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Dossier : L'autonomie au prisme de l'activité

Enjeux d’autonomie pour la transmission des savoirs et savoir‑faire des travailleurs expérimentés de l’industrie manufacturière

Issues of autonomy for transmission of know-how of experienced workers in the manufacturing industry
Cláudia Pereira, Catherine Delgoulet et Marta Santos

Résumés

Cet article a pour objectif de montrer comment l’autonomie pour la transmission des savoirs des travailleurs expérimentés se caractérise compte tenu des conditions d’organisation et de réalisation du travail. L’étude, réalisée dans une entreprise de lithographie industrielle organisée selon un modèle de type lean, se base sur 14 demi-journées d’observation de l’activité, 6 entretiens semi-structurés avec les lithographes imprimeurs et des temps de restitution des travaux auprès l’encadrement (équipe de ressources humaines et le responsable de la production) et des travailleurs. Les résultats mettent au jour deux grands types de situations où l’autonomie pour la transmission est soit « empêchée », soit « conditionnelle ». Ces types de situations sont sous-tendues par un dilemme dans l’activité des expérimentés (entre transmission ou production) dont l’issue tend à privilégier la production. Par défaut, ce choix est soutenu par l’encadrement qui méconnait les exigences du travail des lithographes et fait peser sur leurs épaules la responsabilité de la transmission.
L’étude montre les enjeux sous-jacents à l’autonomie pour la transmission des savoirs professionnels et pointe la nécessité pour l’encadrement de penser la transmission en considérant les conditions dans lesquelles l’autonomie peut s’exercer.

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Texte intégral

Remerciements
Les autrices voudraient remercier les opérateurs et l’encadrement (responsable de la production et équipe de Ressources Humaines) qui ont participé à cette étude. Elles remercient également la Fondation pour la science et la technologie (FCT) pour la bourse de thèse de Cláudia Pereira (PD/BD/143112/2018).

Une valorisation continue de la production qui questionne l’autonomie pour la transmission

1La transmission des savoirs et des savoir-faire, en tant que processus cognitif, social et organisationnel, a été étudiée du point de vue de ses caractéristiques, de ses contraintes et de ses potentialités pour les situations de travail et les travailleurs (e.g. Billet, 2001 ; Cloutier, Fournier, Ledoux, Gagnon, Beauvais, & Vincent-Gonod, 2012 ; Delgoulet, 2012 ; Thébault, Delgoulet, Fournier, Gaudart, & Jolivet, 2014 ; Tynjälä, 2008). Elle est également reconnue par les instances nationales ou européennes comme fondamentale pour la promotion de nouvelles compétences au travail, et comme stratégique pour assurer la performance des systèmes de production (e.g. European Union, 2011 ; Organisation internationale du Travail, 2020).

2Toutefois, la littérature scientifique est encore lacunaire du point de vue, notamment, des options et des choix que peuvent faire (ou pas) les travailleurs pour transmettre leurs savoirs et savoir-faire en situation ; c’est-à-dire, du point de vue d’une autonomie donnée aux travailleurs, ou construite par eux, pour définir comment, quand et quoi transmettre. Ainsi, l’intensification du travail dans les pays industrialisés (Askenazy, 2005 ; Bué, Coutrot, Hamon-Cholet, & Vinck, 2007 ; Volkoff & Delgoulet, 2019) et ses conséquences en termes d’absence de reconnaissance du travail et des savoirs ou savoir-faire, de rythme et surcharge de travail, ou de manque de soutien des collègues ou de la hiérarchie, conditionne non seulement les possibilités de faire des choix pour accomplir le travail, mais également pour transmettre (e.g. Cloutier et al., 2012). Les systèmes de production fortement axés sur des méthodes d’optimisation centrées sur la productivité et qualité, comme on peut les observer dans les modèles organisationnels de type lean (Bourgeois, 2012 ; Ughetto, 2018), pour produire dans les plus brefs délais, sans gaspillage (Doolen & Hacker, 2005) et avec une charge de travail élevée (Valeyre, 2006), questionnent l’autonomie au travail des personnes pour faire des choix, prendre des décisions, gérer des problèmes quotidiens et atteindre les objectifs fixés (Bertrand & Stimec, 2011 ; de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996).

3Ces premiers éléments relatifs aux conséquences des pratiques lean sur l’autonomie pour travailler, d’une part, et sur les contraintes induites pour la transmission d’autre part, amènent à interroger l’idée de l’autonomie pour la transmission, au regard de l’autonomie pour travailler. Cette relation entre autonomie et transmission est la clé de voûte dans cet article : la proposition étant d’avancer dans la compréhension de la notion d’autonomie pour la transmission en questionnant les possibilités offertes ou construites par les personnes de faire des choix et de prendre des décisions sur le moment, le contenu et la manière dont elles veulent transmettre, compte tenu des caractéristiques du système productif dans lequel elles opèrent.

4Dans cette perspective, le travail de recherche est guidé par les contributions des approches du travail humain axées sur l’activité (Daniellou & Rabardel, 2005), dans la mesure où c’est en analysant l’activité d’un ensemble de travailleurs, et ce qui la caractérise (par exemple, son orientation vers un ou plusieurs buts, sa singularité), que nous étayons la relation entre ces deux dimensions du travail (autonomie et transmission) rassemblées sous la notion d’« autonomie pour la transmission ».

5Le travail empirique qui sous-tend les analyses et interprétations a été réalisé dans une entreprise de fabrication et de décoration d’emballages métalliques au Portugal dont le service de Ressources Humaines (RH) souhaitait engager une réflexion sur les questions relatives à la transmission de savoir et savoir-faire. Il cherche à montrer comment se caractérise cette autonomie pour la transmission des ouvriers d’une ligne de production de lithographies décoratives, en considérant les formes effectives de transmission dans l’activité étudiée. L’article propose pour cela de privilégier le point de vue et l’activité des travailleurs expérimentés, sans oublier le rôle de ceux qui ont pour mission de gérer l’organisation du travail – les encadrants et les départements de soutien, notamment les équipes de Ressources Humaines. Bien que le point de vue de celui qui apprend, des novices, soit également pertinent pour comprendre la transmission, les données recueillies se concentrent sur les acteurs susmentionnés afin de répondre aux préoccupations de l’équipe de ressources humaines de l’entreprise concernant le rôle que les travailleurs plus expérimentés jouent dans la transmission. Ainsi, l’approche défendue, originale par rapport aux travaux déjà existants dans la littérature, articulera, chaque fois que possible, les analyses dans une relation entre les expérimentés et l’encadrement (équipe RH et responsable de la production).

6L’article s’organise autour de quatre grandes parties. 1) Nous présentons le cadre théorique croisant les contributions qui ont étayé notre compréhension de la notion d’autonomie au travail et notre position sur la transmission des savoirs et savoir-faire. Les questions d’autonomie et de transmission étant étudiées séparément dans la littérature, les relations possibles entre celles-ci et le défi scientifique de leur articulation sont analysés pour soutenir notre proposition de compréhension de « l’autonomie pour la transmission ». 2) La méthodologie d’investigation de ces relations est ensuite détaillée, en s’appuyant sur une analyse qualitative de l’activité de lithographes expérimentés et des pratiques managériales en matière de transmission. 3) Les résultats présentent les liens entre les conditions d’organisation et de réalisation du travail des lithographes imprimeurs et les types de situations d’autonomie pour la transmission identifiées dans l’analyse, du point de vue des ouvriers et de l’encadrement. 4) La discussion/conclusion revient sur les conséquences des pratiques de gestion de la production sur les types de situations d’autonomie pour la transmission repérés et sur le rôle de l’encadrement dans la création de conditions d’une autonomie pour la transmission, ressource pour les travailleurs.

1. Quels rapports entre autonomie, travail et transmission ?

1.1. Autonomie et travail

7Le concept d’autonomie est l’un des concepts « classiques », notamment dans les sciences sociales, décrit selon différents niveaux de compréhension et approches théoriques. Dans le domaine de la psychologie, l’autonomie est considérée comme une nécessité psychologique qui favorise le développement des personnes et leur permet de faire des choix et de gérer leur vie en ayant conscience d’elles-mêmes et pas nécessairement en raison de pressions extérieures ; cette capacité ayant un impact positif sur la santé et le bien-être (Deci & Ryan, 2002). Dans ce cadre, elle est un élément essentiellement centré sur l’individu et dépendant de lui (Deci & Ryan, 2002 ; Keller, 2016). Elle peut aussi être considérée comme une ressource qui permet aux personnes d’assumer leurs valeurs, leurs comportements et leurs préférences, soutient leur exploration des milieux, et enfin, favorise la considération de leurs opinions ou idées en cas de prise de décisions et de problèmes à résoudre (Baard, 2002).

8Dans la littérature circonscrite au travail (psychologie du travail, ergonomie, sociologie), l’essence du concept demeure, mais d’autres dimensions apparaissent, au-delà de la personne elle-même et par la proximité avec l’activité. C’est par exemple le cas des dimensions relatives à la relation avec le système productif, les prescriptions, des relations de subordination ou de dépendance, et des relations dans un collectif. Ces éléments révèlent l’existence de nuances dans la compréhension du concept d’autonomie et de concepts connexes qui doivent être clarifiés. L’autonomie au travail est la capacité de produire et de choisir ses propres règles et processus d’action ou de maîtriser et d’influencer les règles prescrites au travail (e.g. les règles d’un système de production ; de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996). Bien que la définition semble relativement simple et facile à comprendre, l’autonomie au travail apparaît comme controversée, voire paradoxale, et source d’ambiguïté (Perrenoud, 2000 ; de Terssac, 2012).

9Il est considéré que toute personne qui travaille, se soumettant ainsi à des relations de subordination et de dépendance formelle, dans des contextes contrôlés et structurés par des règles, renonce tacitement ou implicitement à une partie de sa liberté et de son autonomie (Perrenoud, 2000 ; de Terssac, 2012). Dans ce contexte, il est possible qu’en contexte il y ait des situations d’autonomie contrôlée ou organisée (avec l’incorporation de limites et de lignes directrices, jusqu’à un certain degré de dépendance), de « fausse autonomie », d’« ambiguïté de l’autonomie », ou d’impossibilité d’exercer son travail en autonomie dans sa totalité (de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996). Ainsi, l’autonomie ne relève pas de la seule volonté individuelle (Perrenoud, 2002).

10Du point de vue des décideurs des entreprises, l’autonomie est considérée comme une condition première de la performance organisationnelle (de Terssac & Dubois, 1992). Ceci est posé en admettant qu’il existe des choix dans les manières de penser, de débattre et d’agir en situation que l’entreprise ne contrôle pas entièrement, mais qui découlent des régulations construites in situ par chaque travailleur ou dans un collectif à travers une capacité à modifier les normes de travail et à concevoir des marges de manœuvre pour travailler (De La Garza, Maggi, & Weill-Fassina, 1998 ; Maggi & Masino, 1999 ; de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996 ; Ughetto, 2018). Cependant, ce qui est observé en situation relève souvent d’une tension entre autonomie et contrôle où ce dernier l’emporte fréquemment (Ughetto, 2018). Cette tension entre autonomie et contrôle renvoie à des questions de « responsabilité », au sens où les travailleurs transforment le monde et se transforment eux-mêmes dans et par leur activité (Clot, 2019). Quelle que soit la forme que prend l’autonomie, dans un contexte d’optimisation de la productivité, de pressions et de contrôle, les travailleurs sont tenus pour responsables de l’atteinte (ou non) des objectifs fixés (Osty & Dahan-Seltzer, 2006). Cette responsabilité est essentielle pour pouvoir s’inscrire dans l’exercice de son travail et y trouver un sens, même si elle peut être partagée dans des situations où l’action est limitée ou hors de portée (Osty & Dahan-Seltzer, 2006). Ces déclinaisons du concept d’autonomie convergent vers des dimensions qui caractérisent des concepts « voisins » : « discrétion », « pouvoir d’agir » et « marges de manœuvre ». Afin d’éviter toute ambiguïté de l’approche du concept d’autonomie, nous présentons brièvement ces concepts « voisins » issus de la littérature proche de notre cadre théorique de référence et leurs relations.

11La « discrétion » se définit, dans ses liens à l’autonomie, comme l’action d’un opérateur dans un processus réglé pour lequel il est obligé de décider et de choisir dans un cadre de dépendance (Maggi, 2003). Elle peut faire partie de l’autonomie : c’est-à-dire que l’autonomie peut inclure des situations de discrétion. Ce concept permet de mieux différencier la « vraie » de la « fausse » autonomie (de Terssac & Maggi, 1996) : s’il existe un caractère de dépendance d’une personne envers un système, une machine ou une autre personne, il peut s’agir d’une « fausse autonomie ». Le travailleur n’a alors qu’une liberté relative, en disposant d’espaces d’action dans un processus réglé pour choisir une action alternative (Maggi, 2003 ; Maggi & Masino, 1999). Dans ce cadre, les tâches discrétionnaires, c’est-à-dire des tâches pour lesquelles les travailleurs sont obligés de prendre l’initiative (e.g. dans une tâche imprévue, le travailleur doit agir, au risque d’agir avec précipitation ; De la Garza et al., 1998) relève d’une autonomie contrainte.

12La relation de l’autonomie avec le « pouvoir d’agir » se concentre sur les dimensions de sens et d’efficience qu’implique la notion de « pouvoir » (intégrée dans l’autonomie), en se référant à l’activité individuelle et collective (Clot, 2008). Le pouvoir d’agir intègre un lien à « ce qui compte vraiment » pour la personne dans la réalisation des objectifs (le sens) et la découverte de nouveaux objectifs (l’efficience). Cette alternance fonctionnelle, qui se découvre dans l’activité, avec les autres, et en fonction des contraintes et des dilemmes, augmente ou diminue dans l’action, engageant une responsabilité et désignant les possibilités de changer ou de transférer des instruments, de retoucher l’objet, de renouveler les motifs de l’activité (Clot, 2008 ; Clot & Simonet, 2015). Dans cette perspective, le développement du pouvoir d’agir favorise le développement des marges de manœuvre (Coutarel, Caroly, Vézina, & Daniellou, 2015).

13Enfin, les marges de manœuvre correspondent aux espaces d’initiative et de tolérance dont dispose un travailleur pour assurer la régulation du fonctionnement d’un système (De La Garza et al., 1998) en tenant compte des exigences de la production et en préservant sa santé (Durand, Vézina, Baril, Loisel, Richard, & Ngomo, 2008). L’élaboration de ces marges de manœuvre nécessite des moyens dès la conception du travail pour ne pas laisser la responsabilité aux travailleurs sans leur donner les moyens de l’exercer, et surtout, leur imputer la responsabilité des conséquences néfastes de leur activité qui potentiellement surviendraient (De La Garza et al., 1998). Certaines études montrent toutefois que la préexistence de ces espaces d’initiative et de tolérance ne suffit pas à l’élaboration effective de marges de manœuvre dans l’activité puisque, dans certains cas, ces espaces sont « sous-utilisés » par les travailleurs (Morvan, Delecroix, & Quillerou, 2015 ; Vézina, Durand, Richard, & Calvet, 2016). On sait aussi que les marges de manœuvre sous-tendent le développement de stratégies de régulation de l’activité pour faire face à la variabilité du travail (Coutarel & Petit, 2013). Ainsi, elles deviennent des ressources pour le développement du pouvoir d’agir et, en retour, celui-ci est une ressource pour l’élaboration et de développement des marges de manœuvre (Clot & Simonet, 2015).

14La relation de l’autonomie à ces concepts « voisins » peut alors être appréhendée de manière intégrative : les marges de manœuvre sous-tendent le pouvoir d’agir et la discrétion, qui peuvent à leur tour être partie intégrante de l’autonomie. Les principaux éléments qui caractérisent ces notions (e.g. la responsabilité, la possibilité de choisir des alternatives même dans le cadre de relations de dépendance relatives) sont des dimensions qui semblent à considérer dans la réflexion sur la relation entre autonomie et transmission. Mais avant d’étudier cette relation, il importe également de définir le second terme de la relation en revenant sur la littérature détaillant les principales caractéristiques et conditions de la transmission des savoirs et savoir-faire au travail.

1.2. La transmission des savoirs et du savoir‑faire au travail

15En référence aux travaux de la psychologie du travail et de l’ergonomie (e.g. Cloutier et al., 2012 ; Diallo & Clot, 2003 ; Thébault et al., 2014), la transmission peut être entendue comme un processus dynamique, bidirectionnel et évolutif. Elle implique une appréhension et une analyse diachronique de l’activité, des parcours professionnels dans une perspective de construction des compétences, de l’expérience et de la santé (Delgoulet & Vidal-Gomel, 2013 ; Hélardot, Gaudart, & Volkoff, 2019 ; Molinié, Gaudart, & Pueyo, 2012 ; Reboul, Delgoulet, Gaudart, & Sutter, 2020). Ces travaux ont permis de « mettre à distance des idées reçues » (Thébault, 2016) en soulignant la complexité du processus de transmission et la diversité des situations et des personnes qu’il implique. La transmission peut se construire dans une dynamique de relation en binôme (novice-expérimenté), ou au sein de collectifs de travail, de préférence stables, en fonction des possibilités effectives des travailleurs face aux contraintes et exigences du travail quotidien (e.g. Cloutier et al, 2012 ; Thébault, 2018).

16Dans ce cadre, la transmission est présente sous diverses formes, de manière plus ou moins formelle. De manière informelle, au quotidien, elle peut se manifester par des explications ou des démonstrations du travail à réaliser (guidage direct), l’expérimentation de tâches avec un degré plus ou moins élevé de verbalisation associée (faire, refaire, reproduire, imiter), ou l’écoute et l’observation du travail des autres (guidage indirect ; e.g. Billet, 2001, 2011 ; Pastré, 1999 ; Thébault, 2018). D’un point de vue plus formel, la transmission prend place dans des dispositifs de formation par tutorat, qui impliquent nécessairement l’accompagnement d’un novice par un plus ancien et expérimenté doté de fonctions d’accueil, d’intégration et de guidage dans l’apprentissage des nouveaux travailleurs (Olry, 2016 ; Wittorski, 1996). Quelle que soit la manière, la transmission permet le développement des compétences à condition que les régulations de l’activité de travail, dans ses dimensions productive et constructive (Rabardel & Samurçay, 2001), soient possibles. Ces régulations influent alors sur la manière dont l’apprentissage et l’appropriation des savoirs et savoir-faire se produisent en situation de travail (e.g. Cloutier et al., 2012 ; Faverge, 1966 ; Gaudart & Weill-Fassina, 1999 ; Santos & Lacomblez, 2007 ; Teiger & Lacomblez, 2013 ; Tourmen, Leroux, & Beney, 2012).

17Les travaux relevant des workplace learning (Tynjälä, 2008) soulignent également le rôle du milieu de travail, et notamment des affordances qu’il peut fournir, pour la construction d’interactions formatives et la qualité de l’apprentissage (Billet, 2001 ; Mornata & Bourgeois, 2012). C’est aussi ce dont rend compte la didactique professionnelle lorsque Mayen (1999) propose la notion de « situations potentielles de développement » dont les conditions particulières de travail permettent d’« engager puis étayer le processus de développement des compétences d’un individu ou d’un groupe d’individus » (p. 66). En considérant qu’activité et apprentissage sont indissociables, les travaux en didactique professionnelle (Pastré, Mayen, & Vergnaud, 2006) soulignent que l’apprentissage est fréquemment incidentel, lorsque l’activité constructive n’est pas consciente et devient une conséquence involontaire de l’activité productive. À l’inverse, l’apprentissage peut aussi être intentionnel, se dérouler alors à un rythme plus soutenu, lorsque l’activité productive, sans disparaitre, devient le moyen de réalisation de l’activité constructive. Ainsi, la transmission a besoin d’espaces et de temps pour exister au côté de l’activité productive afin que le moment, la manière et le contenu de ce processus puissent être pensés et que l’apprentissage puisse porter ses fruits.

18Ces différentes contributions montrent la complexité d’un tel processus, notamment en raison de la relation étroite entre transmission et conditions d’organisation et de réalisation du travail, et par conséquent ses contraintes et ressources. Parmi les contraintes associées avant tout à l’intensification du travail, retenons : i) les exigences de la production et les conditions d’organisation du travail qui tendent à limiter la combinaison des dimensions productive et constructive de l’activité, au détriment de cette dernière (e.g. Daniellou & Rabardel, 2005 ; Rabardel & Samurçay, 2001 ; Rémery & Markaki, 2016) ; ii) la limitation du temps consacré à l’apprentissage et à la transmission (e.g. Delgoulet, 2012) ; iii) l’hyper-sollicitation des plus expérimentés, contraints d’effectuer des tâches plus complexes ou à risques, ce qui peut limiter la possibilité de transmission ; et à l’inverse la déception des novices de la manière dont l’apprentissage est conduit, limitant la construction d’une expérience sur le travail, dans ses dimensions d’efficience pour la santé, la sécurité et la performance (e.g. Gaudart, Delgoulet, & Chassaing, 2008) ; iv) la conception des dispositifs formels de transmission qui négligent celles et ceux qui travaillent depuis des années et vieillissent (e.g. Cau-Bareille, Jolivet, Thébault, & Delgoulet, 2022).

19En contre point, les ressources potentielles relèvent ici : i) de la proximité de la situation de travail, lieu la transmission, avec les savoirs et savoir-faire déjà construits, cette proximité offrant de la nouveauté tout en ménageant une zone de développement possible (Billet, 2011 ; Rogalski, Plat, & Antonin-Glenn, 2002) ; ii) de l’organisation du travail et, notamment l’existence de temps dédiés au briefing et à la préparation des tâches, au débriefing et retour d’expérience, d’espaces de débat sur le travail, qui permettent de faire un pas de côté pour soi et pour les autres en tirant potentiellement des enseignements des expériences passées ou des projets à venir (Delgoulet & Vidal-Gomel, 2013 ; Mollo & Nascimento, 2013) ; iii) des marges de manœuvre que les personnes parviennent à construire dans leur activité en fonction des exigences des tâches et des conditions de réalisation (Weill‑Fassina, 2012).

20Même si les contraintes et les ressources identifiées peuvent laisser entrevoir des enjeux relatifs à la question de l’autonomie pour la transmission, on constate que la littérature sur la transmission fait jusque-là peu de liens avec les questions d’autonomie (et vice versa). C’est à cette absence que le paragraphe suivant tente de répondre.

1.3. L’articulation de l’autonomie et de la transmission : un défi scientifique

21À notre connaissance, aucune étude ne traite de manière explicite et conjointe d’autonomie et de transmission au travail. Toutefois, la complexité du processus de transmission, la diversité des situations et formats qu’il peut prendre, la responsabilité qui pèse sur les personnes qui apprennent ou endossent la fonction de tuteur (souvent renvoyées dos à dos en cas d’échec de la transmission ; Gaudart et al. 2008), sont autant de signaux d’un lien potentiel à l’autonomie qui mérite d’être exploré. Il s’agit ainsi de considérer la notion d’« autonomie pour la transmission » en faisant l’hypothèse qu’elle se distingue de l’autonomie au travail ou pour travailler ; hypothèse formulée à partir de quatre points d’attention particuliers.

22Le premier point s’appuie sur les contributions qui soutiennent que l’autonomie est essentielle à l’action humaine (contribuant, par exemple, au développement, à la satisfaction des travailleurs et à la préservation de leur santé) et porte précisément sur les possibilités de choix et d’actions des personnes dans un contexte, une situation donnée et par rapport à un objectif visé (e.g. Baard, 2002 ; Deci & Ryan, 2002). Rapporté à la transmission, ce caractère « essentiel » de l’autonomie reste valable, en particulier si l’on considère que les personnes ont à faire des choix et à décider de ce qu’il faut transmettre, comment le faire et quand (d’autant plus en situation de transmission informelle).

23Le deuxième point d’attention se base sur les contributions qui soulignent que cette autonomie au travail, jugée a priori bénéfique pour les personnes et les organisations, est généralement centrée sur la réalisation du travail et des objectifs, notamment de production ou de sécurité (e.g. de Terssac & Dubois, 1992 ; de Terssac & Maggi, 1996). Les travailleurs gèrent ainsi leurs choix et les options prises en fonction de ce qui est possible et nécessaire de faire, compte tenu des exigences des tâches de production, des contraintes associées au domaine de l’activité productive, en laissant de côté la dimension constructive de l’activité dont fait partie la transmission. Cette autonomie « conditionnelle » est d’autant plus fortement cadrée par les modèles organisationnels basés sur la participation (de type lean) que ceux-ci non seulement fixent les standards opératoires, mais aussi les attentes en termes d’engagement dans le travail par des formes codifiées de participation (e.g. chantiers Kaizen, bonnes pratiques, etc.).

24Le troisième point renvoie à l’effet potentiellement « en cascade », d’une autonomie au travail conditionnée sur l’autonomie des travailleurs dans la transmission. Cette dernière risque d’être inexistante ou fortement conditionnée, a fortiori lorsque la priorité reste la production sans que la transmission ne soit intégrée dans l’organisation du travail. Certains travaux (Delgoulet, 2012 ; Thébault, 2018) étayent cette idée en montrant la relégation en arrière-plan de la transmission face aux exigences de la production, obligeant des reconfigurations, voire abandons, de formes de transmission.

25Le quatrième et dernier point d’attention tente, sous forme d’interrogation, de mettre en relation les trois points précédents avec l’apprentissage, visée sous-jacente à la transmission. Si l’autonomie au travail est liée à la manière d’organiser la production où peuvent se loger les formes d’apprentissage incidentel ou intentionnel dans ce paysage (Pastré et al., 2006) ? Comment envisager une autonomie pour la transmission qui permette un plus grand investissement dans la dimension constructive de l’activité, la construction d’affordances du milieu de travail et d’opportunités de guidage par les travailleurs (Billet, 2001) ; avec quelle implication de l’encadrement ? La littérature du domaine ne formule pas de réponse pour l’instant, mais souligne que la gestion souvent informelle de la transmission, par les travailleurs eux-mêmes sans volonté portée explicitement par l’encadrement, met en tension transmission et autonomie (Delgoulet, 2012 ; Thébault et al., 2014).

26Ces points d’attention invitent à étudier « l’autonomie pour la transmission » considérée, à ce stade, comme l’ensemble des possibilités pour les travailleurs de faire des choix, de prendre des décisions, dans leur travail au quotidien, sur le moment, quant aux savoirs et savoir-faire qu’ils souhaitent transmettre de manière informelle (e.g. par le biais d’une explication, d’une démonstration ou en donnant à l’autre l’occasion d’effectuer certaines tâches), compte tenu des caractéristiques du système productif dans lequel ils opèrent. Dans ce cadre, ces « possibilités » relèvent de ce qui peut éventuellement arriver, et qui se construit dans l’activité compte tenu des conditions d’organisation du travail (e.g. la division des tâches, l’organisation temporelle de la journée de travail, ou le travail en équipe). Cette « autonomie pour la transmission » est ainsi proche du champ de l’activité constructive, mais dans son rapport à l’activité productive dans laquelle l’autonomie au travail est représentée.

27Ainsi, l’objectif de cette recherche consiste à comprendre comment l’autonomie pour la transmission des savoirs et savoir-faire des travailleurs expérimentés se caractérise, en tenant compte des conditions d’organisation et de réalisation du travail. Dans le contexte spécifique de l’entreprise de fabrication d’emballages métalliques, cet objectif se décline en trois questions : comment se déroulent les moments de transmission sur les lignes de production de lithographie ? quel(s) type(s) de situation(s) d’autonomie pour la transmission peut-on caractériser ? quel(s) rôle(s) l’équipe des Ressources Humaines de l’entreprise et le responsable de production ont sur l’autonomie des lithographes-imprimeurs censés transmettre leurs savoirs et savoir-faire ?

2. Étudier la transmission sur les lignes de décoration d’emballages métalliques

2.1. Contexte de l’étude

28L’étude a été réalisée dans une entreprise de la région nord-est du Portugal, implantée depuis plus de 50 ans, qui travaille en local et à l’international. Les équipes de production sont composées principalement d’hommes, travaillant en horaires décalés. Un des départements de l’entreprise est dédié à la production d’emballages métalliques, décoration comprise.

29Des collaborations antérieures avec l’équipe de ressources humaines de l’entreprise (e.g. sur le rôle des cadres intermédiaires dans la gestion d’équipes) et ses préoccupations autour des questions de transmission des savoirs ont conduit à définir les nouveaux termes de cette étude. Les principales préoccupations de l’équipe RH sont liées au vieillissement des travailleurs dans les zones opérationnelles et à l’importance qu’elle accorde aux processus de transmission pour la continuité des activités de l’entreprise ; notamment par la préservation et la transmission des savoirs des travailleurs en poste. L’équipe RH souhaitait ainsi comprendre comment la transmission se fait entre les travailleurs et quelles sont les difficultés rencontrées afin de pouvoir définir des stratégies de gestion des RH susceptibles de répondre à de telles préoccupations.

30En raison de la criticité d’un des secteurs pour la performance économique de l’entreprise, l’étude a été réalisée sur les deux lignes de production de la zone de décoration par lithographie des emballages métalliques. Dans cette zone, les emballages sont produits en fonction des commandes des clients, selon les normes de qualité de couleurs et de gravure demandées, en suivant un plan de travail formulé par le département des méthodes. Sur ces deux lignes, l’organisation du travail suit les principes du lean, visant notamment l’optimisation de la productivité et de la qualité. Plus précisément, les pratiques organisationnelles à l’œuvre dans l’entreprise relèvent du pull-flow qui vise à « faciliter » la production (e.g. par le biais de procédures opérationnelles standards) afin de produire les quantités nécessaires en temps voulu (pull), à partir d’une séquence de production définie en amont par familles de produits (e.g. par type, taille de matériel à produire ou quantité des commandes ; flow ; Doolen & Hacker, 2005).

31L’objectif final est l’impression des gravures, avec les couleurs appropriées sur des feuilles de fer blanc, transformées par la suite en emballages pour divers produits (e.g. pots de peinture industrielle, boîtes de biscuits ou produits d’hygiène personnelle).

2.2. Les protagonistes de l’étude

32Les principaux protagonistes étaient les lithographes imprimeurs (LI) : c’est sur leur travail et leurs interactions avec les lithographes imprimeurs auxiliaires (LIA) que se concentrent les données recueillies et analysées dans ce texte. Le travail des LIA, qui avec les LI forment les binômes opérationnels des lignes de production, et celui les opérateurs de démarrage (OD) ont été considérés à certains moments pour soutenir la compréhension du processus de production en lithographie. Au total, 16 hommes et 2 femmes ont participé ; les LI sont tous des hommes.

33Trois personnes composent une équipe par ligne de production : un LI, travailleur expérimenté, responsable de son équipe et de l’analyse de la qualité des impressions des gravures et des couleurs sur la feuille de fer blanc ; un LIA, chargé d’assister le LI, généralement novice dans le métier ; et d’un OD, chargé de mettre en place la feuille dans le bac de la machine à imprimer. Les équipes travaillent cinq jours par semaine, selon des horaires alternants en 3x8h.

34La répartition des effectifs entre les fonctions est équilibrée (cf. Tableau 1) : six personnes occupent chacune des fonctions citées. Bien que l’âge minimum et l’ancienneté des LI, LIA et OD soient proches, c’est chez les LI que l’on observe les âges et anciennetés les plus élevés. L’expérience professionnelle utile à la transmission est ici définie par le biais d’une méthode d’auto-positionnement des personnes par rapport à la question suivante : « dans votre travail actuel, quel rôle jouez-vous ? ». Les participants pouvaient choisir entre deux options : novice – Je ne réalise pas encore mon travail de manière complètement autonome ; expérimenté – J’ai de l’expérience et j’exerce mon travail de manière autonome. Les six LI ont considéré qu’ils étaient expérimentés, alors que les LIA ont tous déclarés qu’ils étaient novices. Parmi les OD, chargés d’installer les feuilles de métal dans le bac de la machine, les deux cas de figure ont été rencontrés.

Tableau 1 : Caractérisation des travailleurs des lignes de production, en termes d’effectifs, âge, ancienneté dans la fonction, et d’expérience professionnelle utile pour la transmission. 
Table 1: Characterization of production line workers, in terms of numbers, age, seniority, and professional experience useful for transmission

Tableau 1 : Caractérisation des travailleurs des lignes de production, en termes d’effectifs, âge, ancienneté dans la fonction, et d’expérience professionnelle utile pour la transmission.  Table 1: Characterization of production line workers, in terms of numbers, age, seniority, and professional experience useful for transmission

35Ont également participé à cette étude le responsable du département de production lithographique, à ce poste depuis 4 ans, et l’équipe des ressources humaines composée de quatre personnes (trois techniciens et un responsable du département). L’équipe RH est responsable, entre autres : de la formation et du développement, du recrutement et de la sélection, des relations sociales ; ce département existe dans l’entreprise depuis environ 25 ans. Ces interlocuteurs sont des parties prenantes de l’étude en raison de leur responsabilité supposée envers les questions de transmission : 1) les RH, en matière de formation, d’apprentissage et de développement des compétences des travailleurs ; 2) le responsable de production, envers les équipes et la promotion des conditions, au quotidien, favorables à l’apprentissage du travail et la transmission par les plus expérimentés.

2.3. Procédure de collecte et d’analyse des données collectées

36L’approche retenue se base sur une démarche participative et constructive (Falzon, 2013). Elle a permis d’impliquer les travailleurs et de définir des moments de restitution et de discussion pour favoriser la réflexion sur l’activité des personnes sur ces lignes de lithographie.

37La collecte des données s’est centrée sur : 1) l’observation de l’activité des LI travaillant sur une des lignes de production, 2) des entretiens avec les LI des deux lignes de production et, 3) le recueil de verbatims des LI lors des situations de travail observées et lors des moments de restitution et de discussion des données. Les questions de recherche énoncées précédemment ont guidé cette collecte. Ainsi, les observations de l’activité, les entretiens et les temps de restitution aux travailleurs visent à comprendre « comment se déroulent les moments de transmission ? Quel (s) type(s) de situation(s) d’autonomie pour la transmission peut-on caractériser ? ». Les rencontres avec l’équipe RH et le responsable de production, croisées aux données recueillies auprès des travailleurs, ont pour objectif de repérer « quel(s) rôle(s) l’équipe des RH et le responsable de production ont sur l’autonomie des lithographes-imprimeurs ? ». Le tableau 2 synthétise les trois étapes et objectifs de la collecte des données et les méthodes associées.

Tableau 2 : Synthèse d’ensemble des méthodes de collecte et de traitement de données selon les étapes et objectifs de la collecte. 
Table 2: Synthesis of data collection and treatment methods according to the stages and objectives of the data collection

Tableau 2 : Synthèse d’ensemble des méthodes de collecte et de traitement de données selon les étapes et objectifs de la collecte.  Table 2: Synthesis of data collection and treatment methods according to the stages and objectives of the data collection

38La première étape de collecte a été essentielle pour comprendre la réalité des conditions de travail de cette entreprise. Les questions portaient sur : i) la perception que l’équipe RH et le responsable de la production ont de la transmission telle qu’elle se déroule au quotidien sur les lignes de production (et comment l’autonomie est présente) ; ii) l’importance qu’ils lui attribuaient ; l’identification des acteurs responsables des conditions nécessaires à la transmission et enfin, iii) les pistes déjà envisagées pour l’amélioration des conditions de travail et des conditions de transmission, le cas échéant.

39Lors de la deuxième étape de collecte de données, les observations ont été réalisées sur 14 demi-journées de travail (sur trois semaines), avec les trois équipes d’une des deux lignes de production. Elles ont eu lieu le matin et l’après-midi (la collecte sur l’autre ligne de production et de nuit n’a pas été autorisée par les responsables de l’entreprise, notamment pour des raisons de sécurité). Les observations ouvertes et les temps d’échanges avec les travailleurs ont permis de décrire dans le détail le processus de fabrication sur la chaine de production des lithographies, en s’inspirant de la méthode du « diagramme en blocs » (Leplat & Cuny, 1977), et d’identifier une tâche (Leplat & Hoc, 1983) centrale et critique pour la production et, par conséquent, pour la transmission : le contrôle et l’ajustement des couleurs et l’impression des gravures les feuilles de fer blanc. Cette tâche est perçue comme critique en raison de la minutie et de la concentration qu’elle implique de la part des LI. C’est elle qui garantit la qualité du produit pour le client et la productivité : trouver rapidement les couleurs prévues par le client permet de livrer les produits attendus au plus tôt, tout en limitant les déchets et les coûts pour l’entreprise. Quatorze chroniques d’activité de la réalisation de cette tâche ont été enregistrées. Pour cela une grille d’observation, constituée de quatre grandes catégories et de leurs observables respectifs, a été créée à partir des observations ouvertes et des questions de recherche formulées : 1) les phases de travail/problèmes (catégorie) – préparation de la commande, impression pour le client, problèmes de machine (observables) ; 2) les actions sur la feuille de fer blanc (catégorie) : récupération des épreuves de la machine, réglage des couleurs avec une machine pour mesurer la densité et fournir des informations au tableau de bord sur les tons, réglage avec le densitomètre (pour comparer le ton imprimé avec le ton standard à atteindre), contrôle des couleurs et de la netteté des gravures avec la loupe, et contrôle visuel de ces mêmes éléments (observables) ; 3) le responsable des actions sur la feuille de fer blanc (catégorie) : LI, LIA, ou les deux (observables) ; 4) les transmissions effectives (catégorie) : explication, démonstration, expérimentation par le novice, observation par le novice (sans verbalisation par l’expert). D’autres indicateurs de l’activité ont été considérés a posteriori pour soutenir l’analyse des données. Il s’agit de rendre compte : 1) des hésitations du LI entre répondre à un besoin de production ou transmettre ; 2) de la coprésence du LI et LIA dans la réalisation des tâches partagées ou non. Toutes les chroniques ont été créées et analysées selon ce système de catégories. Dans la partie dédiée aux résultats, certaines des chroniques sont présentées pour illustrer les analyses.

40Guider par l’objectif de compréhension de l’activité, et plus précisément les enjeux de compréhension de l’autonomie pour la transmission, les chroniques construites avec le logiciel Actograph® (SymAlgo Techonologies, 2018) donnent une visibilité aux durées, fréquences, à l’enchaînement des principales phases de travail et à des questions de transmission et des observables qui les constituent. Elles permettent de visualiser les moments où la transmission a eu lieu et comment. Elles fournissent une représentation visuelle et organisée des données aux participants, support aux échanges a posteriori sur les conditions de réalisation du travail, l’autonomie et les possibilités de transmission (Barthe, Boccara, Delgoulet, Gaillard, Meylan, & Zara-Meylan, 2017). L’analyse conjointe de ces chroniques et des échanges post-observation donne à voir et comprendre les options et les choix qui ont dû et pu être faits par les LI en matière d’autonomie pour la transmission.

41Les entretiens, d’une durée de 45 minutes environ, visaient à caractériser la perception que les travailleurs ont des conditions d’organisation et de réalisation de leur travail et des possibilités de transmission dans leur activité au moment présent de l’entretien et, de manière rétrospective, par rapport à la période initiale d’apprentissage de cette fonction. Ils ont permis d’approfondir la compréhension des conditions de réalisation de la transmission, du point de vue des travailleurs, et des attentes de l’encadrement.

42La troisième étape, de restitution des analyses aux travailleurs, a permis de discuter des résultats issus des chroniques (par exemple, les durées de chaque phase de travail ; les moments de transmission visibles), des raisons qui conduisent le LI à réaliser seul la tâche critique, et de ce qu’ils changeraient dans les conditions actuelles pour élargir les possibilités de transmission. Cette restitution a eu lieu au cours d’une journée de travail, pour les trois équipes observées ; à la fin de l’entretien individuel pour les équipes de la seconde ligne. La restitution avec l’équipe RH et le responsable de production était axée sur les résultats obtenus et sur des pistes d’amélioration des conditions de travail.

43Les données analysées à partir de ces trois formes de collecte alimentent une présentation thématique des résultats, et sont convoquées de manière ponctuelle pour les illustrer à partir de chroniques de travail et de verbatim (caractérisés selon la fonction du participant et son ancienneté dans la fonction).

3. L’activité des lithographes imprimeurs : de l’autonomie au travail à l’autonomie pour la transmission

3.1. Une activité « subordonnée » au système de production

44À partir des entretiens menés avec l’ensemble des protagonistes durant la phase de connaissance de l’entreprise et des observations et entretiens avec les travailleurs durant la phase de l’analyse de l’activité, il s’avère que l’organisation de l’impression des lithographies rejoint les grands principes de production définis par le lean, en particulier sous la forme de la pratique pull-flow (Doolen & Hacker, 2005). Les exigences de production et de qualité sont élevées, associées à un rythme de travail intense tributaire du volume des commandes de fabrication et décoration d’emballages métalliques à honorer. Cette pratique limite les possibilités d’anticiper les travaux futurs, comme nous le verrons par la suite.

45Sur les lignes de production, le processus effectif de travail peut se décomposer en quatre blocs de tâches séquentiels (Leplat & Cuny, 1977). Chaque tâche d’un bloc est définie par les opérations principales (« OP »), les ressources utilisées (« R ») et les travailleurs impliqués (« P » ; cf. Figure 1). Les quatre blocs du processus renvoient à : 1) la mise en place de la feuille dans le bac de la machine à imprimer ; 2) la préparation du travail d’impression pour le client qui comprend les tâches de nettoyage des machines ; chargement, dans les machines, des encres nécessaires à chaque commande ; le contrôle et l’ajustement des couleurs et de la netteté des gravures à imprimer (récupération et analyse des feuilles d’épreuves pour vérifier la qualité de l’impression) ; 3) l’impression de la commande, avec contrôle de la qualité et traque des dérives de production ; 4) le conditionnement de la commande : ajuster le positionnement de la palette pour que la feuille soit dans l’alignement prévu, enrouler la commande dans un film et coller l’étiquette qui l’identifie. Les points d’exclamation rouges (cf. Figure 1) représentent des tâches considérées comme critiques par les travailleurs. Dans le cas de l’« ajustement eau-encre », du « contrôle de qualité de la FP », et de l’« ajustement des couleurs », les travailleurs expliquent que la criticité concerne le travail de vérification ; pour les « machines d’impression », les situations critiques sont liées aux aléas techniques qui entraînent l’arrêt des machines (e.g. feuille bloquée dans la machine ; absence de feuille dans la machine). Chacune des tâches critiques implique la maîtrise de savoirs spécifiques du fonctionnement de chaque machine pour détecter et corriger les dérives ou erreurs de machine.

Figure 1 : Processus effectif de travail en Lithographie en quatre blocs. 
Figure 1: Effective work process in Lithography in four blocks

Figure 1 : Processus effectif de travail en Lithographie en quatre blocs.  Figure 1: Effective work process in Lithography in four blocks

46Sur la ligne, le travail des LI (et LIA) est principalement axé sur la préparation (bloc 2) et l’impression de la commande (bloc 3) ; c’est là que réside la criticité de leur travail. Les LIA, sont généralement responsables du conditionnement de la commande (bloc 4).

  • 1 Pour faciliter la lisibilité des chroniques dans la figure 2, un format standard a été retenu indép (...)

47Dans le cadre de ce processus général de fabrication, le travail quotidien des LI est organisé comme suit : chaque jour, les travailleurs reçoivent un ordre de travail « strict », avec des indications à suivre concernant chaque commande à produire, l’ordre dans lequel les commandes doivent être produites et l’ordre des teintes à placer sur les machines. D’un jour à l’autre les travailleurs ne peuvent pas anticiper le nombre de commandes qu’ils devront prendre en charge. De fait, les observations ouvertes et systématiques montrent qu’aucune journée de travail n’est identique à une autre. À titre d’exemple, six chroniques d’enchainement effectif des blocs de tâches de préparation et d’impression réalisées sur deux matinées (cf. Figure 21) illustrent cette variabilité temporelle des phases de préparation et d’impression du travail, liées au fonctionnement de la machine (arrêts dus à des erreurs ; feuilles manquantes dans le bac d’impression), à la quantité des feuilles d’épreuves et au volume de chaque commande.

Figure 2 : Illustration de six chroniques d’enchainement effectif des blocs de tâches de préparation et d’impression sur deux matinées de travail : matin 1, caractérisé par 4 petites commandes ; matin 2, caractérisé par 2 grandes commandes. 
Figure 2: Illustration of six chronicles of effective sequencing of the preparation and printing task blocks over two working mornings: morning 1, involving 4 small orders; morning 2, involving 2 large orders

Figure 2 : Illustration de six chroniques d’enchainement effectif des blocs de tâches de préparation et d’impression sur deux matinées de travail : matin 1, caractérisé par 4 petites commandes ; matin 2, caractérisé par 2 grandes commandes.  Figure 2: Illustration of six chronicles of effective sequencing of the preparation and printing task blocks over two working mornings: morning 1, involving 4 small orders; morning 2, involving 2 large orders

48Dans ces exemples, nous mettons en évidence deux enjeux majeurs :

  • La grande variabilité des durées de réalisation des commandes et du temps associé aux différents blocs de tâches est visible (e.g. la durée de préparation du travail peut représenter de 13 % à 85 % d’une commande, mise en place de la feuille et conditionnement de la commande non compris). Cette double variabilité (durée de réalisation des commandes et durées de chaque bloc), associée à la variabilité du carnet de commandes, rend largement imprévisible le temps que les LI auront à consacrer à la préparation de la commande, même de manière approximative. Cette variabilité dépend : du type de tâche ; de la complexité de la commande (e.g. les travailleurs indiquent que plus il y a de couleurs dans le produit, plus le travail d’analyse, de contrôle et de correspondance des teintes est compliqué) ; des conditions environnementales sur la ligne de production (e.g. si le travail est à faire en début de semaine, le chauffage des machines et le processus d’adhérence des peintures aux machines sont plus lents, car les machines ont été arrêtées le week-end et doivent être remises en marche) ; et de la séquence des commandes (e.g. avec des produits différents, des couleurs, des gravures et des formats de feuille de fer blanc différents). Par ailleurs, il est difficile de prévoir que l’impression d’une commande se déroulera sans heurt (e.g. sans arrêt des machines nécessitant d’intervenir). Les travailleurs considèrent que leur autonomie au travail est importante et qu’elle joue un rôle fondamental pour ajuster leurs modes opératoires ou en inventer de nouveaux au plus près des besoins et des conditions de réalisation de la production :

« Chaque jour est différent ici. Aujourd’hui ça peut marcher, demain ça ne marche pas, il faut trouver une autre solution pour continuer à avoir une bonne production… et nous avons cette marge » (LI 1, 8 ans d’ancienneté).

  • Le bloc de tâches dédié à la préparation de la commande occupe dans les six situations observées une grande partie du temps d’une commande : c’est à ce stade du processus de production que le contrôle de la qualité des couleurs et des gravures sur la feuille de fer blanc commence. Il implique rigueur et concentration des travailleurs dans l’analyse des feuilles d’épreuves pour éviter l’impression des gravures erronées, c’est-à-dire pour éviter le « gaspillage » de matériel (peintures, feuilles de fer blanc) et optimiser le temps de production. Il convient de noter que le nombre de feuilles d’épreuves dépend de la taille et de la complexité de la commande et qu’il n’y a pas de standard à suivre : aucun nombre minimum ou maximum de feuilles d’épreuves n’est requis (e.g. dans la chronique 7, sept feuilles d’épreuves ont été analysées alors que dans la chronique 4, le nombre monte à 48). Cependant, moins le nombre de feuilles d’épreuves est élevé moins il y a de « gaspillage » de matériel pour l’entreprise ; un point de vue partagé par les travailleurs :

« Je dois produire de manière à ce que l’entreprise ne perde pas beaucoup de matériel… si je laisse traîner le problème, ce sont des feuilles gaspillées » (LI 4, 13 ans d’ancienneté).

49L’organisation de type lean en vigueur sur ces lignes de production, amène à construire des alternatives et à faire des choix dans un souci de productivité (e.g. définir le dosage d’eau ou d’encre adéquat à injecter dans la machine pour éviter les pertes de temps ou un trop grand nombre de feuilles d’épreuve ; ou faire varier à la marge la cadence de production pour absorber les aléas techniques) et de « chasse au gaspillage » (e.g. être vigilant à la quantité de feuilles analysées avant et après lancement de l’impression) pour assurer la valeur ajoutée du produit tout au long du processus de production.

50Ceci suppose une connaissance fine du travail dans ses multiples dimensions, notamment des machines-imprimantes : « Le travail de l’imprimeur n’est pas facile. Nous apprenons tous les jours, parce que la machine, de temps en temps, s’insinue en nous. Nous devons bien connaître la machine » (LI 2, 17 ans d’ancienneté) ; « Il faut connaître la machine avec laquelle on travaille, et il est très difficile de connaître une machine, car un jour elle peut être une chose, et le jour suivant elle peut être complètement différente. Et ces machines ont de nombreux secrets, de nombreuses astuces. Si vous ne les connaissez pas, ou ne les apprenez pas, vous ne pouvez pas travailler avec elles… » (LI 2, 17 ans d’ancienneté). C’est donc par l’analyse de la feuille d’épreuve que les LI repèrent l’état des machines et construisent les ajustements de réglages des machines ou des couleurs nécessaires.

51Les réunions avec l’équipe RH et responsable de production soulignent qu’il est attendu des travailleurs qu’ils atteignent les objectifs de production définis : « ils ont la production… ils doivent produire » (responsable de production, 4 ans d’ancienneté) ; « jusqu’à présent, le but des travailleurs était, et est toujours, de produire et non d’enseigner », (responsable RH, 25 ans d’ancienneté). Ces attentes n’ont pas échappé aux LI qui en sont conscients : « Il faut produire le maximum par journée […] Il faut être toujours en train de produire… » (LI 3, 3 ans d’ancienneté). Ce primat de la production fait reposer sur les épaules des LI une grande responsabilité et induit, a contrario, un retrait de leur part face aux enjeux de la transmission.

3.2. Identification des enjeux d’autonomie pour la transmission

3.2.1. Face aux conditions de transmission et de production : un dilemme pour les expérimentés

52Les observations de l’activité des LI ainsi que les entretiens démontrent que la transmission fait partie des attendus de l’entreprise et des travailleurs expérimentés eux-mêmes. De l’avis de ces derniers, la maîtrise de la fonction LI demande environ cinq ans d’apprentissage même si, à la fin de cette période, il n’existe pas de procédure officielle de progression de carrière et de passage de la fonction de LIA à celle de LI. En d’autres termes, lorsqu’un nouveau travailleur arrive, l’encadrement attend des travailleurs expérimentés qu’ils lui transmettent ce qu’ils savent : « Ils nous disent simplement :celui-ci vient à vos côtés, pour apprendre le travail” » (LI 4, 13 ans d’ancienneté) ; « Vous allez enseigner à cette personne » (LI 2, 17 ans d’ancienneté).

53Face à cette injonction de la hiérarchie, et bien que l’encadrement convienne qu’aucune réflexion à ce sujet n’est en cours, les travailleurs considèrent qu’ils ont à prendre en charge la transmission dans les moments où ils se sentent capables de changer leurs priorités et où ils choisissent de mettre, temporairement, leur attention sur les exigences de production en second plan afin de transmettre ce qu’ils savent, sans que cela ne nuise aux objectifs à remplir.

54Cependant, les entretiens avec les LI montrent que ce choix ne se fait pas et que les possibilités de transmission sont rares. La transmission (quand elle a lieu) ne se fait que lors de brefs moments d’explication, de démonstration ou de laisser-faire sous contrôle visuel pendant la réalisation du travail. Ceci prend des formes distinctes selon le travailleur concerné : « Le moyen le plus rapide est presque de leur dire de se débrouiller seuls… être là sur le côté, mais les laisser faire » (LI 4, 13 ans d’ancienneté) ; « C’est voir ce qui est fait. L’auxiliaire doit surveiller la feuille et doit également surveiller ce que fait l’imprimeur en même temps » (LI 5, 1 an d’ancienneté) ; « Je l’ai laissé expérimenter… » (LI 2, 17 ans d’ancienneté).

55Les temps de transmission dépendent non seulement des conditions de production, du type de problèmes qui surviennent, et de la disponibilité des LI face aux exigences de leurs tâches. Autant de conditions qui soutiennent le débat intérieur entre la responsabilité de la production et celle de la transmission, qui est visible au travers des moments d’hésitation des LI durant leur travail (illustrés dans les chroniques de la section suivante). Cette responsabilité finit par peser plus lourdement du côté de la production (ce qui est formellement défini par les fiches de poste des RH comme le travail des LI) : « Avec cette pression de devoir produire, celui qui est devant la machine ne va pas passer beaucoup de temps à apprendre. Dans ce cas, enseigner à quelqu’un, enseigner tout… » (LI 6, 20 ans d’ancienneté). Ce choix, même s’il semble immédiat, implique une autre volonté : celle de transmettre, à des moments jugés opportuns (e.g. lorsqu’un problème survient, ce qui arrive rarement, ou lorsqu’ils ont recours à des astuces apprises auprès de collègues précédents) ; une volonté assujettie aux prescriptions et aux objectifs formels :

« ça ne me dérange pas de transmettre, mais je ne gagne pas plus pour cela » (LI 5, 1 an d’ancienneté) ;

« je suis désolé de ne pas partager tout ce que je sais et que parfois ils soient juste là à regarder ce que je fais, mais le travail doit être fait » (LI 3, 3 ans d’ancienneté).

56De manière complémentaire, un LI peut proposer au LIA d’observer momentanément son travail, mais ces temps sont souvent compromis par le silence du LI dans la réalisation de son travail, nécessaire à la concentration et la rigueur dans l’accomplissement de la tâche critique :

« Si l’auxiliaire était là, nous [LI] pourrions parler et expliquer, car nous savions qu’il ne savait pas. Mais être silencieux est notre habitude quotidienne [pour analyser les épreuves] » (LI 2, 17 ans d’ancienneté).

57Ces contraintes de transmission, liées à la gestion de la production selon les critères axés exclusivement sur la productivité et la qualité, et associées aux contraintes de rythme de travail intense et d’imprévisibilité des commandes, accroissent le sentiment de responsabilité perçu par les expérimentés : « Nous finissons par dire “laisse faire, je vais le faire”. C’est cette chose d’essayer aussi de produire plus » (LI 4, 13 ans d’ancienneté). Une responsabilité qui conduit au dilemme dans l’activité entre laisser les novices essayer les différentes tâches et apprendre les « secrets des machines », ou continuer à prendre en charge tout le travail, évitant l’apparition d’erreurs susceptibles de ralentir la production ou de réduire la qualité. Comme tout dilemme (Arnoud, Krohmer, & Falzon, 2018), celui-ci présuppose un choix qui doit être fait par le travailleur entre des options, désirables ou indésirables.

58Les travailleurs témoignent de leur préoccupation face aux contraintes de transmission et de leur compréhension des conséquences sur l’apprentissage des novices : « Je sais que le fait de ne pas transmettre tout ce que j’aimerais fait qu’il [le novice] apprend moins » (LI 4, 13 ans d’ancienneté). Ils soulignent également que, devant faire un choix, ils privilégient la production : « S’il y a plus de pression, c’est plus difficile de partager » (LI 3, 3 ans d’ancienneté) ; « Comme je suis devant la machine à enseigner, je vais perdre certaines choses dans l’enseignement, parce que je dois produire et je dois bien produire, et je ne ferai pas autant attention à expliquer » (LI 1, 8 ans d’ancienneté). Toutefois, bien qu’ils reconnaissent l’importance de la transmission et la considèrent comme une partie intégrante de leur travail, leur performance est évaluée en fonction de la production (et non de la transmission), ce qui conforte l’option retenue en situation et le choix qu’ils font : « la production est très importante. En fait, c’est tout ce qui compte à la fin de la journée » (LI 3, 3 ans d’ancienneté). S’il s’agit d’un choix conscient, il n’est pas toujours immédiat ; il peut être précédé de moments d’hésitation ou comporter des changements d’option au fil de l’action : « parfois, je commence à expliquer quelque chose et je dis même qu’il devrait essayer de le faire, mais ensuite c’est plus facile si je le fais » (LI 3, 3 ans d’ancienneté). Ces choix sont coûteux pour les LI en raison des responsabilités qui leur incombent :

« Je ne prends ma pause déjeuner que lorsque je sais que la machine et la production sont stables. En attendant, j’accompagne le plus jeune quand je le peux, sinon il se contente de regarder. Sinon, quelque chose de plus compliqué pourrait arriver et alors c’est ma responsabilité. Oui, car la responsabilité revient toujours à l’imprimeur » (LI 6, 20 ans d’ancienneté).

59Pour éclairer ce dilemme, entre conditions de travail (résultant de pratiques de gestion de production centrées sur des critères de productivité) et de transmission, il s’agit alors de caractériser les types de situations d’autonomie de transmission existant dans le travail des LI.

3.2.2. Deux types de situations d’autonomie pour la transmission : conditionnelle ou empêchée

60La transmission des savoirs et savoir-faire entre LI et LIA (e.g. par brefs moments d’explication et de démonstration) et le dilemme auquel se confrontent les expérimentés, ont permis d’approfondir la question de l’autonomie pour la transmission des expérimentés.

61À travers l’analyse des 14 chroniques, les résultats montrent que la transmission se fait dans des situations de relation à l’autonomie contraintes. Dans six d’entre elles, l’autonomie est largement conditionnée, et dans huit autres elle est empêchée ; par conséquent, la transmission dans ces deux types de situation est soit tronquée, soit empêchée. Ci-dessous, nous présentons deux chroniques, issues de la même équipe, qui illustrent ces deux types de situations (cf. Figure 3 et Figure 4).

Figure 3 : Illustration de l’autonomie conditionnelle : chronique d’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 6 000 feuilles. 
Figure 3: Illustration of conditional autonomy: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing for the realization of an order for 6 000 metal sheets

Figure 3 : Illustration de l’autonomie conditionnelle : chronique d’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 6 000 feuilles.  Figure 3: Illustration of conditional autonomy: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing for the realization of an order for 6 000 metal sheets

62Le premier exemple (cf. figure 3), rend compte de la réalisation d’une commande de 6 000 feuilles qui a pris 2 h 30 (de 10 h 21 à 12 h 49). La durée de préparation de la commande (45 % du temps total) et la durée d’impression (40 %) sont relativement proches et toutes deux considérés élevées par le LI dans le cadre de cette commande. Les travailleurs ont dû faire face à cinq arrêts de la machine (15 %) dus à des problèmes de bourrage de feuilles. Dans ce travail, 58 feuilles d’épreuves ont été analysées.

63Le binôme composé de LI 6 (20 ans d’ancienneté) et LIA (4 ans d’ancienneté), travaille en co-présence sur la ligne de production, pour les tâches de préparation et d’impression. Cependant, leurs responsabilités se distinguent : le LI assure la plupart des tâches, notamment dans la phase initiale de préparation de l’impression, lorsqu’il s’agit du contrôle visuel (le type de contrôle qui nécessite plus d’expérience d’après les LI) ou du contrôle à la loupe de la feuille d’épreuves, et dans les temps de résolution des problèmes de machine. Le LIA intervient principalement : en sortie de la machine et pour ajuster la feuille dans l’outil d’enregistrement et de réglage de la densité des couleurs (« réglage_machine_couleurs ») ; dans la phase finale d’impression, il assure le conditionnement de la commande (représentée par le rectangle jaune sur la figure 3). Cette coprésence est visible tout au long de la chronique, à l’exception de la période de 11 h 40 à 12 h, qui correspond à la pause déjeuner de LI, moment où ce jour-là il s’absente de la zone de production, laissant seul le LIA.

64Compte tenu des exigences de production de cette commande et des difficultés rencontrées par le LI (e.g. pour obtenir le ton de couleur d’encre souhaité par le client sur toute la feuille avant de lancer l’impression de la commande), on a observé deux moments où le LI a usé de l’autonomie pour transmettre. Il s’agit de deux moments où le LIA a joué un rôle actif (cf. Figure 3 : les deux rectangles en pointillés marrons et marqués du chiffre « 1 » et « 2 »). Dans le premier cas (rectangle pointillé marron 1), le recours à l’autonomie pour transmettre est lié au fait que le LI sait qu’il n’a pas beaucoup de commandes et que le type de problème apparu sur la feuille est l’un des plus critiques qui peut survenir. Cette combinaison de circonstances lui a permis de décider d’expliquer le problème au LIA et la manière de le résoudre. Il s’agit donc du premier moment visible de transmission (d’environ 7 minutes) : le problème critique détecté par LI est une tache d’encre apparue de manière inattendue sur la feuille. Face à ce problème, LI explique au LIA : « c’est une tache qu’il faut éviter, pour ne pas gâcher beaucoup de feuilles et parce qu’il faudra peut-être remplacer les rouleaux dans les machines », puis lui montre comment le résoudre : « il faut maintenant revoir les niveaux d’encre et d’eau dans les machines ».

65Dans le second cas (rectangle pointillé marron 2), le LI a l’autonomie pour transmettre parce qu’il considère que la production de la commande est stable, c’est-à-dire : la qualité des teintes et de la gravure sont satisfaisantes, aucune défaillance au niveau des feuilles ou de la machine est identifiée. Dans ce cas, le LIA n’est plus simple observateur du travail, mais prend également des épreuves et les analyses sans aucun soutien ou orientation de la part du LI. Il résout deux arrêts de la machine (cf. Figure 3). Le LI considère qu’il peut prendre sa pause déjeuner, laissant le LIA responsable du contrôle de la qualité des feuilles d’épreuves en son absence. Ainsi, le LIA expérimente, environ 30 minutes, le travail de contrôle en mode nominal de production. Avant que le LI parte, il ne laisse que quelques indications au LIA sur les aspects auxquels il doit être attentif :

« Tu dois continuer à vérifier les feuilles d’épreuves pour t’assurer que cette zone de la feuille ne commence pas à poser des problèmes et tu n’oublies pas de contrôler sur l’ordinateur si la quantité d’eau commence à diminuer beaucoup ».

66L’absence d’arrêt des machines (e.g. en raison d’un manque de feuilles ou d’un blocage dans la machine) avant le moment de la pause déjeuner conduit le LI au choix « conditionné » de laisser le LIA expérimenter seul le travail dans un moment de pause. Il prend par ailleurs en charge les explications et démonstrations lorsque des contraintes techniques ou de qualité surviennent (dans ce cas, plusieurs blocages de la machine et une longue période d’ajustement de la couleur et de la gravure) et qu’il ressent la responsabilité du contrôle qualité des feuilles. Le LI fait ainsi usage de son autonomie pour organiser la transmission, mais d’une manière conditionnée.

67La restitution de ces chroniques et de leur analyse aux travailleurs a permis de réaliser que ces deux moments de transmission intentionnelle ont été précédés de moments d’hésitation de la part du LI (cf. Figure 3 : carrés orange). Ces moments reflètent le dilemme vécu par les experts. Avant de poursuivre, le LI a hésité entre s’occuper uniquement de la production ou passer du temps à transmettre :

« attention : cette chose pour moi entre “qui fait ?” et “qui doit produire ?”, n’est pas évidente. Je sais que je dois produire, mais je sais aussi qu’il était important de transmettre mes savoirs à mon collègue [LIA], donc parfois j’hésite entre ce qu’il faut faire ».

Figure 4 : Illustration de l’autonomie empêchée : chronique de l’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 310 feuilles. 
Figure 4: Illustration of the autonomy prevented: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing in the realization of an order for 310 metal sheets

Figure 4 : Illustration de l’autonomie empêchée : chronique de l’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 310 feuilles.  Figure 4: Illustration of the autonomy prevented: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing in the realization of an order for 310 metal sheets

68Dans ce deuxième exemple (cf. Figure 4), le binôme LI 4 (13 ans d’ancienneté) et LIA (10 ans d’ancienneté) a préparé une commande de 310 feuilles, en 50 minutes. LI et LIA ont passé la plupart du temps (85 %) à préparer l’impression ; il s’est avéré difficile d’obtenir une des nuances de couleur souhaitée sur toute la feuille. Une fois le problème résolu, le travail a été imprimé en deux minutes environ (2 %), avec un arrêt de la machine (13 %) dû à des problèmes de bourrage de feuilles. Dans ce travail, 10 feuilles d’épreuves ont été analysées.

69La prise en charge de l’analyse de la feuille de fer blanc se fait en coprésence de LI et LIA sur la zone de production. Ceci conduit à une répartition des tâches entre eux : les dix premières minutes de préparation de la commande le LI se charge de la préparation des mesures de couleurs sur le panneau de contrôle, et le LIA s’occupe du placement des encres sur la machine. Ensuite, le LI se charge de la plupart des sous-opérations d’analyse (contrôle visuel, contrôle à la loupe, mesure des couleurs, dépannage et arrêt de la machine). LIA intervient lorsque les feuilles d’épreuves sont sorties de la machine et que les ajustements primaires ont été effectués sur l’outil de mesure de la densité des couleurs. L’absence du LIA durant les 20 dernières minutes de la chronique (cf. Figure 4 : le rectangle en jaune) s’explique par la prise en charge du conditionnement de la commande (tâche non reportée sur cette chronique finale). Cette répartition des tâches durant la phase de conditionnement de la commande se retrouve dans toutes les chroniques recueillies.

70Dans cette chronique, comme dans sept autres, les problèmes techniques de la machine et les exigences liées à la préparation du travail associées à un volume de commandes jugé « trop petit », par les travailleurs, ont conduit à une impossibilité de transmission intentionnelle, empêchant ainsi l’autonomie pour gérer la manière dont les savoirs pourraient être transmis au profit de la tenue des critères de production. Deux « moments clés » dans la production de cette commande (cf. Figure 4 : deux rectangles marron en pointillés) illustrent la manière dont le LI a dû choisir de privilégier la production.

71La première fois (cf. rectangle pointillé marron 1), le LI assure l’analyse de la qualité des couleurs sur la feuille de fer blanc pour la plupart des mesures et contrôles (contrôle visuel, contrôle à la loupe, mesure des couleurs, dépannage et arrêt de la machine). Le LIA intervient lorsque les feuilles d’épreuves sont sorties de la machine et lorsque les ajustements primaires sont effectués. Cette configuration dans la répartition des tâches est basée sur la difficulté du LI à obtenir une des nuances de couleur souhaitées ; un problème dont le LI a noté que s’il n’était pas résolu rapidement, il générerait un important gaspillage de produit. Ici, le LI a choisi consciemment de rester en charge de la tâche, concentré et silencieux, gardant le LIA en observation de son travail sans aucune explication de ce qu’il fait/analyse pour comprendre et résoudre le problème.

72Dans le second cas (cf. rectangle pointillé marron 2), après une brève absence du LI (environ 5 min), pour rendre compte du travail au responsable de production, le schéma de transmission par observation du travail du LI par le LIA est maintenu. Contrôlant la production de feuilles d’épreuves que la machine est en train de produire (e.g. contrôles à la loupe et visuel ou réglage de la machine), le LI n’a pas jugé utile d’associer le LIA : « ce n’était pas un moment pertinent pour transmettre ». Pendant l’analyse de la feuille de fer blanc, les rares interactions entre les travailleurs sont essentiellement basées sur de courtes indications de ce qui doit être fait (e.g. un ordre, « prenez une autre feuille ») ou ce qui se passe (e.g. un diagnostic de la situation, « la machine a des problèmes »). Au-delà de ces indications, les travailleurs restent silencieux.

73Lors des entretiens, les travailleurs expérimentés ont souligné les exigences d’attention et de concentration que requiert la tâche d’analyse de la feuille d’épreuves, guère compatibles avec des échanges plus nourris avec les LIA. Dans le cadre des discussions avec le personnel autour de ces chroniques d’activité, le LI responsable de cette commande a déclaré : « J’ai dû aller de l’avant et me concentrer sur la production, parce que nous étions confrontés à une situation dans laquelle nous prenions beaucoup de temps pour trouver le problème et le résoudre. Il aurait été intéressant dès le début d’expliquer ce que je faisais, mais malheureusement ce n’était pas le moment de perdre du temps à enseigner, car sinon nous aurions beaucoup de feuilles perdues. Je n’aurais pas hésité à enseigner, mais ce n’était pas possible là-bas ». Ce verbatim confirme le dilemme ressenti par les LI entre répondre aux besoins de la production ou expliquer le travail aux LIA et les laisser expérimenter au risque, à court terme d’une moindre qualité ou productivité.

74Ces deux types de situations d’autonomie pour la transmission ne sont pas nécessairement exclusives, les deux peuvent émerger au cours d’une même commande. Lors de l’impression d’une commande de 1 475 feuilles, une « petite » commande qui a pris 1 h 10, le travail de production laisse au LI, en début de séquence, la possibilité de gérer la transmission (e.g. il explique au LIA quels contrôles doivent être utilisés sur le tableau de contrôle pour commencer à préparer la commande ; il montre les défauts qui se produisent lors les premières impressions et explique pourquoi ils se produisent), mais des défauts apparaissent très vite dans la séquence (quelques minutes après son démarrage) amenant le LI à faire un choix, entre produire ou transmettre, qui se fait au détriment de la transmission.

75Ces types de situations d’autonomie, souvent construites dans des compromis peu satisfaisants pour les travailleurs (cf. leurs regrets de ne pas transmettre au LIA autant qu’ils le souhaiteraient), semblent avoir des conséquences sur la santé des travailleurs. Dans les entretiens, tous les LI révèlent ressentir une grande pression pour bien faire le travail, du point de vue de la production : « c’est beaucoup de pression pour produire… et si je ne le fais pas bien, je m’énerve, parce qu’alors c’est toujours de ma faute » (LI 2, 17 ans d’ancienneté). Et la transmission qu’ils essaient de mettre en place, sans y parvenir de manière satisfaisante, crée une inquiétude sur ce qui n’est pas partagé, mais devrait l’être, par manque de temps et par priorité donnée à la production : « c’est de concilier le fait de devoir faire le travail et le fait de devoir transmettre… par exemple, aujourd’hui j’ai un problème avec une machine qui pourrait être ceci ou cela, ce n’est jamais la même chose. Je dois aller chercher le problème, et je dois être concentré. S’ils me posent des questions, je perds ma concentration… Mais alors je pense que je n’ai pas enseigné et c’est parfois difficile pour moi... » (LI 3, 3 ans d’ancienneté). Les travailleurs ont indiqué que ce sont également ces tensions, entre production et transmission, associées aux contraintes physiques du travail, qui contribuent à la fatigue généralisée, aux problèmes de sommeil, aux maux de tête rapportés dans les entretiens :

« Parfois, cela m’empêche de dormir la nuit… Il y a toujours des obstacles qui font qu’une personne s’inquiète » (LI 2, 17 ans d’ancienneté) ;

« J’ai beaucoup enseigné, mais mon système nerveux n’était plus suffisant pour être en début de ligne (responsable), parce que parfois on part très fatigué, avec des maux de tête, fatigué mentalement […] et un bon imprimeur, pour moi, doit avoir une très grosse tête et tout gérer » (LI 2, 17 ans d’ancienneté) ; « parfois j’ai mal à la tête et mon système nerveux est altéré » (LI 5, 1 an d’ancienneté).

76Bien que la transmission fasse partie des attendus de l’encadrement qui délègue cette tâche aux LI expérimentés, ceux-ci se trouvent régulièrement en situation d’arbitrage entre les objectifs de performance, d’apprentissage du métier et de santé. La construction de compromis qui en résulte se fait aux dépens de l’apprentissage des novices et affecte la santé des expérimentés. Ce paradoxe, entre attentes de l’encadrement et moyens mis à disposition, mérite alors d’être instruit pour comprendre comment ces questions se jouent du point de vue de l’encadrement.

3.3. Comment l’encadrement gère l’autonomie pour la transmission ?

77Le premier moment de la collecte de données avec l’encadrement (équipe RH et responsable de production) a donné lieu à des échanges qui permettent d’identifier la manière dont celui-ci appréhende la transmission, et son rôle, dans la mise en œuvre d’un tel processus. Ensuite, avec la restitution des analyses de l’activité des LI, des pistes d’amélioration des conditions de travail et/ou de transmission ont été identifiées. A partir de l’analyse globale des verbatims, quatre thèmes majeurs peuvent être retenus (cf. Tableau 3) : 1) Responsabilité dans la construction des conditions de la transmission ; 2) Connaissance des formes de transmission actuellement en vigueur ; 3) Enjeux de la transmission sur la ligne de production ; 4) Pistes d’amélioration des conditions de travail et/ou de transmission.

Tableau 3 : Positionnement de l’encadrement (équipe RH ou responsable de production) selon quatre thèmes abordés lors des réunions dédiées à la transmission sur les lignes de production. 
Table 3: Positioning of the management team (RH team or production manager) regarding the four topics discussed in the meetings in relation to transmission in the production lines

Tableau 3 : Positionnement de l’encadrement (équipe RH ou responsable de production) selon quatre thèmes abordés lors des réunions dédiées à la transmission sur les lignes de production.  Table 3: Positioning of the management team (RH team or production manager) regarding the four topics discussed in the meetings in relation to transmission in the production lines

78Les résultats (cf. Tableau 3) montrent que la position du responsable de production diffère de celle de l’équipe des Ressources humaines sur la plupart des points. L’équipe RH se tient à distance physique du travail des LI et n’a engagé aucune action au sujet de la transmission. Elle considère que : i) les lithographes ne sont pas assez nombreux, par rapport à l’ensemble des travailleurs de l’entreprise, pour leur accorder une attention particulière et leur équipe trop réduite pour aller dans les ateliers et traiter ces questions : « Dans l’entreprise où je travaillais avant, je connaissais le nom de chaque travailleur… j’allais à l’usine et je m’occupais directement des problèmes avec eux… ici non. Ici il est impossible de gérer 1 000 personnes… et il ne faut pas oublier que nous sommes seulement 3 techniciens en RH » (Technicien RH 2, 2 ans d’ancienneté) ; ii) leur charge de travail est élevée et les amène à se concentrer sur les tâches administratives, les urgences et la gestion de divers projets imposés par la direction stratégique de l’entreprise, limitant le temps disponible pour s’investir sur les questions de transmission :

« Nous ne pouvons pas être attentifs à toutes les questions, car il y a trop de travailleurs et trop de domaines à gérer » (Technicien RH 3, 10 mois d’ancienneté) ;

« Les questions de transmission finissent par ne pas être une priorité dans notre travail. Nous finissons par être presque comme des pompiers ici. Et nous finissons par donner la priorité à des choses plus administratives qui n’apportent pas de valeur ajoutée, mais qui doivent être faites sur place » (Technicien RH 1, 12 ans d’ancienneté).

79En conséquence, la responsabilité en matière de transmission est reportée de manière informelle sur le responsable de production. Les RH prennent en charge la formation des nouveaux travailleurs (deux jours) axée sur les questions d’information – familiarisation aux principes de sécurité au travail et de « bonne conduite », aux règles de fonctionnement de l’entreprise et, occasionnellement, ils préparent avec le soutien de la production des formations courtes dédiées à des aspects techniques spécifiques et dispensées par des prestataires. Ils considèrent que la proximité du responsable de la production avec les LI leur fournit une meilleure connaissance des travailleurs, leur permettant de jouer un rôle plus actif qu’ils ne pourraient le faire dans le suivi de la transmission, en assurant les conditions nécessaires à sa réalisation : « Le chef de production sait exactement quelles sont les personnes qui ont des connaissances, il sait également si elles ont des compétences pédagogiques ou non. Par conséquent, quand il délègue la responsabilité de la transmission à quelqu’un, il doit créer les conditions pour que cette personne puisse bien le faire » (responsable du département RH, 25 ans d’ancienneté). On observe ici un transfert informel et unilatéral de responsabilités entre les RH et le responsable de production.

80La position du responsable de la production est tout autre. Construite à partir d’un point de vue techno-centré qui consiste à penser que l’automatisation des lignes règle la question les savoirs et savoir-faire techniques spécifiques, elle conduit à une dévalorisation des savoirs et savoir-faire des LI et à une minimisation des enjeux associés à la transmission : « La transmission n’est pas une priorité, parce que ces machines [imprimantes et tableau de bord] font beaucoup de choses et donnent diverses indications, ils n’ont plus besoin de savoir grand-chose ; il leur suffit de surveiller la production et de faire quelques ajustements ». Bien que le responsable de la production ne considère pas la transmission comme une priorité du fait de l’automatisation, il a conscience qu’elle est déjà effective entre les travailleurs d’une même ligne. Dans ce cas, il fait référence aux potentialités du présent qui, à son avis, offrent aux travailleurs l’autonomie et les conditions nécessaires et suffisantes pour transmettre : « Ce que nous avons fonctionne » ; « Ils [LI] ont tous les matériaux et l’autonomie dont ils ont besoin pour transmettre » ; « Ils partagent l’information entre eux ». Dans un nouveau mouvement de report, la responsabilité de construire les conditions de transmission incombe, en partie, aux travailleurs expérimentés eux-mêmes dans le quotidien du travail. La transmission est réduite au « partage d’informations » dans le cours de l’action, ce qui témoigne d’une méconnaissance du travail des LI sur ces lignes automatisées et de ce que la transmission suppose.

81De fait, le responsable de production, comme l’équipe RH, reconnaissent ne pas savoir comment cette transmission se produit réellement au quotidien : de quelle manière, à quels moments, à quelle fréquence, avec quel impact pour les travailleurs et leur travail ? etc. Toutefois, alors que le responsable de la production imagine que les LI transmettent aux LIA « probablement » en effectuant le travail, les RH font l’hypothèse que cette transmission est limitée par la charge de travail associée aux exigences de production sur la ligne. Si les positions des acteurs en charge de l’encadrement du travail des LI diffèrent, les conséquences en matière d’autonomie pour la transmission se rejoignent : l’autonomie au travail est considérée comme suffisante et la transmission, renvoyée à la seule responsabilité des travailleurs, doit se faire « naturellement » en parallèle ou dans les interstices de la production.

82Enfin, en cohérence avec leur positionnement sur les enjeux de la transmission, seule l’équipe RH identifie des pistes d’amélioration. Elle mentionne des projets en termes de : i) réorganisation des missions du LIA, pour qu’il ait un rôle plus actif dans le processus de fabrication au lieu de seconder le LI, et du LI pour qu’il endosse formellement le rôle de tuteur, à certains moments de la journée de travail ou de la semaine ; ii) création d’un programme de tutorat définissant une période et des formats de transmission ; iii) restructuration de la journée de travail, en assurant la possibilité de disposer du temps, afin que les travailleurs puissent choisir de se consacrer à la transmission à des moments qu’ils considèrent moins critiques du point de vue de la production. Ces trois pistes, discutées dans le cadre de l’étude, n’ont toutefois pas encore étaient mises à l’agenda des projets RH à mener.

4. Discussion/Conclusion

83Ce travail a privilégié le point de vue des travailleurs expérimentés et de l’encadrement pour comprendre les liens à tisser, ou qui se tissent déjà, entre autonomie et transmission. Il n’épuise pas la question, et il pourrait être intéressant, dans de futures études : i) de comprendre comment ceci se joue lors de postes de nuit (situation particulière puisque l’encadrement est en général absent) ou sur la seconde ligne de production qui a ses propres exigences de performance ; ii) de croiser les points de vue des travailleurs novices avec ceux des expérimentés. Ces nouvelles options mériteraient d’être considérées pour penser et agir sur les questions d’autonomie pour la transmission.

84Toutefois, alors que les travaux scientifiques sur la transmission sont relativement fournis, le parti pris original de ce travail croisant les regards des expérimentés et de l’encadrement pour traiter de la notion « d’autonomie pour la transmission » a ainsi permis d’enrichir les formats d’analyse et les connaissances des processus de transmission. Dans ce cadre, il s’avère que penser la transmission implique nécessairement de penser l’autonomie associée, au-delà de l’autonomie dans le travail, et que l’encadrement doit fournir les ressources (matérielles, humaines ou organisationnelles) nécessaires.

85À partir des résultats obtenus, la discussion revient sur trois points : i) les conditions qui amènent l’encadrement à avoir une perception erronée de l’autonomie des travailleurs ; ii) la manière dont les expérimentés gèrent ou construisent actuellement cette autonomie pour transmettre aux novices et les conséquences associées ; iii) les conditions à considérer et retenir pour soutenir l’autonomie des travailleurs expérimentés pour la transmission.

4.1. Une gestion du travail et des ressources humaines basée sur une perception erronée de l’autonomie des travailleurs

86Actuellement, et plus particulièrement dans les modèles organisationnels basés sur la participation comme le revendique le lean, aucune organisation ne souhaite être totalement prescrite. Elles s’en remettent au contraire au jugement et à la responsabilité des travailleurs pour prendre les décisions appropriées en situation (Perrenoud, 2000 ; de Terssac & Dubois, 1992 ; Ughetto, 2012). Sur la ligne de production étudiée, les résultats montrent que le responsable de production considère donner aux travailleurs l’autonomie nécessaire et suffisante pour qu’ils puissent transmettre leurs savoirs et leur savoir-faire, mais l’analyse de l’activité des LI montre que c’est insuffisant la plupart du temps. En parallèle, les RH, bien que préoccupées par la capitalisation et la valorisation des savoirs des LI les plus expérimentés, ne mettent aucune action en place dans ce domaine. Faute de ressources suffisantes pour traiter de ces enjeux, elles cantonnent leurs actions à la formation et reportent la responsabilité de l’organisation de la transmission sur le responsable de production confiantes par ailleurs que celle-ci « se fait » de manière autonome sur les lignes de production.

87Sur la base des résultats et de la littérature, quatre éléments peuvent être avancés pour comprendre la perception de l’encadrement en matière d’autonomie :

  1. L’éloignement géographique constant des RH de l’activité réelle des LI rend impossible la connaissance des contraintes réelles de l’activité, des préoccupations des travailleurs pour assurer la production telle qu’elle est souhaitée et des difficultés qu’ils éprouvent pour assurer une transmission qu’ils seraient en mesure de considérer comme adéquate. Ceci fait écho à une tendance déjà observée d’éloignement de l’encadrement, ou des fonctions supports, des lieux et enjeux de travail (accaparés notamment par des tâches de suivi d’indicateurs de performance et de reporting), avec des conséquences en termes de limitation du soutien aux opérationnels, d’accroissement de difficultés de santé (e.g. Piney, Gaudart, Nascimento, & Volkoff, 2015) ou d’une méconnaissance des savoirs qui sont engagés pour assurer la production souhaitée (e.g. Cloutier et al., 2012).

  2. Leurs préjugés sur la transmission, déjà documentés dans de précédents travaux (Thébault et al., 2014), amènent l’encadrement à considérer qu’il suffit de dire aux travailleurs expérimentés de transmettre ce qu’ils savent à un novice, qui apprendra d’eux, pour que l’autonomie dont ils disposent soit mobilisée dans ce sens. Comme s’il s’agissait d’un processus « naturel » : on suppose que les travailleurs peuvent organiser leur travail comme ils l’entendent et prendre des décisions sur la façon de transmettre sans qu’il soit nécessaire d’accompagner, de guider ou de fournir des conditions pour que cette autonomie puisse être mobilisée.

  3. L’automatisation de la ligne composée de machines aux multiples fonctionnalités contribue, aux yeux du responsable de la production, à déprécier les savoirs et les savoir-faire des expérimentés, acquis le plus souvent sur d’anciennes lignes de production ; et à considérer, dans une forme de « solutionnisme technologique » (Morozov, 2014), l’autonomie du côté de ses machines automatisées. La littérature montre que ces systèmes techniques cadrent de plus en plus le travail à faire, par les usages qu’ils sous-tendent, et supposent de nouveaux schèmes d’utilisation et de nouvelles connaissances (Bobillier-Chaumon, 2020), rendant potentiellement obsolète une partie des acquis (Bellini, 2007). Les résultats montrent par ailleurs l’importance des enquêtes menées et des astuces élaborées par les LI dans la gestion des défaillances techniques et de la performance sur la ligne de production. Les systèmes intelligents embarqués dans ses machines n’empêchent pas les dysfonctionnements, voire en multiplient les causes sans les rendre accessibles pour leur élucidation. Elles ne sont visiblement pas en capacité de traquer les dérives de densité des couleurs aussi finement que le font les LI. La connaissance des « secrets » de ces machines est de fait stratégique pour régler au plus vite les problèmes qui surviennent et stabiliser la production. Si l’autonomie des travailleurs est réduite, la transmission de « secrets » de conduite et contrôle des machines est en danger. Elle risque de se perdre dans l’histoire proche ou ancienne de cette activité.

  4. L’invisibilité des exigences et des coûts que la transmission peut engendrer pour les travailleurs n’alerte pas l’encadrement distant : en fin de journée, le travail est accompli et de qualité. Pour l’encadrement, l’absence de retard dans la production vérifie que le standard est juste et fonctionne (Bourgeois, 2012). Le but principal de l’entreprise est atteint : la production est garantie, avec le moins de « gaspillage » possible. Toutefois, des études ont montré que la transmission renforce l’activité de production, par le partage de connaissances, le développement de l’expérience et des compétences des novices comme des expérimentés, utile pour la réalisation du travail (Thébault et al., 2014). Cette recherche souligne que le positionnement de l’encadrement, et les types de situations d’autonomie pour la transmission identifiées, ont pourtant un coût notamment pour les expérimentés et des conséquences pour la santé des travailleurs, comme le montrent aussi d’autres travaux (e.g. Bruère, 2013 ; Thébault, 2018).

88Ces quatre raisons constituent un cercle vicieux de travail qui entretient des pratiques où une simple invitation à transmettre est considérée comme une condition suffisante. Une telle logique alimente probablement l’absence d’action des RH en matière de transmission. Toutefois, si le manque de soutien ou de suivi de la transmission et de l’autonomie pour la transmission est lié aux conditions de travail des RH (e.i. petite équipe, indisponibilité), il peut également dépendre de l’absence de définition d’un axe stratégique par la direction de l’entreprise, par méconnaissance des enjeux et des difficultés rencontrées actuellement par les équipes de production.

89L’action de la direction concernant l’avenir de cette fonction pourrait au contraire soutenir une vision portée par un « métier » (Clot, 2011). Dans ce cas, plusieurs questions mériteraient d’être soulevées. Alors qu’il s’agit d’un secteur critique pour l’entreprise, d’une fonction qui nécessite plusieurs années d’apprentissage pour pouvoir être endossée de manière autonome, comment sa pérennité peut-elle être assurée si la transmission est compromise, comme ici ? Sachant qu’aucun métier n’est « sédentaire » (Clot, 2011) et qu’il peut s’éteindre lorsque, entre autres, la transmission est interdite, l’entreprise est-elle prête à prendre le risque de poursuivre sur ce même mode organisationnel aux dépens de la santé de ceux qui transmettent, de l’apprentissage et du développement des novices qui représentent l’avenir de la production ?

90Dans une tentative de sensibilisation à ces questions et de soutien à l’encadrement dans d’éventuelles améliorations des conditions de travail et de transmission, les conséquences des pratiques gestionnaires et des conditions d’organisation du travail sur l’autonomie des expérimentés pour transmettre en situation sont discutées dans un premier temps. Les conditions à construire pour une autonomie favorisant les possibilités de transmission sont présentées également.

4.2. L’autonomie pour la transmission des savoirs et savoir‑faire des expérimentés : une situation en trompe l’œil

91Les résultats montrent que si l’autonomie au travail et l’autonomie pour la transmission partagent quelques conditions (par exemple, la centralité des possibilités de choix et de décision des personnes, ou des systèmes de production), elles se différencient, dans cette étude, notamment par la place que l’encadrement (équipe RH et responsable de production) leur accorde dans l’organisation générale du travail. Ainsi, la logique de pull-flow privilégiée dans cette entreprise n’est pas sans conséquence sur les choix que les travailleurs sont amenés à faire dans le domaine de la transmission et de leur propre santé.

92Bien que le discours de l’encadrement, notamment du responsable de production, aille dans le sens de l’existence d’une autonomie des LI pour transmettre, l’analyse de l’activité des lithographes montre pour partie le contraire. Leur autonomie pour la transmission est : 1) une « autonomie empêchée », définie comme l’impossibilité de faire des choix pour la transmission (e.g. le moment opportun pour inviter le LIA à observer et partager une nouvelle situation ; la manière d’expliquer comment résoudre un problème spécifique, etc.), lorsque les exigences de la production, couplées au sentiment de responsabilité d’un travail de qualité, priment dans l’action ; 2) une « autonomie conditionnelle », caractérisée par la possibilité d’effectuer certains choix, non sans hésitations dans l’action, en fonction d’une part, de ce qui est considéré comme souhaitable et qui contribue au développement de l’activité des LIA et des LI et, d’autres parts, des contraintes liées aux pratiques gestionnaires et aux conditions de travail, limitant les moments de transmission aux interstices de la production (e.g. les interruptions fréquentes au travail dues aux arrêts de machines ; des contraintes déjà documentées dans d’autres études, où ces interruptions provoquent une discontinuité et perturbent le partage ; Chust, Mollo, & Falzon, 2018).

93Alors que la transmission est considérée comme centrale et critique pour l’entreprise, les deux types de situations de l’autonomie amènent à revenir en discussion sur deux points :

  • Les conséquences des pratiques gestionnaires et des conditions d’organisation du travail sur l’autonomie pour la transmission : les contraintes rencontrées dans ce travail (flux tiré de la production, rythme intense, optimisation de la productivité et de la qualité), caractéristiques des modèles de lean manufacturing, induisent des problèmes bien identifiés par la littérature (e.g. Clot, 2008 ; Bertrand & Stimec, 2011 ; de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996). Elles remettent en cause non seulement le pouvoir d’agir des travailleurs, mais aussi leur capacité à faire des choix de transmission appropriés au regard de ce qui serait souhaitable (l’expérimentation par les LIA novices et la possibilité pour les LI de suivre et d’expliquer). Cela contribue également aux problèmes de santé mentionnés par les travailleurs (e.g. problèmes de sommeil, maux de tête, fatigue), qui sont également signalés dans la littérature comme une conséquence d’une perte d’autonomie au travail (e.g. les troubles musculosquelettiques et psychosociaux ; Valeyre, 2006) ;

  • le rôle significatif des LI pour réguler ces pratiques gestionnaires en situation : malgré les contraintes de travail, connues et vécues par ces protagonistes, la littérature souligne que les travailleurs sont capables de développer des marges de manœuvre pour faire face aux enjeux du travail (De La Garza et al., 1998). En l’absence de cadre légitime sur les conditions de la transmission et les attendus portés par l’encadrement (responsable de production et équipe RH), les travailleurs la considèrent comme secondaire, restant essentiellement sur la dimension productive de l’activité. Pris dans le dilemme, qu’alimente le système socio-technique (Arnoud et al., 2018), entre répondre aux besoins de la production, éviter les erreurs ou laisser les nouveaux s’essayer aux tâches, aucun des LI observés n’a fait de la transmission une priorité. Bien qu’ils reconnaissent l’importance de celle-ci, son absence de formalisation et de prise en compte dans l’évaluation de la performance les conduit à donner la priorité à ce qui comporte moins de risques compte tenu des objectifs de production. Ceci rejoint les analyses d’autres travaux (Chust et al., 2018 ; Gaudart et al., 2008 ; Montfort, 2006) réalisés dans des secteurs professionnels variés (industrie manufacturière, bâtiment et travaux publics, commerce). Ils montrent la manière dont les expérimentés sont soumis à un arbitrage permanent entre activités productive et constructive, se traduisant par la difficulté pour les personnes expérimentées à confier le travail à des personnes novices en raison des risques associés.

94Cette interprétation renforce le positionnement de la notion d’autonomie pour la transmission à la croisée des prescriptions gestionnaires (critères de performance, niveau d’encadrement), du système de production et des conditions d’organisation du travail (de Terssac, 2012 ; de Terssac & Maggi, 1996). Ajoutons à cela la question de l’« empêchement » à l’exercée de l’autonomie. Un empêchement qui se positionne à deux niveaux : i) des RH, qui n’ont pas les ressources suffisantes ni le soutien de la direction de l’entreprise pour en faire un projet prioritaire ; ii) des LI et LIA, en conséquence des actions qu’ils entreprennent pour répondre aux exigences de la production. Un empêchement « invisible » dans les deux cas du fait d’une méconnaissance mutuelle des conditions effectives de transmission actuelle et des difficultés rencontrées. Un empêchement renforcé par l’approche techno-centrée du responsable de production qui minimise les enjeux de transmission depuis l’automatisation de la ligne de production.

95Il s’agit donc d’une autonomie pour la transmission « en trompe-l’œil », parce que l’encadrement reporte la responsabilité de la transmission sur d’autres, sans en vérifier son effectivité ; parce que l’automatisation, loin de réduire les enjeux de transmission, suppose au contraire des expérimentés qu’ils soient en capacité de mettre au jour et d’expliciter les « secrets » des systèmes automatisés au-delà des savoirs et savoir-faire techniques de la lithographie ; parce que l’organisation en flux tiré par les commandes des clients intensifie le travail tout en maintenant les exigences de qualité, réduisant d’autant les possibilités de programmation de plages favorables à la transmission au regard des « situations potentielles de développement » (Mayen, 1999) qu’elles offriraient. Laissés seuls aux prises avec ce dilemme, entre exigences de production et attendus informels en termes de transmission, les travailleurs expérimentés construisent une autonomie relative dès qu’ils jugent la transmission possible, parfois aux dépens de leur santé. À l’image du « trompe-l’œil », ceci donne l’illusion à l’équipe RH que le responsable de la production fournit aux LI et LIA les conditions nécessaires pour la transmission, et au responsable de production, que les travailleurs expérimentés ont les ressources nécessaires pour mener cette mission.

96Bien que l’étude se soit concentrée sur le point de vue de l’expérimenté et, en complément, de l’encadrement, il est important de ne pas oublier ceux qui composent le binôme avec les LI – les novices (LIA). Ainsi, le travail en coprésence des expérimentés (LI) et des novices (LIA) permet au LIA d’observer ce que fait son collègue, ce qui est potentiellement une manière d’apprendre. Toutefois, compte tenu du niveau de concentration exigé par les tâches de contrôle les LIA privilégient le travail en silence, et l’observation n’est qu’à de rares moments accompagnées de commentaires du LI ou d’échanges entre LIA et LI. Dans ces conditions, l’apprentissage est compromis, en demeurant lacunaire, incidentel, et sans accompagnement (Pastré et al., 2006). Ce « mode » d’apprentissage offre peu d’occasions de consolidation des savoirs acquis, ce qui entrave la possibilité pour qui apprend d’atteindre certains niveaux de maîtrise des tâches, et devient critique pour le développement d’une autonomie des novices au travail. Le risque est fort de conduire à des abandons de l’entreprise par rupture de contrat (Chust et al., 2018). De manière complémentaire, la faible contribution des LIA à la résolution d’événements inattendus (e.g. des problèmes inhabituels sur les machines), par observation ou expérimentation entrave les possibilités d’apprentissage (Laberge, Calvet, Fredette, Tabet, Tondoux et al., 2016).

97La réflexion soulevée ici quant aux difficultés de construire et mobiliser une autonomie pour la transmission peut être révélatrice du risque de perte de savoirs et de savoir-faire stratégiques (aujourd’hui méconnus de l’encadrement) pour la conduite des lignes de production, automatisées ou non. Si aucune amélioration n’est apportée, les conséquences sur le temps d’apprentissage de la fonction (actuellement estimé à 5 ans) pourraient contribuer à une perte de partage de savoirs stratégiques mettant en péril la possibilité d’un travail bien fait.

4.3. Vers des conditions favorables à l’autonomie pour la transmission

98Comme dans d’autres situations professionnelles caractérisées par la mise en place de systèmes automatisés, l’activité de travail des LI et LIA ne fait pas vraiment l’objet d’une conceptualisation, d’une réflexion, et les exigences et les problèmes qui peuvent émerger dans l’exécution de ce travail ne sont pas envisagés (Ughetto, 2012). Ce manque de conscience et de réflexion sur le travail – existant avant les sessions de restitution des travaux au responsable de département et aux RH – a été le moteur de la conception d’un processus de fabrication centré essentiellement sur la production et la réalisation des objectifs de productivité et de qualité, en considérant puisqu’il « fournit » suffisamment d’autonomie aux travailleurs.

99La restitution des analyses a été essentielle pour une première prise de conscience de la part de l’ensemble des protagonistes et pour leur compréhension de la nécessité de créer des conditions d’autonomie favorables à la transmission. Si le responsable de la production d’envisage aucune piste en la matière, l’équipe RH en a formulé certaines (e.g. les rôles respectifs du LI et LIA pour apprendre sur la ligne de production). Ces pistes constituent une première étape importante de réflexion de l’encadrement, mais leur mise en œuvre (ou même l’analyse de leur pertinence et faisabilité) impliquera nécessairement de prendre en compte l’activité des lithographes pour assurer une adaptation des idées à la réalité du travail sur les lignes de production (Béguin, 2007). En ce sens, des travaux montrent l’importance de créer des moments de débat sur le travail (e.g. Chust et al., 2018 ; Rocha, Mollo, & Daniellou, 2017) en parallèle d’une analyse fine de l’activité du travail telle qu’elle a pu être effectuée ici. Ces débats seraient fondamentaux : i) pour favoriser l’autonomie pour la transmission, étant donné que l’encadrement a une méconnaissance de la transmission et des contraintes d’autonomie sur les lignes de production ; ii) pour garantir une discussion ajustée face aux pistes de transformation déjà identifiées. En ce sens certaines questions peuvent dès à présent être anticipées au vu des pistes identifiées par l’équipe de RH. Elles relèvent à la fois des conditions nécessaires à la conduite d’un tel projet de conception (Barcellini, Van Belleghem, & Daniellou, 2013) et de l’évaluation des registres de pertinence interne et réciproque du dispositif socio-technique ainsi conçu (Delgoulet, 2020 ; Vidal-Gomel & Delgoulet, 2022) pour favoriser l’autonomie des expérimentés dans la transmission en situation de travail. Il s’agirait notamment, en parallèle d’une documentation enrichie de la bibliothèque de situations d’action caractéristique de transmission qui a pu être réalisée ici (e.i. situations d’autonomie empêchée ou conditionnée), de questionner la diversité des acteurs à impliquer dans un tel projet (direction, équipe RH, service des méthodes de production, salariés, etc.), les niveaux d’action possible (politique de recrutement et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, modèle d’organisation du travail, formation des tuteurs, etc.), les modalités d’articulation des contraintes et ressources aujourd’hui contradictoires pour éviter les dilemmes, ou encore les savoirs et savoir-faire effectifs des lithographes, actuellement méconnus, pour travailler en autonomie sur les lignes de production.

100Autant de points incontournables à prendre en compte pour contribuer à la mise en place de conditions propices à l’autonomie des travailleurs expérimentés pour la transmission.

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Notes

1 Pour faciliter la lisibilité des chroniques dans la figure 2, un format standard a été retenu indépendamment de la durée de chacune d’elle. Les durées effectives (en heure et minutes) et relatives (en pourcentage) sont toutefois mentionnées sur chaque graphique.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Caractérisation des travailleurs des lignes de production, en termes d’effectifs, âge, ancienneté dans la fonction, et d’expérience professionnelle utile pour la transmission.  Table 1: Characterization of production line workers, in terms of numbers, age, seniority, and professional experience useful for transmission
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-1.png
Fichier image/png, 193k
Titre Tableau 2 : Synthèse d’ensemble des méthodes de collecte et de traitement de données selon les étapes et objectifs de la collecte.  Table 2: Synthesis of data collection and treatment methods according to the stages and objectives of the data collection
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-2.png
Fichier image/png, 251k
Titre Figure 1 : Processus effectif de travail en Lithographie en quatre blocs.  Figure 1: Effective work process in Lithography in four blocks
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-3.png
Fichier image/png, 85k
Titre Figure 2 : Illustration de six chroniques d’enchainement effectif des blocs de tâches de préparation et d’impression sur deux matinées de travail : matin 1, caractérisé par 4 petites commandes ; matin 2, caractérisé par 2 grandes commandes.  Figure 2: Illustration of six chronicles of effective sequencing of the preparation and printing task blocks over two working mornings: morning 1, involving 4 small orders; morning 2, involving 2 large orders
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-4.png
Fichier image/png, 123k
Titre Figure 3 : Illustration de l’autonomie conditionnelle : chronique d’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 6 000 feuilles.  Figure 3: Illustration of conditional autonomy: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing for the realization of an order for 6 000 metal sheets
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-5.png
Fichier image/png, 163k
Titre Figure 4 : Illustration de l’autonomie empêchée : chronique de l’activité d’un binôme LI et LIA travaillant sur une commande de 310 feuilles.  Figure 4: Illustration of the autonomy prevented: chronicle of the activity of an LI and LIA pairing in the realization of an order for 310 metal sheets
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-6.png
Fichier image/png, 202k
Titre Tableau 3 : Positionnement de l’encadrement (équipe RH ou responsable de production) selon quatre thèmes abordés lors des réunions dédiées à la transmission sur les lignes de production.  Table 3: Positioning of the management team (RH team or production manager) regarding the four topics discussed in the meetings in relation to transmission in the production lines
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/8261/img-7.png
Fichier image/png, 1,5M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Cláudia Pereira, Catherine Delgoulet et Marta Santos, « Enjeux d’autonomie pour la transmission des savoirs et savoir‑faire des travailleurs expérimentés de l’industrie manufacturière »Activités [En ligne], 20-1 | 2023, mis en ligne le 15 avril 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/8261 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/activites.8261

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Auteurs

Cláudia Pereira

Centre de Psychologie de l’Université de Porto, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université de Porto, Rua Alfredo Allen, 4200‑135 Porto, Portugal – cpereira@fpce.up.pt

Catherine Delgoulet

Conservatoire National des Arts et Métiers, 41 Rue Gay Lussac, 75005 Paris – catherine.delgoulet@lecnam.net

Articles du même auteur

Marta Santos

Centre de Psychologie de l’Université de Porto, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université de Porto, Rua Alfredo Allen, 4200‑135 Porto, Portugal – marta@fpce.up.pt

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