1Simon Flandin, Christine Vidal-Gomez et Raquel Becerril-Ortega mènent tous trois des travaux de recherche à partir des cadres théoriques et méthodologiques de l’Ergonomie de langue française pour la conception de formations pour les professionnels. Avec cet ouvrage, ils s’intéressent à la formation par la simulation et illustrent la contribution de l’analyse de l’activité et de l’expérience à la conception de ces formations. Pour les éditeurs, la formation par la simulation est un moyen largement plébiscité pour atteindre rapidement des objectifs d’apprentissage très spécifiques dans un délai court, et ce dans un contexte de demande croissante de formation à des « compétences non techniques, transverses, personnelles (e.g. leadership, communication, gestion du stress…) » (p. 2, notre traduction). Cependant, bien souvent ces programmes de formation par la simulation n’obtiennent pas de résultats mesurables, satisfaisants sur le long terme. Les éditeurs évoquent la complexité des facteurs humains liés à la performance qui auraient tendance à être dissous dans des compétences désincarnées du travail. Ils insistent sur l’importance de l’ancrage situationnel pour éviter que les compétences développées dans la formation soient inutilisables.
2L’ambition de cet ouvrage est de montrer que la formation par la simulation a beaucoup à offrir dans « une approche pour des expérimentations situées, incarnées et incorporées » (p. 3, notre traduction). L’ouvrage propose ainsi une vue détaillée des différentes façons dont l’analyse de l’expérience et de l’activité dans le contexte de la formation par simulation (1) aide à identifier les potentialités et les obstacles dans l’apprentissage, (2) permet une description détaillée des processus d’apprentissage et des résultats afférents, (3) aide à cibler des orientations prometteuses en matière de conception de formations professionnelles basées sur la simulation, et (4) contribue à la compréhension globale de l’apprentissage professionnel basé sur la pratique.
3L’ouvrage est constitué d’un chapitre introductif et de trois grandes parties. Les deux premières parties comprennent chacune 6 chapitres. La troisième partie comprend 2 chapitres.
4Dans le chapitre introductif, Simon Flandin, Christine Vidal-Gomez et Raquel Becerril-Ortega posent l’expérience et l’activité comme des objets intéressants pour étudier les processus d’apprentissage et de développement des apprenants et pour en déduire des principes de conception robustes de formations par la simulation. Ils montrent comment cette approche est capable d’intégrer des expériences pratiques authentiques, incarnées et incorporées dans des contextes d’apprentissage liés au domaine, mais aussi dans des contextes plus transversaux. Ils fournissent des concepts clés guidant les lecteurs dans la compréhension de la façon dont les processus d’apprentissage et de développement améliorés par la simulation peuvent être utilisés.
5La première partie de l’ouvrage « Expérience and Activity-Based Conceptualizations of Simulation Design and Outcomes » contribue à la compréhension des activités de conception des simulations et des résultats correspondants (des gestes techniques très spécifiques aux dispositions larges et multidimensionnelles).
6Dans le chapitre 1 de la partie I (chapitre 2 de l’ouvrage), Lucile Vadcard questionne, dans le cas de l’apprentissage des gestes techniques en santé, la pertinence des approches de développement de simulations orientées par la recherche de réalisme, i.e. la fidélité par rapport aux situations réelles. En s’appuyant sur l’approche de la didactique professionnelle, l’auteure prône une conception de l’environnement d’apprentissage centrée sur l’interaction entre les apprenants et le simulateur plutôt que sur le réalisme de ce dernier. En effet, pour Pastré (2006) les situations d’apprentissage sont très différentes des situations de travail, passant d’une relation de subordination productive à une relation constructive. L’apprentissage ne doit alors pas être défini selon la situation de travail, mais selon les interactions entre l’apprenant et la situation. À travers deux exemples de conception d’environnements de simulation dédiés à l’apprentissage de gestes aveugles en orthopédie et en maïeutique, elle introduit les notions de conflit et de contradiction comme leviers fructueux pour l’apprentissage. Par exemple, en orthopédie, si une broche est placée trop haute sur une radiographie, les apprenants vont la placer plus bas dans le corps. Cependant, en raison des liens complexes entre la position du corps et les projections radiologiques, la broche peut paraitre plus haute sur la radiographie qu’en réalité. Un logiciel proposant une expérience d’apprentissage fournissant aux internes la preuve de cette contradiction et donnant le temps d’explorer ces liens complexes aux internes montre son intérêt.
7Le chapitre 2 de la partie I (chapitre 3 de l’ouvrage) traite de la formation par la simulation de crise pour améliorer la préparation à la sécurité civile. Simon Flandin fait le constat que la gestion de crise peut difficilement être enseignée à l’oral. Il s’interroge sur les conditions permettant néanmoins d’en faire un objet pertinent d’apprentissage et de développement en s’appuyant sur une conception énactive de la cognition et de l’activité humaine. « L’activité est caractérisée par une dynamique indéterminée qui ne peut être conceptualisée comme le suivi de règles, et la cognition n’est pas une représentation d’un monde prédéterminé par un esprit prédéterminé. C’est plutôt l’énaction d’un monde et d’une conscience basée sur l’histoire de leurs relations, c’est-à-dire l’histoire des actions et des expériences vécues par l’acteur (Varela, Thompson, & Rosch, 1991) » (p. 47, notre traduction). Il s’intéresse ainsi à la conception de simulations ne visant pas à transmettre des connaissances présumées pertinentes pour les situations cibles, mais à développer « la capacité d’interpréter et de (ré)agir dans des situations hautement stressantes, complexes et indéterminées » (p. 44, notre traduction). À travers l’analyse d’un programme de formation par la simulation à la gestion de crise, l’objectif de Simon Flandin est d’analyser les facteurs qui contribuent à rebondir après une perturbation importante, ceci pour acquérir de la connaissance scientifique et pour en tirer des principes solides pour de nouvelles pistes de conception d’environnements de simulation pertinents. Les méthodes de l’ergonomie sont utilisées pour documenter et analyser le vécu et les actions des acteurs de la protection, du sauvetage et des soins, ainsi que des décideurs, lors de deux simulations de crise dans des postes de commandement opérationnels. Les résultats sont développés en quatre axes : (i) énaction-reénaction, (ii) curriculum-découverte, (iii) perturbation-réassurance, et (iv) confiance-méfiance. Par exemple, Simon Flandin montre que les épisodes de reénaction sont des représentations d’événements passés dans lesquels le présent et le passé coexistent sur la base d’une ressemblance du point de vue de l’expérience vécue. Cette relation immédiate peut constituer un puissant vecteur de reconfiguration de la relation entretenue entre le participant et l’événement significatif à l’origine du processus.
8Le chapitre 3 de la partie I (chapitre 4 de l’ouvrage) vise à contribuer à une réflexion globale sur les relations entre les cadres théoriques et les principes de conception des programmes de formation par simulation en analysant les liens entre la façon dont l’apprentissage est conceptualisé et la façon dont les programmes sont mis en œuvre. Les théories de l’apprentissage circonscrivent les phénomènes examinés et ont un impact important sur les méthodes, l’analyse des données et l’interprétation des résultats. Zoya Horcik analyse les racines théoriques des approches de la cognition située, par définition fortement liées à la formation par simulation, et s’interroge sur leur traduction en principes de conception pour les sessions de formation par simulation. Dans un objectif d’aller au-delà des principes de conception fréquemment utilisés pour les environnements de simulation pour l’apprentissage, elle dégage trois points d’attention. Le premier concerne les scénarios basés sur des situations et des pratiques réelles. Le second concerne la relation avec la situation d’apprentissage en tant que fournisseur d’affordances, d’ancrages pertinents pour le participant. Le troisième point est le transfert des connaissances acquises au sein d’une communauté de pratique vers un individu et de l’individu à sa pratique quotidienne.
9Le chapitre 4 de la partie I (chapitre 5 de l’ouvrage) ouvre des perspectives pour placer le métier au cœur des simulations pour la formation professionnelle. Il présente l’analyse d’une simulation de jeu de rôle destinée à former les soignants au « geste de toucher relationnel », c’est-à-dire une séquence de gestes pratiqués lors des soins censés procurer au patient un moment de détente et de bien-être. Plus qu’une simple technique, le geste de toucher relationnel est un véritable acte de soin personnalisé et une activité multidimensionnelle. Christine Vidal-Gomel intègre ces caractéristiques dans la conception d’une formation, notamment dans une simulation de jeu de rôle. Les différentes dimensions du toucher relationnel que les apprenants expérimentent dans la situation de simulation sont présentées (par exemple, l’importance de la continuité du contact avec le patient) ainsi que les ressources dans la simulation pour les apprenants pour redécouvrir le sens et la valeur qu’ils attribuent à leur travail. Les résultats offrent l’occasion de discuter de la validité psychologique des simulations, en tenant compte des possibilités de médiation qu’elles offrent. Ils montrent que cette simulation mobilise le sens collectif que les formés donnent à leur métier et la ressource partagée qu’est l’histoire trans-personnelle, qui peut être utilisée dans la conception de simulations, offrant ainsi des médiations trans-personnelles.
10Dans le chapitre 5 de la partie I (chapitre 6 de l’ouvrage), Raquel Becerril-Ortega et collaborateurs présentent la conception d’un outil de simulation numérique pour la formation des soignants en gériatrie, en allant de l’identification des besoins de formation à l’analyse de la simulation produite par les participants à partir d’un scénario de démonstration. Les auteurs identifient un manque de stratégies formelles pour une communication appropriée avec les patients atteints de maladie d’Alzheimer. Ils montrent que cela suppose de la part des soignants de mettre en pratique un ensemble de compétences variées et que les différentes stratégies peuvent varier en fonction de la situation et dépendent de l’objectif de l’interaction. En s’appuyant sur une analyse du travail des soignants à l’hôpital, ils identifient 20 situations critiques sur la base desquelles des scénarios de simulation sont créés. Pour une première évaluation du prototype, un premier scénario est testé avec onze volontaires. Les stratégies de communication mobilisées par les participants sont analysées pour alimenter dans un processus continu de conception une version 2 du prototype de formation.
11Le chapitre 6 de la partie I (chapitre 7 de l’ouvrage) présente un travail en cours sur l’utilisation d’une méthode dite d’« ergo-scénarisation » reposant sur l’argument selon lequel la conception de scénarios d’apprentissage doit être soutenue par des analyses ergonomiques et didactiques du travail. Les scénarios doivent présenter un (ou plusieurs) « parcours » d’apprentissage que le formé doit suivre pour acquérir la connaissance des procédures et des règles. Cette stratégie doit permettre de surmonter le problème de la diversité et de la variabilité des situations de travail réelles. Les auteurs, Vincent Boccara, Renaud Delmas et Françoise Darses, présentent le processus d’élaboration des scénarios, divisé en trois étapes. Une première étape est l’identification des objectifs de conception du nouvel outil en collaboration avec tous les acteurs (commanditaires, concepteurs, utilisateurs). La deuxième étape concerne l’identification des situations de référence en matière de production et de formation à travers une analyse du travail attendu des apprenants et une analyse des fondements et mises en œuvre des formations existantes du point de vue des formateurs et des formés. La troisième et dernière étape vise au développement des scénarios qui seront utilisés pour simuler des situations de travail afin de permettre à l’apprenant de développer des compétences professionnelles. Les auteurs illustrent la démarche suivie dans le cadre du projet VICTEAM et présentent plusieurs objets intermédiaires utilisés aux trois niveaux de l’approche d’« ergo-scénarisation », les niveaux macroscopique, mésoscopique et microscopique.
12La deuxième partie est intitulée « Empirical Lessons from Expérience and Activity-Based Approaches to Simulation Training ». Elle rassemble six études empiriques examinant l’activité et l’expérience des professionnels à travers l’étude du travail tel qu’il est réalisé dans les programmes de formation par simulation. Elle alimente le champ de la simulation par des résultats originaux sur l’engagement et la performance des professionnels dans la formation par simulation et propose des principes de conception pertinents pour la simulation.
13Le chapitre 1 de la partie II (chapitre 8 de l’ouvrage) propose plusieurs pistes pour améliorer la pertinence des formations par simulation et, plus largement, envisager une formation par simulation visant à développer les activités de gestion des risques chez les premiers intervenants dans des situations de crise exceptionnelle. Laurie-Anna Dubois, Sylvie Vandestrate et Agnès Van Daele s’appuient sur l’étude d’une formation par simulation d’équipes spécialisées de pompiers : les équipes d’extraction de blessés en charge de secourir les victimes, notamment lors de crises post-attentats. Elles s’intéressent aux caractéristiques des situations de crise liées aux exigences d’adaptation auxquelles l’activité de gestion des risques des intervenants doit répondre pour être efficace. Pour les auteures, toutes les situations de crise auxquelles les pompiers peuvent être confrontés ne sont pas toutes caractérisées par les mêmes exigences d’adaptation. Certaines crises, comme les crises post-attentats dont il est question ici – et qui peuvent être qualifiées d’exceptionnelles – renvoient à des besoins d’adaptation qui ne peuvent pas tous être satisfaits dans la gestion d’interventions de routine ou de catastrophes de grande ampleur. En effet, ces crises dites exceptionnelles présentent des caractéristiques qui peuvent entraver le développement de la sécurité en action (de Terssac & Gaillard, 2009) sur le lieu de travail. Cela signifie qu’il n’y a pas similitude dans l’activité de gestion des risques dans ces différents types de situations. Ce chapitre aborde également la gestion de crise comme un cas limite de gestion de situation dynamique, permettant d’analyser d’une part, les invariants en termes de mécanismes cognitifs, sous-jacents à l’activité de gestion des risques dans cette classe de situations, et d’autre part, la variabilité nécessaire liée aux processus d’adaptation requis en fonction de la situation.
14Le chapitre 2 de la partie II (chapitre 9) cible la construction du sens d’une l’équipe de pompiers à travers l’articulation des activités individuelles dans une situation de simulation et en tire les conséquences pour suggérer des pistes d’amélioration pour la conception de simulations pour la formation. Cyril Bossard, Magali Prost, Yohann Cardin et Gilles Kermarrec s’appuient sur le cadre de la Naturalistic Decision Making et les travaux de Klein, Wiggins et Dominguez (2010) pour mettre en évidence les (im)possibilités d’interaction interindividuelle créées tout au long d’une situation de formation. L’étude met en évidence l’influence de la configuration fonctionnelle (mission de chaque agent) et spatiale (position de chaque agent) de l’équipe sur le sensemaking de l’équipe lors d’une manœuvre. Au sein de l’équipe, deux niveaux de compréhension de la situation (macroscopique et microscopique) coexistent avec des formes de coordination locales et typiques impliquant tout ou parties de l’équipe. Il en résulte que le sensemaking de l’équipe apparaît comme un enchaînement de cycles de sensemaking locaux dans lesquels le chef d’équipe est le coordinateur.
15Les auteurs du chapitre 3 de la partie II (chapitre 10) s’intéressent à la conduite des débriefings dans un contexte de formation par la simulation et explorent la méthode SEBE (Subjective Evidence-Based Ethnography) (Lahlou, 2011 ; Lahlou, Le Bellu, & Boesen-Mariani, 2015) comme alternative aux approches classiques de débriefing pour des débriefings à grande échelle permettant une réflexion efficace des apprenants. La méthode SEBE est une méthode de recherche basée sur l’observation et l’analyse structurée de la propre expérience de l’apprenant à travers le prisme de la théorie de l’activité. En s’appuyant sur une analyse de l’expérience de policiers en formation au Collège universitaire de la police norvégienne, Sophie Le Bellu et collaborateurs montrent que la technique de l’entretien en replay (les apprenants regardent leurs propres séquences vidéo et commentent dans le cadre d’un entretien structuré) orientée par les objectifs permet une réflexivité différente et plus approfondie des apprenants comparée à un débriefing classique. C’est a priori la première fois qu’une méthode de recherche qualitative avec un niveau de description fin des processus techniques et/ou cognitifs est déployée en peu de temps sur d’importantes cohortes. Cette intervention SEBE a le potentiel de permettre aux éducateurs professionnels de former rapidement de grandes cohortes au cours d’exercices de simulation en offrant une forme de réflexivité qualitativement différente aux apprenants.
16Dans le chapitre 4 de la partie II (chapitre 11), Rachel Boembeke, Laurane De Carvalho et Germain Poizat posent la question de savoir si la formation par la simulation aide les formés à donner un sens à l’expérience professionnelle initiale et comment l’expérience vécue par simulation peut résonner avec les pratiques professionnelles réelles dans le cadre de la formation des policiers au recours à la force. Menée dans le cadre théorique et méthodologique du cours d’action, l’étude présentée permet (a) d’identifier les dimensions typiques de l’activité et de l’expérience vécue des formés pendant les scénarios simulés, (b) d’informer les opportunités d’apprentissage, et les connaissances situées mobilisées et construites pendant les scénarios simulés, (c) de documenter comment l’expérience vécue en simulation résonne avec les pratiques du travail réel, et (d) de documenter l’expérience et le déroulement de l’inattendu pendant les scénarios simulés. Les auteurs en tirent les implications pratiques pour la conception de la formation à l’utilisation de la force et de la formation par la simulation. Ils incitent à un changement profond des théories d’apprentissage/de formation qui sous-tendent la formation par la simulation pour se tourner vers une conception axée sur le développement et l’autonomisation, i.e. non plus des objectifs de succès de l’action, mais de développement et d’autonomisation des apprenants. Ils insistent d’autre part sur l’importance de s’interroger sur la manière dont la conception de la formation induit l’imprévu ou l’impensé, ainsi que sur le degré de perturbation « recherché ou souhaitable ». Selon eux, se demander ce qui fait sens pour l’acteur dans la simulation doit également être une priorité. Enfin, les auteurs encouragent la construction de scénarios dans une conception participative par les apprenants pour leur permettre d’explorer les contraintes de l’environnement, d’élargir l’éventail des possibilités et de remettre en question certains modes consensuels de compréhension et d’actions coordonnées.
17Les auteurs du chapitre 5 de la partie II (chapitre 12) s’intéressent aux formations dont l’objectif est de préparer les professionnels à faire face à l’inconnu, à l’inattendu, voire à l’insupportable. Les travaux sont ancrés dans une conception énactive de l’activité (Durand & Poizat, 2015 ; Theureau, 2003) et se focalisent sur les apprentissages vécus par les élèves-officiers alors qu’ils sont engagés dans des espaces d’action qui ne favorisent pas leur activité, mais au contraire l’entravent : le stage de durcissement. L’objectif de ce type de stage est de faire vivre à ces élèves officiers des situations simulées de sur-stress physique, émotionnel et psychologique, présentant des similitudes avec leur future vie professionnelle. Henri De Bisschop et Serge Leblanc analysent alors les modes d’engagement des apprenants dans leurs apprentissages du commandement au sein d’environnements aversifs pour mieux comprendre comment, au sein d’un tel dispositif de simulation, les élèves officiers expérimentent leur capacité à maintenir les dispositions à agir des individus. Ils montrent qu’à côté des formes connues d’engagement exécutoire (exécution des tâches) et exploratoire (recherche d’informations), apparaît un mode d’engagement « conservatoire » dont l’objectif est de préserver les conditions nécessaires aux modes d’activité exécutoire et exploratoire. Les élèves-officiers sont alors préoccupés par la préservation des conditions d’une action immédiate et future. Il s’agit pour eux de préserver les capacités physiques et psychologiques, tant individuelles que collectives, de ceux qui se trouvent sous leur commandement.
18Le chapitre 6 de la partie II (chapitre 13) focalise sur la formation par simulation médicale appelée « compétences de communication » dans laquelle les médecins sont entrainés à délivrer des diagnostics difficiles aux patients (qui sont des enfants) et à leurs familles (en particulier les parents). Ce chapitre propose des pistes d’exploration de modèles de simulation qui intègreraient les dimensions sensibles des activités de soins dans les scénarios ou dans les rappels du formateur. Basés sur l’observation de 16 cas de simulation et plus particulièrement sur l’analyse des débriefings après les simulations, l’expérience vécue par les participants pendant la simulation et le lien avec leur vie professionnelle sont analysés. Élodie Ciccone et collaborateurs montrent une grande variabilité dans la manière dont les participants racontent et partagent leurs expériences de simulation. Les auteurs proposent de nouvelles pistes pour la formation à la communication. En considérant tous les types d’activité (soins, patient et famille, soi et les autres) et la manière dont ils interagissent dans les situations de travail, il est possible de s’assurer que les dimensions critiques de l’activité ne soient pas négligées. En effet, si les soins constituent l’objectif principal et le plus visible de l’activité, d’autres types d’activité associés aux soins font également partie de l’expérience des soignants. En d’autres termes, l’activité des soignants ne consiste pas seulement à faire ce qu’on leur demande de faire (les soins) ; il s’agit aussi de négocier différents objectifs de travail. Une façon d’améliorer les moyens de formation en simulation est donc de se concentrer sur les moyens de parvenir à cet équilibre.
19La troisième partie « Promising Avenues for Simulation Training Design and Research » est une discussion prospective et un prolongement des chapitres précédents. Les auteures, Janine Rogalski et Eliana Escudero, ont été invitées à réagir aux chapitres, à exposer des points de vue complémentaires et/ou à établir des liens entre le contenu de l’ouvrage et ses implications pour la recherche et la conception de formations par simulation.
20Dans le chapitre 1 de cette troisième partie (chapitre 14 de l’ouvrage), Janine Rogalski met l’accent sur les spécificités des situations de soins pour la conception de simulations pour la formation. Les soins sont considérés comme un cas particulier de gestion dynamique, où l’activité est orientée vers d’autres sujets humains et est également distribuée dans des dimensions temporelles et organisationnelles. Le modèle de Leplat de « double régulation de l’activité » (1981) est utilisé comme cadre de référence. Il est étendu au-delà de l’accent initial mis sur l’activité individuelle et prend en compte les différentes temporalités des actions des soignants. Les trois niveaux de fonctionnement de Rasmussen (1983) sont également pris en compte dans l’analyse pour transposer les dimensions liées aux soins des situations d’action aux situations de formation par simulation. Janine Rogalski met en évidence plusieurs défis pour la conception de ces formations : au-delà de la construction de représentations empathiques de l’autre qui est l’objet même du soin, ces défis concernent l’acquisition d’une flexibilité dans les niveaux de fonctionnement des soignants, à la fois pour s’adapter à leur patient et pour préserver leur propre santé.
21Dans le chapitre 2 de cette partie III (chapitre 15 de l’ouvrage), Eliana Escudero s’intéresse aux simulations pour l’amélioration de la performance des équipes cliniques et la prévention des erreurs médicales. Elle fait un historique rapide de la formation par la simulation dans le domaine médical. Elle insiste sur le rôle du formateur et le besoin de changer les modèles classiques pour des formateurs qui réfléchissent constamment à leur propre pratique éducative et sont des facilitateurs permettant aux apprenants de faire des erreurs et les aidant à s’améliorer et à construire leurs résultats d’apprentissage. Eliana Escudero pousse enfin à poursuivre les recherches sur l’impact des programmes basés sur la CRM (Crisis Resource Management) sur l’organisation et la sécurité des patients. Elle défend l’idée que la simulation apporte des réponses à de nombreux objectifs différents, et que les professionnels doivent se former pour utiliser au mieux ce puissant outil pédagogique à travers différentes modalités qui permettent d’en d’exploiter ses forces.
22Cet ouvrage apporte une réelle contribution à la réflexion sur les cadres théoriques et méthodologiques pour la conception de formations par la simulation, avec un réel apport de connaissances scientifiques en la matière et un réel impact pratique pour la conception. Il pose un point de vigilance spécifique sur les cadres théoriques et méthodologiques utilisés en soulignant l’impact de ces cadres sur les choix de conception. Il insiste ainsi sur la nécessité de clarifier les liens entre l’analyse de l’activité et l’expérience et les choix de conception à la lumière de ces cadres de référence. À travers plusieurs exemples de recherches menées dans le cadre de programmes de simulation, il insiste sur l’expérience vécue par la simulation comme objet pertinent d’apprentissage et de développement. Il montre l’intérêt pour la conception de formation par la simulation de (1) privilégier l’interaction apprenant-simulateur dans une relation constructive plutôt que de strictement définir l’apprentissage selon la situation de travail, (2) de fixer des objectifs de développement et d’autonomisation en pensant la formation dans l’objectif de développer la capacité d’analyser et d’agir plutôt que de transmettre des connaissances pertinentes prédéterminées, (3) d’intégrer dans la démarche de conception ce qui fait sens pour les acteurs de la simulation, par exemple en adoptant une conception participative des scénarios d’apprentissage, objets clés dans la démarche de conception, et (4) enfin de s’intéresser au sens de l’équipe mobilisé lors des expériences d’apprentissage.