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Transmettre et apprendre dans des espaces hybrides : entre travail et formation

Les sémioses à l’épreuve de l’hybridité dans le cadre d’une formation d’ingénieurs à l’activité managériale, simulée en halle technologique

Testing semiosis hybridity in the context of training engineers in managerial activity, simulated in a technology hall
Hervé de Bisschop, Anaïs Loizon et Marie David

Résumés

La présente recherche se centre sur une simulation conduite au sein d’une halle technologique sur une ligne de production dans laquelle des élèves-ingénieurs doivent encadrer des opératrices professionnelles. Pour les apprenants, la double immersion dans un environnement de travail et de formation rend plus complexe l’identification de ce qui est attendu d’eux. Ils doivent continuellement discerner, dans le comportement des animateurs, ce qui relève soit des attentes du directeur de production, soit du formateur. Aussi, en exposant les élèves-ingénieurs à un système de formes symboliques complexe à lire et à comprendre, le milieu didactique proposé par cet espace hybride est-il le lieu de sémioses continuelles de leur part ? En référence à la théorie de l’action conjointe en didactique (TACD), la présente recherche questionne la manière selon laquelle les dimensions d’hybridité du dispositif font ressource ou entrave, tant pour la lecture des jeux didactiques que pour l’acquisition des compétences visées et/ou de la mise en œuvre des pratiques attendues par les formateurs. Au travers de 13 cas, les résultats identifient quelques conditions pour que ces dimensions d’hybridité soient propices aux apprentissages.

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Texte intégral

1. Comment l’hybridité du dispositif de formation facilite‑t‑elle ou entrave‑t‑elle les sémioses des apprenants ?

1Les dispositifs de formation pour les élèves-ingénieurs connaissent d’importantes mutations depuis de nombreuses années. Bien que les limites de l’approche par compétences (de Montlibert, 2021 ; Le Boterf, 2017 ; Scouarnec, 2022) aient été soulignées par de nombreux auteurs (Batal & Fernagu-Oudet, 2013 ; Chaliès & Borer, 2021 ; Crahay, 2006 ; Legeay, 2022), elle fait l’objet d’un attrait et d’une mobilisation croissante par les organismes de formation. Cette tendance couplée avec les exigences renforcées de professionnalisation dans l’enseignement supérieur amène effectivement les institutions et les acteurs de l’éducation à délaisser progressivement les formats transmissifs habituels au profit de démarches plus intégratives et de situations d’apprentissage plus « authentiques » (Poumay, Tardif, & Georges, 2017 ; Prégent, Bernard, & Kozanitis, 2009). Pédagogiquement, cela se traduit par un essor important, dans les écoles d’ingénieurs notamment, de dispositifs de simulation et de jeux de rôles permettant de « jouer avec l’analogie à la réalité » (Audran, 2016, p. 12) en préservant un cadre d’apprentissage sécurisé.

  • 1 Au sens de produire des signes lus ou pas par les uns et les autres.

2Dans ces dispositifs, les apprenants doivent apprendre à composer avec une réalité pouvant être partiellement modifiée, simplifiée, voire augmentée à des fins de formation. La combinaison d’une diversité d’aspects (temps, espaces, discours, objets, gestes, rôles) issus à la fois du monde de la formation et empruntés à l’univers professionnel, pour servir les enjeux de professionnalisation et la crédibilité du scénario proposé, dessinent des milieux didactiques hybrides à la fois fertiles, mais potentiellement complexes à appréhender et à déchiffrer pour les apprenants. En les exposant à un système d’artefacts et de formes symboliques complexe à lire et à comprendre, le milieu didactique proposé par ces espaces hybrides est le lieu de sémioses continuelles de leur part : en un mot, formateurs comme apprenants y « ensignent1 » (Deleuze & Guattari, 1980). Il est alors légitime de s’interroger sur ce qui rend plus ou moins difficile la lecture de ce qui est à faire et à comprendre dans de tels milieux didactiques. Dans la littérature en sciences de la formation et de l’éducation, de nombreuses raisons sont mises en exergue, qui explicitent en quoi les milieux didactiques hybrides posent des difficultés de lecture aux apprenants. Parmi celles-ci, nous souhaitons ici en rappeler trois : le milieu didactique, le dispositif de formation et la nature des compétences visées par l’apprentissage.

3Tout d’abord, nous savons que l’enseignant ne dit pas tout, ne montre pas tout, il entretient un « milieu antagoniste » (Brousseau, 1990, p. 321) composé de situations « adidactiques » (Sensevy, 2011, p. 112) dont la spécificité est qu’elles procèdent d’un double recouvrement volontaire (ce que le formateur décide de cacher à l’apprenant) et involontaire (ce que le formateur omet de signaler indépendamment de ses intentions).

4De plus, nous savons à la suite de Veillard (2017) que les curricula suivis par les élèves en formation professionnelle laissent parfois les apprenants seuls face à la nécessité de s’adapter à ce qui est attendu d’eux selon les modules et les enseignants. Ce qui nous rappelle que la difficulté de lecture du milieu didactique tient non seulement de la pratique des enseignants, mais aussi de la nature et du mode d’organisation des cursus et des dispositifs de formation.

5À ces deux premières raisons, s’ajoute une troisième difficulté inhérente à la nature de l’activité à laquelle les apprenants se forment, autrement dit à la nature même des compétences à acquérir. Dans le cas des activités de relation à autrui dont l’activité managériale fait partie (de Bisschop, Flandin, & Guérin, 2022), ce qui est à apprendre n’est pas principalement la transformation d’artefacts, mais celle « des capacités à agir des individus engagés dans des collectifs de travail (Perez-Roux et al., 2019) » (Ibid., p. 129). Ce qui est alors à apprendre ne relève pas tant de techniques (Deslandes, 2016) que de dispositions non complètement montrables par le formateur, car les situations de formation et dispositions qui y sont à acquérir se « co-produisent en permanence et de manière toujours ouverte » (Muller, 2014, p. 191).

6En somme, si les simulations entendues comme « produit de la transposition didactique de la situation de référence » (Vidal-Gomel, Fauquet-Alekhine, & Guibert, 2011, p. 118) permettent d’immerger les apprenants dans des environnements de formation hybrides dotés des caractéristiques emblématiques (à la fois techniques, organisationnelles et humaines) de leurs futurs milieux de travail, elles accentuent, pour ces derniers, la complexité de lecture de ce qui est attendu d’eux. En conséquence, la présente recherche se propose de mieux comprendre en quoi ces milieux et l’hybridité qui les caractérise soutiennent ou entravent les capacités des apprenants à déchiffrer les attentes des formateurs et la nature des compétences visées. Elle se centre sur un dispositif de simulation proposant à des élèves-ingénieurs d’encadrer, au sein de la halle technologique d’un lycée professionnel, des opératrices volontaires sur une ligne de production. Comme la majeure partie des simulations pleine échelle (Bastiani, 2017), ce dispositif vise le développement de compétences techniques associées à des compétences non techniques (Karsenty, & Duvenci-Langa, 2017) d’ordre communicationnel, interactionnel (Filliettaz, 2019 ; Filliettaz et al., 2021) ou émotionnel (Chader, Pijoan, & Plane, 2021 ; Mallard, & Durat, 2022 ; Mikolajczak, & Bausseron, 2013).

7Après une description fine du dispositif mettant à jour la logique d’hybridation qui le caractérise, nous identifierons de quelle manière chacune des dimensions hybrides retenues intervient dans les processus sémiotiques à l’œuvre. Nous mobiliserons à cette fin le cadre de la théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) (Sensevy, 2011) en interrogeant plus particulièrement la manière avec laquelle les élèves-ingénieurs immergés dans cet espace hybride appréhendent les jeux didactiques et parviennent à mobiliser les compétences ou pratiques requises par les formateurs. Nous proposerons enfin quelques conditions pour renforcer le potentiel d’apprentissage du dispositif observé et étayer ainsi les choix pédagogiques et didactiques des formateurs dans la conception de simulations.

2. Mobiliser les jeux pour décrire les sémioses d’autrui

8Afin de mieux comprendre comment les dimensions constitutives de l’hybridité d’un dispositif de formation sont lues par les apprenants, nous proposons de nous situer dans le cadre de la théorie de l’action conjointe en didactique. Deux motifs président à ce choix. Tout d’abord, la notion d’action conjointe permet de décrire les interactions apprenant/formateur de manière dynamique au travers d’ajustements mutuels. Ensuite, la TACD offre un cadre théorique permettant de saisir, à un niveau micro, la manière avec laquelle l’apprenant parvient ou non à lire ce qui constitue la logique immanente de l’activité du formateur.

9Dans la TACD, l’action didactique est à la fois conjointe et orientée vers un « horizon de capacités qu’il s’agit d’atteindre » (Sensevy, 2011, p. 191). La considérer sous cette double caractéristique, c’est se rappeler qu’elle s’apprend dans une confrontation avec celle d’autrui. Elle peut alors être vue comme un jeu d’ajustements mutuels entre le formateur et l’apprenant dont l’enjeu, pour l’apprenant, est d’acquérir la compétence à déchiffrer et mettre en pratique ce qui en constitue la logique immanente, c’est-à-dire sa grammaire.

10À la suite de Wittgenstein, Sensevy considère que comprendre la grammaire d’une action, c’est en saisir l’arrière-plan qui lui donne sens. Cela tient au fait que pour être comprise, toute expression a besoin d’un arrière-plan, d’« une texture spécifique pour recevoir une signification » (Ibid., p. 27). En conséquence, pour comprendre l’action d’autrui, il convient de procéder à la lecture de l’arrière-plan qui en révèle la logique sous-jacente, ce qui conduit à produire des significations propres à cette action. Ainsi pour apprendre, l’élève-ingénieur doit-il saisir ce que le formateur attend de lui. Pour ce faire, l’un et l’autre doivent lire les signes émis réciproquement au sein du milieu didactique dans lequel ils interagissent. En ce sens, l’action de l’apprenant peut être décrite comme une sémiose d’autrui dans son milieu.

11Afin de décrire le contenu des sémioses opérées par les apprenants au sujet des dimensions d’hybridité d’un dispositif de formation, nous mobilisons l’objet théorique du jeu. Pour cela rappelons que l’action didactique, parce que conjointe, peut être conçue comme un jeu dans lequel coopèrent, se coordonnent et dialoguent le formateur et l’apprenant. Dans le cadre de la TACD, ce jeu peut être caractérisé par différents descripteurs. Nous en retiendrons trois dans le présent article : (i) le nom du jeu, formulé autant que possible à partir des verbatims des acteurs, répond à la question suivante : « à quoi jouent-ils ? », (ii) le gain du jeu correspond au gain épistémique dont le jeu est l’enjeu, c’est-à-dire à ce qui est à apprendre dans chaque jeu, et enfin (iii) le système contrat-milieu au sein duquel le contrat est porteur des règles, normes, habitudes et attentes réciproques du formateur et de l’apprenant, là où le milieu est composé de la matérialité, l’état problématique de la situation, ainsi que des stratégies instanciées par les acteurs. En tant que systèmes d’habitudes institués entre le formateur et l’apprenant, le contrat doit être vu comme « la règle de décodage » (Sensevy, 2011, p. 98) de l’activité didactique en cours. Cette règle constitue l’arrière-plan du jeu didactique et fournit un « système d’institutions du sens » (Ibid., p. 98) qui appelle une lecture de la part des interactants. De son côté, le milieu, comme environnement de l’action, est ici vu comme « un système de formes symboliques que l’apprenant met en relation afin d’être en mesure de résoudre le problème » (Gruson, 2019, p. 133) posé par l’état problématique du monde qu’il instaure. C’est ainsi que le jeu didactique est le lieu d’une « double sémiose » (Ibid., p. 133) de la part des acteurs, sémioses dans lesquelles les uns et les autres à la fois « ensignent » (Sensevy, 2011, p. 192) le milieu et déchiffrent les signes ainsi produits.

12Enfin, notons que la TACD regroupe sous la notion de jeux didactiques deux formes de jeux qui se différencient en fonction de la finalité qui leur est assignée. Les premiers sont les jeux d’apprentissage dans lesquels le formateur propose à l’apprenant une activité en vue d’apprendre à faire quelque chose. Lors des seconds, qualifiés de jeux épistémiques, le but de l’activité proposée est de conduire l’action de faire ce quelque chose proprement dit.

13Au vu de ces éléments théoriques, s’interroger sur la manière avec laquelle les dimensions d’hybridité d’un dispositif de formation influencent les apprentissages revient à se demander en quoi les composantes d’hybridité du dispositif (i) soutiennent ou au contraire inhibent la lecture des jeux didactiques (c’est-à-dire l’acquisition par l’apprenant de la capacité à déchiffrer les signes renseignant quelles sont les compétences visées), et (ii) facilitent ou entravent la mobilisation des compétences attendues et/ou la mise en œuvre des pratiques requises (actions à conduire, tâches à réaliser, ou encore comportement à adopter) par le formateur de la part des élèves‑ingénieurs.

3. Une formation hybride mobilisant la simulation en halle technologique

14Afin de pouvoir observer et analyser les sémioses qui émergent entre formateurs et apprenants au sein d’espaces formatifs hybrides mêlant intimement des caractéristiques des univers académique et professionnel, nous nous intéressons au module « mise en situation de management sur une ligne de production » (ici dénommé Manprod) suivi par des élèves-ingénieurs d’une école d’ingénieurs française.

15Nous proposons de décrire ce segment de curriculum sur lequel porte la présente étude en distinguant, à la suite d’Albero, Guérin et Watteau (2019), les cinq composantes structurelles du module, à savoir : ses finalités, ses publics, son organisation, ses ressources matérielles et humaines, ainsi que son contenu. Nous terminerons cette présentation du terrain par un récapitulatif des principales dimensions participant de l’hybridité du module de formation « Manprod ».

3.1 Finalité, publics et organisation

16Le module « Manprod » prend place au sein d’une spécialisation de dernière année du cursus ingénieur agro-alimentaire préparant à des postes d’encadrement hiérarchiques ou fonctionnels.

17D’un point de vue calendaire, le module est enchâssé au sein de deux autres modules à la fois distincts et complémentaires. Un module de gestion de projet se déroulant en amont de la simulation et un autre de découverte des outils de gestion de la qualité organisés en quatre séances, réparties de part et d’autre du module « Manprod ». Par ailleurs, chacun de ces modules est entrecoupé par des périodes en entreprises pour les apprenants apprentis et l’ensemble du dispositif est situé à la veille du stage long en entreprises pour les non-apprentis. La Figure 1 ci-dessous présente l’agencement de ces différents modules et précise leur localisation, durée, période, ainsi que le profil des formateurs.

Figure 1 : Agencement des modules. 
Figure 1: Training layout

Figure 1 : Agencement des modules.  Figure 1: Training layout

18Plus spécifiquement, le séquencement du module « Manprod » distingue trois phases. La première s’organise par un briefing à « froid » dont l’objectif est triple : (i) transmettre l’esprit de l’exercice, à savoir s’entraîner à prendre une posture de professionnel en contexte opérationnel, (ii) expliciter le contenu des documents remis par mail en amont du briefing, (iii) donner de la visibilité sur l’organisation pratique et la suite de l’exercice au lycée professionnel. La seconde constitue le corps central du module. Elle vise l’expérimentation située de ce qu’exige la pratique d’encadrement sous contraintes (techniques, spatiales et temporelles) d’opératrices professionnelles volontaires. Elle débute par un briefing « à chaud » entre les élèves-ingénieurs et les opératrices. Elle est émaillée d’incidents générés par les formateurs et les opératrices dont la finalité est de tester la capacité des étudiants à agir sous stress face à l’imprévu pour savoir : (i) mettre en place les procédures pertinentes et (ii) adopter les postures professionnelles idoines. Elle se termine par un débriefing « à chaud » centré sur le partage de vécus. Enfin la troisième phase ménage, lors d’un débriefing « à froid », un temps à la fois réflexif et applicatif.

3.2 Contenu et ressources

19Le module « Manprod » simule en « pleine échelle » dans ses composantes techniques et didactiques (Samurçay, 2005) l’exécution, en temps contraint (trois heures hors débriefing « à chaud »), d’un ordre de fabrication sur une vraie ligne de production (réduite au conditionnement des produits), située dans la halle technologique d’un lycée technique. Sur cette ligne, quatre opératrices professionnelles volontaires sont encadrées par les élèves-ingénieurs. Le scénario de la simulation plonge les étudiants dans les locaux de la société StériloTech qui fabrique et conditionne du gel hydroalcoolique simulé par de l’eau. Les étudiants sont répartis en quatre groupes constitués chacun d’un responsable de production et de son adjoint, d’un responsable de la qualité et de son adjoint, de deux auditeurs externes et de deux cameramen. Le responsable de la production doit organiser la ligne, la programmation et la tenue des délais de fabrication, l’encadrement des opératrices présentes sur la ligne, la coordination avec l’équipe qualité, la remontée d’informations et rester disponible à l’égard de la direction industrielle incarnée par le formateur-intervenant. De son côté, le responsable de la qualité est responsable de l’exécution des contrôles et tests de conformité des produits sur la ligne de production, du respect des règles et normes d’hygiène et de sécurité, de la coordination avec le responsable de la production, des relations avec les auditeurs externes. L’auditeur externe est missionné par des clients de la société StériloTech. Il réalise l’inspection des installations, le contrôle des process et l’audition des différents responsables. Et enfin, les cameramen sont les observateurs privilégiés de la simulation. Leur tâche est double : ils assurent la captation de traces vidéographiques tout au long de la simulation, puis ils réalisent un montage didactique visant à mettre en exergue les moments clés de la simulation avec ses difficultés et ses réussites, de manière à permettre une analyse réflexive à froid lors du débriefing.

20Quatre opératrices participent à la préparation et au déroulement de la simulation. Elles sont recrutées sur la base du volontariat à la suite d’une présentation du dispositif et de ses objectifs par un des instructeurs du lycée professionnel. En conséquence, leur participation à la simulation ne fait pas partie des heures de formation qu’elles suivent par ailleurs au lycée technique. Une séance de préparation en amont de la simulation est organisée avec les opératrices volontaires pour élaborer en concertation avec elles : (i) le type de perturbations qu’elles se verraient introduire dans le dispositif (comme feindre de ne pas parler le français), ainsi que (ii) les modalités par lesquelles elles pourraient faire un retour aux ingénieurs, lors du débriefing « à chaud », quant à ce qui, au regard de leur expérience des environnements industriels, leur aura paru plus ou moins ajusté et/ou pertinent dans les manières avec lesquelles les élèves-ingénieurs les ont encadrées durant la simulation.

21Enfin, deux autres rôles sont assurés par des formateurs. Le premier est celui de responsable industriel qui assure l’accueil initial des auditeurs puis, tout au long de la simulation, le management des responsables de la production sur la tenue des objectifs de production (quantité, qualité, délai) et des responsables de qualité sur le respect des exigences de qualité, en particulier au travers de la traçabilité des produits. Le second est celui de responsable de maintenance qui se tient à la disposition des responsables production et qualité pour intervenir à tout moment en dépannage sur la ligne.

22D’un point de vue spatial, les briefings et débriefings « à froid » se tiennent dans les salles de classe habituelles de l’école d’ingénieurs, alors que les briefings et débriefings « à chaud » se déroulent, eux, dans les salles de classe du lycée technique professionnel. La Figure 2 ci-dessous permet de visualiser les configurations spatiales de ces espaces pédagogiques.

Figure 2 : Implantations physiques des briefings et débriefings. 
Figure 2: Physical locations of briefings and debriefings

Figure 2 : Implantations physiques des briefings et débriefings.  Figure 2: Physical locations of briefings and debriefings

23Pour ce qui concerne les ressources matérielles mises à disposition lors de la simulation, elles sont constituées des équipements présents sur la ligne de production située dans la halle technologique du lycée technique. Cette dernière est implantée en forme de « U ». Comme le montre la Figure 3 ci-dessous, six zones peuvent y être distinguées : le poste de pilotage central, la tête de ligne, suivie de quatre machines. La remplisseuse y conditionne le liquide des flacons, la capsuleuse en assure la fermeture avec une bague de sécurité, la fardeleuse permet leur conditionnement en barquettes sous films plastiques et l’encartonneuse empaquette ces dernières dans des cartons avant fermeture pour livraison. L’accès d’une seule de ces zones est réservé aux formateurs : le poste de pilotage de la ligne à partir duquel un système informatique de gestion de production permet aux formateurs de suivre les constantes de la production et de déclencher certaines perturbations.

Figure 3 : Vue d’ensemble des six zones composant la ligne de production. 
Figure 3: Overview of production line areas

Figure 3 : Vue d’ensemble des six zones composant la ligne de production.  Figure 3: Overview of production line areas

3.3 Les dimensions participant de l’hybridité du dispositif

24Cette simulation se présente comme une situation d’interface entre travail et formation et s’inscrit, d’un point de vue curriculaire, dans une logique d’hybridation telle que théorisée par Bouw, Zitter et De Bruijn (2019). En nous inspirant des différentes perspectives décrites par Zitter & Hoeve (2012) pour appréhender les environnements d’apprentissage hybrides, nous retenons les dimensions suivantes pour caractériser l’hybridité du dispositif observé :

  1. Les rôles endossés par les acteurs : qu’il s’agisse des formateurs, des opératrices ou des élèves-ingénieurs, les exigences du scénario pédagogique les amènent à alterner entre différents rôles empruntant tour à tour au monde du travail (directeur industriel, responsable production ou qualité) et à celui de la formation (formateur intervenant, étudiants) ;

  2. Les profils des apprenants : la mixité des publics au sein de ce dispositif entre élèves apprentis et non-apprentis fait dialoguer des expériences de travail hétérogènes au regard du milieu didactique proposé ;

  3. Les objectifs poursuivis : deux logiques sont à l’œuvre dans ce dispositif, l’une tournée vers la production, la réalisation des tâches en lien avec le scénario proposé, et l’autre tournée vers l’apprentissage et le développement des compétences à la fois techniques et managériales en situation ;

  4. Les perturbations : les perturbations volontairement générées par les formateurs à des fins d’apprentissage s’inscrivent dans un environnement potentiellement déjà perturbé par les dysfonctionnements habituels des machines. Lors des simulations observées, les élèves-ingénieurs ont été confrontés à cinq perturbations : (i) une opératrice feint de ne pas parler français, (ii) des flacons défectueux sont introduits dans la trémie d’alimentation de la remplisseuse, (iii) une variation dans le volume du liquide des flacons est temporairement introduite au niveau de la remplisseuse, (iv) des colis sont posés aléatoirement sur la ligne et (v) des corps étrangers sont introduits dans quatre flacons ;

  5. Le positionnement curriculaire : le module « Manprod » s’imbrique dans deux autres modules. Il est par ailleurs entrecoupé par des périodes de présence en entreprises pour les étudiants apprentis et précède l’entrée dans le stage long pour les non‑apprentis ;

  6. Les ressources : les apprenants doivent composer avec des objets techniques issus du monde du travail et un ensemble de ressources spécifiquement conçues pour les besoins de la simulation (fiches de poste, présentation de l’entreprise fictive StériloTech, grille d’audit, consignes de travail pour le débriefing, etc.) ;

  7. Les lieux : les trois phases du module « Manprod » donnent à voir une mixité dans les espaces et lieux investis par les acteurs allant de la salle de classe traditionnelle à l’espace productif de la halle technologique en passant par des salles de TP en halle technologique.

4. Documenter les relations entre hybridité, jeux didactiques et capacités épistémiques attendues

25Nous retraçons ci-après la démarche de constitution du corpus des données de la présente étude.

4.1 L’identification des thèmes et la conduite des doubles autoconfrontations formateur/apprenants

26Après un temps d’immersion qui nous a permis (i) de nous familiariser avec le milieu didactique, (ii) d’établir les conditions de coopération avec les acteurs et (iii) de sélectionner, à partir du double point de vue des formateurs et apprenants, une simulation emblématique au regard de la densité de l’expérience vécue par les élèves-ingénieurs, nous avons suivi un processus méthodologique en trois temps afin d’approcher les sémioses opérées par les étudiants et formateurs dans le cours même de la simulation.

27Lors du premier temps, nous avons visionné la vidéo de la simulation et avons identifié, à partir du point de vue des acteurs, des thèmes entendus à la suite de Tiberghien & Sensevy (2012) comme des unités narratives « donnant une partie de l’histoire du savoir tel qu’elle se déploie dans le processus didactique » (p. 279). Ce travail a permis de distinguer un total de 46 séquences, dont 22 afférentes à la simulation retenue. Un titre a été donné à chacune d’entre elles, la présentation synoptique de la Figure 4 ci-dessous situe chacune sur la temporalité des trois heures de la simulation.

Figure 4 : Chronologie d’apparition des thèmes lors de la simulation. 
Figure 4: Timeline of themes during the simulation

Figure 4 : Chronologie d’apparition des thèmes lors de la simulation.  Figure 4: Timeline of themes during the simulation

28Lors du second temps, chacune des 22 séquences a fait l’objet, comme l’illustre la Figure 5 ci-après, d’une double autoconfrontation (Rix-Lièvre, 2010) avec le formateur-intervenant (formateur 1 désigné par la suite par l’abréviation « Tog ») et chacun des deux élèves-ingénieurs (désignés par la suite par l’abréviation « Tir » pour l’élève-ingénieur apprenti [Ingé 1] et « Niv » pour le non‑apprenti [Ingé 2]).

Figure 5 : Illustration du traitement en double autoconfrontation. 
Figure 5: Illustration of the double self-confrontation treatment

Figure 5 : Illustration du traitement en double autoconfrontation.  Figure 5: Illustration of the double self-confrontation treatment

29Ces entretiens d’autoconfrontation des acteurs avec les traces de leur activité ont permis de fonder les analyses à partir du point de vue de l’acteur, garantissant ainsi le primat de ce dernier. Ils ont en particulier donné l’occasion de documenter (i) ce qui faisait signe pour eux à l’instant t, et (ii) comment ils lisaient ou pas ce que leurs interlocuteurs cherchaient à faire ou leur faire faire. Le Tableau 1 ci-dessous récapitule les dimensions quantitatives du premier périmètre de corpus ainsi obtenu.

Tableau 1 : Corpus de données retenu. 
Table 1: Selected data set

Tableau 1 : Corpus de données retenu.  Table 1: Selected data set

30Enfin, dans un troisième temps, les verbalisations rétrospectives des acteurs ont été retranscrites in extenso, permettant la constitution d’un tableau à deux volets mettant en regard, pour chacune des 22 séquences, la verbalisation des acteurs y intervenant.

4.2 La qualification des jeux didactiques et la description des sémioses

31Afin de documenter les jeux didactiques et la lecture des sémioses opérées par les apprenants, nous nous sommes appuyés sur le tableau à deux volets et avons suivi un processus en trois phases : (i) visualisation de la situation réelle au sein de la halle technologique pour repérer chaque jeu et leur attribuer un nom, puis (ii) visionnage de l’autoconfrontation du formateur afin de compléter les trois descripteurs (gain, contrat, milieu) de chaque jeu didactique, et enfin (iii) visualisation de l’autoconfrontation de l’apprenant pour identifier ce qui fait signe pour lui dans l’action du formateur, dans celles des autres acteurs ou encore dans l’environnement.

32Ainsi, pour chacun des thèmes fournis par les 22 séquences, un tableau a pu être constitué recensant (i) le type de jeu (d’apprentissage : APP ou épistémiques : EPIS), (ii) les acteurs concernés, (iii) le nom du jeu, (iv) le gain relatif à la capacité épistémique alors visée par le formateur, (v) le contrat, (vi) le milieu et (vii) les statuts et contenus des sémioses réalisées par les apprenants.

33À titre d’illustration, le tableau 2 ci-dessous en présente un résumé pour le thème « contrôle bouteille tête de ligne ». Ici, la colonne « Statut » précise (i) si le gain, le contrat et le milieu sont lus ou non et (ii) si le savoir à mobiliser ou la pratique à mettre en œuvre par l’ingénieur ou encore les éléments de contrat ou alors l’état du milieu font obstacle (codifié « FOB ») ou ressource (codifié « FRE »). Enfin, la colonne « Qui » permet d’identifier quel est l’élève-ingénieur concerné. À noter que des verbatims des acteurs relatifs à leur explicitation de ce qui fait signe dans la situation sont associés à chaque sémiose.

Tableau 2 : Exemple de sémioses afférentes aux différents descripteurs des jeux. 
Table 2: Example of semiosis relating to the different game descriptors

Tableau 2 : Exemple de sémioses afférentes aux différents descripteurs des jeux.  Table 2: Example of semiosis relating to the different game descriptors

34Enfin, parmi l’ensemble des 47 sémioses observées, une sélection a été opérée afin de ne retenir, dans le corpus de données de la présente étude, que celles dans lesquelles une ou plusieurs dimensions d’hybridité du dispositif de formation sont en jeu dans l’action conjointe formateur/apprenant. D’un point de vue quantitatif, ce traitement fournit un corpus de données de 38 sémioses dont le Tableau 3 ci-dessous donne la composition. Notons que 82 % des descripteurs des jeux didactiques sont lus par les apprenants, mais qu’ils font obstacle pour ces derniers dans 58 % des cas.

Tableau 3 : Ventilation du corpus des données composé de 38 sémioses. 
Table 3: Breakdown of data consisting of 38 semiosis

Tableau 3 : Ventilation du corpus des données composé de 38 sémioses.  Table 3: Breakdown of data consisting of 38 semiosis

35Étudions maintenant au travers de nos résultats comment les différentes dimensions d’hybridité du dispositif impactent les sémioses des acteurs.

5. Impacts des dimensions d’hybridité du dispositif sur les sémioses des jeux et la mobilisation des compétences

36Au travers de 13 cas, nous restitutions ci-après les différentes manières avec lesquelles les dimensions d’hybridité du dispositif de formation, d’une part soutiennent ou au contraire inhibent la lecture des dimensions constitutives des jeux didactiques (gain et système contrat-milieu), et d’autre part facilitent ou entravent la mobilisation des compétences attendues et/ou la mise en œuvre des pratiques requises par le formateur de la part des élèves‑ingénieurs.

37Notons que si, pour des raisons de lisibilité, les différents cas sont présentés ci-après par catégorie d’hybridité du dispositif de formation, cela ne signifie pas, bien évidemment, qu’une seule de ces dernières est participante de chaque cas. Précisons par ailleurs que nous avons choisi de dénommer chaque cas du nom du jeu didactique dont il est issu. Pour des raisons de commodité, le formateur est dénommé « Tog », le responsable qualité « Niv », son adjoint « Lar », le responsable production « Tir » et son adjoint « Cha ».

5.1 Les sémioses à l’épreuve de la multiplicité des rôles endossés par le formateur‑intervenant

38Rappelons simplement en introduction que le formateur, lors de la simulation, se positionne tour à tour comme observateur, directeur industriel ou encore co-animateur de la simulation.

5.1.1 « Vous êtes en train de vous moquer de moi ou quoi ? »

39Nous sommes au début de la simulation, les auditeurs viennent d’arriver sur la ligne et débutent leur entretien d’inspection avec le responsable de la qualité et son adjoint. À ce moment précis, le directeur industriel arrive et demande à Lar « Est-ce que je peux te prendre Niv ? ». Alors que l’adjoint répond oui, Niv de son côté rétorque qu’il est occupé parce qu’en entretien avec les auditeurs. Le directeur industriel leur dit alors « vous êtes en train de vous moquer de moi ou quoi ? ». Il s’agit de la toute première interaction entre eux. Le ton est directif et franchement différent de celui habituellement adopté par Tog en tant que formateur.

40Ce faisant, l’intention du formateur est double. Il crée un milieu didactique invitant l’élève-ingénieur à savoir se rendre disponible à tout moment à l’égard de son directeur industriel et de plus, il veut vérifier si Niv est rentré rapidement dans la simulation en adoptant d’entrée de jeu un comportement professionnel. De son côté, l’élève-ingénieur a bien identifié que le mode relationnel adopté ici par Tog n’est pas celui habituel qu’il lui connaît en tant que formateur :

« Là je me dis : aujourd’hui Tog il ne rigole pas. S’il a besoin de quoi que ce soit, s’il te dit de venir, tu viens. Là aujourd’hui Tog il a adapté ce profil psychologique là » (Autoconf Niv − séquence : « raisonnement et traçabilité » – 01:12:06).

41Pour autant, il s’arrête à l’effet de surprise généré par la nature directive du comportement du formateur et n’adopte pas le comportement attendu par le formateur, celui de se libérer immédiatement :

« Un petit peu surpris quand même qu’il ait ce management directif et autoritaire » (Autoconf Niv − séquence : « raisonnement et traçabilité » − 01:01:14).

42Par conséquent, si ici la variable d’hybridité relative au changement de comportement du formateur et le gain du jeu didactique sont bien lus, ils ne déclenchent pas pour autant, de la part de Niv, la mise en œuvre de la pratique attendue.

43Conclure à partir de ce premier cas que le changement de rôle du formateur n’est pas propice à l’adoption de postures professionnelles attendues serait faire fi de l’effet de surprise qui génère un besoin de temps d’adaptation pour l’élève-ingénieur afin de s’acculturer au contexte pédagogique et d’apprendre à lire les signaux émis par le formateur/directeur industriel.

5.1.2 « Si y a eu un problème de forçage… tu crois que c’est possible ou pas ? »

44Alors que la simulation est maintenant bien lancée, le directeur industriel revient auprès de Niv pour vérifier s’il a mis en place une procédure pour faire un contrôle visuel des flacons dans le cas où des corps étrangers se seraient introduits à l’intérieur. Pour ce faire, Tog n’entre pas dans la relation avec Niv sur le ton directif propre au directeur, mais au contraire sur un mode interrogatif plus conforme à celui pratiqué par le formateur lorsqu’il cherche à faire rentrer les apprenants dans des démarches réflexives.

45Dans ce cas on assiste à une intrication subtile des rôles de formateur et de directeur industriel dans la mesure où, sur le fond, l’échange porte bien sur une préoccupation de directeur industriel qui a besoin de s’assurer que les procédures qualité sont en place, alors que sur la forme, la modalité en co-réflexion renvoie plus des signaux indiquant à l’élève-ingénieur que c’est le formateur qui s’entretient avec lui. Ce que confirme Tog de la manière suivante :

« C’était le semi-semi : semi-directeur, semi-pédagogue. C’est des questions qu’un directeur industriel pourrait se poser, mais il ne les posera pas. Mais ce côté : OK je vais faire ma réflexion de responsable industriel. Et on va partager cette réflexion-là et on va faire le cheminement ensemble, dans ton poste de responsable de qualité » (Autoconf Tog – « séquence : « plastique dans flacon possible ? » – 02:56:52).

46Pour autant, dans ce cas de figure, cette attitude ambivalente ne pose pas problème à Niv qui non seulement a bien compris l’intention didactique du formateur :

« Il va voir la qualité, si la qualité est d’accord avec ça et est consciente du problème justement » (Autoconf Niv − séquence : « plastique dans flacon possible ? » – 01:56:16),

mais en plus montre qu’il a fait le nécessaire auprès des opératrices pour mettre en place un contrôle visuel attendu par le directeur industriel :

« Du coup c’est le cas parce que j’avais dit à LAR de voir les opératrices, comme elles étiquetaient qu’à la main, de regarder s’il y avait quelque chose » (Autoconf Niv − séquence : « plastique dans flacon possible ? » – 01:56:10).

47À l’inverse du cas précédent et alors que le changement de rôle se fait dans le déroulement même de l’interaction, nous observons que l’élève-ingénieur non seulement lit le gain épistémique attendu, mais en plus adopte le comportement professionnel requis. Comment alors comprendre qu’ici l’hybridité des rôles n’entrave ni la lecture du jeu didactique ni la mise en place du comportement professionnel attendu ? Deux hypothèses peuvent être ici formulées : la simulation est plus avancée, l’apprenant a par conséquent eu de nombreuses interactions avec le formateur qui lui ont permis de s’entraîner dans la lecture des comportements du formateur/directeur ; en tant que non-apprenti, Niv dispose de moins de connaissances pratiques des processus industriels, aussi se trouve-t-il plus à l’aise avec une modalité d’interaction non directive fondée sur un jeu de questions le guidant petit à petit dans un cheminement logique qui le soutient dans l’élaboration des solutions à mettre en œuvre.

5.1.3 « Et pour que ça sorte de lui, je vais l’aider »

48L’action se situe dans la seconde heure de la simulation. Après plusieurs tentatives non concluantes visant à obtenir des réponses circonstanciées et des comportements professionnels idoines à partir d’une attitude directive (celle du directeur industriel), le formateur tente une autre posture. Il change de casquette et rend explicite à Niv (en disant « on raisonne ensemble ») le fait qu’il se met à réfléchir avec lui, en tant que formateur, sur ce qu’il convient de faire en termes de traçabilité des produits.

49Pratiquement, il enchaîne une série de questions dont la finalité didactique est de faire découvrir à Niv combien il est important de pouvoir tracer l’origine des produits parce que cela permet, entre autres, de réduire le nombre de flacons à rappeler en cas d’échantillons défectueux.

50La réaction de Niv, face à ce milieu didactique facilitant, relève de l’enthousiasme. La manière avec laquelle il exprime sa satisfaction ci-après témoigne combien l’intention du formateur est non seulement lue, mais aussi grandement appréciée :

« En fait sur cette séquence-là, c’est la seule séquence où j’ai un échange justement sur trouver une information ensemble et qu’on oublie la responsabilité. Enfin à ce moment-là, je pense que c’est même le seul moment du scénario où j’ai un échange avec quelqu’un. Que ce n’est pas : on pose une question, on doit donner une réponse » (Autoconf Niv − séquence : « raisonnement en traçabilité ? » – 01:08:04).

51En somme, l’introduction d’un espace de pause réflexive par un changement de rôle explicitement signifié de la part du formateur, alors même que par ailleurs la production bat son plein, conduit l’apprenant à comprendre ce qui lui est demandé, à élaborer par lui-même les pratiques requises et à renforcer son engagement dans la suite de la séance. Est-ce à dire qu’une posture de co-réflexion est toujours favorable pour soutenir la lecture des jeux didactiques et la mobilisation des compétences attendues ? C’est ce que le cas suivant va éclairer.

5.1.4 « Y a un changement ? Comment ça va se passer ? »

52Fort de sa découverte quant aux effets de l’adoption d’une posture de questionnement sur la mobilisation des compétences attendues par les élèves-ingénieurs, Tog récidive un peu plus tard dans la simulation en choisissant cette fois d’adopter, dans son rôle de directeur industriel, une posture de maïeutique. Elle vise, par une série de questions, à obtenir les informations dont il a besoin de la part de Niv : énoncer à la production le nombre de flacons qui seront prélevés sur la ligne pour effectuer les tests de qualité.

53Dans ce jeu entre Tog et Niv, la capacité épistémique attendue est que le responsable qualité doit toujours être en mesure de donner une information réaliste, précise et argumentée à son directeur industriel.

54Or, dans cette situation, contrairement à la précédente, Niv se trouve embarrassé par les questions : il ne parvient pas à donner des réponses, principalement parce que son niveau de connaissance technique relatif à ce dont a besoin un responsable de production est insuffisant :

« Mais à côté de ça j’essaye de lui donner une réponse parce qu’aussi je ne connais pas la production, je ne connais pas les cadences ; je lui dis toutes les 10 minutes, il voit que je ne maîtrise pas le truc, ça ne va pas et le temps que je trouve la réponse ; je dis : OK on en fait un sur quatre » (Autoconf Niv − séquence : « les 20 sont faits quand ? » - 01:37:12).

55En conséquence, nous constatons que si un changement de posture ouvrant à des pauses réflexives peut être favorable à la lecture des jeux didactiques et la résolution de l’état problématique du monde posé par le milieu didactique, des conditions sont nécessaires pour que ce soit le cas. Ici, l’une d’entre elles est mise à jour : le questionnement doit être finalisé, soit par l’élaboration d’un raisonnement qui peut se construire in abstracto, sans connaissance prérequise précise, soit par la vérification que l’apprenant dispose des prérequis en termes de savoirs pour rentrer dans le processus initié par la démarche réflexive.

5.2 Les sémioses à l’épreuve de la variété des profils des apprenants

56Le module « Manprod » mobilise des apprenants qui se distinguent doublement du point de vue de leurs expériences professionnelles. Tout d’abord, parmi les élèves-ingénieurs, comme nous l’avons vu dans la présentation du terrain de cette étude, se trouvent des apprenants en formation initiale sous statut d’étudiants et d’autres en formation par alternance sous statut d’apprentis. Ces élèves-ingénieurs, aux différents statuts, coopèrent sur la ligne de production, avec des opératrices issues des milieux industriels et dotées d’une expérience déjà avérée dans la connaissance de tels univers.

5.2.1 « Adopter une posture de cadre, c’est anticiper les enjeux »

57Avant la simulation se tient un briefing « à froid » au cours duquel les formateurs présentent aux élèves-ingénieurs l’esprit, le scénario et les rôles à tenir lors de la simulation. À cette occasion, les ingénieurs découvrent qu’ils auront à encadrer de vraies opératrices venant de l’industrie agro-alimentaire et habituées à être encadrées sur une ligne de production.

58Pour le formateur, le milieu didactique ainsi créé vise à inciter les étudiants à prendre, dès ce briefing, une posture de cadre qui, face à une action à venir, anticipe, la prépare pour être en mesure de faire face aux exigences et imprévus qui émergeront de la situation.

59Bien que non expérimenté en raison de son statut de non-apprenti, Niv lit d’emblée l’enjeu signifié par le formateur et en déduit immédiatement la nécessité impérieuse d’être performant en manifestant sa compréhension de la capacité épistémique attendue :

« mais c’est vrai que quand Tog nous a balancé toutes ces informations-là, on s’est dit qu’il y avait pas mal d’enjeux derrière ; on s’est dit que si on n’était pas performant lors du scénario, ça risque de flancher un petit peu » (Autoconf Niv − séquence : « l’esprit de la simulation » − 00:19:45).

60Cela n’est pas sans générer une appréhension qui, à ce stade, reste en partie maîtrisée en raison de la présence dans l’équipe d’ingénieurs apprentis aguerris aux milieux industriels :

« Et du coup quand Tog nous dit ça, déjà j’ai un petit peu d’appréhension parce qu’on nous dit qu’on va avoir des personnes à charge, des personnes inconnues… on n’est pas dans le cadre d’un TP à l’école… avec les collègues. Mais j’étais quand même rassuré parce que je me disais parce que j’avais beaucoup d’alternants dans mon groupe justement. Ils avaient quand même de l’expérience, je me suis dit que ça allait bien se passer ; il suffisait que je tombe soit avec Tir, ou Ad, ils m’auraient aidé ou guidé sur certaines choses » (Autoconf Niv − séquence : « l’esprit de la simulation » − 00:14:23).

61Dans ce cas, la pression d’enjeux créée par l’hybridité des profils des interactants reste stimulante pour l’ingénieur non-apprenti, parce qu’elle favorise la prise de conscience de la difficulté de l’exercice à conduire lors de la simulation et aussi parce que le mixte des profils non-apprenti/apprentis rassure Niv sur le fait qu’il pourra bénéficier de l’expérience de ces derniers.

5.2.2 « Vous me posez des questions, parce que je ne répéterai pas ! »

62Le briefing « à froid » se poursuit. Le formateur interpelle les élèves-ingénieurs en les invitant à lui poser des questions, parce que c’est le dernier moment pour le faire. S’enchaîne alors une quantité d’informations transmises par les formateurs. Elles traitent de l’entreprise dans laquelle les ingénieurs vont travailler, de la commande qu’ils auront à exécuter, de la configuration de la ligne de conditionnement qu’ils auront à utiliser, des missions et responsabilités afférentes aux différents rôles (production, qualité, audit et cameramen) qu’ils vont endosser.

63Le milieu didactique ainsi créé semble alors faire difficulté pour Niv. Les documents envoyés en amont de la séance ne suffisent pas à faciliter l’assimilation de la somme d’informations transmises. Au contraire, ils contribuent à accentuer l’impression d’inconfort par Niv et le conduisent à une forme de désengagement marqué par une passivité explicite :

« Je ne sais pas trop, le souci c’est qu’il y a eu tellement d’infos que je me suis dit… le souci c’est qu’il y a eu tellement d’informations et qu’on m’a dit que finalement ça allait, j’ai un peu laissé tomber entre guillemets là-dessus. Je ne savais plus vraiment comment réagir face à tout ça » (Autoconf Niv − séquence : « Étonné, pas de questions » – 00:31:38).

64Alors que l’hybridité des statuts des élèves-ingénieurs semblait faire ressource pour Niv quelques minutes auparavant, il est désormais pris d’un doute et se met alors à se comparer aux apprentis. Ceci le conduit à se dire intérieurement que ces derniers ne sont pas inquiets. Car pour Niv, le fait que les apprentis ne disent rien signifie qu’ils sont à l’aise avec ce que la simulation exige d’eux :

« Je n’étais vraiment pas convaincu que ça allait bien se passer. Peut-être que pour eux c’était un peu plus évident, ils sont sur le monde du travail déjà, mais moi pas vraiment finalement. J’avais encore plus d’appréhension justement » (Autoconf Niv − séquence : « Étonné, pas de questions » – 00:29:07).

65Ici, l’hybridité des profils génère des dynamiques de comparaison entre les acteurs qui ont une incidence sur l’engagement des apprenants dans les activités didactiques proposées.

5.3 Les sémioses à l’épreuve des objectifs antagonismes des acteurs

66La mobilisation conjointe de jeux épistémiques et d’apprentissage au sein d’une simulation de production industrielle génère potentiellement des conflits d’objectifs entre les acteurs pouvant impacter leur engagement au sein des activités didactiques proposées.

« Vous en prélevez combien ? »

67La simulation a débuté depuis une heure, le calage de la ligne est fini, la production est lancée. C’est alors que le formateur, n’obtenant pas de réponses précises et concordantes concernant les quantités qui seront prélevées par la qualité sur la ligne de production, prend l’initiative de rassembler les responsables qualité et production.

68Le milieu didactique prend la forme d’un entretien à trois, un peu en marge de la ligne de production. Sauf qu’au lieu de poser directement la question du nombre à prélever, Tog procède de manière indirecte en demandant à Tir et Niv s’ils se sont entendus sur la question des prélèvements. Ce mode par questions indirectes fait durer l’échange quelques minutes.

69Pour sa part, Tir est agacé. Il a bien identifié la capacité didactique à mettre en œuvre, qui consiste à savoir travailler ensemble et se coordonner avec la qualité, mais il est alors animé par la conviction que ce processus, organisé à ce moment-là, lui fait perdre son temps :

« C’est cette communication pour qu’on travaille ensemble, mais là moi je suis complètement fermé, objectivement, […] ils sont en train de me faire perdre mon temps » (Autoconf Tir − séquence : « prélèvements combien ? » – 00:53:19).

70Bien au-delà d’un mouvement d’humeur, ce qui conduit Tir à ne pas rentrer dans l’activité didactique proposée par le formateur, c’est le fait que son objectif, à cet instant-là, est tout autre. Il est en effet focalisé sur l’obtention rapide de l’information dont il a besoin pour que la production puisse avancer et rien d’autre :

« J’ai le visage fermé, je ne parle pas plus que ça… je suis quelqu’un qui est plutôt bavard, je n’hésite pas à rebondir ou quoi, mais là je ne suis pas du tout dans cet objectif et je me dis si jamais je leur donne ce qu’ils veulent, et bien moi derrière je ne peux pas avancer… » (Autoconf Tir - séquence : « prélèvements combien ? » – 00:55:07).

71Ce cas illustre comment les objectifs poursuivis par le formateur d’une part et par les apprenants d’autre part peuvent être antagonistes à un instant « t », avec comme conséquence le moindre engagement de l’apprenant dans la modalité pédagogique proposée pour, ici, rester centré sur celle de la simulation et de ses exigences de production.

5.4 Les sémioses à l’épreuve des perturbations

72Les perturbations émergeant sur la ligne sont de deux ordres, ce qui leur confère un caractère hybride. Soit elles sont initiées par les formateurs (dérèglement de machines, introduction de corps étrangers dans les flacons, positionnement de lots de barquettes sur la ligne, etc.), soit elles sont imprévues et générées par des dysfonctionnements de machines.

5.4.1 « Faut prendre du recul »

73Nous revenons à la simulation. La production bat son plein. Tout à coup, Tir et Cha s’immobilisent devant la remplisseuse. Ils constatent un phénomène singulier : les flacons se remplissent avec un volume de liquide variable d’un flacon à l’autre, et ce de manière aléatoire.

L’état problématique du milieu proposé par les formateurs est ici clair : initier des perturbations imprévues pour susciter chez les ingénieurs la mise en place des procédures correctives immédiates : arrêt de la chaîne, diagnostic des causes, mise en place des actions correctrices. Cette situation perturbée suscite une telle surprise chez les apprenants qu’elle les fait sortir du jeu de la simulation. La disproportion entre l’incident et les compétences requises pour le traiter est si importante que Tir non seulement ne prend pas en compte la visée didactique, mais en plus se sentant désarmé, se réfugie dans l’humour et ne prend pas au sérieux l’incident sur la ligne : « Vraiment avec Cha on regarde le truc… Oui on regarde. On est spectateur du truc, je pense qu’on est désarmé. Je le prends à la rigolade parce que je me dis : je ne peux rien y faire et là ça sort de mon domaine de compétence. Je me dis vraiment je ne peux rien y faire, je n’ai pas la compétence pour gérer » (Autoconf Tir-séq : « Pbs sur dosages » – 01:11:43).

74Bien que dans ce cas, la perturbation trouve sa source dans une action volontaire des formateurs, son impact est contre-productif tant du point de vue de la lecture du gain didactique visé que de la mise en place des comportements attendus en raison de l’écart trop important existant entre le niveau de compétences requis pour la traiter et celui disponible chez les apprenants.

5.4.2 « Normalement t’es là pour le voir avant moi »

75Le formateur invite le responsable qualité à faire un tour de la ligne en sa compagnie. Il attire son attention sur une barquette posée à un endroit indu. Son intention est de vérifier si à tout moment le responsable qualité est en mesure de justifier et d’expliciter tout dysfonctionnement sur la ligne.

76Niv lit parfaitement l’intention didactique. En revanche, la répétition fréquente de l’incident suscite chez lui le doute sur le fait que l’événement soit généré par la production. Au contraire, il se dit qu’il est volontairement produit par les formateurs sur la base du scénario de la simulation :

« Non c’était vraiment que là parce que, à chaque fois que j’avais fini une tâche, j’essaye de faire un petit tour sur la ligne, pas loin pour regarder et je m’étais occupé des reliquats avant, et tout était OK ; et je fais un tour et il n’y a pas les reliquats à cet endroit-là. Et là il vient me voir et il me dit qu’il y a du reliquat. Je suis passé il y a 10 min, pourquoi c’est là ? Ce sont des reprises de la prod d’avant qu’on n’a pas faite tous ensemble ; et là je me dis que oui ça peut faire partie du scénario » (Autoconf Niv − séquence : « récupérer le reliquat » − 01:31:21).

77On pourrait alors penser que l’apprenant ayant diagnostiqué la source du dysfonctionnement comme exogène à la production ne la prenne pas en compte, à l’instar de Tir précédemment, mais c’est ici le contraire qui se produit. Niv ne sort pas des exigences de l’exercice de production et même sur un événement non crédible de son point de vue, il continue à rester dans le jeu de la simulation en prenant en charge les barquettes égarées.

« Je reste dans le jeu, et je lui dis : je suis désolé, je ne comprends pas ce qu’ils font là. On les enlève tout de suite et on les envoie en production après » (Autoconf Niv − séquence : « récupérer le reliquat » − 01:32:04).

78En somme, ce cas montre que l’absence de crédibilité d’une perturbation ne suffit pas à systématiquement extraire l’apprenant de la simulation.

5.5 Les sémioses à l’épreuve des différentes temporalités du curriculum

79Rappelons que non seulement le module « Manprod » est entrecoupé au titre de l’alternance entre des périodes à l’école et en entreprise, mais il s’insère aussi au milieu de deux autres modules.

5.5.1 « Respecter les consignes données lors des séances antérieures »

80Au début de la simulation, le directeur industriel Tog reçoit les auditeurs dans la salle attenante à la ligne de production. Tir, confronté au problème d’une opératrice ne parlant pas le français, souhaite s’entretenir avec Tog. Comme l’espace est ouvert et afin de manifester sa présence, il frappe sur la table située derrière Tog pour simuler de toquer à la porte du bureau de ce dernier :

« C’est plus dans le jeu. Je m’imagine qu’il est en réunion ; j’imagine qu’il est dans son bureau. J’essaye de jouer le jeu » (Autoconf Tir-séq : « requête Pb opératrice » – 00:33:58).

81Or, le formateur précise que cette pratique est une attente didactique vis-à-vis des étudiants qui a été mise en place lors du module 1 (gestion de projet) :

« Ça, c’est des habitudes qu’on a, c’est une habitude qu’il a prise de notre séance “gestion de projet”. C’est-à-dire que dans la simulation, mon bureau est mon bureau, la table c’est mon bureau. Et il faut toquer pour rentrer. En fait j’ai écrit un règlement intérieur, tiré d’entreprise, avec des petits trucs en italiques qui dit ça OK c’est en entreprise, mais dans la simulation ça veut dire ça. Je transpose, j’ai un règlement intérieur que j’ai tiré d’un vrai règlement intérieur et je transpose dans la simulation. Et où on peut aller au bureau du chef, y a pas de souci, par contre s’il y a quelqu’un dans le bureau, on n’a pas le droit de rentrer sauf si on y a été invité avec ces personnes-là − même si la porte reste ouverte − il faut quand même toquer » (Autoconf Tog-séq : « requête Pb opératrice » – 01:45:37).

82Le fait que Tir adopte ce geste montre non seulement qu’il a bien intégré l’habitude didactique mise en place en amont du module « Manprod », mais aussi qu’il transpose cet acquis d’un module à un autre parce qu’ils sont animés par le même formateur. Si cela accrédite l’intérêt d’une continuité dans le contenu des contrats didactiques mis en place d’un module à un autre, cela pose aussi le défi d’une coordination entre les formateurs pour tenir cette continuité.

5.5.2 « Vous me posez des questions, parce que je ne répéterai pas ! »

83Nous revenons ici sur le briefing « à froid », mais pour une autre dimension d’hybridation relative à l’agencement du calendrier de formation du module « Manprod » qui est entrecoupé de périodes en entreprise pour les apprentis.

84Nous avons vu la surprise du formateur relative à l’absence de question, pensant qu’en conséquence la capacité épistémique attendue d’anticipation n’est alors pas mise en œuvre par les apprenants.

85De son côté, Tir explicite son mutisme par un autre facteur : des préoccupations centrées sur le court terme immédiat constitué d’une période en entreprise :

« Là, je me dis : deux semaines, oui, il y a le temps. […] le boulot arrive avant et ça, ça arrive derrière et dans ma chaîne de logique, […] on prend chaque chose comme ça vient. Et comme je vous l’ai dit, en termes d’importance, la semaine de boulot va être plus importante pour moi ; je l’identifie plus importante que cet exercice-là » (Autoconf Tir-séq : « étonné pas de questions » – 00:15:23).

86Cette séquence illustre deux phénomènes consécutifs de l’hybridité des calendriers de formation. Tout d’abord, elle souligne une disparité de valeur attribuée par l’élève-ingénieur entre les activités en entreprise (jugées plus importantes) et celles en formation (perçues comme moins importantes). Ensuite, elle met en exergue la difficulté pour le formateur de sortir les apprenants d’un fonctionnement séquentiel pour les entraîner à anticiper au-delà des activités immédiates.

5.6 Les sémioses à l’épreuve de la disparité des ressources à prendre en compte pour la production

87Lors de la simulation, les ressources à partir desquelles les élèves-ingénieurs doivent agir sont, pour une part, tangiblement présentes sur site, d’autres ne sont que décrites dans le scénario sans pour autant exister concrètement lors de la simulation.

« Je t’ai vu le remettre là »

88Le scénario de la simulation stipule que les élèves-ingénieurs produisent du gel hydroalcoolique. Ce qui, implicitement, entraîne des pratiques précises relatives à l’état de propreté des flacons à mettre sur ligne.

89À ce moment, Tir est au démarrage de ligne, à l’endroit où les opératrices alimentent la remplisseuse avec les flacons. N’étant pas parvenu à savoir combien de flacons sont disponibles en stock, il est alors préoccupé par le fait de réussir à trouver le nombre suffisant de flacons pour la production et craint d’en manquer. Tog, qui est là en observateur dans son dos, le voit alors prendre sur la ligne un flacon un peu rayé et le remettre sur la ligne. Il l’arrête immédiatement et lui reproche de l’avoir remis sur la ligne.

90Ici, l’intention didactique du formateur est d’inviter l’élève-ingénieur à une cohérence de pratique entre la nature du liquide à produire et les exigences de propreté des flacons destinés au remplissage.

91Pour Tir, à ce moment précis, se joue un conflit entre des exigences de disponibilité versus de propreté des flacons. Et le facteur qui l’emporte est le fait observable (l’inconnu sur le nombre de flacons disponibles) versus celui, virtuel, décrit dans le scénario. Il règle la différence de statut dans les ressources de l’environnement en subordonnant une variable fictive du scénario (celle non tangible dans les faits : le gel hydroalcoolique) à celle présente dans les faits (le manque de stock) :

« Je ne trouvais pas les neufs, le manque de confiance dans l’environnement, fait que… fin, t’as du mal à prendre ta décision. Je vois qu’il est sale, là je ne sais plus dans quelles limites y a le jeu de rôles. Est-ce qu’on est vraiment, faut que ce soit, on s’imagine le gel hydroalcoolique et c’est plus difficile du coup, enfin moi je vois de l’eau finalement. Je me dis on conditionne de l’eau, on s’en fout, voilà on met des bouteilles, on met des bouteilles quoi. Le choix de mettre des bouteilles propres/sales, dans le jeu de rôle on s’en fout l’objectif c’est de mettre des bouteilles sur ligne quoi » (Autoconf Tir-séq : « contrôle bouteille tête de ligne » – 00:38:07).

92Ce cas met en exergue la difficulté pour les apprenants d’avoir à intégrer dans leurs actions non seulement des ressources présentes dans les faits, mais aussi celles qui doivent être considérées comme telles alors même qu’elles ne le sont que dans la description du scénario.

5.7 Les sémioses à l’épreuve de la variété des lieux de formation

« Vous me posez des questions, parce que je ne répéterai pas ? »

93Une dernière fois, revenons sur le briefing « à froid » qui va se terminer. Les formateurs ont fini de transmettre toutes les consignes dont les élèves-ingénieurs ont besoin pour choisir le rôle qu’ils vont endosser lors de la simulation et en conséquence effectuer tous les préparatifs idoines. À ce moment, les formateurs demandent aux apprenants s’ils ont des questions et aucune réponse ne vient.

94Tog est un peu surpris par ce silence, car un autre gain épistémique qu’il attend du milieu didactique associé à ce jeu est que les élèves-ingénieurs rendent compte de leurs capacités à savoir poser des questions pertinentes, orientées vers la prise en compte et le traitement des enjeux posés par la simulation, montrant par là leur engagement et leur responsabilité propres à tout cadre. Ce silence signifie pour lui que les élèves-ingénieurs ne sont pas encore rentrés dans la simulation et n’ont pas adopté les comportements d’anticipation attendus :

« S’il n’y a pas de question, ça veut dire qu’il n’y a pas de stress, qu’il n’y a pas de projection » (Autoconf Tog − séquence : « Étonné pas de questions » – 01:09:35).

95De son côté, Tir donne une autre lecture du jeu. Pour lui, si le groupe ne dit mot c’est aussi parce que tout le monde adopte la posture usuelle en salle de classe, à savoir une certaine forme de passivité, qui de fait est à l’opposé de l’attitude requise par les intentions du formateur portées par le contrat didactique en présence. Il s’exprime ainsi :

« Quand il me dit ça, ça ne percute pas du tout parce que finalement dans la classe, il n’y a pas beaucoup de personnes qui interagissent d’habitude » (Autoconf Tir − séquence : « Étonné pas de questions » – 00:13:55).

96En somme, au travers de ce cas, nous observons combien les lieux sont porteurs de manières de faire et de se comporter, au point d’inhiber, un temps, l’adoption d’une posture ajustée aux enjeux de l’activité en cours et non aux manières usuelles de se comporter en un tel lieu.

6. Quelques conditions propices au soutien des apprentissages en milieux hybrides

6.1 Synthèse des conclusions de l’étude

97Sans prétendre à la généralisation, nous tirons de la présente recherche de premières conclusions circonstanciées, ainsi que quelques pistes de réflexion pour l’action, tant au niveau de la conception que de la mise en œuvre de dispositifs de simulation dédiés à l’apprentissage d’activités de relation à autrui.

6.1.1 Du changement de posture des formateurs

98L’étude des sémioses opérées par l’apprenant lorsqu’il se confronte à un milieu didactique dans lequel les changements de posture du formateur participent de l’hybridité du dispositif met en lumière quatre facteurs à prendre en compte.

99Tout d’abord, retenons qu’un temps d’acclimatation est nécessaire à l’élève-ingénieur pour qu’il apprenne à déchiffrer et comprendre les signaux émis par le formateur ainsi qu’à adopter, en retour, les comportements conformes à la logique immanente signifiée par la pratique du formateur. Pour le dire en un mot à la suite de Sensevy, la capacité à « voir comme » (2011, p. 192) appelle un temps d’acculturation de l’apprenant aux pratiques didactiques du formateur.

100Ensuite, notons que la mise en place de temps de « pauses réflexives », qualifiés aussi de « parenthèses intellectives » (Mayen, 2017), conçues comme des espaces formatifs qui extraient un instant l’apprenant du flux de l’action productive en cours pour le centrer sur une analyse et une relecture de cette dernière, peut constituer une modalité pédagogique soutenant les apprentissages en situation de simulation, dans la mesure où (i) elles offrent un temps de récupération donnant la possibilité à l’apprenant de rompre avec la densité du rythme de l’action productive simulée, (ii) elles ouvrent un « espace d’actions encouragées », c’est-à-dire une transformation de la situation professionnelle cible par l’instauration d’un espace aménagé par le formateur de différentes manières possibles, dans l’objectif de créer les conditions de possibilités pour un « apprentissage/développement promettant des accomplissements futurs plus performants, sûrs, économiques, créatifs, inventifs, efficaces… » (Durand, 2008, p. 108) au sein et au cours même d’une action productive. Mais notons également que l’introduction de telles pauses réflexives, dans le cours même de la situation simulée, amplifie la complexité des sémioses du système contrat-milieu à opérer par l’apprenant. En effet, elle exige de sa part d’identifier rapidement si la configuration proposée par le formateur répond à des exigences de performances immédiates au regard de la production en cours, ou si au contraire, elle correspond à un espace transformé du réel professionnel visé, orienté vers l’acquisition de compétences professionnelles à mobiliser dans le futur.

101Ajoutons encore que la pratique d’un questionnement maïeutique visant à soutenir l’élaboration d’un raisonnement logique dont les conclusions seraient aptes à orienter l’action en cours appelle des conditions de mise en œuvre dont deux ont pu être identifiées dans la présente étude : (i) la lecture par l’apprenant de la finalité productive immédiate ou développementale dans une perspective future et (ii) la possession par l’apprenant d’un niveau de connaissance minimum de l’objet sur lequel porte cette démarche maïeutique. Ce dernier point n’est pas sans souligner le savoir-faire spécifique que cela exige du formateur quant au maniement de la réticence didactique. Car celui-ci est alors pris en tension entre le fait de donner les éléments du savoir à l’apprenant et le fait de le confronter à l’état problématique du milieu qui, si le niveau de connaissance n’est pas suffisant, ne permet pas à l’apprenant de procéder à l’équilibration didactique, c’est-à-dire à la résolution de l’état problématique du milieu avec les éléments du contrat à sa disposition.

102Enfin, soulignons que les changements de posture (de celle de formateur à celle du professionnel) ne facilitent la lecture des jeux et la mise en place des pratiques attendues par les apprenants que dans la mesure où (i) le formateur discerne et ajuste, dans l’action même, le choix de la posture à adopter au plus proche des préoccupations situées de l’apprenant et de la lecture de l’action en cours faite par ce dernier, et (ii) s’il met en place des éléments de contrat signifiant à l’apprenant « qui lui parle » afin que celui-ci soit apte à déchiffrer cette circulation dans les différents rôles endossés par le formateur.

6.1.2 De la variété des expériences et des profils des apprenants

103Les sémioses des cas relatifs à la mixité des expériences des profils des apprenants montrent que la variété des âges, des statuts et des expériences professionnelles peut, tour à tour, faire ressource ou empêchement en fonction des projections (Jung, 1980) et des attributions (Kelley, 1967) implicites effectuées par les apprenants les uns sur les autres. De ce fait, l’hybridité des profils vient alimenter les imaginaires des acteurs et par là même influencer leurs manières d’interagir.

104En conséquence, nous ne saurions que souligner l’intérêt qu’il y aurait à introduire, dans les temps de briefing et débriefing, des modalités d’animation facilitant le passage de l’implicite à l’explicite de ces dynamiques projectives et attributives. À cet égard, l’activité réflexive, même si la « dispersion sémantique des usages » (Couturier, 2013, p. 10) dont elle fait l’objet en rend difficile une formulation synthétique, présente l’avantage de permettre (i) « des prolongements et approfondissements des chaînes interprétatives préalablement engagées sous contrainte temporelle dans l’action » (Poizat, Gaillard, & Durand, 2015, p. 180) et (ii) « des prises de conscience de composantes de l’action n’ayant pas accédé à l’expérience des acteurs dans la pratique (Piaget, 1974) » (Ibid., p. 180). Elle constitue une des modalités possibles facilitant l’explicitation de ce qui est expérimenté implicitement par les acteurs.

6.1.3 Une attention particulière à apporter à la mobilisation de « figures réelles » dans les simulations

105La simulation ici étudiée mobilise la participation d’opératrices professionnelles qui, de plus, ont dans le cas présent à jouer le rôle de subordonnées aux apprenants. Un tel parti pris soulève d’importantes questions d’ordre éthique relatives à des risques d’instrumentalisation des individus à des fins de formation. Attirer l’attention sur ce point vise à alerter les concepteurs de simulation sur la vigilance qu’il nous semble nécessaire d’avoir afin de ne pas transformer de tels dispositifs en milieux non respectueux des personnes, de leur libre arbitre.

106À cette fin, les dispositions précises dans la présente simulation constituent de premiers principes (qu’il conviendrait d’enrichir) visant à garantir une telle intégrité de ce que nous pourrions appeler les « figures réelles » de la simulation. Parmi ces dispositions, rappelons le fait (i) de retenir le principe du volontariat pour recruter ces « figures réelles », (ii) d’impliquer ces acteurs dans la conception du scénario de simulation en arrêtant, en concertation avec elles, les manières avec lesquelles elles se proposent de tenir leurs rôles, (iii) de distinguer les activités et les statuts en précisant auxdites personnes que lors de la simulation, parce qu’elles participent à jouer le scénario, elles ne sont pas en formation, (iv) de préserver un espace de parole entre les apprenants et ces acteurs lors du débriefing, afin de valoriser et rendre explicites leurs apports au dispositif de formation en général et aux apprenants en particulier.

6.1.4 Les antagonismes potentiels émergeant de la concomitance des jeux d’apprentissage et jeux pédagogiques

107De simples malentendus ou plus structurellement l’intrication des jeux d’apprentissage et des jeux épistémiques font apparaître des antagonismes potentiels entre formateurs et apprenants. En effet, plus un éléve-ingénieur va jouer le jeu de la simulation et plus il va poursuivre des objectifs finalisés par les exigences de la production. C’est alors que l’introduction par le formateur d’activités finalisées en vue d’apprendre à faire quelque chose peut venir contrecarrer l’engagement des apprenants dans ces dernières parce qu’elles les distraient de ce qui les mobilise alors : la réalisation des objectifs de production visés dans la simulation.

6.1.5 De la crédibilité des perturbations

108Nous savons par les travaux de Schot et al., (2019) que la question des perturbations dans les apprentissages reste une question complexe. Tout d’abord parce qu’elles ne sont jamais acquises et toujours indirectes au sens où le formateur ne maîtrise pas totalement leur impact sur les apprenants. Ensuite parce que leur manipulation appelle un subtil dosage « afin de provoquer des perturbations d’un degré suffisamment élevé pour perturber l’activité ou la culture de manière significative, mais de manière suffisamment contrôlée pour se prémunir d’effets néfastes » (Ibid., p. 4).

109La présente étude montre que sous certaines conditions, qui restent à approfondir, des apprenants peuvent tirer profit d’une perturbation non crédible à leurs yeux. Ceci rappelle qu’une perturbation relève d’un phénomène de couplage entre un acteur et son environnement et que pour pouvoir juger de sa pertinence pour les apprentissages, la seule prise en compte de sa crédibilité aux yeux de l’apprenant n’est pas suffisante. Il convient d’apprécier également comment l’apprenant se situe à son égard (par exemple s’il décide ou pas de maintenir son engagement dans l’action didactique principale au-delà de celle, ponctuelle, relative à la perturbation).

6.1.6 De la nature et la programmation des séances et modules

110Les différentes temporalités des activités suivies par les apprenants posent la double question de la continuité didactique et de la difficulté de s’abstraire de la pression court‑termiste.

111Sur le premier point, cette étude montre l’intérêt du temps long pour permettre aux apprenants de lire, de comprendre, d’assimiler et de remobiliser les habitudes et attentes didactiques constitutives des contrats didactiques proposés par un même formateur. Ce qui n’est pas sans poser le problème de l’éventuelle disparité de ces contrats entre formateurs, enjoignant par là même le corps enseignant à procéder à l’identification d’un socle commun d’habitudes transversales constituant un ensemble de repères stables aptes à soutenir les apprenants dans la résolution des situations problématiques auxquelles ils sont confrontés dans les différents milieux didactiques constitutifs d’un curriculum.

112Sur le second point, la densité et le caractère haché des agendas des apprenants les exposent au risque d’une gestion séquentielle de leurs activités. Se pose alors la question de comment les entraîner à développer leurs aptitudes à gérer l’enchâssement d’activités différentes ayant chacune leur temporalité propre tout en maintenant ouvertes dans leur esprit des préoccupations associées à des horizons temporels entremêlés. À ce titre, la notion d’organisation intermittente de l’activité (de Bisschop, 2020), selon laquelle l’acteur garde ouvertes conjointement plusieurs préoccupations, sans les conduire à leur terme, et les actualise non pas dans une activité continue, mais discontinue, pourrait être une piste d’objectif d’apprentissage à tester à cette fin.

6.1.7 De la concomitance de ressources présentes factuellement et virtuellement

113Le degré de réalisme d’un scénario de simulation ne se joue pas uniquement dans la conformité des espaces de formation avec ceux de production, mais aussi dans la concomitance de ressources tangibles et virtuelles. En effet, le fait que les apprenants aient à agir en prenant en compte à parité des ressources réellement présentes et d’autres qui ne le sont que virtuellement (parce que décrites dans le scénario) crée une pression mentale qui ne facilite pas l’entrée des apprenants dans le jeu de rôles proposé.

114En somme, la sémiose du milieu en simulation ne consiste pas seulement à lire les signes tangibles de l’environnement, mais aussi ceux virtuellement introduits dans le descriptif du scénario.

115Ce faisant, la présente étude met à jour une double activité de sémiose conduite par les apprenants : celle d’apprendre à savoir « voir comme » le formateur pour parvenir à mettre en œuvre les compétences attendues, et celle de savoir « voir avec » le réel et l’imaginaire, c’est-à-dire de savoir composer avec des variables situationnelles réelles et imaginaires pour agir en environnement simulé.

6.1.8 Du poids des habitudes ancrées dans les lieux

116L’analyse des sémioses relatives à la variété des lieux a mis en exergue la force d’ancrage des milieux qui, par le jeu des habitudes, conditionnent les postures et modalités d’engagement des apprenants dans les activités proposées.

117Ceci invite à porter une attention particulière à (i) la cohérence entre les modes d’interaction attendus et les locaux dans lesquels ces interactions se tiennent, ainsi qu’à (ii) la pertinence du changement de lieux pour générer des couplages majorants pour les apprentissages, c’est-à-dire ceux invitant les apprenants à adopter des pratiques et postures ajustées à celles visées par les acquis d’apprentissages poursuivis par les formateurs.

6.2 Perspectives

118En termes de perspectives, nous aimerions centrer notre attention sur deux points : le premier est d’ordre méthodologique et le second pose la question de la qualification de ce qui fait hybridité dans un dispositif.

6.2.1 La richesse de la double autoconfrontation formateur/apprenants

119Si la prise en compte intrinsèque de l’activité des acteurs est un postulat structurant de la théorie de l’action conjointe en didactique, nous aimerions souligner la richesse offerte par une démarche méthodologique intégrant (i) l’identification des séquences conçues comme des unités narratives restituant une partie de l’histoire du savoir, puis (ii) l’organisation pour chacune d’entre elles d’entretiens d’autoconfrontation offrant aux chercheurs le point de vue intrinsèque croisé des individus interagissant à un instant « t ». Le vécu des acteurs s’offre alors à l’analyse du chercheur non seulement à partir de l’analyse extrinsèque de leurs communications et actions, mais aussi depuis ce que ces derniers montrent, miment, racontent de leur expérience. Une telle approche permet en particulier de soutenir l’analyse du chercheur sur les dimensions non visibles de l’activité des acteurs qui de ce fait peuvent échapper à sa sagacité.

6.2.2 Passer des dispositifs hybrides aux dynamiques d’hybridation des dispositifs de formation

120La présente étude montre que ce qui participe de l’hybridation du dispositif, ce ne sont pas seulement les modalités d’organisation de la formation, les processus d’ingénierie, d’enseignement, d’apprentissage, les choix technopédagogiques, ou encore les effets spécifiques recherchés par le mixage de ressources ou processus variés (Peltier & Séguin, 2021), mais aussi la manière avec laquelle ces différentes dimensions sont mobilisées, incarnées et in fine vécues par les participants au dispositif qu’ils soient formateurs ou apprenants.

121Aussi cette recherche illustre-t-elle, par des données empiriques, le paradoxe inhérent à toute conception, que soulignent Perrin, Borer et Flandin (2022) et qui tient au fait qu’à la fois le concepteur définit des tâches en vue d’une activité souhaitée et à la fois il ne peut complètement ni anticiper, ni prédéterminer l’émergence de cette dernière dans la rencontre singulière entre l’apprenant et le milieu didactique proposé.

122En conséquence, il pourrait être heuristique pour les concepteurs et formateurs de s’intéresser non seulement aux dimensions d’hybridité des dispositifs de formation, mais aussi aux dynamiques d’hybridation de ces dernières : celles qui émergent du triple couplage de l’auteur avec lui-même, entre lui et autrui et entre lui et son environnement. Pour cela, il s’agirait d’adopter une « approche processuelle » de l’hybridité à l’instar de celle proposée par Lorino (2019, p. 285) pour le monde social.

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Notes

1 Au sens de produire des signes lus ou pas par les uns et les autres.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Agencement des modules.  Figure 1: Training layout
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Titre Figure 2 : Implantations physiques des briefings et débriefings.  Figure 2: Physical locations of briefings and debriefings
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Titre Figure 3 : Vue d’ensemble des six zones composant la ligne de production.  Figure 3: Overview of production line areas
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Titre Figure 4 : Chronologie d’apparition des thèmes lors de la simulation.  Figure 4: Timeline of themes during the simulation
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Titre Figure 5 : Illustration du traitement en double autoconfrontation.  Figure 5: Illustration of the double self-confrontation treatment
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Titre Tableau 1 : Corpus de données retenu.  Table 1: Selected data set
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Titre Tableau 2 : Exemple de sémioses afférentes aux différents descripteurs des jeux.  Table 2: Example of semiosis relating to the different game descriptors
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Titre Tableau 3 : Ventilation du corpus des données composé de 38 sémioses.  Table 3: Breakdown of data consisting of 38 semiosis
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Pour citer cet article

Référence électronique

Hervé de Bisschop, Anaïs Loizon et Marie David, « Les sémioses à l’épreuve de l’hybridité dans le cadre d’une formation d’ingénieurs à l’activité managériale, simulée en halle technologique »Activités [En ligne], 21-2 | 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/9942 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12huj

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Hervé de Bisschop

EA 7521 – FoAP « Formation et Apprentissages Professionnels » – 26 boulevard docteur Petitjean – BP87999 – 21079 Dijon Cedex
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Anaïs Loizon

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Marie David

EA 7521 – FoAP « Formation et Apprentissages Professionnels » – 26 boulevard docteur Petitjean – BP87999 – 21079 Dijon Cedex
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