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Comptes rendus

François-Xavier Merrien, L’eau et la ville. Rennes, une histoire, préfaces de Michel Lagrée et Gauthier Aubert, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 272 p.

Pascal Burguin
p. 245-247
Référence(s) :

François-Xavier Merrien, L’eau et la ville. Rennes, une histoire, préfaces de Michel Lagrée et Gauthier Aubert, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 272 p.

Texte intégral

1 Ce livre est la réédition remaniée d’un précédent livre publié aux PUR en 1994, intitulé La bataille des eaux, l’hygiène à Rennes au xixᵉ siècle, lui-même adapté d’une thèse de sociologie soutenue en 1979. L’ouvrage paraît avec deux belles préfaces, celle de la première édition, par Michel Lagrée, la nouvelle, par Gauthier Aubert, et une postface qui offre à l’auteur, François-Xavier Merrien, professeur émérite de la faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne, spécialiste reconnu de l’État providence auquel il a consacré un Que-sais-je ?, l’occasion de rappeler les étapes de ce cheminement presque cinquantenaire et ses attaches rennaises : des études commencées à l’Université de Haute-Bretagne, suivies d’un premier poste d’enseignant à l’IUT de Rennes.

2 La nouveauté de l’actuelle publication est peut-être moins dans le changement de titre, censé refléter l’élargissement du propos à une histoire globale des rapports entre une ville et l’eau, que dans le choix d’une édition « beau livre », dont la très riche iconographie – plus de 200 illustrations de toute nature, des plans anciens aux photographies contemporaines en passant par les tableaux du xixᵉ siècle – change littéralement le regard sur la ville, « vue d’en bas », au ras de l’eau. Car le contenu de l’ouvrage reste concentré sur son objet initial, le passage, à Rennes, de la « civilisation du fongique », expression que F.X. Merrien reprend à André Guillerme, pionnier de l’histoire des eaux avec Jean-Pierre Goubert, à la culture de l’hygiène. L’ajout le plus consistant concerne l’Ancien Régime des eaux, abordé dans la première partie. F.X. Merrien décrit précisément cette ville de confluence, « scindée en deux » par le fleuve et soumise au régime des eaux naturelles, largement incontrôlables. Séparation sociale et institutionnelle, entre la ville haute, au nord, hors d’eau, dévolue aux élites et aux fonctions primatiales, et la ville basse, au sud, inondable, ville de l’humidité et de la putréfaction, qui fait de la Vilaine une ligne de partage social autant que spatial. Et dépendance aux cours d’eau, débordant ou à sec selon les saisons, à la fois utiles à de nombreux métiers, tanneurs, amidonniers, bouchers, et dangereux, par les miasmes et les maladies qu’ils génèrent. On suit alors la généalogie des divers projets d’aménagement de la Vilaine et de ses affluents, du xviᵉ siècle à celui des Lumières, qui furent autant d’occasions manquées de remodeler et d’assainir la ville. Ainsi, le plan Robelin de 1722, qui envisageait une vaste refonte de l’espace urbain, de part et d’autre du fleuve, mais qui ne concerna finalement que les quartiers touchés par le Grand incendie, ou les innombrables mémoires sur la canalisation de la Vilaine (ceux de J. Abeille, de F.J. Kersauson, de P.M. de Rosnyven, de D. Chocat de Grandmaison, de Chézy, de J. Liard, de N. Brémontier), qui témoignent de la canalmania bretonne, au moins de papier, des années 1730/1780.

3 Le chapitre intitulé « L’eau plaisir, l’eau utile », qui couvre la période allant de la fin du xviiiᵉ siècle au Second Empire, lui aussi ajouté à la précédente édition, est plus fragmentaire. Sur « l’eau plaisir », pourquoi s’attarder sur les promenades des Rennais, à pied ou à cheval, le long de l’Ille ou la Vilaine, et ne consacrer que quelques lignes aux villégiatures des bords de l’eau qui se multiplient au xixᵉ siècle à mesure que la ville s’étend, et aucune à la baignade, aux sports nautiques – la Société des régates rennaises est créée en 1867 – ou aux fêtes sur l’eau, apparues dans les années 1860, qui transforment le fleuve en spectacle, avec ses joutes, ses parades, ses feux d’artifice ? Et sur « l’eau utile », pourquoi circonscrire cette utilité aux pêcheurs et aux lavandières, sans évoquer les ports (le port de Vilaine, celui du canal) la batellerie et le trafic ? Ce chapitre a surtout le mérite de donner à voir les peintures des petits-maîtres de la première moitié du xixᵉ siècle qui semblent avoir multiplié les vues de la ville sur la Vilaine, comme s’ils voulaient saisir les derniers moments de cet ancien régime des eaux avant qu’il ne disparaisse.

4 Il reste le cœur de l’ouvrage, sur la « bataille des eaux » du xixᵉ siècle (deuxième partie), la « maîtrise des eaux » (troisième partie) et « l’accès aux eaux pures » (quatrième partie) qui réalisent enfin les promesses du siècle précédent. Cette histoire-bataille se place en réalité à la jonction de l’histoire urbaine et de l’histoire des représentations. Les acteurs de ce combat, principalement médecins et ingénieurs, ont dû affronter les difficultés techniques de réalisation et l’insuffisance des moyens autant que les préjugés et les routines. La force d’inertie de la civilisation fongique a été dure à réduire, elle ne cède que lentement devant les logiques sanitaires et techniciennes. L’hygiénisme qui réconcilie aéristes et contagionnistes autour du constat empirique que la propreté et les conditions sociales sont responsables de la bonne ou mauvaise santé de la population, s’impose progressivement. F.X. Merrien souligne le rôle joué localement par le docteur Toulmouche, auteur de la première enquête sociale à Rennes, sur le modèle de celles de L. Villermé. Les ingénieurs des ponts-et-chaussées, Coiquaud, Soulié, Lesguillier et d’autres, font le reste : l’alignement de la Vilaine et l’assainissement de la basse ville avec le colmatage des ruisseaux et le comblement du Vieux Cours, pour supprimer les eaux stagnantes, dans les années 1840/1860, puis l’installation d’un réseau d’adduction d’eau par captage des sources de la Minette et de la Loisance via un aqueduc de 42 km menant au réservoir des Gallets, et la construction d’un système d’égouts, à partir de la décennie 1880. La conquête de l’eau est symboliquement achevée en 1911/1913 par la couverture partielle de la Vilaine, prolongée jusqu’au confluent, une cinquantaine d’années plus tard. Ainsi se dessine par étape une véritable politique urbaine de l’eau : les élus, d’abord pusillanimes face à la résistance des propriétaires et des métiers, ont fini par accompagner le mouvement, et ont adapté les formes de la ville à ses nouveaux besoins, utilitaires et sanitaires.

5 Au terme de ce long processus, la relation entre la ville et l’eau s’est profondément transformée. La Vilaine a presque disparu du paysage et de l’imaginaire rennais, victimes de ce nouveau rapport à l’eau, des progrès de l’hydraulique urbaine et de la concurrence des nouvelles mobilités, ferroviaire et automobile, qui ont eu raison du transport fluvial. Comme le note F.X. Merrien dans la conclusion, l’eau était partout présente dans les représentations anciennes de la ville, et dans celles du xxᵉ siècle, elle a quasiment disparu.

6 Par la diversité des registres historiques qu’il mobilise – histoire de la vie matérielle, des sensibilités, des mentalités – la mise en perspective de son objet sur le long terme et le remarquable travail de l’éditeur, auquel on pourra juste reprocher l’absence d’un index, ce livre, même s’il n’est pas une histoire globale de l’eau et la ville à travers le cas rennais, attire magnifiquement l’attention sur cette porte d’entrée dans la modernité que fut, à Rennes comme ailleurs, la « bataille des eaux ». Au moment où les Rennais s’apprêtent à redécouvrir leur fleuve, sa lecture pourrait s’avérer utile, sinon indispensable.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pascal Burguin, « François-Xavier Merrien, L’eau et la ville. Rennes, une histoire, préfaces de Michel Lagrée et Gauthier Aubert, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 272 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-3 | 2024, 245-247.

Référence électronique

Pascal Burguin, « François-Xavier Merrien, L’eau et la ville. Rennes, une histoire, préfaces de Michel Lagrée et Gauthier Aubert, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 272 p. »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-3 | 2024, mis en ligne le 30 octobre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/abpo/9643 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ll3

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Pascal Burguin

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