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Comptes rendus

Collectif à l’Ouest, Protester à Rennes dans les années 1968. Mobilisations et trajectoires biographiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2023, 170 p.

Jacqueline Sainclivier
p. 254-255
Référence(s) :

Collectif à l’Ouest, Protester à Rennes dans les années 1968. Mobilisations et trajectoires biographiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2023, 170 p.

Texte intégral

1 Il est exceptionnel que les auteurs d’un ouvrage collectif n’indiquent pas leurs noms en première page de couverture. Cela peut surprendre mais pourrait être interprété comme un clin d’œil à l’esprit de « 68 » fortement marqué par l’esprit collectif sous les formes les plus diverses. En réalité, l’ouvrage s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche « Sociologie du militantisme, biographies, réseaux et organisations » (Sombrero), financé par l’ANR. Cela se reflète dans les contributions, toutes écrites à plusieurs, associant des chercheurs en science politique et un historien contemporanéiste ; le résultat est un kaléidoscope de ces « années 68 » à Rennes.

2 L’originalité du programme Sombrero est de s’intéresser non pas à Paris, mais à cinq villes de province : Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Rennes. Ce choix délibéré permet de prendre en compte la diversité de « 68 », de percevoir les trajectoires de militants et militantes « ordinaires ». Dans le cas de Rennes, trois éléments-clé sont mis en évidence : le rôle des étudiants, une conflictualité ouvrière périphérique tandis que l’empreinte du catholicisme pèse sur la configuration politique et les réseaux militants.

3 La situation économique de la Bretagne est opportunément rappelée et se manifeste dans la contestation des années 1968 en Bretagne, qu’il s’agisse des mots d’ordre ou des lieux. La région est peu industrialisée et les implantations industrielles les plus récentes sont dues à la politique de déconcentration menée par le gouvernement gaulliste (Citroën à Rennes ou la Société Parisienne de Lingerie Indémaillable ou SPLI). La SPLI crée d’abord deux usines à Fougères et à Saint-Brice-en-Coglès (35), puis en 1966 une troisième à Rennes. Dans les deux premiers cas, la CFTC puis CFDT domine, il n’en est pas de même à Rennes où la CGT est à la manœuvre. Or, à cette date, à l’échelle nationale, les deux confédérations s’affrontent plus qu’elles ne se coordonnent si bien que lors des grèves de la SPLI en 1978, il est difficile de constituer un front syndical commun face au processus de désindustrialisation et à l’absence de soutien politique. L’article concernant cette autre implantation déconcentrée qu’est l’usine Citroën de Rennes se focalise sur la CFT (Confédération Française du Travail), organisation syndicale indépendante, non représentative selon la législation. Cependant, la CFT est fortement implantée chez Citroën et a une attitude conciliante vis-à-vis du patronat. À aucun moment, malgré ses tentatives, elle ne réussit à sortir de son bastion et reste isolée sans aucun relais extérieur.

4 Plus surprenante de prime abord est la grève des étudiants en médecine en 1973 mais elle s’inscrit dans le cadre d’un changement de paradigme avec la présence de nombreux étudiants boursiers qui veulent (mais pas qu’eux) une médecine pour le peuple et au service du peuple, ce qui est bien dans l’esprit des années 68. La situation hospitalière régionale caractérisée par le manque de lits (mille lits de déficit) favorise un ancrage territorial donnant une capacité de mobilisation dépassant le seul milieu estudiantin. Cette grève a eu un écho réel dans la population dépassant les habituelles barrières sociales ou idéologiques. Il est regrettable que pour cette contribution, l’ouvrage d’Hugo Melchior sur cette même grève soit ignoré alors qu’il s’appuie sur une quarantaine d’entretiens de militants particulièrement éclairants pour comprendre la grève elle-même et son impact sur leur trajectoire.

5 Si, en 1968, le féminisme paraît peu présent en province, les années suivantes corrigent cette impression tandis qu’à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, le militantisme lesbien sort progressivement de la clandestinité. Les voies de celui-ci sont multiples, les organisations, contestataires, parfois éphémères. On assiste en fait à une politisation globale et à des relations complexes entre féminisme et militantisme lesbien, non sans effet émancipateur.

6 Les deux dernières contributions reviennent sur des idées reçues et interrogent les trajectoires ultérieures des militants de base de ces « années 68 » et leurs relations avec leurs familles à ce moment-là et dans le temps long. Aucun d’eux ne s’est replié sur lui-même, tous ont continué selon des modalités très diverses : militantisme politique et carrière d’élu, militantisme syndical, associatif. Ces engagements ont pu se modifier au fil du temps, mais ils restent constants. Le dernier article s’interroge sur les répercussions des années 68 sur les rapports familiaux. Il est rappelé que les plus jeunes militants n’avaient leur majorité qu’à 21 ans ce qui a un impact financier et sur leur autonomie plus ou moins importante selon le milieu social. Si, dans un premier temps, l’affiliation à l’un des mouvements de jeunesse catholique est rassurante pour les parents, bien souvent, ces organismes ont été des éveilleurs et ont pu « cacher » d’autres engagements plus contestataires et d’extrême gauche. Suivant les familles, le militantisme de cette période a pu entraîner des ruptures profondes mais, sur le moyen et le long terme, les événements familiaux (naissances, décès…) ont souvent contribué à retisser des liens.

7 La conclusion d’Erik Neveu est stimulante. Il critique une bonne partie des écrits interprétatifs sur les « années 68 » et contrairement aux auteurs de cet ouvrage, il connaît et fait référence aux travaux des historiens sur le sujet, qu’il s’agisse des études nationales ou régionales, portant en particulier sur la Bretagne. Il insiste sur le fait que toute analyse « locale » doit être historicisée, contextualisée, rappelant au passage ce que vivaient au quotidien les babyboomers dans une société où les interdits étaient nombreux, mais où il était possible de quitter son travail un soir et d’en retrouver un autre le lendemain. Il souligne enfin que Mai 68 a été incontestablement un « détonateur » pour l’évolution des rapports hiérarchiques et des rapports de genre.

8 Ces travaux montrent que la génération « 68 » n’est pas une, mais diverse, que les formes de militantisme ont été multiples tout comme les évolutions, les changements ressentis l’ont été. Les études rassemblées dans cet ouvrage mettent en exergue cette diversité et combien la vision parisienne de 68 n’est pas celle de toute la France, tout comme le « 68 » de Rennes n’est pas celui de Lille ou de Marseille.

9 L’historienne signataire de ce compte-rendu regrette que les travaux des historiens de cette période n’aient pas été utilisés – sauf par Erik Neveu – qu’il s’agisse des ouvrages publiés, des articles ou des mémoires de maîtrise ou de master pourtant faciles d’accès ; ils auraient permis de préciser et enrichir la réflexion en l’enracinant dans le temps et dans l’espace. Quant aux encadrés sur tel ou tel point précis, jusqu’à trois dans le même article de 20 pages, ils se juxtaposent au propos et ne viennent pas faciliter la lecture, ni la réflexion.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacqueline Sainclivier, « Collectif à l’Ouest, Protester à Rennes dans les années 1968. Mobilisations et trajectoires biographiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2023, 170 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 254-255.

Référence électronique

Jacqueline Sainclivier, « Collectif à l’Ouest, Protester à Rennes dans les années 1968. Mobilisations et trajectoires biographiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2023, 170 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9652 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ll6

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Auteur

Jacqueline Sainclivier

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