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Dossier : Le programme de recherche cours d’action

L’analyse de l’activité dans les situations sportives par l’articulation de données hétérogènes : Réflexions et perspectives au service de l’ingénierie de conception

Activity analysis in sports situations by articulating heterogeneous data: reflections and perspectives for design engineering
David Adé, Nathalie Gal-Petitfaux, Nadège Rochat, Ludovic Seifert et Olivier Vors
Traduction(s) :
Activity analysis in sports situations by articulating heterogeneous data: reflections and perspectives for design engineering [en]

Résumés

L’objectif de cet article est d’analyser et de discuter de l’évolution des méthodologies articulant des données hétérogènes (i.e., expérientielles et comportementales) qui se développent actuellement dans le cadre du programme de recherche du cours d’action (Theureau, 2004, 2006, 2009, 2015). Dans le domaine de l’expertise en sport, ont été récemment conduites des recherches qui ont articulé des données verbalisables-conscientisables et des données comportementales non conscientes afin de renseigner l’activité instrumentée experte. Il est constaté des différences méthodologiques entre ces études concernant le poids accordé et le degré d’équilibre entre ces données hétérogènes et des conditions de recueil et traitement de celles-ci. Trois études sont présentées en trail, en natation, et en cascade de glace, distinctes de par leur méthodologie articulatoire et leur condition de recueil et traitement des données, à partir desquelles sont envisagés les avantages et limites pour l’aide à la conception du matériel sportif et un questionnement sur l’observatoire du programme de recherche du cours d’action. Au total, cette évolution méthodologique dans ce programme de recherche invite à questionner les méthodes de conception du matériel sportif, les relations sportif – chercheur – concepteur et la portée heuristique pour l’analyse de l’activité en situation de travail possédant des similarités avec l’activité instrumentée dans les situations sportives.

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Notes de la rédaction

Article soumis le 2 mars 2020, accepté le 12 mai 2020

Texte intégral

Introduction

1Dans les travaux conduits pour comprendre les ressorts de l’expertise en sport, deux conceptions majeures et contrastées nous semblent aujourd’hui identifiables. La première que nous qualifions « d’expertise du sujet » consiste à considérer les fondements de l’expertise principalement dans les compétences cognitives et perceptives propres au sujet, lui permettant de réaliser un haut niveau de performance répété dans le temps (Ericsson, Krampe, & Tesch-Römer, 1993 ; Ericsson & Lehmann, 1996). Ces travaux ont grandement participé au développement de connaissances sur les mécanismes cognitifs et perceptifs impliqués dans la performance et l’expertise (Abernethy, Poolton, Masters, & Patil, 2008). Pour autant, ces travaux présentent souvent une conception morcelée de l’activité fondée sur des relations linéaires entre les dimensions cognitives et perceptives, et avec une prise en compte réduite de l’environnement.

2La deuxième conception que nous qualifions « d’expertise du couplage » refuse de circonscrire l’expertise au seul niveau du sujet, mais la situe au sein du couplage acteur-environnement (Davids, Hristovski, Araújo, Balague Serre, Button, & Passos, 2014). Dans cette conception, des travaux récents ont été conduits notamment dans deux approches. Dans l’une d’entre elles, l’approche de la dynamique écologique (Button, Seifert, Araujo, Chow, & Davids, 2020), les résultats s’attachent à montrer que l’expertise dépend de la capacité de l’acteur à atteindre le but de la tâche à travers des boucles de perception-action, et en prenant en compte un ensemble de contraintes en interaction (de l’environnement, de l’organisme et de la tâche) (Davids et al., 2014 op. cit. ; Seifert, Button, & Davids, 2013). L’autre approche dans laquelle nous nous inscrivons, est celle du programme de recherche du cours d’action (PRCA) (Theureau, 2004, 2006, 2009, 2015). Partageant avec l’approche de la dynamique écologique l’idée d’inséparabilité de l’acteur et de l’environnement, le PRCA s’inscrit pleinement dans cette conception « d’expertise du couplage » et développe des travaux dont les résultats confirment la définition de l’expertise comme émergeant des relations circulaires de co-définition entre l’acteur et l’environnement (Adé, Seifert, Gal-Petitfaux, & Poizat, 2017 ; Bourbousson, Poizat, Saury, & Sève, 2011a ; Gesbert, Durny, & Hauw, 2017 ; Hauw, 2018 ; Sève, Nordez, Poizat, & Saury, 2013).

3L’activité étant souvent instrumentée dans le cadre des pratiques sportives, des recherches conduites dans le PRCA se sont attachées à rendre compte de la place et du rôle de la matérialité dans la structuration de l’activité sportive experte (Adé et al., 2017, op. cit. ; Gal-Petitfaux, Adé, Poizat, & Seifert, 2013 ; Rochat, Seifert, Guignard, & Hauw, 2019). Ces travaux défendent l’importance du processus d’appropriation des artefacts matériels comme clés de l’expertise (Adé et al., 2017, op. cit.). En effet, en montrant que le processus d’appropriation concentre ceux d’intégration d’un artefact matériel au corps propre de l’acteur, d’individuation de son usage et de transformations plus ou moins importantes de cet artefact (Theureau, 2011), le triptyque acteur-artefact(s)-environnement a été proposé comme réduction possible d’analyse de l’expertise dans la conception que nous avons qualifiée précédemment « d’expertise du couplage » (Adé et al., 2017 op. cit.). Cette réduction permet de rendre compte de la place et du rôle des artefacts matériels dans l’expertise en sport en les considérant comme à la fois constituant et constitutif du couplage acteur-environnement. Si le processus d’appropriation peut être renseigné à partir des dimensions de l’expérience subjective des athlètes, moyennant certaines conditions méthodologiques, il existe des dimensions comportementales (e.g., des dimensions biomécaniques) de l’activité experte qui restent non signifiantes pour un athlète. Dès lors, la convocation de données verbalisables-conscientisables et comportementales non conscientes peut rendre compte finement de l’activité ciblée par la recherche à des fins de conception d’artefacts matériels. En effet : « une part importante des actions motrices des athlètes de haut niveau est fortement automatisée, au point que leurs propriétés biomécaniques reposent parfois sur des processus non accessibles à la conscience pré-réflexive de l’acteur et non verbalisables par lu » » (Gal-Petitfaux et al., 2013, op. cit., p. 263). Ainsi, si le matériel de progression (des piolets, crampons et dégaines) participe à augmenter le répertoire d’actions possibles chez un grimpeur expert en cascade de glace, bien qu’expert, des composants biomécaniques de ses actions (comme la flexibilité des coordinations motrices à des fins d’adaptabilité lors des interactions avec le matériel) restent inaccessibles à la conscience du grimpeur. C’est pourquoi l’observatoire du PRCA a cherché récemment à articuler des données de nature différente pour renseigner la complexité de l’activité sportive experte, et en particulier les interactions avec des artefacts matériels. La centration sur l’activité sportive experte se justifie entre autres par la flexibilité des comportements moteurs experts (Seifert et al., 2013) et par l’importance du rôle des artefacts matériels dans la réalisation de la performance (Adé et al., 2017, op. cit.). Ces points offrent aux chercheurs un terrain d’étude privilégié pour accéder à des données comportementales et d’expérience à la fois riches et variées susceptibles d’être une aide pour la conception de matériels sportifs à des fins d’optimisation de la performance. Pour y parvenir, des méthodologies différentes ont été convoquées qui sont sources d’enjeux aussi bien pour des visées de conception que pour le PRCA lui-même.

1. Renseigner les dimensions expérientielles et comportementales de l’activité instrumentée : enjeux et méthodes pour des visées de conception

4De façon synthétique trois approches se distinguent dans le domaine de la conception du matériel sportif. Deux d’entre elles sont centrées soit sur les dispositifs (l’approche “engineering”), soit sur les composants humains (l’approche “human factor” (pour une synthèse voir Boff, 2006). La troisième marque une rupture en ce centrant sur l’utilisateur et regroupe l’approche “user centered design” (Norman, & Draper, 1986) et l’approche “activity-centred ergonomic” (e.g., Récopé, Fache, Beaujean, Coutarel, & Rix-Lièvre, 2019). Si les deux premières privilégient une analyse des interactions athlète(s)/matériel sportif à partir de données de mesures physiques dans des conditions expérimentales, la troisième place « l’athlète-utilisateur » en situation écologique au centre du processus de conception. En accordant une place privilégiée à l’utilisateur en situation sportive réelle, l’approche “user centered design” a développé entre autres un critère heuristique en ergonomie : le critère d’utilisabilité (Nielsen, 1993). L’utilisabilité englobe celui d’utilité (i.e., l’adéquation entre la finalité du matériel et le but de l’utilisateur en situation d’interaction avec l’artefact matériel), mais le dépasse en y englobant le niveau d’acceptabilité, d’efficacité, d’apprenabilité et de plaisir ressenti par l’utilisateur. Si l’approche “user centered design” rompt avec une conception de « l’homme-machine », elle se caractérise par des méthodologies variées pour investiguer l’utilisabilité tout au long de la phase de conception – des questionnaires, des mises en scène simulées, des groupes de discussion, etc. (pour une synthèse, voir Preece, & Rogers, 2007). Toutefois si ces méthodologies visent à prendre en compte le point de vue de l’acteur, elles ne permettent pas d’accéder à ce qui est effectivement vécu par l’utilisateur en situation réelle à savoir : son expérience subjective en situation et l’appropriation par lui d’un matériel.

5La prise en compte en ergonomie de la dimension expérientielle s’est développée en dehors du domaine sportif à travers l’approche “user experience design” (e.g., Garrett, 2010 ; Hassenzahl, Law, & Hvannberg, 2006). Cette approche a contribué entre autres à (1) questionner les méthodes basées sur des critères pré-définis par le concepteur, (2) pointer l’intérêt de prendre en compte la situation réelle comme objet d’analyse, et (3) dévoiler l’existence de situations paradoxales où certains critères de performance étaient satisfaits alors que le dispositif était vécu comme peu satisfaisant voir déplaisant par les utilisateurs. L’approche “user experience design” est donc une évolution de l’approche “user centered design” et c’est dans cette veine que des études conduites dans le PRCA ont commencé à s’intéresser à l’activité sportive instrumentée experte en se centrant exclusivement sur l’expérience en situation réelle de nageurs de haut niveau, dans le but de discuter le critère d’utilisabilité (Poizat, Adé, Seifert, Toussaint, & Gal-Petitfaux, 2010).

6Ainsi, pour rendre compte des dimensions verbalisables-conscientisables et non conscientes de l’activité sportive experte, de nombreux travaux ont développé dans le PRCA des observatoires articulant des données en première personne (point de vue personnel de l’acteur sur son expérience vécue) et des données en troisième personne (dimensions comportementales observables identifiées par une analyse en extériorité et pouvant ne pas faire sens pour l’acteur). Ces observatoires se sont entre autres caractérisés par une diversité méthodologique qui nous semble intéressante de discuter. Dans cet article, nous qualifions « d’articulatoire » toute méthodologie croisant des données hétérogènes (i.e., des données d’expérience et des données comportementales) sans présager du type d’articulation entre ces données.

2. Renseigner et articuler les dimensions expérientielles et comportementales de l’activité : Enjeux et méthodes pour le programme de recherche du cours d’action

7Le cours d’in-formation est un des objets théoriques du PRCA permettant de rassembler et relier le niveau expérientiel et le niveau non-expérientiel (Theureau, 2006, op. cit.). Ce dernier enrichit de ce fait le cours d’expérience (le cours d’expérience circonscrit l’analyse de l’activité à ce qui est significatif pour l’acteur), de données d’observation du corps, du comportement ou de la situation n’ayant pas donné lieu à expérience pour l’acteur. Le cours d’in-formation inclut donc des éléments qui n’appartiennent pas à la conscience pré-réflexive de l’acteur, mais qui sont « néanmoins pertinents pour l’organisation interne de l’acteur à chaque instant » (Theureau, 2006, op. cit., p. 50). Le cours d’in-formation a connu ses premiers développements dans des études visant la conception de système d’aide à la conduite automobile (Villame, 2004) et dans le domaine de la sûreté nucléaire (Theureau, Filippi, Saliou, & Vermersch, 2001). Ces études que nous qualifions de pilotes du point de vue théorique et méthodologique confirment la pertinence de cet objet théorique pour accéder aux clés de la performance ou de l’expertise en sport. Ainsi, dans cette veine, Poizat (2006) renseigne l’articulation des cours d’in-formation de pongistes en situation de match en mobilisant les outils de l’ethnométhodologie. À partir d’enregistrements vidéos, il identifie par exemple des communications non verbales (signe pour annoncer le service), des mimiques faciales, des postures ou des placements dans l’aire de jeu et parvient à mettre en avant des structures d’interactions récurrentes, non perçues par les pongistes eux-mêmes. Poizat est certainement le chercheur ayant effectué dans le domaine du sport « un premier pas vers l’objet théorique du cours d’in-formation, en révélant des dimensions de la culture des pongistes incorporées dans leur activité en compétitif » (Saury, Nordez, & Sève, 2010, p. 22) encourageant d’autres travaux dans le domaine de l’expertise en sport à articuler des données de nature différente. Si le cours d’in-formation constitue un objet théorique permettant de dépasser les limites des descriptions du cours d’expérience de l’acteur, il se fonde sur le respect de deux présupposés théoriques du PRCA inscrits dans une épistémologie énactive (Varela, 1989 ; Varela, Thompson, & Rosch, 1993).

8Le premier présupposé concerne la dimension située de l’activité : il impose l’analyse in situ de l’activité. Le deuxième présupposé est relatif aux dimensions autonome et cognitive de l’activité : il impose de ce fait la priorité au point de vue de l’acteur, c’est-à-dire le primat de l’intrinsèque. Autrement dit, le cours d’in-formation convoque une analyse préalable du cours d’expérience, positionnant les données en première personne comme prioritaires et centrales (au regard de celles en troisième personne) et un respect des conditions d’effectuation réelle de l’activité étudiée. Si certains travaux s’inscrivent scrupuleusement dans ces princeps méthodologiques (e.g., Saury et al., 2010) d’autres s’en émancipent sans d’ailleurs revendiquer une analyse à partir de l’objet théorique cours d’in-formation, mais préférant qualifier la méthode d’approche « mixte », « multi-sources » ou « multi-niveaux » (e.g., Hauw, Rochat, Gesbert, Astolfi, Antonini, Philippe et al., 2016 ; Rochat et al., 2019 ; Vors, Cury, Marqueste, & Mascret, 2019), ou encore d’inscrire leurs études dans l’approche énactive (Rochat, Hacques, Ganière, Seifert, Hauw, & Adé, 2020). En nous appuyant sur le travail de Quidu et Favier-Ambrosini (2014), nous pouvons caractériser la diversification des méthodologies articulatoires. À partir d’une revue de littérature centrée sur les travaux de recherche articulant des données en première et troisième personne, les auteurs proposent deux analyseurs pour distinguer ces travaux dans le domaine du sport : le premier est relatif à la nature des données mobilisées, le deuxième aux modes d’articulation de ces données.

9Sur cette base les auteurs inventorient des données en troisième personne comme par exemple des données mécaniques et biomécaniques sur les gestes, postures, mouvements de l’athlète (e.g., Bourbousson, & Fortes 2012 ; Saury et al., 2010, op. cit. ; Seifert, Wattebled, Herault, Poizat, Adé, Gal-Petitfaux et al., 2014) ou encore des données physiologiques (e.g., Berteloot, 2008 ; Vors, Cury, Marqueste, & Mascret, 2019 ; Vors et al., 2018). Concernant le mode d’articulation des données, « les travaux articulatoires se différencient de par le degré d’équilibre statutaire et probatoire qu’ils accordent aux deux types de données » (Quidu, & Favier-Ambrosini, 2014, p. 15). On distingue par conséquent des travaux pour lesquels les données « travaillent » dans une relation de subordination, ou au contraire d’égalité entre les matériaux. Dans les cas de relations de subordination, le déséquilibre est en faveur des données d’expérience pour des études revendiquant l’objet théorique du cours d’in-formation (e.g., Gal-Petitfaux et al., 2013, op. cit.). Mais parfois, ce sont les données en troisième personne qui sont priorisées, convoquant les données d’expérience à des fins de complémentarité, d’enrichissement des résultats (e.g., Seifert, Lardy, Bourbousson, Adé, Nordez, Thouvarecq et al., 2017). Ou encore, dans d’autres cas, si les données d’expérience ont le primat, elles sont mobilisées à des fins d’échantillonnage, d’identification de moments clés dans l’activité qui seront alors étudiés à partir de données en troisième personne (e.g., Rochat et al., 2019 op. cit.). Enfin certains travaux rompent avec la relation de subordination pour faire travailler les données à égalité de statut et de valeur (Seifert et al., 2014, op. cit.).

10Si ces distinctions relatives à la nature des données convoquées et à la façon de les articuler sont utiles pour clarifier la diversité des options méthodologiques, elles nous semblent devoir être complétées par un troisième analyseur du fait du présupposé théorique relatif à la dimension située de l’activité : les conditions de recueil et de traitement des données. Sur ce point nous pouvons distinguer des études conduites : (1) en situation réelle (e.g., Gal-Petitfaux et al., 2013, op. cit. ; Saury et al., 2010 op. cit.) ; ou (2) dans ce que nous qualifions « d’environnement contrôlé ». Si la situation réelle qualifie la fidélité à l’environnement de pratique d’entrainement ou de compétition, l’environnement est dit contrôlé lorsque le chercheur en modifie des caractéristiques pour favoriser la saisie de certaines données en troisième personne tout en préservant une proximité avec les conditions écologiques de la pratique. C’est par exemple le cas pour l’étude de Pouponneau, Poizat, Gal-Petitfaux et Adé (2011) dont les données biomécaniques ont été recueillies à partir de frappes répétées sur un bloc de polystyrène extrudé avec des piolets de différentes formes en situation de grimpe sur un mur d’escalade en salle.

11Au-delà de leur diversité méthodologique articulatoire, deux points communs rassemblent l’ensemble de ces travaux centrés sur l’expertise sportive. Le premier est leur attachement au PRCA dont la/les méthodologie(s) de recueil de données en première personne vise(nt) à documenter la conscience pré-reflexive des athlètes/utilisateurs. Le deuxième est leur volonté de renseigner la complexité dynamique de l’activité humaine en situation réelle ou dans un environnement contrôlé. Mais force est de constater que l’essor récent des méthodologies articulatoires traduit une évolution méthodologique dans le PRCA qui se concrétise par une diversité de nature des données recueillies, et des modalités d’articulation de ces données. Cette évolution méthodologique nous semble devoir être questionnée dans le but d’en discuter l’intérêt scientifique, en lien avec les hypothèses théoriques du PRCA qui nous semble devoir être questionnées dans le but d’en discuter l’intérêt scientifique, en lien avec les hypothèses théoriques du PRCA.

3. Trois illustrations de méthodologies articulatoires aidant à la conception

12Afin de conduire cette réflexion, nous nous appuierons sur trois études (en trail, en natation, et en escalade glaciaire) qui mettront en avant leurs options méthodologiques concernant les choix (1) de conditions de recueil des données, (2) de nature des données, (3) de modes d’articulation des données. Ces études se distinguent de par leur objet de conception et leur méthodologie articulatoire (voir Tableau 1), dans le but de pointer leurs avantages, limites et potentiels comme aide à la conception dans le cadre du PRCA. En effet nous pensons que cette évolution méthodologique invite à questionner les méthodes de conception du matériel sportif et les relations sportif - chercheur - concepteur. Elle semble également posséder une portée heuristique pour l’analyse de situations de travail possédant des similarités avec les situations sportives.

Tableau 1 : Synthèse de l’observatoire des 3 études illustratives. 
Table 1: Synthesis of the observatory of 3 illustrative studies

Tableau 1 : Synthèse de l’observatoire des 3 études illustratives. Table 1: Synthesis of the observatory of 3 illustrative studies

3.1. L’articulation de données hétérogènes comme aide à la conception à partir d’une démarche “first person sampling” dans un environnement « contrôlé » : l’étude de sacs d’hydratation en trail

3.1.1. Synthèse descriptive de l’étude

13Cette partie présente une étude intégrant des données phénoménologiques et comportementales pour l’analyse de l’activité instrumentée en trail et plus spécifiquement, l’appropriation des systèmes de portage et d’hydratation. Le trail est une discipline sportive qui consiste en des courses à pied en extérieur sur des sentiers balisés en semi-autonomie. Le format de ces courses impose que les traileurs soient auto-suffisants entre les points de ravitaillement, ce qui implique qu’ils doivent porter leur matériel obligatoire (réserves énergétiques et hydriques suffisantes, vêtements chauds et imperméables, petit matériel de premiers secours, téléphone portable). La pratique de ce sport nécessitant d’instrumenter son activité avec du matériel spécifique, il est alors supposé que les interactions avec celui-ci fassent émerger des perceptions, préoccupations, et des comportements en lien avec les caractéristiques physiques du système de portage et l’environnement de pratique. Il a été identifié dans une précédente étude menée sur les discussions issues des forums spécialisés, que les différents systèmes de portage (e.g., sacs à dos, ceintures…) et d’hydratation (e.g., gourdes, poches à eau…) étaient sources d’expériences négatives liées notamment au ballotement du système et du bruit du liquide dans le contenant (Rochat, Hauw, & Seifert, 2018). En effet, l’enjeu pour ces systèmes est d’être transparents, c’est-à-dire qu’ils doivent interférer le moins possible avec les mouvements du traileur durant la course et avoir un bon niveau d’utilisabilité. À partir de ce constat, nous avons cherché à investiguer plus en détails la question de l’appropriation du matériel en trail via l’articulation de données en 1ère et 3e personne.

3.1.2. Description de la méthode

14La méthode sera présentée en trois temps afin de focaliser la réflexion sur l’articulation des données hétérogènes dans une visée de conception : conditions de recueil des données, la nature des données, et le traitement articulatoire des données hétérogènes. Premièrement, les conditions de recueil des données se sont faites en environnement contrôlé. Un protocole reproduisant une situation d’entrainement en trail durant lequel différents systèmes de portage et hydratation sont testés a été mis en place (voir Rochat et al., 2019, op. cit.). Neuf traileurs chevronnés volontaires ont réalisé cinq répétitions d’une boucle de trois kilomètres dans un environnement naturel. Cette boucle résulte d’une sélection par les chercheurs de segments de courses réunissant des descentes, montées, parties techniques, et des parties plus roulantes. En effet, nous avons cherché à « reconstituer » un parcours qui rassemblait les différentes caractéristiques des terrains typiquement rencontrés durant la pratique du trail. Pour chaque essai, les participants portaient un système de portage et d’hydratation différent. Nous avons appliqué les conditions suivantes, un sac à dos avec : (i) un sac-gilet avec des gourdes pleines au niveau des hanches, (ii) des gourdes rigides pleines sur les bretelles pectorales, (iii) des gourdes rigides à moitié pleines sur les bretelles pectorales, (iv) des gourdes souples à moitié pleines, et (v) une poche à eau placées dans le dos (voir Figure 1).

Figure 1 : Illustration des différents systèmes de portage et d’hydratation testés pour cette étude. 
Figure 1: Illustration of the various backpacks and hydration systems tested for this study

Figure 1 : Illustration des différents systèmes de portage et d’hydratation testés pour cette étude. Figure 1: Illustration of the various backpacks and hydration systems tested for this study

15Deuxièmement, la nature des données est expérientielle et cinématique. D’une part, nous avons collecté des données de cours d’expérience, issues d’entretiens d’autoconfrontation réalisés après la course. Sur la base de traces d’activités passées (i.e., photos des participants au départ et à l’arrivée et lors de la mise en place des sacs à dos, ainsi que les systèmes de portage et d’hydratation testés rendus disponibles pour l’entretien) et des informations relatives au parcours (i.e., la carte, le plan et des photographies du parcours), ces entretiens visent à caractériser l’expérience phénoménologique des traileurs, relative aux systèmes de portage et d’hydratation testés, mais pas exclusivement. En effet durant l’entretien nous avons également cherché à tenir compte des autres aspects de l’activité (e.g., gestion de l’effort ou sensations physiques) dont les participants étaient capables de rendre compte. D’autre part, afin d« « quantifier » le ballottement ressenti grâce aux données relatives aux accélérations verticales, les participants étaient équipés de centrales inertielles placées au niveau du bassin des traileurs, au niveau du fond du sac à dos et sur les deux bretelles pectorales.

16Troisièmement, le mode d’articulation des données considère les données d’expérience comme majeures et les données cinématiques comme complémentaires. Le traitement articulatoire des données s’est déroulé en trois étapes. Tout d’abord, il a consisté à identifier à partir de l’expérience vécue par les traileurs, une variable macroscopique qui pouvait ensuite être enrichie par les analyses réalisées au niveau comportemental. Pour ce faire, un codage sémiotique triadique (i.e., actions, perceptions, préoccupations) a été conduit sur les cours d’expérience afin d’identifier dans un premier temps pour chaque coureur les unités significatives élémentaires. Cette étape nous a permis de caractériser les perceptions typiques liées aux systèmes de portage et d’hydratation. Ces perceptions typiques ont été agrégées afin (i) de documenter qualitativement les éléments gênants associés à chaque système et (ii) pister leur émergence temporelle en fonction des caractéristiques du parcours de trail. Il est apparu que le ballottement faisait l’objet de perceptions jugées comme étant inconfortables par les participants. Ensuite, il s’agissait d’identifier sur quelle(s) partie(s) du parcours, le ballottement était perçu de manière saillante par les participants dans le but de cibler l’analyse du signal des accélérations verticales spécifiquement sur ces parties pertinentes. L’émergence des perceptions de ballotement dans les cours d’expériences a révélé que celles-ci émergeaient de manière saillante sur la partie plate et peu technique présente sur la première moitié du parcours. Nous avons donc échantillonné les données comportementales en ne traitant que le signal des accélérations verticales enregistré sur la première moitié du parcours. Enfin, nous avons quantifié le ballotement au niveau comportemental via les mesures (i) des valeurs des extremums d’accélérations verticales pour chacun des oscillateurs au niveau du bassin du traileur, de l’arrière du sac à dos et des bretelles gauche et droite, et (ii) des couplages d’accélérations verticales entre le bassin de traileur et le système de portage (i.e., couplages bassin-sac à dos, bassin-bretelle droite, bassin-bretelle gauche). Cela nous a permis d’identifier les modes de coordination entre le traileur et le système de portage (i.e., en phase, antiphase, décalage de phase), reflétant les couplages d’accélération entre les traileurs et les systèmes de portage et d’hydratation.

3.1.3. Synthèse des résultats

17Les principaux résultats issus de ces analyses ont montré d’une part que la perception des systèmes de portage et d’hydratation fluctuait en fonction des caractéristiques de l’environnement. En effet, les perceptions liées aux systèmes de portage et d’hydratation (e.g., sensations de poids, ballottement, frottement, etc.) étaient vécues comme gênantes dans les parties plates et peu techniques du parcours. En revanche, lorsque les traileurs étaient engagés dans les parties techniques (e.g., sentiers accidentés, descentes et montées raides), les systèmes de portage devenaient transparents, car les traileurs étaient focalisés sur les propriétés du terrain. D’autre part, les traileurs n’ont pas perçu les différents systèmes de portage et d’hydratation de la même manière, ce qui nous a permis d’identifier quels systèmes semblaient être les plus appréciés par les traileurs et quels systèmes leur étaient apparus gênants. En effet, les participants ressentaient un ballotement important et inconfortable au niveau des bretelles lorsque les gourdes pleines étaient placées à cet emplacement-là. Ces sensations de ballottement sont confirmées par les données comportementales, car les valeurs des pics d’accélérations verticales étaient significativement plus élevées que dans les autres conditions. En outre, les accélérations de la hanche des traileurs et des sacs à dos affichaient un portrait en antiphase, suggérant que les deux oscillateurs accéléraient simultanément dans des directions opposées (i.e., le bassin du traileur accélère vers le haut et le sac à dos vers le bas ou inversement). À l’inverse, les participants qualifiaient le sac gilet avec les gourdes au niveau des hanches comme confortable et très peu ou pas ressenti par eux. Cette discrétion du sac gilet est congruente avec les données comportementales, car les valeurs des pics d’accélérations étaient significativement plus basses que dans les autres conditions. De plus, les accélérations de la hanche des traileurs et des sacs à dos affichaient un portrait en phase, suggérant que les deux oscillateurs accéléraient simultanément dans la même direction (i.e., le bassin du traileur et le sac à dos accélèrent vers le haut ou inversement).

18Ces résultats issus de l’analyse de données hétérogènes en situation d’environnement « contrôlé » de pratique peuvent fournir des indications utiles pour les concepteurs. En effet, si les contenus issus des formulaires de retours d’expérience sont déjà largement utilisés comme aide à la conception, ils reflètent une synthèse macroscopique témoignant d’une impression globale du matériel qui peut parfois se révéler peu précise et peu spécifique aux caractéristiques de l’environnement. Ainsi, en complément, les analyses plus fines de l’expérience et du comportement permettent de mieux saisir la manière dont les traileurs interagissent avec le matériel dans des situations variées (en termes de différents degrés de technicité du terrain, par exemple). Autrement dit, l’analyse détaillée des transformations dans les cours d’expérience des traileurs et leurs manifestations au niveau comportemental permet de rendre compte « en temps réel » de la manière dont le matériel est perçu, approprié par les utilisateurs.

19En conclusion, dans le cas de notre étude, la démarche méthodologique d’articulation des données n’accorde pas un statut égal aux données d’expérience et aux données comportementales. En effet, en rendant compte des éléments liés à la sensation de ballottement, les données d’expérience ont permis d’identifier et documenter qualitativement la variable qui, via les données comportementales, pouvait témoigner du ballottement d’un point de vue de l’organisation motrice, permettant in fine d’enrichir les données d’expérience. De plus, les données issues des cours d’expérience ont également révélé d’autres éléments gênants induits par le sac (i.e., le bruit de l’eau dans les gourdes, le ballotement des sangles du sac à dos, le tuyau de poche à eau, etc.), démontrant ainsi que les données comportementales ne renseignent que partiellement la gêne induite par le système de portage et d’hydratation. Cependant, la courte durée de portage de chaque système en raison de la définition par le chercheur de l’environnement et des contraintes liées à l’acquisition des données comportementales, ne nous ont pas permis d’investiguer la manière dont les interactions avec le système évolueraient lors d’usages prolongés, où par exemple la fatigue pourrait impacter ces interactions. Concernant les aspects méthodologiques relatifs à l’articulation de données hétérogènes dans l’analyse de l’activité instrumentée, des perspectives futures de recherche et/ de généralisation pourraient consister à (i) capturer de manière plus synthétique et macroscopique les données issues de l’expérience vécue, comme par exemple en renseignant une échelle mesurant l’opacité/transparence perçue du système et (ii) investiguer les différences interpersonnelles dans les patterns de course en lien avec la gêne perçue du système. Cette option impacterait donc le choix de la nature des données comportementales, car elle devrait prendre en compte d’autres paramètres biomécaniques impliqués dans l’activité de course de trail (e.g., fréquence de foulées ou inclinaison du tronc).

3.2. L’articulation de données hétérogènes comme aide à la conception d’un dispositif technologique : l’étude d’une situation d’évaluation de la performance en natation

3.2.1. Synthèse descriptive de l’étude

20En Natation, l’amélioration des facteurs de la performance est une préoccupation constante pour l’entraîneur et le nageur de haut niveau. Les protocoles d’évaluation des facteurs biomécaniques représentent notamment un secteur de recherche extrêmement développé (e.g., Toussaint, & Truijens, 2005). Une de leurs caractéristiques est qu’ils impliquent souvent une instrumentation du nageur pour recueillir les données cinématiques (e.g., caractéristiques spatio-temporelles du mouvement) ou cinétiques [e.g., forces exercées sur l’eau par le nageur (Chollet, Madani, & Micaleff, 1992)]. Bien que ces études permettent de comprendre et d’améliorer les facteurs de la performance, elles ne se sont pas intéressées à l’activité du nageur lors de son interaction avec le dispositif instrumental d’évaluation.

21Le but de notre étude (Gal-Petitfaux et al., 2013, op. cit.) était d’analyser, dans une visée d’aide à la conception, le cours d’in-formation de nageurs de haut niveau lors d’un protocole d’évaluation des facteurs biomécaniques de la performance. Il s’agissait d’identifier la façon dont les nageurs vivaient leur activité de nage avec ce dispositif, déterminer s’ils adaptaient leur façon habituelle de nager pour, in fine, vérifier si le dispositif évaluait bien ce pour quoi il avait été conçu.

3.2.2. Description de la méthode

22La méthode sera présentée en trois temps afin de focaliser la réflexion sur l’articulation des données hétérogènes dans une visée de conception : les conditions de recueil des données, la nature des données, et le traitement articulatoire des données hétérogènes. Premièrement, les conditions de recueil des données se sont faites en situation réelle. L’étude a porté sur l’analyse du cours d’in-formation de trois nageurs de haut niveau (Marc, Luc, Paul) engagés dans un dispositif technologique subaquatique, utilisé en situation d’entrainement et d’évaluation biomécanique : le M.A.D. System “Measurement of Active Drag” (Toussaint, van der Meer, de Niet, & Truijens, 2006). Ce dispositif mesure les forces propulsives (résistances actives) des membres supérieurs à chaque cycle locomoteur, par l’intermédiaire de capteurs de force, pour en déduire les forces de freinage exercées par l’eau (forces résistives). L’avancement du nageur est lié à sa capacité à dépasser les forces résistives grâce à la production de forces propulsives avec les bras et les jambes ; sachant qu’à vitesse constante, les forces propulsives sont égales aux forces résistives (équation de Newton), en mesurant les premières il est alors possible indirectement de connaître secondes.

23Un rail est disposé dans une piscine de 25 m, situé à 80 cm sous l’eau, sur lequel sont fixées 16 cales perpendiculaires à l’axe de nage et espacées de 1,35 m. Chaque cale comporte des capteurs de pressions pour mesurer les résistances actives du nageur : à chaque cycle de bras, le nageur prend appui manuellement sur une cale pour avancer ; la force produite sur une cale est alors enregistrée en un point de la main par une jauge située à l’extrémité du rail, et transmise par un capteur de pression (Figure 2).

Figure 2 : Vue d’ensemble du M.A.D. System et de l’enregistrement des forces (N) du nageur sur les 16 cales. Cette figure a été utilisée avec l’autorisation de H.M. Toussaint et K. Vervoorn, 1990. 
Figure 2: Overview of the MAD system with the swimmer’s force (N) recorded on the 16 push-off pads. This figure was used with the permission of H.M. Toussaint and K. Vervoorn, 1990

24Les consignes du concepteur étaient : a) que chaque nageur réalise 10 passages sur 25 m, départ dans l’eau, sur la base de vitesses incrémentées pré-établies ; b) de « nager à une vitesse supérieure à celle réalisée au précédent passage » ; « nager à vitesse constante au cours de chaque passage » ; « être à vitesse maximale pour les Passages 9 et 10 » ; c) de prendre une récupération quasi complète de trois minutes entre chaque passage pour réaliser chaque essai à des vitesses croissantes. À l’issue des 10 essais, chaque nageur a participé à un entretien d’autoconfrontation portant sur son expérience vécue pendant le protocole d’évaluation.

25Deuxièmement, la nature des données est expérientielle et biomécanique. Ces deux types de données ont permis de documenter le cours d’in-formation des nageurs, comprendre leur appropriation du dispositif technologique en fonction des vitesses incrémentées, à des fins de re-conception éventuelle du protocole pour qu’il remplisse pleinement sa fonction d’évaluation des facteurs biomécaniques de la performance.

26Les données biomécaniques étaient issues de : l’enregistrement audio-visuel du comportement du nageur à l’aide de deux caméras (l’une aérienne et fixe, l’autre sub-aquatique et mobile) ; des mesures de la fréquence gestuelle (i.e., nombre de cycles de bras par minute) et de la force palmaire appliquée par le nageur sur chaque cale tout au long du protocole (résistances propulsives pour produire les vitesses de nage constantes demandées).

27Les données sur l’expérience vécue par les nageurs ont été recueillies à partir d’entretiens d’autoconfrontation conduits dans les deux heures suivant le protocole d’évaluation. Confronté aux traces audio-visuelles de son comportement, chaque nageur visionnait avec le chercheur les 10 passages successifs à partir de la vue aérienne et/ou subaquatique au choix. Il était invité à documenter, au cours de chaque essai, ses actions (que fais-tu à cet instant précis ?) en explicitant ses préoccupations (qu’est-ce que tu cherches à faire, quelle est ton intention à cet instant ?) et ses perceptions (sur quoi tu focalises ton attention, que ressens-tu à ce moment précis ?).

28Troisièmement, le mode d’articulation des données (a) priorise les données d’expérience et (b) repose sur une relation de subordination des données biomécaniques convoquées pour compléter et enrichir les données d’expérience, le tout pour documenter le cours d’in-formation des nageurs.

29Les données d’expérience ont permis d’identifier le cours d’expérience de chaque nageur : ses actions significatives à un instant t, ses perceptions (ce qu’il regardait, ressentait au moment où il posait la main sur la cale) et ses préoccupations (i.e., l’engagement issu des perceptions, ce qu’il cherchait à faire quand il posait sa main sur la cale) au même instant. Sur cette base, chaque composant du signe a fait l’objet d’une analyse visant à identifier des regroupements par « air de famille » (Rosch, 1973) afin d’en extraire des actions-types, perceptions-type et préoccupations-type (Tableau 2). Ce traitement a permis d’identifier des différences/similitudes pour le nageur, en fonction des trois vitesses prescrites par le concepteur (postures et mouvements de nage ; facilités ou difficultés /gênes liés à la pose des mains sur les cales ; sensations d’appui pour produire les résistances propulsives).

Tableau 2 : Caractéristiques typiques du cours d’expérience de Martin (actions-type, perceptions-type, préoccupations-type) lors des passages à vitesse lente. 
Table 2: Typical characteristics of Martin’ course of experience (typical actions, typical perceptions, typical concerns) during slow speed laps

Tableau 2 : Caractéristiques typiques du cours d’expérience de Martin (actions-type, perceptions-type, préoccupations-type) lors des passages à vitesse lente. Table 2: Typical characteristics of Martin’ course of experience (typical actions, typical perceptions, typical concerns) during slow speed laps

30Les données biomécaniques ont été convoquées pour examiner les convergences/divergences avec les données d’expérience dans un but d’aide à la conception. Leur analyse a consisté à évaluer si les valeurs des forces exercées et de fréquence gestuelle différaient (a) entre les 16 cales pour un même essai et (b) entre les 10 essais (Figure 3). Ont été réalisés pour chaque nageur : une analyse de variance multi-variée (MANOVA) pour étudier l’effet essais et l’effet cale ; un test non-paramétrique de Friedman analysant les effets combinés des essais et des cales sur les valeurs de force ; un test de corrélation intra-classe (Bland, & Altman, 1996) mesurant la reproductibilité de la force sur les 16 cales lors des 10 essais.

Figure 3 : Distribution-type des forces exercées par Martin sur chaque cale au cours des 10 passages. 
Figure 3: Typical formation of Martin’s force exerted on each pad over the ten laps

Figure 3 : Distribution-type des forces exercées par Martin sur chaque cale au cours des 10 passages. Figure 3: Typical formation of Martin’s force exerted on each pad over the ten laps

31Les cours d’in-formation des nageurs ont été reconstruits pour chaque passage, puis comparés, en mettant en correspondance les actions-types, perceptions-type, préoccupations-type, et la distribution-type des forces exercées sur les cales.

3.2.3. Synthèse des résultats

32L’articulation des données biomécaniques et d’expérience fait apparaître des convergences et divergences d’organisation de l’activité de nage entre les nageurs, selon chaque vitesse prescrite par le concepteur. Cette synthèse sera structurée en trois temps : concordance entre les données, discordances entre les données, et perceptives de re-conception.

33Premièrement, la concordance entre les données révèle un effet perturbateur des cales sur l’activité du nageur aux vitesses extrêmes. L’articulation des données biomécaniques et d’expérience a révélé un « effet cale » qui (a) perturbe l’interaction du nageur avec le dispositif, (b) est significatif aux vitesses extrêmes (lente, passages 1 à 3 ; maximale, passages 8 à 10), (c) que les données d’expérience ont mis à jour et (d) qui a été objectivé et confirmé par l’analyse mécanique. Alors que les nageurs respectent la consigne de nager à vitesse constante à chaque essai, ce qui devrait se traduire par la production de forces propulsives constantes, les résultats montrent que le nageur modifie sa nage habituelle pour poser avec précision sa main sur la cale, confirmée par une irrégularité continue de l’amplitude des forces sur les cales. Aux vitesses extrêmes, les graphes de forces étaient convergents entre les nageurs (même irrégularité) et leurs préoccupations-type étaient similaires : poser correctement les mains sur chaque cale (« Je pense à regarder où va être l’autre cale sinon je risque de la rater » (Luc) ; « Là je cherche à la positionner (la main » (Martin). Cette préoccupation similaire d’adaptation des mouvements par rapport à la cale, s’est actualisée par des actions-types différentes : les nageurs ont déclaré avoir dû modifier leur façon habituelle de nager pour s’adapter au dispositif (e.g., supprimer la phase d’allonge du bras et l’engagement de l’épaule pour prendre appui (Martin) ; réduire l’angle de flexion du coude pour s’ajuster aux cales alignées sur le rail (Paul) ; changer sa position de tête (Luc).

34Deuxièmement, les discordances entre les données révèlent des ajustements comportementaux non significatifs pour le nageur. L’articulation des données a révélé qu’aux vitesses rapides (passages 4 à 7), les données biomécaniques (forces objectives exercées) étaient discordantes avec les données d’expérience (préoccupation quant à une intensité d’appui recherchée et le ressenti subjectivement associé). Un décalage apparait entre le ressenti des nageurs lorsqu’ils réalisaient un appui manuel sur les cales et les pressions enregistrées. Bien que les préoccupations-types de Martin, par exemple, étaient d’appuyer fort et vite sur les quatre premières cales, puis d’entretenir la vitesse acquise sur les dernières cales, les graphes de forces ne concordent pas avec son ressenti : ils montrent une forte poussée sur les cales 6, 7 et 8, puis 14 et 16, révélant que le nageur ne perçoit pas la sensation d’exercer à nouveau de fortes pressions sur les cales à la fin du 25 mètres. Paul, lui, était fortement concentré sur les cales centrales avec la sensation d’appuyer fort et de façon régulière, alors que son graphe montrait une irrégularité des forces de pression enregistrées sur ces cales. Les données biomécaniques ont permis d’accéder à des ajustements comportementaux subtils, non significatifs pour les nageurs. À ces vitesses rapides (4-7), le dispositif est mieux approprié par les nageurs, assurant davantage sa fonction d’évaluation des forces résistives.

35Troisièmement, ce traitement articulatoire ouvre des perspectives de re-conception du dispositif d’évaluation. Le traitement articulatoire des données d’expérience et biomécaniques a mis en évidence l’existence d’un processus d’appropriation du dispositif technologique qui émerge de l’interaction du nageur avec le dispositif, qui varie en fonction des vitesses imposées et qui était non attendu par le concepteur. Le nageur est contraint de modifier sa locomotion aquatique habituelle pour s’adapter aux contraintes physiques, spatiales et temporelles du dispositif et répondre aux consignes de nage.

36Ces résultats traduisent le rôle de médiateur joué par le dispositif technologique au sein du couplage nageur/situation d’évaluation. Ils ne remettent pas en cause la pertinence et l’efficacité du dispositif M.A.D. System largement prouvé pour évaluer les facteurs biomécaniques de la performance en natation, mais ils conduisent à proposer des pistes de re-conception de la situation d’évaluation.

37La première est de rendre modifiables les caractéristiques physiques du dispositif. En effet, la position spatiale invariante des cales impose au nageur de produire une amplitude de nage (A) constante tout au long du protocole et d’augmenter sa fréquence gestuelle (F) pour augmenter les vitesses de nage (V = A x F), alors qu’en situation naturelle le nageur augmente A et F dans un rapport optimal pour élever sa vitesse de nage. Sachant que le protocole demande aux nageurs de produire une vitesse constante à chaque passage et chaque vitesse, que la vitesse est le produit de la fréquence et de l’amplitude (V = A x F), et que les amplitudes et fréquences relevées sont irrégulières, ces résultats invitent à proposer une modification du dispositif : changer la distance inter-cales lors des vitesses extrêmes (lentes et maximales) pour que les nageurs produisent des amplitudes de nage ressenties comme proches de celles produites en situation normale de nage. La deuxième est d’intégrer une phase d’analyse de leur activité par les nageurs lors de l’évaluation pour s’assurer qu’ils n’aient plus de sensations de gêne et que le dispositif devienne « saisi », » c’est-à-dire transparent pour eux (Lenay, 2006).

38Cette étude permet d’identifier trois apports de l’articulation des données. Le premier est le renforcement de la fiabilité des données par les convergences relevées entre les données biomécaniques et les données d’expérience : les sensations de gêne pour ajuster la pose des mains sur les cales aux vitesses extrêmes concordent avec l’irrégularité de l’amplitude des forces enregistrées simultanément, et la confirment. Un second apport est que les données d’expérience viennent enrichir les mesures biomécaniques en dévoilant les processus sous-jacents à la production de forces propulsives à chaque seuil de vitesse : les données d’expérience (actions, perceptions et préoccupations décrites par les nageurs) permettent d’interpréter les mesures. Un troisième apport est la mise en évidence de discordances entre les données : les relevés biomécaniques ont notamment permis de combler la difficulté du cours d’expérience à rendre compte des mécanismes infra-conscients : e.g., les automatismes et ajustements comportementaux produits par les nageurs et non significatifs pour eux. Au-delà de ces apports, il convient de pointer la limite des conditions temporelles de recueil des données : le contexte instrumenté du M.A.D. System constitue une limite dans la fiabilité des données au regard du problème d’appropriation du dispositif révélé par l’étude. Il faudrait alors s’assurer que les nageurs se soient appropriés le dispositif du M.A.D. System avant l’évaluation (nombre d’essais suffisants pour garantir de bonnes sensations et une constance inter-cales de la force et de la fréquence gestuelle produites).

3.3. L’articulation de données hétérogènes comme aide à la conception à partir d’une démarche centrée « appropriation » : Effet du type de piolet et de la fatigue pour analyser l’expertise de la frappe de piolet en cascade de glace

3.3.1. Synthèse descriptive de l’étude

39Historiquement, le piolet servait de canne pour les alpinistes qui s’appuyaient sur le pique (Figure 4, piolet A) et lorsque la pente de glace s’avérait trop raide, la lame du piolet était plantée et l’alpiniste se tractait par le manche. L’ascension de pente de glace de plus en plus raide, puis de cascades de glace, a amené le développement de piolets avec une lame inclinée pour faciliter l’ancrage, une gâchette sur le manche pour faciliter la tenue et un manche courbé pour ancrer le dessus des protubérances de glace (voir Figure 4, piolets B et C). L’essor des compétitions de cascade de glace et de dry-tooling (voir Figure 4, piolet D) (i.e., mot anglais « dry » : sec, « tool » : outils), qui consiste à grimper avec des piolets et des crampons sur du rocher dépourvu de glace, a considérablement fait évoluer les pratiques et la forme des piolets.

Figure 4 : Quatre types de piolet dont le manche est plus ou moins incurvé en fonction de l’usage (de gauche à droite) : alpinisme (A), goulotte (B), cascade (C), dry-tooling (D). 
Figure 4: Four types of ice axe with a more or less curved handle depending on use (from left to right): mountaineering (A), gully (B), icefall (C), dry-tooling (D)

Figure 4 : Quatre types de piolet dont le manche est plus ou moins incurvé en fonction de l’usage (de gauche à droite) : alpinisme (A), goulotte (B), cascade (C), dry-tooling (D). Figure 4: Four types of ice axe with a more or less curved handle depending on use (from left to right): mountaineering (A), gully (B), icefall (C), dry-tooling (D)

40Ainsi, le but de notre étude (Pouponneau, 2015 ; Rouard, Robert, & Seifert, 2016) était de déterminer les critères d’expertise de la frappe de piolet en examinant les liens entre les caractéristiques physiques de différents piolets. Les concepteurs considèrent le piolet de goulotte (piolet B sur Figure 4) comme le plus polyvalent et adapté aux débutants car sollicitant principalement un mouvement du bras et un désencrage facile. Néanmoins, notre étude visait à vérifier si des piolets plus spécifiques à la pratique de la cascade de glace (piolet C sur Figure 4) et du dry-tooling (piolet D sur Figure 4) amenaient réellement une frappe différente et une appropriation plus difficile.

3.3.2. Description de la méthode

41La méthode sera présentée en trois temps afin de focaliser la réflexion sur l’articulation des données hétérogènes dans une visée de conception : les conditions de recueil des données, la nature des données, et le traitement articulatoire des données hétérogènes. Premièrement, les conditions de recueil des données se sont faites en environnement contrôlé. Notre étude a concerné 10 grimpeurs experts. L’influence du type de piolet a été testée en comparant la cinématique du mouvement et l’expérience vécue de trois séries de 30 frappes réalisées avec des piolets de type goulotte, cascade et dry-tooling (Rouard et al., 2016 op. cit.). La frappe se faisait sur un bloc de polystyrène extrudé XPS de 100 x 80 cm accroché à un mur d’escalade (voir Figure 5) pour simuler un bloc de glace. Pour se rapprocher d’un contexte écologique de pratique, le grimpeur était en suspension sur un piolet tenu par la main non préférentielle, chaussures aux pieds sur des prises, à 30 cm du sol, la frappe étant réalisée avec la main préférentielle. À noter que seuls des grimpeurs dont le piolet préférentiel était le piolet de cascade Nomic de la marque Petzl© (Piolet C, Figure 4) ont été inclus dans cette étude.

Figure 5 : Dispositif expérimental pour le test de frappe en condition écologique simulée. 
Figure 5: Experimental device for strike testing in simulated ecological conditions

Figure 5 : Dispositif expérimental pour le test de frappe en condition écologique simulée. Figure 5: Experimental device for strike testing in simulated ecological conditions

42Deuxièmement, la nature des données est cinématique et expérientielle. Il a été choisi de collecter des données cinématiques, car elles informent sur les aspects spatio-temporels du mouvement, et permettent de renseigner les critères d’expertise de la frappe de piolet pré-établis par les concepteurs (voir Tableau 3, Colonne 2). Ces données cinématiques ont été collectées par un système de huit caméras optoélectroniques (VICON) enregistrant en temps réel la position de 19 marqueurs réfléchissants, dans un espace trois dimensions à une fréquence de 100 Hz, placés sur les membres supérieurs et le piolet (voir Figure 5). Les différences d’amplitude entre l’articulation du coude et du poignet et entre celle du poignet et de la main ont été calculées pour les trois phases de la frappe de piolet : l’armé, la frappe et le désencrage. La vitesse et précision de la frappe ont permis d’évaluer la performance ; le calcul du moment d’inertie a permis d’évaluer la nature contrôlée du mouvement.

43Concernant les données d’expérience, deux types de données ont été recueillis : des données d’enregistrement audio-visuel lors des frappes, et des données de verbalisation lors d’entretiens d’autoconfrontation. Ces entretiens étaient conduits à l’issue du protocole, le grimpeur était confronté à l’enregistrement audio-visuel de son activité et était invité à raconter, montrer, commenter et mimer les éléments significatifs pour lui lorsqu’il interagissait avec ses piolets, en présence du chercheur (Theureau, 2004, 2006, 2009 op. cit.). Ces entretiens visaient à renseigner les actions, les perceptions et les préoccupations de chaque grimpeur durant la frappe (description des variances ou invariances de mouvement ; description des facilités ou des difficultés à être précis ; description des gênes liées à la préhension ; description de la sensation de percussion et de vitesse ; description de la sensation de répartition des masses) (Pouponneau, 2015). De là, nous avons identifié les préoccupations-types (i.e., regroupement de préoccupations par « air de famille » dans la filiation de Rosch (1973) pour chaque piolet, puis dresser la dynamique de ces préoccupations au cours des trois phases de la frappe.

44Troisièmement, le mode d’articulation des données correspond à un équilibre statutaire entre les données cinématiques et d’expérience qui ont été traitées indépendamment les unes des autres. Sur cette base les résultats des deux types de données ont été articulés, ce qui signifie qu’aucun type de données n’avait le primat sur l’autre lors de la collecte de ces données, pour sélectionner les variables dépendantes et analyser les résultats. Cela nous a permis d’examiner la convergence/divergence des trois types de données a posteriori dans un objectif d’aide à la conception.

3.3.3. Synthèse des résultats : L’effet du type de piolet sur l’expérience des grimpeurs (actions, perceptions et préoccupations) et la cinématique

45Les résultats des données d’expérience (les actions et les perceptions) relatives aux critères d’expertise du mouvement de frappe, à la précision de la frappe, à la préhension du piolet, à la vitesse de la frappe, à la pénétration de la lame et à la répartition des masses du piolet convergent globalement avec ceux des données cinématiques (angle articulaire et moment d’inertie) (Tableau 3 et Figure 6). Les données d’expérience ont aussi permis d’identifier deux préoccupations-types lors de l’activité de frappe : une préoccupation-type liée à l’économie d’énergie et une préoccupation-type liée à la précision. En phase d’ancrage et de désancrage, la première préoccupation-type des grimpeurs est la recherche de l’optimisation de l’énergie mobilisée pour effectuer la frappe : « En fait ce que je cherche, je pense, dès le départ c’est comment je vais grimper à l’économie » (Grimpeur 4, piolet de goulotte). Dans cet exemple, le Grimpeur 4 cherche à « ne pas casser la matière et économiser l’énergie de manière à pouvoir grimper longtemps sans fatigue ». La seconde préoccupation-type s’actualise au cours de la phase d’armé et de frappe. Elle est en étroite relation avec la première et concerne la recherche de la précision et de contrôle de la frappe. La frappe est perçue comme contrôlée au niveau du poignet et s’apparente à un mouvement de précision : « Il y a une rotation je sais pas comment… C’est pas l’épaule qui va chercher loin derrière » (Grimpeur 7, piolet de dry-tooling).

46Cette préoccupation-type liée à la précision semble confirmée par les données cinématiques, puisque les plus grandes amplitudes angulaires sont bien observées au niveau du coude et du poignet (de 30° à 40°) que l’épaule (20°), suggérant que le mouvement de frappe de piolet ressemble davantage à un mouvement de précision, voire de « lancé » qu’à un mouvement de frappe (de type marteau) (Robert, Rouard, & Seifert, 2013 ; Rouard et al., 2016 op. cit.). L’épaule et le coude s’avèrent relativement fixes et la frappe serait initiée au niveau du poignet (voir Figure 6). Alors que la précision de la frappe est perçue comme contrôlé, un moment d’inertie pratiquement nul pour toutes les articulations indique que la précision de la frappe n’est pas obtenue par un mouvement contrôlé de bout en bout, ce qui suggère que la frappe se rapproche d’un mouvement balistique de type « lancé » de projectile (Robert et al., 2013, op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.) (voir Figure 6).

Tableau 3 : Actions et perceptions des grimpeurs pour les trois types de piolet lors de la frappe. 
Table 3: Actions and perceptions of climbers for the three types of ice axe

Tableau 3 : Actions et perceptions des grimpeurs pour les trois types de piolet lors de la frappe.  Table 3: Actions and perceptions of climbers for the three types of ice axe

Figure 6 : Exemple d’amplitudes articulaires (en haut) et moments d’inertie (en bas) pour un participant lors d’une série de 10 frappes avec le piolet de cascade (adapté de Robert et al., 2013, op. cit.). 
Figure 6: Example of joint amplitudes (top) and moments of inertia (bottom) for a participant during a series of ten strikes with the icefall axe (adapted from Robert et al., 2013, op. cit.)

Figure 6 : Exemple d’amplitudes articulaires (en haut) et moments d’inertie (en bas) pour un participant lors d’une série de 10 frappes avec le piolet de cascade (adapté de Robert et al., 2013, op. cit.).  Figure 6: Example of joint amplitudes (top) and moments of inertia (bottom) for a participant during a series of ten strikes with the icefall axe (adapted from Robert et al., 2013, op. cit.)

47Pour chaque piolet, il semble y avoir une dynamique spécifique (i.e., évolution au cours des trois phases de l’activité de frappe) de préoccupations-types Tableau 4). Avec le piolet de goulotte, l’armé commence avec une préoccupation liée à la précision et une préoccupation liée à l’économie. Au moment de la frappe, seule la préoccupation liée à l’économie est présente, et ce jusqu’au moment du désancrage. Avec le piolet de cascade, la préoccupation liée à la précision commence lors de l’armé et demeure pendant la frappe. Avec le piolet de dry-tooling, la préoccupation liée à la précision domine durant les deux premières phases de la frappe. La préoccupation liée à l’économie n’est jamais ouverte en situation de frappe.

Tableau 4 : Dynamique des préoccupations-types des grimpeurs pour les trois types de piolet. 
Table 4: Dynamics of climbers’ concern-types for the three types of ice axe

Tableau 4 : Dynamique des préoccupations-types des grimpeurs pour les trois types de piolet.  Table 4: Dynamics of climbers’ concern-types for the three types of ice axe

48Les données cinématiques confirment l’existence de différences entre les piolets. En l’occurrence, les amplitudes articulaires sont légèrement plus importantes pour le piolet de goulotte au niveau du poignet et du coude, ce qui pourrait peut-être s’expliquer par sa différence de gâchette et son poids15 5 % plus léger que les deux autres types de piolet (Robert et al., 2013, op. cit. ; Rouard et al., 2016) (Figure 7). Le piolet de goulotte est également celui qui montre les plus grandes vitesses d’impact (8-10 m.s-1 contre 7-9 m.s-1 pour les deux autres types de piolet). Cependant les données d’expérience et cinématiques ne convergent pas toujours. Par exemple, les grimpeurs perçoivent davantage de précision avec le piolet de goulotte (Tableau 3) alors que les données cinématiques indiquent la même précision avec les trois types de piolet (<35 mm par rapport à l’endroit pointé avant la frappe).

Figure 7 : Amplitudes articulaires pour l’angle main-piolet, poignet, coude et épaule avec les trois types de piolet (goulotte : Quark ; cascade : Nomic ; dry-tooling : Ergo) en condition fraiche et fatiguée (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.). 
Figure 7: Joint amplitudes for hand-axe angle, wrist angle, elbow angle and shoulder angle with the three types of ice axe (gully : Quark ; icefall : Nomic ; dry-tooling : Ergo) in fresh and fatigued condition (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.)

Figure 7 : Amplitudes articulaires pour l’angle main-piolet, poignet, coude et épaule avec les trois types de piolet (goulotte : Quark ; cascade : Nomic ; dry-tooling : Ergo) en condition fraiche et fatiguée (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.).  Figure 7: Joint amplitudes for hand-axe angle, wrist angle, elbow angle and shoulder angle with the three types of ice axe (gully : Quark ; icefall : Nomic ; dry-tooling : Ergo) in fresh and fatigued condition (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.)

49L’articulation de données cinématiques et d’expérience montre une convergence globale qui a permis d’identifier les caractéristiques d’expertise de la frappe de piolet. Néanmoins, au niveau local (en fonction du piolet utilisé et de la phase de la frappe), des divergences entre les données de nature différente ont été observées et ont permis de mieux comprendre le processus d’appropriation. En particulier, la transparence/présence des piolets en relation avec leur économie-efficience a permis de pointer le fait que le type de piolet met en jeu de façon déterminante des automatismes et des ajustements subtils non significatifs pour les grimpeurs (comme des différences d’amplitude angulaire ou des différences de vitesse de frappe). Ces ajustements biomécaniques peuvent ainsi traduire un processus d’appropriation qui s’observe au sein du couplage grimpeur/piolet, par l’incorporation du piolet qui échappe ainsi à la conscience pré-réflexive de l’acteur et rend complémentaire l’articulation de données de nature différente. En effet, l’appropriation d’un outil est dépendante du temps et de ses usages, si bien que l’articulation des données cinématiques et d’expérience serait pertinente sur une temporalité (plus) longue afin de révéler ce processus d’appropriation dans l’usage. Une temporalité longue permettrait d’identifier des transitions de gêne/facilité, de présence/transparence des piolets en relation avec la convergence/divergence des données de nature différente. Aussi, la convergence/divergence des données comportementales et d’expérience pourrait révéler les évolutions de l’appropriation d’un outil au cours du temps, et pourrait être une aide pour le concepteur.

4. Discussion

50La présentation de ces trois études en sport, contrastées au niveau de leurs options méthodologiques, nous amène à discuter des méthodes articulatoires dans le PRCA. Quatre points seront abordés : (1) les apports des méthodologies articulatoires, (2) les limites des méthodologies articulatoires au sein de l’observatoire, (3) les enjeux de conception, et (4) les perspectives dans le domaine de la conception du matériel sportif et leurs extensions possibles dans l’analyse de situations de travail. Ces différents points seront vus à travers trois indicateurs qui constituent pour nous un cadre d’analyse possible de la démarche articulatoire : la nature des données recueillies (données d’expérience ou comportementales), les relations établies entre ces données (relation de subordination ou relation d’égalité statutaire) et les conditions de recueil des données (en situation réelle ou en environnement contrôlé).

4.1. Apports des méthodologies articulatoires

51Cet article a montré une diversité d’analyses de l’activité dans des situations sportives recourant à trois méthodologies articulatoires différentes dans le cadre du PRCA. Cette diversité s’exprime à travers : les conditions de recueil des données (en situation réelle ou en environnement contrôlé), la nature des données recueillies (expériences, biomécaniques, cinématiques), et les relations établies entre ces données (primat des données intrinsèques ou égalité du statut des données).

52Cette diversité méthodologique au service de l’observatoire peut être perçue comme une richesse au regard de trois fonctions inhérentes à l’option méthodologique retenue par le(s) chercheur(s) : une fonction de corroboration, une fonction d’élaboration ou une fonction d’initiation (Greene, Caracelli, & Graham, 1989). Chaque fonction est liée au choix par le chercheur des données de nature différente. La fonction de corroboration renvoie à une articulation de données de nature différente permettant d’aboutir à des résultats convergents et d’augmenter la validité des résultats produits par une seule source de données. Par exemple, l’« effet cale » aux vitesses extrêmes imposées (lentes et maximales) dans l’interaction du nageur avec le dispositif M.A.D. System a été dévoilé à partir de la convergence de l’analyse des données biomécaniques et des données d’expérience.

53La fonction est dite d’élaboration lorsque l’articulation des diverses données permet de mettre au jour des résultats qui sans cette option articulatoire restaient dans l’ombre du travail de recherche. Autrement dit, ce qui émerge de l’articulation c’est le dévoilement de propriétés de l’activité par la complémentarité des données. Par exemple, chez les grimpeurs de cascade de glace l’articulation des données hétérogènes a permis de caractériser le processus d’appropriation des piolets à la fois par des dimensions verbalisables-conscientisables et par des dimensions comportementales non conscientes. En effet si l’appropriation d’un matériel sportif est un processus souvent mis à jour par des données d’expérience (Adé et al., 2017, op. cit. ; Poizat et al., 2010, op. cit.), l’articulation de ces données avec des données cinématiques a révélé des dimensions du processus d’appropriation non significatives pour le grimpeur à savoir des différences d’amplitude angulaire ou de vitesse de frappe générées par l’utilisation des piolets.

54La fonction d’initiation caractérise dans l’articulation des données hétérogènes, l’émergence de nouvelles perspectives de recherche. Autrement dit, ce qui émerge de l’articulation sont de nouvelles questions de recherche que le traitement d’une source de données permet de pointer, et qui nécessite le recours à d’autres sources de données pour y répondre. Par exemple, les liens chez les traileurs entre « le ballotement ressenti » (renseigné par les données d’expérience), « le ballotement mesuré » (renseigné par les données cinématiques) et les caractéristiques physiques du terrain, ouvrent de nouvelles investigations notamment en ce qui concerne les différences interpersonnelles dans les patterns de course en lien avec la gêne perçue du système de portage et d’hydratation. De nouveaux paramètres biomécaniques pourraient alors être convoqués pour caractériser par exemple dans la course : le cycle de jambes (dans sa longueur et sa durée) et la foulée (dans son amplitude et sa fréquence)

4.2. Limites des méthodologies articulatoires

55En dépit de cette richesse méthodologique, des limites peuvent être identifiées quant aux hypothèses théoriques fondatrices du PRCA. Les auteurs princeps du PRCA prônent la nécessité de circulation entre les données en première et troisième personnes afin d’analyser l’expérience des acteurs (Theureau, 2004 ; Varela, & Shear, 1999) : ”In brief our stance in regards to first-person methodologies is this : don’t leave home without it, but do not forget to bring along third-person accounts as well” (Varela, & Shear, 1999, p. 2). Dans le développement du PRCA, les méthodes articulatoires présentent une grande diversité qui questionnent entre autres deux hypothèses de substance du programme : l’hypothèse de l’énaction et l’hypothèse de la conscience pré-réflexive conduisant au primat de l’intrinsèque (Adé, Ganière, & Louvet, 2018 ; Mohamed, Favrod, Antonini Philippe, & Hauw, 2015 ; Rochat et al., 2018, op. cit. ; Seifert et al., 2014, op. cit. ; Vors et al., 2018, op. cit. ; Vors et al., 2019, op. cit.).

56La première limite des méthodologies articulatoires est en lien avec le primat accordé aux données expérientielles par rapport à d’autres sources de données. Dans le PRCA la méthodologie générative issue de la neurophénoménologie (Lutz, 2002 ; Varela, 1996) et en cardiophénoménologie (Depraz, Gyemant, & Desmidt, 2017) est la plus communément admise. Cette méthodologie générative part des données en première personne pour identifier et échantillonner les éléments pertinents à étudier en troisième personne comme cela a été fait dans l’étude présentée sur les traileurs. Toutefois certaines études (e.g., Seifert et al., 2017) ont démontré qu’il pouvait être intéressant d’adopter un fonctionnement inverse, en partant d’un échantillon large à partir des données en troisième personne permettant d’isoler rapidement (du fait des outils méthodologiques convoqués) un phénomène qui pourrait ensuite être enrichi à partir des données en première personne. Une limite possible est que le phénomène isolé ne soit pas accessible à la conscience préréflexive de l’acteur. C’est le cas des résultats avec les grimpeurs qui ne perçoivent pas en première personne les différences d’angles entre des segments et les moments de phase ou d’antiphase entre des coordinations. Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une démarche articulatoire, nous défendons l’importance du rôle de toutes les données hétérogènes dans les résultats de recherche sous condition de l’omniprésence des données en première personne au sein de cette hétérogénéité.

57Les relations à établir entre les données en première et troisième personne ne sont pas précisées dans le PRCA, le cours d’in-formation se fondant à la fois « sur les données de la conscience préréflexive, sur des données d’observation extérieure du corps, de la situation et de la culture de l’acteur, et sur des données d’observation extérieure du comportement de l’acteur qui peuvent n’avoir pas donné lieu à expérience pour l’acteur […] tout en étant néanmoins pertinents pour l’organisation interne de l’acteur à chaque instant » (Theureau, 2006, p. 50). Mais, il est difficile d’identifier les éléments en troisième personne qui sont « pertinents pour l’organisation interne de l’acteur à chaque instant » (Theureau, 2006, p. 50). Aussi, en quoi une dissonance entre les données en première et troisième personne qui n’est pas significative pour l’acteur a-t-elle ou pas une part dans l’organisation interne de l’acteur à chaque instant de son activité ?

58À notre connaissance, il est difficile de répondre précisément à cette question dans la mesure où aucune piste méthodologique n’est actuellement précisée dans le PRCA (Theureau, 2006). De plus, le peu de recherches convoquant l’objet théorique du cours d’in-formation (e.g., Petiot, 2019 ; R’kiouak, Saury, Durand, & Bourbousson, 2016, 2018 ; Saury et al., 2010) ne permet pas encore d’en faire une analyse critique susceptible d’aboutir à des propositions méthodologiques sérieuses. Cependant, une piste prometteuse réside dans la mise en place d’études longitudinales comprenant le recueil de données en première et troisième personne. Un exemple récent de suivi longitudinal a été réalisé lors d’un protocole d’apprentissage de 10 séances sur une tâche d’escalade durant laquelle un grimpeur novice devait grimper de manière la plus fluide possible (Rochat et al., 2020, op. cit.). La fluidité de grimpe a été mesurée par des indicateurs comportementaux et caractérisée via l’expérience vécue de l’apprenant en termes d’actions, perceptions, et préoccupations. Un des éléments saillants issus de l’analyse et de l’articulation de ces deux types de données est que la fluidité perçue du grimpeur pouvait effectivement diverger de la fluidité mesurée. Plus précisément, il a été observé qu’au fil de l’apprentissage, les perceptions du grimpeur de sa fluidité s’affinaient, le rendant ainsi sensible à des perturbations qui étaient alors non saillantes pour lui lors des premières séances d’apprentissage. Il en a résulté notamment des divergences entre la fluidité perçue (e.g., le grimpeur ressentait des perturbations dans sa fluidité en détaillant des expériences corporelles très fines, telle que la sensation de saccade dans le mouvement de ses mains) et la fluidité mesurée qui rendait compte d’une fluidité de grimpe élevée. Il semble donc que le suivi longitudinal des transformations des indicateurs en première et troisième personne au cours du temps puisse fournir des éléments d’analyse supplémentaires dans la manière dont les indicateurs comportementaux et d’expériences s’enrichissent mutuellement.

59La deuxième limite ou questionnement propre à la diversité méthodologique de l’observatoire se pose au sujet de l’environnement choisi pour analyser l’activité et recueillir les données de recherche. Les contraintes technologiques en lien avec certains recueils de données en troisième personne amènent à reconstruire un environnement « artificiel » ou « simulé » proche de la situation écologique. C’est le cas par exemple de l’étude des grimpeurs, où il n’était pas possible de produire en situation réelle de cascade de glace, des données cinétiques de qualité avec un système de huit caméras optoélectroniques (VICON) enregistrant en temps réel la position de 19 marqueurs réfléchissants. Le fait que la tâche de frappe sur une cible verticale ne soit pas transférable au contexte écologique de pratique du dry-tooling où les voies d’escalade sont principalement déversantes, questionne le degré de généralisation des résultats. En effet, un des fondements du PRCA issu du paradigme de l’énaction est la relation circulaire de co-définition entre l’acteur et l’environnement (Theureau, 2015 ; Varela, 1989). Ce couplage accorde une place centrale à l’environnement dans lequel se déroule l’action. Or, les conditions de recueil de données en troisième personne (e.g. les données cinétiques) ne sont pas forcément compatibles avec l’environnement écologique et conduisent à créer parfois des environnements que nous avons qualifiés de « contrôlés ». Les chercheurs se trouvent alors face à un dilemme : préserver la situation réelle en se privant des apports de certaines données en troisième personne accessibles via des méthodes et des outils de recherche nécessitant des conditions expérimentales, ou accepter ces contraintes et s’émanciper de la dimension in situ en trouvant des compromis dans la conception et la reconstitution d’environnements contrôlés. Dans le cadre d’une démarche articulatoire, cela interroge la définition des conditions à respecter pour préserver au minimum les dimensions écologiques de recueil de données hétérogènes et significatives de l’activité étudiée. La signature écologique des conditions de recueil de données nous semble être acceptable si l’activité se déroule soit dans son contexte réel (comme en natation), soit dans un contexte contrôlé par le chercheur, mais encourageant chez l’acteur l’actualisation de comportements typiques de l’activité ciblée. Le circuit proposé dans l’étude en trail permettait ainsi de placer le coureur en situation d’adaptation de sa course à des reliefs variés de sentiers. Dans l’étude en escalade, pour reproduire fidèlement la posture, le grimpeur était en suspension sur un piolet tenu par la main non préférentielle, la frappe étant réalisée avec la main préférentielle. Toutefois bien que nous les estimions acceptables, les environnements contrôlés de recueil de données ne pourront jamais se substituer à la situation réelle. À l’instar de l’étude en trail, si la durée de l’activité étudiée en environnement contrôlé reste en décalage avec les situations réelles de course, la durée des situations réelles de course est souvent incompatible avec le recueil de données de recherche. Dans de tels cas, c’est bien la variété des données hétérogènes qui est susceptible de venir en aide au chercheur, comme ce fut le cas dans l’étude en trail qui s’est appuyée sur l’histoire de la course vécue par les traileurs à travers des forums dédiés.

4.3. Enjeux de conception

60Ces apports et limites des méthodologies articulatoires développées dans le domaine de l’expertise en sport ont une relation directe avec les enjeux de conception du matériel sportif. Le questionnement de la conception amène à envisager d’autres priorités : sur l’intérêt des données expérientielles, sur l’intérêt des données comportementales, sur l’intérêt de leur articulation, et sur la dimension temporelle de la conception.

61D’une part, les données expérientielles permettent de manière inductive d’accéder à l’appropriation et l’utilisabilité en acte des utilisateurs, ces données n’étant pas fournies par les critères pré-définis par le concepteur. Ainsi ces données d’expérience offrent au chercheur et au concepteur la possibilité d’une « littéralisation de l’empirique » (Theureau, 2006) traduisant les processus cognitifs, perceptifs et affectifs à l’œuvre dans l’interaction avec l’artefact matériel. Cette plus-value a déjà été démontrée en dehors du domaine sportif. C’est par exemple le cas dans l’étude sur l’évaluation de nouvelles technologies de communication visant des aides pour la conception (Cahour, Brassac, Vermersch, Bouraouis, Pachoud, & Salembier, 2007). Pour autant, d’autres pistes sont parfois utilisées comme celles invitant des pratiquants de niveaux et d’environnement de pratiques différents à tester des prototypes de produits. Les concepteurs peuvent prévoir dans leur protocole des phases d’entretien lorsque les sportifs testent un nouveau matériel pour vérifier comment ce dernier est vécu. Cette participation active des usagers en s’appuyant sur leur expérience permettrait de proposer et tester des idées alternatives avec le pôle R&D. Cela permet ensuite d’effectuer les modifications nécessaires aux prototypes avant sa mise en production. Il s’agit donc de faire en sorte que les pratiquants ne soient pas simplement le public cible des arguments marketing avancés par les marques, mais qu’ils deviennent partie prenante du processus de conception afin de co-concevoir du matériel qui corresponde réellement à leurs besoins et à leur pratique. Ces points sur l’expérience rejoignent l’approche « centrée activité » présentée par Poizat, Haradji et Seifert (2011) dans le cadre d’un processus de conception de matériel sportif. Cette approche montre d’une part que l’analyse de l’activité ouvre des possibilités d’innovations fécondes confrontées aux anticipations technologiques des concepteurs. D’autre part, l’analyse de l’activité permet de mettre à jour des usages non anticipés par les concepteurs. Enfin, l’analyse de l’activité repose sur une coordination entre concepteur, utilisateur et ergonomes aux différentes phases du processus de conception. Au-delà de l’analyse de l’activité, la plus-value de notre approche liée à des enjeux de conception porte sur l’articulation des données d’expérience avec des données en troisième personne.

62D’autre part, les données en troisième personne sont d’un grand intérêt pour la conception, car elles permettent d’accéder aux dimensions non-conscientisables de l’activité instrumentée des experts en sport. En effet, l’activité sportive experte s’accompagne de processus d’appropriation et l’expertise se construit à partir des effets de transparence des objets matériels qui finissent par échapper en partie à la conscience des sportifs. C’est ce qui a été fait dans l’étude des grimpeurs où les données en troisième personne ont permis d’apporter des informations lors d’automatismes et des ajustements subtils non significatifs pour eux (comme des différences d’amplitude angulaire ou des différences de vitesse de frappe). De manière générale, le processus d’appropriation d’un outil est dépendant du temps et de ses usages, si bien que ces méthodologies articulatoires seraient pertinentes sur différentes temporalités afin de révéler ce processus d’appropriation dans l’usage (gêne/facilité, présence/transparence du matériel sportif).

63Ainsi, les méthodologies articulatoires paraissent particulièrement heuristiques pour la conception. L’intérêt réside dans les relations de convergence/discordance entre les données. La convergence peut être considérée comme un renforcement des résultats, analogue au processus de triangulation propre à certaines méthodologies (e.g., Johnson & Onwuegbuzie, 2004 ; Mathison, 1988). De même, la discordance peut être considérée comme une richesse dans la compréhension de l’activité, car elle conduit à prendre du recul sur les résultats et peut même amener à modifier l’objet de recherche. Ces deux effets issus des méthodes articulatoires permettent d’aider à la conception en dévoilant des caractéristiques de l’activité grâce à ces données hétérogènes (e.g., Volkoff, 2005). Par exemple, l’étude des nageurs avec le M.A.D. System montre au concepteur la nécessité d’une évolution du dispositif en raison de l’« effet cale » et notamment de changer la distance inter-cales lors des vitesses extrêmes pour que les nageurs produisent des amplitudes de nage ressenties comme proches de celles produites en situation écologique de nage. Ainsi, il apparaît important de sensibiliser les concepteurs à articuler des données hétérogènes afin d’éviter les sources potentielles d’erreurs qui génèrent une interprétation biaisée des résultats.

64Enfin, l’ergonomie de conception impose des temporalités qui ne sont pas toujours compatibles avec la recherche. Par exemple, les analyses en première personne utilisées dans le PRCA sont lourdes et nécessitent beaucoup de temps d’analyse de par la durée des entretiens, la durée nécessaire aux retranscriptions, la durée passée à la reconstruction des cours d’expérience. Cette lourdeur méthodologique limite le nombre de participants et les périodes d’activité étudiées. À notre connaissance dans le domaine du sport, seulement cinq participants ont été étudiés simultanément (e.g., Bourbousson, Poizat, Saury, & Sève, 2008 ; Bourbousson et al., 2011a ; 2011b). Cette dimension chronophage inhérente au PRCA, nécessite parfois des « arrangements méthodologiques ». À titre d’illustration, un gain de temps lors du traitement des données peut être obtenu en se focalisant sur des catégories génériques de l’activité en lien avec l’utilisabilité et l’appropriation du matériel sportif sans analyser l’hexatomie du signe et sa concaténation. Ainsi la majorité des études conduites dans le domaine de l’expertise en sport se sont centrées sur les actions, perceptions et préoccupations comme les trois études présentées dans cet article. Ces réflexions méthodologiques propres au traitement des données en première personne dans le PRCA sont nécessaires face à des enjeux de conception avec de courtes temporalités et un grand nombre de participants. Cela doit encourager les chercheurs à développer des méthodologies articulatoires offrant les conditions de recueil et d’analyse de données hétérogènes qui soient rapides, fiables, étendues et utilisables par les concepteurs pour des visées transformatives.

4.4. Perspectives dans le domaine de la conception : extensions possibles dans l’analyse de situations de travail

65Nous avons discuté des apports et des limites de ces méthodes articulatoires dans le domaine du sport selon une visée de conception. Ces méthodes articulatoires dans le domaine de l’activité humaine en situation sportive croisant des données d’explicitation de « l’activité vécue » et des données sur « l’activité mesurée » paraissent heuristiques pour : a) mieux comprendre l’activité humaine et son organisation complexe (visée compréhensive) ; b) favoriser la conception d’aides (instruments, technologies, dispositifs) à l’activité (visée technologique) ; c) permettre de développer de nouveaux critères de conception (e.g., l’appropriation) ou enrichir ceux existants (e.g., l’utilisabilité). Cette réflexion nous semble plaider pour une extension de ces méthodologies articulatoires à d’autres domaines que celui du sport. C’est en ce sens que des travaux récents ont convoqué une méthodologie articulatoire dans le domaine de l’enseignement (Adé et al., 2018 ; Ganière, Adé, & Louvet, 2020). En effet, dans le cadre de l’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS), des travaux ont été conduits pour renseigner l’activité d’élèves en situation d’arbitrage dans le but de proposer aux enseignants des pistes d’aide susceptibles de faciliter l’engagement des élèves dans ce rôle social souvent perçu par eux comme peu attractif (ibid.). Dans des situations réelles en classe, des données motivationnelles recueillies à partir de questionnaires ciblant les dimensions autodéterminées de la motivation des élèves (Deci, & Ryan, 2002) ont été combinées avec des données d’expérience vécue par les élèves lorsqu’ils occupaient le rôle d’arbitre. Comme pour les trois études que nous avons présentées, les résultats sur l’arbitrage des élèves révèlent la richesse et l’utilité de l’articulation de données hétérogènes (dans ce cas des données sur l’état de l’acteur à partir de critères prédéfinis avec des données d’expérience en première personne) pour des visées transformatives. À titre d’illustration les résultats pointent l’importance du point de vue motivationnel du besoin d’affiliation chez les élèves en situation d’arbitrage et une activité orientée vers la recherche d’aide auprès des pairs pour assumer la fonction. Au total il ressort une définition de l’activité d’arbitrage dans les leçons d’EPS comme étant une activité collective à partir de laquelle l’enseignant peut concevoir des environnements d’apprentissage de la fonction d’arbitre plus stimulants (par exemple passer d’une mise en situation individuelle d’arbitrage à une mise en situation partagée de l’arbitrage).

66Plus généralement, cette approche nous semble pouvoir être étendue pour analyser toutes les situations de travail. C’est certainement Mouchet (2018) qui actuellement a le plus avancé en ce sens bien qu’il se distingue pour partie du cadre théorique et méthodologique du PRCA. En effet, en travaillant au développement d’une approche « techno-psychophénoménologique », Mouchet explore le potentiel d’une démarche articulant des données en première personne (des données d’expérience) à des données en troisième personne centrées sur les manifestations observables de comportements inhérents à l’expérience d’acteurs. En sélectionnant des terrains d’étude différents du domaine sportif, mais similaires du point de vue du caractère complexe et/ou d’urgence de la situation, Mouchet s’est attaché à caractériser l’activité décisionnelle des médecins urgentistes. Du point de vue des conditions du recueil des données, c’est l’étude en situation réelle dans des « centre 15 » qui est systématisée. Du point de vue de la nature des données, ce sont des données d’expérience en tant qu’« acte réfléchissant » mobilisé par l’entretien d’explicitation (Vermesch, 2012) et des données en troisième personne notamment celles issues d’analyses sociotechniques (comme l’organisation spatiale du centre de régulation) et du contenu des bandes d’enregistrement téléphonique qui sont recueillies. Enfin, du point de vue de leur articulation, l’expérience du sujet est toujours valorisée au regard des autres données. Trois points nous distinguent donc fondamentalement du travail de Mouchet. Le premier est celui de l’étude systématique en situation réelle. Le second est relatif à la nature des données notamment en ce qui concerne le niveau de l’expérience vécue. Le troisième est le mode articulatoire qui subordonne les données en troisième personne aux données d’expériences. Bien que différente, l’approche articulatoire proposée par Mouchet livre des résultats féconds pour l’aide à la conception de dispositifs de formation des médecins en télémédecine, et démontre ainsi tout son potentiel pour la conception. C’est pourquoi, nous défendons l’idée du réinvestissement des méthodologies articulatoires mobilisées dans le domaine du sport en particulier, à toutes les situations de travail possédant un air de famille avec les situations sportives instrumentées, et mettant au centre de l’analyse : l’activité humaine, individuelle ou collective. À titre d’illustration et de façon prospective, l’analyse de l’activité au travail des pompiers, des agents de caisse ou encore d’ouvriers agricoles ou du bâtiment nous semble pouvoir tirer bénéfice d’analyses conduites à partir de l’articulation de données hétérogènes (notamment des données d’expérience et comportementales) pour comprendre et caractériser ces activités.

Conclusion

67Pour renseigner les clés de l’expertise en sport, les récents travaux conduits dans le cadre du PRCA se sont engagés dans ce que nous avons qualifié de méthodologies articulatoires. Les résultats découlant de ces méthodologies ont démontré leur pertinence à la fois pour des visées épistémiques et transformatives de conception du matériel sportif. Si nous en avons pointé les avantages, les limites et leur potentiel, il nous faut affirmer la nécessaire convergence épistémologique entre les cadres théoriques convoqués pour recueillir et traiter des données hétérogènes. Enfin nous avons centré notre réflexion sur la nature des données et les façons de les articuler. Cette centration ne doit pas laisser dans l’ombre d’autres sophistications méthodologiques participant à l’évolution de l’observatoire du PRCA. À titre d’illustration nous pensons aux études qui, pour rendre compte de la dynamique de l’activité, ont emprunté à d’autres approches scientifiques (e.g., théorie des systèmes dynamiques) des outils de modélisation de cette dynamique (e.g., Jourand, Adé, Sève, Komar, & Thouvarecq, 2017).

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Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Synthèse de l’observatoire des 3 études illustratives. Table 1: Synthesis of the observatory of 3 illustrative studies
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Titre Figure 1 : Illustration des différents systèmes de portage et d’hydratation testés pour cette étude. Figure 1: Illustration of the various backpacks and hydration systems tested for this study
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Titre Tableau 2 : Caractéristiques typiques du cours d’expérience de Martin (actions-type, perceptions-type, préoccupations-type) lors des passages à vitesse lente. Table 2: Typical characteristics of Martin’ course of experience (typical actions, typical perceptions, typical concerns) during slow speed laps
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Titre Figure 3 : Distribution-type des forces exercées par Martin sur chaque cale au cours des 10 passages. Figure 3: Typical formation of Martin’s force exerted on each pad over the ten laps
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Titre Figure 4 : Quatre types de piolet dont le manche est plus ou moins incurvé en fonction de l’usage (de gauche à droite) : alpinisme (A), goulotte (B), cascade (C), dry-tooling (D). Figure 4: Four types of ice axe with a more or less curved handle depending on use (from left to right): mountaineering (A), gully (B), icefall (C), dry-tooling (D)
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Titre Figure 5 : Dispositif expérimental pour le test de frappe en condition écologique simulée. Figure 5: Experimental device for strike testing in simulated ecological conditions
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Titre Tableau 3 : Actions et perceptions des grimpeurs pour les trois types de piolet lors de la frappe.  Table 3: Actions and perceptions of climbers for the three types of ice axe
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Titre Figure 6 : Exemple d’amplitudes articulaires (en haut) et moments d’inertie (en bas) pour un participant lors d’une série de 10 frappes avec le piolet de cascade (adapté de Robert et al., 2013, op. cit.).  Figure 6: Example of joint amplitudes (top) and moments of inertia (bottom) for a participant during a series of ten strikes with the icefall axe (adapted from Robert et al., 2013, op. cit.)
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Titre Tableau 4 : Dynamique des préoccupations-types des grimpeurs pour les trois types de piolet.  Table 4: Dynamics of climbers’ concern-types for the three types of ice axe
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Titre Figure 7 : Amplitudes articulaires pour l’angle main-piolet, poignet, coude et épaule avec les trois types de piolet (goulotte : Quark ; cascade : Nomic ; dry-tooling : Ergo) en condition fraiche et fatiguée (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.).  Figure 7: Joint amplitudes for hand-axe angle, wrist angle, elbow angle and shoulder angle with the three types of ice axe (gully : Quark ; icefall : Nomic ; dry-tooling : Ergo) in fresh and fatigued condition (Robert et al., 2013 op. cit. ; Rouard et al., 2016 op. cit.)
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Pour citer cet article

Référence électronique

David Adé, Nathalie Gal-Petitfaux, Nadège Rochat, Ludovic Seifert et Olivier Vors, « L’analyse de l’activité dans les situations sportives par l’articulation de données hétérogènes : Réflexions et perspectives au service de l’ingénierie de conception »Activités [En ligne], 17-2 | 2020, mis en ligne le 15 octobre 2020, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/5448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/activites.5448

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Auteurs

David Adé

Université de Rouen Normandie, CETAPS, Bd Siegfried, Mont-Saint-Aignan, 76821, France, david.ade@univ-rouen.fr

Nathalie Gal-Petitfaux

Université Clermont Auvergne, ACTé, Les Cézeaux, 3 rue de la Chebarde, Aubière, 63178, France, nathalie.gal-petitfaux@uca.fr

Nadège Rochat

Université Grenoble Alpes, CNRS, Grenoble INP, GIPSA-Lab, 38000 Grenoble, France, nadege.rochat@grenoble-inp.fr

Ludovic Seifert

Université de Rouen Normandie, CETAPS, Bd Siegfried, Mont-Saint-Aignan, 76821, France, ludovic.seifert@univ-rouen.fr

Olivier Vors

Aix Marseille Université, CNRS, ISM, Marseille, France ; SFERE-Provence, FED 4238, Marseille, France, 163 avenue de Luminy, Marseille cedex 09, 13288 France, olivier.vors@univ-amu.fr

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