François de Beaulieu, Le loup en Bretagne : hier et aujourd’hui, Morlaix, Skol Vreizh, 2023, 183 p.
François de Beaulieu, Le loup en Bretagne : hier et aujourd’hui, Morlaix, Skol Vreizh, 2023, 183 p.
Texte intégral
1 Depuis quelques années, le loup a refait son apparition en Bretagne et suscite, chez les uns, de la crainte pour leurs troupeaux et chez d’autres, partisans de la biodiversité, de la satisfaction. François de Beaulieu est incontestablement au nombre de ces derniers car le militant écologiste qu’il est ne peut que se réjouir du retour de canis lupus même s’il regrette que cette réapparition ait lieu dans un contexte de dégradation continue de la biodiversité accompagnée d’un « déferlement de mensonges, de mauvaise foi et, au mieux, d’ignorance » (p. 7). Le loup fait figure de sujet de prédilection pour F. de Beaulieu puisque l’ouvrage dont nous rendons compte ici est le quatrième qu’il consacre à cet animal. En préambule, il déclare avoir voulu « aller au-delà des idées reçues sur la peur du loup » et s’appuyer sur les savoirs populaires nés de l’expérience quotidienne des Bretons « pour approfondir les réalités de la cohabitation » (p. 5). Aussi prend-il d’emblée le contrepied de Jean-Marc Moriceau, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Caen, dont l’un des ouvrages, (Histoire du méchant loup. 10 000 attaques sur l’homme en France (xve-xxe siècles) présentait, chiffres à l’appui, les nombreuses agressions dont les humains, notamment les enfants, furent victimes de la part de loups anthropophages ou enragés au cours des cinq derniers siècles. F. de Beaulieu fait remarquer qu’avec une moyenne de 34 attaques par an pour toute la France, les attaques du loup en Bretagne ne seraient que de deux par an ce qui relativise grandement la dangerosité du loup. Il souligne aussi que « fonder l’essentiel de l’histoire de la relation entre l’homme et le loup sur les registres de sépulture n’est, hélas, pas le seul biais qui fausse la compréhension du sujet » (p. 6). Aussi convoque-t-il les savoirs populaires pour démontrer que la cohabitation loup-homme n’était pas uniquement basée sur la peur. Il s’appuie notamment sur des témoignages qui lui ont été confiés par des anciens lors de conférences pour l’Université du temps libre, des articles publiées dans la presse locale au xixe siècle ainsi que les données mises au jour par l’écologue François de Beaufort, spécialiste du loup.
2 Sous l’Ancien Régime, en Bretagne, les landes constituaient un habitat propice pour les loups même si les maigres ressources alimentaires qu’elles offraient ne favorisaient pas la constitution de meutes mais plutôt de petits groupes de trois ou quatre loups. Les défrichements entrepris au xixe siècle ont contribué à en déloger canis lupus et ont ainsi renforcé sa vulnérabilité d’autant que, dans le même temps, les campagnes d’éradication du loup en Bretagne se sont montrées très efficaces du fait de l’utilisation de poisons. Toutefois, les récits collectés soulignent que le loup était un véritable danger pour les bestiaux. Ses proies favorites étaient le cheval, suivi du chien et du mouton. En effet, le chien qui montait la garde dans la niche au-devant de la maison était une proie facile : attaché, il ne pouvait se défendre et, au matin, on ne retrouvait que son collier, le reste ayant été emporté par le loup. Néanmoins, certains animaux savaient mettre en œuvre des parades contre les attaques du loup. Ainsi les vaches se mettaient-elles en cercle autour des moutons pour les protéger et les chevaux lançaient des ruades dissuasives. Suivant des calculs dont on peut mettre en doute l’exactitude (les données du mémoire de l’intendant Jean-Baptiste des Gallois de La Tour de 1733 ne sont pas fiables pour certains diocèses), F. de Beaulieu explique que les loups prélevaient environ 13,5 moutons par an et par animal au xviiie siècle et seulement 2,4 moutons par an vers 1840 ce qui est déjà beaucoup si l’on prend en compte le fait que les paysans bretons élevaient peu de bêtes à laine et que toute perte animale pouvait mettre en péril le budget d’une famille de paysans. F. de Beaulieu constate que la présence du loup (300 au milieu du xixe siècle environ) n’a pas entravé le développement de l’élevage ovin en Bretagne mais il est vrai que la conversion des landes en prairies a contribué à l’essor de l’élevage d’une manière générale. L’auteur avance que cette situation est « le résultat d’une longue histoire commune qui a conduit les uns et les autres à une connaissance réciproque. Les Bretons ont appris à se prémunir et les loups ont appris à se méfier et à ne pas fonder leur régime alimentaire sur les animaux domestiques ce qui n’excluait pas des raids sur des troupeaux mal gardés » (p. 24). Est-ce exact quand, comme il l’écrit lui-même, rusé, doté d’un odorat puissant, le loup était capable de creuser un trou dans des toitures de chaume des écuries où il avait détecté la présence de moutons qui, du fait de leur enfermement, devenaient des proies aisées ? Si la question du loup mangeur de bestiaux ne fait pas l’objet de trop vives controverses, celle du loup mangeur d’homme en revanche met le feu aux poudres car pour F. de Beaulieu, un mauvais procès est fait à canis lupus. Il explique que ne découvrir que les sabots d’un enfant ne démontre pas ipso facto que le loup n’a pas profité d’un cadavre abandonné et qu’il conviendrait de tenir compte de la criminalité qui a pu trouver un habile camouflage grâce aux loups notamment quand on découvrait par exemple les victimes habilement dépouillées de leurs vêtements. Il remet également en cause la tenue des registres de sépulture par les recteurs. Toutefois, on peut se demander quel intérêt ces mêmes recteurs auraient eu à retranscrire des données erronées sur ces registres même s’ils se fiaient à ce que leurs ouailles avaient pu leur dire de la mort d’un enfant dont on n’avait pas retrouvé le corps. Leur but n’était pas de protéger un serial killer mais de rendre compte de la mortalité dans leur paroisse ! Certes le loup sauvage peut ne pas être le coupable et quelques loups élevés en captivité ont pu s’échapper mais ce sont là des conjectures un peu hasardeuses qui ne peuvent à elles seules expliquer le nombre de petits Bretons dévorés par une bête féroce. F. de Beaulieu souligne que le loup n’est responsable que d’une attaque sur l’homme tous les six ans en Bretagne. C’est peu certes mais on objectera que la peur du loup peut se transmettre de génération en génération et que des nouvelles de ce type justement parce qu’elles ne sont pas fréquentes peuvent s’inscrire durablement dans les mémoires populaires. Reste donc pour l’auteur que la part de l’homme dans l’alimentation des loups autrefois était tout à fait anecdotique. Il prend toutefois en compte le fait que certaines louves devant nourrir leur portée aient pu être tentées par « de très jeunes bergères imprudemment laissées seules par leurs parents » (p. 37). Pour faire face au loup, des conseils de prudence étaient donnés aux jeunes bergers qui gardaient vaches ou moutons. Ainsi il leur fallait mettre de l’eau (un ruisseau) entre le loup et eux et effrayer l’animal en frappant leurs sabots l’un contre l’autre. Certains témoins relatent qu’il était possible d’alerter la population et de faire fuir le loup en soufflant dans un korn boud (gros coquillage ou sorte de corne fabriquée par les potiers). Selon F. de Beaulieu, « la société traditionnelle avait élaboré un véritable manuel de cohabitation avec les loups » (p. 41). La presse locale au xixe siècle relate de nombreux faits divers mettant en présence le loup et l’humain. En effet, loin de prendre la fuite, l’humain pouvait chercher à tuer le loup. Des témoignages prouvent que les Bretons venaient au secours de personnes attaquées par un loup enragé, voire protégeaient de leur corps des enfants. Toutefois, on peut douter de la véracité de certaines histoires narrées par les anciens. Est-il possible que, comme l’a rapporté un témoin, à Saint-Hernin (29), un loup pourchassé se trouva soudain face à face avec un homme dans un chemin creux et lui sauta à la gorge ? Et que tout en se protégeant l’homme serra le loup si fort que lorsque les gens du village arrivèrent sur les lieux du drame ils trouvèrent le loup mort tandis que l’homme n’avait que des blessures superficielles ? On peut aussi douter de la capacité d’une jeune bergère de 24 ans de Moustoir-Ac (56) de s’accrocher à l’un de ses moutons emporté par le loup laquelle fut, est-il écrit, traînée sur 300 mètres par le loup tandis qu’elle s’acharnait à taper dessus avec un bâton alors qu’il ne lâchait pas sa prise. L’Avenir du Morbihan qui relate cette histoire rocambolesque dans son édition du 17 avril 1880 résume ce fait divers en disant que la jeune fille n’eut que de faibles blessures à la main et réussit à arracher son mouton de la gueule du loup. Mais une telle aventure est-elle plausible et peut-elle suffire à affirmer que les Bretons n’avaient pas peur du loup ? Les lexicographes bretons montrent que les Bretons ne prononçaient pas le nom de loup de crainte de le voir apparaître. Est-ce là la preuve d’une absence de peur du loup ? Comme ailleurs en France, la population s’acharnait à capturer le loup comme l’atteste la présence de fosses aux loups en Bretagne ainsi que l’utilisation de pièges. Ces captures étaient d’autant plus recherchées qu’elles étaient accompagnées de primes. Les louvetiers étaient chargés de l’éradication de canis lupus mais F. de Beaulieu explique que certains manquaient de zèle car le loup donnait plus de relief aux chasses à courre d’où leur clémence à l’égard de certains spécimens. Pour autant, ces mêmes aristocrates bretons sélectionnèrent une race de chiens de chasse particulièrement efficace contre le loup, le griffon rouge de Bretagne. Toutefois, c’est surtout au xixe siècle que la noix vomique puis de la strychnine ont permis d’éliminer avec plus d’efficacité le loup dont la population au début du siècle suivant se limitait à quelques individus. F. de Beaulieu constate que « le retour à la nature opéré dans les sociétés occidentales à la fin du xxe siècle a contribué à la reconstruction d’une image positive du loup ». Certes, mais ce point de vue est celui des écologistes. Sans nul doute l’opinion des éleveurs de moutons aurait été différente car ils voient leurs troupeaux être de nouveau la proie de canis lupus même si les chiens errants opèrent eux aussi des prédations dommageables. Abondamment illustré, agréable à lire malgré quelques réserves quant à son « optimisme échevelé » à l’égard du loup, ce livre comporte en toute fin une quinzaine de pages de conseils pour mieux connaître le loup.
Pour citer cet article
Référence papier
Isabelle Guégan, « François de Beaulieu, Le loup en Bretagne : hier et aujourd’hui, Morlaix, Skol Vreizh, 2023, 183 p. », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 247-250.
Référence électronique
Isabelle Guégan, « François de Beaulieu, Le loup en Bretagne : hier et aujourd’hui, Morlaix, Skol Vreizh, 2023, 183 p. », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9647 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ll4
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