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L’hypothèse de la cognition (ou action) située et la tradition d’analyse du travail de l’ergonomie de langue française

Situated cognition (or action) hypothesis and french speaking tradition in ergonomics work practice analysis
Jacques Theureau

Résumés

L’hypothèse de la cognition (action) située s’est imposée en 1987 avec l’ouvrage de Lucy Suchman, « Plans and situated actions ». Il est à la fois possible et utile aujourd’hui de prendre la mesure de cet événement dans le contexte particulier de l’analyse du travail de l’ergonomie de langue française. Le mouvement de réception active dont il a été l’objet, en particulier de la part du programme de recherche « cours d’action », permet, rétrospectivement, d’en préciser à la fois l’intérêt et les limites.

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Texte intégral

Introduction : un événement dans une conjoncture

1L’hypothèse de la cognition (ou action) située s’est imposée dans l’espace public international en 1987 avec l’ouvrage de Lucy Suchman « Plans and situated actions ». C’est sur cet ouvrage de Suchman, (1987a) que je vais revenir ici, d’un point de vue particulier, celui de sa relation avec la tradition d’analyse du travail de l’ergonomie de langue française. Si je l’ai choisi parmi d’autres ouvrages sur le thème de la cognition (ou action) située, c’est, d’une part, parce qu’il a fait événement, d’autre part, parce que, s’il a donné lieu à une analyse critique approfondie en français (Visetti, 1989), il n’a jamais été traduit dans cette langue et y est plus cité que lu, donc aussi plus souvent réduit à un slogan que compris. Je dois cependant préciser brièvement dès maintenant son inscription dans la conjoncture scientifique et technique du moment. Tout d’abord, la réflexion philosophique de Dreyfus (1979) – qui avait fait événement quelques années auparavant – l’avait préparé. Rappelons qu’après une critique des limites conjointes de la vision informatique de l’intelligence humaine (« l’homme comme système symbolique de traitement de l’information », dit aussi « paradigme cognitiviste ») et de l’Intelligence Artificielle, cet auteur avait proposé « une autre vision des choses » déclinée en trois aspects : « le rôle du corps dans l’exercice de l’intelligence », « la situation : conduite ordonnée sans recours à des règles » et « la situation, fonction des besoins de l’être humain ». On retrouve une même insistance sur la notion de situation chez Barwise et Perry (1983) qui avaient conjoint philosophie du langage et logique mathématique pour construire une « logique des situations » et avaient fondé sur cette base, à Palo Alto, le « Centre d’Étude du Langage et de l’Information » (CSLI) auquel participait Lucy Suchman, mais aussi Terry Winograd. Ce dernier, l’un des créateurs de l’informatique linguistique, avait, en compagnie d’un sociologue de Berkeley, Fernando Flores, ex-ministre dans le gouvernement de Salvator Allende, poursuivi la réflexion de Dreyfus (1979, Op. cit.) en y joignant l’apport d’un nouveau paradigme de la cognition, dit de l’« enaction » ou des « systèmes vivants », proposé par des biologistes, Humberto Maturana et Francisco Varela, et tout aussi radicalement opposé sinon plus au paradigme de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information. Sur cette base, l’ouvrage de Winograd et Flores (1986) avait proposé une « nouvelle fondation de la conception des systèmes informatiques », exemplifiée par la conception d’un des premiers collecticiels mis sur le marché, le « coordinator » (Winograd, 1987). Cette « nouvelle fondation de la conception des systèmes informatiques », qui a connu depuis divers développements, avait suscité de nombreuses critiques, dont celles de Lucy Suchman (1987b), mais accordait aussi une place centrale à l’environnement comme « monde propre de l’acteur humain », autre façon de conceptualiser la « situation ».

2À ces façons diverses de conceptualiser la « situation » en relation avec la cognition ou l’action qui dialoguaient au CSLI de Palo-Alto, il faut ajouter le développement aux Etats-Unis d’une anthropologie cognitive des situations modernes, de travail, de vie quotidienne et d’éducation (Cole, & Scribner, 1974 ; Cicourel, 1979 ; Rogoff, & Lave, 1984 ; Lave, 1985, 1988, 1991 ; Sternberg, & Wagner, 1986 ; et en particulier, Scribner, 1986 ; Hutchins, 1989). Tous ces travaux montraient l’inadéquation de l’hypothèse et des notions de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information et fournissaient des descriptions empiriques d’activités humaines dans des situations diverses. Certains d’entre eux, en particulier (Engeström, 1987), proposaient un retour à la psychologie de Vygotsky alors très largement oubliée qui, dans l’étude des « fonctions psychologiques supérieures », avait mis l’accent sur la médiation opérée par les outils, les signes et la culture (voir, en particulier, Wertsch, 1985, et l’influent Vygotsky, 1978). Cette référence à Vygotsky est aujourd’hui centrale pour un courant international dit de la « théorie de l’activité » (voir Nardi, 1996). Ils étaient accompagnés ou avaient été précédés par divers travaux d’anthropologie cognitive des situations exotiques (Hutchins, 1980, 1983 ; Dougherty, 1985) ayant des préoccupations théoriques convergentes, mais, au contraire des premiers, peu sinon pas engagés dans des contextes de conception de nouvelles situations. Ajoutons que ces divers travaux d’anthropologie cognitive des situations modernes ou exotiques ont donné lieu à de multiples croisements (voir, par exemple, Cole, Engeström, & Vasquez, 1997).

3Au total, ce qui apparaît autour de 1987, c’est donc moins une hypothèse qu’un faisceau d’hypothèses de la cognition (ou action) située, ouvert à une clarification et à un approfondissement ultérieurs. Après avoir rappelé le contenu de Suchman (1987a, Op. cit.), je considérerai la tradition de l’analyse du travail de l’ergonomie de langue française et son état en 1987, et esquisserai, à partir de l’exemple des recherches sur le cours d’action, le double aspect de la réception active qui a été faite de cet ouvrage : un approfondissement des hypothèses, notions et méthodes empiriques de cette analyse du travail, mais aussi, en retour, un approfondissement des hypothèses, notions et méthodes empiriques de Suchman (1987a, Op. cit.). Ce fragment d’histoire de l’étude de l’activité humaine et de l’ingénierie, je le considérerai rétrospectivement à partir d’aujourd’hui, mais je l’arrêterai en 1990, lorsque ce mouvement de réception active s’est achevé pour Leonardo Pinsky et moi-même, dans le cadre du programme de recherche « cours d’action ». Je le centrerai sur 1988, et plus précisément sur le congrès de la SELF qui a été consacré aux « modèles et pratiques de l’analyse des situations de travail » (Amalberti, de Montmollin, & Theureau, 1991) dans lequel la double influence de l’hypothèse de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information et de celle de la cognition (ou action) située s’est exprimée largement. Je laisserai donc totalement de côté les progrès empiriques et technologiques nombreux et variés réalisés depuis en poursuivant et approfondissant cette dernière, en ergonomie et dans d’autres disciplines (voir, par exemple, en Français, Cicourel, Conein, Filippi, et al., 1994).

1. Le contenu de « Plans and situated actions »

4Dans cet ouvrage, Lucy Suchman reprend le problème de l’action tel qu’il avait été posé antérieurement par l’ethnométhodologie. D’une part, elle confronte ce problème de l’action avec les idées alors dominantes concernant le problème de la cognition. D’où la formule composée « cognition (ou action) située » utilisée tout au long de ce texte alors que Lucy Suchman n’utilise que les termes d’ « action située ». D’autre part, elle spécifie ce problème de l’action en ce qui concerne la conception des machines interactives sophistiquées.

La photocopieuse

5Le cas étudié par Suchman est celui de l’interaction avec une photocopieuse Xerox évoluée, munie d’un système expert d’aide. La machine dit ce qu’il faut faire, et les gens sont censés le faire. Deux utilisateurs (afin de faciliter la verbalisation, et pouvoir distinguer l’interaction homme-homme de la quasi-interaction homme-machine) sont enregistrés en vidéo. Suchman recourt à une analyse des conversations échangées et des actions effectuées. Les transcriptions sont faites du point de vue de l’action et des ressources disponibles pour les utilisateurs et pour la machine. La machine dispose comme ressource du modèle de tâche tel qu’il est implémenté par le concepteur. Elle se réfère à ses états internes et aux écarts entre ce qui est prévu et ce qui est réalisé. Les utilisateurs sont engagés dans une interaction interprétative et constructive de la situation telle qu’elle se déroule, alors que la machine est dépendante d’un plan qui détermine son comportement et la prive de toute ressource interprétative. Les utilisateurs mobilisent le plan comme une ressource interprétative supplémentaire, et non pas comme le générateur, le contrôleur de l’action. Suchman note également que, pour faire sens du comportement de la machine, les utilisateurs lui prêtent des intentions – « elle répond à une commande, elle ne peut pas faire ci, ne veut pas faire ça » – l’assimilant au mode d’interaction homme-homme. Mais la machine n’a, elle, aucun moyen de réagir avec flexibilité aux contingences issues de l’environnement.

6Suchman repère des situations type. Les gens ne comprennent pas toujours ce que la machine décrit. S’ils demandent de l’aide, le répertoire des explications est incapable de situer les anticipations, le niveau de demande. Des significations dont produites dans l’interaction : les utilisateurs font une action, la machine déclenche l’étape suivante, et les utilisateurs prennent ce déclenchement pour une ratification de leur interprétation et de leur action ; ils continuent sur cette base ; même si la machine est en train de corriger une manœuvre problématique, les utilisateurs ne se demandent pas : « par quoi je commence, et qu’est-ce que je dois faire ensuite ? Dans l’action, leur problème est plutôt : qu’est ce qui se passe ? » et à cela la machine est incapable de répondre. À l’ordre « poser la feuille au milieu du repère X », ou « pousser le levier », la machine ne peut rien dire du genre « vous n’êtes pas sur le bon repère, regardez, il y en a 3, le bon est plus haut », ou « vous n’avez poussé qu’un bout du levier », ce que fait dans l’expérience l’un des utilisateurs, qui passe son temps à interpréter les plans d’actions affichés par la machine en fonction des actes qui viennent réellement de s’enchaîner. De même, lorsque la machine affiche une deuxième fois la même étape parce qu’il faut simplement la répéter, c’est interprété par les utilisateurs comme signalant un problème non résolu. La machine ne sait pas dire « tout va bien, on peut recommencer ». En fait, loin de suivre une procédure ou plan, l’utilisateur est toujours en train de réinterpréter la situation sur la base de la situation dynamique, et base ses comportements en fonction de ces interprétations et de leurs évolutions. Il est toujours dans une boucle réciproque d’interprétation, utilisant les instructions pour faire sens de l’environnement, et l’environnement pour faire sens des instructions. La procédure (ou plan) est seulement un modèle heuristique, un aide-mémoire.

L’hypothèse de la cognition (ou action) située comme alternative à celle de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information

7Les thèses positives défendues sont que : l’action est sociale dans ce sens que nous comprenons son développement selon les façons dont nous l’avons construite dans le cours d’interaction avec les autres ; les actions sont influencées par de nombreux aspects inhérents à la situation dans laquelle elle sont mises en œuvre ; disposer d’un plan n’est que l’un de ces aspects, l’une des ressources possibles ; l’usage d’un plan demande de pouvoir construire d’abord un point de vue interprétatif correct sur ce plan, et aussi sur l’ensemble plan-situation comme étant en relations pertinentes ; l’action humaine dispose d’une flexibilité et d’une marge d’ambiguïté qui sont des caractéristiques radicales, des conditions de possibilités de toute stratégie interactionnelle – sinon, il y a application mécanique de procédures. En définitive, on peut résumer ces divers points en un seul, qui est loin d’être trivial : la cognition ne se situe pas dans la tête, mais dans un entre-deux, entre l’acteur et la situation, dont font partie les autres acteurs. En conséquence, d’une part, les phénomènes cognitifs pertinents concernent essentiellement la perception et l’action, d’autre part, le lieu essentiel de leur étude est la situation de travail elle-même, car si l’on cherche à les étudier en passant d’une situation de travail à une situation de laboratoire, on risque de les perdre tous. Ces thèses positives ont pour corrélat une critique théorique de l’hypothèse de « l’homme comme système symbolique de traitement de l’information » et une critique épistémologique de la façon dont une telle hypothèse a été « validée ». Rappelons que cette hypothèse est fondée sur la possibilité de séparer la cognition de la perception et de l’action et affirme que la cognition consiste en des opérations logiques sur des représentations symboliques implantées indifféremment dans un cerveau ou un ordinateur. Sa validation a été effectuée au départ, pour des problèmes symboliques « bien formés » résolus en laboratoire, grâce à l’enregistrement de la « pensée-tout-haut » des sujets durant leur résolution (Newell, & Simon, 1972). Les limites d’une telle validation ont amené les auteurs et leurs continuateurs à faire appel à toutes sortes de verbalisations a posteriori (Ericcson, & Simon, 1984) et même aux seules observations du comportement (Card, Moran, & Newell, 1983, et bien d’autres). Pour Suchman, si l’action a pu apparaître comme suivant des plans symboliques, qu’ils soient séquentiels ou hiérarchiques, c’est grâce à une illusion rétrospective, celle qui est engendrée par les récits réflexifs que nous faisons de nos actions. Cette illusion rétrospective, c’est que nous croyons que les descriptions que nous effectuons ainsi de nos actions, qui nous apparaissent comme des récits suivant un plan, rendent compte de la production (ou genèse) de ces actions.

2. Le paradoxe de la descriptibilité et de la réflexivité de l’action dans l’ethnométhodologie

8Pour saisir ce dernier point, il nous faut faire un détour par l’ethnométhodologie (voir, par exemple, une série d’études ethnométhodologiques anciennes, dans Turner, 1974) qui, chez Suchman, fonde l’hypothèse de la cognition (ou action) située et en limite la formulation. Notons cependant auparavant que Lucy Suchman, tout en se référant à l’ethnométhodologie, introduisait deux questions qui y étaient restées non thématisées : la question de la cognition, comme manifestation de savoirs acquis et comme création de savoirs nouveaux, quelle que soit la façon dont on conçoit la notion de savoir elle-même ; la question de la technique et de la contribution à sa transformation. Sinon, son ouvrage n’aurait pas fait événement, n’aurait été qu’une contribution parmi d’autres de l’ethnométhodologie. Pour Harold Garfinkel, leur initiateur, « (les recherches en ethnométhodologie) analysent les activités de tous les jours en tant que méthodes des membres (d’une communauté sociale) pour rendre ces mêmes activités visiblement rationnelles et rapportables pour des buts pratiques, c’est-à-dire descriptibles (“accountable”), en tant qu’organisation des activités ordinaires de tous les jours. La réflexivité de ce phénomène est une propriété singulière des actions pratiques, des circonstances pratiques, de la connaissance commune (“common sense knowledge”) des structures sociales et du raisonnement sociologique pratique. C’est cette réflexivité qui nous permet de repérer et d’examiner leur occurrence : en tant que telle, elle fonde la possibilité de leur analyse » (Garfinkel, 1985, p. 6). Ainsi, le « thème central des études » ethnométhodologiques est « la descriptibilité (“accountability”) rationnelle des actions pratiques, en tant qu’elle est un accomplissement continu et pratique » (Garfinkel, 1985, Op. cit., p. 57).

9Cette descriptibilité et la notion de réflexivité qui lui est associée ne vont pas de soi pour qui a l’habitude d’associer la notion de réflexivité à une notion de conscience, quelle qu’elle soit :

« par descriptible, j’entends observable et rapportable au sens où les membres disposent de leurs activités et situations à travers ces pratiques situées que sont voir – et – dire. J’entends également : que de telles pratiques consistent en un accomplissement sans fin, continu et contingent ; qu’elles sont réalisées, et provoquées comme événements, dans le cadre des affaires courantes qu’elles décrivent tout en les organisant ; que ces pratiques sont faites par ceux qui participent à ces situations d’une manière telle que, de façon obstinée, ils tablent sur leur compétence, la reconnaissent, la considèrent comme allant de soi ; par compétence, j’entends la connaissance qu’ils ont de ces situations, leur habilité à les traiter, et le fait qu’ils ont qualité pour faire le travail détaillé en quoi consiste cet accomplissement ; et que le fait même qu’ils considèrent leur compétence comme allant de soi leur permet d’accéder aux éléments particuliers et distinctifs d’une situation et, bien évidemment, leur permet d’y accéder aussi bien en tant que ressources qu’en tant que difficultés, projets, etc... » (Garfinkel 1985, Op. cit., p. 54).

10Ainsi, la descriptibilité et la réflexivité selon Garfinkel ne désignent pas une éventuelle propriété qu’auraient les activités pratiques de pouvoir être décrites par ceux qui les accomplissent et de déboucher sur des récits réflexifs d’action. Elles en désignent une autre, celle qu’auraient ces activités pratiques de se décrire elles-mêmes au cours de leur accomplissement. C’est pourquoi, sans doute, l’activité pratique qui a été principalement étudiée par l’ethnométhodologie est la conversation. Rendant perceptible d’elle-même, grâce au langage, sa descriptibilité, la conversation peut paraître exemplifier ces notions de descriptibilité et de réflexivité. Mais le cas de la conversation rend seulement plus opaque le paradoxe que suscitent ces notions de descriptibilité et de réflexivité que je propose de formuler ainsi : la descriptibilité et la réflexivité des activités pratiques, qui sont inhérentes à ces dernières, échappent aux acteurs qui les accomplissent, mais sont actualisables en une description langagière adéquate par l’ethnométhodologue qui examine le comportement ici et maintenant de ces acteurs en tant qu’il manifeste cette descriptibilité et cette réflexivité.

Le « jugement vivant » et son réseau causal

11Suchman reprend exactement, dans ses formulations, ces idées de Garfinkel. Elle insiste pareillement sur la descriptibilité : « le fait que nous, êtres humains, avons la propriété particulière de, non seulement agir, mais aussi de commenter – justifier, rationaliser, etc. – nos actions » (Suchman, 1987a, Op. cit., p. 1). Cette descriptibilité, elle l’aborde pareillement comme propriété des activités pratiques des acteurs sociaux en train de s’accomplir. Et, pour faire mieux apparaître cette descriptibilité pour l’observateur, elle place deux personnes devant sa photocopieuse, avec la consigne de collaborer étroitement à la réalisation de diverses tâches, ce qui ne peut manquer de donner lieu à des conversations riches et en contexte, à l’analyse desquelles elle pourra faire contribuer tout le savoir ethnométhodologique accumulé portant sur la conversation. Mais, en s’intéressant à un objet nouveau pour l’ethnométhodologie, le détail de l’interaction avec une machine interactive sophistiquée, et ce dans une perspective, elle aussi nouvelle, de contribution effective à la conception technique, elle exacerbe le paradoxe que suscitent ces notions de descriptibilité et de réflexivité.

12Elle laisse ainsi sans possibilité de réponse une question qu’elle présente pourtant comme constituant « la question centrale ». Sa formulation échappe au vocabulaire de Garfinkel et aurait pu ouvrir un malentendu fécond. Cette question est celle de la nécessité de considérer « le jugement vivant, à chaque instant, de la signifiance des circonstances particulières » et « d’explorer la relation du savoir et de l’action aux circonstances particulières dans lesquelles cette action de connaître et cette action (tout court) se produisent invariablement » (Suchman, 1987a, Op. cit., p. 178), c’est-à-dire en définitive la question de la genèse détaillée de l’action, à moins de considérer – illusoirement, dirions-nous – que cette dernière est épuisée par le contenu des communications entre les acteurs en train de coopérer. Si les pratiques réflexives, de récit, de commentaire, de justification, de rationalisation, (etc.), des acteurs sont variées et elles-mêmes tout autant situées – mais dans un autre lieu et un autre temps – que les actions qu’elles considèrent rétrospectivement, elles ne peuvent pas rendre compte de ce « jugement vivant » et de cette « relation du savoir et de l’action aux circonstances particulières ». C’est ce qui fait, comme on l’a vu dans la section 1, leur caractère illusoire pour Suchman. Dont acte. Mais, le comportement, y compris langagier, des acteurs, que Suchman garde comme seule source de données, donne un accès à ce « jugement vivant » et à cette « relation du savoir et de l’action aux circonstances particulières » qui apparaît d’emblée comme limité. A contrario, les verbalisations provoquées simultanées à la résolution de problèmes symboliques bien formés en laboratoire, promues par Newell et al. (1972) en même temps que l’hypothèse de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information, semblent, au moins superficiellement et pour de telles tâches bien particulières, offrir un accès à eux qui est beaucoup moins limité. Nous verrons même dans la section 5 qu’il y a tout lieu de penser que cet accès par le seul comportement observé comporte aussi un aspect illusoire en ce qu’il conduit à prendre le point de vue de l’observateur pour celui des divers acteurs. Le fait que cet observateur soit ethnométhodologue ne change rien à l’affaire.

13Pour documenter un tel « jugement vivant » et une telle « relation du savoir et de l’action aux circonstances particulières », il aurait fallu faire d’eux un objet d’étude et développer des méthodes de construction de données empiriques concernant un tel objet d’étude. C’est ce qui a été tenté avec l’objet théorique « cours d’action » et son observatoire, qui conjoint des méthodes de verbalisation simultanée et interruptive dans certaines situations et des méthodes d’observation, d’autoconfrontation (ou d’autres formes d’entretien de remise en situation) et d’ethnographie culturelle dans toutes les situations (voir Pinsky, 1987b ; Theureau, & Jeffroy, 1994 ; Theureau, 2004, et le site internet www.coursdaction.net). C’est en fait se donner les moyens théoriques et méthodologiques de s’écarter tout autant de l’illusion rétrospective des récits d’action que de l’illusion de la transparence pour l’ethnométhodologue observateur du détail de la genèse de l’action. Une telle tentative, si elle a l’avantage – me semble-t-il – de la systématicité, ce qui fait l’intérêt de s’appuyer ici sur son exemple, n’est pas unique (voir, en particulier, Vermersch, 1994, pour une tentative parallèle et en partie alternative) et a été accompagnée de pratiques diverses de l’analyse du travail qui la recoupent partiellement. Il s’agit d’un aspect de la réception active qui a été faite dans l’ergonomie de langue française à l’hypothèse de la cognition (ou action) située et que je vais maintenant considérer.

3. La tradition de l’analyse du travail de l’ergonomie de langue française et son état en 1987

14On sait – ou du moins, les ergonomes de langue française et les chercheurs d’autres pays qui les ont approchés de près savent – que le livre de A. Ombredane et J. M. Faverge (Ombredane, & Faverge, 1955) a inauguré l’analyse du travail de l’ergonomie de langue française et en a fait sa particularité essentielle relativement aux « ergonomics » et « human factors » internationaux. Je ne reviendrai pas là-dessus. Ce qu’on sait moins, c’est que cet ouvrage s’est proposé, d’une part, de fonder à la fois la formation professionnelle, l’aménagement du travail et la sélection et l’orientation des opérateurs sur l’analyse du travail et non pas sur des expérimentations en laboratoire, d’autre part, de fonder une telle analyse du travail sur la théorie mathématique de l’information de Shannon. Le premier objectif s’accorde à l’avance avec Suchman (1987a, Op. cit.). Le second objectif conduit à donner comme objet à l’analyse du travail les « communications entre l’homme et la machine » au sens d’échanges d’informations. Cette notion de communication est proche de la notion d’interaction selon Suchman (1987a, Op. cit.), tandis que cette notion d’information est proche de celle qui est en jeu dans les processus internes de traitement d’information selon (Newell, et al., 1972). Cet appel à la notion mathématique d’information a été relayé plus tard par l’appel aux notions cybernétiques de « régulation » (Faverge, 1966) et de « système » (Montmollin, 1967, repris en partie dans Montmollin, 1994) qui lui sont homogènes. Le mode de validation / falsification des hypothèses envisagé est celui du traitement statistique de données discrètes d’observation de l’activité recueillies en situation de travail. Les questions sur le travail collectif sont abordées, grâce au passage de la notion de « système homme – machine » à celle de « système hommes – machines » (Montmollin, 1967). La « communication homme – machine » est conçue comme activité, ne suivant pas forcément la tâche prescrite, d’où la possibilité de questions sur les écarts éventuels entre tâche et activité.

L’analyse du travail orpheline en matière de théorie

15L’ennui, c’est que, très vite, la théorie mathématique de l’information de Shannon s’est avérée incapable de rendre compte des données d’analyse du travail recueillies. Par exemple, Foret, Buisset et Finot (1972) montraient, dans une recherche globale en situation réelle du poste de conducteur d’une machine à fabriquer des cigarettes, que « l’ouvrier ne s’attache pas à tous les indices qu’il perçoit, mais opère un choix et ne retient que les signaux qui lui paraissent utiles » (Op. cit., p. 23). Les auteurs notent : « on a l’habitude de dire avec les théoriciens de l’information que l’intérêt attaché à un signal dépend de la quantité d’information qu’il transmet. Autrement dit, si un signal apparaît rarement, on ne s’attend que peu à l’enregistrer ; il apporte une grande quantité d’information, c’est lui qu’on surveillera, alors qu’un autre, que l’on a l’habitude de voir fréquemment, finit par “faire partie du décor” et se trouve négligé…Cependant, la signification du signal entre également en jeu. Certains signaux “anormaux”, c’est-à-dire apportant une grande quantité d’information peuvent être négligés… Au contraire, certains signaux trop probables pour apporter beaucoup d’informations, sont surveillés avec soin » (ibidem). Cet échec de la théorie mathématique de l’information a amené ces auteurs et leurs continuateurs à proposer de développer l’analyse du travail dans le sens d’une « analyse du travail en termes de processus de pensée » (Faverge, 1972), d’une étude des « activités mentales » (Laville, 1972) ou de l’« intelligence de la tâche » (Montmollin, 1986), ce qui a ouvert la voie à son remplacement par la théorie de l’homme comme système de traitement symbolique de l’information proposée par l’ouvrage de Newell et al. (1972).

16Pourtant, si cette dernière théorie a eu une large postérité scientifique dans des recherches en situation de laboratoire, sa postérité en analyse du travail proprement dite a consisté essentiellement à imposer un vocabulaire. En ce qui concerne le travail, son plus grand succès scientifique (c’est-à-dire où le vocabulaire recouvre des notions traduisant des hypothèses théoriques qui connaissent un minimum de validation / falsification empirique) reste la tentative de « tirer des concepts de la Psychologie cognitive et de l’Intelligence artificielle pour créer une Science Cognitive Appliquée de l’Utilisateur » (Card, et al., 1983). Il est facile de constater que cette théorie n’a concerné que des situations de simulation et n’a abouti qu’à un retour à Taylor, à une différence près : le remplacement du « moteur humain » par un « ordinateur humain » (voir Theureau, 2004, pp. 21-24). Si, malgré son échec empirique en ce qui concerne l’analyse du travail, la théorie de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information a imposé son vocabulaire à l’analyse du travail de l’ergonomie de langue française, c’est que ce vocabulaire était le même – et pour cause ! – que celui des concepteurs de systèmes informatiques, ce qui facilitait la communication avec ces derniers dans les processus de conception. D’où un certain nombre de travaux de recherche en analyse du travail qui sous ce vocabulaire ont développé des analyses empiriques et des contributions à la conception ergonomique des situations de travail dignes d’une autre théorie.

4. Sommes-nous tous des ethnométhodologues ?

17Diverses tentatives ont été faites pour réduire l’hypothèse de la cognition (ou action) située à la proposition d’une étude de la cognition sur le terrain. Par exemple, pour Vera, & Simon (1993), il s’agit d’une innovation méthodologique qui permet d’étendre le champ d’application de la théorie de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information. Si innovation méthodologique il y a, elle ne peut apparaître que très relative vue de l’ergonomie de langue française, puisqu’il y avait longtemps que des méthodes d’étude de la cognition (ou action) sur le terrain y avaient été développées. Mais, du point de vue international, il n’en est pas de même et, jusqu’à aujourd’hui, dans les congrès et colloques internationaux de « cognitive science », les rares analyses du travail de l’ergonomie de langue française qui sont présentées sont très souvent assimilées à l’ethnométhodologie ou, moins souvent et seulement très récemment, au courant de la « théorie de l’activité » (cité plus haut en introduction), même lorsqu’elles proposent des théories en partie alternatives ou ne proposent pas de théorie du tout. Effectivement, en dehors des communications de personnes qui se réclament de cette discipline ou de ce courant, le reste des communications dans ces lieux consiste essentiellement en la description de modèles cognitifs du travail sans données sur le travail.

18En fait, si l’hypothèse de la cognition (ou action) située a pu et peut encore intéresser l’ergonomie de langue française, c’est en tant qu’embryon d’une théorie empiriquement validée / falsifiée de l’analyse du travail qui nous ramène au cœur de ce qui avait été proposé par Ombredane et Faverge (1955) et que les échecs de la théorie mathématique de l’information avaient fait abandonner. On peut en effet interpréter rétrospectivement l’idée de l’analyse du travail comme « communication homme-machine » de ces auteurs comme une intuition pertinente qui a été mal traduite par la notion mathématique d’information disponible à cette époque. Malgré cela, accueillir cette hypothèse et en tirer les conséquences n’allait pas de soi.

19Considérons, pour illustrer à la fois la nécessité de cet accueil et ses difficultés, les recherches que j’ai menées avec Leonardo Pinsky de 1979 à 1986. La première de ces recherches (Pinsky, Kandaroun, Lantin, 1979) se référait à la théorie de l’homme comme système de traitement symbolique de l’information, mais en la vidant de son contenu théorique et en n’en gardant que la méthodologie de recueil de données et d’analyse. Les suivantes faisaient appel à l’analyse conversationnelle, la sémiotique du récit, la logique naturelle, la logique des situations (Pinsky, & Theureau, 1982 a et b). Un tel éclectisme sans rivages (ou presque) témoignait du fait que, comme nous l’avons vu plus haut, l’analyse du travail était alors orpheline en matière de théorie. Le premier effet de Suchman, (1987a, Op. cit.) – ou plutôt de la rencontre avec Lucy Suchman et la lecture d’un article d’elle plus d’un an auparavant – a été de nous faire réinterpréter les données de la recherche que nous développions durant cette période, concernant la conduite de processus automatisés de production séquentielle (Pinsky, & Theureau, 1985, 1987a). Nous avions fait apparaître des relations entre les actions significatives pour les opérateurs que nous avions interprétées en termes de « plans ». Lucy Such-man nous a permis, négativement, de voir combien cette interprétation était sous-déterminée par les données et, positivement, de généraliser la notion de « structure significative du cours d’action » déjà élaborée dans Pinsky et Theureau (1982b). Par contre, dans une autre recherche de la même période concernant l’interprétation collective de messages informatiques par les agents d’une mutuelle (Jeffroy, 1987) et dans (Pinsky, & Theureau, 1987b), nous avons développé des hypothèses et notions théoriques en matière de genèse de l’action qui allaient au-delà de (Suchman, 1987a, Op. cit.) tout en conservant la séparation héritée de (Newell, & Simons, 1972) entre cette genèse de l’action et l’action elle-même, en modélisant l’activité comme processus d’interprétation débouchant sur l’action (ou la communication). Ce n’est qu’à partir de 1990 que nous avons considéré les unités significatives élémentaires du cours d’action comme pouvant être aussi bien des interprétations que des actions ou communications accompagnées implicitement ou explicitement d’interprétations ou des émotions, et donc la cognition comme constituant pleinement un phénomène d’interaction entre un acteur et sa situation et non pas un phénomène interne à l’acteur relayé par l’action. Mais, cet apport de (Suchman, 1987a, Op. cit.) à l’analyse du travail ne constituait qu’un embryon de théorie qu’il a fallu ensuite développer, de même qu’il a fallu développer son apport à la conception ergonomique au-delà, d’une part, de la notion d’« aide » proposée dans cet ouvrage, et déjà présente dans le programme de recherche « cours d’action » (Pinsky, et al., 1979), d’autre part, de la participation des utilisateurs à la conception proposée, par exemple, dans (Suchman, & Trigg, 1991), et déjà présente aussi dans l’ergonomie de langue française (voir Tort, 1974), dont nous ne parlerons pas ici.

5. La cognition (ou action) située peut-elle être située sans être incarnée ?

20Ce développement – qui peut emprunter d’autres voies dont seulement certaines existent déjà – est passé par une considération de l’individu et de son corps qui était étrangère à Suchman (1987a, Op. cit.). Suchman, comme Garfinkel, aborde la cognition humaine, c’est-à-dire la manifestation et la constitution du savoir, dans les activités pratiques et leurs contextes, en tant précisément que

21« méthodes des membres » (Garfinkel, 1985, Op. cit., p. 6). Cette notion de « membre », que Garfinkel fera évoluer tout au long de son œuvre, représente la maîtrise à la fois cognitive, linguistique, sociale des pratiques quotidiennes et spécialisée. L’individu est considéré comme membre et seulement comme membre. L’activité d’un individu est abordée, pourrait-on dire, en tant qu’activité d’un membre faisant de cette activité une activité de membre. Comme on l’a vu dans la section 2, la notion de « réflexivité » mise en œuvre n’a en particulier rien à voir avec la notion de conscience. En fait, elle noue simplement la notion d’« activité » à celle de « membre ». L’ethnométhodologie ouvre donc sur une variante de ce que j’ai proposé d’appeler le « collectivisme méthodologique ». C’est pourquoi, avant même que Suchman ne se livre à la critique des plans symboliques, qu’ils soient séquentiels ou hiérarchiques, organisateurs des actions, postulés par le cognitivisme, l’ethno-méthodologie a joué un rôle important dans la critique de la variante d’« individualisme méthodologique » qui a été promue par le même cognitivisme, que je me contenterai de signaler ici.

22Cette considération de l’individu et de son corps constitue un effet en retour de l’ergonomie de langue française sur l’hypothèse de la cognition (ou action) située. Mais elle est passée par le paradigme de l’enaction sur lequel, comme nous l’avons vu en introduction, (Winograd, & Flores, 1986, Op. cit.) a proposé de fonder la conception des systèmes informatiques. La critique par Suchman, (1987b, Op. cit.) de cet ouvrage porte essentiellement sur le manque d’études empiriques de l’activité humaine dans la « nouvelle fondation » proposée. Elle laisse intact le paradigme de l’enaction lui-même que nous résumerons ici en renvoyant pour les détails à Theureau (2004). Son idée fondamentale est que le système formé par un acteur et son environnement constitue ce qu’on appelle un système autonome, ou encore opérationnellement clos. Par autonomie ou clôture opérationnelle d’un système, on entend sa capacité fondamentale à être, à affirmer son existence et à faire émerger un monde qui est signifiant et pertinent tout en n’étant pas prédéfini à l’avance. Cette autonomie a des conséquences importantes, tant sur la dynamique du système formé par chacun des acteurs et l’environnement considéré que sur les conditions de sa connaissance. Elle signifie, en effet, que chacun des acteurs entretient une relation asymétrique avec cet environnement (comprenant les autres acteurs), en ce sens qu’il interagit seulement avec ce qui, dans cet environnement, l’intéresse ou plutôt – pour ne préjuger en rien du caractère conscient ou non de cet intérêt – est source de perturbations pour lui. Pour le dire autrement, cet acteur interagit à chaque instant avec un environnement signifiant à l’émergence duquel il a lui-même contribué, à partir de sa constitution physiologique, de sa personnalité, de sa compétence, de son histoire et de ses propres interactions avec cet environnement à l’instant précédent. Il y a ainsi co-détermination des structures internes des acteurs et des structures (évidemment externes) de l’environnement (y compris social) à travers les interactions. Le système formé par chacun des acteurs et l’environnement considéré n’a donc pas de bornes spatiales et temporelles, ni de contenu, qui soient déterminables a priori. Les bornes et le contenu de ce système dépendent de l’acteur et de son histoire et varient constamment, non seulement du fait des interactions qui se déroulent en son sein, mais aussi du fait des interactions entre chaque acteur et d’autres environnements, qui participent à la constitution de sa culture : les environnements de ses autres activités pratiques (vie familiale, loisirs, travail, sport, etc…), dont les caractéristiques peuvent être différentes de celles de celui qui est considéré.

23Cette idée d’autonomie des acteurs conduit à aborder l’activité humaine comme à la fois cognitive, autonome, incarnée, située, à la fois individuelle et collective (individuelle-sociale), techniquement constituée, cultivée et vécue, en prenant toutes ces caractéristiques hypothétiques au sens fort :

  • cognitive : une notion de savoir est nécessaire pour en rendre compte en termes à la fois manifestation de savoir et de constitution de savoir ;

  • autonome (ou opérationnellement close) : elle consiste en une dynamique de couplage structurel, c’est-à-dire d’interactions asymétriques, entre un acteur et son environnement (autres acteurs inclus), c’est-à-dire d’interactions avec ce qui, dans cet environnement, est sélectionné comme pertinent pour l’organisation interne à chaque instant de l’acteur considéré (monde propre), interactions dont le contenu lui-même est pertinent pour cette même organisation interne à chaque instant (corps propre) ;

  • incarnée : toute séparation entre corps et esprit est récusée et, selon l’expression de Rose (2004), le mot « mind » (esprit) doit être en fait considéré comme étant un verbe, comme « minding », et désigner « ce que le cerveau et le corps font » ;

  • située dynamiquement dans un monde où existent d’autres acteurs : ce monde et ces autres acteurs participent à cette activité pour autant qu’ils sont pertinents pour l’organisation interne de l’acteur considéré (voir plus haut), ce qui fait que l’activité individuelle est en fait individuelle-sociale ;

  • cultivée : l’activité est située culturellement, c’est-à-dire non séparable d’une culture ;

  • vécue : une notion de conscience est nécessaire pour rendre compte de l’activité et, selon la formule de (Lachaux, & Le Van Quyen, 2004), « la conscience est une propriété émergente du couplage ».

24F. Varela a suggéré une première réduction qui permet de maintenir en considération l’ensemble de ces caractéristiques tout en progressant dans la connaissance de l’activité, grâce à la séparation entre deux domaines de phénomènes, le domaine de structure, celui de l’organisation interne de l’acteur, et le domaine cognitif, celui de la dynamique du couplage structurel de cet acteur avec son environnement (y compris social), ou plutôt entre le domaine de structure en relation avec le domaine cognitif, et le domaine cognitif en relation avec le domaine de structure. Le premier est susceptible d’une description opérationnelle dans le cadre des neurosciences et, plus précisément, de la Neuro-Phénoménologie, tandis que le second est susceptible d’une description symbolique admissible dans le cadre des sciences humaines et sociales. Rappelons qu’est admissible une description des interactions de l’acteur avec son environnement (y compris social) qui, d’une part, respecte leur caractère asymétrique, donc leur pertinence pour l’organisation interne de l’acteur, et dont, d’autre part, les symboles peuvent être considérés comme résumant des processus du domaine de structure et respectent ainsi la relation entre domaine cognitif et domaine de structure.

25Cette admissibilité est la condition, d’après le paradigme de l’enaction, pour qu’une description des interactions entre l’acteur et son environnement (y compris social) puisse être porteuse d’explication. En son absence, on peut atteindre au mieux une description de ces interactions qui soit utile pour divers objectifs pratiques, par exemple de conception technico-organisationnelle de situations, mais de façon limitée et non cumulative, c’est-à-dire qui est toujours à reprendre à zéro, ou encore qui participe à la technique sans contribuer à une technologie. Pour la réaliser, l’observation extérieure des interactions de l’acteur avec son environnement (y compris social) est insuffisante à deux points de vue. D’une part, ces interactions ne sont pas entièrement observables de l’extérieur. D’autre part, il est impossible, de l’extérieur, de s’assurer de la pertinence de la description effectuée pour l’organisation interne de l’acteur, de ne pas prendre l’acteur pour soi-même. Comme le dit Lachaux (2003), à propos des expérimentations usuelles menées dans les neuro-sciences où l’observateur extérieur a le monopole de la description, « une grande part de l’activité cognitive reste incontrôlable donc inconnue ». D’où le développement dans la Neuro-Phénoménologie de « compte-rendus disciplinés en première personne » de la part des sujets des expérimentations, afin de considérer effectivement le domaine de structure dans sa relation avec le domaine cognitif. D’où aussi, si l’on veut considérer le domaine cognitif dans sa relation avec le domaine de structure, le développement de verbalisations du même genre de la part des acteurs.

26Dans les recherches en termes de cours d’action est visée une description symbolique admissible du domaine cognitif, donc respectant sa relation avec le domaine de structure, c’est-à-dire une description symbolique de la dynamique des interactions de l’acteur avec son environnement (y compris social) qui respecte leur caractère asymétrique. Cette visée est supposée pouvoir être atteinte grâce à une hypothèse supplémentaire portant sur la caractéristique de vécu de l’activité. On peut résumer cette hypothèse supplémentaire en deux propositions : (1) l’activité humaine à tout instant est accompagnée chez l’acteur considéré de conscience pré-réflexive ou expérience qui inclut en elle ce qu’on entend usuellement par conscience mais aussi tout un implicite de l’activité à chaque instant ; (2) cette conscience pré-réflexive ou expérience est l’effet de surface de la dynamique du couplage structurel de l’acteur avec son environnement (y compris social), proposition qui spécifie en termes de conscience pré-réflexive la formulation présentée plus haut : « la conscience est une propriété émergente du couplage ». C’est cette hypothèse supplémentaire qui fonde les méthodes particulières de verbalisation des acteurs mises en œuvre dans l’observatoire des cours d’action dont nous avons donné un aperçu en conclusion de la section 2. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la considération par le paradigme de l’enaction du caractère incarné de l’activité ouvre sur des objets et des méthodes de recueil de données et d’analyse différents de ceux de l’ethnométhodologie, qui respectent tout aussi radicalement que l’ethnométhodologie le caractère situé de l’activité tout en donnant une issue au paradoxe que suscite ses notions de descriptibilité et de réflexivité : la possibilité d’une description adéquate de l’activité pratique ne dépend plus seulement du chercheur observant et interprétant le comportement des acteurs, mais aussi et d’abord de la mise en œuvre de méthodes d’explicitation de la conscience pré-réflexive des acteurs qui est présente à chaque instant de leur activité pratique. On voit que la considération de l’individu et de son corps conduit à préciser une notion de conscience et des méthodes pour y donner accès qui sont tout aussi étrangères, comme on l’a vu dans la section 2, à l’ethnométhodologie dans laquelle reste pris l’événement qu’a été le surgissement de l’hypothèse de la cognition (ou action) située.

Conclusion : cognition / action située, anthropologie philosophique de la technique & responsabilité de l’ergonome

27Pour conclure, je voudrais ajouter qu’un philosophe, Bernard Stiegler, a proposé dans un ouvrage « La technique & le temps » décliné en une série de tomes – dont 3 parus (Stiegler, 1994, 1998, 2001) – une thèse, celle du « caractère anthropologiquement constitutif de la technique ». Cette thèse constitue une extension spéculative (encyclopédiquement fondée) de l’hypothèse de la cognition (ou action) située, même si son auteur ne parle pas de cette dernière. Occupé qu’il est dans les deux premiers tomes par la longue durée, la macro-temporalité, il n’aborde l’activité humaine quotidienne, la micro-temporalité, que dans le troisième tome, et encore, seulement à travers le développement critique d’une notion proposée par un autre philosophe, Edmund Husserl, le créateur du courant phénoménologique, celle de « rétention ». Malgré ces limites pour notre propos, il me semble qu’il relance le mouvement de réception active de l’hypothèse de la cognition (ou action) située qui, comme je l’ai écrit en introduction, s’était achevé pour le programme de recherche « cours d’action » en 1990.

28Qu’est-ce en effet que cette thèse du « caractère anthropologiquement constitutif de la technique » ? Bernard Stiegler mobilise, en plus de ses ressources philosophiques, ce qu’on sait de façon plus ou moins assurée aujourd’hui en matière de génétique, de paléontologie, d’anthropologie, de psychologie et de psychophysiologie de la mémoire et d’anthropologie cognitive pour distinguer trois sortes de genèses d’un acteur humain à un moment donné :

  • la genèse ayant pour produit la mémoire génétique : la transmission génétique ;

  • l’épigenèse ayant pour produit la mémoire nerveuse : ce qui vient de l’apprentissage et de la formation au cours d’une vie ;

  • l’épi-philogenèse ayant pour produit la mémoire technologique (associant technique et langage, et plus généralement tout ce qui fait signe) : ce que chaque génération trouve comme déjà-là construit par la technique.

29Cette mémoire technologique constitue un milieu, à la fois intérieur et extérieur à l’individu, plutôt qu’un ensemble d’outils ou de moyens. Proposer cette thèse du « caractère anthropologiquement constitutif de la technique », c’est affirmer la technicité – ou encore, le caractère techniquement situé – originaire de toute cognition (ou action) et même de toute humanité.

30Cette thèse conduit à dépasser la conception ergonomique en termes d’aide (partagée, comme on l’a vu dans la section 4, par Suchman et le programme de recherche « cours d’action », mais qui l’est aussi par d’autres recherches de l’ergonomie de langue française) – qui permet d’assurer, au-delà de la conformité aux caractéristiques psycho-physiologiques humaines, une adéquation situationnelle et une certaine continuité culturelle, mais risque ce faisant d’être à la traîne de la technique – au profit d’une conception ergonomique en termes d’appropriabilité de la technique, comme il a été proposé, par exemple, dans Theureau (2002). Surtout, dans la foulée de l’hypothèse de la cognition (ou action) située, elle propose à l’ergonomie une responsabilité renouvelée : non seulement prévenir les effets négatifs sur l’homme et la production de l’innovation technique, non seulement ajouter quelques outils supplémentaires (des automatismes, des systèmes experts) et penser la conception d’ensemble d’une façon qui aide effectivement l’homme en situation, mais aussi et surtout participer à une production sinon d’une humanité souhaitable, du moins d’un aspect inhérent à une telle humanité souhaitable.

31Ajoutons cependant quelques mots pour prévenir tout excès d’optimisme ou d’auto-valorisation que l’énoncé d’une telle responsabilité pourrait susciter chez l’ergonome : la production de cet aspect de l’humain n’est pas suffisante pour obtenir une humanité souhaitable. À partir de là, le meilleur comme le pire peuvent advenir si d’autres aspects ne se réalisent pas. Je vous renvoie pour cela à la méditation de l’ouvrage autobiographique de Robert Antelme (Antelme, 1947), « L’espèce humaine », qui, à travers l’expérience limite du camp d’extermination, recherche des critères de définition de l’humain au-delà de la biologie et du rapport à la technique et au langage partagés par ses bourreaux et lui, tous produits par la civilisation occidentale la plus développée techniquement ! !

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jacques Theureau, « L’hypothèse de la cognition (ou action) située et la tradition d’analyse du travail de l’ergonomie de langue française »Activités [En ligne], 1-2 | octobre 2004, mis en ligne le 01 octobre 2004, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/1219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/activites.1219

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Jacques Theureau

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