1 Dans le cadre d’une nouvelle collection consacrée aux littoraux, aux mers et à l’Océan éditée par le CRBC de Brest, Gérard Le Bouëdec, professeur émérite d’histoire maritime de l’université de Bretagne-sud à Lorient, et Yves-Marie Paulet, professeur à l’institut européen de la mer (UBO) de Brest, présentent un essai d’environ 160 pages se proposant de renouveler la compréhension de la trajectoire maritime et littorale de la Bretagne au cours des six derniers siècles. L’ouvrage, très dense, est accompagné de nombreuses cartes de grande qualité, réalisées par Olivier Corre, et illustrant parfaitement le propos des auteurs.

2 Les trois premiers chapitres présentent les activités maritimes bretonnes sur un temps très long du Moyen Âge au temps présent, que ce soit les multiples utilisations du rivage (salines, conchyliculture, pêches côtières) ou l’animation bouillonnante des ports (cabotage, pêche, long-cours, secteur militaire). Ce panorama de l’économie maritime de la province montre l’importance primordiale de la mer dans l’histoire de la Bretagne que ce soit au niveau de l’économie locale que dans ses rapports avec le monde extérieur. En outre, la capacité d’adaptation des petits ports est remarquable, qu’ils se mettent au service des grands ports de commandement et s’intègrent dans des réseaux bien structurés ou qu’ils s’adaptent aux demandes des conserveries qui transforment profondément le paysage portuaire par la construction de multiples quais et cales. Les nouvelles exigences de la navigation au cours de la révolution industrielle donnent naissance à Saint-Nazaire qui se substitue à Paimboeuf et devient par la suite un des ports les plus importants de Bretagne. Cependant, l’arrivée du chemin de fer bouleverse ce tissu portuaire en mettant fin au cabotage national et interrégional tout en favorisant les ports reliés au réseau ferroviaire. Ce n’est cependant pas la fin du petit cabotage local qui survit jusqu’au développement du transport routier. Les ports plus importants s’adaptent également aux opportunités économiques en se tournant vers les importations, notamment de charbon, ou en se spécialisant dans des activités halieutiques (chalutage, pêche morutière, sardinière et thonière). Au xix^e siècle, la fonction militaire de la Bretagne se renforce avec les arsenaux de Brest et Lorient qui deviennent des entreprises considérables. Parallèlement à ces activités industrielles, l’usage de l’estran est totalement renouvelé avec l’avènement du balnéaire qui est à l’origine d’aménagements importants dans les villes de villégiature. La création de grands ensembles touristiques donne naissance aux ports de plaisance (97 en 2020) et au développement des activités liées à la possession de navires de loisirs. La Bretagne est aujourd’hui le grand pôle de la voile française (30 % des licenciés).

3 Le monde des gens de mer est bien connu grâce au système des classes puis à l’Inscription maritime, institution qui perdure jusqu’aux années 1960. La multiplicité des activités liées à la mer donne naissance à une culture spécifique des sociétés littorales. La pluriactivité permet aux individus ou aux familles des bourgs et villages côtiers de profiter de toutes les opportunités offertes par leur lieu de vie, entre terre et mer. Si les hommes sont marins à la pêche, au petit cabotage ou sont ouvriers dans les chantiers, ce sont aussi des paysans selon les saisons ou les possibilités de travail. Selon les cas, la mer est une activité d’appoint ou l’activité principale. Le développement des activités balnéaires est à l’origine d’une nouvelle pluriactivité avec les métiers saisonniers. Chez les maîtres-armateurs, la formule quirataire permet de mobiliser le capital nécessaire parmi les petites élites locales. Cette implication de la communauté portuaire dans les activités maritimes se retrouve dans la formation des gens de mer ou dans les équipements nécessaires. Les usagers du littoral doivent cependant intégrer les dangers propres au monde maritime dans leurs activités que ce soit le risque de submersion ou la mort par naufrage. En raison des bouleversements climatiques plusieurs zones de la côte bretonne, aujourd’hui densément peuplées, sont très vulnérables et leur avenir est particulièrement inquiétant, d’autant plus que les hommes ont effacé de leur mémoire les catastrophes passées.

4 Très tôt l’autorité royale a voulu contrôler les zones littorales. L’ordonnance de Colbert de 1681 définit le domaine maritime qui passe non sans difficultés sous le contrôle de la législation et des agents de l’État. Des juridictions spécifiques permettent d’encadrer les hommes et d’administrer l’économie maritime mais s’accompagne d’une nouvelle fiscalité. Dans le dernier tiers du xx^e siècle, l’État se dote d’outils pour gérer et protéger les littoraux à l’exemple de la loi littoral de 1986. Les pouvoirs publics se préoccupent également de la délimitation des eaux territoriales, débat particulièrement important en Bretagne en raison de l’importance des pêches. La création et le développement de l’Union Européenne permettent de réglementer l’usage des eaux bordant le continent en prenant en compte la question environnementale en fonction d’une gestion écosystémique. L’État participe également activement à la recherche sur les sciences et les technologies marines dès le xix^e siècle par la création de laboratoires (Concarneau), de station marines (Roscoff) et de divers organismes étudiant l’exploitation des richesses de la mer. Aujourd’hui, l’Ifremer dont le siège est à Brest est l’organisme national chargé de la recherche océanographique et de l’application des politiques publiques. D’autres acteurs, à l’exemple de l’Institut européen de la mer ou des universités de Brest et Lorient, structurent et dynamisent les recherches sur la mer en Bretagne.

5 Le chapitre 7 présente de manière très approfondie toutes les contraintes qu’elles soient politiques, économiques ou environnementales qui se posent au monde de la mer en ce début de xxi^e siècle ainsi que les diverses tentatives pour revitaliser les activités maritimes bretonnes, à l’exemple récent des énergies marines renouvelables. La prise en compte de l’héritage matériel et immatériel du littoral et sa patrimonialisation depuis les années 1970 complexifient mais aussi dynamisent le futur de ces espaces maritimes. Les transformations sont bien souvent entravées par l’évolution des usages sur les littoraux qui subissent aujourd’hui une pression démographique considérable. Les nouvelles populations sont souvent bien éloignées de la culture maritime traditionnelle et sont plus intéressées par les loisirs, la mise en scène patrimoniale et la jouissance de l’environnement.

6 Les deux auteurs connaissent parfaitement leur sujet et ce petit livre très vivifiant est une mine d’informations pour toute personne s’intéressant aux questions maritimes et à la Bretagne. C’est un outil indispensable pour tout chercheur travaillant sur l’histoire et les sciences de la mer d’autant plus que le propos est appuyé sur une bibliographie exhaustive et renouvelée grâce à l’intégration des travaux universitaires les plus récents.