33, al. 3). Dans les États fédérés, le Tribunal d’État restait juge de droit commun du contentieux administratif de l’État fédéré du Cameroun oriental à charge d’appel et de cassation devant la Cour suprême du Cameroun oriental. En revanche, dans le Cameroun occidental, les litiges mettant en cause les personnes morales de droit public étaient tranchés par des juridictions de droit commun, sous réserve de l’application au bénéfice de cet État du principe britannique de l’« immunité de juridiction ». La loi du 19 novembre 1965 portant réforme du contentieux administratif, a simplifié ce système à travers la réorganisation de la Cour fédérale de justice en matière administrative qui était désormais constituée d’une Assemblée plénière siégeant à Yaoundé et de deux chambres administratives devant siéger dans les capitales respectives des deux États fédérés à savoir Yaoundé et Buea (art. 15). La différence entre les deux chambres résidait au niveau de la procédure : la Chambre administrative de Yaoundé appliquait la procédure antérieurement en vigueur devant le Tribunal d’État, alors que celle de Buea appliquait la procédure de droit commun en vigueur pour les litiges entre particuliers, conformément aux règles de la common law. Voir Joseph Binyoum, Contentieux administratif, cours polycopié, université de Yaoundé, année académique 1991-1992, p. 11-13.
40 Le doyen Magloire Ondoa précise d’ailleurs qu’« en Afrique au sud du Sahara, le dualisme juridictionnel était perçu comme un “anachronisme” lié à des circonstances historiques propres à la France et ignorées de la plupart des systèmes juridiques étrangers », voir « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 310.
41 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Existe-t-il un contentieux administratif autonome en Mauritanie ? Réflexions à propos d’une décision jurisprudentielle récente », Penant, no 786-787, 1985, p. 58.
42 Jean Rivero, « Les phénomènes d’imitation des modèles étrangers en droit administratif », Les pages de doctrine, Paris, LGDJ, 1980, p. 468.
43 Joseph-Marie Bipoun-Woum, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les États d’Afrique noire d’expression française : le cas du Cameroun », RJPIC, vol. 26, no 3, septembre 1972, p. 368 ; Henry Jacquot « Le contentieux administratif au Cameroun », Revue camerounaise de droit, no 8, juillet-décembre 1975, p. 20.
44 Ord. no 72/06 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême
45 L. no 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière administrative.
46 Maurice Kamto, « La fonction administrative contentieuse de la Cour suprême du Cameroun », Gérard Conac et Jean Du Bois de Gaudusson (dir.), Les cours suprêmes en Afrique, Paris, Economica, 1988, t. III, p. 31.
47 La paternité de l’organisation juridictionnelle unitaire est attribuée au général Lyautey, résident général de la France au Maroc qui, après avoir dénoncé l’inadaptation du dualisme sur le territoire qu’il administrait, obtint l’autorisation d’instituer le monisme juridictionnel au moyen du dahir du 12 août 1913. Ce texte s’inspirait de la solution tunisienne, qui elle-même, s’inspirait largement de la loi italienne du 20 novembre 1865 encore appelée « loi d’abolition du contentieux administratif » (Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 309-311).
48 Il a d’abord été mis en œuvre au Maroc, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, dans la fédération du Mali (Magloire Ondoa, ibid.) Certains auteurs le désignent par l’expression « modèle sénégalo-marocain » (Dominique Darbon, art. cité, p. 241).
49 . Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 135.
50 Dominique Darbon, art. cité, p. 241.
51 Olivier Renard-Payen, L’expérience marocaine d’unité de juridiction et de séparation des contentieux, Paris, LGDJ, 1964, p. 3.
52 Maurice Kamto, art. cité, p. 33 ; Célestin Sietchoua Djuitchoko, « Perspectives ouvertes à la juridiction administrative au Cameroun par la loi no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972 », Annales de la FSJP, Université de Dschang, 1997, t. I, vol. 1, p. 173 ; Anicet Abanda Atangana, « La réforme de la justice administrative : réflexions sur l’existence d’un ordre administratif au Cameroun », dans Magloire Ondoa (dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 81 et suiv. ; Introduction historique au droit camerounais, op. cit., p. 41.
53 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 135.
54 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 164.
55 Cela a fait dire à Jean-Calvin Aba’a Oyono que « la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 n’a certes pas fermement opté pour l’unité juridictionnelle ou même en faveur de la dualité de juridictions, toutes modelées par l’Occident. Elle n’a non plus reconduit ce bloc juridictionnel atypique mis en évidence par les Cours suprêmes africaines. Mais elle a, à sa manière, produit une autre figure juridictionnelle qui se rapprochera progressivement, au fur et à mesure de réformes plus osées, des édifices contentieux de l’Hexagone » (« Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996 », Juridis Périodique, no 44, octobre-novembre-décembre 2000, p. 83).
56 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 169.
57 Voir L. const. du 18 janvier 1996, art. 40 ; L. no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, art. 89 à 107 ; Célestin Keutcha Tchapnga, « La réforme attendue du contentieux administratif au Cameroun », Juridis Périodique, no 70, avril-mai-juin 2007, p. 25-26.
58 Jean-Calvin Aba’a Oyono, « La nouvelle révision du droit de la justice administrative », RASJ, vol. VII, 2011, p. 237.
59 L. no 2006/016 du 22 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, art. 141, al. 2 : « les affaires pendantes devant l’ancienne Assemblée plénière de la Cour suprême sur appel des jugements de la Chambre administrative sont transférées devant la section compétente de la Chambre administrative telle qu’organisée à l’article 9 de la présente loi. »
60 D. no 2012/119 du 15 mars 2012 portant ouverture des tribunaux administratifs.
61 L. no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, art. 40.
62 L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.
63 Célestin Sietchoua Djuitchoko, art. cité, p. 168.
64 Jean-Claude Kamdem, Contentieux administratif, cours polycopié de licence 3e année Droit public, université de Yaoundé, 1985, p. 61.
65 L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, art. 6, 7, 8.
66 Le Sénégal a préféré agir par le sommet en créant en 1992 un Conseil d’État, mais cette expérience n’a pas duré puisque les autorités de cet État ont fini par le supprimer (L. const. du 8 août 2008) revenant ainsi à la recette traditionnelle de la Chambre administrative de la Cour suprême ; le Maroc a, aux termes de la loi du 1er juillet 1991, créé des tribunaux administratifs. Au Mali, la loi du 2 août 1995 a mis sur pied les tribunaux administratifs sous l’autorité d’une « section administrative » de la Cour suprême. En Tunisie, la loi du 1er juin 1972 fixe l’organisation et la compétence du tribunal administratif créé par la Constitution de 1959 de cet État. Au Burundi, des « Cours administratives », juridictions administratives inférieures sont créées par la loi du 14 janvier 1987, la Chambre administrative de la Cour suprême statuant en appel (loi du 25 février 2005). En République démocratique du Congo, depuis l’avènement de la Constitution du 18 février 2006, la Cour suprême se subdivise en une Cour de cassation, une Cour constitutionnelle et un Conseil d’État, coiffant des tribunaux administratifs. Voir Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », art. cité, p. 387-389.
67 Anicet Abanda Atangana, art. cité, p. 79-87.
68 Maurice Kamto, art. cité, p. 35-36.
69 Henry Jacquot, art. cité., p. 21.
70 Art. 72 à 88 en matière d’appel, art. 89 à 107 en matière de cassation.
71 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 363.
72 René Chapus, Droit du contentieux administratif, 10e éd., Paris, Montchrestien, 2002, p. 229.
73 Roger Bonnard, Précis de droit administratif, 4e éd., p. 192 cité par Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 406.
74 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 407.
75 Il a précisé que le juge administratif est seul compétent pour prononcer l’annulation ou la réformation des décisions prises par les autorités administratives dans l’exercice des prérogatives de puissance publique. Voir François-Julien Laferrière, op. cit., p. 410.
76 Ibid.
77 Louis Favoreu (RDP 1989, p. 482) et Jacques Chevallier (AJDA 1989, p. 683), rapporté par François-Julien Laferrière, op. cit., p. 410.
78 René Chapus, op. cit., p. 231.
79 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 366.
80 L’expression « juge d’attribution » ne doit pas être perçue sous le prisme de la compétence d’attribution ou matérielle qui, selon le professeur Chapus se rapporte à la répartition opérée entre juridictions administratives. Voir Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 259 et suiv.
81 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 366.
82 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 754. Ces auteurs, au sujet du conflit d’attribution, précisent « qu’il met en présence une juridiction de l’ordre judiciaire et une juridiction de l’ordre administratif à la différence du conflit de juridiction qui se produit à l’intérieur d’un même ordre juridictionnel » (p. 755).
83 Il s’agit notamment de L. no 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation de la Cour suprême et de L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.
84 Maurice Kamto, art. cité, p. 39.
85 L’art. 9 de l’ordonnance du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême, après avoir précisé que la Cour suprême connaît de l’ensemble du contentieux administratif à l’encontre de l’État, des collectivités publiques et établissements publics, a procédé à une énumération des matières relevant du contentieux administratif à l’alinéa a-2 qui se lit comme suit : « le contentieux administratif comprend : a) Les recours en annulation pour excès de pouvoir, et en matière non répressive les recours incidents en appréciation de légalité […] ; b) Les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif ; c) Les litiges concernant les contrats (à l’exception de ceux conclus même implicitement sous l’empire du droit privé) ou les concessions de services publics ; d) Les litiges intéressant le domaine public ; e) Les litiges qui lui sont expressément attribués par la loi (à l’instar des art. 22 et 36 de la loi no 74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale modifiée par la loi no 92/02 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, elle-même modifiée par la loi no 95/24 du 11 décembre 1995 et celle no 2006/010 du 26 décembre 2006, donnant compétence au juge administratif du contentieux des opérations électorales à l’exclusion du contentieux de l’éligibilité. Il en est également ainsi, du contentieux des impôts directs et des taxes sur le chiffre des affaires devenues taxes sur la valeur ajoutée tel que prévu par le code général des impôts ; le contentieux de la régularité et de l’éligibilité au sein des organes consultatifs (commissions administratives paritaires), des élections professionnelles (chambre de commerce, chambre d’agriculture) ou du contentieux ayant cours dans les ordres professionnels (ordre national des médecins, des pharmaciens, des architectes […] »
86 Notamment dans l’affaire Mbedey Norbert du 29 mars 1972 où, devant le silence de la loi, le juge administratif s’est déclaré compétent alors que l’espèce qui lui était soumise présentait les caractères d’un contentieux judiciaire.
87 L’al. 3 de l’art. 9 dispose : « Les Tribunaux de droit commun connaissent, conformément au droit privé, de toute action ou litige, même s’il met en cause les personnes morales énumérées au paragraphe premier, la responsabilité de ladite personne morale étant à l’égard des tiers substituée de plein droit à celle de son agent auteur des dommages causés même dans l’exercice de ses fonctions. » L’al. 4 ajoute : « Ils connaissent, en outre, des emprises et des voies de fait administratives et ordonnent toute mesure pour qu’il y soit mis fin… » Sur cette question, voir Maurice Kamto, art. cité, p. 39-42 ; Serge Vincent Ntonga Bomba, « Trente-huit ans d’indécision et d’incertitude dans la répartition des compétences en matière administrative au Cameroun : 1972-2010 », dans Magloire Ondoa (dir.), op. cit., p. 171-189.
88 Jean-Claude Aba’a Oyono, art. cité, p. 243.
89 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 406-407.
90 Jean-Claude Aba’a Oyono, art. cité, p. 244. L’art. 2, al.. 1, de la loi no 2006/022 dispose d’ailleurs que « les tribunaux administratifs sont des juridictions inférieures en matière de contentieux administratif au sens de l’article 40 de la Constitution ».
91 Ibid.
92 Maurice Kamto, art. cité, p. 39
93 Jean-Marie Auby et Roland Drago, op. cit., p. 406.
94 Notamment en matière de voie de fait et d’emprise où le juge administratif constate et le juge judiciaire répare. Voir L. no 2006/022 du 29 décembre 2006, art. 3, al. 2 qui reprend l’art. 9 al. 4 de l’ordonnance du 26 août 1972.
95 Jean Foyer, art. cité, p. 5.
96 Alain-Serge Meschriakoff, « Le déclin de la fonction administrative contentieuse au Cameroun », RJPIC, octobre-décembre 1980, p. 824.
97 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art cité, p. 298.
98 Guy Kouassigan, Quelle est ma loi ?, Paris, Pedone, 1974, p. 20, cité par Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique dans les États en développement, op. cit., p. 47.
99 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique…, op. cit., p. 33. De plus, le doyen Ondoa précise que « la notion d’autonomie n’est donc justement et précisément utilisée, que si elle se réfère aux sources formelles du droit ». Il ajoute : « la question de l’autonomie des droits africains par rapport au droit français, n’est pas contestable au plan formel, depuis l’accession des États d’Afrique à l’indépendance. Le principe de souveraineté des États, dont elle constitue au fond une variante, interdit catégoriquement en effet, que l’autonomie formelle des systèmes juridiques africains, par rapport à celui de la France, soit discutée et a fortiori contestée. Car elle s’affirme comme une manifestation ou une composante de la souveraineté des États concernés » (Introduction historique au droit camerounais, op. cit., p. 30-32).
100 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone …», art. cité, p. 294-295.
101 Ibid.
102 Ibid.
103 Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité publique dans les États en développement, op. cit., p. 45.
104 Ibid.
105 Ibid., p. 33.
106 René Degni-Segui, art. cité, p. 460.
107 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 307.
108 André de Laubadère, Jean-Claude Venezia et Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, 11e éd., Paris, LGDJ, 1990, t. I, p. 20.
109 TC, 8 février 1873, Blanco, dans Marceau Long, Prosper Weil, Guy Braibant, Pierre Delvolvé et Bruno Genevois (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 16e éd., Paris, Dalloz, 2007, p. 1.
110 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 383.
111 Yves Gaudemet, art. cité, p. 431.
112 Ibid.
113 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
114 Ibid.
115 Danièle Lochak, Le rôle politique du juge administratif français, Paris, LGDJ, 1972, p. 162, cité dans Hassan-Tabet Rifaat, « Charge de la preuve et libertés publiques dans la jurisprudence administrative libanaise », RJPIC, no 1-2, janvier-mars 1985, p. 370.
116 Jean-Marc Sauvé, « L’avenir du modèle français de droit public en Europe », propos introductifs au colloque organisé par la chaîne Mutations de l’action et du droit public de Sciences Po 11 mars 2011, cité par Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », art. cité, p. 380.
117 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
118 Ibid., p. 308.
119 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel : le cas du Cameroun », dans Bruno Bekolo Ebee, Touna Mama et Séraphin-Magloire Fouda (dir.), Mondialisation, exclusion et développement africain : stratégies des acteurs publics et privés, Yaoundé, AFREDIT, « Économies d’Afrique », 2006, t. II, p. 377.
120 Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone… », art. cité, p. 313.
121 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel…. », art. cité, p. 378.
122 Paul Yao-N’Dré, « Les États africains et le processus de démocratisation », Juridis Périodique, no 41, janv.-fév.-mars 2000, p. 22-26.
123 Célestin Keutcha Tchapnga, « Les mutations récentes du droit administratif camerounais », Juridis Périodique, no 41, janv-fév-mars, 2000, p. 75-76.
124 Danièle Lochak, « Le droit administratif rempart contre l’arbitraire ? », Pouvoirs 1988, no 46, p. 43-55.
125 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel… », art. cité, p. 404 et suiv.
126 René Degni-Segui, art. cité, p. 463.
127 Yves Gaudemet, art. cité, p. 432.
128 Francis-Paul Bénoit, art. cité, p. 137.
129 Magloire Ondoa, « Le droit de la responsabilité dans les États en développement », op. cit., p. 48. Voir également René Degni-Segui, art. cité, p. 454 et suiv.
130 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », op. cit., p. 387-389.
131 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel », art. cité, p. 422.
132 Jugement no 66 ADD/CS/CA/78-79 du 31 mai 1979, Kouang Guillaume Charles c/ État du Cameroun ; jugement no 7/CS/CA/79-80 du 29 novembre 1979, Essomba Marc Antoine ; jugement no 40/CS/CA/79-80 du 29 mars 1980, Monkamtientcheu David c/ État du Cameroun.
133 Jugement no 34/CS/CA/79-80 du 24 avril 1980 et arrêt confirmatif no 18/A du 19 mars 1981, Essougou Benoît c/ État du Cameroun.
134 Jean de Noël Atemengue, « Les actes de gouvernement sont-ils une catégorie juridique ? Discussion autour de leur origine française et de leur réception camerounaise », Juridis Périodique, no 42, avril-mai-juin 2000, p. 105.
135 L. no 64/LF/16 du 26 juin 1964 sur la répression du terrorisme dont l’art. 1er dispose : « est irrecevable, nonobstant toute disposition législative contraire, toute action dirigée contre la République fédérale, les États fédérés et les autres collectivités publiques dans le but d’obtenir la réparation des dommages de toutes natures occasionnés par des activités terroristes ou la répression du terrorisme. » Elle fut appliquée par le juge administratif qui a déclaré irrecevable, un recours y afférent. Voir arrêt no 5/CFJ/AP du 15 mars 1967, Société forestière de la Sanaga c/ État du Cameroun.
136 L. no 080-31 du 27 novembre 1980 dessaisissant les juridictions de tout le contentieux de la désignation des chefs traditionnels. Celui-ci devant être porté devant l’autorité investie du pouvoir de décision qui se prononce en premier et dernier ressort. Voir L. no 79/17 du 30 juin 1979 relative aux contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels.
137 Bertrand Mathieu, « L’irréductible acte de gouvernement », Recueil Dalloz, 2009.
138 Maurice Kamto, « Acte de gouvernement et Droits de l’homme au Cameroun », Lex Lata, no 26, mai 1996, p. 11.
139 Jean de Noël Atemengue, « Production du droit public interne et contexte politique : le cas du Cameroun », RDIDC, 2012, no 2, p. 297.
140 Salomon Bilong, « Le déclin de l’État de droit au Cameroun, le développement des immunités juridictionnelles », Juridis Periodique, no 82, avril-mai-juin 2005, p. 52 et suiv. Lire utilement Michel Biakolo Akoa, Les bases constitutionnelles des actes de Gouvernement au Cameroun, mémoire de DEA en droit public, université de Yaoundé II SOA, 2005-2006, 110 p.
141 CE, 19 février 1875, Prince Napoléon. Voir Marceau Long et al. (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., p. 16.
142 Louis Favoreu, Du déni de justice en droit public français, Paris, LGDJ, 1965, p. 219. L’auteur écrit à cet égard : « M. Landon, qui connaît bien la jurisprudence du Conseil d’État des origines à 1872, pour l’avoir étudiée le premier, de manière très approfondie, après avoir démontré que le “seul terrain stable qui reste à l’acte de gouvernement défini par son inspiration, ce sont les mesures prises par l’autorité légitime en période de crise” […], s’étonne : “comment dès lors la légende, car c’en est une de la théorie du mobile s’est-elle accréditée ?” [Pierre Landon, Aux sources du recours pour excès de pouvoir, Paris, Sirey, 1942, p. 220 et note 581]. »
En accord avec cette thèse, M. le professeur Fabrice Melleray affirme : « Louis Favoreu a également raison de tordre le cou […] à l’analyse malheureusement toujours vivace suivant laquelle l’arrêt Prince Napoléon marquait la fin de la théorie dite du mobile politique, théorie qui n’a selon toute vraisemblance jamais été développée par le juge administratif. Bien au contraire […], la théorie dite du mobile politique a été “forgée après coup” et peut s’analyser comme “une des composantes de la légende noire propagée par les républicains en vue de déconsidérer le régime bonapartiste” » (« En a-t-on fini avec la “théorie” des actes de gouvernement ? », Renouveau du droit constitutionnel, mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2005, p. 1320-1321).
143 Joseph Owona, Le contentieux administratif de la République du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 74.
144 Élise Carpentier, « L’“acte de gouvernement” n’est pas insaisissable », RFDA, 2006, p. 661.
145 Ibid. Louis Favoreu, après la création du Conseil constitutionnel, a soutenu que la notion d’acte de gouvernement n’était plus utile et qu’on n’en avait plus besoin pour expliquer l’injusticiabilité de divers actes. Voir Du déni de justice en droit public français, op. cit., p. 232 et suiv.
146 Magloire Ondoa, « Le droit public des États africains sous ajustement structurel », art. cité, p. 422.
147 CFJ/CAY 18 juillet 1967, Litty Herman c/ Mbeleck ; arrêt no 1/CFJ/AP du 5 octobre 1969, Bollo Joseph c/ État du Cameroun ; jugement no 24/CS/CA/80-81 du 18 décembre 1980, Tchana Abraham c/ État du Cameroun ; arrêt no 33/CS/CA du 28 septembre 1978, Owoundi Jean Louis c/ État du Cameroun ; arrêt no 370/CCA du 3 septembre 1955, Essindi Essama c/ Administration du Territoire ; arrêt no 08/CFJ/AP du 16 mars 1967, Georges Biau et Compagnie d’assurances générales c/ État du Cameroun.
148 Michel de Villiers et al., Droit public général, Paris, Litec, 2002, p. 627.
149 L. no 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière administrative, art. 16 et 122 repris par L. no 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs, art. 27 à 31.
150 René Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 123 et suiv.
151 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 378.
152 . Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », op. cit., p. 398.
153 . Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 383.
154 . Magloire Ondoa, Le droit de la responsabilité dans les États en développement, op. cit., p. 48.
155 . Yves Gaudemet, art. cité, p. 432.
156 . Magloire Ondoa, « Le droit administratif français en Afrique francophone », op. cit., p. 324.
157 Joseph-Marie Bipoun-Woum, art. cité, p. 359.
158 Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Le contentieux administratif comparé en France et dans les pays d’Afrique francophone », op. cit., p. 409.
159 Dominique Darbon, art. cité, p. 247.
160 Jean Foyer, art. cité, p. 3.
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Référence papier
Gaëtan Thierry Foumena, « Le droit administratif camerounais « postcolonial » en rupture avec le modèle français inspirateur », Les Annales de droit, 14 | 2020, 69-101.
Référence électronique
Gaëtan Thierry Foumena, « Le droit administratif camerounais « postcolonial » en rupture avec le modèle français inspirateur », Les Annales de droit [En ligne], 14 | 2020, mis en ligne le 01 juin 2021, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/add/1833 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/add.1833
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