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Dissonances dans le travail, interpellations contemporaines de la prescription

Des prescriptions aux ressources pour l’intervention en ergonomie

From prescriptions to resources for intervention
Christelle Casse

Résumés

La notion de prescription a une place importante en ergonomie tant elle a structuré l’approche ergonomique qui distingue le travail prescrit du travail réel en réaction au modèle taylorien qui prétendait pouvoir contrôler l’action des ouvriers par la prescription. Cependant, le monde du travail a évolué, en écho aux contextes économique, sociétal et environnemental, et il semble opportun de revenir sur cette notion. Que recouvre-t-elle aujourd’hui, quelle place a-t-elle dans les organisations et comment l’ergonome l’appréhende, l’analyse et potentiellement la transforme dans une perspective de durabilité ? Dans cet article, nous aborderons en premier lieu les évolutions du monde du travail, la place et le statut des prescriptions dans les entreprises, mais aussi leur sens dans l’activité des travailleurs. En second lieu, nous aborderons la diversité des natures et des sources de prescriptions dans les organisations actuelles telle qu’on la trouve dans la littérature en ergonomie, en nous intéressant aux évolutions liées aux transitions sociétales et écologiques. La troisième partie présentera la place des prescriptions dans les interventions en ergonomie et les démarches mises en œuvre par les ergonomes pour analyser les prescriptions et concevoir des systèmes de prescriptions durables, en nous appuyant sur des études de cas dans des secteurs différents. La dernière partie ouvrira sur une discussion introduisant les notions de travail de composition et la transformation des prescriptions en ressources pour l’intervention.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Le CNRTL est le Centre national de ressources textuelles et lexicales, créé par le CNRS, qui compre (...)

1La notion de prescription a une place importante en ergonomie tant elle a structuré l’approche ergonomique qui distingue le travail prescrit du travail réel en réaction au modèle taylorien qui prétendait pouvoir contrôler l’action des ouvriers par la prescription. Cependant, le monde du travail a évolué, en écho aux contextes économique, sociétal et environnemental et il semble opportun de revenir sur cette notion, ce qu’elle recouvre aujourd’hui, quelle place elle a dans les organisations et comment l’ergonome l’appréhende, l’analyse et potentiellement la transforme. Le terme prescrire étymologiquement signifie « écrire en premier quelque chose » avec l’idée, notamment dans le domaine juridique, que cette écriture a force de loi. Le Larousse donne la définition suivante de la prescription : « Ordre formel et détaillé énumérant ce qu’il faut faire », alors que d’autres définitions sont plus larges : « commandement, précepte, règle à suivre » (CNRTL1). La racine « prae » implique l’idée d’une continuité, induisant que ce qui est écrit là est suivi par d’autres que l’instance prescriptrice.

2En ergonomie, la notion de prescription constitue un point d’appui central de l’approche ergonomique, avec plusieurs déclinaisons – travail prescrit, « prescrit », tâche – désignant l’ensemble des éléments définis par l’employeur dans une structure donnée pour cadrer le travail des salariés. Le travail prescrit désigne ainsi à la fois (Noulin, 1988) les objectifs à atteindre en contrepartie de la rémunération, plus ou moins formalisés dans l’organisation ; les moyens matériels, spatiaux, humains (équipe, etc.) mis à disposition ; les manières d’atteindre les objectifs : procédures, consignes, protocoles imposés qui décrivent les opérations génériques à réaliser ; l’environnement physique du travail (bruit, chaleur, etc.) : les conditions sociales (qualification, rémunération, avantages sociaux, dialogue social) et la répartition des tâches et les conditions temporelles du travail, les règles de sécurité, de qualité et tout autre règle de l’organisation qui s’applique (s’impose ?) à la situation de travail. Le champ du prescrit en ergonomie est donc constitué d’éléments pluriels et hétérogènes par nature, au minima du matériel, des règles et des humains, pouvant être compris et analysés à des échelles différentes. Cette nature composite amène la question de leur mise en compatibilité, de leur mise en cohérence et de leur intégration, qui se jouent dans le travail réel (Woolgar & Latour, 1988). Les prescriptions s’inscrivent ainsi dans ce que Béguin, Robert et Ruiz (2021) désignent comme le « régime de travail », un « régime productif historiquement construit » (p. 510), basé sur la relation de subordination, qui cadre les conditions du travail et de l’emploi, alors que le « travailler », ou l’activité en ergonomie, consiste en une expérience humaine essentielle de mise en œuvre « des ressources matérielles et immatérielles pour donner forme et faire avec un objet (la pâte que pétrit le boulanger, la plante que cultive le paysan) afin de satisfaire des besoins ou des utilités » (Ibid, p. 511).

3Les modèles d’organisation des entreprises évoluent en permanence, et avec eux les cadres qui structurent l’emploi et les conditions de travail, mais aussi l’activité au quotidien. La menace croissante du changement climatique entraîne de nombreuses incertitudes, des évolutions importantes dans les préoccupations et les règles à l’échelle supranationale et nationale, mais aussi la recherche de transitions radicales. Ainsi la question se pose du sens et du statut des prescriptions aujourd’hui dans l’activité des travailleurs et des travailleuses et pour les ergonomes, dans la perspective des transitions environnementales et sociétales. Mais aussi avec quelles méthodes les analyser, les concevoir, dans une perspective de durabilité.

4Nous aborderons en premier lieu les évolutions du monde du travail, observées par les chercheurs en sociologie et ergonomie, qui font bouger la nature et le statut des prescriptions dans les entreprises et le travail. En second lieu, nous aborderons la diversité des prescriptions relevée dans la littérature et issue d’expériences d’intervention passées. La troisième partie présentera la place des prescriptions dans l’intervention en ergonomie et les démarches mises en œuvre par les ergonomes pour analyser et concevoir les systèmes de prescriptions durables, en nous appuyant sur des études de cas dans des contextes productifs très différents. La dernière partie ouvrira sur une discussion centrée sur la notion de travail de composition.

1. Des évolutions contrastées de la place des prescriptions dans les systèmes de travail

5La pensée en ergonomie s’est structurée à partir d’une opposition entre le travail prescrit et le travail réel, les ergonomes ayant révélé « la folie de cette volonté de prescription totale » (Daniellou, 2002, p. 9) portée par le modèle taylorien, et son impact délétère majeur sur la santé des travailleurs, empêchés de penser et de s’engager subjectivement dans leur travail et enfermés dans des tâches répétitives à cadence infernale. Or depuis la naissance de l’ergonomie, les formes et natures des prescriptions du travail ont évolué, en lien avec les transformations des modèles productifs industriels comme ceux des services ou de l’agriculture, marqués par la digitalisation, et plus récemment par l’augmentation des exigences environnementales.

6Plusieurs travaux en ergonomie ont montré que la prescription taylorienne est moins présente dans le monde industriel d’aujourd’hui (Ughetto, 2012 ; Bourgeois, 2012). Remplacé par le modèle du lean manufacturing, issu du modèle japonais du toyotisme, dans nombre d’entreprises depuis les années 1980. Le lean est un modèle de production centré sur la lutte contre toutes les formes de gaspillage, la recherche d’une maîtrise de la qualité totale, qui repose sur les compétences et l’implication des travailleurs de première ligne et une définition de la valeur à partir des besoins et attentes du client. Les travailleurs et travailleuses dans ces industries évoluent dans des milieux où les prescriptions sont toujours très présentes, et parfois pesantes, basées théoriquement sur plus d’autonomie mais aussi plus de responsabilité individuelle et de contrôle. Les enquêtes Conditions de travail et les interventions des ergonomes montrent que l’essor du lean manufacturing s’est accompagné d’une augmentation significative de l’intensification du travail et du travail sous pression de temps. (Rouzaud, 2011). Depuis une dizaine d’années, les industries manufacturières doivent aussi prendre en compte les exigences liées aux contraintes environnementales, qui appellent des modes de production basés sur la circularité. Ces exigences font émerger de nouvelles normes et de nouvelles pratiques qui se répercutent au niveau des travailleurs qui constituent souvent un angle mort dans les entreprises (Béguin, Pueyo, & Casse, 2021). Les entreprises industrielles développent des politiques de responsabilité sociétale (RSE) qui reposent notamment sur des chartes de bonnes conduites qui prescrivent des attitudes et comportements autorisés et interdits. Les prescriptions dans le secteur industriel ont donc tendance à se déplacer du quantitatif vers le qualitatif, et en même temps à se multiplier et se diversifier, avec des instruments de contrôles numériques plus indirects et plus invasifs (scanette, contrôle vocal, vidéo, etc.). Cette évolution se combine avec une diffusion de méthodes de management qui tendent à reporter les responsabilités de l’organisation vers la responsabilité individuelle des salariés au détriment des collectifs (Linhart, 2015), augmentant ainsi les contraintes prescriptives tout en réduisant les ressources des travailleurs et travailleuses pour leur santé.

7La prescription taylorienne ne perd cependant pas de terrain, car elle se déplace de l’industrie manufacturière vers la logistique et les services, de plus en plus normés et standardisés. Ces secteurs, qui sont en croissance constante dans nos sociétés (près d’un million de salariés en France uniquement dans la logistique), sont soutenus par l’apparition de l’économie de plateforme et l’usage généralisé du numérique pour la vente ou d’autres opérations à distance. L’organisation du travail dans la logistique dans les grandes entreprises de la distribution et du commerce à distance est un bon exemple de l’évolution actuelle des modèles organisationnels liés notamment au développement de l’économie de plateforme. Jusque dans les années 2000, « la logistique donnait à voir des organisations du travail peu standardisées et peu normalisées, caractérisées par des marges d’autonomie importantes laissées aux opérateurs » (Benvegnù & Gaborieau, 2020, p. 12). Le secteur est aujourd’hui structuré autour de gigantesques entrepôts de plusieurs milliers de mètres carrés, véritables « usines à colis » dans lesquels le travail est totalement taylorisé. Les travailleurs peuvent manutentionner plusieurs tonnes par jour et par personne et parcourir des kilomètres. À ces conditions de travail tendues s’ajoutent des modes de management et des méthodes de gestion des effectifs basés sur l’individualisation des horaires de travail et de la rémunération, qui fragilisent voire empêchent la construction de collectifs stables de travail (Benvegnù & Gaborieau, 2017, 2020).

  • 2 Pour en savoir plus, consulter le documentaire « Mon boulot chez Mac Do » réalisé et diffusé en 202 (...)

8Les principes tayloriens se diffusent aussi dans le secteur des services et de la santé. Dans la restauration rapide, par exemple, l’entreprise McDonald’s2 organise la préparation des hamburgers et des autres produits sous forme de travail à la chaîne. Face à l’augmentation exponentielle du nombre de commandes liée au développement de la vente à distance, via les plateformes numériques, mais aussi à la mise en place dans les restaurants d’un système de commande sur tablettes numériques géantes, l’entreprise a changé son organisation. Les tâches sont découpées, standardisées et cadencées pour suivre des rythmes de production et de vente à grande échelle. À l’hôpital aussi, la « gestionnarisation » et la tarification à l’acte (Metzger, 2012) ont conduit à la standardisation des process, l’explosion des systèmes de traçabilité et de « reporting », qui conduisent à l’augmentation de la charge cognitive du travail soignant, à une baisse de la qualité des relations avec les patients et une perte de sens ressenties par de nombreux professionnels, accentuées par la crise épidémique survenue en 2020 et 2021 (Ridel & Sainsaulieu, 2021).

9Parallèlement à la rationalisation des secteurs des services, qui intensifie les prescriptions, on observe une tendance généralisée dans tous les secteurs au développement de « systèmes de management » accompagnés de normes et certifications en tout genre. Ces dispositifs institutionnalisés se sont imposés dans l’industrie, avec les normes ISO3 et AFNOR4 en particulier, mais on trouve des tendances similaires dans l’agriculture et les services. Dans l’agriculture par exemple se multiplient les appellations d’origine contrôlée (AOC), les indications géographiques protégées (IGP), les labels Bio, Ecocert, agriculture raisonnée, et dernièrement la haute qualité environnementale (HQE). Ces différentes formes de certifications, diffusées et connues-reconnues, imposent des critères d’organisation de la production ou du service en prescrivant les matières premières utilisées, les modes opératoires mis en œuvre, les systèmes de contrôle et de traçabilité. Certaines de ces normes sont à l’origine des producteurs eux-mêmes afin de protéger leurs savoir-faire et leurs marchés, mais ils n’en sont pas moins exigeants.

10Dans les services se développent d’autres formes de label notamment pour les hôtels et les autres types d’hébergements de tourisme (Qualité Tourisme, Clef Verte, Tourisme et Handicap, Accueil Paysan, etc.), la restauration (étoiles Michelin, etc.) et de contrôle par l’aval à travers les systèmes de notations des clients via les plateformes de réservation ou les moteurs de recherche, mais aussi via les recommandations de guides de tourisme. Tous ces dispositifs institutionnels ou informels génèrent des prescriptions plus ou moins rigides basées sur un certain nombre de critères pas toujours explicites qui vont impacter les systèmes de travail.

  • 5 Une SCOP (société coopérative et participative ou société coopérative de production) est une sociét (...)

11Des secteurs nouveaux apparaissent en lien avec les évolutions sociétales telles que le secteur de l’économie sociale et solidaire dans lequel de nouvelles formes d’emploi émergent notamment pour des travailleurs « en insertion ». De nouvelles formes d’entreprise sont créées, mettant l’accent sur la coopération (par exemple les SCOP5) avec des contrats adaptés (exemple des salariés-associés). Dans ces structures, les prescriptions sont souvent plus faibles que dans les entreprises classiques, portées par des collectifs et une volonté de renouveler les modèles organisationnels en promouvant plus d’horizontalité et de collégialité dans le fonctionnement et les décisions, en s’appuyant sur des principes de gouvernance partagée ou d’autogestion (Celle, 2019). Ces secteurs, bien que ne concernant qu’une minorité de travailleurs, ouvrent des perspectives nouvelles en ce qui concerne la gouvernance, la place et la conception des prescriptions, qui ont encore été peu étudiées du point de vue de leurs impacts sur le travail, notamment en ergonomie.

12L’explosion du modèle des plateformes numériques fait aussi émerger de nouveaux modèles d’emplois de service basés sur le statut d’autoentrepreneur, créé en 2008. Sous couvert d’offrir plus d’indépendance, ces emplois n’en sont pas moins générateurs de fortes prescriptions et de précarité. Les travailleurs sont mis en lien avec des clients via une plateforme numérique, dans une forme de relation de sous-traitance nommée « ubérisation » du nom de la première entreprise à avoir diffusé ce modèle. Ces emplois concernent des métiers de livreurs à vélo ou en voiture, transport de personnes, etc. Malgré leur statut d’entrepreneurs, ces travailleurs sont très dépendants des plateformes qui prescrivent les objectifs du service en termes de qualité et temporalité, la tarification du service au client et la rémunération induite, mais aussi (surtout) le flux de demandes clients attribué à chaque travailleur inscrit sur la plateforme, défini par un algorithme aux principes opaques (Alemanno & El Bourkadi, 2023).

13Parallèlement à ces dynamiques de prolifération (Jouanneaux, 2001) et de diversification prescriptive, dans certains secteurs les prescriptions restent faibles, voire défaillantes (Daniellou, 2002). Il s’agit notamment du secteur social et médico-social. Dans ces secteurs, les objectifs sont flous ou exprimés uniquement en termes quantitatifs, sans précisions des moyens et chemins pour parvenir aux résultats attendus, alors que le résultat du travail est par nature d’ordre qualitatif (la qualité d’un accompagnement, d’un soin, d’un service). Les prescriptions n’ont donc pas de rapport avec le travail, signe d’une difficulté des institutions ou structures qui portent ce type de services à définir clairement le contenu et la complexité du travail. Les milieux professionnels qui sont peu cadrés par des règles peuvent ainsi être aussi délétères pour les travailleurs que ceux qui sont « surprocéduralisés ».

14On peut déduire de ce tour d’horizon partiel que suivant les secteurs, les formes et la place des prescriptions sont variables mais avec une tendance globale à l’augmentation des prescriptions, notamment en lien avec l’évolution des modèles organisationnels, la digitalisation généralisée et la prise en compte d’exigences sociétales de plus en plus nombreuses et larges, intégrant des dimensions telles que la qualité, la sécurité, l’environnement. Cette diversification implique une attention renouvelée à la nature et aux impacts sur le « travailler » et sur la santé des travailleurs et travailleuses, des systèmes de prescription qui se redessinent de façon contrastée en fonction des secteurs et des métiers.

2. Diversité renouvelée des natures et sources de prescription

15Mayen et Savoyant (2002) définissent les prescriptions comme :

« l’ensemble des entités prescriptives [qui] peut être [considéré] comme un artefact symbolique ou un ensemble d’artefacts symboliques, produit d’une construction humaine […], dont le but est d’influencer l’activité de ceux auxquels ils sont destinés, ou, plus précisément, d’imposer une certaine direction à leur activité, en fixant buts et procédures, voire repères conceptuels pour s’y orienter. »

16Ces artefacts sont de nature variée et prennent des formes différentes selon les secteurs, les entreprises et la nature des métiers et du travail à réaliser. Dans cette partie, nous allons aborder les différentes natures et formes que peuvent prendre les prescriptions, pour ensuite distinguer les prescriptions descendantes et remontantes et l’évolution de leurs places relatives dans les transitions écologiques. Dans l’optique d’illustrer nos catégories et de faciliter la lecture, nous nous appuierons sur des exemples de types de prescriptions ou de dynamiques prescriptives dans des secteurs et structures variées issus de notre expérience ou d’autres références, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité.

2.1. Des natures et des formes variées de prescriptions

17Les prescriptions concernent en premier lieu un grand nombre de documents écrits sous formes papier ou numérique, qui cadrent le travail, de nature et formes différentes en fonction des structures et des métiers : procédures, consignes, gammes, protocoles, fiches de poste, fiches de missions, etc. La généralisation des outils numériques a tendance, contrairement à ce qu’ont pu croire les tenants du tout digital, à faire proliférer ces supports de prescription. Il n’est pas rare que les documents soient conservés à plusieurs endroits et sous différents formats (notamment entre fichiers numériques et documents papier), générant des problématiques de mises à jour et d’identification de la version de référence à un moment donné. Cette dispersion de la prescription est d’autant plus importante lorsque plusieurs personnes alimentent et utilisent les mêmes bases documentaires. Dans certaines entreprises à haut risque, la conception et l’actualisation des prescriptions sont très complexes à réaliser. Les dossiers de prévention réalisés par les équipes de pilotage des arrêts de tranche dans le nucléaire, qui sont donnés aux sous-traitants pour réaliser leurs travaux, font par exemple souvent plusieurs centaines de pages alors qu’un chantier peut durer seulement quelques jours. La préparation de ces dossiers pour l’ensemble des chantiers (jusqu’à 1 200 opérations à réaliser lors d’une période de maintenance) prend un temps considérable aux techniciens métier qui supervisent ces chantiers. Et leur taille peut décourager les chefs de chantier ou conducteurs de travaux des sous-traitants de les lire, qui doivent gérer plusieurs chantiers sur la même période (Casse, Reverdy, & de Beler, 2018).

18Les ergonomes ont montré depuis longtemps déjà que les prescriptions ne se limitent pas aux instructions ou procédures écrites, mais prennent souvent la forme de consignes orales données par la hiérarchie en complément ou à la place des consignes écrites. Dans les métiers du bâtiment, il est fréquent que les chefs de chantier donnent les instructions aux ouvriers uniquement à l’oral, notamment du fait de la diversité de leurs compétences en matière de lecture et compréhension des documents de chantier, mais aussi des conditions matérielles du chantier qui ne sont pas adaptées à la manipulation de papiers ou même d’outils numériques (Six, 1999).

19Des chercheurs ont mis en évidence l’existence, dans certaines structures, d’acteurs qui ont une expertise dans un domaine central de l’entreprise et qui vont jouer le rôle de « relais prescriptifs » auprès d’autres salariés alors qu’ils n’ont pas de liens hiérarchiques avec eux (Denis, 2007). Ces experts ont souvent des fonctions formelles ou informelles de formation auprès des autres travailleurs. Au travers de ces rôles de transmission, ils relaient les consignes de travail et les règles spécifiques à l’entreprise.

20Les prescriptions sont aussi véhiculées par les outils numériques qui définissent voire imposent une marche à suivre dans la façon dont ils sont configurés et programmés. Ces « artefacts prescriptifs » (Mayen & Savoyant, 2002) ont une place de plus en plus importante dans tous les domaines et ont un impact déterminant sur le travail. Dans toutes les entreprises aujourd’hui et dans pratiquement tous les métiers, les salariés utilisent des logiciels pour saisir des informations et/ou réaliser des opérations (de traitement de dossier, de gestion de stock ou de bases de données, de comptabilité, traçabilité, etc.), qui sont très structurants dans l’activité des travailleurs, particulièrement en ce qui concerne les métiers administratifs ou de services pour lesquels ils sont omniprésents. Ces outils conditionnent la nature, le nombre et l’ordre des informations à saisir, avec plus ou moins de souplesse et de facilité en fonction de leur conception (notamment s’il s’agit d’un outil générique appliqué à une entreprise / un service ou un outil spécifiquement développé pour l’entreprise / le service), de leur tolérance à l’erreur et des bugs éventuels de programmation. On trouve aussi des exemples de ce type de processus dans l’industrie lorsque les humains doivent travailler en interaction avec des robots, appelés cobots en référence au fait qu’ils sont « collaboratifs », alors que c’est en général les humains qui doivent adapter leurs modes opératoires, notamment de prudence, et leur rythme à la machine pour assurer la performance (Barcellini, 2020). L’usage de prothèses visant à augmenter les humains dans le travail militaire ou chez les pompiers (casque de réalité augmentée, Baudin & Maillard, 2021) posent aussi des problèmes similaires d’adaptation des humains à des artefacts qui prescrivent et par là même transforment les processus/canaux de perception de la réalité et d’action sur les situations.

21L’espace est aussi un artefact prescriptif puissant :

« donné par l’organisation du travail (décideurs et concepteurs qui conçoivent le bâti et l’organisation du travail). Il fait partie de la tâche et est composé des éléments relatifs au bâtiment (murs, cloisons, portes, fenêtres, poteaux, quais, etc.), du mobilier, aménagements et équipements (matériels, signalétiques) et des aspects d’ambiance physique (éclairage naturel ou artificiel, acoustique et thermique). » (Heddad, 2017)

22L’espace cadre et offre des supports et des contraintes à l’activité de travail.

  • 6 Un exemple d’email etiquette disponible en accès libre sur internet avec des consignes très précise (...)

23La plupart des entreprises développent aussi de plus en plus des « standards » dans tous les registres de communication et de réalisation de documents afin de faciliter le travail des salariés, mais aussi d’uniformiser les façons de faire et ainsi de contrôler les modes d’interaction des salariés entre eux et avec l’extérieur. On voit ainsi se développer les modèles de document, les lettres types, les messages types, les contrats types, etc., favorisés par un accès direct à ce type de ressources via les moteurs de recherche sur internet. Ces modèles s’appuient en règle générale sur une charte graphique qui uniformise des supports visuels de communication, voire sur une charte de bonnes conduites dans le cadre de la politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui dicte par exemple les façons de communiquer avec ses clients et ses fournisseurs, l’usage de l’écriture inclusive, etc. La mise en place de services de communication, de services de RSE, de responsables égalité homme-femme, etc. renforcent les prescriptions en matière de contenus et de modes de communication et de contractualisation qui s’imposent aux salariés à tous les échelons. Par exemple, dans certaines entreprises, on trouve une charte d’email etiquette qui définit comment le.la salarié.e doit répondre utiliser sa messagerie, répondre à ses interlocuteurs avec quels types de formulations et de typographie6.

24Des formes de « postscription » existent aussi dans certains secteurs moins formels tels que l’enseignement supérieur et la recherche (Daniellou, 2002), dans lesquels la prescription en amont du travail est parfois floue, mais les critères de contrôle des résultats du travail sont très précis. Ces processus induisent une forme de contrôle et d’évaluation par l’aval du travail réalisé qui a un fort pouvoir de « rétro‑prescription ».

25Ainsi, la diversité des formes de prescription, qu’elles passent par des canaux écrits, oraux, numériques, par des relais, des artefacts prescriptifs ou des modèles standardisés, nous laisse entrevoir une pluralité d’apprentissages nécessaires et de modes de réponse en fonction de ces formes. Dans la plupart des situations de travail, les différentes modalités se croisent et se superposent, imposant un travail d’intégration de ces différents types d’injonctions par les travailleurs et travailleuses. Nous allons voir qu’on peut aussi qualifier les prescriptions à partir des sources qui les produisent : les prescriptions descendantes, issues de la hiérarchie ou des services supports, et les prescriptions remontantes, inhérentes aux caractéristiques des travailleurs eux-mêmes et à celles des situations, des acteurs et des autres vivants avec lesquels ils sont en interaction. Les injonctions peuvent être vécues et travaillées de façon différente en fonction des sources qui les génèrent.

2.2. Des sources de prescription descendantes et remontantes

26Dans les situations de travail, les prescriptions les plus visibles et étudiées en ergonomie sont les prescriptions descendantes (Six, 1999), qui sont produites par les responsables hiérarchiques, les services supports ou la direction de l’organisation pour structurer le travail par le biais de supports documentaires, numériques ou via les lignes hiérarchiques. Elles ont longtemps été considérées comme les seules sources de prescription en ergonomie. Il s’agit notamment des consignes, procédures et règles qui structurent les différentes dimensions de la performance de l’entreprise : la production, la qualité, la sécurité, l’environnement et aussi aujourd’hui la responsabilité sociétale des entreprises. Ces prescriptions, en fonction des entreprises, sont plus ou moins formalisées et concernent à la fois des objectifs de performance, des moyens, des conditions et parfois des modes de réalisation. Qu’elles soient des prescriptions produites par la ligne hiérarchique directe ou celle des services connexes, elles sont structurantes des situations de travail et constituent ensemble un maillage de règles et de consignes qui porte en lui-même des contradictions que les ergonomes dénoncent depuis longtemps (Denis, 2007) ; il suffit de penser aux consignes concernant le zéro accident promu dans certaines entreprises, avec le principe de faire passer les règles de sécurité avant tout, qui vient en tension avec la réalisation d’objectifs de production quantitatifs (Fournier, Ghram, Benchekroun, & Six, 2011). Dans les métiers de service et de soin, on voit aussi se développer des prescriptions concernant les émotions. Dans les centres d’appels par exemple se multiplient les règles et protocoles qui imposent au travailleur de sourire en parlant, d’être aimable, de maîtriser ses émotions, notamment face à des interlocuteurs exprimant de l’agressivité. Ces prescriptions sont source de dissonance émotionnelle pour les travailleuses, qui sont majoritaires dans ces métiers.

27Mais à cela s’ajoutent aussi souvent des prescriptions managériales plus implicites, sortes de sous-prescriptions ou de toile de fond prescriptive, concernant un vocabulaire, des formes de pensées, des normes sociales, qui s’inscrivent dans ce que d’autres nomment la « culture d’entreprise » (Denis, 2007 ; Linhart, 2015), qui font force de règles dans la manière de s’exprimer et de communiquer des salariés et même dans la manière de se comporter socialement dans le travail. On constate ainsi souvent dans les grandes entreprises des prescriptions de vocabulaire et de concepts impulsées « d’en haut », voire de l’extérieur par des cabinets de consultant, qui portent des visions du monde très normatives. Ces normes sont aussi liées à des modes managériales :

« De nouvelles modalités sociales et morales sont impulsées par la hiérarchie et la direction pour enrôler de façon productive les subjectivités, a priori réfractaires. Les chartes et les codes définissent donc les vertus du salarié moderne : flexible, disponible, mobile, loyal à l’égard des intérêts de son entreprise, celui-ci doit viser l’excellence en permanence, chercher à s’adapter à toute situation et procéder de façon autonome et responsable à l’organisation de son propre travail » (Linhart, 2015, p. 29).

  • 7 Nous avons traduit la devise originale d’Amazon : « Work Hard. Have Fun. Make History. »

28Ces normes sociales s’imposent aux travailleurs et travailleuses de façon descendante et entrent parfois en contradiction avec la culture d’entreprise produite par les travailleurs eux-mêmes sur le terrain, basée sur des modalités d’action commune et un langage opératif de métier. L’émergence dans les entreprises de politique de développement du « bien-être » et de fonctions telles que happiness manager, alors même que les notions de conditions de travail tendent à disparaître, induisent des cadres de pensée qui sont implicitement prescriptifs de certaines manières d’agir et de certains interdits. L’exemple de l’entreprise Amazon, dont la devise inscrite à l’entrée de ses gigantesques entrepôts est « Travaillez dur. Amusez-vous. Faites l’histoire »7 (notre traduction), est édifiant de ce point de vue. Cette devise irrigue l’ensemble de son système de management et de communication avec les salariés comme les clients. Elle met en place un système de management basé sur un contrôle permanent combiné à des méthodes proches de celles de coachs sportifs (Casse, 2020) basées sur la stimulation des équipes à la performance et en utilisant un vocabulaire toujours « positif ». Grâce à ces méthodes, les managers amènent les équipes à régulièrement dépasser leurs objectifs quantitatifs, pourtant déjà très élevés de l’aveu de tous (Malet, 2013). Les témoignages de salariés sont nombreux, qui expliquent qu’ils courent comme un jogging toute la journée, qu’ils évitent d’aller aux toilettes et qu’ils ont l’impression d’être considérés comme des robots. La majorité d’entre eux ont un accident du travail après deux ans de travail dans l’entreprise (Kassem, 2023). Les prescriptions descendantes sont donc toujours très importantes dans les grandes entreprises et tendanciellement de sources plus diverses et donc plus nombreuses.

29Une nouvelle source de prescription descendante apparaît, semble-t-il, liée à la prise en compte des dimensions environnementales dans les systèmes de production et de service, qui imposent aux entreprises et aux structures de tous types de porter une attention nouvelle aux externalités qu’elles produisent afin de les réduire. Cette attention génère de nouvelles prescriptions auxquelles les salariés doivent s’adapter. Des prescriptions descendantes du fait des nouvelles normes et exigences qui sont produites pour contrôler ces externalités, mais aussi de nouvelles prescriptions remontantes, notamment liées aux exigences d’une part de produire moins de déchets, moins de pollution et d’autre part de trier, traiter, voire recycler les déchets émis. Cela modifie jusqu’au travail des concepteurs des produits mais aussi des process de fabrication, qui doivent tenir compte dès l’amont des processus aval de recyclage ou réutilisation potentielle des matériaux et composants et des modes de gestion des déchets résiduels, selon un principe de circularité de la production. Dans les centrales nucléaires, par exemple, la gestion des effluents radioactifs ou chimiques implique aujourd’hui des contraintes d’exploitation nouvelles. Du fait du durcissement de la réglementation concernant les rejets d’effluents, même traités, dans les fleuves et de nouvelles opérations de contrôle et de traitement nécessaire qui demandent du temps, il arrive que la gestion des effluents bloque les processus de maintenance (Casse, Reverdy, & de Beler, 2018) durant les arrêts de tranche. Ces obligations modifient le travail des services de contrôle et celui des agents d’exploitation qui supervisent et commandent les installations, qui doivent développer de nouvelles compétences, de nouveaux modes opératoires pour prendre en charge ces contraintes nouvelles.

30Six en 1999 a mis en évidence une autre catégorie de sources de prescriptions qu’il nomme remontantes, émergeant de la (ou des) « matière(s) » vivante(s) avec laquelle (ou lesquelles) travaillent les salariés. Cette matière prend différentes formes suivant le secteur et le métier concernés. Elle peut prendre la forme d’une matière première, comme le(s) bois en menuiserie, la farine en pâtisserie, les cheveux en coiffure, etc., qui a ses propres lois de comportement et de transformation, que les travailleurs doivent appréhender de façon théorique et empirique, et qui va induire des modes opératoires spécifiques, une temporalité, des conditions et précautions d’usage. Dans certains métiers, les travailleurs sont en interaction avec des êtres vivants, comme en agriculture, et doivent composer avec les lois du vivant qui émanent de cette interaction, telles que les cycles de croissance des différentes espèces végétales ou animales, leurs conditions de développement et leur vulnérabilité liée aux parasites ou aux maladies qui peuvent les atteindre. Ces exigences sont de plus en plus prégnantes dans les systèmes de production en transition (Mayen & Lainé, 2014).

31Six (1999) inclut aussi dans cette catégorie les prescriptions qui émergent de la confrontation et de l’interaction dans le travail avec les autres humains, les destinataires d’un service ou d’un acte de soin d’une part et les collègues de travail, avec/pour/par lesquels l’activité de travail va se réaliser d’autre part. En effet, les clients, patients, bénéficiaires ou usagers vont avoir un impact déterminant sur l’activité des travailleurs avec lesquels ils interagissent à travers la diversité de leurs connaissances, attentes, besoins et parce qu’ils sont en partie co-producteurs du résultat du travail. Leurs caractéristiques physiques, psychiques et leurs compétences contribuent aux prescriptions du travail. Par exemple, le degré d’autonomie et le poids d’une personne âgée vont avoir un impact important sur le travail des aides-soignantes qui s’occupent de la toilette dans un Ehpad. Cela va conditionner les moyens et modes opératoires qu’elles vont choisir, le fait d’utiliser un lève-personne ou de travailler en équipe, mais aussi les difficultés et la fatigue accumulée et leur état de santé potentiel (Garcia et al., 2011). Dans le secteur médico-social, un travailleur social qui accompagne en sortie un groupe de bénéficiaires habitant une pension de famille pour personnes sans ressources va adapter ses stratégies en fonction des individus et du groupe en présence, et anticiper les difficultés éventuelles. S’il sait que l’un des bénéficiaires est alcoolique, il va devoir acheter et emmener de l’alcool dans son camion pour ne pas prendre le risque d’une décompensation due au manque, même si cela n’est pas précisé officiellement dans ses attributions. Un travailleur social novice ou ne connaissant pas les personnes qu’il accompagne peut se retrouver en difficulté face à cette situation qu’il n’aura pas pu anticiper.

32Les inter-prescriptions entre collègues, au sein du collectif de travail proche, ou entre l’amont et l’aval, sont aussi déterminantes dans l’activité. L’inter-prescription est dictée par la nécessité de se synchroniser, de se coordonner, d’harmoniser les actions. Mais pour cela il faut s’ajuster aux compétences, aux rythmes et aux modes opératoires des autres. On peut prendre pour illustration le cas des équipes de peintres de carlingue d’avions dans l’aéronautique (Aubert, 2000) qui doivent se synchroniser dans leur rythme de travail et leur gestuelle en s’accordant aux autres comme dans une chorégraphie, pour garantir la qualité de la peinture. Mais la prescription peut aussi émaner du genre professionnel construit par un collectif, qui va définir des règles, des modes opératoires (traditionnels, locaux, etc.), un jargon et des comportements et attitudes attendus ou interdits (Clot & Simonet, 2015).

33Ces sources de prescription d’ordre externe s’entremêlent à des sources internes au travailleur ou à la travailleuse. À la fois les caractéristiques physiques, les compétences, l’expérience et les valeurs de chacun et chacune sont spécifiques et jouent le rôle de prescriptions dans le sens où elles vont conditionner la manière de faire, les choix, les priorités. Les dimensions cognitives, telles que l’attention, la mémoire ou les dimensions psychiques et émotionnelles ont aussi leur importance. Ainsi, « les lois du corps peuvent entrer en conflit avec les prescriptions officielles » (Daniellou, 2002, p. 11). Elles génèrent d’autres sources de prescription. Les valeurs et les représentations du travail « bien fait » vont ainsi influencer les manières de procéder et les buts que se donnent les travailleurs. Par exemple, l’ergonome consultant qui est convaincu que les travailleurs sont les seuls experts de leur travail s’impose à lui-même et à l’entreprise dans laquelle il intervient de les impliquer dans son analyse de l’activité, dans la production du diagnostic et de co-concevoir les transformations à mettre en œuvre avec eux, peut-être au prix de temps passé en plus ou de rupture avec une entreprise lorsque cette modalité n’est pas acceptée. Sa déontologie prescrit sa méthode d’intervention participative.

34Les situations professionnelles en elles-mêmes sont aussi prescriptives de façon remontante. Certaines situations caractéristiques d’un métier, qui ont une certaine récurrence, appellent, lorsqu’elles sont reconnues, un certain type de diagnostic ou d’action qui fait effet de prescription : elles induisent ou génèrent des modes de réponse préconçues, des modes opératoires codifiés. Par exemple, un patrouilleur qui intervient lors d’un début d’incendie dans un tunnel sur une voie urbaine va systématiquement mettre en œuvre le même type d’enchaînement d’opérations : aller à l’entrée du tunnel, procéder aux fermetures manuelles des barrières, faire de la régulation du trafic pour évacuer les véhicules coincés devant les barrières en ouvrant des bretelles d’accès de secours ou des barrières entre les voies (Casse, 2015).

2.3. Inversion de l’ordre des valeurs et des rationalités de prescription dans les transitions

35Comme nous l’avons déjà évoqué dans la première section, les systèmes de prescription évoluent en permanence tout comme les organisations et les modes de management. La période actuelle est marquée par la nécessité d’intégrer les exigences des transitions écologiques afin de préserver les ressources et notre milieu de vie. Cette nécessité se traduit différemment suivant les secteurs et les structures, conduisant à deux mouvements inverses assez marqués : d’un côté, dans les secteurs traditionnels, un renforcement de la normalisation et des prescriptions descendantes telles qu’elles ont été présentées plus haut, de l’autre, dans les secteurs ou territoires en transition, au contraire une inversion dans l’ordre des valeurs qui priment dans les modes d’organisation et dans les rationalités dominantes des processus de prescription.

36En effet, dans des univers qui sont déjà en transition, notamment dans l’agriculture biologique ou les métiers de la nature (Mayen & Lainé, 2014), on voit baisser le poids des prescriptions descendantes, car les structures s’éloignent de la recherche de la standardisation pour au contraire donner plus de place aux prescriptions remontantes issues de la matière, du vivant – végétal et animal, en tenant compte des lois du vivant et dans une recherche d’équilibre global des ressources –, mais aussi issues des collectifs de citoyens, des bénéficiaires, des collectifs dans une recherche de plus d’horizontalité et d’un élargissement des intérêts pris en compte qui sortent de l’unique profit de l’entreprise et de ses actionnaires.

37À l’intérieur même du secteur agricole, on voit s’exprimer ces deux tendances contradictoires. Les agriculteurs « conventionnels » et les industriels avec lesquels ils travaillent ont tendance à pousser au maximum la recherche de maîtrise totale des mécanismes du vivant, dans un objectif de rationalisation des modes de production. Ils utilisent des intrants chimiques, mobilisent des méthodes de sélection, d’isolation, d’éradication, et calculent précisément les apports de nutriments… pour assurer des rendements quantitatifs importants et stables, quelles que soient les conditions externes. Ces professionnels cherchent à contrôler le vivant sur un mode industriel taylorien fait d’intrants, de contrôle des conditions externes et des variations pour aboutir à un résultat standardisé, avec les conséquences que nous connaissons en matière d’exploitation des ressources, d’appauvrissement de la biodiversité, de pollutions diverses, de dérives de type zoonose, d’appauvrissements gustatif et nutritionnel et même de perte de compétences des producteurs. À l’opposé, les agriculteurs engagés dans la transition écologique étudient au contraire de façon approfondie mais sensible les lois spontanées du vivant dans une approche « éco-systémique », qui intègre la spécificité de ces lois en fonction des espèces et aussi les compatibilités et complémentarités entre espèces. Leur objectif est non pas de maîtriser, en le confinant, le vivant, mais de favoriser la génération spontanée et l’équilibre auto-régénérateur garant d’une efficience et d’une productivité de long terme. Ils tendent à adapter leur façon de travailler à ces logiques organiques en ayant parfois recours aux savoirs et savoir-faire traditionnels.

38Ces deux paradigmes produisent des logiques d’activité totalement différentes : dans un cas, il s’agit de faire avec la prescription descendante qui s’impose de façon rigide et de trouver les espaces de régulation, parfois en dehors du « légal », pour parvenir à faire son travail et à atteindre ses buts. Dans l’autre, il s’agit d’observer, d’écouter, de s’inspirer et d’apprendre des prescriptions du vivant pour concevoir un système dont l’efficience et la qualité sont les principales finalités, consommant le moins de ressources possible pour un maximum de performance. On entre alors dans une logique de permaculture (Pezrès, 2010), c’est-à-dire la conception d’un système intégré, le plus possible autonome, en phase avec les lois spontanées du vivant en s’aidant éventuellement des méthodes d’organisation, de planification et des outils technologiques qui peuvent « soutenir » ce processus. Les artefacts techniques, organisationnels et les règles deviennent dans ces logiques des supports au service de l’équilibre global du système ; ils n’imposent plus leurs prescriptions de façon descendante mais sont choisis/conçus pour leur adaptation à la situation, à la finalité du système (exemple des élevages de vaches laitières avec le principe de pâturage tournant, Scohier et al., 2012). Ces processus de conception et de recherche d’équilibre dynamique demandent plus de temps, d’immersion sensible des travailleurs dans le vivant, des périodes de tests, des retours d’expérience, des partages entre pairs et des ajustements avant de trouver un bon équilibre.

39Ces deux formes de rationalités sont rarement mises en œuvre de façon radicale sur le terrain. Chaque exploitant agricole s’organise à sa manière en empruntant plutôt à l’une ou l’autre des logiques ou en mixant les deux en fonction de ses valeurs, de ses compétences mais aussi de ses contraintes et du contexte institutionnel et territorial dans lequel il s’inscrit. On trouve tout un continuum de configurations d’exploitation entre ces deux pôles.

2.4. « Travailler » = un processus de mises en débat interne et externe des prescriptions

40Cet inventaire des formes et source de prescription confirme la grande diversité et la multiplicité des prescriptions qui entrent en concurrence et influencent l’activité des travailleurs. Les évolutions actuelles en termes de transitions écologiques ont tendance à renforcer cette logique d’accumulation sans pour autant qu’elle s’accompagne d’une intégration cohérente à l’échelle des travailleurs, sauf lorsqu’elle implique un changement de modèle de pensée et d’action tel que présenté ci‑dessus.

41Pour les ergonomes, il est clair que l’intégration des prescriptions est un processus central dans l’activité des travailleurs. Ceux-ci mettent en débat les différentes sources de prescription issues de l’organisation, du collectif, de la matière, des situations et prescriptions internes. Ils doivent les trier et établir des priorités (Daniellou, 2002), gérer les contradictions, résoudre des dilemmes. Ils interprètent les prescriptions, réalisent des compromis et se créent un système cohérent qui a du sens pour eux en fonction de leurs valeurs propres et de celles du collectif ou du métier auxquels ils appartiennent ou se réfèrent. Ils modèlent à leur main le système de prescriptions sur lequel ils s’appuient, qui leur permet d’agir, avec plus ou moins de marges d’interprétation et de décision en fonction des métiers, des situations et de leur expérience. Ce système est le fruit de la confrontation et de la mise en débat silencieuse à l’échelle intime de l’individu, des normes hétéro-déterminées, antécédentes, issues du milieu professionnel dans lequel il s’insère, avec ses normes personnelles (Canguilhem, 2009 ; Schwartz, 2011). Dans ce processus intime, au cœur de l’activité, se confrontent et se travaillent avec plus ou moins de force les règles, les injonctions et les suggestions extérieures à soi avec les valeurs, buts et compétences personnelles.

42Les débats de normes se jouent aussi souvent à l’échelle du collectif, du métier, permettant au travailleur de trouver des réponses et des appuis à l’extérieur de lui-même, et ainsi réduire les conflits internes ou les doutes quant aux choix à faire. Ces débats aboutissent à l’élaboration de règles partagées qui fondent les collectifs de travail (Caroly, 2011) et soutiennent la santé des travailleuses et des travailleurs. Ils peuvent s’exprimer de manière très concrète, par exemple lorsque « le travail conduit à modifier l’espace en faisant émerger dans la dynamique de l’activité de travail un autre rapport à l’espace » (Heddad, 2021, p. 2), mettant en évidence la dimension constructive de l’activité, et le travail d’organisation (Cochoy, Garel, & de Terssac, 1998) réalisé par les salariés eux-mêmes en complément de celui produit par les services et acteurs prescripteurs de l’entreprise ou de la structure.

43À l’heure actuelle, les débats de norme ont aussi lieu dans la société civile sous la pression de groupes de citoyens et citoyennes précurseurs qui sont moteurs de transitions écologiques et sociétales à l’échelle locale. Ces débats peuvent influencer les travailleurs dans la définition des priorités et les choix qu’ils doivent faire entre les différentes prescriptions et dans la construction du sens de leur action. Ils peuvent aussi les aider à préciser ou faire évoluer leurs valeurs. Chaque salarié étant aussi un citoyen, il est aux prises avec ces débats sociétaux complexes liés aux enjeux environnementaux. Il doit se positionner dans un contexte très incertain porteur d’injonctions contradictoires, qui mettent parfois en tension, voire en opposition, les aspirations et valeurs personnelles citoyennes qu’il porte et celles de la structure qui l’emploie. Ces débats-là peuvent générer de la souffrance, notamment lorsque les tensions sont trop marquées, ou de l’instabilité dans les décisions. Ils conduisent de plus en plus de salariés à se désengager subjectivement de leur travail (Graeber, 2013) et même à quitter leur entreprise pour changer de vie et de métier afin de trouver plus de sens et de sortir d’un système de prescriptions qui génère de la dissonance cognitive et subjective.

44Les travailleurs négocient avec les autres et avec eux-mêmes les ordres de priorité qu’ils vont suivre et les sélections et articulations qu’ils vont faire entre toutes les sources de prescription. Ils réalisent ainsi un travail d’intégration et de composition, qui implique d’interpréter, sélectionner, articuler les prescriptions de tous ordres et natures pour définir un système plus ou moins cohérent, et stable en fonction des jeux de tension à l’œuvre pour et dans l’activité. La notion de composition renvoie ici au sens de « mettre ensemble » pour « former un tout par combinaison de divers éléments »8. Ce travail, fait de compromis, constitue un processus dynamique de redéfinition permanent, en fonction de l’hétérogénéité, du volume et de la plasticité des prescriptions, mais aussi des situations, des possibles (contingences opératoires), des valeurs, des compétences et de la santé des travailleurs. Cette définition rejoint celles proposées par Donin et Theureau à l’activité de composition musicale : « une activité créatrice » (2008, p. 8), dynamique et située (2006).

45Les dynamiques de prescription qui se dessinent à travers ce tour d’horizon invitent à s’interroger sur les méthodes mobilisées par les ergonomes pour les analyser et contribuer à concevoir de nouveaux systèmes.

3. Quelles méthodes d’intervention pour transformer les systèmes de prescriptions ?

46Nous allons aborder dans cette partie des principes, méthodes et exemples de recherche-intervention en ergonomie visant à analyser et transformer les systèmes de prescriptions.

3.1. Dévoiler le système de prescriptions structurant l’activité dans le diagnostic

47L’analyse de l’activité met en évidence les interprétations singulières faites par les travailleurs du système de prescriptions avec lequel ils composent et construisent leur activité. La mise en relation de ces différentes compositions par l’ergonome fait ressortir en creux ou en négatif la partition dynamique des prescriptions qui les sous-tend. Le dévoilement ou plutôt la mise en lumière du système de prescriptions avec et dans lequel s’invente l’activité de chacun est l’une des finalités de l’analyse ergonomique du travail et l’une des fonctions du diagnostic produit par l’ergonome.

48Il s’agit notamment de mettre au jour à la fois la diversité des sources – qui dessine un système de relations –, l’hétérogénéité des éléments qui font prescription et la manière dont ces éléments font système. Pour l’ergonome, c’est comme mettre au jour le scénario caché, plus ou moins détaillé, avec lequel composent les travailleurs dans l’action. Scénario au sens où les prescriptions hétérogènes écrivent quelque chose du déroulement de l’activité, de son rythme, de sa temporalité, de sa spatialité et des interactions nécessaires. Mais elles ne disent pas entièrement la façon d’interpréter la situation, le contexte, de mobiliser les ressources internes et externes, pour réaliser l’action en lien avec les autres. Chacun a sa propre façon de jouer son rôle concrètement, à partir de cet ensemble d’éléments matériels et immatériels, humains et non humains, formels et informels.

49L’ergonome part du résultat final de l’activité, de l’analyse de l’interprétation et la composition croisées des différents acteurs exprimée dans l’action concrète de chacun, pour faire émerger à la fois les logiques d’action singulières des professionnels et en trame de fond le système de prescriptions situé, agissant et agi dans/par l’activité des travailleurs. Pour cela, l’ergonome procède par comparaison, par induction, en s’appuyant sur la connaissance des mécanismes et dynamiques connus du fonctionnement humain, à l’échelle individuelle et collective, sur les représentations et explicitations des différents acteurs et sur les observations de l’activité.

50a – L’analyse de l’activité permet notamment de mettre en lumière le système de règles formelles descendantes soutenu par des outils de gestion, composé des objectifs, des missions, des fiches de poste, des procédures, des indicateurs, etc. L’un des intérêts de cet éclairage est de montrer lorsque les règles, qui sont issues de directions, de services et de logiques différentes, induisent des injonctions contradictoires et font peser une pression importante sur le travail. Par exemple, lorsque des travailleurs dans l’industrie ont d’une part des objectifs de production quantitatifs chiffrés, sur lesquels sont basés des systèmes de primes individuelles ou collectives, et d’autre part des objectifs de sécurité affichés comme prioritaires. La pression induite par le fait que la rémunération et la performance des travailleurs sont calculées en fonction des premiers les conduit généralement à favoriser la production quitte à prendre des risques. Ces deux familles d’objectifs ensemble portent une contradiction classique des systèmes organisationnels, que les ergonomes connaissent bien et sont régulièrement amenées à dénoncer de façon plus ou moins directe (Fournier, Ghram, Benchekroun, & Six, 2011). On peut retrouver le même type de contradiction entre des exigences de qualité et des objectifs quantitatifs. Les grandes entreprises développent des arsenaux d’indicateurs chiffrés, qu’il est bon d’afficher au beau fixe, c’est-à-dire en augmentation pour ce qui est de la production, et en baisse pour ce qui est des défauts, incidents ou retours clients, qui induisent des façons d’agir mais aussi de tracer, de calculer, de déclarer qui favorisent l’obtention des résultats attendus/exigés par la hiérarchie et les services supports. Mettre au jour les injonctions contradictoires portées par les règles descendantes formelles est un premier niveau de production de l’ergonome. Les règles externes générées à l’échelle des réglementations nationales ou internationales (CE notamment) et des normes constituent aussi des dimensions instituantes dans l’activité. Le rôle de l’ergonome est souvent de trouver une manière de formaliser pour les acteurs une synthèse visuelle ou descriptive qui met en lien les différents niveaux et sources de prescription formelles et de restituer des narratifs donnant du sens et du poids aux logiques prescriptives à l’œuvre et à leur impact sur/dans l’activité.

51b – À un deuxième niveau, l’ergonome, par son analyse minutieuse des process de travail réel, révèle et décompose aussi les artefacts matériels et immatériels dont l’action prescriptive est souvent moins perçue et documentée que le système de règles et de procédures formelles, mais autant, voire plus impactant dans l’activité de travail. L’aménagement de l’espace, le type de machines ou d’équipements utilisés, les logiciels de saisie, de traitement d’information, de planification constituent en effet l’architecture et les fondations matérielles et fonctionnelles de l’activité. Ils façonnent en grande partie le « comment » de l’action. Il s’agit donc pour l’ergonome de montrer comment ils imposent des contraintes, induisent des modes opératoires, mais aussi parfois comment ils constituent des points d’appui sur/à partir desquels développer l’activité. L’enjeu pour l’ergonome dans l’intervention est de rendre visibles ces prescriptions particulières, avec une attention à mettre en lumière la flexibilité qu’ils autorisent ou non du point de vue de l’action.

52c – L’analyse de l’activité permet également de valoriser les prescriptions dynamiques issues du vivant. Le diagnostic en ergonomie est le moment où l’on peut rendre visibles les prescriptions remontantes, plus dynamiques que les descendantes, mais tout aussi structurantes de l’activité. La mise au jour de ces prescriptions et de leur impact sur l’activité favorise le développement d’une vision plus équilibrée des contraintes et des leviers de transformation du travail. Il s’agit notamment de valoriser des prescriptions issues de la nécessité d’interagir avec des pairs ou d’autres collègues pour réaliser sa propre activité, qui se composent en règles de coordination et d’organisation de la complémentarité des actions pour coopérer, mais aussi en règles de métier. On s’intéresse aussi ici aux prescriptions issues des matières et êtres vivants avec lesquels les salariés travaillent. Dans les métiers où ces prescriptions sont centrales, par exemple dans les métiers de l’agriculture, l’analyse de l’activité permet de montrer en quoi les interactions avec des animaux ou des plantes peuvent être structurantes de l’activité. Des chercheuses en ergonomie ont ainsi montré dans l’élevage bovin en quoi l’interaction avec des vaches est spécifique et rythme le quotidien de travail (Caroly, Bohórquez, & Fortune, 2020) de façon différente en fonction des saisons, à partir de leurs besoins de nourriture, de foin ou en pâturage, de leurs cycles de reproduction, et de la finalité de l’élevage (viande, lait ou fromage par exemple). Mais l’ergonome va aussi chercher à valoriser les exigences liées aux situations caractéristiques des métiers (raboter ou scier pour un menuisier, pétrir à la main un pain pour un boulanger, répondre à un client qui ne maîtrise pas les outils numériques pour un conseiller bancaire, changer un billet au guichet pour un agent SNCF, etc.) et peut ainsi montrer en quoi ces situations routinières induisent des modes opératoires, des techniques et des organisations spécifiques.

  • 9 REACH est un règlement européen (règlement n° 1907/2006) entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la (...)

53d – La quatrième catégorie de prescriptions qui est révélée par l’ergonome au moment du diagnostic correspond à des prescriptions remontantes, mais qui ne sont pas connues ni perçues par les travailleurs alors qu’elles peuvent impliquer des risques pour la santé des travailleurs ou d’autres personnes. Par exemple, dans certains métiers l’usage de produits ou matériaux nouveaux ou peu étudiés (notamment, des produits chimiques ou liés à des nanomatériaux), ou la mise en œuvre de nouveaux modes opératoires, peuvent comporter des risques qui sont invisibles et mal – ou pas – connus par les travailleurs, voire leur encadrement. Dans ces situations de travail, certaines mesures de protection ou de précaution s’imposent pour ne pas prendre de risques pour la santé, qui sont officiellement prescrites notamment par des organismes de sécurité (INRS) ou des réglementations spécialisées (REACH9 par exemple). Ces mesures sont suivies plus ou moins clairement par les employeurs, mais elles sont mal maîtrisées ou ignorées par les travailleurs et leurs responsables, alors qu’elles sont déterminantes pour leur santé. L’appréhension des risques invisibles est un problème complexe, car il nécessite de faire un travail de représentation abstraite pour élaborer les savoir-faire de prudence associés dans des contextes où la pression temporelle joue toujours contre la prudence et la préparation. Des recherches-interventions réalisées par des ergonomes dans les secteurs du bâtiment (Judon, Hella, Pasquereau, & Garrigou, 2015) ou de l’agriculture (Goutille, 2022), mettant en œuvre une méthodologie spécifique d’analyse de terrain et de mesure des expositions (ergotoxicologie), ont facilité la révélation et la prise en compte des risques réels encourus par les travailleurs en fonction des contextes et des situations, en rendant visibles et concrets les processus d’exposition liés à l’activité et les mesures concrètes de prévention à adopter.

54Le diagnostic en ergonomie a notamment pour finalité de révéler le système de prescriptions dans lequel s’inscrit – et avec lequel se construit – l’activité des travailleuses et travailleurs. Il vise en particulier à montrer et expliciter les prescriptions informelles, vivantes, invisibles, qui émergent dans l’activité, généralement non considérées ni traitées dans l’entreprise comme des sources de prescription. Le diagnostic en ergonomie sert ainsi à établir une sorte de représentation globale – mais sélective – des prescriptions « agissantes », composées d’humains, de machines, d’équipements, d’outils numériques, de règles, de vivants et de non-vivants, de matériel et d’immatériel. Il va aussi mettre en évidence la pression plus ou moins forte liée aux différentes prescriptions – leur degré de « prescribilité » – et la(les) manière(s) dont les travailleurs les appréhendent, se les approprient, les intègrent, s’en saisissent dans et par leur activité. Il va ainsi souligner le travail d’interprétation qu’ils réalisent et comment ils composent, à partir de leur situation, leur expérience et leur état, leur système propre de prescriptions opératoires. Le diagnostic vise à clarifier, à partir de l’activité, les maillages de prescriptions plus ou moins contraignants et structurants pour les professionnels.

3.2. Le cas d’un système de prescriptions dans un service social d’accompagnement au logement

  • 10 L’intervention était pilotée par Sophie Claude (Cabinet Pertinence Stratégique).

55Nous illustrons dans cette partie les outils et méthodes mobilisés par les ergonomes pour révéler le système de prescriptions et son impact sur l’activité et la santé des salariés. Nous nous basons pour cela sur le cas d’une intervention menée par deux ergonomes10 au sein d’une association dont la mission est l’accompagnement au logement de personnes/bénéficiaires en situation de précarité.

Contexte

56Cette association a pour mission originelle l’accompagnement au logement. Elle dispose de plusieurs services centrés principalement sur des missions plus ou moins liées au logement : l’accompagnement de personnes ou familles pour trouver un logement, la gestion de structures d’hébergement social d’urgence ou pérenne, l’accompagnement social de familles ou de personnes seules pour gagner en autonomie et compétences dans la gestion au quotidien de leur logement (paiement du loyer, des charges, entretien, gestion des démarches administratives, etc.). Elle gère ainsi près d’une vingtaine de structures d’hébergement et de logements adaptés (hébergements d’urgence, pensions de famille, résidences sociales, une crèche, un foyer de jeunes travailleurs, un chantier d’insertion). À ces missions s’ajoutent d’autres plus annexes comme des accompagnements à trouver un emploi. Chacune de ces missions est cadrée par un « dispositif » social particulier, piloté par un donneur d’ordre institutionnel qui est aussi le financeur. Certains dispositifs sont très ciblés (une seule mission) et d’autres polyvalents. L’association comporte 5 services dispersés sur le territoire (une agglomération moyenne et des villes plus petites) employant 150 salariées, principalement des femmes. Chaque service gère de 2 à 10 dispositifs de façon concomitante.

Demande

57La demande d’intervention est issue de la direction de l’association qui s’inquiète de voir augmenter l’absentéisme et le turnover au sein de la structure. La reformulation de la demande se centre sur la compréhension des process de travail à l’échelle des équipes de travailleurs sociaux (TS) qui semblent en difficulté et de leur encadrement direct, parmi lesquels on constate des arrêts maladie liés à des formes d’épuisement et/ou de dépression. Il apparaît dès les premiers échanges que les salariées des différents services interagissent avec un grand nombre d’acteurs différents au quotidien et que chaque dispositif leur demande beaucoup d’adaptation et de polyvalence. Il apparaît aussi que cette complexité tout comme les enjeux et contraintes financières liées au fonctionnement des structures sociales sont au cœur des déterminants forts du système de travail, par ailleurs bien montrés dans la littérature sur le secteur.

Modalités de l’intervention et recueil de données

58L’intervention est de courte durée du fait du budget réduit de la structure pour financer une prestation d’accompagnement. Les intervenantes ont réalisé huit jours d’observation dans deux services concernant quatre sites géographiques présents sur le territoire et douze entretiens avec des professionnels (TS, cadres de service, services maintenance, représentants de la direction et du CA de l’association). Des réunions de validation intermédiaires avec les professionnels ont été organisées de façon séparée avec les TS, les cadres et la direction avant d’ouvrir un espace de restitution et discussion avec le comité de pilotage sur les actions à mettre en œuvre. Le recueil de données s’est fait a posteriori à partir des traces du travail de terrain, des traces du travail d’analyse et de diagnostic et par une analyse réflexive du processus d’intervention par les intervenantes.

Diagnostic

59Historiquement la mission première de l’association était d’accompagner des personnes exclues socialement pour accéder aux besoins essentiels (santé, activité socio-économique) via l’accès à un logement pérenne adapté et de les aider à développer une capacité d’agir. Les incertitudes financières liées à l’organisation cloisonnée du secteur social, qui finance des dispositifs pendant un temps limité (un à cinq ans), sans certitude de renouvellement des contrats, croisées à l’ambition sociale des dirigeants de l’association – partagée par les salariés – de proposer un accompagnement global aux bénéficiaires, sur les plans à la fois du logement mais aussi de l’insertion professionnelle, de la formation et de l’insertion sociale, ont conduit l’association à progressivement faire évoluer sa stratégie en diversifiant les dispositifs et les sources de financements pour gagner en sécurité financière et étendre son champ d’action. Cette diversification a conduit à un élargissement du périmètre des missions d’accompagnement (sur le volet de l’emploi, et de la santé notamment), des typologies de bénéficiaires (public rom, migrants, etc.), mais aussi des différentes catégories de logements ou structures d’accueil. Cette diversification a conduit à un éclatement du nombre de dispositifs pris en charge par chaque service de l’association, qui va de deux à dix. Pour chaque dispositif, le donneur d’ordre financeur spécifie des missions, un profil de bénéficiaires, une durée d’accompagnement, un périmètre géographique d’intervention, des modalités d’interaction avec un réseau d’acteurs connexes (travailleurs sociaux de la CAF, services des collectivités, services de soin, bailleurs, etc.), mais aussi des modalités de financement. Il définit aussi des objectifs quantitatifs concernant le nombre de bénéficiaires qui doivent être accompagnés, « la file active » et des modes de traçabilité des accompagnements réalisés.

60Le travail des TS est variable dans les différents services en fonction du type et du nombre de missions qu’ils doivent réaliser (accompagnements « externes » ou au sein des structures d’hébergement par exemple) en lien avec le nombre de dispositifs qu’ils doivent prendre en charge. Cependant, un certain nombre de points se retrouve dans l’activité des TS observés. Le travail des TS est avant tout, d’après les dires de tous les TS, un travail d’accompagnement social qui implique de tisser une relation de confiance et de connaissance des personnes accompagnées pour adapter les objectifs et les formes de l’accompagnement aux besoins des personnes, mais aussi à leurs capacités, compétences, difficultés spécifiques, qui peuvent être d’ordres très variés, afin de leur permettre de progresser vers plus d’autonomie. L’objectif partagé par tous les TS, quels que soient leurs missions et les bénéficiaires qu’ils accompagnent, est l’autonomie et le bien-être des bénéficiaires. Le travail des TS repose sur un travail de diagnostic de la situation et du profil du (ou des) bénéficiaire(s) sur tous les plans (social, économique, professionnel, familial, éducatif, etc.) afin d’adapter à la fois leurs actions, leurs modes de relation et leurs exigences. Ce diagnostic est particulièrement important au début de la relation d’accompagnement, mais se prolonge tout au long de l’accompagnement, au fur et à mesure que la relation et la confiance se construisent, à des rythmes différents pour chacun, et que l’interconnaissance se développe. Ce travail est donc marqué par une grande variabilité due aux situations et accompagnements différents, mais aussi à l’imprévisibilité liée aux processus relationnels et d’apprentissage des personnes qui sont difficilement anticipables en amont et n’évoluent pas de façon linéaire ni comparable. Deux accompagnements du même type avec des bénéficiaires différents peuvent engendrer un niveau et une durée d’implication du TS totalement différents. C’est aussi un travail qui demande une grande polyvalence et une grande capacité d’adaptation, les tâches d’accompagnement pouvant autant consister à téléphoner pour et avec une personne à un service public pour obtenir des renseignements ou effectuer un paiement, qu’à aider à changer une ampoule électrique dans un logement, à trouver des meubles pour aménager un appartement, à expliquer les règles de tri des déchets ou seulement à discuter de sa situation avec une personne en capacité de réaliser ses tâches quotidiennes de façon autonome. Par ailleurs, les TS sont autonomes dans l’organisation de leur temps, mais ils sont aussi inscrits dans des collectifs plus ou moins structurés en fonction des services. Ils doivent collectivement trouver des accords sur leurs façons de gérer les lieux, de se répartir le travail, de répondre aux sollicitations des partenaires ou des bénéficiaires afin de pouvoir faire face collectivement. Ils sont donc tributaires du travail en équipe avec leurs collègues et des règles instaurées dans le collectif de façon plus ou moins explicite.

61Ce constat entre en contradiction avec la structuration en dispositifs qui sont basés sur des modalités standards censées s’appliquer à tous les bénéficiaires et des objectifs quantitatifs de file active. Les TS sont dépendants des services amont dans le processus d’accompagnement social qui sont des « commissions d’entrée » qui sélectionnent les bénéficiaires et les orientent vers un dispositif porté par une structure et un service en particulier. Ces services n’ont pas forcément la même lecture des profils de personnes correspondant au mieux à un dispositif et ont parfois des objectifs plus quantitatifs que qualitatifs. Les TS ont peu de marges de manœuvre sur le choix des bénéficiaires qui sont orientés vers eux, notamment parce qu’ils ont aussi des objectifs quantitatifs de file active.

62L’implication dans plusieurs dispositifs les oblige à intégrer des objectifs d’accompagnement, des règles de traçabilité, des périmètres d’action, des collaborations avec des services externes très spécifiques à chaque fois, ce qui implique un travail d’interprétation important, une mise en cohérence nécessaire et une forte charge cognitive et administrative, qui les éloigne parfois de leur cœur de métier, l’accompagnement tel qu’ils le définissent. Ce sont les TS qui articulent les dispositifs qu’ils gèrent à leur échelle, en organisant leur temps et définissant leurs priorités de façon individuelle ou en équipe en fonction de leurs valeurs, de leurs moyens et des objectifs qu’ils se donnent vis-à-vis des bénéficiaires. Ils sont ainsi largement auto-prescripteurs de leur travail. La nécessité de rendre des comptes à chaque financeur sur les accompagnements réalisés, sans réelle prescription des attendus sur les formes de ces rendus, amène aussi les TS à passer du temps à produire des livrables exigés par les donneurs d’ordre en fin d’année. Ils réalisent des livrets ou des rapports, souvent très documentés et détaillés, illustrés par des photos, donnant à voir la vie quotidienne et les activités développées par les TS au sein de chaque service ou lieu d’accueil. Les TS ne savent jamais qui va lire ces documents et ce que les destinataires non identifiés en attendent, alors qu’ils savent par ailleurs qu’ils constituent un élément central de l’évaluation externe de la qualité de leur travail. Ils déploient beaucoup de créativité et de travail pour produire un document original répondant aux critères qui leur semblent déterminants de la qualité de leur accompagnement sans jamais avoir de retour ou de précisions sur les critères réels des personnes destinataires. La réalisation de ces livrables n’est pas non plus mentionnée comme une partie du travail des TS.

63Le diagnostic a insisté sur la diversité des sources de prescription et l’impact direct sur le travail des TS comme de l’encadrement (cf. Figure 1).

Figure 1 : Un enchevêtrement d’acteurs prescripteurs variables selon les dispositifs (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021) 
Figure 1: An interweaving of influencers that varies according to the system (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021)

Figure 1 : Un enchevêtrement d’acteurs prescripteurs variables selon les dispositifs (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021)  Figure 1: An interweaving of influencers that varies according to the system (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021)

64Le diagnostic a mis au jour un système de prescriptions « descendantes » externes hétérogènes issues des acteurs institutionnels donneurs d’ordre, financeurs et/ou réglementaires, issus de différents centres de décision territoriaux (national, régional, collectivités), ne portant pas toujours les mêmes exigences et relations de coopération et n’interagissant pas entre eux. Il a aussi montré l’impact des prescriptions de la « commission d’orientation » qui orientent les bénéficiaires vers l’association, qui a une fonction essentielle de gestion du flux et de choix des profils de bénéficiaires entrants, auxquels les TS vont devoir s’adapter sans réelles marges de manœuvre. Enfin, les prescriptions des institutions de contrôle des règles de conformité sur différents plans tels que l’hygiène, la sécurité, le logement, l’hébergement, les établissements recevant du public (ERP), sont déterminantes dans l’activité des TS au quotidien, qui doivent les traduire et les faire appliquer. Des prescriptions descendantes internes ont aussi été cartographiées, issues du conseil d’administration et de la direction de l’association qui pilotent l’organisation globale des services, la répartition des budgets et la réponse aux appels d’offres, sans s’appuyer ni sur un diagnostic du fonctionnement des équipes et de leurs capacités ni sur les résultats qualitatifs des accompagnements, ni même sur une réflexion collégiale permettant d’évaluer la cohérence globale des missions, les effets de mutualisation possible entre les services, les conditions opérationnelles à réunir. Les nouveaux dispositifs sont ainsi intégrés sans réflexion ni préparation à l’échelle opérationnelle sur les modalités de faisabilité. Ce sont donc les TS qui articulent les dispositifs à leur échelle, en organisant leur temps et définissant leurs priorités de façon individuelle ou en équipe en fonction de leurs valeurs, de leurs moyens et des objectifs qu’ils se donnent vis-à-vis des bénéficiaires.

65Par ailleurs, le diagnostic a mis en évidence un niveau de prescriptions remontantes plus horizontal, venant des acteurs externes avec lesquels les TS doivent travailler au quotidien, tels que les bailleurs sociaux, les propriétaires privés/publics des logements qui définissent les conditions et durée de mise à disposition des logements et bureaux, et des exigences d’usage et de maintenance à prendre en compte par les TS pour accompagner les familles, mais aussi les conditions d’accessibilité. Les TS travaillant avec d’autres structures complémentaires du secteur médico-social doivent se coordonner avec les TS de ces structures dans un contexte où le système de coordinations entre structures est plus ou moins organisé par les institutions dans le cadre d’accompagnements multidimensionnels des bénéficiaires par exemple. Les différents partenaires sont porteurs d’exigences et d’enjeux variables et ont chacun des contraintes et spécificités de fonctionnement qui conditionnent le travail de relation et d’accompagnement du bénéficiaire ainsi que les possibilités de coopération et de relais entre structures. Nous avons aussi pu aborder les prescriptions liées aux situations, à l’état de santé et aux compétences des bénéficiaires eux-mêmes qui sont peut-être les plus importantes car les plus complexes, variables et évolutives pour les TS.

66Les discussions sur le système de prescriptions qui ont eu lieu lors des restitutions du diagnostic auprès des TS, des responsables de service et de la direction de l’association ont permis de mettre en évidence que le système fait reposer beaucoup de responsabilités et de pressions diverses sur les TS, sans leur donner les moyens d’action et favoriser les supports hiérarchiques et collectifs. Ces discussions ont aussi permis de faire le lien entre ces spécificités du système de travail et les signes d’épuisement visibles dans tous les niveaux de l’association. Le système de travail engendrant des risques pour les travailleuses : (i) de surcharge cognitive liée à la quantité d’informations à traiter et au nombre de prescriptions à prendre en compte, (ii) d’isolement lié à l’éclatement des services et même des individus, (iii) de stress et de fatigue liés au poids des responsabilités, et (iv) de perte de sens du travail.

3.3. Concevoir un système de prescriptions qui permet d’articuler les rationalités des concepteurs et de l’activité

67L’ergonome dans la phase de transformation du système de travail va participer à la conception d’un nouveau système de prescriptions. Il va participer comme le propose Lima (Lima & Schwartz, 2002) à construire le cadre social pour articuler d’une part la rationalité des concepteurs, des ingénieurs ou des architectes, basée sur des modèles abstraits et visant à « contrôler les variations » (Ibid., p. 72) et d’autre part la rationalité de l’activité ancrée dans la nécessité d’anticiper et de répondre aux imprévus des situations de travail réel par la « régulation des variabilités ». L’ergonome va travailler à ce que les travailleurs et les concepteurs-prescripteurs puissent articuler leurs rationalités et construire ensemble un système de référence cohérent et opératoire.

68Il va les accompagner dans l’évolution de ce processus de prescription, en intégrant tous les acteurs concernés, et en premier lieu les travailleurs, dans la réflexion sur le système de règles qui doit s’appliquer, la mise en cohérence des différentes sources de prescription et les modes de production et de contrôle. Il va ainsi s’appuyer sur la construction sociale de l’intervention pour transformer à la fois le travail des prescripteurs, les processus de prescription et les formes de prescription. Il va ainsi participer à concevoir les règles, les procédures, les consignes, parfois les documents, parfois l’organisation d’ensemble de ces consignes et de ces règles. Mais il va aussi participer à la conception ou la programmation des artefacts prescriptifs, l’aménagement de l’espace et des équipements, la conception des éléments matériels de la situation. Il va accompagner les choix à faire, qui concernent différentes échelles de l’organisation, dans cette démarche de (re)conception des prescriptions à partir du sens et de la réalité du travail et en aidant à définir la volonté relative au futur de la structure et des travailleurs. Il peut s’appuyer pour cela sur une démarche de simulation organisationnelle réalisée avec les acteurs concernés.

69Le travail de simulation organisationnelle permet d’impliquer dans la démarche de conception toutes les formes de prescriptions qui peuvent chacune être représentées et portées par différents acteurs. Nous avons ainsi mis en œuvre une démarche de simulation organisationnelle dans une recherche-intervention visant à reconcevoir un dispositif de retour d’expérience (REX) dans une entreprise d’exploitation de tunnels routiers urbains, aux forts enjeux de sécurité (Casse, 2015). Cette recherche a déjà été décrite dans d’autres publications concernant le contexte, la démarche et les résultats (Casse & Caroly, 2017). Nous nous centrons ici sur la démarche de co-conception mise en œuvre avec les salariés de l’entreprise pour transformer le dispositif de retour d’expérience. Le dispositif de retour d’expérience est un artefact prescriptif reposant dans cette entreprise d’une part sur une réglementation européenne qui impose la collecte de données concernant les événements les plus graves survenus dans les tunnels (tels que les incendies et les accidents mortels) et d’autre part sur des procédures internes d’analyse d’événement conçues pour améliorer les process de gestion d’événements.

70L’analyse de l’activité des professionnels de l’exploitation, des superviseurs qui surveillent les tunnels à distance depuis une salle de supervision et des patrouilleurs qui interviennent sur le terrain a mis en évidence une déconnexion entre les événements traités dans le dispositif de retour d’expérience formel et ceux considérés comme critiques par les professionnels du point de vue de la gestion de la sécurité des usagers et de leur propre sécurité. Elle a aussi mis au jour le fait que les patrouilleurs qui ont un rôle central dans la gestion des événements sur le terrain n’étaient pas intégrés dans les processus de REX, qui étaient uniquement documentés par les superviseurs. De ce fait, ils se sentaient peu concernés par cette démarche d’amélioration continue. Par ailleurs, les informations issues des REX circulaient peu entre les équipes et l’organisation de l’archivage de la documentation des REX rendait peu accessibles les éléments tirés de l’analyse des événements.

71Le travail de reconception proposé par l’ergonome visait à redéfinir un système de prescriptions plus opérationnel pour les différents acteurs, répondant à des difficultés identifiées dans le diagnostic, telles que : (i) impliquer tous les acteurs concernés par les événements, (ii) améliorer la diffusion de l’information avec une attention à ne pas surcharger les canaux d’information et donc à sélectionner les informations pertinentes à partager. La démarche a impliqué un groupe de travail formé d’un superviseur ayant le rôle de formateur auprès des novices concernant les procédures de REX, d’un patrouilleur, d’un responsable d’équipe et de l’assistante qui gère la diffusion et l’archivage de la documentation. Elle s’est basée sur une maquette organisationnelle représentant visuellement tous les services concernés par le REX. Nous avons aussi créé des « cartes-événements » types à partir de l’analyse des événements survenus les cinq dernières années. À partir de ces matériaux, nous avons simulé en groupe de travail les process de retour d’expérience mis en œuvre en fonction des types d’événements, afin d’en discuter la fonctionnalité et la logique opératoire pour chaque professionnel. Cette démarche a fait émerger des difficultés dans la réalisation du REX, notamment du fait de la situation de crise dans laquelle il intervient, de la multiplicité des acteurs engagés (usagers, police, pompiers, dépanneur, etc.), qui rendent complexe l’analyse du déroulement d’un événement. Cette méthode a conduit à redéfinir les processus de REX en fonction des situations et à modifier les procédures, les modalités de diffusion et aussi d’archivage des analyses, puis à former les personnes qui étaient nouvellement impliquées dans ces processus (les patrouilleurs notamment). Les salariés ont contribué à reconcevoir le système de prescriptions dans l’optique de faciliter l’analyse collective des événements et la diffusion des enseignements. Ils ont ensuite présenté le nouveau système dans leurs équipes ou services respectifs. L’ergonome a ainsi permis d’outiller et accompagner la démarche de conception d’un artefact organisationnel adapté.

3.4. Organiser la mise en débat de l’activité pour une actualisation dynamique du système de prescriptions

72En complément de ce travail de co-conception, qui constitue une forme de cristallisation des résultats de l’intervention en ergonomie, les ergonomes développent depuis plusieurs années des dispositifs réflexifs visant à mettre en débat l’activité. Il s’agit de permettre la circulation et la gestion collective de l’évolution des prescriptions remontantes, issues des pratiques, des ressources et des situations réelles, et de favoriser l’adéquation entre ces prescriptions « vivantes », dynamiques et le système plus formel de règles et d’artefacts. En effet, les ergonomes ont pris conscience depuis les années 2010 environ (même si certains avaient été précurseurs avant cela) de l’importance d’engager les entreprises et les acteurs dans des démarches constructives qui dépassent le cadre des projets d’intervention classiques en prévention ou conception (Falzon, 2015). Ils ont multiplié les expérimentations de mise en place d’espaces de discussion, de délibération, de débat sur le travail afin d’organiser des processus collectifs réflexifs dépassant l’horizon temporel de l’intervention. Ces dispositifs ont vocation d’une part à améliorer en continu l’organisation et d’autre part à dynamiser les collectifs de travail et favoriser l’apprentissage collectif, voire organisationnel (Van Belleghem, 2016). Ces processus intègrent le principe de subsidiarité, qui consiste à laisser la prise de décision au plus bas niveau possible dans l’organisation pour être au plus près du problème à traiter et favoriser une plus grande efficacité et agilité, mais aussi pour organiser la prise de relais décisionnel lorsqu’un niveau se trouve face à une décision qui dépasse son périmètre d’action et donc de responsabilité. Ces dispositifs ont donc comme avantage à la fois de permettre aux travailleurs d’actualiser mutuellement leurs connaissances et d’élaborer des règles partagées en lien avec l’évolution des contextes et conditions d’action, mais aussi de soutenir et organiser la mise à jour dynamique, la plasticité des prescriptions en intégrant les différents niveaux d’espaces réflexifs qui constituent chacun des espaces de régulation.

  • 11 Pour plus de détails sur les méthodes et la mise en œuvre des simulations et des espaces de débats, (...)

73Par exemple dans la recherche-intervention relatée plus haut chez un exploitant de tunnels, l’ergonome a proposé en lien avec les acteurs de terrain d’expérimenter la mise en place d’espaces de débat sur l’activité basés sur la simulation d’événements. Ces espaces visaient le développement d’échanges sur les pratiques réelles de gestion d’événements pour des apprentissages mutuels et le développement de l’activité11. Ces espaces réflexifs ont été proposés à l’ensemble des superviseurs et patrouilleurs. Ils se sont déroulés en deux sessions. Dans chaque session, trois groupes mixtes, composés d’un superviseur et de patrouilleurs, simulaient la gestion de deux événements simultanément, sur la base de scénarios réels préparés en amont. Après chaque simulation, un des trois groupes était invité à présenter sa simulation et une discussion était ouverte avec les autres groupes sur les stratégies et modes opératoires envisagés par ce groupe. Pour faciliter la simulation, des supports avaient été créés par l’ergonome pour présenter le contexte de l’événement à simuler (avec photo, indication topographique, etc.) et pour garder la trace des décisions et actions envisagées par les différents groupes. Les scénarios d’événement avaient été choisis par l’intervenant et l’animateur opérationnel de ces espaces pour leur caractère pédagogique, l’un concernait un début d’incendie en tunnel, l’autre un incendie à l’extérieur en bordure de route.

74Les simulations réalisées ont mis en évidence des interprétations différentes du contexte, des règles et des stratégies d’intervention variables en fonction des groupes et de l’expérience des professionnels. Ces simulations ont été décrites en détail dans d’autres publications (Casse & Caroly, 2017). Nous allons ici donner uniquement un exemple du type d’échange généré dans ces espaces. Les discussions entre professionnels après la simulation concernant le scénario d’incendie en tunnel ont permis de mettre en évidence les difficultés récurrentes que rencontraient les patrouilleurs pour se rendre sur le lieu d’intervention dans ce type de situation, dues à l’augmentation du trafic aux abords des tunnels. Certains plus expérimentés ont expliqué avoir demandé dans ce type de situation une autorisation exceptionnelle au responsable d’entrer dans le tunnel à contresens pour pouvoir intervenir au plus vite. La discussion entre eux et avec leur responsable d’équipe les a amenés à demander que soit étudiée par l’encadrement la possibilité de demander cette autorisation spéciale dans ce type de situation. La demande a été relayée par le responsable d’équipe auprès des cadres d’exploitation et cette nouvelle règle a été instaurée. Ainsi, ces espaces se sont révélés très productifs du point de vue des apprentissages et des collectifs, car ils ont permis la discussion et la modification de certaines règles de métier, la valorisation des savoirs des agents les plus expérimentés, mais aussi à d’autres niveaux, les apports des plus novices sur des modes opératoires renouvelés. La démarche a aussi intégré l’implication de l’encadrement de niveau supérieur à prendre en charge les dysfonctionnements ou incohérences des systèmes de règles existants avec l’évolution des situations et des pratiques qui y sont liées. Grâce aux apprentissages croisés et à la dynamique de discussion et de réélaboration des règles de métier, il a ainsi favorisé le développement simultané de l’activité des professionnels et du système de prescriptions.

75L’ensemble de la démarche de recherche-intervention menée avec les exploitants a permis la redéfinition d’un système de prescriptions plus équilibré, qui donne plus de poids aux prescriptions horizontales et remontantes sur des situations critiques peu visibles, grâce à la mise en place des espaces de débat sur le travail et à l’implication de l’encadrement de proximité et supérieur.

76Ainsi, les ergonomes ont développé des méthodologies afin de mettre en évidence et en discussion le système prescriptif avec lequel les travailleurs construisent leur activité, de concevoir avec eux et les prescripteurs des systèmes qui ont du sens et une cohérence opératoire en regard de leur activité. Ils mobilisent aussi des espaces de débat sur le travail pour accompagner les professionnels dans le développement de leur activité.

4. Discussion et perspectives

4.1 Travailler = composer dans l’instant

77On peut revenir sur la définition du travailler pour aller plus loin dans le rapport aux prescriptions. L’appréhension par les ergonomes du rapport entre le « prescrit » et « le réel » a beaucoup évolué au cours des années, à mesure que les ergonomes élargissaient leur champ d’intervention et faisaient évoluer à la fois leur définition du travail (le cadre historique et social d’action) et du travailler (l’activité) (Béguin, Robert, & Ruiz, 2021). Selon Hubault (1995), les ergonomes sont passés d’un écart à réduire à un écart à gérer, postulant ainsi la discontinuité entre l’activité et « la tâche » et l’irréductibilité du décalage entre « le modèle » et la réalité. Les prescriptions telles que nous les avons décrites dans la première partie ne sont plus uniquement définies par des injonctions descendantes, mais comme un système composé d’une diversité de pressions, d’exigences hétérogènes de différents niveaux. Certaines prescriptions dictent un rythme, une temporalité, les conditions de l’action, des modes opératoires ou des modes de communication. La prescription est distribuée de la même manière que Hutchins (1994) parle de cognition distribuée quand il analyse le dispositif de cockpit d’avion. Cet ensemble hétérogène a des fonctions différentes. Les prescriptions jouent des rôles de signaux, d’appel, de supports, d’obligations, d’interdits, d’indicateurs, sur un mode soit d’injonction soit d’affordance. Elles constituent des forces de frayage plus ou moins contraignantes (du rail de chemin de fer dont on ne peut pas sortir, au phare qui donne une indication de direction, en passant par le GPS qui vous guide pas à pas tout en vous laissant la possibilité de choisir votre trajet), qui constituent tout à la fois une forme de structure – globale – pour l’action et des points d’appui sur lesquels les travailleurs et travailleuses peuvent s’appuyer pour agir.

78Travailler c’est ainsi composer avec les différentes natures et formes de prescription. Chaque travailleur va agir en rapport au système de prescriptions en fonction de ses valeurs, de sa capacité d’interprétation du prescrit, de ses compétences à répondre ou à composer avec ces prescriptions, en fonction aussi de son état instantané, de sa situation et de son parcours. Le travailleur va opérer une sélection singulière, dynamique, celle qui lui permet d’agir, avec un niveau plus ou moins important d’intégration. L’intégration peut dépendre aussi des ressources stratégiques que possède le travailleur ou la travailleuse, au sens donné par Crozier et Friedberg (1977), c’est-à-dire des ressources qui lui procurent des marges de manœuvre pour agir dans les zones d’incertitude que peut laisser l’organisation (accès à l’information, aux réseaux d’acteurs extérieurs, expertise ou connaissances des règles et du fonctionnement formel). Il n’y a pas de déterminisme dans le système de prescriptions, en tout cas pas total. Il définit plutôt un champ de forces et de tensions, avec des contraintes et des intensités plus ou moins fortes, et plus ou moins de contradictions. Un champ de forces et de tensions dynamique dans/avec lequel le sujet va tricoter, tresser sa propre histoire (Robert, 2021), créer sa partition personnelle produisant des résultats variables en termes de qualité du travail et pour sa santé. C’est là qu’intervient sa créativité inaliénable, sa manière singulière de créer de la cohérence, de la continuité et du sens pour agir, de créer l’espace de son activité, « un dispositif matériel, organisationnel, mais aussi relationnel émergeant de l’activité, notamment dans le faire des agents » (Heddad, 2017, p. 228) et développer son monde professionnel (Béguin, 2007).

79L’intérêt porté par les ergonomes aux prescriptions remontantes fait particulièrement évoluer la représentation des prescriptions et le rôle qu’elles prennent dans l’activité. Leur prise en compte permet de mettre en lumière des contraintes invisibles que les employeurs ne prennent pas en compte comme telles, mais aussi la complexité du travail de composition que doivent réaliser les professionnels. Par ailleurs, les prescriptions issues du vivant, plus dynamiques, complexes et subtiles, sont aussi pour les travailleurs des sources d’inspiration, de créativité, de développement de leurs compétences et de transition professionnelle (Coquil et al., 2013). Car c’est aussi à partir de l’expérience de la diversité des matières, des relations au vivant, des coopérations, des situations spécifiques, que les humains développent de la connaissance experte, inventent des modes de faire, trouvent des moyens de contourner les contraintes ou de trouver des alternatives.

80Le travailleur réalise un double travail : un travail de composition qui s’opère en interprétant, choisissant, définissant les règles et prescriptions qui « comptent », celles qu’il s’approprie, qu’il juge acceptables et tenables pour obtenir le résultat escompté, celles qui sont « jouables ». Ce travail de composition s’apparente à celui d’un performeur en danse (ou en musique), comme le décrit le danseur et chorégraphe Mark Tomkins :

« le performeur travaille simultanément sur plusieurs niveaux de perception. Il écoute, regarde, ressent, agit et réagit selon ses perceptions et celles de ses partenaires dans un espace-temps donné. L’art de la composition en temps réel réside dans ses capacités à rester ouvert aux richesses des pulsions internes et externes. Mais aussi, à recevoir, traiter et proposer de la matière en un flux de feed-back ininterrompu. Comment éviter la surcharge d’informations, comment rester activement attentif, comment faire “rien” et pourtant agir ? » (Chaumette, 2014)

81Cette définition convoque directement les sens et la perception dans la capacité d’action en temps réel, le traitement d’informations de l’environnement à partir d’un travail continu de prise d’information et d’ajustements.

82Le travailleur compose au fil de l’eau et joue dans l’action à partir de l’ensemble des données internes et externes dans la situation, il s’accorde aux rythmes imposés par les process, les machines, les clients, les objectifs quantitatifs et qualitatifs et tout cela en fonction des buts qu’il se construit. Son activité va consister à observer, écouter, s’adapter, remplir les vides, rendre cohérent ou convergent, assurer la continuité et le sens. Il tient ensemble et relie les éléments stables de la situation, les éléments organisateurs de l’activité, les prescriptions, avec lesquelles il fait corps, dans une situation en tension du fait des résultats à produire / de la performance attendue par l’entreprise. Il construit et cherche ainsi une stabilité dynamique, à partir d’une part des forces de frayage et de pression générées par les prescriptions et d’autre part des tensions liées aux exigences de performance.

4.2 Conclusion : intervenir pour transformer les prescriptions en ressources pour l’intervention

83La place des prescriptions dans l’activité des travailleurs et travailleuses évolue de façon différenciée en fonction des secteurs, des métiers et des dynamiques de la société. Plusieurs tendances se dessinent, qui constituent de nouveaux enjeux pour les ergonomes.

84La croissance importante des normes et des certifications qui traversent tous les secteurs tend à augmenter les prescriptions extérieures aux travailleurs et à mettre une pression importante à la standardisation des modes de réalisation du travail. En lien avec cette tendance générale, le travail « tertiaire » augmente dans tous les métiers, de l’usine aux champs en passant par l’enseignement, ainsi que les opérations de traçabilité et de contrôle réalisées principalement via des outils numériques, souvent par les travailleurs eux-mêmes. Face à la diffusion de ces prescriptions descendantes, qui éloignent les travailleurs de leur « cœur de métier », ceux-ci souffrent de perte de sens et peuvent se sentir étouffés par les obligations. Cette tendance invite les ergonomes à travailler avec les employeurs et les travailleurs et travailleuses eux-mêmes pour faire évoluer les systèmes de travail, en réduisant le poids de ces prescriptions qui prennent une place (trop) importante dans le quotidien et en interrogeant et mettant en discussion notamment leur sens et leur intérêt, et en concevant les modes opératoires et les outils les plus adaptés pour qu’ils soient mieux intégrés à l’activité.

85Par ailleurs, la complexification grandissante des systèmes de prescriptions d’origines et de formes diverses conduit à reporter sur les travailleurs la responsabilité de la cohérence et de la régulation du système de travail et donc de l’atteinte du résultat attendu. Chaque travailleur et travailleuse doit individuellement interpréter, incorporer et composer avec la diversité des situations, des règles, des outils techniques et numériques sans garantie que ces efforts permettront d’obtenir un niveau de qualité correspondant à ses valeurs. Cette tendance à la responsabilisation individuelle dans le travail de composition peut aussi constituer un risque pour leur santé. Face aux injonctions et règles multiples véhiculées par l’organisation du travail ou liées aux évolutions sociétales et environnementales, les travailleurs sont confrontés à des choix moraux de plus en plus complexes et potentiellement clivants à l’échelle des collectifs. Là aussi, ces tendances interpellent les ergonomes et les conduisent à travailler sur la conception du système de travail en portant une attention à l’intégration et la plasticité du système de prescriptions et aux moyens de soutenir le travail de composition des travailleurs via la simplification du système, des outils, mais aussi l’organisation des relais et supports collectifs et hiérarchiques.

86Les ergonomes ont des méthodes et outils efficaces pour concevoir des systèmes de travail intégrant les nouvelles configurations prescriptives. Cependant, les évolutions actuelles nous invitent à développer des recherches sur certains aspects méthodologiques en particulier. Les méthodes d’analyse du travail doivent permettre d’identifier et d’analyser des configurations de prescription très variables, issues notamment de sources extérieures à l’entreprise, à l’échelle territoriale ou inter-structures. Elles doivent aussi faciliter la valorisation et l’analyse des prescriptions remontantes qui peuvent constituer des leviers de la transformation des systèmes de travail dans un sens plus durable pour l’environnement et les travailleuses et travailleurs. Il s’agit par ailleurs pour les ergonomes de déployer les méthodes pour organiser des démarches réflexives qui permettent une mise au jour et une analyse de la complexité des situations dues en partie à la diversité des prescriptions, mais aussi qui favorisent les partages et l’élaboration de règles autonomes par les travailleurs eux-mêmes, qui construisent un système de prescriptions qui a du sens pour eux et qui soutiennent le travail de composition à l’échelle du collectif.

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Notes

1 Le CNRTL est le Centre national de ressources textuelles et lexicales, créé par le CNRS, qui comprend un ensemble de ressources linguistiques informatisées, dont des dictionnaires. https://www.cnrtl.fr/

2 Pour en savoir plus, consulter le documentaire « Mon boulot chez Mac Do » réalisé et diffusé en 2022 sur France TV. https://www.france.tv/slash/mon-boulot-chez-mcdo/Documentaire

3 Pour en savoir plus : https://www.iso.org/fr/home.html

4 Pour en savoir plus : https://www.afnor.org/

5 Une SCOP (société coopérative et participative ou société coopérative de production) est une société dont les salariés sont les associés majoritaires.

6 Un exemple d’email etiquette disponible en accès libre sur internet avec des consignes très précises qui sont des références utilisées dans les grandes entreprises : https://www.exclaimer.com/fr/email-signature-handbook/email-etiquette-rules/ ou encore https://www.ionos.fr/digitalguide/email/marketing-email/letiquette-de-lemail/

7 Nous avons traduit la devise originale d’Amazon : « Work Hard. Have Fun. Make History. »

8 Définition du CNRTL. https://www.cnrtl.fr/

9 REACH est un règlement européen (règlement n° 1907/2006) entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne. Il s’agit de recenser, d’évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen. https://www.ecologie.gouv.fr/reglementation-reach (consulté le 22 mars 2024).

10 L’intervention était pilotée par Sophie Claude (Cabinet Pertinence Stratégique).

11 Pour plus de détails sur les méthodes et la mise en œuvre des simulations et des espaces de débats, ainsi que sur les résultats de cette recherche-intervention, voir Casse et Caroly (2017).

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Un enchevêtrement d’acteurs prescripteurs variables selon les dispositifs (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021)  Figure 1: An interweaving of influencers that varies according to the system (Sophie Claude, Pertinence Stratégique, 2021)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/docannexe/image/10347/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 252k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Christelle Casse, « Des prescriptions aux ressources pour l’intervention en ergonomie »Activités [En ligne], 21-2 | 2024, mis en ligne le 15 octobre 2024, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/activites/10347 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12hut

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Auteur

Christelle Casse

Institut d’Études du Travail (IETL), Université Lyon 2 – UMR 5600 Environnement Ville Société,
2bis rue de l’Université 69007 Lyon
c.casse@univ-lyon2.fr

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