Navigation – Plan du site

AccueilNuméros18-2Espace et temps de l’activitéUne perspective située pour pense...

Espace et temps de l’activité

Une perspective située pour penser l’appropriation des espaces de travail « par activités »

Understanding the appropriation of activity-based workplaces throughout a situated perspective
Chiara Lai, Maria Ianeva, Marc-Éric Bobillier Chaumon et Audrey Abitan

Résumés

De plus en plus d’entreprises adoptent des formes organisationnelles flexibles, notamment à travers la mise en place d’aménagements spatiaux dits « par activités » (activity-based workspaces), qui proposent une adéquation entre l’espace et le type d’activité des travailleurs. Nous cherchons à comprendre la manière dont ces espaces et leurs caractéristiques fonctionnelles sont appropriés et intégrés dans les pratiques de leurs utilisateurs en nous appuyant sur des approches basées sur la cognition située et l’acceptation située. Notre étude s’inscrit au sein d’une filiale d’un groupe énergétique français qui a mandaté une société de conseil en immobilier pour concevoir et accompagner leur emménagement en environnement « flexible, par activités ». Notre méthodologie s’appuie sur trois journées d’observations réalisées au sein de leurs espaces de travail et de sept entretiens explicitants. Nos résultats mettent en évidence la manière dont les règles inhérentes au fonctionnement de ces espaces sont comprises et intégrées dans les pratiques des acteurs, mais aussi la manière dont ces derniers les remodèlent, les reconfigurent pour les rendre pertinentes pour leur action. Cette étude montre l’importance de fournir une compréhension plus étayée de la manière dont l’usage des espaces de travail par activités impacte et module le lien des acteurs à leur propre activité.

Haut de page

Plan

Haut de page

Notes de la rédaction

Article soumis le 18/09/2020, accepté le 28/05/2021

Texte intégral

1. Introduction

1Le développement et la diffusion massive dans les entreprises des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont entraîné et accéléré dans les fonctions tertiaires la dématérialisation des activités et des échanges. Afin de répondre à ces nouveaux enjeux, les entreprises reconsidèrent leur organisation et se tournent vers des modèles d’organisation dits libérés (Rousseau & Ruffier, 2017) qui prônent des approches plus participatives, ouvertes et créatives, tout en valorisant l’autonomie, la confiance et la communication chez les travailleurs (Ianeva, Ciobanu, & Lai, 2021).

  • 1 Le taux de partage correspond au ratio entre le nombre de postes de travail disponibles et le nom (...)

2Dans cet objectif de se libérer des contraintes d’espace et de temps et de développer le travail « anytime, anyplace, anyhow » (Humphry, 2014), les entreprises réévaluent la fonction des bureaux et plus largement celle des espaces de travail. À partir de la fin du 20e siècle, nombre d’entre elles choisissent de déployer des espaces de travail dits « par activités », c’est-à-dire des bureaux partagés, en postes non attribués, et en espace ouverts (Appel-Meulenbroek, Groenen, & Janssen, 2011 ; Ianeva et al., 2021 ; Wohlers & Hertel, 2017). La référence à l’« activité » pour qualifier ces dispositifs spatiaux ne manque pas d’interpeler ergonomes et psychologues dont les travaux s’inscrivent dans la tradition francophone de l’analyse du travail. Le « projet » de ce type d’aménagement porte en effet la promesse d’un environnement de travail au service de l’activité ou des activités des professionnels. À ce titre, il introduit l’idée d’une forme d’ajustement des ressources productives au travail dont les concepteurs (architectes, consultants) proposent une définition. Aussi, ces bureaux flexibles, « en libre-service » offrent une diversité d’espaces et de postes de travail, dédiés à certains types d’activités – identifiés et décrits en termes de « concentration », d’« interaction », de « collaboration », ou d’« échanges informels », « spontanés » ou « planifiés », etc. Le taux de partage1 de ces typologies d’espace de travail est d’environ 0,8, c’est-à-dire que 8 postes de travail sont disponibles pour 10 salariés en moyenne dans l’organisation. L’usage de ces espaces est donc régi par une série de principes de fonctionnement et de règles, comme la politique du « bureau net » (clean desk), qui stipule qu’un poste de travail doit être libéré après la fin de son utilisation ou après un certain créneau horaire (journée ou demi-journée, quelques heures) afin de permettre aux autres travailleurs de s’y installer ; ou le principe du « zéro papier » (paperless), qui impose une gestion numérisée des documents dans un espace de travail où les zones de stockage sont réduites.

3Les organisations se sont vite intéressées aux effets de ces typologies spatiales sur leurs employés et sur leur capacité à concrétiser leurs projets de performance (Maclouf, 2011). En réponse à ces questionnements, des travaux en science de gestion ont cherché à comprendre les effets de ces typologies spatiales sur la performance, la collaboration ou encore la satisfaction des salariés (Engelen, Chau, Young, Mackey, Jeyapalan, & Bauman, 2019 ; Meijer, Frings-Dresen, & Sluiter, 2009). D’autres auteurs prennent le contre-pied de ces discours, qu’ils considèrent comme des « fables managériales » ou des « gadgets RH » (Jemine, 2019 ; Lacan, 2017), qui permettent de justifier la réduction des surfaces, la densification des postes et donc l’optimisation et la rentabilité des espaces (Taskin, 2012). Ces travaux conceptualisent, de manière plus ou moins explicite, l’espace de travail comme un contenant ayant des effets organisant et contrôlant les modalités concrètes du travail de ses occupants, tant au niveau physique (déplacements, choix des postes) que psychologiques (satisfaction, bien-être au travail). Mais les conditions de développement de ces modalités restent encore peu explorées. En effet, ces environnements de travail dits flexibles ou « basés sur l’activité » véhiculent une vision normative du travail et de la manière dont il doit être fait. À travers la promotion des « bonnes façons de travailler », ils représentent un outil privilégié pour la mise en place des pratiques managériales orientées vers la flexibilité et la responsabilisation du travailleur (Pillon, 2016). En effet, les concepteurs et les décideurs de ces espaces de travail anticipent leurs fonctionnalités et prescrivent la manière dont ils doivent être utilisés, en essayant de brosser l’éventail des principaux usages possibles. Et cela sans questionner la manière dont cette forme d’aménagement reconfigure la situation avec laquelle interagissent les travailleurs pour réaliser leurs activités.

  • 2 Sans présenter une cohérence théorique d’ensemble, ces travaux partagent l’idée que l’espace ou l (...)

4Notre objectif, dans le cadre de cet article, est de comprendre comment les caractéristiques fonctionnelles des environnements de travail par activités non attribués sont appropriées par leurs utilisateurs. En d’autres termes, nous avons fait le constat que ce type d’environnement intègre et promeut une certaine vision ou définition de l’activité, qui participe à reconfigurer les rapports au travail, tant sur le plan psychologique que psychosocial (Ianeva, Ciobanu, & Vacherand-revel, 2017 ; Ianeva et al., 2021). Dans la continuité de certains travaux récents (Heddad, 2017 ; Mengis, Nicolini, & Gorli, 2016 ; Vasquez & Cooren, 2013 ; Yaneva & Guy, 20082), mais aussi en cohérence avec les approches issues de la psychologie historico-culturelle de l’activité (Engeström, 1987 ; Lave, 1988 ; Vygotski, 1931/2014), nous faisons l’hypothèse que l’espace de travail n’est pas un contenant neutre qui abrite l’activité productive, en fournit la scène ou le cadre, mais une composante essentielle d’un processus de développement, celui des sujets et de la fonction psychosociale des collectifs professionnels. Toute situation de changement d’espace se présente ainsi comme une mise en mouvement de l’activité, révélatrice des arbitrages et choix opérés par les professionnels et à ce titre, génératrice d’une activité psychologique du côté des sujets et de négociations dans les collectifs de travail. Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement à ces mouvements de réinterprétation dont les caractéristiques fonctionnelles des espaces constituent une des ressources.

5Notre premier enjeu est donc d’articuler les modèles théoriques qui permettent de rendre compte de la dimension mobile et évolutive des espaces de travail, afin de mettre en lumière la manière dont les travailleurs articulent leur activité située ou pour le dire autrement, « font avec » ces configurations spatiales en pratique. La présentation du contexte de notre étude, réalisée au sein d’une organisation informatique fonctionnant en environnement de travail par activités depuis 2016, offre une description précise de la forme que peuvent prendre ces aménagements spatiaux. Nous présenterons ensuite la démarche méthodologique qui a été mise en place pour répondre à notre question de recherche. La présentation et la mise en discussion de nos résultats viennent conclure cet article.

2. État de l’art

6L’objectif de cette revue de littérature est de remettre la question spatiale au cœur de la compréhension des activités des travailleurs associés à ces espaces de travail. Au-delà d’une définition de l’espace comme cadre ou contexte de l’action (Mengis et al., 2016 ; Minchella & Sorreda, 2020), nous proposons une définition plus incarnée où l’espace de travail est saisi au travers de la manière dont les sujets s’en saisissent et le transforment dans leurs actions². Documenter l’appropriation des espaces est une manière d’opérationnaliser cette approche, notamment par le recours à la psychologie de l’environnement et aux approches sur la cognition et l’action situées.

2.1. L’appropriation comme reconquête des espaces d’autonomie

7Les théories des organisations se sont emparées du sujet des espaces de travail, théorisés comme articulation entre leurs utilisateurs et l’expérience qu’ils en ont (Kingma, 2018). Un grand nombre de ces travaux s’ancrent dans la géographie sociale de Lefebvre (1974) qui distingue l’espace conçu, perçu et vécu. L’espace conçu est porteur des connaissances et des discours portés sur l’espace par les concepteurs, en termes de matérialités et d’usages. L’espace perçu renvoie aux routines d’usage et aux expériences sensorielles et motrices des utilisateurs. Quant à l’espace vécu, il renvoie à la manière dont la spatialité est expérimentée dans les routines quotidiennes des acteurs. Cette lecture de l’espace comme tension entre un cadre de pratique imposé par une organisation et entre l’expérience qu’on en fait permet de considérer la dimension construite de l’espace. Cependant, dans cette approche phénoménologique où l’espace est d’abord vu comme expérience (Grandazzi, 2018), sa dimension socio-matérielle et la manière dont les acteurs agissent sur elle (du point de vue de l’activité et de son développement possible ou impossible) restent peu considérées.

8Notre compréhension de la construction de l’espace est davantage ancrée dans les pratiques des acteurs et dans leurs actions. L’espace matériel est donc constitutif des pratiques de travail puisque les acteurs agissent « avec » lui (Lussault & Stock, 2010) : ils se l’approprient par leurs actions et leurs activités (ancrée socialement, historiquement et subjectivement). Cette approche dynamique de l’espace se retrouve dans les travaux en psychologie de l’environnement (Fischer, 1989 ; Léon, 2010). L’espace y est appréhendé comme un territoire au travers duquel s’organise la vie sociale de l’organisation : « le lieu de travail a une valeur sociale de territoire et d’enracinement » (Fischer, 1989, p. 78). Ce territoire se dessine selon les processus de marquage et de personnalisation, qui revêtent des enjeux d’identité, et selon la formation de l’espace symbolique, qui reflète le rôle et le statut des personne dans l’entreprise. L’appropriation permet donc aux occupants d’un espace organisé d’avoir une mainmise sur leur milieu et de récupérer des espaces d’autonomie pour le faire sien, de manière individuelle et collective. Elle imbrique l’être humain dans la genèse de cet espace et sa destinée. Pour paraphraser Simondon (1989, p. 22) « [l’espace] (il parlait de l’objet technique, NDA) n’est pas antérieur à son devenir, mais présent à chaque étape de ce devenir ; [l’espace] est unité de devenir ». En ce sens, l’espace n’existe que parce qu’il est en genèse constante. Il se (re)construit dans, par et pour l’usage et dans les contraintes d’exercice toujours singulières de l’activité.

9Ces processus d’appropriation qui témoignent de la manière dont les utilisateurs se saisissent de leur espace constituent des enjeux cruciaux dans le cas des espaces de travail par activités. En effet, en plus de la diversité de postes qu’ils proposent aux travailleurs, ces espaces fonctionnent sur une série de règles d’usages qui sont (i) inhérentes à leur fonctionnement, comme les règles du partage des postes, du cleandesk ou du paperless ; et (ii) des règles internes élaborées de manière participative, comme les accords d’équipe que travailleurs et managers définissent ensemble à l’occasion d’ateliers collectifs. Ces accords précisent les usages alloués aux différentes typologies spatiales, comme par exemple, le temps d’usage d’une bulle (espace fermé non réservable qui permet de s’isoler pour réaliser certaines tâches). C’est le respect de ces règles de fonctionnement qui permet d’exploiter toutes les potentialités de ces espaces en termes d’amélioration de la performance et du bien-être au travail (De Been & Beijer, 2015 ; Hoendervanger, De Been, Van Yperen, Mobach, & Albers, 2016). Or, de nombreux travaux ancrés dans l’épistémologie de la psychologie de l’environnement et essentiellement réalisés dans des pays nordiques et anglo-saxons, observent des usages de ces espaces de travail déviants par rapport à ce qui a été prévu et anticipé par les concepteurs et les décideurs (Cobaleda Cordero & Babapour Chafi, 2017 ; Vischer, 2008). Leurs approches se focalisent sur les modalités de cette appropriation sur trois niveaux d’analyse : (i) les caractéristiques physiques de l’environnement, comme le confort physique, (ii) son adéquation par rapport aux tâches que ses occupants doivent y réaliser (confort fonctionnel) et (iii) les dimensions psychosociales, comme le sentiment de contrôle ou d’attachement à l’espace de travail. Ces approches se sont intéressées à l’espace social, construit à travers le sens qu’il a pour les travailleurs et ont questionné ses incidences sur leurs comportements. Si elles constituent une avancée dans la prise en compte du rôle et des enjeux que peuvent revêtir l’espace dans une situation de travail, l’espace de travail reste considéré comme un « “milieu” certes organisé, mais dont la recomposition par l’individu est considérée dans des termes génériques, c’est-à-dire peu en lien avec le contexte de l’activité productive et de son développement » (Ianeva et al., 2017, p. 141). Dans cette perspective, son appropriation est donc une résultante des stratégies que les individus parviennent à mettre en place dans un cadre donné, avec une faible prise en compte du processus de l’activité et de son évolution dans laquelle ils sont engagés.

2.2. L’appropriation instrumentale et située de l’espace de travail

10La partie précédente nous a permis de mieux saisir l’appropriation des espaces de travail comme construction sociale et symbolique de l’appropriation des espaces de travail. Si les conduites humaines se construisent au contact avec leur espace de travail, elles sont également liées au contexte socio-technique dans lequel elles s’inscrivent. Cependant, la manière dont le dispositif spatial permet l’action reste peu questionnée. À notre sens, il manque dans ces approches une appréhension de ce rapport entre l’individu et l’activité dans laquelle il agit et dans ce qu’elle lui permet de mettre en forme.

11Les travaux en ergonomie qui se sont intéressés à l’étude des espaces de travail conceptualisent une approche instrumentale de l’espace (Heddad, 2017) dans l’objectif de pouvoir intervenir sur leur conception. L’espace est décrit comme un artefact dans la continuité des travaux de Rabardel (1995), c’est-à-dire un dispositif technique et organisationnel qui permet de soutenir l’activité. Il est ainsi considéré comme un « instrument dans l’usage » (Heddad, 2017, p. 212) que les opérateurs mobilisent dans leur activité et qu’ils adaptent pour répondre à ses finalités. Cette approche permet donc de recentrer la question spatiale sur l’activité.

12Si l’espace et l’activité entretiennent un lien étroit, nous comprenons l’espace de l’activité comme une production issue de l’activité en situation. Pour préciser la manière dont les pratiques humaines façonnent et adaptent l’espace, nous mobilisons les travaux issus de l’action située et, plus spécifiquement, de la cognition située (Lave, 1988 ; Suchman, 1987). Si l’approche de l’action située considère l’interaction sociale comme principal opérateur de l’expérience sociale des sujets, la cognition située offre davantage de ressources pour penser l’expérience subjective de la construction du sujet. L’organisation de l’action y est pensée en lien avec l’écologie artefactuelle dans laquelle elle se déroule (Béguin & Clot, 2004). Dans ces perspectives, les travaux de Kirsh (1995) introduisent l’idée que les utilisateurs d’un environnement de travail « l’asservissent », le préparent et le structurent afin de rendre leurs actions plus aisées et efficaces : le sujet crée donc les ressources pour son action. Les travaux de Lave (1988), quant à eux, offrent une distinction intéressante entre le « donné » et le « créé » en cours d’activité (Béguin & Clot, 2004, p. 36). Elle distingue l’arena, qui représente le « donné », l’environnement spatial dans lequel les travailleurs agissent, et le setting, qui désigne la réorganisation de cet environnement par l’activité du sujet. La cognition située contribue ainsi à réintégrer la pratique dans un environnement peuplé d’humains et d’artefacts qui peuvent jouer le rôle de guides pour l’action. Par cette approche, la situation est présentée comme une contrainte pour l’action, mais également comme un produit de l’activité des personnes. Le setting, est donc le résultat de la recomposition des éléments matériels présents dans l’environnement, l’arena (Denis & Pontille, 2010). C’est ce travail de recomposition de l’arena qui permet de questionner la manière dont les individus se saisissent du « donné » et donc la manière dont ils se l’approprient. Cette approche est très opérante pour penser l’engagement du sujet dans la situation et sa manière de redéfinir les conditions de son action. C’est dans ce cadre que nous posons la question des processus d’appropriation des espaces de travail, dans le contexte local et situé de la pensée en action des personnes.

2.3. Comprendre l’appropriation des espaces de travail par le prisme de l’acceptation située

13L’approche de la cognition située (Lave, 1988) permet de mettre l’accent sur le rôle actif et créatif du sujet, au niveau individuel et collectif, et sur les reconfigurations qu’il fait du dispositif spatial « donné ». Elle nous permet de comprendre comment l’appropriation et l’acceptation des espaces de travail peuvent être envisagées sous l’angle des conceptions situées de l’activité.

14Dans cette approche située, nous questionnons l’appropriation des espaces de travail et de leurs règles d’usage dans le contexte de l’activité humaine réelle et incarnée en situation. En agissant au sein de leur espace de travail, les individus réinventent l’usage qu’ils en ont et lui attribuent de nouvelles fonctions : ils peuvent les détourner, les ajuster à leur pratique, etc. C’est à travers l’approche du processus d’appropriation comme ancré dans les pratiques quotidiennes des travailleurs que nous pouvons comprendre la manière dont l’espace peut changer de sens et prendre une nouvelle place dans l’activité des individus, « de même que l’utilisateur peut, par l’expérience de l’outil et/ou sous l’influence de l’environnement social auquel il appartient, changer de “cognition” et aborder différemment l’outil pour lui trouver des qualités (fonctionnelles, opératoires, stratégiques…) favorables à son adoption » (Bobillier Chaumon, 2013, p. 51). Ce processus d’appropriation est donc d’autant plus intéressant à examiner qu’il permet aussi de mieux comprendre la façon dont un outil, peut changer de fonction, de rôle et donc de statut dans l’activité (Poupon, 2017).

15D’après l’approche de l’acceptation située, ancrée dans le réel de l’activité, c’est au cours du processus d’appropriation d’un objet technique que se définit son acceptation dans la situation et que se dessinent les logiques structurantes des espaces de travail dans les contingences du contexte de l’activité. Ainsi, les espaces de travail par activités deviendraient acceptables « quand on peut agir sur [eux] (pour [les] transformer et se les approprier) et quand [ils permettent] d’agir favorablement et durablement sur l’activité. » (Bobillier Chaumon, 2013, p. 154). Au cours de ses travaux sur l’acceptation des TIC (technologies de l’information et de la communication), Bobillier Chaumon (ibid.) fait ressortir quatre dimensions déterminantes dans l’acceptation située des technologies.

  • dimension individuelle, qui relève les coûts et les exigences, émotionnels et cognitifs, que génère un dispositif sur l’individu ;

  • la dimension inter-personnelle, qui résulte de la manière dont le dispositif affecte et réorganise les collectifs et les réseaux de travail ;

  • la dimension organisationnelle, qui renvoie à la manière dont le dispositif modifie les systèmes de contrôle et d’autonomie des salariés, et leurs réactions face à ces changements ;

  • la dimension professionnelle et identitaire, qui résulte de la manière dont le dispositif nous renvoie de notre identité au travail, de nos compétences, de notre utilité…

16Jusqu’ici, cette approche a été principalement utilisée pour analyser le processus d’appropriation des technologies des TIC (Technologies de l’information et de la communication) et leur usage en contexte de situation professionnelle ou domestique. Leur application dans le contexte d’un usage d’un espace de travail par activités nous permet de considérer l’appropriation de ces espaces de travail dans le caractère situé de leur usage en remettant le sujet et les modalités de son action au cœur de notre réflexion.

3. Problématique

17L’approche située par laquelle nous questionnons le fonctionnement des espaces de travail par activités nous incite à élaborer une typologie située de ces espaces de travail, en montrant la manière dont les règles qui sous-tendent leur utilisation sont comprises et intégrées dans les pratiques des acteurs. C’est ce qui nous permet de voir comment la situation se compose et se recompose, et ce que ces dynamiques disent de la manière dont les utilisateurs se sont approprié leur espace de travail et ont intégré leurs caractéristiques fonctionnelles dans leurs pratiques. Par leurs modalités particulières, les espaces de travail par activité déterminent la manière dont les occupants organisent leur activité, dont ils vont communiquer entre eux, dont ils vont se déplacer. Ils les poussent à intégrer la dimension spatiale dans le cours de leurs actions. Or, au niveau de ses impacts, si les espaces de travail « ne déterminent pas totalement, ils déterminent partiellement. Une certaine logique structurante est à l’œuvre qui peut s’accomplir en fonction des logiques d’usage et d’appropriation en place ainsi que du contexte de l’activité. » (Bobillier Chaumon, 2013, p. 154).

18Notre objectif est de comprendre comment les acteurs structurent leur espace de travail, arena, sur les logiques de prescriptions et de contrôle à l’œuvre, mais aussi sur les formes de (ré)appropriation observables (Benedetto Meyer & Cihuelo, 2016). Comment s’articule l’ambivalence entre un espace qui est un moyen de cadrage de l’activité et qui offre des ressources aux acteurs pour donner sens à leur activité ? Les conditions d’élaboration du setting sont ainsi guidées par les actions physiques et cognitives réalisées par les utilisateurs sur ce « donné ». Elles sont une part intégrante du processus d’appropriation de ces espaces de travail, car c’est à travers elles que va s’élaborer l’acceptation de ces espaces de travail, selon leur adéquation avec les besoins et les déterminants de la situation. Pour cela, nous avons choisi d’articuler les approches issues de la cognition située (Lave, 1988) et le modèle de l’acceptation située (Bobillier Chaumon, 2013). Au lieu de nous concentrer sur les caractéristiques intrinsèques de ces aménagements spatiaux, comme la qualité ergonomique des aménagements ou le confort des occupants, le modèle de l’acceptation située met en relief la manière dont les utilisateurs interagissent avec ces configurations spatiales dans leurs pratiques.

4. Contexte de l’étude 

4.1. Le passage d’une organisation « A » en environnement de travail par activités

19Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’un observatoire réalisé au sein d’une filiale d’un groupe industriel énergétique français (que nous nommerons A), qui regroupe les salariés de la direction informatique interne. Engagée dans une démarche de Qualité de Vie au Travail depuis décembre 2017, cette filiale s’est engagée à réaliser une série de travaux pour évaluer la santé et la sécurité au travail et améliorer les conditions de travail pour assurer la performance de l’entreprise. Un premier observatoire a été réalisé un an après la réorganisation et le réaménagement de cette filiale, en 2016 (Ianeva et al., 2017). Ce travail s’ancre dans le deuxième observatoire, lancé en 2018.

20En 2015, les baux des deux principaux bâtiments du groupe en région parisienne arrivent à échéance. La direction décide alors de regrouper les salariés des deux sites dans un immeuble de banlieue déjà occupé par la filiale. Un projet de regroupement est mis en place, qui prévoit le réaménagement d’un site occupé, le transfert des salariés et l’accompagnement du changement occasionné. Suite au cadrage stratégique de l’organisation, le cabinet de conseil externe (B) mandaté pour réaliser ce projet et accompagner la transition propose un scénario d’aménagement qui prévoit l’aménagement du site en « environnement de travail partagé par activités ». Notre étude intervient trois années plus tard ce projet et articule la demande de l’organisation A, quisouhaite avoir un retour d’expérience sur l’usage de ces environnements de travail par activités, avec notre question de recherche.

4.2. L’aménagement et le fonctionnement du site A

21L’objectif du projet était de favoriser la transversalité et la souplesse des usages en fonction des métiers. Le site est composé de trois étages qui sont organisés sur le même plan-type, chacun avec un code-couleur différent, pour pouvoir facilement identifier l’étage et les fonctions qui y sont abritées. Chaque étage est composé d’un espace ouvert décloisonné traversé par une circulation, fonctionnant sur le principe d’une promenade (voir Figure 1), qui a pour but de favoriser les rencontres inter-services et les échanges informels.

22Au moment de l’étude, les espaces de travail de A avaient un taux de partage de 8 postes de travail pour 10 salariés de la filiale. Pour les prestataires au forfait, le taux est de 5,5 postes de travail pour 10. Il y a donc en tout 1 094 employés, qui se partagent 728 postes répartis sur deux étages et demi.

Figure 1 : plans d’un étage de A (on peut voir la circulation centrale qui structure chaque étage de l’immeuble). 
Figure 1: Floor plans of A (we can see the central circulation that structures each floor of the building)

Figure 1 : plans d’un étage de A (on peut voir la circulation centrale qui structure chaque étage de l’immeuble).  Figure 1: Floor plans of A (we can see the central circulation that structures each floor of the building)

23Chaque plan-type est composé d’une diversité d’espaces qui couvrent l’ensemble des usages que peuvent avoir les travailleurs de A (voir Tableau 1) :

Tableau 1 : Espaces de travail, usages et images associés chez A. 
Table 1: Presentation of the different types of workspaces at A

Tableau 1 : Espaces de travail, usages et images associés chez A.  Table 1: Presentation of the different types of workspaces at A

24Les zones ouvertes sont composées d’une diversité de typologies de postes de travail avec leur propre fonctionnalité (voir Tableau 2) :

Tableau 2 : Postes de travail, usages et images associés chez A. 
Table 2: Presentation of the different types of workstation at A

Tableau 2 : Postes de travail, usages et images associés chez A.  Table 2: Presentation of the different types of workstation at A

25Ainsi, chaque typologie spatiale correspond à un usage et à des règles qui ont été anticipés par les décideurs et les concepteurs. Ces règles d’usage, dites « bonnes pratiques » sont affichées dans les zones stratégiques des espaces de manière à être visibles par tous. Elles sont également rappelées dans les livrets d’accueils distribués aux travailleurs à leur arrivée dans l’organisation. Les postes de travail sont partagés et mutualisés. La règle du clean desk doit être appliquée, c’est-à-dire que les postes de travail doivent être libérés à la fin de chaque journée ou de chaque demi-journée, selon les besoins des personnes, ce qui permet aux travailleurs suivants de s’y installer. Ces derniers doivent donc changer de poste de travail selon les tâches qu’ils doivent réaliser et ils sont invités à changer régulièrement de poste au cours de leur journée. Certaines équipes disposent d’une zone d’équipe où elles savent pouvoir retrouver les membres de leur équipe. Chacun est néanmoins encouragé à s’installer où il le souhaite dans son étage. Comme nous l’avons précisé auparavant, le respect de ces principes de fonctionnement par tous les travailleurs de l’organisation est nécessaire pour leur permettre de disposer d’un poste de travail et de réaliser leur activité.

5. Démarche méthodologique

26Nous sommes intervenus dans le volet « Environnements de travail » d’un observatoire lancé par cette organisation, dont l’objectif était d’évaluer la satisfaction des utilisateurs liée à l’environnement de travail par activités, dans l’objectif de corriger et de faire évoluer le dispositif spatial. Cette mission a été confiée à l’entreprise de conseil en immobilier qui avait conçu leurs espaces de travail en 2015. C’est au sein du pôle R&D de cette organisation que nous sommes intervenus. Dans ce cadre, cette étude constitue une recherche-action puisque les enseignements tirés de l’existant ont été ensuite formalisés sous la forme d’une série de préconisations qui ont été fournies à l’organisation A.

5.1. Une première phase exploratoire : une vision de l’espace désincarnée

27À l’origine, la demande initiale de la responsable QVT était de réaliser un retour d’expérience sur la manière dont les espaces sont utilisés. Sa demande personnelle était d’orienter ce retour d’expérience sur le respect des règles d’usage, appelées « Bonnes pratiques » chez A, associées à l’usage de ce type d’espace, telles qu’elles ont été définies lors du réaménagement. Ses observations personnelles font état de dégradation de la propreté des espaces, d’une territorialité très marquée des équipes (Taskin, 2012) et de la faible mobilité des personnes. Une phase exploratoire nous a permis d’avoir une première approche du terrain et nous imprégner du sujet pour mener à bien l’analyse de la demande. Cette phase exploratoire était composée de deux temps : (1)

  • Mars 2018 : Une enquête en ligne diffusée auprès de tous les employés de la filiale pour les questionner sur leur usage et leur satisfaction des espaces (22 % de taux de réponse) ;

    • 3 Klaxoon est une solution en ligne qui permet à un animateur de créer des activités pour animer de (...)

    Avril – mai 2018 : Trois sessions animées par un outil digital (Klaxoon3) pour évaluer la connaissance des bonnes pratiques et pour sensibiliser les participants (51 participants).

28L’analyse des données recueillies lors de cette phase nous a permis de nous imprégner du sujet et de comprendre les premières problématiques liées à l’usage de leurs espaces. Au cours des animations Klaxoon, nous avons notamment pu nous rendre sur le terrain à la rencontre des personnes qui évoluent dans ces typologies d’espace et saisir leurs premières impressions. Si cette phase a été essentielle dans notre réflexion, les analyses qui en découlent ne figurent pas dans ce travail. Le questionnaire et la trame des questions Klaxoon avaient été réalisés par la société de conseil, avant notre arrivée. Les modes de questionnements employés ne reflètent pas nos approches et questionnements théoriques et méthodologiques. Ils traduisent une vision de l’espace comme un objet unitaire, externe aux logiques d’action des travailleurs.

5.2. Analyser les usages et les pratiques de l’espace : les observations en situation

29En cohérence avec les éléments de notre état de l’art et de notre problématique, notre objectif était d’élaborer une démarche méthodologique qui traduise une vision processuelle de l’espace, comme un objet qui se construit dans et au travers de l’activité des différents sujets qui l’occupent, afin de comprendre la manière dont ils l’approprient et le font « sien ».

Tableau 3 : Présentation des équipes observées sur les trois journées d’observation. 
Table 3: Presentation of the three observation days

Tableau 3 : Présentation des équipes observées sur les trois journées d’observation.  Table 3: Presentation of the three observation days

30Pour comprendre l’inscription de l’action dans l’espace et son articulation autour de ses différentes modalités, nous avons choisi de réaliser des observations in situ des usages et des pratiques, individuelles et collectives. En effet, on ne peut saisir les conduites internes à l’action qu’en s’immergeant dans les contingences du travail et dans l’expérience quotidienne de l’activité des personnes (Dodier & Baszanger, 1997). En ce sens, l’observation apparaît comme une méthode privilégiée pour approcher les activités médiatisées de travail (Grosjean & Lacoste, 1999). Nous avons donc élaboré une stratégie d’observation axée à chaque fois sur le suivi d’une équipe afin d’avoir une vision globale de la manière dont les actions des personnes s’articulent entre elles.

31Suite aux réponses des managers volontaires pour accueillir cette démarche, trois équipes, une par étage, ont été sélectionnées, avec l’aide de la responsable QVT de A (voir Tableau 3). Il est intéressant de noter qu’elle avait choisi une de ces équipes (équipe Support), car elle avait remarqué des comportements « déviants » de leur part, notamment de territorialisation et de non-respect du clean desk.

32Nous avons ensuite pris contact avec nos interlocuteurs par mail. Nous avons réalisé les observations en binôme, ce qui nous a permis de recueillir des informations complémentaires et de mieux nous répartir la zone à observer. Pour appuyer notre intervention, nous avons construit une grille d’observation basée sur le recueil de tout élément en lien avec l’usage de l’espace et étant significatif des actions en cours et de leurs changements : nature du poste et de l’espace utilisé, nature de l’activité en cours (solo ou collaborative), posture, déplacements, interactions et interlocuteurs, outils utilisés, difficultés rencontrées dans l’usage, signes d’irritation/d’inconfort.

5.3. Faire émerger le vécu de l’espace et l’expérience de son appropriation : les entretiens explicitants

33Comme déjà évoqué plus haut, nous considérons l’espace en lien avec les logiques d’action des individus, mutuellement émergents l’un de l’autre. Notre démarche méthodologique doit donc nous permettre de comprendre la manière dont l’arena est réorganisé pour devenir un « cadre pertinent pour l’action » (Ianeva et al., 2017). Afin d’analyser la manière dont les individus et les collectifs réalisent leur activité, la manière dont ils articulent leurs actions au sein et en lien avec l’espace et ses configurations, il faut nous immerger dans leur milieu et rentrer dans l’expérience quotidienne de leur activité.

34Dans un second temps, nous avons donc approfondi les données recueillies lors des observations par la réalisation d’une série de deux entretiens semi-directifs auprès de trois personnes qui se sont portées volontaires. Lors des observations, nous avions saisi la manière dont les utilisateurs « pratiquent » leur espace de travail dans un contexte donné. Les entretiens avaient donc pour but d’approfondir notre compréhension des enjeux personnels associés à l’espace en lien avec leurs logiques d’action.

35Dans cet objectif, nous avons construit une grille d’entretien semi-directif avec des relances inspirées de l’entretien d’explicitation de Vermersch (2000). Cette méthodologie d’entretien constitue « une aide à la prise de conscience pour passer de l’implicite de son propre vécu à son explicitation » (ibid., p. 271). Cette méthode permet de mettre le sujet en évocation de la situation qu’il a vécue, en l’amenant progressivement, avec un questionnement adapté, à en retrouver le contexte sensoriel. Notre but était de réellement pousser les personnes à faire le lien entre leurs actions et le rôle des espaces de travail dans lesquels ils évoluent. Quant à la structure de notre guide d’entretien, elle était construite autour des dimensions de l’acceptation située telles qu’elles sont été construites par Bobillier Chaumon (2013) et des travaux que ce dernier a menés sur les TIC et leur impact sur l’activité des cadres dans le cadre d’une recherche pour l’APEC. Le guide se structure donc autour des 5 dimensions de cette approche.

36Pour conclure l’entretien, nous nous sommes inspirés de la méthode des incidents critiques (Flanagan, 1954) pour inviter les participants à « réfléchir rétrospectivement aux événements qui ont eu un impact important sur le résultat final de leur activité » (Lallemand & Gronier, 2016, p. 177). Nous demandions donc aux participants de nous raconter un événement de leur vie professionnelle en lien avec leur espace de travail, en explicitant leurs actions et affects associés :

« Pouvez-vous me décrire un événement significatif, dont vous vous souvenez et important à vos yeux, liés à la vie et au travail en environnement dynamique ? Que s’est-il passé ? Comment avez-vous réagi ? Qu’avez-vous pensé ? Ressenti ? Quels effets sur votre activité ? Sur votre utilisation des espaces ? »

Tableau 4 : Présentation des sujets. 
Table 4: Presentation of the subjects

Tableau 4 : Présentation des sujets.  Table 4: Presentation of the subjects

37En tout, 5 entretiens ont été réalisés, d’une durée en moyenne de 1 h 30 (voir Tableau 4).

38Nous avons ensuite proposé à nos enquêtés un deuxième entretien dans l’objectif d’approfondir l’explicitation des dimensions de l’acceptation, à partir de la méthode de l’autoconfrontation explicitante (Cahour, Licoppe, & Créno, 2018). Trois de nos interviewés se sont portés volontaires pour ce deuxième entretien. Associant deux méthodes distinctes, l’entretien d’explicitation et l’entretien d’autoconfrontation, cette technique représente « une aide à la prise de conscience pour passer de l’implicite de son propre vécu à son explicitation » (Vermersch, 2000, p. 271) et permet d’étudier les activités à fortes composantes cognitives et relationnelles (comme cela semble être le cas pour ces professionnels). L’emploi de ces entretiens « resituants » doit « favoriser, mais non pas forcer le ressouvenir de la situation, et à questionner sans induire les différentes facettes de l’expérience subjective située, soit ses aspects corporels et émotionnels, cognitifs (e.g. hypothèses, évaluations, intentions), socio-relationnels, et ce qui est de l’ordre de l’action » (Cahour et al., 2018, p. 237). Concrètement, on demandait aux sujets de réagir sur des photos que nous leur avions demandé de réaliser en amont de l’entretien. Ces photos devaient représenter des éléments pertinents pour eux de leur espace de travail. En mettant l’accent sur des situations spécifiques de travail, nous encouragions les interviewés à considérer cette situation pour en donner leur lecture ou relecture. Cela permettait notamment à l’acteur de sélectionner lui-même les éléments pertinents dans le cadre défini. Si cette méthodologie constitue une piste intéressante pour saisir les dynamiques de réorganisation de l’arena.

39La retranscription des données verbales et visuelles obtenues lors de notre démarche méthodologique nous a permis de constituer un corpus de données et d’images que nous ensuite analysé thématiquement (Bardin, 2013) selon des grilles inspirées de l’approche de l’acceptation située (Bobillier Chaumon, 2013). Le tableau ci-dessous résume la démarche que nous avons employée pour l’analyse de nos données.

Tableau 5 : Analyse des résultats. 
Table 5: Results analysis

Tableau 5 : Analyse des résultats.  Table 5: Results analysis

6. Présentation des résultats

40La présentation de nos résultats a pour objectif de montrer la manière dont ces espaces de travail et leurs règles de fonctionnement sont réélaborés et recomposés par les occupants de manière située, de manière à leur fournir un cadre pertinent pour leur action. Ces pratiques sont à mettre en relation avec les règles d’usage définies par l’organisation pour le fonctionnement de ces espaces de travail : fonctionnalité de postes, partage des postes, politique du « bureau net » (clean desk).

6.1. Choisir sa place

6.1.1. Territoire et frontières en environnement de travail par activités : le rôle de l’équipe

41Lors de la conception des espaces de travail, les concepteurs (architectes, consultants en environnements de travail) et les usagers (représentants de l’entreprise) déterminent le macro zoning (voir Figure 2), qui désigne la « phase d’un projet d’aménagement consistant à affecter les différents espaces du site aux différentes équipes présentes au sein de l’entreprise. Cette attribution globale tient compte des besoins de surface et de proximités entre les fonctions » (définition issue d’un document de travail de l’entreprise de conseil en immobilier).

Figure 2 : Micro-zoning d’un étage de A. 
Figure 2: A floor micro-zoning plan of A

Figure 2 : Micro-zoning d’un étage de A.  Figure 2: A floor micro-zoning plan of A

42Chaque équipe dispose d’une zone dans le plateau où ses membres peuvent se retrouver. Chez A, les équipes sont disposées dans les plateaux de manière stratégique, selon leurs liens fonctionnels de proximité et de telle sorte à ce que chaque équipe dispose d’un nombre suffisant de bulles et de salles de réunion à proximité de leur port d’attache. Il y a donc une marge de liberté, d’interprétation laissée à la décision des équipes et de leurs managers quant à la règle du partage des postes. Si la règle d’usage inscrite dans le livret d’accueil stipule que chacun peut s’installer où il le souhaite dans l’ensemble des étages, la première volonté des personnes est de s’installer auprès des membres de leur équipe : « On ne choisit pas notre place selon l’activité, on choisit pour être avec les autres » (YM, 1), « Je reste toujours dans la famille » (GR, 1), notamment pour certains managers qui expriment leur besoin d’être à proximité de leurs équipes « Quand elles sont ensemble, mes équipes travaillent mieux » (VB, 1). Certains managers reprennent même l’argument des zones d’équipes et du manque d’espace pour imposer implicitement aux membres de son équipe de s’installer dans le périmètre de son équipe :

« Sur le papier c’est ce qu’on devrait faire maintenant [s’installer partout dans l’étage], comme on est par zone d’équipe, on est très vite limité en type d’espace disponible aussi, en type de poste disponible […]. Donc je suis pas trop pour ça ou alors faudrait vraiment que tout le monde joue le jeu et aujourd’hui je pense que naturellement, il y a des affinités qui se sont construites au sein même des équipes et sur lesquelles les gens se positionnent. » (VB, 1)

43En indiquant que tout le monde « ne joue pas le jeu », ce manager laisse entendre que se conformer à la règle officielle est un objectif difficile à atteindre. C’est donc plus le poids des « affinités » développées au travail qui orientent l’installation des personnes que les besoins de leur travail en termes de communication.

44La réinterprétation de la règle du partage des postes, au niveau individuel et collectif, selon les besoin de l’activité et selon la compréhension qu’on a du principe de fonctionnement de ces espaces conduit à une sédentarisation des travailleurs et des équipes au sein de l’espace. Cette sédentarisation est minimisée et justifiée par une argumentation touchant à la « nature » et aux « habitudes » des personnes, et à l’impossibilité pour l’équipe de fonctionner en étant éclatée dans le plateau (voir citations ci-dessous). Cette pratique devient ainsi implicitement acceptable au sein des équipes qui pratiquent cette sédentarisation, comme chez les personnes qui en sont témoins. Lorsque cette sédentarité est observée chez les autres, elle est également maximisée, « à 300 % ». Cette sédentarité semble donc être une pratique qui ne va pas de soi, elle est justifiée, nuancée, minimisée et par conséquent reconnue comme potentiellement « hors cadre ».

« Il a une petite sédentarité qui s’est faite, c’est-à-dire qu’au début on essaie quand même de bouger et puis petit à petit... Mais ça, je pense que c’est naturel des personnes, on s’installe un peu où on est d’habitude on prend nos marques » (VB, 1)

« Nous on a une équipe support qui est en communication avec les utilisateurs, donc on les a tous mis là, et c’est pratiquement du sédentaire à 300 %. Ils sont toujours au même endroit. D’ailleurs personne ne prend leur place. C’est un peu parce qu’ils sont en communication tout le temps. Donc voilà. Dans notre aire il y a des gens “officiellement” sédentarisés. » (GP, 2)

45Au-delà de l’envie de rester à proximité de son équipe, la sédentarisation est aussi justifiée par les besoins de l’activité. Par exemple, certaines équipes sont organisées en management visuel, inspiré des méthodes agiles et du kanban. Cette méthode implique la réalisation d’un tableau avec des post-its qui permet d’afficher les points bloquants, les avancements de chacun et d’avoir un aperçu général de l’avancée d’un projet (voir Figure 3). Or, l’application de ces méthodes incite à la sédentarisation des personnes et des équipes, comme nous l’explique ce manager :

Figure 3 : Point en management visuel à 10 h au sein de l’open space. 
Figure 3: Visual management meeting at 10 a.m. within the open space

Figure 3 : Point en management visuel à 10 h au sein de l’open space.  Figure 3: Visual management meeting at 10 a.m. within the open space

« Là où c’est compliqué, c’est que pour pouvoir faire ça, il faut que toutes les équipes qui bossent autour du projet soit au même endroit, pour voir au moins le management visuel. Et du coup ça “sédentarise” dans la zone une équipe. Parce que forcément ils sont obligés de pas être trop loin de ce panneau-là. […] ça peut sédentariser un peu l’activité. Ça c’est peut-être l’inconvénient par rapport aux espaces dynamiques [par activités]. Par contre l’avantage que j’y vois moi c’est que c’est visuel et que les autres équipes le voient. C’est […] ça donne aussi une bonne image de l’équipe. Une image de dynamisme de l’équipe. » (VB, 1)

46Autorisée par le management et justifiée dans des logiques de productivité et d’efficacité de l’équipe, cette forme de sédentarité s’oppose à une logique d’optimisation face à un environnement qui se veut lui-même « optimisant ». L’investissement de la zone d’équipe, au-delà de faciliter le fonctionnement en équipe est également un moyen de s’afficher aux autres en tant qu’équipe, de montrer son unité et de communiquer sur son image, sur son mode de fonctionnement. Le choix de son poste de travail selon des logiques de proximités sociales et professionnelles ne correspond pas en soi à un écart à la règle prescrite, mais relève d’une stratégie collective qui permet à l’équipe d’exister en tant qu’unité définissable et identifiable dans l’espace.

6.1.2. Lectures individuelles de l’espace et de ses règles d’usage

47Si l’installation au poste de travail est déterminée par la zone d’équipe, les travailleurs mettent en place leurs propres logiques personnelles pour s’installer et justifier leur choix. Par exemple, du fait de la règle de partage des postes, le taux de partage des espaces varie au cours de l’année, de la semaine et des horaires de la journée. Certaines zones sont ainsi plus denses certains jours de la semaine et sur certains créneaux horaires : « Le macrozoning n’est plus à jour. Certains étages sont devenus trop denses. On a changé de zone il y a peu, 1 an, on nous a demandé les effectifs. Là on est trop », « On sent qu’il y a de moins en moins de place disponible » (GR, 1). Il arrive donc régulièrement que les personnes n’ont plus de places disponibles au sein de leur zone d’équipe. Ces variations sont source d’inquiétude chez certains travailleurs qui ne savent pas s’ils pourront s’installer où ils le souhaitent. Afin de pouvoir choisir leur place, certains remodèlent leurs habitudes : « Le matin j’arrive très tôt. Et j’avoue que le matin je prends quasiment toujours la même place. Comme j’arrive et qu’il n’y a personne, j’ai un peu le choix du roi » (VB, 1). D’autres n’hésitent pas à reconfigurer l’espace donné, par exemple en installant une chaise supplémentaire à un bench.

48Nous avons également observé que de nombreuses personnes ne libéraient pas leur poste de travail à la fin de leur utilisation, mais qu’elles y laissaient volontairement des affaires personnelles (veste, bouteille d’eau, dossiers papier) pour signifier aux autres leur présence et leur usage effectif et implicite du poste. Ce marquage entre en contradiction avec la règle du clean desk. Il est interprété différemment selon les équipes et les personnes et plus ou moins accepté. Par exemple, nous avons pu observer un manager arriver dans sa zone d’équipe à 14 h, horaire de grande affluence et de saturation des plateaux. Il n’a pas hésité pour s’installer à un poste « marqué » par un sac, ignorant ainsi la volonté supposée de son prédécesseur de réserver sa place (voir Figure 4) : « Qui va à la chasse perd sa place. C’est le principe du dynamique [nom donné à la typologie spatiale par activités chez A] » nous commente-t-il pendant son installation.

Figure 4 : Manager installé à un poste « Semi‑concentration » « marqué » par un sac. 
Figure 4: Manager installed at a “semi-focus” desk which is “marked” by a backpack

Figure 4 : Manager installé à un poste « Semi‑concentration » « marqué » par un sac.  Figure 4: Manager installed at a “semi-focus” desk which is “marked” by a backpack

49Cette situation est intéressante, car elle relève, de la part de ce manager, d’une double lecture de deux règles fondamentales. Dans un premier temps, il contourne la règle qui l’encourage à s’installer dans une autre zone du plateau à l’extérieur de sa zone d’équipe. Dans un second temps, il affirme la pertinence et son adhérence à la règle du clean desk pour justifier son installation. Par cette réappropriation personnelle des règles, il construit un raisonnement qui lui permet d’orienter son action face à une situation de saturation des espaces de travail. Son action rappelle également à son prédécesseur, venu récupérer ses affaires quelques heures après sans un mot, de l’importance de la règle du clean desk. Nous pouvons facilement imaginer que son statut de manager lui donne une certaine légitimité dans la réinterprétation et le rappel ces règles. Au-delà de la prescription, les règles de fonctionnement de ces espaces de travail sont réinterprétées par les usagers selon la compréhension qu’ils en ont, les contingences de leur activité, mais également selon leur statut dans l’organisation.

6.2. Une relecture des fonctionnalités de poste selon ce qu’on donne à voir, ce qu’on voit, ce qu’on comprend et ce que les autres comprennent

6.2.1. Entre besoin de concentration et disponibilité aux autres

50Les espaces de travail chez A prévoient trois typologies de postes dédiés à des activités individuelles de concentration : les postes « Concentration », qui permettent de se concentrer sur une demi-journée ou une journée, les bulles, qui permettent de s’isoler pendant 2 h maximum, et les postes « Lounge », qui permettent également de s’isoler quelques heures des grands plateaux de travail. Or, nous avons remarqué que ces dispositifs ne sont pas uniquement utilisés selon ces règles. Ils accueillent d’autres types d’activité et ont acquis, au fur et à mesure du temps, de nouvelles fonctionnalités, du fait de leur ergonomie ou disposition dans les plateaux. Par exemple, s’installer à un poste « Concentration » n’est pas perçu de la même façon pour la personne qui s’y installe et pour les personnes qui la voient installée à ce poste :

Figure 5 : Interactions spontanées à proximité d’un bench « Concentration ». 
Figure 5: Informal points carried out in the proximity of a “focus” desk

Figure 5 : Interactions spontanées à proximité d’un bench « Concentration ».  Figure 5: Informal points carried out in the proximity of a “focus” desk

« Moi je suis amené à rédiger des documents de plusieurs pages. […] Au début je me mettais là [aux postes “Concentration”]. A un moment donné j’y arrivais plus parce que je suis perpétuellement dérangé. Comme les gens passent à côté de vous, il y a du bruit, les gens viennent vous poser des questions toutes les 10 minutes, donc en fait vous n’y arrivez pas, vous décrochez. […] Donc vous êtes obligé de partir et d’aller quelque part. Alors une ou deux fois j’ai phagocyté une bulle, en me disant bon là il faut que j’avance parce que... […] J’arrive pas à me concentrer dans ces espaces-là. […] Donc, j’ai aussi été amené réserver des salles de réunion pour m’isoler tout seul. » (GR, 2)

51Nous avons également observé que les personnes n’hésitaient pas à aller voir leurs collègues installés sur des postes « Concentration » pour échanger sur divers sujets (voir Figure 5). Dans ces exemples, la stratégie qui consiste à s’installer à ce type de poste lorsqu’on a des besoins de concentration échoue, comme l’illustre la Figure 5. Nous pouvons voir deux collectifs qui se sont formés autour d’un poste « Concentration », de chaque côté d’une personne travaillant seule sur un fichier Excel. Lors de nos observations, elle manifestait des signes évidents d’agacement : tête entre les mains, soupirs... Les personnes installées à ces postes se retrouvent ainsi davantage sollicitées par une diversité de personnes que si elles seraient installées à des postes « Semi-concentration » ou « Échange ». Ainsi, ces postes « Concentration » n’investissent pas la même signification selon les situations et les intentionnalités de chacun. Le fait de voir une personne installée à ces postes disposés au sein des plateaux est réinterprété par les personnes externes comme une mise à disposition à leurs sollicitations, où la personne devient une potentielle ressource pour leur activité. Manifestement, la fonction de ces postes est moins définie par leurs caractéristiques physiques et techniques (matériaux acoustique, hauteur des cloisons) que par leur reconfiguration selon les besoins situés des personnes engagées dans leur situation de travail.

52Les sujets en quête de retranchement et de concentration doivent donc mettre en place de nouvelles stratégies comme aller dans une bulle, réserver une salle de réunion, ou s’installer dans une autre zone d’équipe où ils pourront profiter de leur statut anonyme :

« Ça m’arrive de temps en temps d’aller m’installer sur d’autre zone pour être plus au calme et moins... moins sollicité parce que les gens ne savent pas où je suis donc en général c’est bête, mais ça permet de “se cacher” pour pouvoir avancer. » (VB, 1)

53Les sujets sont donc poussés à introduire la problématique spatiale dans la manière dont ils organisent leur activité. Ils doivent gérer et choisir leur emplacement selon la visibilité qu’ils veulent donner aux autres et la disponibilité que cette visibilité signifie. La possibilité de se concentrer au sein de ces espaces relève donc d’une gymnastique cognitive à travers l’identification et le jonglage entre zones où ils sont connus et celles où ils sont inconnus, où à travers le contournement de l’usage de certains espaces comme la réservation de salles de réunion pour une activité individuelle.

6.2.2. Les bulles : objets de convoitise – « La fin justifie les moyens »

54Les bulles répondent à la double fonction de concentration et d’interaction. Leur usage est immédiat et spontané pour une durée qui ne doit pas dépasser deux heures : besoins ponctuels de concentration, points avec des collègues sur des sujets variés, ou des conférences téléphoniques et par Skype, programmées ou non. Leur objectif est de réduire les échanges réalisés au sein des plateaux et ainsi de réduire les nuisances sonores. C’est pourquoi elles sont censées pouvoir être disponibles instantanément lorsqu’un besoin émerge. Dans ce but, elles sont équitablement réparties au sein des plateaux pour être facilement accessibles par le maximum de personnes (voir Figure 6).

Figure 6 : (à gauche) Disposition des bulles sur un étage-type ; (à droite) bulles et leurs parois transparentes 
Figure 6: (On the left) Layout of “Meeting cubes” on a typical floor; (on the right) “meeting cubes” and their transparent walls

Figure 6 : (à gauche) Disposition des bulles sur un étage-type ; (à droite) bulles et leurs parois transparentes Figure 6: (On the left) Layout of “Meeting cubes” on a typical floor; (on the right) “meeting cubes” and their transparent walls

55Par leur configuration fermée, les bulles permettent un retrait des plateaux ouverts et peuvent donc être assimilées à des bureaux personnels temporaires. En ce sens, elles sont convoitées et font l’objet de nombreux détournements d’usages et de contournement des règles. Pour pallier les manquements à la règle des deux heures, les parois des bulles sont transparentes, ce qui permet à la fois de vérifier leur disponibilité et de dissuader le dépassement du temps d’usage stipulé (voir Figure 6). Lors de notre étude, nous avons rencontré de nombreux interlocuteurs qui dénoncent le « squat » des bulles par des « abuseurs » qui ne respectent pas les règles d’usage des espaces et qui les « privatisent » comme « bureau personnel ». Un interviewé témoigne d’une anecdote significative sur la frustration que suscitent ces comportements :

« Il y a un an et demi, il y a un mec, on était à côté d’une bulle, tous les jours en fait il se mettait du matin au soir dans la bulle. Quand il partait déjeuner, il laissait son PC, et ça pendant des jours des jours […], puis un jour on a réussi à l’avoir parce qu’il a oublié de se déloguer de son téléphone et on a découvert son nom. Et on a commencé à décorer la bulle comme une chambre d’enfant, et en mettant son nom, il s’appelait Bono, on a écrit “la bulle à Bono”, et on a été chercher du mobilier à certains étages thématique. Et il y a un étage où le thème c’est la petite école, avec des minis-chaises, et des minis-bureaux. Donc on avait mis, on avait changé les bureaux, de la bulle, on avait mis un mini pot avec des crayons de couleurs, des gommes et tout, et le gars, il est resté deux trois jours et puis on ne l’a plus jamais revu (rire). Parce qu’on en avait marre, pendant des mois le gars...ce n’est pas possible, on l’a eu à l’usure, sans rien lui dire, (rire) et je pense qu’il est allé ailleurs, hein, dans le... mais oui, il y a des gens qui abusent. » (GR, 1)

56Cet exemple engage plusieurs réflexions sur la manière dont ces bulles sont perçues et utilisées par les personnes appartenant à la zone d’équipe où elles se trouvent et par les personnes en dehors de cette zone. Nous pouvons ici imaginer que cette personne a choisi de monopoliser cette bulle et de s’en servir comme d’un bureau personnel, car elle se trouvait loin de sa zone d’équipe, profitant ainsi de son statut d’anonyme. Les membres de la zone d’équipe ont vécu ce comportement comme une intrusion de leur espace d’équipe, d’autant plus qu’ils se sont retrouvés privés d’une bulle. Cette expérience collective d’élaboration d’une stratégie pour « chasser l’intrus » a renforcé l’importance de la règle d’usage des bulles au sein de cette équipe. Un autre interlocuteur a assumé occuper les bulles pendant plus de deux heures et a justifié son comportement par un raisonnement élaboré : « Si je fais trois réunions d’une heure, je considère que je fais trois réunions. Du coup je reste 3 heures dans la bulle : 3 créneaux différents » (entendu pendant les observations). La règle est ici réinterprétée et remodelée pour se mettre au service de ce travailleur et appuyer son raisonnement.

57Les bulles offrent également des marges de manœuvre qui permettent à certaines équipes de pallier certaines difficultés spatiales. Nous en avons un exemple avec le témoignage de GR (2) et la photo ci-dessous (voir Figure 7) qui représente une table dans une bulle que son équipe a pu monopoliser pour « répondre à un besoin atypique en mode urgence » :

Figure 7 : Postes test disposés dans une bulle. 
Figure 7: Test laptops installed in a “meeting cube”

Figure 7 : Postes test disposés dans une bulle.  Figure 7: Test laptops installed in a “meeting cube”

« Il y avait un projet où il fallait délivrer beaucoup de machines en très peu de temps. Process. Donc voilà, on s’est installé, on a mis toutes les machines. […] Donc là on s’approprie les locaux. C’est peut-être plus simple de redéfinir l’usage de l’espace dans un univers flexible, par rapport à un univers où tu te mets à telle place. Là c’est plus compliqué parce que là il faut chasser quelqu’un. Là comme les bureaux ne sont pas attribués, dans ce sens-là on peut en squatter un ponctuellement. C’est pas mal. Donc ça c’est intéressant. » GP (1) évoque également l’avantage de la reconfiguration spatiale des équipes dans la réalisation de son activité, notamment pour la « gestion d’incident majeur qui nécessite plusieurs équipes, dont le poste de travail, la messagerie, le réseau l’architecture. Comme on est relativement concentrés au même endroit ça se rapatrie sur une seule et même personne et ça facilite la résolution, du moins l’investigation. Et ça va beaucoup plus vite parce que là il y a un échange en direct. C’est quand les équipes sont vraiment concentré au même endroit, tu as plus de facilité en cas de problème à les rameuter que si elles sont éparpillées. »

58Grâce à cette malléabilité des usages et des fonctions, le changement de fonction de cette bulle et sa mise à disposition de cette équipe, autorisé par la direction a permis aux membres de cette équipe de répondre à un besoin urgent et inattendu et de pouvoir le gérer dans des conditions confortables.

6.2.3. Environnement de travail par activité : optimiser la réunion

59La pratique du soft phone a été généralisée à la suite du réaménagement de A en environnement par activités, pour pallier la suppression des téléphones fixes sur tous les postes de travail dans les plateaux. Ce dispositif consiste à prendre et à recevoir des appels sur un micro-casque grâce à un logiciel informatique. Il permet de participer à des réunions à son poste de travail au sein des plateaux ouverts et il est indispensable pour les personnes qui ne disposent pas de téléphone portable professionnel (comme les prestataires). Les réunions ne sont donc plus dépendantes de la disponibilité et de la réservation des salles de réunion ni des bulles. En restreignant les contraintes liées à la réunion, ce dispositif élargit la marge de manœuvre des sujets. Par exemple, nous avons pu suivre un manager et son équipe qui ont rencontré des problèmes de réservation pour deux salles de réunion successivement sur un même créneau. Ils avaient finalement décidé de retourner à leur poste et de suivre la réunion en soft phone. Cependant, un autre usage généralisé du soft phone s’est diffusé avec des sujets qui ont pris l’habitude d’assister à toutes leurs réunions et de prendre tous leurs appels à leur poste, pour pouvoir travailler en même temps sur des tâches subalternes :

« On fait souvent des conf-call, mais on ne peut pas souvent s’isoler, c’est pas très pratique pour nous de s’isoler dans des bulles avec les autres collaborateurs, parce que parallèlement on participe souvent à des réunions, mais on participe peut-être 5, 10 minutes, pendant 1 heure, et nous on souhaite, on continue de travailler quand même sur d’autres sujets parce que, parce qu’on a des projets, on a des études, on a des incidents à traiter et on… parallèlement à ça pour être un peu, pour optimiser notre temps, ben on reste à notre bureau on suit la conf call, quand on a besoin d’intervenir, on intervient, on se met en mute quand on n’a pas besoin d’intervenir, et on essaye de travailler sur autre chose en même temps. Voilà. » (MK, 1)

60Si le dispositif soft phone permet en quelque sorte de s’affranchir des contraintes de l’espace, il peut constituer une source de nuisance pour les collègues voisins, car « On ne s’entend pas parler. Du coup on parle fort » (voir Figure 8). Les problématiques liées aux réunions téléphoniques dans les plateaux sont bien résumées dans le témoignage de MK :

Figure 8 : Travailleur en softphone à son poste de travail. 
Figure 8: Softphone worker at his workstation

Figure 8 : Travailleur en softphone à son poste de travail.  Figure 8: Softphone worker at his workstation

« Surtout, moi j’ai une grosse voix, Et donc je dérange plus mes collègues que eux me dérangent. […] Et donc parfois il y a Jérôme qui est à côté, et je discute avec d’autres collègues, et Jérôme me dit “Ah j’entends pas, calme toi…”, ou parfois ça arrive quand on est comme ça quand on est en conf call, en général quand on fait une conf call on essaie de s’isoler dans une bulle, mais parfois les bulles elles sont toutes occupées. Les salles de réunion aussi. En fait les salles de réunion on pense les avoir réservées, mais la salle n’a pas accepté et on arrive. Attendez, vous en avez pour… ? Et je dis ben, on a on a réservé la salle. Et ils disent non c’est nous qui avons réservé ! Et on se retrouve parfois dans des situations un peu comme ça. Ben on est obligé de se déplacer, on est obligé de se lever, de couper la réunion et de la reprendre un peu plus loin. Si on arrive à se poser quelque part. » (MK, 2)

6.3. Sujet et espace de travail par activités

6.3.1. Impact sur l’identité et la reconnaissance du sujet

61D’après Bobillier Chaumon (2013), « on ne s’approprie [et on n’accepte] finalement que ce dans quoi on peut se reconnaître » (p. 162). Nous allons donc voir dans cette partie comment les environnements de travail s’insèrent non seulement dans l’activité, mais leur rôle dans la construction subjective du sujet. Une grande majorité des personnes interrogées acceptent ces nouveaux espaces de travail pour l’image de modernité et d’innovation qu’ils confèrent : « On a été précurseurs et c’est vrai que, je pense que les autres entités, maintenant quand elles viennent nous voir, pour certaines elles trouvent ça plutôt bien » (VB, 2), « Il y a une dimension un peu, qui va vers l’avant, qui va vers l’avenir » (YM, 2). Les personnes sont donc fières d’évoluer professionnellement dans ces environnements qui représentent des valeurs en accord avec leurs modes de fonctionnement et leur conception du travail.

62Si nos enquêtés parviennent à s’approprier les agencements spatiaux selon leurs besoins, ils ont tout de même conscience de l’injonction de l’organisation à la mobilité et au dynamisme qu’ils véhiculent. Ils ont conscience que leur existence en tant que sujet est minimisée au sein de ces espaces où tout est mutualisé et où les espaces personnels n’existent plus :

« Il faut que ça bouge, être mobile […]. C’est tout bénef pour les employeurs […] C’est pas des philanthropes ! […] C’est un peu déshumanisant, tu n’as pas ton espace personnel, tu as l’impression d’être un numéro » (GP, 1).

« Il y a des jours où vous arrivez, vous n’avez plus de place, vous savez vous vous sentez un peu à l’écart […], comme un système de punition, que tout le monde arrive tôt le matin, mais en fait il ne faut pas avoir d’enfant […] aller à l’école le matin, sinon vous arrivez plus tard et vous n’avez plus de places… » (GR, 2).

63Cette impression de déshumanisation est par exemple accentuée lors des visites organisées des plateaux considérés, par l’organisation comme une vitrine de promotion de sa modernité auprès de ses clients : « Quand il y a eu des visites pour d’autres sites […] on a l’impression que c’est une visite d’un zoo. […] On a envie de rigoler en placardant sur la paroi “Ne pas nourrir les animaux”, ce genre de chose, mais je pense pas qu’ils ont l’humour pour » (GP, 1). Une stratégie que nos sujets ont trouvée pour se ménager un espace d’intimé au sein de ces plateaux consiste à se mettre dos au mur, pour que leur écran ne soit pas visible : « Il y a un manque aussi d’intimité un peu. Moi ce que j’essaie de faire, si possible, c’est être dos au mur » (GR, 2). En ce sens, MK (1) nous avoue les effets négatifs de ces espaces sur son identité en tant que sujet : « Avant tu étais dans ton bureau […] tu pouvais fermer la porte, tu pouvais appeler, après voilà tu peux discuter de choses et d’autres, mais là tu peux pas parler librement. […] C’est un peu… on s’autocensure on s’autocensure dans cet espace. On peut pas être soi-même » et les incertitudes dans lesquelles ces nouveaux concepts organisationnels plongent le travailleur : « C’est pour que l’employé ils se disent “T’as pas de place attitrée ici”, à tout moment on peut te virer. Il y a rien, tu laisses rien, tu peux partir à tout moment. […] Donc faut pas se leurrer. C’est bien, c’est beau, c’est propre, c’est dynamique… Mais t’es là aujourd’hui, demain tu peux être ailleurs. »

6.3.2. Le cas des prestataires

64Si ces dispositifs spatiaux ont pour objectif d’améliorer la transversalité entre les managers et leurs équipes et de verticaliser leurs interactions, dans le cas de l’organisation A ils deviennent marqueurs des différences de statut au sein de l’organisation entre les travailleurs externes et les prestataires. En effet, deux des équipes que nous avons observées sont composées d’une grande partie de prestataires (Offre de travail et Support). Cette population de prestataires rencontre des difficultés pour évoluer dans ces espaces inhérentes à leur statut. Par exemple, les prestataires au sein de A n’ont pas accès au télétravail contractualisé. Or, leur taux de partage des postes est plus faible que celui des internes, ils ont donc proportionnellement moins de postes de travail que leurs collègues internes. Cette contradiction met en exergue la manière dont les prestataires sont considérés par l’organisation. Un autre exemple est que leurs droits d’admission à la cantine de l’entreprise sont plus élevés. Or, il n’y a plus, dans les plateaux de A, de salle de repos avec micro-ondes. Par conséquent, les prestataires étaient obligés d’enfreindre la règle officielle et de déjeuner à leur poste ou dans le Work Café de leur étage, s’exposant ainsi aux remarques de la part du service Environnement de travail de A. Cette situation est coûteuse pour ces personnes puisqu’elles ont conscience de l’importance de la règle qui interdit la tenue des repas au sein des plateaux :

« C’est vrai que ça peut être gênant. C’est pas agréable forcément de sentir les différentes odeurs de nourriture. […] Et donc, au début c’était la guerre, nous on résistait, là ils nous admettent à la cantine, car elle n’est pas très remplie, mais après ça va se remplir, on va devoir trouver autre chose » (MK, 2).

7. Discussion

65Afin d’avoir un regard plus global sur les transformations liées au cadre physique du travail, sur les effets qu’elles peuvent avoir pour les individus et les groupes, leurs interactions, et la manière dont ils reconfigurent ces dispositifs spatiaux, nous appuyons la mise en discussion de nos résultats autour des quatre dimensions de l’acceptation située (Bobillier Chaumon, 2013). Ce travail nous permet d’illustrer les tendances dominantes des processus d’appropriation de ces espaces de travail, ancrés dans les pratiques des sujets.

66Dimension individuelle : Les espaces de travail par activités fonctionnent sur une logique de postes et d’espaces de travail diversifiés et règlementés dans leurs modalités d’usage. En poussant les personnes à changer régulièrement d’espace et de poste de travail selon le type d’activité qu’ils doivent réaliser, ils introduisent la réflexion spatiale dans le cours des actions des travailleurs, dans une dimension fragmentée et séquencée. On peut dire qu’ils suscitent l’émergence d’une nouvelle activité : penser l’espace dans son activité. L’usage de ces espaces réclame donc des compétences nouvelles, un travail de lecture de l’espace et de ce qu’il indique, officiellement et officieusement. Évoluer dans ces espaces de travail implique donc d’élaborer de nouveaux modes de fonctionnement cognitifs, qui dépassent le prescrit qui reste figé.

67Si les fonctionnalités et les règles officielles associées à chaque espace sont clairement visibles au sein du plateau, les individus et les collectifs s’approprient peu à peu leur espace en lui allouant leurs propres règles de fonctionnement. Les individus se retrouvent alors dans un entre-deux, où ils peuvent se soumettre à la règle officielle, au détriment parfois de leur confort émotionnel (par exemple se sentir intrus dans un espace en dehors de sa zone d’équipe), ou alors se réapproprient les règles d’usage de ces espaces de travail, au risque de se retrouver en dehors de la prescription. Leur usage situé des espaces fait alors l’objet d’un discours de justification et de minimisation de la pratique « hors cadre », comme le fait de s’asseoir à la même place ou de marquer son poste de travail lorsque l’on s’absente.

68L’espace de travail par activité est ainsi envahi par des fonctions nouvelles, pas toujours claires et identifiables du point de vue des personnes qui n’ont pas participé à leur élaboration officieuse. La question de l’entrée des professionnels dans cette histoire « officieuse » et de leur socialisation devient, dans ce contexte, importante. Les personnes peuvent se retrouver dans une situation de doute, où ils n’ont plus la capacité d’identifier clairement la fonction de l’endroit où ils se trouvent. Ce qui peut être source d’inconfort émotionnel.

69Dimension collective : La mise en place des espaces de travail par activités reconfigure les réseaux et les collectifs de travail. Dans un premier temps, cette reconfiguration s’effectue dès les premières étapes de la conception de ces espaces, lors du macro-zoning, qui réfléchit aux logiques de proximité et d’interdépendance entre services. Au cours de l’usage situé, de nouvelles proximités se dessinent, basées sur les besoins de l’organisation. Elles ont effectivement permis à certains services de mieux travailler ensemble. Les sujets ont ainsi pu élargir leurs communautés de pratiques et leur cercle de relations, qui sont devenus autant de ressources pour leur activité, suscitant des dynamiques d’entraide et de support. Cependant, ce constat n’est pas partageable par toutes les équipes, surtout les plus réduites, ou celles qui réalisent des activités « frontières » dans l’organisation.

70Si la proximité spatiale est généralement génératrice de bonnes ententes et de « relations de bon voisinage », elle n’entraîne pas automatiquement les équipes dans un « faire ensemble » productif et pertinent du point de vue de leur travail. En effet, les sujets ont davantage tendance à limiter leurs contacts aux personnes avec lesquelles ils partagent des affinités. Ils sollicitent donc moins les autres services mal connus et difficilement identifiables dans l’espace : « Le contact il ne va pas s’établir. Parce qu’il y a tout autour des étrangers quoi, en termes de, la peur de l’autre en fait. Et ça, je pense que ça doit poser problème. Alors qu’avant, vous alliez voir quelqu’un, vous saviez dans quelle activité il était, quel était son service, quels étaient ses collègues. Donc je pense qu’aujourd’hui ça a plutôt tendance à dégrader » (YM, 1). Si ce dispositif avait pour but de redéfinir des modes de collaboration plus en phase avec les stratégies organisationnelles et les performances attendues, les équipes et leurs membres se rassemblent spatialement autour de leur lien d’affinité, au détriment des besoins de leur activité, comme l’illustrent les sujets qui introduisent une chaise en plus sur une tablée pour être avec leurs collègues, qui sont ainsi contraints de travailler sur un espace réduit. Dans un environnement de travail soumis au taux de partage et à des périodes régulières de densification des espaces, l’attachement au collectif semble s’être renforcé, voire cloisonné dans certains cas, devenant le repère principal guidant les actions des personnes.

71Dimension organisationnelle : La dimension organisationnelle renvoie à la manière dont un dispositif modifie le système de contrôle et d’autonomie des salariés, ainsi que les réactions de ces derniers (Bobillier Chaumon, 2013). Les espaces de travail par activités fonctionnent sur une forte hétéronomie, c’est-à-dire sur une « prescription de la rationalité » (ibid., p. 160). En effet, comme nous l’avons souligné à diverses reprises au cours de cet article, ses règles et modalités de fonctionnement sont dictées et prescrites par l’organisation. Sur leur principe, le cours d’action des travailleurs qui agissent en leur sein est fragmenté en une série de typologies d’activités prédéfinies avec leur espace de réalisation associé. Cette prescription de l’espace fragmente de facto le cours d’action du travailleur, qui doit partager ses actions et les distribuer spatialement dans l’espace, sur les principes d’une bonne compréhension des règles officielles et sur les possibilités offertes par la situation. La pression pour un respect de ces règles d’usage est d’autant plus forte qu’elles sont garantes du bon fonctionnement de ces espaces. C’est leur respect qui garantit à chacun d’avoir une place en arrivant le matin, d’avoir accès à une bulle ou à une salle de réunion lorsque le besoin émerge.

72Cette prescription de l’espace est peu ancrée dans les contingences et les évolutions de l’activité et des besoins des travailleurs. Ces derniers doivent donc élaborer de nouvelles stratégies d’usage, au niveau individuel et collectif et par là repenser, manipuler et mettre en discussion les règles d’usage officielles. Cette réélaboration des règles peut faire l’objet d’une discussion et d’une mobilisation collective, mais elle peut aussi résulter d’un processus cognitif propre aux besoins personnels des sujets. Nous remarquons notamment une difficulté à mettre en mot et à faire exister ces processus d’élaboration des problèmes et de redéfinition des règles, comme ce fut le cas pour l’abuseur de bulle « Bono » et de l’équipe qui a œuvré à le chasser. Les deux parties, dans ce récit, semblent avoir appliqué la stratégie d’évitement qui semble partagée par un grand nombre de nos interviewés.

73En ce sens, nous remarquons une forme d’« autonomie par la prescription de la subjectivité » (ibid.). Les environnements de travail par activités poussent l’individu à faire preuve d’initiative dans ses actions de travail et à élaborer des stratégies pour faire du dispositif spatial une ressource pour l’activité. Cette autonomie peut être vécue comme positive et stimulante, comme ce fut le cas pour l’équipe qui a pu disposer librement d’une bulle pour en faire un laboratoire technique et répondre à un besoin urgent. Mais elle est aussi une conséquence des adaptations aux contingences et aux empêchements dans le cours de l’activité suscités par ces dispositifs spatiaux.

74Dimension identitaire : L’identité des sujets est impactée par leur usage de ces nouveaux espaces de travail. Une grande partie d’entre eux se reconnaissent dans les dynamiques collectives et interactionnelles qui sont encouragées par ces configurations spatiales. En « jouant le jeu » du dynamisme, ils deviennent porteurs des idéaux organisationnels de flexibilité, de convivialité, au service de leur efficacité personnelle, et par conséquent de la performance de leur organisation. Au-delà de l’intégration de l’espace dans leur pensée située et en action, l’éventail de choix et de possibilités qu’ils permettent fait des sujets de véritables acteurs de leur espace de travail. Ils sont libres de choisir leur place et leurs modes de travail selon ce qui fait sens pour eux et leur activité. Le détournement des règles d’usage prescrites est également un moyen de développer leur engagement dans la situation en y intégrant de nouvelles possibilités, ce qui permet d’enrichir la gamme des usages possibles liés aux espaces, ce de manière individuelle et collective.

75Or, les environnements dynamiques en tant que porte-paroles des valeurs de l’organisation, peuvent heurter les modes de penser des individus. Certains de nos sujets restent critiques et insensibles aux convictions qui sont portées par ces formes d’aménagements. Ils se sentent dépossédés d’une part de leur intimité et de leur liberté d’action. Ce sentiment de dépossession d’une fraction de leur pouvoir d’agir est d’autant plus fort lorsque leur statut ne leur donne pas accès à toutes les possibilités offertes par ces dispositifs spatiaux, comme c’est le cas pour la population des prestataires dans notre terrain.

76D’un autre côté, le fonctionnement de ces espaces de travail implique une intégration de ces nouvelles règles de fonctionnement, d’organisation et d’action qui doivent être intégrées dans les pratiques des professionnels. Il y a donc une forme d’autonomie contrainte où chacun doit se débrouiller, créer et mobiliser ses propres ressources pour trouver sa place et tenir son rôle dans l’organisation, compte tenu des prescriptions spatio-organisationnelles, des contraintes de l’activité, et des dynamiques collectives en jeu. Il y donc une plus grande responsabilité et responsabilisation à assumer de la part du professionnel, qui est respectivement responsable de ce qu’il peut faire ou pas, selon la manière dont il a anticipé ses actions, dont il s’est organisé et dont il a compris ces nouvelles organisations et leurs règles de fonctionnement.

8. Conclusion

77Nos résultats mettent en évidence la manière dont les règles inhérentes au fonctionnement de ces espaces de travail sont non seulement comprises et intégrées dans les pratiques des acteurs, mais aussi la manière dont les acteurs les remodèlent, les reconfigurent pour les rendre pertinentes pour leur action. Leur mise en discussion participe à la définition d’un dispositif spatial qui est non seulement un artefact de l’activité, mais aussi un produit constitué et constituant des pratiques situées des usagers. Cette étude propose donc un éclairage sur la manière dont les travailleurs mobilisent les caractéristiques de l’arena pour s’approprier leur espace. Ce travail de recomposition de l’arena ancrée dans l’approche de la cognition située (Lave, 1988) permet d’intégrer pleinement l’engagement de l’utilisateur, considéré comme sujet, dans la situation et de le redéfinir au cœur des enjeux liés à l’espace. En ce sens, c’est la dynamique entre le sujet et sa situation concrète d’action qui est remise au centre de notre questionnement. L’espace est moins considéré comme le produit de l’expérience de ses utilisateurs que comme la résultante de la mise en contact avec un sujet pensant en action. Ainsi, la manière dont les sujets jouent avec les règles d’usage, dont ils choisissent leur poste de travail et leur emplacement, dont ils réagissent aux principes sous-tendus par ces nouveaux espaces de travail, etc., témoigne de leur appropriation de ce dispositif, dans un mouvement dialectique où les actions de transformation du milieu transforment aussi le sujet et redéfinissent les conditions de son action.

78L’approche de l’acceptation située (Bobillier Chaumon, 2013), employée non comme mode d’évaluation de ces espaces, mais comme moyen de compréhension de ce processus d’appropriation élaboré dans l’action, révèle les différents enjeux que ces nouveaux espaces de travail portent. Il permet de faire le lien entre l’activité, les valeurs, les attentes et les usages reconnus que les sujets ont de ce dispositif spatial. C’est donc moins l’espace et sa représentation (favorable ou défavorable) qui sont appréciés ici que les effets plus ou moins favorables de l’usage de l’espace sur les pratiques professionnelles et l’exercice du métier. Autrement dit, on s’intéresse moins à l’acceptation de l’espace lui-même qu’à l’acceptation des (nouvelles) pratiques de travail, règles de métiers et de fonctionnement qui sont contraintes, requises, transformées ou empêchées par l’utilisation de ces espaces par activités.

79Le concept même d’environnement de travail « basé sur l’activité » et la manière dont les concepteurs et les gestionnaires s’en saisissent nourrissent la promesse d’un ajustement entre l’espace et l’activité. Or, le concept d’activité tel qu’ils l’opérationnalisent, c’est-à-dire sous la forme de règles et de concepts généraux, interaction, concentration, collaboration… empêche cet ajustement et les réflexions sur et à partir du travail concret et situé. En réévaluant le rôle cognitif et subjectif du sujet, nous avons montré la manière dont les règles d’usage de ces espaces, constitutives de l’arena sont pensées, mises au travail et réorganisées, de manière individuelle et collective, pour permettre l’action. Or, ce travail considéré comme déviant et comme un éloignement du prescrit dans le cadre de cet Observatoire est rarement et difficilement mis en mot. Créer un cadre de parole pour « faire parler l’espace » pourrait être l’occasion de révéler cette activité et d’en tirer des enseignements pour créer de meilleures conditions pour l’appropriation de ces espaces.

80Au vu des évolutions actuelles des organisations, des métiers et du cadre spatio-temporel de leur réalisation, il serait pertinent de s’emparer davantage de ces dispositifs spatiaux comme objet de recherche et de les analyser du point de vue psychologique et développemental. Cette étude s’ancre trois années après l’emménagement de cette organisation en environnement de travail par activités, dans un contexte où les caractéristiques exceptionnelles de ce donné par rapports aux environnements de travail attribués plus classiques sont normalisées. Il serait intéressant de voir comment ces dispositifs spatiaux sont pensés par les concepteurs et mis en place au sein des organisations, afin de saisir les ruptures et les liens qu’ils occasionnent dans le cours de l’activité de ses utilisateurs. Dans ce but, il conviendrait de pousser la réflexion aux caractéristiques des fonctions et des métiers des utilisateurs de ces espaces. Cette ouverture sur l’activité des acteurs permettrait notamment d’étayer notre compréhension de la manière dont l’usage des espaces de travail par activités impacte et module le lien des acteurs à leur propre activité, dans une visée qui serait davantage développementale.

Haut de page

Bibliographie

Appel-Meulenbroek, R., Groenen, P., & Janssen, I. (2011). An end-user’s perspective on activity-based office concepts. Journal of Corporate Real Estate, 13(2), 122‑135.

Bardin, L. (2013). L’analyse de contenu. Paris : Presses Universitaires de France. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/puf.bard.2013.01

Béguin, P., & Clot, Y. (2004). L’action située dans le développement de l’activité. Activités, 1(2), 27‑49, http://activites.revues.org/1237

Benedetto-Meyer, M., & Cihuelo, J. (2016). L’espace dans l’analyse du travail. Présentation du Corpus. La nouvelle revue du travail, 9. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/nrt.2859

Bobillier Chaumon, M.-E. (2013). Conditions d’usage et facteurs d’acceptation des technologies : Questions et perspectives pour la psychologie du travail. [Habilitation à Diriger des Recherches (HDR)]. Université Pierre Mendès-France.

Cahour, B., Licoppe, C., & Créno, L. (2018). Articulation fine des données vidéo et des entretiens d’auto-confrontation explicitante : Étude de cas d’interactions en covoiturage. Le Travail Humain, 81(4), 269‑305. Cairn.info. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/th.814.0269

Cobaleda Cordero, A., & Babapour Chafi, M. (2017). Discrepancies between intended and actual use in Activity-based Flexible Offices—A literature review. 11.

De Been, I., & Beijer, M. (2015). How to cope with dilemmas in activity based work environments: results from user-centred research. EuroFM Research Papers 2015, (June), 1‑10.

Denis, J., & Pontille, D. (2010). Performativité de l’écrit et travail de maintenance. Réseaux, 5(163), 105–130

Dodier, N., & Baszanger, I. (1997). Totalisation et altérité dans l’enquête ethnographique. Revue française de sociologie, 38(1), 37‑66.

Engelen, L., Chau, J., Young, S., Mackey, M., Jeyapalan, D., & Bauman, A. (2019). Is activity-based working impacting health, work performance and perceptions? A systematic review. Building Research & Information, 47(4), 468‑479. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/09613218.2018.1440958

Engeström, Y. (1987). Learning by expanding: An activity- theoretical approach to developmental research. Helsinki : Orienta- Kosultit.

Fischer, G. N. (1989). Psychologie des espaces de travail. Paris : Armand Colin.

Flanagan, J. C. (1954). The critical incident technique. Psychological Bulletin, 51(4), 33. http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1037/h0061470

Grandazzi, A. (2018). Espaces, pratiques et transition dans l’organisation : Une ethnographie en gares. Université Paris sciences et lettres.

Grosjean, M., & Lacoste, M. (1999). Communication et intelligence collective. Paris : Presses Universitaires de France http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/puf.grosj.1999.01

Heddad, N. (2017). L’espace de l’activité : Une construction conjointe de l’activité et de l’espace. Le Travail Humain, 80(2), 207. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/th.802.0208

Hoendervanger, J. G., De Been, I., Van Yperen, N. W., Mobach, M. P., & Albers, C. J. (2016). Flexibility in use : Switching behaviour and satisfaction in activity-based work environments. Journal of Corporate Real Estate, 18(1), 48‑62. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1108/JCRE-10-2015-0033

Humphry, J. (2014). Visualising the future of work : Myth, media and mobilities. Media, Culture & Society, 36(3), 351‑366. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1177/0163443713517730

Ianeva, M., Ciobanu, R., & Lai, C. (2021). Les nouveaux territoires physiques de l’activité digitale. IN M.E. Bobillier Chaumon (Ed.), Digital Transformations in the Challenge of Activity and Work: Understanding and Supporting Technological Changes (304). Wiley-ISTE.

Ianeva, M., Ciobanu, R., & Vacherand-Revel, J. (2017). De l’aménagement des bureaux à la transformation des modes de travail : quelles répercussions collectives ? Psychologie du Travail et des Organisations, 23(2), 137‑158. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1016/j.pto.2017.03.002

Jemine, G. (2019). Organizing Strategic Decision: Decisional Work in New Ways of Working Projects. Liège : Université Sciences Sociales.

Kingma, S. (2018). New ways of working (NWW): Work space and cultural change in virtualizing organizations. Culture and Organization, 25(5), 383–406.

Kirsh, D. (1995). The intelligent use of space. Artificial Intelligence, 73(1‑2), pp. 31‑68.

Lacan, A. (2017). Mieux-être au travail : Gadget RH ou vrai levier de performance pour les entreprises ? Management & Sciences Sociales, 22, 14–37.

Lallemand, C., & Gronier, G. (2016). Méthodes de Design UX. 30 méthodes fondamentales pour concevoir et évaluer les systèmes interactifs. Eyrolles.

Lave, J. (1988). Cognition in practice: Mind, mathematics and culture in everyday life. New York, NY, US: Cambridge University Press. http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/CBO9780511609268

Lefebvre, H. (1974). La production de l’espace. L’Homme et la société, 31(1), 15‑32. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/homso.1974.1855

Léon, E. (2010). Territorialité et bureaux virtuels : Un oxymore ? Annales des Mines - Gérer et comprendre, 99(1), 32. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/geco.099.0032

Lussault, M., & Stock, M. (2010). “Doing with space”: towards a pragmatics of space. Social Geography, 5, 11‑19.

Maclouf, E. (2011). Espaces de travail et management. Revue de gestion des ressources humaines, 81(3), 5. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/grhu.081.0005Merleau-Ponty, 1945

Meijer, E. M., Frings-Dresen, M. H. W., & Sluiter, J. K. (2009). Effects of office innovation on office workers’ health and performance. Ergonomics, 52(9), 1027‑1038. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/00140130902842752

Mengis, J., Nicolini, D., & Gorli, M. (2016). The video production of space: how different recording practices matter. Organizational Research Methods, 21(2), 1‑28. http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1177/1094428116669819

Minchella, D., & Sorreda, T. (2020). Défaire le lieu : Le « non-lieu » comme pratique de résistance organisationnelle. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, XXVI(65), 91. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rips1.065.0091

Pillon, T. (2016). Retour sur quelques modèles d’organisation des bureaux de 1945 à aujourd’hui. La nouvelle revue du travail, 9. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/nrt.2860

Poupon, L. (2017). L’acceptation de la voiture électrique : Étude d’un processus, de l’acceptabilité à l’acceptation située. Psychologie. Université de Lyon.

Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.

Rousseau, T., & Ruffier, C. (2017). L’entreprise libérée entre libération et délibération : Une analyse du travail d’organisation dans une centrale d’achat. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, XXIII(56), 109. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rips1.056.0109

Simondon, G. (1989). Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier.

Suchman, S. (1987). Plans and situated actions. The problem of human-machine communication. Cambridge : University Press.

Taskin, L. (2012). Déspatialisation : Enjeux organisationnels et managériaux. Perspective critique et études de cas sur la transformation du contrôle dans le cadre du télétravail à domicile. SLRrbrucken : Éditions Universitaires Européennes.

Vásquez, C., & Cooren, F. (2013). Spacing practices: The communicative configuration of organizing through space-times. Communication theory, 23(1), 25‑47.

Vermersch, P. (2000). Conscience directe et conscience réfléchie. Intellectica, 2(31), 269‑311.

Vischer, J. C. (2008). Towards an Environmental Psychology of Workspace: How People are Affected by Environments for Work. Architectural Science Review, 51(2), 97 108. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3763/asre.2008.5114

Vygotski, L. (1931/2014), Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures. Paris : La Dispute.

Wohlers, C., & Hertel, G. (2017). Choosing where to work at work–towards a theoretical model of benefits and risks of activity-based flexible offices. Ergonomics60(4), 467‑486.

Yaneva, A., & Guy, S. (2008). Guest Editorial. Understanding Architecture, Accounting Society. Science Studies, an interdisciplinary Journal for Science and Technology Studies, 21(1), 3‑7. https://sciencetechnologystudies.journal.fi/article/view/55230/18065

Haut de page

Notes

1 Le taux de partage correspond au ratio entre le nombre de postes de travail disponibles et le nombre d’employés d’une organisation.

2 Sans présenter une cohérence théorique d’ensemble, ces travaux partagent l’idée que l’espace ou le bâtiment n’est pas un contenant statique mais est à (re)penser comme partie intégrante d’un processus.

3 Klaxoon est une solution en ligne qui permet à un animateur de créer des activités pour animer des réunions et des brainstorming de manière interactive

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : plans d’un étage de A (on peut voir la circulation centrale qui structure chaque étage de l’immeuble).  Figure 1: Floor plans of A (we can see the central circulation that structures each floor of the building)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-1.png
Fichier image/png, 2,5M
Titre Tableau 1 : Espaces de travail, usages et images associés chez A.  Table 1: Presentation of the different types of workspaces at A
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-2.png
Fichier image/png, 2,1M
Titre Tableau 2 : Postes de travail, usages et images associés chez A.  Table 2: Presentation of the different types of workstation at A
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-3.png
Fichier image/png, 2,4M
Titre Tableau 3 : Présentation des équipes observées sur les trois journées d’observation.  Table 3: Presentation of the three observation days
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-4.png
Fichier image/png, 3,1M
Titre Tableau 4 : Présentation des sujets.  Table 4: Presentation of the subjects
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-5.png
Fichier image/png, 671k
Titre Tableau 5 : Analyse des résultats.  Table 5: Results analysis
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-6.png
Fichier image/png, 813k
Titre Figure 2 : Micro-zoning d’un étage de A.  Figure 2: A floor micro-zoning plan of A
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-7.png
Fichier image/png, 1,8M
Titre Figure 3 : Point en management visuel à 10 h au sein de l’open space.  Figure 3: Visual management meeting at 10 a.m. within the open space
Légende « Là où c’est compliqué, c’est que pour pouvoir faire ça, il faut que toutes les équipes qui bossent autour du projet soit au même endroit, pour voir au moins le management visuel. Et du coup ça “sédentarise” dans la zone une équipe. Parce que forcément ils sont obligés de pas être trop loin de ce panneau-là. […] ça peut sédentariser un peu l’activité. Ça c’est peut-être l’inconvénient par rapport aux espaces dynamiques [par activités]. Par contre l’avantage que j’y vois moi c’est que c’est visuel et que les autres équipes le voient. C’est […] ça donne aussi une bonne image de l’équipe. Une image de dynamisme de l’équipe. » (VB, 1)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-8.png
Fichier image/png, 148k
Titre Figure 4 : Manager installé à un poste « Semi‑concentration » « marqué » par un sac.  Figure 4: Manager installed at a “semi-focus” desk which is “marked” by a backpack
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-9.png
Fichier image/png, 220k
Titre Figure 5 : Interactions spontanées à proximité d’un bench « Concentration ».  Figure 5: Informal points carried out in the proximity of a “focus” desk
Légende « Moi je suis amené à rédiger des documents de plusieurs pages. […] Au début je me mettais là [aux postes “Concentration”]. A un moment donné j’y arrivais plus parce que je suis perpétuellement dérangé. Comme les gens passent à côté de vous, il y a du bruit, les gens viennent vous poser des questions toutes les 10 minutes, donc en fait vous n’y arrivez pas, vous décrochez. […] Donc vous êtes obligé de partir et d’aller quelque part. Alors une ou deux fois j’ai phagocyté une bulle, en me disant bon là il faut que j’avance parce que... […] J’arrive pas à me concentrer dans ces espaces-là. […] Donc, j’ai aussi été amené réserver des salles de réunion pour m’isoler tout seul. » (GR, 2)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-10.png
Fichier image/png, 257k
Titre Figure 6 : (à gauche) Disposition des bulles sur un étage-type ; (à droite) bulles et leurs parois transparentes Figure 6: (On the left) Layout of “Meeting cubes” on a typical floor; (on the right) “meeting cubes” and their transparent walls
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-11.png
Fichier image/png, 1,7M
Titre Figure 7 : Postes test disposés dans une bulle.  Figure 7: Test laptops installed in a “meeting cube”
Légende « Il y avait un projet où il fallait délivrer beaucoup de machines en très peu de temps. Process. Donc voilà, on s’est installé, on a mis toutes les machines. […] Donc là on s’approprie les locaux. C’est peut-être plus simple de redéfinir l’usage de l’espace dans un univers flexible, par rapport à un univers où tu te mets à telle place. Là c’est plus compliqué parce que là il faut chasser quelqu’un. Là comme les bureaux ne sont pas attribués, dans ce sens-là on peut en squatter un ponctuellement. C’est pas mal. Donc ça c’est intéressant. » GP (1) évoque également l’avantage de la reconfiguration spatiale des équipes dans la réalisation de son activité, notamment pour la « gestion d’incident majeur qui nécessite plusieurs équipes, dont le poste de travail, la messagerie, le réseau l’architecture. Comme on est relativement concentrés au même endroit ça se rapatrie sur une seule et même personne et ça facilite la résolution, du moins l’investigation. Et ça va beaucoup plus vite parce que là il y a un échange en direct. C’est quand les équipes sont vraiment concentré au même endroit, tu as plus de facilité en cas de problème à les rameuter que si elles sont éparpillées. »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-12.png
Fichier image/png, 313k
Titre Figure 8 : Travailleur en softphone à son poste de travail.  Figure 8: Softphone worker at his workstation
Légende « Surtout, moi j’ai une grosse voix, Et donc je dérange plus mes collègues que eux me dérangent. […] Et donc parfois il y a Jérôme qui est à côté, et je discute avec d’autres collègues, et Jérôme me dit “Ah j’entends pas, calme toi…”, ou parfois ça arrive quand on est comme ça quand on est en conf call, en général quand on fait une conf call on essaie de s’isoler dans une bulle, mais parfois les bulles elles sont toutes occupées. Les salles de réunion aussi. En fait les salles de réunion on pense les avoir réservées, mais la salle n’a pas accepté et on arrive. Attendez, vous en avez pour… ? Et je dis ben, on a on a réservé la salle. Et ils disent non c’est nous qui avons réservé ! Et on se retrouve parfois dans des situations un peu comme ça. Ben on est obligé de se déplacer, on est obligé de se lever, de couper la réunion et de la reprendre un peu plus loin. Si on arrive à se poser quelque part. » (MK, 2)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/6563/img-13.png
Fichier image/png, 380k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Chiara Lai, Maria Ianeva, Marc-Éric Bobillier Chaumon et Audrey Abitan, « Une perspective située pour penser l’appropriation des espaces de travail « par activités » »Activités [En ligne], 18-2 | 2021, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/6563 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/activites.6563

Haut de page

Auteurs

Chiara Lai

CNAM, Équipe Psychologie du travail et clinique de l’activité, CRTD, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris lai.chiara42@gmail.com

Maria Ianeva

CNAM, Équipe Psychologie du travail et clinique de l’activité, CRTD, 41 rue Gay Lussac, 75005 Paris maria.ianeva@lecnam.net

Articles du même auteur

Marc-Éric Bobillier Chaumon

CNAM, Équipe Psychologie du travail et clinique de l’activité, CRTD, 41 rue Gay Lussac, 75005 Paris - marc-eric.bobillier-chaumon@lecnam.net

Articles du même auteur

Audrey Abitan

Colliers France, 41 rue Louise Michel, 92300 Levallois-Perret.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search